Depuis le 28 avril, Certisys, leader belge de la certification bio, a rejoint le groupe Ecocert, présent dans cent trente pays à travers le monde… La direction de Certisys est désormais confiée à Franck Brasseur qui avait intégré l’équipe en 2018. Il sera accompagné, pendant une période de transition de quelques mois, par Blaise Hommelen qui fut à l’origine du mouvement bio belge. Et le fondateur historique de l’entreprise, en 1991 ! Une occasion unique de rendre hommage à ce vieux militant de la cause biologique…

Propos recueillis par Dominique Parizel et Marc Fichers

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Introduction

Lui rendre hommage bien sûr, pour sa brillante carrière qui passa jadis par Nature & Progrès, mais surtout brosser avec lui un rapide aperçu des nouvelles réalités qui questionnent, au présent, la certification bio. De nouveaux acteurs arrivent dans le bio, sans connaître nécessairement les valeurs qui le fondent et qu’il défend avec vigueur, depuis plusieurs décennies déjà. A l’image de Certisys dont l’intégration au groupe Ecocert lui permet une expansion nouvelle, tout en gardant son identité propre, c’est tout un secteur qui passe progressivement le flambeau à la génération montante. Même si, aux yeux du consommateur, rien ne change évidemment… L’occasion rêvée pour demander l’avis de Blaise Hommelen à ce sujet, et faire le point sur les principaux points d’attention, les nouveaux défis que devra relever le secteur tout entier. Chut, écoutons-le parler…

« Personne n’est éternel, constate lucidement Blaise Hommelen, et il faut pouvoir envisager de nouveaux relais. Mon entreprise fut toujours très liée au local, tout en développant une envergure internationale. Certisys, dans ce contexte, fait face à de gros groupes et doit pouvoir être suffisant fort pour mener à bien sa mission. Fort d’un point de vue technique, juridique, financier et tout cela en toute indépendance, en toute impartialité, en se gardant de tout greenwashing. Travailler avec le groupe Ecocert, c’est donc se renforcer et se mettre en capacité d’offrir un meilleur service… Il faut bien sûr distinguer clairement la réglementation du bio et ce qu’est réellement le bio. IFOAM – l’association internationale de l’agriculture biologique – se définit comme un mouvement : d’une part, cela concerne des personnes et, d’autre part, cela n’arrête pas d’évoluer. Il y a, d’une part, les agriculteurs, les producteurs, ceux qui pratiquent effectivement l’agriculture biologique sur le terrain et, d’autre part, il y a les consommateurs. Ces deux courants ont déterminé conjointement l’évolution historique du secteur… »

S'adapter à une demande toujours plus forte du consommateur

« La bio est née de la rencontre de ces deux courants, poursuit Blaise Hommelen, celui des producteurs et celui des consommateurs. Etant agronome de formation, je suis rentré dans le système par une approche agronomique, par la rencontre d’agriculteurs qui pratiquaient l’agriculture biologique. Le consommateur, quant à lui, exprime une attente et cette attente évolue dans le temps. Le producteur et les techniques qu’il met en œuvre évoluent également mais en restant toujours fidèles au concept d’agriculture durable de départ, qui est vraiment un excellent concept. J’ai donc pu observer l’évolution de l’attente du consommateur par rapport à ce qui se passait au niveau de l’agriculture conventionnelle en général, mais aussi par rapport à sa propre demande qui est progressivement devenue très importante. Avec les différents scandales alimentaires, ce poids croissant de la demande du consommateur – qui correspondait à une prise de conscience nouvelle – est apparue comme un fait tout-à-fait nouveau. En plus de l’intérêt que je portais déjà à l’agriculture biologique, en tant qu’agronome, est apparu le défi de la garantie du produit biologique destiné à ce consommateur nouveau. Au-delà des aspects purement techniques inhérents à la pratique de l’agriculture biologique, la mission qui nous était assignée de garantir la qualité biologique au consommateur prenait, elle aussi, une importance nouvelle. Mais comment s’y prendre pour rencontrer son attente, toujours plus forte, en donnant au consommateur la certitude que le produit bio acheté est bien celui qu’il avait espéré ? Un produit sans résidus, sans OGM… Le consommateur demande – en se le formulant à lui-même de manière parfois assez floue – un produit parfaitement naturel et absolument sans danger.

Or, au début, nous avions tout simplement affaire à quelques producteurs bio qui voulaient juste écouler leur production biologique, et nous partions uniquement de leurs pratiques agricoles. Eux cherchaient uniquement à se différencier sur le marché et à valoriser leur dénomination, par rapport à la spécificité de leur démarche d’agriculteurs. Le courant des consommateurs est alors venu se joindre à cette démarche mais en y plaçant une exigence toujours plus forte. En tant que certificateurs, nous nous focalisions, quant à nous, sur la façon dont les agriculteurs désherbent, fertilisent ou alimentent les animaux, comment ils s’y prennent pour que les vaches ne soient pas malades… Tout cela, en fonction des bases agronomiques de l’agriculture biologique. Mais aujourd’hui, les enjeux des OGM, des pesticides, des additifs, des nanotechnologies, etc. mettent toujours une pression plus intense sur la responsabilité de garantie que le consommateur attend de notre part. »

Obligation de résultat, ou obligation de moyens ?

« Une autre évolution capitale à mes yeux, explique Blaise Hommelen, réside dans le fait que l’agriculture biologique a été étendue à la transformation des produits biologiques. Cette évolution n’avait rien d’une évidence, vers 1980, lorsqu’on parlait encore d’agriculture « dite biologique ». Il ne s’agissait que d’agriculture stricto sensu – le règlement ne parlait alors que de cela – et nous avons dû batailler afin d’obtenir également la couverture sur les produits transformés. Il faut aujourd’hui rester extrêmement vigilants sur les normes de transformation car rien ne définit spécifiquement une transformation de produits biologiques. Quelles sont les méthodes ? Quels sont les critères ? Qu’est-ce qui nous guide ? Qu’est-ce qui nous motive ? Personne ne sait exactement : les techniques de transformation sont une chose, la composition des produits utilisés en est une autre. L’industrie agroalimentaire veut des produits raffinés, des produits purifiés aptes à être travaillés, par elle, techniquement. Ceci est totalement antagoniste avec nos idées bio, puisque nous voulons des produits bruts qui conservent et respectent le mieux possible la matière première. Au niveau des huiles, nous travaillons, par exemple, avec des huiles de pression mais pas d’extraction, ni d’hydrogénation, etc. Nous nous battons donc pour éviter que des techniques telles que les systèmes à échangeur d’ions soient refusés en transformation biologique. Le règlement définit, plus ou moins, une certaine approche. Et on peut légitimement se demander à quoi servirait de mettre en place une garantie stricte chez l’agriculteur, si cette garantie n’existe pas jusqu’à l’assiette du consommateur final ? Raison pour laquelle tout produit bio doit également être garanti sur l’ensemble de la filière, en incluant toute la chaîne distribution. Pour les distributeurs, c’est une chose nouvelle et ils ne comprennent pas toujours pourquoi il est indispensable qu’ils soient également sous contrôle. S’ajoutent à cela les questions relatives à la restauration collective, au catering, etc.

Redisons-le : au niveau de notre mission, nous étions simplement partis de la production, des producteurs qui sont au commencement de la filière… Pour englober maintenant l’ensemble de la filière jusqu’à l’assiette du consommateur dont les exigences n’ont cessé de se renforcer, en mettant toujours plus de pression sur le contrôle. Nous avons toujours été bien conscients de cela, au niveau belge, et le secteur a toujours demandé aux organismes de contrôle d’avoir des fréquences suffisantes de présence sur le terrain mais également d’assurer une obligation de résultat, alors que l’agriculture biologique ne se définit que par les pratiques qu’elle met en œuvre et n’a donc qu’une obligation de moyens. Mais le fait est pourtant que nous ne considérons pas comme possible que nos produits soient pollués, par des pesticides ou par autre chose. Voilà encore un nouvel enjeu, et il est de taille… »

Fidélité aux principes de base

« Le Règlement européen pour lequel nous nous sommes longuement battus, se souvient Blaise Hommelen, avait pour but d’obtenir une reconnaissance officielle et de protéger ainsi l’appellation biologique. Il n’est aucunement une fin en soi ! L’agriculture biologique doit être très attentive à ses racines, tant au niveau des producteurs et des transformateurs qu’au niveau des consommateurs. Les différents acteurs du bio se sont professionnalisés, avec l’adoption de ce Règlement européen, mais il ne s’agit nullement, pour nous organisme de contrôle – comme certains aiment parfois le prétendre -, de nous borner à réglementer l’achat de fraises bio en Espagne… Il s’agit, avant tout, de travailler à la pérennité d’une agriculture durable qui participe de l’agroécologie. Nous devons absolument conserver cet objectif, cette ambition… Or la réglementation évolue sans cesse et c’est pourquoi les organisations citoyennes sont très importantes, au sein du monde bio, afin de garder le cap que nous nous sommes fixés, de garder les pieds sur terre, de conserver nos racines. Une certaine dilution du bio semble, bien sûr, inévitable dès lors qu’on veut en développer le marché ; un pôle associatif fort doit donc absolument veiller à la sauvegarde des principes de base qui lui ont permis d’exister. Ainsi certains producteurs, arrivés par le seul attrait des primes bio, deviennent-ils parfois d’authentiques puristes. Et la très grande majorité des agriculteurs qui ont fait le pas vers le bio sont, à présent, très heureux de l’avoir fait et regrettent même souvent de ne pas l’avoir fait plus rapidement. Les opportunistes du bio le sont rarement de père en fils, et le fils fera, le cas échéant, la prise de conscience que n’avait jamais pu faire le père…

En tant qu’organisme de contrôle, nous devons bien connaître les règles du bio, bien les expliquer et bien les appliquer. Je suis donc partisan d’un contrôle préventif, je suis pour une présence continue. Il ne s’agit pas de tomber n’importe comment sur le dos de n’importe qui. Il faut bien sûr être suffisamment costaud pour lutter contre les fraudes possibles. Mais rester étroitement relié au secteur bio me tient énormément à cœur. Or il est aujourd’hui possible qu’un organisme de contrôle se borne à contrôler un cahier de charges, en étant en déconnexion totale par rapport au secteur concerné. Nous donnons donc, chez Certisys, un rôle très important à notre comité consultatif – l’évolution de l’ancienne COMAC (Commission mixte d’Agrément et de contrôle) – qui est un lieu de rencontre et d’échanges entre les professionnels, les consommateurs et les autorités, dans le cadre d’une garantie participative. Nous constatons que, bien qu’il y ait toujours davantage de bio, le secteur associatif y est, à certains égards, moins actif. Alors que le politique a démantelé la plateforme Bioforum Wallonie, il n’existe plus de véritable coordination du secteur. Or, en bio, c’est tout le monde qui discute, tout le temps, c’est un vrai mouvement de société qui est à l’œuvre où tout le monde a voix au chapitre en permanence. Et c’est peut-être ce qui fait toute la différence ! Cette importante dimension citoyenne doit rester à l’initiative des évolutions du secteur, qui ne doivent pas venir seulement de l’administration ou de l’Europe. Certisys estime donc que la bonne application des règles dépend aussi de la capacité de pouvoir consulter facilement le secteur. La problématique des élevages de volailles montre bien que nous sommes constamment aux prises avec des limites ; il est donc stratégiquement indispensable de savoir ce que veulent, dans leur ensemble, les gens qui font le bio au quotidien… »

Toujours davantage de missions

« Depuis une dizaine d’années, dit Blaise Hommelen, les organismes de contrôle sont également considérés comme des collecteurs de données. Or notre premier métier est de voir comment les règles bio évoluent, de bien les communiquer en direction des opérateurs et de veiller à leur bonne application. Maintenant, on nous oblige à collecter et à organiser toutes ces données, que ce soit pour la problématique des primes bio ou pour les statistiques qui sont certes nécessaires, tant au niveau belge qu’européen, pour le développement des filières ou la localisation des matières premières… Nous avons donc été obligés d’investir énormément dans les systèmes informatiques pour encoder, exploiter, stocker et transférer ces données. Mais nous devons veiller, d’autre part, à leur fiabilité et il nous incombe donc de tout vérifier dans le détail, ce qui est un authentique travail de fourmis. Ce boulot colossal occupe cinq personnes, à plein temps, chez Certisys et nous met une pression importante… Bien sûr, ces connaissances aident aussi le secteur à mieux se connaître lui-même mais peut-être des relais devraient-ils être pris par d’autres, au-delà de la simple collecte d’informations, afin d’en penser plus adéquatement le développement global ?

Certisys est avant tout une entreprise de service, répétons-le. Nous engageons de nombreuses personnes, en nous rendant compte à quel point il est indispensable de les former adéquatement aux spécificités du bio. Le plan de formation que nous appliquons est donc fondamental, à nos yeux. Je regrette vraiment de ne pas emmener suffisamment ces nouveaux engagés à la rencontre de pionniers du bio, afin de leur poser simplement ces deux questions : qu’est-ce que le bio à leurs yeux, et qu’est-ce qu’ils attendent vraiment de Certisys ? Tout notre personnel doit absolument se confronter à ces deux questions. On n’apprend malheureusement pas ce qu’est le vrai bio à l’école d’agriculture… »
Plus d’infos : www.certisys.eu