Les forêts s’enflamment, les profondeurs marines déclinent, les poubelles débordent de nourritures encore comestibles, les poissons et les crustacés s’ébouillantent, la grêle et la neige tombent en juillet, des populations entières sont privées d’eau et de nourritures, des récoltes sont détruites, la biodiversité est remplacée par des zones de déchets nucléaires et des agriculteurs et des agricultrices tombent malades…
Par Maylis Arnould
Et partout, on ne parle quasiment que de vaccins et de virus. Dans la to do list des crises à résoudre, toutes ne sont pas logées à la même enseigne ! Le terme de « crise » est dans toutes les bouches, tous les papiers et tous les écrans depuis maintenant deux ans. Non pas qu’il ne soit pas utilisé par les scientifiques, les lanceurs d’alertes, les écologistes et les travailleurs de la terre depuis les années soixante – septante (1)… Concernant la question écologique – entre autres -, il est apparu sous sa forme sanitaire de manière beaucoup plus importante avec l’arrivée de la Covid-19. Pas la peine de rappeler à quel point cette « crise sanitaire » a généré des bouleversements importants dans le quotidien des citoyens du monde entier, nous en portons encore les traces aujourd’hui.
Une crise ? Quelle crise ?
Ce virus « dont on ne doit pas prononcer le nom » a permis de mettre en lumière l’importance accordée à l’immédiateté et au présent dans nos sociétés contemporaines, au détriment du lendemain. Sur le plan politique, en quelques mois voire quelques semaines, presque tous les pays – majoritairement occidentaux – prirent des décisions radicales, allant du confinement au couvre-feu, en passant par la fermeture de certains magasins. Sur le plan social, les règles imposées pour lutter contre le virus furent respectées et acceptées par une grande majorité des individus en un temps record. Par exemple, selon les chiffres des sondages du projet « the big Corona study », en Belgique 77 % des répondants souhaitaient, en 2020, l’obligation du port du masque dans les supermarchés et 83 % le souhaitaient pour le personnel.
La peur de la Covid-19 a donc montré qu’il était possible, rapidement, d’imposer des habitudes quotidiennes – port du masque, utilisation du gel hydroalcoolique, possession du pass sanitaire, etc. – ainsi que de changer le fonctionnement d’une machine industrielle bien rodée – diminution de productions, fermetures temporaires ou limitations d’accès à certaines grandes enseignes, comme Decathlon ou Primark par exemple, etc.
Cette réaction face à la « crise » de la Covid-19 a engendré la stupéfaction de nombreux citoyens qui demandent, depuis maintenant plusieurs dizaines d’années, des changements rapides et radicaux pour pallier les problématiques environnementales. Pour faire une petite comparaison, la crise écologique est gérée politiquement de manière relativement instable. La plupart des décisions concernant les pesticides, les déchets plastiques ou encore l’émission de CO2 ont des délais de mise en place extrêmement longs après leurs votes, et sont même parfois annulées ou repoussées en cours de route – l’interdiction du glyphosate, par exemple. Les COP – Conférences of Parties – en sont désormais à leur 26e édition et aucun gros changement n’a été observé jusqu’à présent. Si l’on prend l’exemple de la déforestation, nous pouvons même dire que les décisions prises lors de ces rassemblements tournent en rond : la mise en place d’une « interdiction de déforester » pour 2030 alors que cette même décision avait déjà été prise en 2014 et que, depuis, la déforestation a augmenté…
Sur le plan social, ici aussi, les changements sont compliqués et difficiles. Le contexte politique et économique tend à voir la transition écologique sous l’angle de la technologie et de la croissance : toujours plus de biens de consommations mais cette fois-ci colorés en vert. Les scientifiques et les mouvements citoyens – qu’ils soient associatifs ou non – peinent à se faire entendre et sont même parfois volontairement passés sous silence (2). Les décisions politiques qui visent à améliorer les comportements face aux problématiques environnementales sont généralement très peu éducatives et concernent des points qui sont de l’ordre du détail – par exemple, l’interdiction d’utiliser des pailles en plastique. De plus, dans ce type de société, les personnes qui se tournent vers des alternatives sont généralement stigmatisées et considérées comme déviantes.
L’action individuelle et la conscience collective
L’arrivée des vaccins contre la Covid-19 n’a pas arrangé les divergences de réactions face à ces deux crises, particulièrement sur la manière dont sont perçues les personnes qui ne souhaitent pas se faire vacciner. Si l’on prend l’exemple de la France, les publicités gouvernementales, les affiches dans les rues, les gares ou les autoroutes, les discours politiques ou les discussions de comptoirs sont emplis d’un drôle de terme : la « conscience collective ». Cette idée de conscience commune et d’action collective est généralement mise en opposition avec l’idée de « liberté individuelle » prônée par les personnes non-vaccinées, celle-ci étant largement critiquée dans la plupart des médias. Ces deux idées sont particulièrement intéressantes et font ressortir de nombreux questionnements dès lors que nous nous penchons sur les différences entre pandémie et écologie. Quand il est question d’écologie ou d’agriculture, « chacun fait ce qu’il veut », « on ne doit pas imposer un choix de vie à quelqu’un ». Mais du moment où l’on parle d’un virus on oppose soudain l’égoïsme à l’altruisme. Pourquoi ? N’y aurait-il pas un peu de contradiction là-dedans ?
Dès qu’on exprime la crise écologique ou le désastre climatique, il faut faire attention, ne pas trop en dire, être bienveillant, prendre en compte le contexte et l’histoire de chacun. En effet, se tourner vers des alternatives de vie plus respectueuses du vivant – humain compris – n’est pas simple et il est important de laisser le temps à chacun de faire son chemin. Mais on se fait rapidement traiter d’extrémiste lorsqu’on aborde la question des comportements écologiques et il est tout à fait normal d’entendre un « je souhaite à certains de mourir aux urgences » ou encore « si des personnes décèdent, c’est de la faute de ceux qui font qui ne sont pas vaccinés ». Si de tels propos étaient tenus envers ceux qui ont des modes de vie destructeurs, qui consomment des poissons provenant de la surpêche destructrice et qui mangent des aliments qui abiment les sols, cela serait qualifié d’aberrant, voire d’inhumain. La question du choix personnel est pourtant régulièrement mise en avant face aux personnes qui consomment de la nourriture biologique ou qui utilisent des énergies renouvelables – pour ne citer que ces deux exemples – et il est très difficile de faire entendre que ces modes de vie sont généralement motivés par le bien commun, alors que pour la question sanitaire c’est l’inverse qui est observé. Comme énoncé précédemment, ces oppositions peuvent s’expliquer par l’importance du présent par rapport au futur, du maintenant plutôt que du demain. Les problèmes liés à la dégradation des ressources naturelles commencent doucement à être visibles mais ne sont pas palpables pour la plupart des individus – notamment dans une ville occidentale -, alors que l’impact sur la santé d’un virus se fait ressentir immédiatement, quotidiennement. Pourtant la mondialisation et le capitalisme sont également mortels, le nombre de décès de ce système a déjà été estimé, selon certaines sources, à environ vingt millions d’individus depuis le début de l’ère industrielle (3).
La crise écologique est mondiale et les alertes ne cessent d’augmenter, que ce soit via le dernier rapport du GIEC ou par des documentaires poignants : le climat, les océans, la terre, les forêts et quasiment l’intégralité de la biodiversité sont en train de décliner. Personne ne peut dire exactement ce qui va nous tomber dessus en premier mais beaucoup de scientifiques s’entendent pour dire que quelque chose va nous tomber dessus, c’est certain. Alors peut-être qu’essayer de se comprendre, se remettre en question avant de juger, de discuter, de respecter nos choix respectifs et de s’unir plutôt que de créer davantage de haine, ça apporterait des solutions, non ? Nous sommes capables de faire des choses incroyables et de développer le respect et la joie. Et de plus en plus d’individus le prouvent.
Quand les individus décident de dépasser leurs différences pour avancer ensemble…
À l’heure où beaucoup de citoyens et de citoyennes s’angoissent de la crise sanitaire, d’autres portent le stress de la dégradation de notre espace naturel, depuis bien plus longtemps. Mais la conscience des problèmes n’est pas forcément synonyme de déprime et les différences de points de vue n’empêchent pas nécessairement l’unité. Depuis plusieurs dizaines d’années, des espaces créant des modes de vie nouveaux et respectueux fleurissent partout dans le monde, avec la bienveillance comme actrice principale. Les exemples ne manquent pas : que ce soient des agriculteurs biologiques qui aident des agriculteurs « conventionnels » à faire leur conversion, des locaux qui nourrissent des zadistes, des étudiants toulousains qui cuisinent avec des personnes issues de quartiers défavorisés pendant un blocage, et j’en passe…
Sur la question sociale, les possibilités de passer outre nos différences sont également très nombreuses. En France par exemple, que ce soient les « gilets jaunes » ou certains rassemblements « anti-vax », le désaccord est remplacé par la compréhension. Pour reprendre l’exemple du vaccin, de nombreuses manifestations françaises ont mis un point d’honneur à afficher quelles étaient contre le pass sanitaire et non contre le vaccin, ce qui a créé un rassemblement hétérogène d’individus, vaccinés ou non. Plusieurs personnes vaccinées ont même exprimé le fait que c’était leur choix et qu’elles trouvaient anormal de l’imposer aux autres…
Il est donc tout à fait possible de dépasser nos divergences, à partir du moment où l’on se rassemble, où l’on se parle et surtout… qu’on éteint notre télévision ! Car même si l’on entend partout parler du covid et du vaccin dans l’espace public, dans les espaces privés ça parle bien plus souvent de résilience et de retour à la terre qu’on veut bien nous le faire croire !
Notes :
(1) Pour des informations plus détaillées à ce sujet voir : Patrick Matagne, Aux origines de l’écologie. Innovations, 2003/2 (no18), p. 27-42.
(2) Par exemple, l’affaire Love Canal aux États-Unis.
(3) Jean-Marc B, Victimes du capitalisme : un devoir de mémoire. Médiapart, 2018.