Les outils n’ont jamais cessé d’évoluer depuis les premiers pas de l’Homme en agriculture. De nouveaux outils, mieux adaptés pour ameublir et aérer la terre, apparaissent donc encore régulièrement de nos jours. Mais quel est le véritable plus qu’offrent ces « nouvelles bêches » dans le cadre du jardinage biologique ? Pourquoi voir là un véritable « progrès » ?

Par Philippe Delwiche

Voyageons dans le temps. Nous voilà à l’aube du Néolithique, quelques milliers d’années avant notre ère : là où nourriture est abondante, des groupes de chasseurs-cueilleurs se sédentarisent, pendant quelques semaines ou quelques mois, et accumulent des déchets organiques près de leurs habitats. L’année suivante, lorsqu’ils repassent au même endroit, ils constatent que certaines plantes sauvages qu’ils consomment régulièrement poussent là où ils ont jeté leurs déchets. Surprise ! Elles sont bien plus vigoureuses que celles qu’ils cueillent habituellement. Parmi les nombreux scénarios imaginés pour décrire les débuts de l’agriculture, celui-ci est sans doute plausible. Et ce phénomène s’est probablement produit indépendamment, simultanément ou presque, dans différentes parties du monde…

Ameublir pour semer

Au commencement, les premiers travaux d’ameublissement servirent sans doute uniquement à pouvoir déposer les graines dans un milieu travaillé superficiellement. Les premiers outils furent donc des houes et des bâtons fouisseurs qui apparaissent dès le Néolithique. Le bâton fouisseur est l’ancêtre de notre bêche : malgré son bout durci par le feu, il ne peut travailler le sol qu’en surface, parfois lesté d’une pierre trouée qui augmente sa force de travail, lui permettant de pénétrer plus profondément dans le sol, sans qu’il puisse toutefois le défoncer et l’émotter. Cet instrument est toujours utilisé en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud par les paysans les plus pauvres. De nos jours encore, des paysans péruviens utilisent la taklla, un outil en bois plus large à la base, parfaitement adapté à leur terroir, intermédiaire entre le bâton fouisseur et la bêche. La base élargie permet de découper, de soulever et enfin d’émietter une portion de terre…
Les Romains connaissaient la bêche et possédaient une telle maîtrise de la métallurgie qu’ils pouvaient même façonner des outils à dents réservés aux terres rocailleuses de leurs vignobles. Les invasions barbares marquèrent cependant un brusque arrêt de l’expansion romaine avec « chute démographique, perte de trésors d’art, ruine des routes, des ateliers, des entrepôts, des systèmes d’irrigation, des cultures » (J. Le Goff, La civilisation de l’Occident médiéval, Arthaud, 1967). La bêche, apportée par les Romains, se maintiendra pourtant comme outil, mais c’est la bêche monoxyle asymétrique qui sera d’abord utilisée pendant plusieurs siècles. Taillée d’un seul tenant dans un morceau de bois, épaisse pour être solide, elle est lourde et pénètre difficilement le sol malgré son extrémité amincie et durcie par le feu. Le pied du bêcheur se pose cependant dans l’axe de l’outil et renforce donc son efficacité. Cette bêche sera très longtemps le seul outil aratoire permettant de travailler en profondeur la terre du potager.
Le bord d’attaque sera ensuite progressivement renforcé à l’aide de fer lorsque le coût de celui-ci va diminuer. Enfin, l’entièreté de l’outil sera faite d’acier. Aujourd’hui, la bêche trouve encore son utilité dans le travail d’un sol très argileux et, particulièrement, pour le bêchage hivernal. La bêche à dents est idéale pour le labour de printemps des terres lourdes et pour les terres rocailleuses, sa pénétration dans le sol étant plus aisée. Ces deux outils, également valables pour les terres légères, présentent cependant l’immense désavantage de retourner la terre. Or inverser les couches du sol, pour un jardinier biologique, c’est une chose inacceptable !

Un sol vivant est le garant de belles récoltes

En agriculture conventionnelle, le sol est considéré comme un simple support pour les plantes, celles-ci absorbent dès lors, pour s’alimenter, des engrais chimiques directement assimilables. En agriculture biologique, le compostage des matières organiques, et éventuellement le fumier, fournissent au sol un humus de qualité. Ceci ne constitue cependant qu’une « prédigestion » qui diminue seulement le temps nécessaire à la libération des éléments nutritifs qui ne pourront être assimilables qu’après une lente transformation par les organismes vivants du sol. Cloportes, iules, vers de terre ou limaces, par exemple, vont les réduire en petites particules, alors que les microorganismes, comme les bactéries, les champignons ou les algues, les transformeront en éléments assimilables.
On comprend ainsi pourquoi le jardinier bio met autant de zèle à préserver l’écosystème de son sol grâce à des pratiques culturales appropriées comme le « mulch ». Le travail du sol doit donc s’effectuer sans inverser les couches de terre car chacune possède sa flore et sa faune spécifiques : en surface vivent les microorganismes aérobies qui ont besoin d’air alors qu’en profondeur vivent les anaérobies qui n’en ont pas besoin. Mélanger les couches d’un sol détruit donc une grande partie des organismes vivants qui l’habitent. Ils doivent ensuite se régénérer au départ des survivants. Pour les potagers, ce désastre intervient souvent au printemps, au démarrage de la végétation, alors que celle-ci a besoin d’énormément d’élément nutritifs. Ameublir le sol sans en bouleverser les couches suppose donc l’utilisation d’outils adaptés.

Les bêches biologiques

– la grelinette

La première bêche biologique date de 1948 : en jardinant, André Grelin redresse un croc placé horizontalement et enfoncé dans le sol. Il constate alors que la terre s’émiette sans effort grâce au point d’appui constitué par l’arrondi des dents et au bras de levier du manche. Il crée alors un nouvel outil en redressant le manche de 90°, en le dédoublant et en ajoutant quelques dents. Le travail se fait alors debout en tirant et non plus en soulevant. Initialement conçue pour épargner le dos, la grelinette fait rapidement des adeptes parmi les amateurs de jardinage biologique car elle a également l’immense avantage d’ameublir la terre sans la retourner, et donc en respectant davantage la vie du sol.
Ses avantages sont :
– les manches en bois qui offrent un contact et une prise en main agréable,
– l’écartement entre les deux manches qui permet d’abaisser l’outil afin de travailler la terre sans pour autant devoir reculer,
– sa robustesse et sa légèreté,
– la possibilité de travailler le sol en restant toujours dans la position debout,
– les dents rondes et non tranchantes qui ne participent pas à la prolifération des adventices vivaces – liseron, chiendent… – par morcellement des racines.
Son seul inconvénient apparaît uniquement en terre lourde : la grelinette y peine ! Même en ne bêchant que de fines bandes de terre de sept à huit centimètres, elle manque alors de rigidité au niveau des manches et l’arrondi des dents a tendance à s’enfoncer dans la terre et à ne plus assurer un bon levier.

– la guérilu

L’adoption de la grelinette par les jardiniers biologiques fit des envieux et cet excellent outil fut bien vite copié. On trouva alors, sur le marché, de nombreux outils similaires : aérabêche, actibêche, bio-fourche… Tous ces outils reprennent l’idée originale de M. Grelin mais sans maintenir celle de l’écartement des manches. Résultat : chaque cycle demande un mouvement supplémentaire de recul du corps lorsqu’on abaisse l’outil pour émietter le sol.
La guérilu mérite cependant une place à part : réalisée en tubes d’acier galvanisé, elle propose des dents droites et c’est une lame métallique cintrée qui assure le levier lorsqu’on abaisse l’outil après l’avoir enfoncé.
Ses avantages sont :
– les mêmes que ceux offerts par la grelinette : écartement des manches, robustesse, dents arrondies, travail en position debout…
– une structure en tubes d’acier qui offre une rigidité que n’a pas la grelinette et qui permet de travailler en terrain plus lourd,
– un levier fait d’une lame cintrée qui facilite l’émiettement de la terre grâce à un pivotement plus aisé, caractéristique qui permet également un travail en sol plus lourd.
Le seul inconvénient de la guérilu réside dans le contact des mains avec le métal froid, lorsqu’on travail tôt ou tard dans la saison.

Grelinette et guérilu sont donc deux outils exceptionnels qui permettent un travail respectueux de la terre. Grâce à eux, les jardiniers qui souffrent du dos peuvent continuer sans problème le bêchage du potager. Ces outils permettent même un travail deux à trois fois plus rapide que la bêche ou à la bêche à dents. Il est possible, sur une bonne terre, de cultiver jusqu’à cinq à six ares sans envisager de motorisation, alors que la bêche ou la bêche à dents limitent la culture à deux à trois ares, avant qu’elle ne devienne une corvée…

– la griffe de jardin

Il s’agit d’un outil muni de trois dents hélicoïdales qui s’enfoncent dans la terre grâce à un mouvement de rotation. Il permet également de travailler la terre sans la retourner mais convient sans doute moins pour de grands jardins car la surface travaillée à chaque mouvement est beaucoup moins importante.
Ses avantages sont :
– la surface travaillée offre moins de résistance et permet donc son utilisation à une personne moins vigoureuse,
– sa conception permet d’ameublir profondément la terre entre les lignes de légumes, sans pour autant les déranger,
– il permet un bon travail d’ameublissement dans les parterres de vivaces ou d’arbustes sans trop blesser les racines, un travail est particulièrement bénéfique en été, avant un arrosage, afin de permettre à l’eau de pénétrer le sol et d’assurer ainsi des réserves d’eau en profondeur. L’inconvénient de cet outil est également de ne pas fonctionner efficacement en terre lourde.

Conclusion

Mélanger les couches du sol qui possèdent une faune spécifique détruit donc une grande partie de la vie qui l’habite et qui doit ensuite se régénérer au départ des survivants. Se borner à ameublir à l’aide d’outil adaptés permet de limiter le saccage. Mais, nous l’avons dit : les outils qui travaillent le sol sans le retourner ont une limite d’efficacité lorsque celui-ci est lourd et argileux. Toutefois, les pratiques culturales du jardinage et de l’agriculture biologique – apports de compost, de fumiers pailleux, pratique du « mulch »… – améliorent rapidement la structure d’un sol et il n’est donc pas possible de faire sans elles. Cinq à six années de soins attentifs suffisent souvent pour constater une évolution durablement positive…

Note :
(1) Le Goff, J., La civilisation de l’Occident médiéval, Paris : Arthaud, 1967.