Il y a six ans exactement – avec l’analyse intitulée L’air vicié de nos campagnes, en 2017 -, nous questionnions l’insurrection tranquille – et les espoirs ! – de deux vaillants militants anti-pesticides, Christian Baeke et Marie-Thérèse Gillet, sur la vaste commune rurale de Fernelmont. Six ans plus tard, ils espèrent toujours mais « immortalisés », cette fois, dans le cadre d’un film documentaire toujours visible sur Auvio

Par Dominique Parizel

 

Qu’on se saisisse enfin du problème. Qu’on invente ensemble une autre manière de faire. Ils ne demandent rien d’autre.

« Le constat était sans appel, il y a six ans déjà, mais les autruches de service mettent toujours la tête dans le sable, clame haut et fort Christian Baeke ! Les pouvoirs publics communaux nous ont blacklistés depuis longtemps car l’opinion que nous manifestons – parfois sans doute un peu trop bruyamment à leur goût ! – ne leur plaît guère et leur semble sans doute un peu trop dangereuse, électoralement parlant. Aucune chance donc que la commune fasse quoi que ce soit pour nous… »

 

Interpellations citoyennes

« Ce n’est pourtant que la stricte vérité, renchérit Christian, et il faut déplorer le fait que c’est aussi le cas dans la plupart des communes rurales qui connaissent les mêmes problèmes que nous. Il y a six ans déjà, nous proposions, dans trois rues très exposées de Fernelmont – soit cent quarante-quatre boîtes aux lettres -, un sondage comprenant quinze questions citoyennes. Nous garantissions une totale confidentialité, les réponses se faisant via une enveloppe timbrée adressée à un huissier. Nous avons obtenu 20% de réponses, ce qui est paraît-il exceptionnel pour ce genre d’action, et la grande majorité des gens allaient dans notre sens, ce qui démontre à quel point la question est largement sous-estimée par nos responsables publics qui ont véritablement la trouille d’affronter un vrai sondage mené sur l’ensemble de la population. Les pauvres gens concernés sont donc totalement laissés à l’abandon ! Et je ne parle même pas de toutes les nouvelles maisons qu’on laisse se construire, sans même le plus petit avertissement, au beau milieu des champs…

Depuis lors, nous avons officiellement adressé huit interpellations citoyennes au Conseil communal de Fernelmont. Nous avions notamment appris qu’en France, un maire avait été désavoué par son préfet, dans sa volonté d’interdire l’usage de pesticides à proximité des bâtiments de sa commune (1). Or d’autres maires, afin de ne plus se faire court-circuiter de cette manière-là, argumentèrent ensuite qu’en réalité les pesticides sont des déchets dont la population n’a à supporter ni la rémanence, ni les dérives aériennes, ni les résidus qui percolent dans la nappe phréatique. Tout cela tuant finalement la vie du sol… Les communes étant compétentes, dès l’instant où il est permis de considérer qu’il s’agit bien de déchets – et qu’est-ce que cela pourrait bien être d’autre, dès lors que cela ne sert plus à « protéger » la plante ? -, il est de leur devoir de protéger les citoyens contre leur dangerosité avérée… Ce point de vue très novateur n’a évidemment pas rencontré grand succès devant le Conseil communal de Fernelmont, inutile de le préciser. Nous passons pour des enquiquineurs mais l’idée nous semble évidemment, plus que jamais, à creuser… »

« Nous avons également pris l’exemple des feux, ajoute Marie-Thérèse Gillet… Même un feu supposé inoffensif et réalisé dans un contenant ne peut être allumé à moins de cent mètres du premier voisin. Et si le voisin appelle la police en cas d’infraction, l’amende est souvent immédiate. Pourquoi ne pas définir la même distance pour des pesticides dont la dangerosité est clairement avérée ? Chez nous, on en asperge carrément contre la haie des gens ! Une zone tampon est parfois respectée par rapport aux crèches ou aux écoles mais, dès que les enfants rentrent chez eux, ils semblent qu’on les suppose automatiquement immunisés, puisque plus rien ne les protège. C’est absurde. »

« Mieux encore, renchérit Christian : l’agriculteur concerné ne peut plus cultiver autour de la Maison de l’Enfance où les activités sont fréquentes. Mais il est dédommagé par la commune ! C’est donc, à la fois, un aveu implicite de dangerosité mais aussi l’application du principe du pollueur-payé ! Une invention locale. Et, comme par hasard, là on se trouve au bon niveau de pouvoir. La collectivité paie l’agriculteur qui pollue avec l’argent du contribuable. Ce qui fait cher la betterave et la patate. Et nous, on nous envoie bouler… »

 

Développer le concept des ZUT !

« En y ajoutant, si vous le désirez, une petite pointe de surréalisme à la Belge, poursuit Christian Baeke, nous appelons donc tous ceux qui vivent la même chose que nous à développer le concept de ZUT – Zone Urgente à Transformer -, forgé évidemment sur celui de ZAD – Zone À Défendre. Il ne s’agit plus seulement de protester, ni bien sûr d’insulter qui que soit, mais de rechercher collectivement les alternatives à l’impasse totale qui prévaut actuellement et qui devient carrément insupportable pour la population des zones rurales. Si la mise en place d’une ZUT vous tente, là où vous habitez, n’hésitez surtout pas à nous contacter. Nous sommes également en recherche d’agriculteurs bio qui accepteraient de témoigner, dans les débats que nous organisons lors de la présentation du film, de la réalité des alternatives crédibles qui sont aujourd’hui tout à fait praticables dans les différentes spéculations. Nous en avons marre d’entendre affirmer que les agriculteurs « ne savent pas faire autrement« . Cet argument est totalement faux et nous voulons être à même de le démonter dans la discussion. Merci donc de venir joindre votre voix à la nôtre si d’aventure notre film est projeté dans votre coin car il est primordial de convaincre tous ceux qui stagnent dans le doute et se laissent encore avoir par les mauvais arguments des défenseurs d’intérêts particuliers, au détriment de la qualité de vie des citoyens. Le statu quo qu’ils prônent encore est inacceptable ! »

« L’idée de la ZUT, la Zone Urgente à Transformer, a donc beaucoup plu au réalisateur namurois François de Saint-Georges qui en a fait le titre de son film, explique Marie-Thérèse Gillet. Ce film fut présenté dans le cadre du festival Alimenterre (3), en novembre dernier. Depuis lors, il a notamment été diffusé, par la RTBF, sur la Trois, et fut également montré à Bruxelles et dans de nombreuses communes qui sont confrontées aux mêmes problèmes que Fernelmont. François connaissait mon fils et est tombé, par hasard, sur un article de presse qui parlait de moi… Il avait lui-même déjà malencontreusement avalé un produit dangereux qui l’a cloué au lit trois jours durant ! Mais ç’aurait pu être bien pire. Il en parle même dans son film… »

« Nous n’avons évidemment pas du tout influencé François dans ses prises de décision, tient à ajouter Christian Baeke : il a décidé de tout lui-même, en parfaite collaboration avec ses producteurs, c’est-à-dire la RTBF et la société Triangle7 qui a également assumé le montage du film. Toutes les personnes qui témoignent ont été choisies par eux… Mais le terrain ne change guère : le contexte d’un précédent reportage de la RTBF (2) avait clairement mis en évidence le fait que les gens râlent beaucoup de se faire polluer. Mais dès qu’apparaît une caméra, c’est évidemment « courage, fuyons ». Nous avons déjà largement expliqué pour quelles raisons… Notre gros problème est, bien sûr, de toucher les sensibilités bien au-delà du public déjà acquis à la cause. Comment faire pour s’adresser efficacement à la grande masse des gens qui sont concernés sans le savoir ? Nous ne sommes, à Fernelmont, qu’un tout petit groupe de citoyens convaincus de l’extrême gravité du problème… »

 

Vingt-cinq mille lobbyistes contre le simple citoyen !

« C’est Nina Holland – elle travaille pour CEO (Corporate Europe Observatoryhttps://corporateeurope.org/fr/articles), à Bruxelles, et apparaît dans le film – qui avance ce chiffre particulièrement interpellant, explique Marie-Thérèse Gillet. Il s’agit du nombre hallucinant de gens qui cherchent à influencer la décision publique européenne au profit exclusif d’intérêts privés. Autant de gens qui travaillent pour qui vous voulez – pourvu qu’ils soient grassement payés -, sauf pour le simple citoyen ! Une dame a, un jour, cherché à nous convaincre, dans le cadre d’un de nos débats, que nous étions nous aussi des lobbyistes et que nous devions absolument être mis sur un pied d’égalité. C’est évidemment une chose que nous ne pouvons plus entendre. Si le citoyen doit aujourd’hui se mobiliser, c’est aussi parce que les autorités censées le protéger ne font pas équitablement leur travail dans ce combat, dramatiquement inégal, de David contre Goliath. Le plus souvent, elles se rangent même carrément du mauvais côté…

Une confidence pour terminer : nous aurions aimé que le film soit un réquisitoire contre tous les pesticides. François n’a pas choisi cette option-là. Nous devons maintenant nous réjouir du fait que le film soit très bien accueilli lors de chacune de ses projections. Nous devons donc admettre que François a certainement eu raison. Ce qui n’enlève d’ailleurs rien à la nécessité de réaliser, tôt ou tard, un réquisitoire impitoyable contre les pesticides… »

 

ZUT. Zone Urgente à Transformer – Une histoire de contamination par les pesticides. Le film est disponible gratuitement sur la plateforme Auvio :

https://auvio.rtbf.be/live/zut-zone-urgente-a-transformer-une-histoire-de-contamination-par-les-pesticides-425015 – Durée : 51 minutes

Toutes les alternatives aux pesticides, proposées par Nature & Progrès, sont à découvrir – toutes les brochures sont téléchargeables gratuitement ! – sur : https://www.natpro.be/wallonie-sans-pesticides/

 

Notes :

(1) Ce « Devoir d’enquête« , de Malika Attar et Jean-Michel Dehon, intitulé Toxique dans les prés, fut diffusé par la RTBF, le 19 octobre 2016.

(2) Daniel Cueff, maire de Langouët en Ille-et-Vilaine, prit, en effet, un arrêté visant à interdire l’usage de pesticides à moins de cent cinquante mètre – cent mètres dans certains cas – de tout bâtiment à usage privé ou professionnel de sa commune. La Cour d’appel administrative de Nantes annula définitivement cet arrêté, le 18 mai 2019.

(3) Signalons ici que la nouvelle édition du festival Alimenterre aura lieu, en Wallonie et à Bruxelles, du 10 au 15 octobre 2023. Découvrez-en la programmation sur : https://festivalalimenterre.be/