La Commission européenne a rendu publique, le 5 juillet 2023, une proposition très controversée de déréglementation des nouveaux OGM, désormais appelés « nouvelles techniques génomiques » ou NGT. Cette nouvelle législation augmentera les risques pour l’environnement et la santé des gens, et portera atteinte aux droits des agriculteurs et des consommateurs de savoir et de choisir.
Par Catherine Wattiez
L’attitude de la Commission européenne à l’égard des nouveaux OGM a déjà fait couler beaucoup d’encre et de sueur chez Nature & Progrès. Pas assez, manifestement, dans le reste de la société et sous la plume des citoyens qui entendent rester maîtres de leur alimentation, fut-elle bio. Dès avant la crise sanitaire, nous vous faisions part de nos craintes, dans le cadre d’une campagne qui s’adressait à tous nos concitoyens…
Un camouflet pour le consommateur européen
Rappelons ici que l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), de juillet 2018, déclare solennellement que « les organismes obtenus par mutagenèse sont des OGM et sont en principe soumis aux obligations de la directive OGM« . De plus, ils seraient, selon la CJUE, être encore plus risqués que les OGM de première génération ! Pareille décision, bien sûr, ne satisfait pas les armées de lobbyistes qui hantent les couloirs de la Commission européenne. Ceux qui représentent les intérêts des multinationales commercialisant à la fois pesticides, OGM et semences, sous brevets. Les lobbyistes, depuis cet arrêt, ont donc fortement intensifié leur action afin d’obtenir l’abandon pur et simple des anciennes règles de l’Union Européenne relatives aux OGM de première génération, règles qui, rappelons-le, furent acquises de haute lutte, il y a plus de vingt ans ! Ceci afin de mettre en avant les nouvelles techniques génomiques, dont les produits sont rebaptisés NGT, pour faire oublier qu’ils restent avant tout des OGM. Retenez bien ce merveilleux acronyme.
Le 16 mars dernier, différents ministres européens de l’environnement ont envoyé un message clair à la Commission européenne concernant ces nouvelles techniques génétiques. Ils demandaient l’application stricte du principe de précaution et le recours à l’évaluation des risques pour les NGT selon les critères stricts de la Directive actuelle – 2001/18/CE. Plus de trois cent quarante organisations, dont Nature & Progrès Belgique, Canopea et Velt, ont alors adressé, dans le courant du mois de mai, une lettre commune au vice-président de la Commission en charge du Pacte Vert, le Maastrichtois Frans Timmermans, pour demander que les règles de l’Union Européenne relatives aux OGM soient strictement appliquées à tous les OGM et que toute velléité de déréglementation au sujet des nouveaux OGM soit abandonnée. Précisons aussi que plus de quatre cent trente mille citoyens européens ont signé une pétition allant dans ce sens – et que nous vous proposions il y a un an exactement. Or la nouvelle proposition de la Commission européenne s’en moque ostensiblement, sacrifie les droits des consommateurs et des citoyens et risque de mettre gravement en danger la nature et la santé, s’il en était encore besoin… En effet, la nouvelle proposition de déréglementation présentée par la Commission européenne, fait fi du droit de savoir et de choisir des consommateurs, se pliant complètement aux promesses et aux dires du lobby de la biotechnologique.
Ce qu’impliquerait cette proposition imbuvable
Attention ! L’édifiant florilège que nous sommes ici contraints d’énoncer fait très mal. Asseyez-vous d’abord :
– aucune évaluation des risques, des effets sur la santé et sur l’environnement de la plupart de nouveaux OGM – NGT de catégorie 1 – n’est prévue ! La Commission les déclare, à tort, ne pas être plus risqués que les plantes issues de la sélection conventionnelle qui ne sont pas sujettes aux conditions de mise sur le marché de la Directive 2001/18/CE. Les critères pour inscrire les NGT dans la catégorie 1 n’ont aucune base scientifique. Les nouveaux OGM restants – ceux de catégorie 2 – subiront une analyse de risques simplifiée par rapport à celle qui est exigée dans la Directive 2001/18/CE. La Commission ignore l’importance des erreurs génétiques et des effets non-intentionnels qui en découlent.
– les méthodes de détection analytique ne sont plus rendues obligatoires aux développeurs des plantes NGT. On ne pourra pas d’avantage contrôler leur dispersion dans l’environnement.
– aucun étiquetage n’est davantage prévu en direction des consommateurs pour ces NGT de catégorie 1, aucune traçabilité non plus ! Les consommateurs n’auront aucun moyen de savoir s’ils consomment, ou non, des nouveaux OGM de cette catégorie. Ce seront des OGM cachés ! Pour les nouveaux OGM de la catégorie 2, traçabilité et étiquetage seraient maintenus y compris pour les plantes tolérant les herbicides, de triste mémoire.
– les nouveaux OGM resteront certes formellement interdits dans l’agriculture biologique mais aucune mesure – traçabilité et étiquetage – n’est prévue afin de permettre aux agriculteurs et aux cultivateurs biologiques – et même aux agriculteurs conventionnels qui ont renoncé aux OGM – de maintenir leurs champs exempts d’OGM. De plus, ils devront assumer eux-mêmes le coût de la certification non-OGM de leurs productions.
– Les Etats membres ne pourront plus interdire la culture des nouveaux OGM de catégorie 2 sur leur territoire ! Ils seront chargés d’adopter des mesures de coexistence afin d’éviter la contamination des cultures sans OGM. Mais cela s’avérera évidemment impossible sans traçabilité ni étiquetage pour la plupart des NGT.
– les entreprises qui « dominent » déjà en matière de dépôts de brevets concernant ces technologies – les grosses multinationales regroupées sous les bannières Corteva, Bayer/Monsanto et Chemchina… – se verront octroyer gracieusement un droit d’entrée sur le marché européen pour leurs OGM non étiquetés et non traçables – mais brevetés ! -, ce qui renforcera encore leur contrôle sur les agriculteurs et sur l’ensemble de la production alimentaire en Europe !
Pareille proposition de déréglementation des nouveaux OGM est un cadeau énorme – sans la moindre possibilité de retour ! – de la Commission européenne à des entreprises qui monopolisent, à la fois, le marché mondial des pesticides, celui des OGM et celui des semences. Non, les nouveaux OGM ne conduiront pas à des pratiques agricoles plus durables. Bien au contraire ! L’hypothèse de la Commission selon laquelle les nouveaux OGM conduiraient à une plus grande durabilité – par exemple, des résistances à la sécheresse, à certaines maladies, à la salinité croissante des sols, garantissant ainsi une augmentation du rendement… – se fonde uniquement sur les promesses de l’industrie, plutôt que sur des preuves réelles. La durabilité des cultures de NGT ne peut être le résultat que d’un système agricole global, comme celui de l’agriculture biologique. Un trait – ou caractère – isolé ne peut, en aucun cas, conférer, dans le contexte d’une agriculture intensive, une quelconque forme de durabilité.
Au niveau mondial comme en Europe, rares sont les nouveaux OGM qui sont déjà sortis du stade expérimental pour arriver à un stade pré-commercial. Il n’existe donc que très peu de recul sur la réalité des nouveaux OGM, même aux Etats-Unis ou au Canada qui les ont déjà déréglementés. Les nombreuses allégations opportunistes de durabilité avancées par les lobbies industriels des nouveaux OGM ne sont donc que de vagues promesses dépourvues de fondements scientifiques. Ainsi en va-t-il aussi des promesses de réduction de l’utilisation des pesticides. Mais de cela, nous avions déjà une très longue habitude… La Commission prétend donc – à tort ! – que cette déréglementation des nouveaux OGM permettra d’atteindre les objectifs du Green Deal de l’Union. C’est totalement absurde ! La Commission achète aujourd’hui un chat dans un sac !
Une opposition qui sera ferme et déterminée !
Nature & Progrès Belgique et l’ensemble de ses partenaires en Belgique, ainsi qu’une coalition de centaines d’organisations environnementales et agricoles en Europe, s’opposent fermement à cette proposition. Les nouvelles semences génétiquement modifiées seront brevetées, ce qui érodera encore un peu plus les droits des agriculteurs et conduira à une monopolisation plus grande encore, du marché des semences, déjà scandaleusement concentré.
À moins que les États membres et le Parlement européen ne parviennent à rectifier le tir, une telle proposition de législation bafouera, avec une ampleur totalement inédite, les intérêts des agriculteurs, de la société civile et de la biodiversité. Pareille déréglementation fut impulsée, nous l’avons dit, par les multinationales de la biotechnologie, avec pour larbins un certain nombre de chercheurs d’instituts tels que le VIB (Vlaamse Instituut voor Biotechnologie) et l’université de Wageningen, qui prétendent être les dépositaires de l’ »autorité de la science », de la « vraie science ». Il ne s’agit pas de science mais seulement d’une ingénierie de technocrates qui avance sournoisement ses pions, en entretenant des liens étroits avec l’industrie mondialisée.
Il faut dénoncer ces manigances qui n’apportent strictement rien aux Européens. Qui risquent, au contraire de leur coûter très cher ! La Commission européenne fut avertie, à maintes reprises, des conséquences négatives d’une telle proposition, par le monde agricole, par le secteur de l’alimentation biologique, par les producteurs, transformateurs et distributeurs de plusieurs pays européens promouvant le « non-OGM » pour les plantes et les animaux « nourris sans OGM » et regroupés sous la bannière ENGA (European Non-GMO Industry Association), ainsi que par un nombre croissant d’organisations de la société civile. La DG Santé de la Commission a préféré ignorer systématiquement la voix de ces groupes, au point de violer ses propres règles en matière de processus démocratique, notamment par des consultations du public biaisées. Ces dernières font d’ailleurs l’objet d’une enquête de l’ombudsman de la Commission, ceci sur plainte de nos collègues des Amis de la Terre (Friends of the Earth Europe) et de CEO (Corporate Europe Observatory) ! De nombreuses publications scientifiques récentes émanant de généticiens moléculaires indépendants, n’ont tout simplement pas été considérées par l’EFSA (European Food Security Agency), sorte de bureau d’études de la Commission. Un nombre croissant d’experts contestent les critères choisis par la Commission pour l’évaluation des risques des nouveaux OGM. En particulier, les critères pour la catégorie 1 des nouveaux OGM qui, selon la proposition de la Commission, doivent être dispensés de toute analyse de risques, sont fortement critiqués par ces experts.
Une seule conclusion s’impose aujourd’hui : les autorités nationales chargées de la protection de la santé, de l’environnement et de la sécurité des consommateurs, ainsi que les membres du Parlement européen, doivent catégoriquement rejeter cette proposition. C’est une insulte insupportable qui témoigne d’un mépris total du consommateur européen !