Agriculteur, agronome et député européen français, Benoît Biteau est donc venu partager, avec nous, son impressionnante force de conviction. Son champ de bataille : la Politique Agricole Commune (PAC), une ruine repeinte en vert par la Commission européenne qui ne profite ni à notre environnement, ni aux agriculteurs qui en ont le plus besoin. Les prochaines élections européennes seront donc capitales pour les orientations à lui donner, après 2027…
Texte et photos de Dominique Parizel
En attendant, à entendre Benoît Biteau, l’échec est total ! « L’Union européenne ne parvient pas à mettre en place des réformes à la hauteur des défis auxquels nous devons faire face, déclare-t-il d’emblée. Les principales mesures de la PAC sont sans impact sur le dérèglement climatique ou sur la chute vertigineuse de la biodiversité, sauvage ou cultivée. L’accent n’a pas été assez mis sur le développement de l’agriculture biologique et de l’agroforesterie qui constituent pourtant la seule réponse adéquate. Au niveau social, rien ne garantit un revenu décent aux paysannes et aux paysans, rien ne permet – et c’est plus inquiétant encore – de maintenir les fermes en activité. Et ce ne sont pas les sommes mobilisées qui facilitent l’arrivée des jeunes dans un secteur qui a besoin d’imagination et de créativité pour remettre en cause les vieilles habitudes. Mais comment faire pour accentuer la dégressivité des aides afin d’éviter leur « siphonnement » par les conglomérats industriels qui souvent s’affranchissent, par ailleurs, de tout respect de l’état de droit, du droit du travail ou du droit européen en matière d’environnement ? »
Une PAC dramatiquement insuffisante !
Très insuffisante d’un point de vue climatique et environnemental mais surtout très insuffisante pour rencontrer les besoins de la très grande majorité des agriculteurs ! Benoît Biteau aime rappeler qu’aucune autre profession n’est autant subventionnée – car la PAC, c’est évidemment de l’argent public ! – que l’agriculture qui engloutit plus du tiers du budget total de l’Europe ! La PAC est organisée en deux piliers : le premier – environ, pour la France, les trois quarts du budget – octroie des revenus directs aux agriculteurs, en fonction de la surface au sol et du nombre de têtes de bétail. Le second – pour la France, un quart du budget -, dispensé sous forme de programmes opérationnels, cherche à maintenir le dynamisme des territoires ruraux ; c’est notamment par lui que passe le soutien à l’agriculture biologique. En Wallonie, nous sommes plutôt sur une proportion de 60-40 % entre les deux piliers…
« Mais la PAC n’est a priori qu’une aide, rappelle Benoît Biteau, car, fort heureusement, les agriculteurs ont d’autres revenus. Cette aide est destinée à pallier les inégalités et à inciter les agriculteurs à adopter des pratiques agricoles d’intérêt général. Donc, si nous voulons vraiment défendre le revenu des agriculteurs, mieux vaut concentrer les aides sur la régulation des marchés et le soutien à l’emploi agricole – avec un mécanisme axé sur l’unité de main-d’œuvre -, plutôt que d’offrir des rentes à l’hectare, comme c’est principalement le cas avec le premier pilier. Ce mécanisme d’aide à l’hectare fait que 80% de l’enveloppe sont consommés par 20% des agriculteurs ! Ce n’est plus tolérable car cela explique pourquoi les petits agriculteurs éprouvent de telles difficultés. De nombreux rapports de la Cour des Comptes européenne sont suffisamment éloquents en ce qui concerne l’inefficacité de la PAC (1), notamment en matière de gestion de l’eau. » Précisons que, chez nous, les fermes de ces « petits producteurs » – ceux notamment qui sont sous mention Nature & Progrès – représentent des surfaces qui oscillent entre quarante et soixante hectares…
De plus, bien avant que la question du climat n’arrive au centre des débats, le Parlement européen avait également remis en cause certains accords de l’Organisation Mondiale du Commerce. Il avait voulu faire adopter des règles strictes pour les importations de produits agricoles et alimentaires afin que leur production respecte des normes aussi strictes sur l’environnement, l’emploi et les pesticides que celles qui sont en vigueur en Europe.
« Cette exigence fut balayée, regrette Benoît Biteau, nous éloignant toujours plus d’une possible souveraineté alimentaire et nous laissant totalement dépendants d’importations de protéines, en provenance d’Amérique du Sud. Avec cette PAC, l’Europe continue donc de détruire la forêt amazonienne ! Avec cette PAC, contrairement à ce qu’indique sa dénomination, l’Europe n’a aucune vision politique commune du futur de son agriculture. Des Plans Stratégiques Nationaux (PSN) sont en préparation dans chaque État-membre où le seul souci est d’alléger au maximum les mesures concernant le climat ou l’environnement. Les principaux responsables de cet échec sont les chefs d’État et de gouvernements qui se focalisent sur la préservation des acquis et se montrent incapables de mettre leur politique agricole commune en conformité avec les Accords de Paris sur le climat, notamment. Cette PAC est donc totalement insuffisante d’un point de vue climatique : le système des « éco-régimes » – un verdissement plutôt inepte du premier pilier la PAC – qui conditionne, à des pratiques vertueuses pour l’environnement, un quart des aides versées aux agriculteurs est du pur greenwashing car ces aides sont distribuées sans la moindre condition sur l’usage des pesticides et des engrais de synthèse. Ce sont, en effet, les États qui, dans leurs déclinaisons nationales de la PAC, déterminent les conditions permettant d’obtenir ces aides. Et ces conditions sont toujours beaucoup trop faibles, ou beaucoup trop floues… 96% des agriculteurs français valident aujourd’hui les « éco-régimes » du PSN français, notamment via la certification HVE (Haute Valeur Environnementale) (2), sans changer quoi que ce soit à leurs pratiques ! C’est dire à quel point cette HVE est absolument sans intérêt. Si ce n’est pour permettre, à tous ceux qui ne veulent absolument rien changer, de siphonner l’enveloppe destinée à l’agriculture biologique que la France délaisse aujourd’hui au profit de pratiques de greenwashing absolument lamentables. À mes yeux, la conditionnalité doit débuter dès le premier euro de subvention publique, et pas seulement sur les 20 ou 30% qui restent dans ces « éco-régimes »… Les élus doivent être les garants de politiques publiques qui servent vraiment l’intérêt commun. Et les choix d’entreprises qui ne servent pas cet intérêt commun – pesticides et engrais de synthèse, irrigation maximale, concentration d’animaux… – ne doivent plus recevoir le moindre euro d’argent public ! »
Les fondamentaux de l’agriculture
« Comment je suis devenu député européen, s’interroge Benoît Biteau ? Je suis d’abord devenu vice-président de la Région Poitou-Charentes, en 2010, en démontrant que des politiques publiques courageuses et audacieuses pouvaient significativement accompagner une modification profonde des pratiques agricoles. J’estime qu’il faut dénoncer les politiques de greenwashing dont la plus importante est, sans nul doute, la Politique Agricole Commune qui doit absolument faire l’objet, à présent, d’un profond débat de société. Ratifiant la Charte de Florence, sous la présidence de Ségolène Royal, la Région Poitou-Charentes est devenue OGM Free. Nous faisions ainsi apparaître l’obligation de ne pas utiliser d’OGM, pour tous les agriculteurs qui réclamaient des fonds européens ou des fonds régionaux. Un éleveur, par exemple, qui désirait rénover son bâtiment d’élevage, ne pouvait plus utiliser de soja venu d’outre-Atlantique pour compenser sa ration de maïs ensilage, faible en protéines. Se posa donc la question de l’autonomie protéinique de notre région et du développement d’une filière soja propre. Et c’est comme cela que les agriculteurs purent se rendre compte que la luzerne et le trèfle, cela apportait aussi beaucoup de protéines… Chose plus incroyable encore : ils se sont finalement aperçus que nourrir des herbivores avec de l’herbe, cela marchait vachement bien ! On renouait ainsi avec les fondamentaux de l’agriculture, en s’apercevant que remettre les animaux en pâturage était une démarche très intéressante. On avait eu trop tendance à l’oublier… »
Tel un professeur d’anglais, Benoît Biteau – après avoir démonté le greenwashing de la PAC – s’employa ensuite longuement, en répondant aux nombreuses questions de l’assistance, à faire un sort à cette supercherie qu’est l’agribashing – littéralement le « dénigrement agricole » (3) -, une pure invention de la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) qui déplorait que « les paysans soient une cible trop facile (4). »
« J’ai toujours eu beaucoup de mal avec le verbe « exploiter », en parlant de terres et d’animaux, s’insurge alors le député européen. Moi, je me revendique paysan et pas exploitant. Le concept d’agribashing fut imaginé par un certain Gil Rivière-Wekstein qui gère une société, bien connue en France, nommée Amos Prospective (5). La FNSEA, fort opportunément, a beaucoup utilisé ce terme, après le succès d’un film intitulé Au nom de la terre, l’autobiographie d’Edouard Bergeon dont le père, agriculteur, s’est suicidé. Le film, sorti à l’automne 2019, a beaucoup ému la population française et la FNSEA n’a pas hésité à instrumentaliser cette émotion afin de diffuser l’idée d’une animosité volontairement dirigée contre le monde agricole. Mais les gens ne se pas remontés contre les agriculteurs, ils sont juste remontés contre des pratiques qu’ils jugent, de plus en plus, inappropriées ! »
Autre sujet de préoccupation du public : l’éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’Union Européenne a-t-elle un sens, avec la PAC actuelle ?
« Cette question est extrêmement importante, concède Benoît Biteau. L’Ukraine est un révélateur : celui de la faillite d’idées qui ont fait leur chemin. Celle d’entrer, par exemple, dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) car la souveraineté alimentaire dépendrait avant tout, nous disait-on, d’échanges internationaux. Or on se rend compte aujourd’hui à quel point un tel système est vulnérable. La guerre en Ukraine montre que la spécialisation agricole de zones entières de la planète ne résiste pas à un incident géopolitique ou climatique majeur. Une pure logique arithmétique de sécurité alimentaire – des quantités divisées par le nombre d’habitants -, sans suffisamment se soucier de la disponibilité des denrées pour les populations, est un pur non-sens. C’est toute la différence qui existe, précisément, entre sécurité et souveraineté alimentaires. Les productions céréalières ukrainiennes transitent aujourd’hui par les pays européens limitrophes – Pologne, Hongrie, Roumanie – dont les économies agricoles sont les premières victimes, ce qui a tendance à effriter la solidarité avec Kiev… Mais la réticence la plus forte est effectivement liée à la PAC car si elle continue dans sa logique actuelle – distribuer les aides par unité de surface -, il devient évident que l’étendue immense des terres agricoles ukrainiennes la feront littéralement exploser ! De plus, un quart environ de ces terres sont aujourd’hui détenues par des consortiums américains. L’argent du contribuable européen s’en ira-t-il alimenter des fonds de pension, aux Etats-Unis ? Ce serait totalement absurde… »
L’agriculture, une question de tout premier plan
Ses combats, évidemment, sont aussi les nôtres et nous sommes totalement convaincus de leur justesse. La question qui reste sans réponse est plutôt la forme donnée aux messages énoncés par Benoît Biteau et le public auquel ils s’adressent en priorité. Le clivage est énorme et paraît sans espoir dans le monde agricole. Mais l’agriculteur n’est pas l’électeur. Car l’électeur, c’est avant tout le mangeur !
Ce sont bien les mangeurs – en pleine détresse alimentaire – que les Verts européens doivent à présent s’efforcer de convaincre et, en premier lieu, les publics populaires, souvent promis à l’extrême-droite et au hard discount, qui ont totalement perdu les repères traditionnels que leur offrait une grande intimité avec la nature. C’est bien eux – et dans l’urgence ! – que doit atteindre et contaminer le rêve d’un homme tel que Benoît Biteau… Peut-être appartient-il à chacun d’entre nous de lui donner un petit coup de pouce ?
Notes :
(1) Taper « PAC » dans : www.eca.europa.eu/fr
(2) Taper « Haute Valeur Environnementale » dans : https://agriculture.gouv.fr/
(3) Rappelons que, début 2020, de nombreux acteurs du monde agricole français exigèrent du ministre français de l’Intérieur, Christophe Castaner, une loi visant à réprimer l’agribashing, les intrusions et le vandalisme dans les exploitations agricoles.
(5) Lire : www.sillonbelge.be/5564/article/2020-02-20/agribashing-ils-se-nourrissent-de-nos-peurs