Cet article est paru dans la revue Valériane n°169

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Par Vincent Gobbe,

fondateur et président d’honneur

de Nature & Progrès

Il est aujourd’hui d’usage courant d’associer la présence de vers de terre avec une terre de bonne qualité. Par leur activité de fouissage, de brassage et de recyclage de la matière organique, cette petite faune augmente la fertilité des sols. Mais qui sont-ils ? Faisons connaissance.

 

Le lombric commun (Lumbricus terrestris), un ver anécique

 

Au gré des animations sur le lombricompostage que je mène depuis plus de vingt ans, j’ai pu constater qu’en dehors d’un cercle très restreint – quoique de plus en plus large -, peu de gens connaissaient vraiment le ver de terre. Parlons même plutôt « des » vers de terre, car à côté du bien connu lombric commun (Lumbricus terrestris), il existe une multitude d’autres espèces, parmi lesquelles se trouve le ver du fumier (Eisenia faetida), très répandu dans les jardins et surtout dans les composts. C’est ce dernier que l’on utilise pour pratiquer le vermicompostage.

 

Une vie de recycleur

Déjà à l’Antiquité, on a reconnu l’importance économique du ver de terre. En Egypte, un décret de Cléopâtre lui conféra une reconnaissance légale pour le protéger, interdisant à quiconque de nuire à cet animal sacré, gardien de la fertilité du Nil. Son rôle dans l’économie est immense car le ver intervient dans beaucoup de situations : environnement, agriculture, recyclage des ordures et déchets, alimentation du bétail, des poissons d’aquarium, de la volaille. C’est en 1789 que, pour la première fois, un naturaliste anglais, Gilbert White, mentionne spécifiquement l’utilité des vers pour la végétation.

En 1881, Charles Darwin (1809-1882), soulignait, dans son essai « Formation de la terre végétale due à l’action des vers de terre par l’observation de leurs habitudes », l’importance des vers de terre dans la fertilité des sols, à ses yeux, plus cruciale que celle du climat, de la nature de la roche mère ou de la végétation. Ce n’est que bien plus tard que le secteur agricole dit conventionnel comprendra le rôle important de ces auxiliaires pour les cultures. Les partisans de l’agriculture biologique, eux, l’ont toujours su !

Parmi les pères de l’agriculture biologique, André Bire, l’un des fondateurs de Nature & Progrès France, publia en 1957, un opuscule très dense intitulé « Un grand problème humain : L’HUMUS ». Il y démontre le lien étroit entre la vie du sol et la production végétale. Il appelle les vers de terre les « cultivateurs bénévoles » et indique que « le poids des vers de terre d’un sol en bon état est égal à celui de deux bœufs au travail ».

 

Rendre le sol fertile

Ce qui fait la particularité du ver, c’est son alimentation, composée surtout de substances végétales mortes. Il assimile les hydrates de carbone et les protéines qui y sont contenues. Un point commun à tous les vers est le fait que, comme ils n’ont pas de dents, les matières qu’ils ingèrent doivent être très aqueuses et déjà en partie prédigérées par les microorganismes. C’est ainsi que dans le sol, ces vers ne s’attaquent pas aux racines des plantes. Ils en sont incapables ! Par contre, les muscles du pharynx étant assez puissants, ils sont capables d’entrainer des brindilles ou des fétus de paille dans leurs galeries où bactéries et champignons microscopiques sont présents et assurent une prédigestion de ces matières.

Les vers de terre modifient le sol via des processus physiques, chimiques et biologiques, ce pourquoi on les dit parfois ingénieurs du sol, tout comme les termites, les fourmis et certaines bactéries.

Lorsqu’il pénètre dans le sol, le ver prélève des particules minérales, des déchets animaux et végétaux, de l’humus, mais aussi des bactéries, des algues et des champignons par des mouvements d’aspiration. Les particules ingérées arrivent par le pharynx et l’œsophage dans le jabot où elles sont mélangées avec de la calcite provenant des glandes calcifères. La nourriture arrive alors dans le gésier qui contient de petits cailloux. Ici, les substances organiques se mélangent avec les particules minérales pour former le fameux « complexe argilo-humique » qui conduit à des agrégats stables. Des expériences ont démontré qu’il y avait deux fois plus d’agrégats stables dans les sols pourvus de vers.

Les substances nutritives fixées dans le complexe argilo-humique sont disponibles pour les plantes mais non lessivables, même par fortes pluies. Avec leurs galeries, les vers augmentent la capacité des sols à emmagasiner l’eau et à la restituer lentement. Un sol ainsi perforé réagit comme une éponge. Un mètre cube de terre, c’est 500 mètres de galeries qui permettent l’écoulement de 170 millimètres d’eau à l’heure.

 

Une multitude d’espèces à l’écologie diversifiée

Au XVIIIe siècle, on distinguait en France une seule espèce de lombric. Aujourd’hui, on en connait plus de 150 dans nos régions ! La recherche sur l’écologie lombricienne reste très récente contrairement à beaucoup d’autres organismes et il reste encore beaucoup de questions en suspens sur les rôles et les facteurs de répartition de ces invertébrés.

Dans les années septante, Marcel Bouché classa les lombriciens en trois catégories écologiques : épigés, endogés et anéciques. Il se basa sur des critères morphologiques (taille, couleur), physiologiques (reproduction, résistance à la sécheresse) et écologiques (répartition dans le profil de sol, alimentation). Ces catégories écologiques, restées d’actualité, sont considérées comme les trois pôles d’un continuum, certaines espèces se situant entre ces catégories écologiques (comme des épi-anéciques ou des endo-anéciques par exemple).

  • Les épigés sont de petite taille (moins de sept centimètres) et fortement pigmentés (souvent de couleur rouge). Ils vivent dans les amas de matière organique qu’ils consomment (litières, humus, compost, fumier). On y retrouve classiquement notre ver du fumier, Eisenia faetida.
  • Les endogés sont de taille variable (d’un à vingt centimètres) et ne sont pas ou peu pigmentés. Ils ne remontent pas souvent à la surface, mais vivent à proximité et jusqu’à vingt à trente centimètres de profondeur, où ils se nourrissent de matière organique plus ou moins mélangée à la matière minérale.
  • Les anéciques sont de grande taille, de dix à quarante centimètres pour les espèces les plus communes, et ont un gradient de pigmentation avec une tête foncée (rougeâtre ou noirâtre) et une queue plus claire. Ils creusent des galeries verticales à subverticales. C’est à cette catégorie qu’appartient Lumbricus terrestris, le lombric commun.

 

Le ver du fumier (Eisenia faetida), ver épigé abondant dans les composts

 

L’importance de les protéger

Garants de la fertilité du sol, base de la chaine alimentaire, les vers de terre remplissent de nombreux rôles écosystémiques. En Irlande, des chercheurs ont calculé qu’ils rapportent 700 millions d’euros chaque année ! L’on ne comprend pas, dès lors, que les pratiques agricoles ne soient pas davantage adaptées pour préserver ces auxiliaires. En quelques décennies, les populations de vers de terre se sont effondrées. On est passés de 250 vers par mètre cube de sol à moins de 50, et même 15 dans les plaines de culture intensive de Beauce.

Les ennemis du ver de terre sont le labour, mais aussi et surtout les produits épandus en agriculture, tels que les pesticides (notamment le glyphosate) et les engrais (les phosphates, souvent contaminés par du cadmium). Evitons l’introduction des vers plats invasifs (plathelminthes), prédateurs de vers (lire à ce sujet Valériane n°168). Même en culture biologique, chez les amateurs et chez les professionnels, il convient d’éviter l’utilisation de cuivre, notamment de la bouillie bordelaise. Nombreux sont les jardiniers et les producteurs qui l’ont déjà compris, et mettent en œuvre des techniques alternatives pour préserver leurs cultures des maladies fongiques. N’hésitez pas à prendre connaissance de ces solutions dans les brochures de notre projet Vers une Wallonie sans pesticides et à les diffuser autour de vous !

 

Faire revenir les vers de terre

Jean Dupierry a rejoint le jardin didactique de Nature & Progrès il y a dix ans. « La première chose que j’ai faite, c’est un sondage dans toute les parcelles. Il n’y avait quasiment pas de vers ! » Il s’est alors donné pour objectif de faire revenir ces auxiliaires au jardin en favorisant la biomasse morte et vivante. Le paillage de foin les attire particulièrement. « Chacun au jardin a remarqué qu’il fallait des couvertures de sol, et des végétaux en toute saison ». Bonne nouvelle : les résultats sont au rendez-vous !

Jean a encouragé l’utilisation de paillages pour faire revenir les vers de terre.

 

 

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