Cet article est paru dans la revue Valériane n°170
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Par Sylvie La Spina,
rédactrice en chef
Cette année, nous avons décidé de mener une grande enquête sur les possibilités de transition de l’alimentation collective vers des produits bio et locaux. Les écoles, maisons de repos, hôpitaux et autres collectivités sont des acteurs de première ligne de l’alimentation solidaire et durable, pour notre santé et celle de la Terre. Dans ce dossier, nous étudions les leviers qui permettraient de faciliter cette transition.
Ne serait-il pas temps de mettre en place une politique alimentaire ambitieuse et transversale, en imposant et en finançant une alimentation bio locale dans les collectivités ? Une telle mesure, si elle peut paraître onéreuse, cumulerait une multitude de retombées positives en matière de santé publique et environnementale, en créant de l’emploi local, tout en favorisant la solidarité.
Partie 2 : Augmenter la part du bio local dans les collectivités
Une adaptation des portions permet d’éviter le gaspillage alimentaire © AdobeStock
Ces dernières années, le frein financier revient au-devant de la scène. Le changement des pratiques en cuisine est difficile, tout comme les contraintes liées aux marchés publics. Que peut-on mettre en œuvre pour lever ces obstacles ?
Compenser la hausse des prix
Nous l’avions vu dans Valériane n°167, les ingrédients ne représentent que le quart du prix d’un repas, soit, en moyenne, deux euros. Passer à une alimentation bio, locale et en circuit court, aurait donc un impact relativement limité sur le prix des repas : cinquante centimes d’euro, à peine ! Mais, nous l’avons vu également, les pouvoirs publics disposent de peu de marges budgétaires pour prendre totalement en charge ce surcoût.
Economiser ailleurs
Plusieurs leviers permettent aux collectivités de réduire ou d’annuler le surcoût de produits bio : gaspiller moins, cuisiner plus en évitant les produits hyper-transformés, acheter de saison, en direct, en vrac… Xavier Anciaux relaie les constats réalisés par la ville de Liège. « 60 % des soupes retournaient à l’égout, 55 % du poids de l’assiette retournait à la poubelle. Une école était livrée pour 20 élèves, et 30 élèves mangeaient dessus car les portions étaient souvent trop grosses. Il y a de la marge pour la transition en gérant mieux les doses. » Le Collectif Développement Cantines Durables propose de réduire – sans pour autant la supprimer – la part de produits carnés, qui pèsent lourd dans la balance économique. Un plan d’action global doit donc être mis en place par la structure qui s’occupe de la préparation des repas.
Imposer une part de produits bio locaux dans les collectivités publiques
Votée en 2018, la loi Egalim prévoyait une évolution de l’offre des collectivités françaises vers une part d’au moins 50 % de produits de qualité durable, dont 20 % de produits biologiques, pour 2022. Si l’ambition n’a pas été totalement remplie, il est important de noter l’ascension impressionnante des chiffres. Alors qu’en 2019, les produits bio ne représentaient que 2,9 % des ingrédients de la restauration collective, cette part passe à 6,6 % en 2021 (1). Si 4 % des cantines proposaient du bio dans leur menu en 2007, ce chiffre est passé à 65 % en 2019. Imposer des pourcentages de produits bio locaux dans toutes les collectivités semble donc porter ses fruits.
Serait-ce une idée à appliquer en Fédération Wallonie-Bruxelles ? C’est un avis partagé par Valentine Boone. « Tant que nous ne disposons pas de véritables directives politiques dans toutes les régions, l’ensemble du marché continuera à rédiger des cahiers des charges à la carte. ». Pour Marie Legrain, les aides publiques dédiées à l’alimentation durable sont un investissement gagnant sur le long terme. « Le coup de pouce du local dans l’assiette, le Green Deal cantines durable coûtent, mais ils font faire des économies à long terme. L’alimentation durable a beaucoup moins d’externalités, beaucoup moins de coûts cachés. Elle pèse beaucoup moins sur la société en termes de frais de santé, biodiversité, environnement… C’est un calcul d’austérité à long terme ! » Qu’attendons-nous ?
Vers des repas gratuits à l’école ?
De nombreuses aides publiques encouragent l’introduction de produits durables et locaux dans les collectivités. Par exemple, un subside permet la gratuité des repas pour les élèves de maternelles et primaires dans les écoles à discrimination positive. « Ça fait un grand boost dans le nombre de repas pris à l’école », analyse Marie Legrain. « Il y a beaucoup d’avantages, mais on observe qu’il y a beaucoup plus de gaspillage. Comme c’est gratuit, ça déprécie la valeur de la nourriture. » La sécurité sociale alimentaire préserve la valeur de la nourriture et permet à chacun de cotiser proportionnellement à ses revenus.
Pérenniser les aides publiques
Les aides publiques sont les bienvenues pour soutenir une alimentation bio locale dans les collectivités. Actuellement, des enveloppes budgétaires sont mobilisées dans les secteurs de la santé, de l’environnement et du développement durable à travers différentes politiques. Cependant, ces politiques sont court-termistes, susceptibles de changer, notamment à chaque législature. Cette instabilité est inconfortable, voire dangereuse pour les filières qui s’investissent pour nourrir les collectivités.
Revoir la loi sur les marchés publics
« Même si nous vivons dans le pays de Magritte, l’alimentation n’est pas une chaise de bureau. », peut-on lire sur le site internet de la Cellule Manger Demain (2). L’association travaille, depuis juillet 2022, à la mise en place d’une exception alimentaire dans les règles de marchés publics. Une pétition citoyenne a été mise en place, et un plaidoyer a été réalisé en vue des élections européennes de juin 2024. Rob Renaerts, gérant du bureau d’études Coduco, désapprouve cette initiative. « On ne va pas changer une réglementation qui est basée sur le fondement de l’Union européenne, qui est le libre-échange de biens et de services, parce qu’on veut acheter des produits locaux alimentaires. Je n’y crois absolument pas. » Affaire à suivre…
Sensibiliser
La transition des collectivités vers le bio local implique des adaptations dans des cuisines qui sont déjà sous pression, en sous-effectif, en manque d’infrastructures et de compétences. Pour initier le changement, il faut à la fois que les mangeurs fassent pression sur le pouvoir organisateur, et que le personnel de la collectivité soit sensible et motivé, mais aussi, accompagné et formé. Chez SAW-B, Xavier Anciaux insiste sur la nécessité que les collectivités s’intéressent aux acteurs de l’approvisionnement bio local pour bien établir leurs marchés publics et mieux coller à la réalité de terrain. « Si on veut quarante légumes différents, découpés de trois manières différentes, pendant toute l’année, aucun maraicher ne sait y répondre. » Chez ISOSL, une intercommunale liégeoise active dans les soins de santé et fournissant les repas d’écoles et de crèches, les cuisiniers sont invités à rencontrer les producteurs pour mieux comprendre leur travail et pour dialoguer sur la qualité des produits. « On a réussi à décloisonner le monde des collectivités avec celui des producteurs, des mondes qui ne se parlaient plus. », témoigne Davide Arcadipane, pour ISOSL.
Small is beautiful ?
Et si on remettait en service des cuisines destinées à une transformation hyperlocale de petits volumes de produits bio locaux ? Cette solution permet à de petits producteurs de participer à l’approvisionnement des collectivités, et de bénéficier, grâce aux moindres volumes d’achats, de procédures simplifiées de marchés publics. Ainsi, la commune d’Onhaye a pu facilement collaborer avec la Ferme Piette, située à quelques kilomètres de ses écoles, pour l’approvisionnement en yaourts bio. La proximité des producteurs et des mangeurs renforce les liens sociaux, leur permettant de se rencontrer, dans les champs ou au sein de la collectivité, ce qui est un atout précieux dans la sensibilisation des enfants. Enfin, la cuisine permet de recréer une dynamique locale, comme le démontre le Réseau RADiS en région dinantaise. Ces outils de transformation locale sont aussi, potentiellement, des leviers d’action sociale, via une réinsertion sociale ou professionnelle de publics défavorisés.
Cependant, la juste échelle doit être recherchée. Dans la commune d’Ath, accompagnée par l’asbl Biowallonie, plusieurs cuisines dispersées ont été supprimées en faveur d’une cuisine centralisée afin d’atteindre une échelle plus favorable à la rentabilité. Dans la commune d’Onhaye, Nathalie Lekeux, première échevine, souhaite développer une cuisine pour préparer les repas des écoles publiques. Elle s’inquiète des contraintes financières et de la gestion du personnel. « A notre échelle, un cuisinier serait nécessaire. Mais que faire s’il tombe malade ou souhaite partir en vacances ? » Il faut donc atteindre une masse critique permettant l’engagement d’une équipe de cuisine pouvant se relayer. Selon Rob Renaerts, un cuisinier peut préparer entre 50 et 80 repas en travaillant de manière manuelle (et de 200 à 300 en « assemblant » des ingrédients surgelés).
Et le citoyen, dans tout ça ?
Comment, en tant que citoyen, agir pour une transition de l’alimentation collective vers le bio local ? La question fut posée lors de la table-ronde organisée au Salon bio Valériane. L’un des participants propose de rejoindre les associations de parents dans les écoles, afin de porter l’idée et d’encourager la direction, ainsi que toute l’équipe éducative et de cuisine. En France, une association, Un plus bio (3), encourage les citoyens à s’investir à l’aide d’un guide pratique, de conférences et de conseil. Les conseils de politique alimentaire regroupent également des personnes intéressées par la transition alimentaire à l’échelle locale. Il existe donc plusieurs manières, pour les citoyens, de s’impliquer dans la transition des cantines vers une alimentation bio locale.
REFERENCES
(1) Agence Bio et CSA Research. 2019. Mesure de l’introduction des produits bio en restauration collective. 80 p
(2) https://www.mangerdemain.be/exception-alimentaire-wallonie/
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