Cet article est paru dans la revue Valériane n°170

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Par Sylvie La Spina,

rédactrice en chef

Comment mener la société autour de nous à entamer sa transition écologique et sociale ? Les sociologues démontrent qu’il n’est pas nécessaire d’être influent, ni même nombreux. La clé de la propagation d’un mouvement social résiderait dans la richesse du tissu social de la communauté qui la prône, soit, dans la densité des liens qui nous unissent. Rencontrons-nous, relions-nous, rassemblons nos idées, nos questionnements, nos solutions, nos énergies !

Nature & Progrès, une grande famille ! En action lors de la chaine antinucléaire de 2017.

 

Face aux crises sociales, environnementales et climatiques, il est grand temps d’initier le changement. Chacun et chacune, nous devons agir, changer nos habitudes. Mais bien au-delà de l’individu, il est nécessaire de bouleverser les normes sociales pour un changement collectif, touchant toute la société. Voici un rêve que nous partageons tous, en tant que membres de Nature & Progrès ! Comment réaliser cette prouesse, comment contaminer de proche en proche, à la manière d’un virus, les personnes qui nous entourent, au point d’atteindre une pandémie de prise de conscience écologique et de passage à l’action ? Faut-il être nombreux ? Faut-il être particulièrement influents ? On l’a pensé pendant longtemps, mais en réalité, la solution se trouve ailleurs, et elle est bien plus accessible à chacun et chacune d’entre nous !

 

Comment se propagent les idées

Poursuivons notre analogie avec le virus, sujet que nous connaissons tous bien aujourd’hui. Pour qu’une maladie se propage, elle doit être très transmissible et toucher des personnes qui sont en contact avec beaucoup d’autres hôtes potentiels. C’est la théorie de la contagion simple, transposée aux sciences sociales par le sociologue américain Paul Lazarsfeld, au milieu des années 1950. La diffusion massive d’une idée, d’un produit ou d’un changement social aurait pour origine une personne centrale et charismatique qui réussit à convaincre toute la population, autrement dit, un influenceur.

Cependant, cette théorie n’explique pas tout. Zachary Steinert-Threlkeld, politologue et informaticien américain, a étudié l’origine du Printemps arabe de 2011. Ce soulèvement populaire, qui a induit guerres civiles et chute de gouvernements, a frappé les spécialistes par sa rapidité de propagation. En étudiant les « tweets » (messages sur le réseau social Twitter) en lien avec cet événement, le chercheur n’est pas parvenu à trouver le « patient zéro », celui qui aurait été à l’origine du mouvement. Le démarrage a eu lieu par différents « foyers périphériques ». Les influenceurs sont intervenus bien après, quand le mouvement était déjà lancé. Un autre phénomène est donc à l’œuvre dans la propagation des mouvements sociaux.

La théorie de la contagion complexe a été développée par le sociologue américain Mark Granovetter à la fin des années 1970. Selon ce modèle, la contagion nécessite un renforcement social, soit, d’atteindre un seuil critique pour déclencher des réactions en chaîne. Il s’agit donc de partir d’un réseau de personnes serré, présentant une densité de liens élevée, soit, une communauté solidaire avec un tissu social fort.

 

Réseau social et graphe

Un réseau social, c’est quoi ? Si ce terme est généralement utilisé pour parler de réseaux internet (Facebook, Twitter, LinkedIn, Tik tok et compagnie…), c’est en réalité, au départ, un concept simple de sociologie : un agencement de liens entre des individus ou des organisations constituant un groupement de personnes. On peut donc les représenter par un nuage de points, représentant les individus, reliés par des lignes, représentant les liens entre les personnes qui se connaissent. Le graphe de réseau social permet donc de reconnaitre les personnes influenceuses, centrales, d’où partent énormément de lignes (qui ont donc des liens avec énormément de personnes), des personnes plus isolées, situées en périphérie.

 

Un réseau dense, riche en liens

Pour qu’une idée nouvelle soit adoptée par une personne, il faut que cette personne puisse l’observer chez un certain pourcentage de personnes de son entourage. Ce seuil dépend de nombreux paramètres : la personnalité (innovateur ouvert au changement, ou au contraire, conservateur ou réfractaire), l’avantage relatif de la nouvelle norme, sa compatibilité avec le mode de vie, sa simplicité de mise en œuvre, la possibilité de faire un essai, sa visibilité, sa disponibilité, etc. Ce sont donc d’abord les militants, les innovateurs convaincus, qui vont adopter une nouvelle norme (leur seuil sera bas). Le mouvement se propagera si le réseau est assez dense pour qu’une personne plus sceptique observe dans son entourage suffisamment de personnes convaincues pour franchir le cap elle-même. Progressivement, des personnes de moins en moins influençables peuvent être touchées, ce qui mène à une contamination massive, à un effet domino. Un influenceur central sera, au contraire des « périphéries », moins vite touché. Si son seuil est de 5 %, cela signifie que 5 % de ses très nombreux contacts doivent avoir été convaincus, ce qui se produit à un stade déjà avancé.

 

La périphérie… encore !

Dans Valériane n°166, nous analysions les idées novatrices d’Olivier Hamant, biologiste français à l’origine d’une critique de la performance au profit du concept de robustesse. Il nous invitait à nous rendre aux marges de la société, dans les pays du Sud, chez les personnes en situation de précarité… pour découvrir les initiatives robustes face aux fluctuations économiques, politiques, sociales et environnementales. Cette marge, cette périphérie, semble être une clé pour solutionner les crises que nous vivons !

 

Bonne nouvelle donc : selon cette théorie, il ne faudrait pas être influenceur pour participer activement à la propagation d’un mouvement social, par exemple, de transition écologique ! Mais faut-il être nombreux ?

Ce n’est pas non plus nécessaire d’après les travaux de Damon Centola, sociologue américain. D’après ses recherches, vulgarisées notamment dans le livre « Change : How to Make Big Things Happen » (2021, Little, Brown Spark), il suffirait d’une minorité de personnes convaincues pour changer l’opinion de toute une population. Un seuil de 25 % a été défini expérimentalement, mais certains parlent même d’une influence plus précoce. Le mouvement Extinction Rebellion a popularisé le chiffre de 3,5 % émis par Erica Chenoweth et Maria J. Stephan, deux politologues américaines. Leurs recherches, vulgarisées dans le livre « Why civil resistance works » (2011, Columbia University Press) se sont intéressées à 323 mouvements sociaux. Si la généralisation de ce chiffre est critiquée, car dépendante de nombreux paramètres, il montre cependant qu’il est loin d’être nécessaire d’atteindre une majorité pour faire passer des idées.

 

Quels enseignements en tirer ?

Pour entrainer la société entière dans le mouvement social de transition écologique, il ne faut donc pas être charismatiques, ni nombreux. Il faudrait avant tout, d’après les théories des sociologues, constituer un réseau de personnes assez dense, soit, renforcer les liens entre les membres de notre communauté.

Rencontrons-nous, échangeons nos idées, nos astuces, nos questionnements, nos tentatives de réponses, nos solutions. Rassemblons nos énergies pour les générations futures, pour notre santé et celle de la Terre. Participons ! Aux activités, ateliers, conférences de nos chères locales, aux rencontres organisées par notre équipe, aux visites de vergers sans pesticides, aux portes ouvertes des jardins de nos membres, aux visites du système participatif de garantie, au Salon bio Valériane, à Bio en Liège, aux réunions de notre pôle Habitat-énergie, aux projections de notre film intensif… Initions des rencontres avec les membres proches de chez nous, autour d’un café, d’une papote sur le marché fermier du coin… Relions-nous ! Ensemble, mus par les mêmes valeurs, nous avons toutes les chances de les faire percoler dans la société.

 

 

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