Cet article est paru dans la revue Valériane n°171

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Par Claire Lengrand,

rédactrice pour Nature & Progrès

En Wallonie comme dans le reste de l’Europe, les jardins-forêts, modèle visant l’abondance et l’autonomie, gagnent les cœurs et les paysages. Partons à leur découverte à travers trois initiatives afin de comprendre tant leur intérêt que leur complexité.

Mickaël Teerlinck, devant l’une de ses serres au Potager du Gailleroux

 

C’est à Jodoigne, le long d’une chaussée où défile le ballet des véhicules, que se trouve un havre de beauté insoupçonné : le Potager du Gailleroux. Depuis 2015, Mickaël Teerlinck cultive l’ancien jardin de ses grands-parents qu’il a converti, au fil des années, des connaissances accumulées et des parcelles ajoutées, en une « forêt nourricière diversifiée » ou « jardin-forêt » en permaculture. Plus de 600 espèces mêlant arbres, arbustes, buissons, légumes annuels et perpétuels, plantes aromatiques et médicinales, tubercules et lianes cohabitent sur 27 ares. Pépiniériste, producteur semencier, tisanier, formateur, coach, auteur… « C’est la diversité de mes activités qui m’a permis de monter mon projet », confie Mickaël, dont le jardin-forêt sert avant tout à pourvoir son autonomie alimentaire.

 

Un concept millénaire revisité

Présent depuis des temps immémoriaux sur tous les continents, sous diverses formes et appellations, le jardin-forêt est un concept arrivé récemment en Europe. Il a été théorisé par le britannique Robert Hart, pionnier en permaculture et en agroforesterie. « C’est la possibilité de mixer plein de plantes de strates différentes », résume Mickaël, pour qui les travaux de l’horticulteur furent une source d’inspiration. Dans son ouvrage « Forest Gardening » publié en 1991, Robert Hart liste jusqu’à sept étages pouvant se superposer, allant de la canopée constituée d’arbres de plus de quinze mètres aux lianes et plantes grimpantes situées tout en bas.

En réalité, le jardin-forêt ne se cantonne pas à un modèle bien défini. « C’est modulable selon les besoins, la taille disponible, le terrain et plein de paramètres extérieurs », indique Mickaël. Il est possible, par exemple, de partir d’un verger et de diversifier progressivement en ajoutant des petits-fruits au pied des arbres, puis des légumes perpétuels. Et quelles différences avec l’agroforesterie ? « L’agroforesterie, c’est ajouter de l’arbre aux systèmes agricoles existants via des haies, des vergers, des rangées d’arbres mixées à des zones de culture où les machines peuvent passer. Ce n’est pas aussi interconnecté qu’un jardin-forêt où l’on s’inspire des écosystèmes naturels beaucoup plus fortement ».

 

Une forêt nourricière

Comparé au potager classique, le jardin-forêt offre une abondance nourricière toute l’année. Mickaël nous éclaire.

« Le fait de diversifier les cultures permet d’avoir des productions lors de périodes inattendues, comme des néfliers communs après les gels ou certains agrumes au printemps. On pourrait cultiver au moins mille espèces comestibles résistant au gel en Belgique. »

D’après les scientifiques, 75 % de la nourriture proviendrait de douze plantes et cinq espèces animales alors que l’on répertorie 20.000 espèces comestibles sur la planète. Elargir ce panel implique dependant de (ré)habituer nos papilles aux saveurs inconnues et à introduire des plantes exotiques. Sur ce point, le pépiniériste rappelle que « la majorité de ce que l’on consomme vient d’ailleurs, comme la tomate que l’on a acceptée et intégrée à notre patrimoine. »

Les jardins-forêts offrent également le gîte et le couvert à une myriade d’insectes et autres animaux. Face aux enjeux climatiques, les arbres jouent quant à eux un rôle essentiel : ils stockent le carbone, enrichissent les sols, protègent du vent, retiennent l’eau, font de l’ombrage, etc.

 

Le Potager du Gailleroux, un projet permacole devenu un jardin-forêt nourricier

 

Un modèle agricole d’avenir ?

En plus de nos jardins, les jardins-forêts pourraient-ils investir nos champs ?

« Ils pourraient être envisagés dans des projets agricoles comme des espaces didactiques de partage et de rencontre », suggère Mickaël.

En Wallonie, il existe justement un collectif qui, depuis 2018, intègre ce modèle au cœur de son projet : la Forêt de Luhan. Sur une ancienne prairie de trois hectares située à Harzé (Aywaille), ce dernier développe, parmi plusieurs activités, une autonomie alimentaire tout en fédérant une communauté de mangeurs via le système CSA. « Très vite, dans une série de lectures et d’écoute sur l’agroforesterie, il y a eu l’envie de réemployer l’arbre et ses capacités en parallèle d’une pratique maraîchère et syntrophique », explique Hélène, volontaire et membre de l’asbl. Concrètement, des carrés de maraîchage s’articulent avec des carrés de jardin-forêt nourricier, dans l’optique de « diversifier la production, amener un espace de biodiversité plus intense que ce que le maraîchage classique permet et gérer les chocs hydriques dans un sens comme dans l’autre. »

Grâce à l’aide de bénévoles et à un subside de la Région Wallonne, le collectif a planté, en 2020, des arbres fruitiers à haute, moyenne et basse tige alliant variétés anciennes, indigènes et exotiques ainsi que d’autres espèces comme le saule. Une haie double rangs comprenant des arbres et arbustes coupe-vent ainsi qu’une rangée de petits fruits sont intégrées en bordure de terrain. Dans deux carrés en demi-lune, des plantes aromatiques, des courges et des cardons entourent, entre autres, les pieds des arbres. « On essaye d’avoir les strates petit à petit », indique Hélène. Pour plus de facilité, le collectif se concentre sur une zone à la fois. « Il reste des prairies qu’on va intensifier au fur et à mesure. On apprend de nos erreurs, on a beaucoup planté en une fois », confie la bénévole. Dans un champ en lisière de forêt, des fruitiers à haute tige ont été mangés par les cervidés, il a donc fallu les déplacer et en remplacer. « A terme, il y aura des animaux comme des moutons et quelques cochons », précise Hélène. Malgré les échecs, des effets positifs sont déjà constatés : quand il pleut énormément, les parcelles de jardin-forêt parviennent à infiltrer l’eau tandis que les serres sont inondées. Le jardin-forêt revêt aussi une dimension sociale en réunissant des personnes désireuses de prendre soin du lieu et d’apprendre grâce aux formations organisées.

 

Une des parcelles de jardin-forêt en demi-lune de la Forêt de Luhan

 

« C’est la complexité qui permet la résilience »

Une évidence apparait : développer un jardin-forêt ne se fait pas du jour au lendemain.  Les premières années, en particulier, demandent un gros travail d’entretien.

« C’est quelque chose qui prend du temps, il faut renouer avec la patience dans un monde gouverné par l’immédiateté », soutient Mickaël Teerlinck.

Il faut également accepter les aléas, parfois bénéfiques. « Certains arbres ne produiront pas durant une année mais développeront un meilleur feuillage ou une meilleure croissance », illustre le jardinier, et d’ajouter : « Nous devons accepter que ce soit la complexité qui permette la résilience. »

Afin de trouver le meilleur équilibre, un paramètre est déterminant : le contexte local. Il y a trois ans, Corentin Hennuy a commencé à convertir un ancien pâturage en jardin-forêt. Son projet, appelé « Arbuste Fruitier », se situe à Vaux-sur-Sûre, dans les Ardennes, sur un terrain au sol acide et peu profond, dans un climat humide et frais. « J’ai fait beaucoup d’erreurs », confie-t-il lors d’une conférence en ligne. Il a fallu adapter la palette végétale, favoriser les variétés à floraison tardive pouvant survivre à moins 15 degrés. Tout comme Mickaël, Corentin aime expérimenter et parvient à se rémunérer grâce à ses multiples activités (pépinière, accompagnement, production de vidéos). En dépit des difficultés, le jeune homme est satisfait du travail accompli. « On peut accompagner le vivant pour aller vers plus d’abondance », assure-t-il.

Le jardin-forêt nous invite à faire preuve d’humilité. Devant la perte de biodiversité, il peut aussi contribuer à embellir nos contrées et, par la même occasion, à améliorer notre bien-être. « Nos paysages sont tristes. Il y a deux siècles, les forêts parcouraient la Wallonie et on a tout transformé pour faire des monocultures ou de l’élevage », regrette Mickaël. Heureusement, rien n’est figé. Peu connus il y a quelques années, les jardins-forêts se multiplient désormais partout en Wallonie, portés à la fois par des particuliers, des paysans, des associations et des porteurs de projet. Un réseau de passionné∙es s’est formé autour du partage des plants, des connaissances, animé par la volonté de diffuser ce modèle auprès du plus grand nombre. « Dans dix ans, tous les jardins-forêts existants seront mâtures, cela donnera envie à d’autres. Et cela percolera peut-être sur les modèles agricoles », espère Mickaël.

 

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