Cet article est paru dans la revue Valériane n°171
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Par Guillaume Lohest,
rédacteur pour Nature & Progrès
Le climat se dérègle parce qu’il y a trop de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, surtout du dioxyde de carbone. Or, les arbres sont des formidables machines à séquestrer le carbone. Donc, planter des arbres est le meilleur moyen de lutter contre le dérèglement climatique. CQFD ? Prenons l’avion pour réfléchir à cette démonstration a priori infaillible.
Vous faites une réservation en ligne. Léger sentiment de culpabilité. Vous savez que votre empreinte carbone va exploser. Si les huit milliards de terriens prenaient l’avion aussi souvent que les classes moyennes occidentales, si leur mode de vie s’alignait sur le vôtre, on aurait besoin de quatre ou cinq planètes. On ne les a pas, vous le savez, et se produit alors un petit soulagement dans votre conscience quand la compagnie aérienne vous propose une compensation carbone. En payant deux euros de plus, vous contribuez à régénérer une forêt en Algarve (1).
Plus tard, dans l’avion, vous repensez à cette histoire de compensation. Vous faites quelques recherches sur votre smartphone et, soudain, votre cerveau reçoit une grosse dose d’endorphine. Un immense soulagement vous envahit. Vous venez de lire ce truc génial (2) : « Il y a suffisamment de place dans les parcs, les forêts et les terres abandonnées du monde pour planter 1.200 milliards d’arbres supplémentaires, qui auraient la capacité de stockage de dioxyde de carbone nécessaire pour annuler une décennie d’émissions. » Ce paragraphe ressemble bien à une véritable solution pour enrayer le dérèglement climatique. Vous vérifiez les sources. Il s’agit d’études publiées dans des revues scientifiques de premier plan comme Nature et Science, par des universitaires reconnus.
Il existerait donc une solution simple à cet immense problème mondial du climat : planter des arbres par trillions ! Et en effet, vous constatez que de nombreux États ont déjà annoncé des programmes massifs : au Canada (deux milliards), en France (un milliard), en Australie aussi (et un milliard de plus !)… On est loin du compte, mais c’est un début. Il suffira d’augmenter la cadence et de planter davantage. Votre cerveau traverse une turbulence mais reste globalement en joie, car les choses sont claires et peuvent être calculées.
Plus pour longtemps. De clic en clic, dans l’atmosphère entre deux continents, vous êtes emmené vers des pages moins accommodantes. Vous faites connaissance avec le concept de treewashing, le greenwashing par les arbres, pratiqué allègrement par les multinationales. Un véritable marché : des opérateurs se proposent comme intermédiaires entre les entreprises et les projets de plantation. Quant à la capture de carbone par les arbres, les nuances pleuvent de toutes parts. Vous apprenez qu’il n’y a pas d’équivalence exacte entre le carbone fossile émis et le carbone capturé. Que seulement un petit tiers des émissions mondiales de CO2 sont captées par les végétaux. Que les arbres ne capturent pas du tout avec la même efficacité selon leur âge, selon leur latitude, selon leur « essence » (sic)… Et surtout, qu’un arbre « ne pousse pas instantanément. Il lui faut plusieurs dizaines d’années pour absorber une quantité de CO2 équivalente à celle émise par la combustion d’énergies fossiles. Sauf que nous n’avons pas le temps de regarder pousser les arbres si nous voulons stabiliser le climat (3). »
L’atterrissage approche et voici le coup de grâce. En octobre 2023, une étude publiée par des chercheurs de l’université d’Oxford (4) parvient à la conclusion que « la tendance actuelle de la plantation d’arbres axée sur le carbone nous entraîne sur la voie de l’homogénéisation biotique et fonctionnelle à grande échelle pour un faible gain de carbone. » Entre les lignes, on comprend que planter des arbres pour ralentir le dérèglement climatique est, au mieux une illusion, au pire une aggravation du problème. Car ce sont les plantations industrielles à grande échelle qui représentent la majorité des arbres plantés : or, elles servent à d’autres fins qu’à séquestrer le carbone et créent bien d’autres problèmes auxquels vous n’avez pas envie de songer à présent, car votre moral est tombé au plus bas.
C’est la fin. Vous teniez une solution magique, il n’a fallu que quelques heures pour qu’apparaisse tout ce qu’elle avait de naïf et de simplificateur. Vous voici arrivé à la conclusion inverse : planter des arbres pour préserver le climat, c’est n’importe quoi. Vous jurez qu’on ne vous y reprendra plus. Mais avant cela, reste une dernière chose à vérifier. Votre moteur de recherche, Ecosia, cela vous revient, promettait lui aussi de planter des arbres pour compenser l’empreinte de votre utilisation d’Internet. Du bluff, là encore ?
Peut-être pas tant que cela. Dans un entretien (5), le fondateur d’Ecosia semble conscient des pièges. « Quand on plante des arbres, il est important de le faire de la bonne manière », précise-t-il. « Nous ne plantons pas nous-mêmes des arbres mais nous travaillons avec des associations, des ONG et des entreprises dont c’est la spécialité. » Une sélection s’opère : « Nous avons aussi rejeté de nombreux dossiers car ils n’apportaient pas les garanties suffisantes. Ce qui est important, c’est de planter des arbres aux endroits où ils devraient être plantés, pour ne pas déstabiliser l’écosystème, dont les sols. »
C’est le moment d’atterrir. Croire que planter 1.200 milliards d’arbres est une solution miraculeuse pour stopper le dérèglement climatique est une déformation occidentale de l’esprit humain. Galilée comparait la nature à un grand livre de mathématiques, Descartes voyait l’Homme devenir maître et possesseur de celle-ci. Eh bien, en comptant le nombre d’arbres et de gigatonnes de CO2 qu’ils peuvent séquestrer, nous reproduisons le vieux schéma rationaliste de la modernité. L’histoire du marteau qui voit tous les problèmes sous forme de clous. De la mentalité d’ingénieur, dirait Aurélien Barrau. Nous réduisons le vivant à un livret de comptabilité.
Mais si, déçus d’avoir cru au miracle mathématique, nous nous mettions à critiquer avec aigreur et cynisme tout projet de plantation d’arbres, nous agirions comme des enfants gâtés de la modernité dont on a cassé le dernier jouet. Le treewashing existe, les multinationales sont sans scrupules, certes, mais les arbres font partie des écosystèmes à régénérer et donc des pistes à suivre. Sans naïveté et en accordant notre confiance à des organismes qui travaillent au plus proche du terrain, en lien avec des expertises plurielles, à la fois scientifiques et associatives, locales et régulièrement évaluées (6).
REFERENCES
- Voir « Ryanair lance un nouveau calculateur de carbone », https://corporate.ryanair.com/.
- “Planting 1.2 Trillion Trees Could Cancel Out a Decade of CO2 Emissions, Scientists Find” sur Yale Environment 360, https://e360.yale.edu.
- « Planter des arbres pour mieux polluer ? », Tribune dans Libération par Sylvain Angerand, président de l’association Canopée et Jonathan Guyot, président d’all4trees, 3 avril 2019.
- Aguirre-Gutiérrez, Jesús et al., “Valuing the functionality of tropical ecosystems beyond carbon” dans Trends in Ecology & Evolution, Volume 38, Issue 12, 1109 – 1111.
- Christian Kroll (Ecosia) : “Nous ne nous contentons pas de planter des arbres, nous les faisons grandir”, sur We Demain, propos recueillis par Florence Santrot le 21 mai 2022.
- Voir, par exemple, All4trees (https://all4trees.org) ou Cœur de forêt (https://www.coeurdeforet.com).
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