Cet article est paru dans la revue Valériane n°171
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Par Marianne Remi,
productrice bio
sous mention Nature & Progrès
La pénurie d’eau est un sujet qui ne percole pas en Belgique, pays de brumes et de pluie. Pourtant, elle touche aussi nos aquifères. Dans le sud de l’Europe, la situation est critique : les terres deviennent hostiles pour les cultures nourricières, le manque d’eau renforce les tensions sociales. Ces enjeux n’ont pas de frontières et nécessitent une solidarité à travers toute l’Europe.
La Belgique, avec son climat « pourri », est aussi concernée par les enjeux relatifs à la sécheresse. Photo © Pexels (Pixabay)
Nous vivons dans une société de pénurie d’eau. Ce fait n’apparaît pas évident vu de Belgique car nous bénéficions de pluviométries importantes. Notre « climat pourri » est devenu une blague belge dans les médias étrangers. L’eau directement disponible pour les végétaux et pour l’agriculture, dite « eau verte » (1), est relativement abondante. Mais sont exclues de nos vues – et donc de nos consciences – les réserves souterraines, soit, une partie de l’eau disponible pour l’Homme, dite « eau bleue ».
« La Belgique est un pays de brume et de vent, de dunes et de pluie, avec ce ciel bas, ce ciel gris où montent les clochers noirs des cathédrales. » Luc Baba
L’eau, la vie
Et pourtant, la Belgique figure, selon la Commission européenne – Environnement : « en 18ème position parmi les 25 pays qui subissent chaque année un stress hydrique extrême. En d’autres termes, elle utilise chaque année la majeure partie de ses réserves d’eau renouvelables, ce qui accroît sa vulnérabilité à la sécheresse. Elle est la seule nation d’Europe du Nord à occuper cette position. » L’importante densité de population en Belgique induit une faible disponibilité d’eau par habitant.
La majorité des aquifères européens sont actuellement déficitaires. Des rivières menacent de disparaître totalement en France, alors que c’est déjà le cas en Espagne, en Italie, en Grèce… Les causes de ces sécheresses extrêmes ne font plus débat : le drainage des zones humides, l’urbanisation, la déforestation, la construction de barrages ou le pompage de l’eau des aquifères provoquent une sortie de l’eau douce de son cycle naturel, ce qui a pour conséquences sécheresses et inondations, les deux faces de la même médaille.
L’assèchement des rivières, une situation préoccupante dans tout le bassin méditerranéen.
Les enjeux sont donc colossaux : le manque d’eau, ça ne veut rien dire de moins que : plus de nourriture ! Plus d’énergie non plus, étant donné la consommation d’eau associée au nucléaire, à l’éolien et au photovoltaïque. Ces enjeux sont, par conséquent, également sociaux. La sécheresse et la désertification sont des menaces contemporaines graves, et non pas de lointains risques pour les générations qui nous survivraient. La vulnérabilité de nos sociétés, c’est maintenant !
La pluie de 2024 nous sauve-t-elle ?
29 et 30 octobre 2024, de violentes inondations touchent l’Espagne. Une année pluvieuse, serait-ce le signe d’une amélioration du contexte hydrique du sud de l’Europe ? D’une part, l’augmentation des superficies imperméabilisées – urbanisation et bétonisation des cours d’eau – empêche les pluies de s’infiltrer ; elles ruissellent donc. D’autre part, la végétation verdoyante nous fait oublier que les aquifères ne parviennent plus à se renflouer malgré le retour de la pluie. En effet, la végétation absorbe une partie de l’eau pluviale, ce qui ne veut pas dire que l’eau pénètre en profondeur et que les nappes sont rechargées. Ne négligeons pas non plus le fait que les inondations menacent l’accès à de l’eau potable.
La solidarité hydrique européenne : une évidence !
L’eau n’a pas de frontière et les ressources en eau sont précieuses. Leur gestion durable ne peut, dès lors, qu’être collective. Cette évidence a donné naissance, en 2000, à la Directive cadre sur l’eau (DCE, Directive 2000/60/CE). Elle instaure une politique globale communautaire qui poursuit plusieurs objectifs dont la protection de l’ensemble des milieux aquatiques et l’atténuation des effets tant des sécheresses que des inondations. Des stratégies furent mises en place pour répondre à ces objectifs. La gestion par bassin versant, par exemple, n’est rien d’autre qu’un des principes de base de la DCE qui est, rappelons-le utilement, loin d’être restreint à notre petite Wallonie.
Dès lors, qu’une responsable d’un sous-bassin hydrologique wallon réponde, lorsque lui est présentée l’idée d’une solidarité hydrique avec le sud de l’Europe (objectif poursuivi par la DCE) : « Ce n’est quand même pas à nous à nous préoccuper de leur accès à l’eau, ils n’ont qu’à changer leur techniques agricoles »… peut légitimement être considéré comme opprobre. Nous pouvons lui opposer deux arguments. D’une part, la diminution globale des ressources en eau renouvelable par habitant dans le sud de l’Europe n’est pas le fait de pratiques agricoles non appropriées. Cette diminution est le fait principalement de la baisse des précipitations (2). Et d’autre part,
Un tel néo-nationalisme de l’eau est aux antipodes des principes éthiques chers à nos sociétés et des obligations européennes. En effet, la solidarité hydrique n’est, à ce stade, plus un choix.
Le Parlement européen, la Commission et le Conseil l’ont encore rappelé lors de la deuxième plénière d’octobre 2024.
Tous concernés
Les besoins en eau nous concernent tous, pour nous nourrir, tout d’abord. La pression démographique est importante en Belgique. Notre superficie agricole utile, déjà faible, risque de perdre encore 54.000 hectares actuellement utilisés par l’agriculture mais en zone rouge (constructible) au plan de secteur. La souveraineté alimentaire de notre pays n’est donc pas assurée, faute de politique de protection de la ressource en terre arable, tant en matière de quantité que de qualité. Ne disposant pas de superficie agricole suffisante pour assurer notre alimentation, notre dépendance à l’approvisionnement des pays voisins va s’intensifier dans les prochaines années. En même temps, la capacité des pays du sud de l’Europe à produire de l’alimentation baisse par faute de ressource en eau. Autrement dit, de la baisse de la production alimentaire du sud de l’Europe, résultera très prochainement une désorganisation de l’économie impactant toute l’Union européenne et un risque pour l’approvisionnement des pays comme le nôtre qui en dépendent.
Sociétés sous tension
L’appauvrissement des pays dont l’agriculture est un pilier économique risque de les déstabiliser, entraînant des troubles graves : manifestations, voire émeutes qui peuvent exacerber les tensions entre différents groupes au sein des pays, ainsi qu’une montée de l’extrême droite. Bien que la solidarité devrait être un argument suffisant pour penser une solidarité hydrique européenne, il est bon de rappeler que de tels appauvrissements de nos voisins constituent un risque d’insécurité pour nous. De plus, le manque d’eau et l’absence de sécurité alimentaire provoqueront d’importants déplacements des populations méditerranéennes.
La baisse de la production agricole qui se fait déjà sentir dans tout le pourtour méditerranéen provoque déjà une diminution de la population agricole active. Juste avant les terribles inondations d’octobre qui frappèrent l’est de l’Espagne, nous sommes partis à la rencontre des acteurs de systèmes alimentaires durables, des pistes de solutions à explorer pour faire face à ces pénuries d’eau. Janira et Isidre, Ernest, Pilard, Miguel, Barbara et Joan : de jeunes agriculteurs de l’est de l’Espagne entièrement investis dans une production agricole résiliente.
Nous vous présenterons, dans de prochains articles, leurs précieux témoignages, leurs réalités, leurs pistes de solutions et leurs espoirs.
REFERENCES
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