Comment s’orientent les mesures belges en vue de réduire l’utilisation et les risques liés aux pesticides ? Une conférence donnée par le Service Public Fédéral le 14 novembre dernier nous éclaire sur la vision de l’administration : privilégier l’utilisation de substances moins nocives, faire appel à la technologie pour des épandages ciblés… Nature & Progrès revendique de réelles mesures pour se passer de ces poisons, pour notre santé et pour l’environnement.

 

Par Virginie Pissoort, chargée de campagnes chez Nature & Progrès

 

Le refus de la chimie est la motivation qui fut à l’origine de la naissance de Nature & Progrès, tant en France qu’en Belgique. Depuis près de 50 ans, notre association lutte pour faire interdire les pesticides, tout en démontrant que des alternatives existent et sont éprouvées depuis plusieurs décennies par les agriculteurs biologiques. Le suivi et le décodage des politiques européennes et nationales constitue une mission importante pour éclairer les citoyens sur les perspectives à venir.

La réduction des pesticides et des risques liés aux pesticides est une obligation européenne inscrite dans la directive SUD (Directive 2009/128/EC – Sustainable Use of Pesticide Directive). Etant donné que peu d’Etats-membres ont voté des textes pour mettre en œuvre la directive, la Commission européenne a souhaité la transformer en règlement (projet SUR) à application directe. Cette initiative a finalement échoué après un vote de refus au Parlement européen sur un texte à ce point amendé qu’il en avait été vidé de sa substance et un retrait par la Commission elle-même en réponse aux manifestations agricoles début 2024.

 

Un engagement au pluriel

En Belgique, le plan de réduction des pesticides en cours, intitulé NAPAN 2023-2027, n’a été approuvé que fin 2023, amputant le programme quinquennal d’une année. Petit frère des NAPAN 2013-2017 et 2018-2022, ce troisième programme vise, dans la foulée des deux précédents, à réduire l’utilisation des pesticides et les risques liés à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à travers un panel d’actions autour de cinq pôles : (1) réflexion et développement de solutions, (2) consultation de toutes les parties prenantes, (3) changements structurels ou comportementaux, (4) sensibilisation et information, et enfin, (5) monitoring. Des mesures s’adressant aussi bien aux professionnels (agriculteurs, secteurs verts, public et privé) qu’aux particuliers, et incombant aux régions ou au fédéral, selon leur objet.

En effet, en Belgique, la règlementation sur les pesticides touche tant le fédéral (autorisation de mise sur le marché, phytolicence, etc.) que les régions (utilisation des pesticides, qualité des eaux, etc.). Les différentes autorités, chacune dans les limites de leurs compétences, sont responsables d’implémenter la SUD. On parle de Programme fédéral de réduction des pesticides (PFRP) au fédéral, de Programme wallon de réduction des pesticides (PWRP) en Wallonie, de Programme de réduction régional des pesticides (PRRP) pour la région de Bruxelles-Capitale et du Vlaams actieplan duurzame pesticidengebruik en Flandre. Ensemble, ils composent le NAPAN, Nationaal actie plan d’action national, disponible sur www.phytoweb.be.

 

Une vision peu ambitieuse

Chacune des autorités y allant à sa manière, les différents programmes ne se répondent, ni ne se complètent sur les priorités, les objectifs stratégiques, les actions ou les facteurs de succès. Mais tous ont fait l’objet d’une consultation publique : citoyens, agriculteurs, associations et industries, qu’ils sont censés refléter. Ils sont également, on peut l’espérer, le fruit des évaluations des programmes précédents. Face aux déclinaisons parfois décousues selon les autorités responsables – supposées s’inscrire dans les onze thèmes décrits par la SUD -, un comité de coordination des programmes a vu le jour en 2010, le NAPAN Task Force, en vue d’assurer une certaine cohérence. Il est coordonné par le Service Public Fédéral (SPF). Pour permettre aux acteurs d’y voir plus clair sur le NAPAN, le SPF organise annuellement, depuis trois ans, une journée à destination des parties prenantes. Le 14 novembre dernier, pas moins de 250 personnes y ont participé de visu ou en ligne. L’occasion d’y voir plus clair sur la vision et les priorités de notre administration.

Pour le SPF, le constat est clair : « Il y a de plus en plus de molécules qui disparaissent, les questions de santé et d’environnement sont de plus en plus sérieuses […] et nous souhaitons maintenir une disponibilité élevée de produits ». C’est ainsi que Maarten Trybou, directeur de la direction Produits Phytopharmaceutiques au SPF, a abordé la question, en insistant sur le fait qu’aujourd’hui, « ni les acteurs du secteur qui disposent de trop peu de produits pour une bonne production agricole, ni les consommateurs, citoyens ou associations qui ont une perception des effets négatifs des pesticides sur la santé et l’environnement véhiculée par les médias, ne sont satisfaits. » Et de conclure, « en matière d’autorisation, nous voyons deux pistes sur lesquelles travailler. » Concrètement, il s’agit (1) de stimuler l’accès au marché des produits à faible risque, et (2) de réduire l’exposition grâce à une application ciblée des pesticides.

 

Des produits à faible risque ?

Coïncidant souvent avec les produits autorisés en agriculture biologique, mais pas systématiquement (exemple : le cuivre autorisé en agriculture biologique n’est pas à faible risque), les produits à faible risque pour l’environnement et la santé sont soumis au même parcours d’autorisation que les pesticides de synthèse. Le SPF a décidé de faciliter le parcours à travers différentes mesures : soutien à l’introduction des demandes qui viennent souvent de plus petites entreprises moins outillées, priorité de ces produits à l’agenda du Comité d’agréation, mise en place d’un pôle d’experts au sein du SPF, etc. Une fois autorisés, pour faciliter l’utilisation de ces produits, le SPF a créé une catégorie spécifique dans sa base de données Phytoweb.

 

Une application ciblée ?

Pour passer l’épreuve de l’évaluation des risques alors que des études révèlent chaque jour les effets des différentes substances sur la santé et sur l’environnement, des conditions techniques plus strictes à l’utilisation des produits sont imposées par le régulateur : utilisation en milieu fermé, utilisation de buses anti-dérives, pulvérisations ultra-ciblées dans le champ, quantités limitées par hectare, etc. Le SPF a exposé, lors de la rencontre du 14 novembre, les évolutions existantes et à prévoir en la matière grâce à des technologies toujours plus performantes. Ces dernières posent toutefois un problème, celui de la mise en œuvre et du contrôle du respect de ces restrictions. Une autre question que pose cette stratégie visant à miser sur le développement technique et technologique, que je me suis permise de leur poser : Quid de l’accès à ces technologies de pointe et de l’enjeu socio-économique d’une telle agriculture, dans un contexte où les agriculteurs sont déjà totalement dépendants et fragilisés par l’absence de maitrise de leurs facteurs de production ? De toute évidence, les priorités du SPF ne sont pas celles que défend Nature & Progrès !

 

Taxer les pesticides

En dehors de ces deux pistes du SPF, une priorité nous a paru intéressante et particulièrement stratégique dans la perspective de réduction des pesticides et des risques : la mise en place d’un système de taxation en fonction de la nuisance et des risques. Le Danemark applique un tel régime depuis 2010. Il a permis de réduire la charge nationale en pesticides de 40 % et de générer quelques 87 millions d’euros par an. Le SPF est toutefois resté prudent sur cette piste en la limitant à une étude de faisabilité technique, sans préjudice des choix politiques qui devraient être assumés pour mettre en œuvre un tel système de taxation.

 

Où sont les vraies solutions ?

« Pour être franc, je ne suis pas optimiste » conclut Maarten Trybou. Sur ce constat-là, nous sommes d’accord. Le panorama actuel, en Belgique comme en Europe, est loin d’être enthousiasmant en matière de réduction des pesticides. On avance par essai-erreur, produit par produit. Les molécules autorisées un jour sont finalement interdites parce que la réalité montre qu’elles sont trop toxiques. Elles sont alors remplacées par de nouvelles molécules, moins risquées selon les études scientifiques produites principalement par l’industrie, pour à leur tour finalement être interdites, et ainsi de suite. Là où le SPF parle de stimuler les produits à faible risque et privilégier les applications ciblées, nous aurions préféré que l’accent soit réellement mis sur des modes de production et des techniques de production qui s’affranchissent des pesticides, avec un focus sur les variétés robustes, la lutte intégrée contre les ravageurs. Si tant est que l’objectif est vraiment de s’affranchir des pesticides !