Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°172
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Par Claire Lengrand,
rédactrice pour Nature & Progrès
Fondée sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans, la Charte des communes paysannes invite les citoyens, les paysans et les élus locaux à s’allier afin d’instaurer des politiques publiques mettant en œuvre les droits paysans dans les communes wallonnes et bruxelloises.
« Imaginez un pays… déserté par ses paysans. Plus de pieds ni de mains dans la terre, plus aucune trace de pas sur le sol, plus de sol à observer ni de ciel à inspecter, plus de traditions, plus d’histoires à conter… ». C’est par une succession de mots décrivant une contrée lacunaire, privée des humains œuvrant à rendre sa terre fertile et ses paysages nourriciers, que débute la Charte des communes paysannes.
Protégeons nos paysans
Selon l’Organisation des Nations Unies (ONU), les petits exploitants produisent un tiers des aliments consommés dans le monde. Au niveau mondial, on estime à 510 millions le nombre de petites fermes (de moins de 2 ha) sur un total de 608 millions, soit 84 %. Dans l’Union européenne, elles représentent 70 % de l’ensemble des fermes. Selon La Via Campesina, le plus grand mouvement représentant les paysans dans le monde, environ 60 millions de personnes travaillent dans la pêche artisanale et l’aquaculture et entre 100 et 200 millions de pasteurs entretiennent 25 % de la surface terrestre mondiale.
Si ces paysans et paysannes sont des piliers de notre souveraineté alimentaire, ils souffrent de la concurrence de l’agrobusiness qui baisse les prix des denrées alimentaire, de l’accaparement des terres au profit de l’agriculture industrielle, de la répartition inéquitable des subventions de la Politique Agricole Européenne et des changements climatiques. La survie de l’agriculture paysanne nous concerne tous, à travers la production alimentaire, par l’entretien des milieux naturels qui constituent notre environnement de vie et qui rendent notre planète habitable, mais aussi par le maintien de zones rurales vivantes et du lien social entre les habitants de ces zones isolées.
En réponse à l’industrialisation de l’agriculture et à ses dérives, l’association Nature & Progrès s’est fondée sur base de la définition et de la défense d’un modèle alimentaire reposant intégralement sur l’agriculture familiale, soit la paysannerie. La défense des droits des paysans rentre donc dans ses préoccupations premières, car face aux nombreuses menaces pesant sur celles et ceux qui nous nourrissent, il est nécessaire d’agir.
La déclaration des droits des paysans
Le 12 octobre 2023 fut un jour historique pour la cause paysanne au niveau mondial. Lors de la 54e session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, une large majorité des Etats-membres, dont la Belgique, a voté en faveur d’une résolution afin de poursuivre la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans, paysannes et autres personnes travaillant en zone rurale (plus communément appelée UNDROP). Pour assurer son suivi, un groupe de travail composé de cinq experts indépendants a été mandaté pour une période de trois ans. Cette déclaration, approuvée le 17 décembre 2018 par l’ONU, fut le fruit d’un combat de longue haleine mené par l’ONG La Via Campesina, considérée comme le plus important mouvement de paysans producteurs d’aliments au monde. De portée universelle, elle entend répondre, à travers 28 articles, aux nombreuses difficultés auxquelles le monde paysan est confronté.
La Via Campesina analyse que parmi ses 28 articles, « l’UNDROP réaffirme non seulement des droits humains existants, mais introduit également de nouveaux droits spécifiques aux paysans : parmi eux, le droit à la souveraineté alimentaire (article 15), le droit à la terre et aux autres ressources naturelles (article 17), le droit à un environnement sûr, propre et sain (article 18), le droit aux semences (article 19) et le droit à la diversité biologique (article 20) ». La déclaration comprend également des droits humains collectifs, une innovation sociale importante sa basant sur le fait que certains droits n’ont pas de sens en dehors du collectif et que leur caractère justiciable dépend de la continuité et de la cohérence du collectif.
Depuis mai 2024, un groupe de travail a donc pour rôle de promouvoir une diffusion et une mise en œuvre efficaces et généralisées de l’UNDROP et d’identifier, de partager et de promouvoir les bonnes pratiques et les enseignements tirés de la mise en œuvre de l’UNDROP.
Agir localement pour un impact global
En Wallonie, le Mouvement d’Action Paysanne (MAP) s’est inspiré de cet outil juridique pour rédiger sa propre déclaration : la Charte des communes paysannes. Rédigée à l’occasion des élections communales (de 2018 puis de 2024) par le MAP aux côtés de paysans, citoyens et associations partenaires, cette charte s’adresse en priorité aux élus politiques communaux. Ces derniers, qui disposent d’une large autonomie dans le cadre de leurs compétences, peuvent montrer l’exemple et influer auprès des instances supérieures. « Même si cette charte, tout comme l’UNDROP, n’est pas légalement contraignante, on espère qu’à long terme, des choses concrètes en résultent », soulève Johanne Scheepmans, chargée des formations au sein du MAP.
La charte ambitionne surtout de faire connaître l’UNDROP et de l’appliquer localement.
Elle reprend pour cela dix droits paysans y figurant : les obligations générales des Etats, la liberté d’association, les droits à la participation (aux politiques locales), à l’alimentation et à la souveraineté alimentaire, à un revenu et à des moyens de subsistance décents et aux moyens de production, le droit à la terre, à un environnement propre, sûr et sain à utiliser et à gérer, le droit aux semences, à la diversité biologique, à l’éducation et à la formation.
Les communes peuvent adhérer à une ou plusieurs mesures, ainsi qu’à d’autres aspects se trouvant dans l’UNDROP.
Allier forces paysannes et citoyennes
Passer par l’échelon local permet aussi d’impliquer le citoyen et, ainsi, de créer des alliances entre les différents acteurs d’un territoire. « En Belgique, les paysans et les paysannes sont trop peu nombreux pour pouvoir agir seuls. N’oublions pas qu’il y a deux générations en arrière, nous étions tous paysans. Si, aujourd’hui, tout le monde ne produit pas de la nourriture, tout le monde mange et a une responsabilité dans la manière dont l’alimentation est produite. », rappelle Johanne Scheepmans.
Quels types d’actions peuvent être mises en place ? Si certaines mesures nécessitent des moyens financiers, comme la rénovation d’un hall, les communes peuvent valoriser leurs propres ressources. « Ce sont de petites choses qui, l’air de rien, peuvent aider. Par exemple, beaucoup de nos producteurs sont diversifiés. Un maraîcher qui a un surplus de tomates pourrait bénéficier d’un local mis à disposition par la commune à ce moment-là. Cela permettrait de soutenir la transformation », illustre Johanne. La charte regorge d’autres propositions : faire un état des lieux afin d’évaluer l’autonomie alimentaire d’une commune et voir comment répondre aux besoins des habitants, tester la Sécurité Sociale de l’Alimentation, créer une régie communale paysanne, préserver les terres nourricières des projets d’urbanisation, favoriser l’installation de projets paysans ou agroécologiques, cartographier les potagers partagés, prévoir des espaces à cultiver dans les lotissements et quartiers, etc.
Agir au plus vite
On le voit : il y a mille et une manières d’agir collectivement pour améliorer son environnement proche et assurer sa subsistance. La Charte en est la preuve. Depuis sa création en 2018, quelques communes y ont adhéré. Mais dans l’ensemble, « les choses bougent lentement alors que l’urgence se situe à plein de niveaux », regrette Johanne Scheepmans, qui rappelle que la survie de la paysannerie est en jeu : « Avec les crises se succédant, on veut pouvoir garantir de nourrir nos habitants. » Les associations paysannes ne baissent pas les bras pour autant. De nouvelles actions sont prévues cette année, dont l’organisation de formations destinées aux citoyens désireux de porter la charte auprès des élus de leur commune. « Ce sera aussi l’occasion d’expliquer le suivi qui va être fait, avec une évaluation fixée le 17 avril, journée internationale des luttes paysannes », précise Johanne.
A nous, citoyens !
Association initiée par des citoyens, des paysans et des artisans, Nature & Progrès milite pour un système agricole à taille humaine, respectueux de la nature et des hommes. Oui, nous voulons que nos campagnes grouillent d’hommes et de femmes plongeant les mains dans la terre pour nous nourrir de manière saine, en travaillant avec la nature et non contre elle, en contribuant à la beauté de nos paysages et à la préservation de la biodiversité. Paysans et paysannes constituent notre identité culturelle, les racines de nos sociétés.
L’agriculture paysanne est la seule à pouvoir garantir l’échelle locale et humaine indispensable à un travail de la terre « en bon père de famille », pour notre santé et celle de la Terre. C’est donc tout naturellement que l’association soutient la mise en œuvre de la déclaration des droits des paysans de l’ONU ainsi que sa déclinaison belge initiée par le MAP. Nous pouvons tous, en tant que citoyens, interpeller nos élus pour faire avancer la cause paysanne par les multiples leviers qu’ils ont sous la main.
AGISSONS ! Et si nous utilisions cette charte pour interpeller nos élus locaux et leur proposer de soutenir l’agriculture familiale, bio et locale, que nous souhaitons préserver ? Elle regorge d’idées, parfois simples à mettre en œuvre. Partagez-nous vos démarches ! (sylvie.laspina [at] natpro.be)
REFERENCES
La Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans est disponible sur la Bibliothèque numérique des Nations unies : https://digitallibrary.un.org/record/1650694?ln=fr&v=pdf
La Charte commune paysanne est consultable sur https://chartecommunepaysanne.lemap.be/
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