Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°172
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Par Virginie Pissoort,
chargée de campagnes
chez Nature & Progrès
Ce 17 janvier, les négociations sur les nouvelles techniques génomiques ont repris au niveau européen. Toujours sans aucune consultation de la population sur ces OGM de seconde génération que la Commission européenne propose de mettre « sans filet » sur le marché. Or, la proposition de compromis de la Pologne ne résout pas toutes les lacunes du texte initial. De son côté, le président du Mouvement Réformateur voit les choses sous un prisme bien éloigné des inquiétudes de Nature & Progrès.
En tant qu’association concernée par les impacts de notre système alimentaire sur notre environnement et notre santé, Nature & Progrès s’intéresse, depuis la naissance de cette problématique, aux OGM et nouveaux OGM. Se donnant les moyens d’une expertise sur un sujet très technique, l’association veut informer les citoyens et agriculteurs sur le dossier, les aider à décrypter les enjeux à la lumière des connaissances scientifiques et d’une analyse des intérêts et positions des parties prenantes, et mettre en débat la question des (nouveaux) OGM et de leurs impacts. Ce rôle de médiateur doit donner la possibilité à quiconque de défendre sa position auprès des politiques et d’exercer ses droits en tant que citoyen concerné par ces questions.
Juste après notre interpellation d’il y a un an (lire notre analyse n°9/2024), le dossier de la dérégulation des nouvelles techniques génomiques (NTG) ou « nouveaux OGM » avait connu une avancée significative au niveau du Parlement européen, avec l’adoption d’un texte relativement moins mauvais que celui initialement proposé par la Commission européenne. Les députés européens ont maintenu l’étiquetage obligatoire de tous les produits NTG et leur interdiction en agriculture biologique.
Breveter, ou non, les nouveaux OGM ?
Au niveau du Conseil de l’Union européenne, les Etats ne parviennent pas à s’entendre sur un texte, nonobstant la détermination de la présidence espagnole (2023) puis belge (janvier-juin 2024) de parvenir à une majorité qualifiée avant la fin de leur mandat. Le caillou dans la chaussure des négociateurs est la question de la brevetabilité de ces NTG, et donc, la question de l’accessibilité aux semences dans une configuration déjà oligopolistique. Aujourd’hui, les cinq grandes entreprises semencières concentrent plus de 60 % du capital semencier dans le monde.
Alors que les Parlementaires européens ont voté un texte qui interdit purement et simplement la brevetabilité des NTG, la Présidence belge avait proposé de n’exclure de la brevetabilité que les NTG de catégorie 1. Ces derniers, qui regroupent les plantes comprenant moins de 20 modifications génétiques, seraient considérés comme équivalents aux végétaux conventionnels. La Hongrie a timidement repris le flambeau. Plutôt opposée à la dérégulation, elle n’a pas mis beaucoup d’ambition pour sceller un texte. Il faut savoir que la réglementation des brevets dépasse les Etats membres de l’Union européenne puisqu’elle concerne 39 Etats européens réunis au sein de la Convention européenne sur les brevets.
Des centaines de demandes de brevets ont d’ores et déjà été déposées à l’Office européen des brevets. Elles concernent la technologie NTG la plus répandue, CRISP CAS9, et des semences modifiées issues de cette technologie.
La Présidence polonaise sème la confusion
Contre toute attente, la Pologne, sans doute préoccupée de laisser le Danemark s’emparer du dossier en juillet 2025 avec une vision encore plus libérale en la matière, a sorti un texte tout à fait novateur. Mais novateur ne veut pas dire porteur. Les retours du premier round de négociations ce 20 janvier laissent à penser que la partie sera serrée. Car à force de vouloir contourner l’obstacle de la brevetabilité, c’est l’imbroglio juridique et la confusion qui semblent émerger davantage que la solution.
Pour les NTG de catégorie 1, la Pologne propose que le produit final issu de nouvelles techniques génétiques, c’est-à-dire la variété modifiée ou l’introduction de caractéristiques spécifiques (résistance à la sécheresse, …), puisse être breveté. Mais dans ce cas, il serait soumis à une obligation d’étiquetage « protégé par un brevet » ou « demande de brevet en cours ». Les États membres auraient la possibilité de restreindre ou d’interdire la culture d’une telle variété sur leur territoire mais pas sa commercialisation, et ce, dans le souci de maintenir le marché unique. Ce tour de passe-passe, qui n’interdit pas les brevets mais qui vise à en limiter la portée, suppose la création d’une lourde procédure de vérification de l’existence de brevets sur les plantes NTG, qui repose entièrement sur la Commission européenne.
Sans garantie que cela ne fracturera pas davantage un marché déjà fragmenté, ni que cela bridera le monopole des grandes entreprises semencières, cette proposition alambiquée et complexe sème la confusion plutôt que le réconfort d’un compromis satisfaisant.
Les problèmes persistent
Mais concentrée sur l’épineuse question des brevets, la version amendée par la Pologne ne résout pas les principales faiblesses de la proposition de la Commission européenne, et ce, au préjudice des agriculteurs et agricultrices bio et conventionnels et des consommateurs. En l’espèce, elle n’apporte aucune proposition concrète sur : (1) l’absence de justification scientifique solide à la distinction entre les deux catégories de NTG ; (2) l’absence de toute sorte d’évaluation des risques pour la santé et pour l’environnement de la majeure partie des NTG (les NTG 1) ; (3) l’absence d’étiquetage systématique des produits issus de ces nouvelles technologies, des semences aux produits finis, pour tous les NTG (sauf les semences brevetées) et (4) l’absence d’identification de méthodes de détection et de traçabilité de ces nouvelles technologies, clairement identifiées et utilisables pour tous les NTG. Seul point positif : la Pologne maintient l’interdiction des NTG 1 en agriculture biologique. Cependant, l’absence de règles de coexistence claires et des balises exposées ci-dessus rend, dans les faits, cette absence de NTG dans le bio illusoire. Pour Nature & Progrès, cette proposition reste donc inacceptable.
Sécuriser l’abstention de la Belgique
Jusqu’ici, la position officielle de la Belgique sur ce dossier était l’abstention. Au carrefour des enjeux agricoles, environnementaux et de santé publique et au croisement des compétences fédérales et régionales, compte tenu des couleurs politiques à la table des discussions, c’est l’abstention qui prévaut, faute de consensus. Abstention sur un dossier qui, encore aujourd’hui, ne fait pas l’objet de débat démocratique au sein de la société. A la suite d’une interpellation en commission parlementaire en septembre dernier, la Ministre de l’agriculture wallonne, Anne Catherine Dalcq, avait répondu que la Wallonie n’avait pas encore adopté de position sur le projet européen, mais que celle-ci « prendrait en compte les avis de toutes les parties prenantes et … de leur sûreté pour la santé humaine, animale et pour l’environnement. » (1). Jusqu’ici, nous n’avons pas eu vent de consultations. Or, les négociations avancent. Pas de position claire au niveau régional. Et au niveau fédéral, un gouvernement en affaire courante, qui maintient a priori l’abstention. Mais l’absence de gouvernement au niveau de Bruxelles-Capitale (historiquement contre la dérégulation) et les négociations de l’Arizona laissent entrevoir les risques de voir cette position évoluer et un « oui » l’emporter.
Afin d’assurer une opposition belge – ou, au minimum, le maintien de l’abstention – sur le dossier, Nature & Progrès a lancé, via les réseaux sociaux, une importante mobilisation citoyenne. Un dossier d’information a été diffusé afin que chacun et chacune puissent comprendre les enjeux qui se trament autour de la question des NTG et la nécessité d’interpeller les ministres. Afin d’encourager l’action des citoyens face à un dossier très technique, un courrier-type adressé aux politiques a été proposé (2). Il demande aux ministres de prendre en compte les lacunes du texte proposé par la présidence polonaise et de voter contre – ou, au minimum, s’abstenir – le projet de dérégulation des OGM.
Un MR favorable aux NTG
Le président du Mouvement Réformateur, Georges-Louis Bouchez, a répondu à ces courriers (3). Si sa réaction n’est pas vraiment surprenante, elle manque de justesse et d’honnêteté intellectuelle, à moins que ce ne soit d’une connaissance approfondie du dossier.
En effet, Georges-Louis Bouchez commence par reprendre les arguments sur les vertus des NTG pour lutter contre le changement climatique (plus faibles besoins en eau, limitation de l’émission de CO2…), pour réduire l’utilisation des pesticides, pour augmenter les rendements, etc. Autant d’arguments avancés par l’industrie comme une litanie depuis que les OGM existent, mais qui n’ont jamais fait leur preuve dans la pratique. Il s’emberlificote ensuite sur le principe de précaution, invoqué à juste titre par la société civile pour s’assurer que des balises soient maintenue dans le cadre de ces techniques génomiques. Il évoque l’absence de preuve de la nocivité des NTG alors même que ce principe de droit européen permet de légiférer en cas de doutes (et non de preuves) sur la non-nocivité des produits. Il poursuit en indiquant que « le principe de précaution invite plutôt à réglementer sans tarder les NTG ». Erreur ou ignorance ? Les NTG sont réglementés dans le cadre de la directive actuelle sur les OGM. L’application du principe de précaution préconise justement qu’une forme de régulation de ces produits soit maintenue, les techniques fussent-elles nouvelles par rapport aux OGM de première génération.
Sur quoi, il invoque alors un certain courrier signé en janvier 2024 par 35 Prix Nobel, qui indique que « l’interdiction des NTG pourrait coûter 300 milliards d’euros par an à l’économie européenne ». Primo, les NTG ne sont pas, à ce jour, interdits ; ils sont réglementés en tant qu’OGM. Secundo, la valeur et la pertinence de ce courrier est questionnable. Lesdits prix Nobels ne sont pas désintéressés des profits économiques qui pourraient découler de l’utilisation des NTG. Certains sont même en première ligne, comme J. Doudna et E. Carpentier, connus pour avoir inventé la technologie CRISP CAS9 et titulaires de plus de 500 demandes de brevets à travers le monde sur cette technologie. Quant au calcul des 300 milliards d’euros, il serait utile de savoir dans la poche de qui ils seraient perdus et de mettre en perspective le coût économique de la dérégulation des NTG pour toute une série d’acteurs pour qui l’arrivée des NTG serait dommageable : exportateurs dans des marchés opposés aux OGM, secteur bio, semenciers exposés aux licences de brevets, etc. Enfin, Georges-Louis Bouchez s’en remet au député européen du Mouvement Réformateur, Benoit Cassart, issu du monde agricole, comme si la casquette d’agriculteur éleveur de bovins validait scientifiquement une position sur les techniques d’édition du génome pour les végétaux.
Loin de convaincre, la réponse du dirigeant inquiète. La question des brevets sur les nouveaux OGM est centrale dans la mesure où elle attire avec elle un intérêt économique énorme pour une série d’acteurs – chercheurs, multinationales semencières… – qui ont « le bras long » et influencent les négociateurs. Or, l’intérêt de toute la société est en jeu ! Une réelle mise en débat de la réglementation touchant les nouveaux OGM s’impose, en incluant les citoyens, les agriculteurs et des acteurs scientifiques indépendants. Sans compter, on ne le dira jamais assez, que des alternatives existent !
REFERENCES
- https://nautilus.parlement-wallon.be/Archives/2024_2025/CRIC/cric5.pdf
- La proposition de courrier est consultable sur notre site : https://www.natpro.be/nouveaux-ogm/interpeller/
- Vous pouvez retrouver la réponse de Georges-Louis Bouchez sur notre site : https://www.natpro.be/wp-content/uploads/2025/01/Reponse-type-Georges-Louis-Bouchez-NTG.pdf
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