Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°172

***

 

Par Virginie Pissoort,

chargée de campagnes
chez Nature & Progrès

Réunir acteurs professionnels, politiques et experts pour aborder de front la problématique des PFAS dans les pesticides agricoles, tel était l’objectif de notre colloque du 17 janvier dernier. Retour sur cette journée riche en enseignements.

 

2024 a fait couler beaucoup d’encre sur les PFAS, une famille de plus de 4.000 composés chimiques, des polluants particulièrement persistants et toxiques pour notre santé et notre environnement. On en retrouve dans plusieurs pesticides pulvérisés par l’agriculture conventionnelle dans nos campagnes, ce qui a poussé Nature & Progrès et son partenaire PAN Europe à agir pour faire interdire ces composés au plus vite.

Nos trois études exploratoires (1) ont révélé la présence de pesticides PFAS – et leur résidu, le TFA – dans les fruits et légumes, les eaux de surface mais aussi les eaux potables. Bien médiatisées, nos recherches ont mené à un monitoring exhaustif de la présence de TFA dans les 642 zones de captage d’eau potable en Wallonie l’été dernier, qui a confirmé l’étendue des pollutions causées par ces molécules. Même en faisant le choix de la consommateurs bio, nous sommes tous exposés à ces agents toxiques à travers notre environnement et l’eau que nous buvons.

 

Faire le point avec des experts

Après avoir mis en évidence la présence des PFAS dans notre environnement et dans notre alimentation, et médiatisé les études pour interpeller à la fois les citoyens et les décideurs, l’étape suivante est de réunir les parties prenantes pour agir. Le 17 janvier dernier, Nature & Progrès réunissait une série d’experts et de professionnels du secteur agricole pour faire le point sur ces pesticides PFAS et élaborer des pistes de solutions.

Une centaine d’acteurs – comprenant des parlementaires, cabinets ministériels, bureaux d’études, administrations, représentants agricoles, acteurs de la société civile, chercheurs, journalistes, etc.- ont été accueillis aux Moulins de Beez avec un déjeuner 100 % composé de produits bio de producteurs Nature & Progrès. Treize conférenciers ont ensuite pris successivement la parole pour alimenter les connaissances et réflexions en matière de pesticides PFAS, avant la clôture de la journée par le ministre de la Santé et de l’Environnement, Yves Coppieters, et par l’attachée de cabinet de la ministre à l’agriculture, Anne-Catherine Dalcq. 

 

Des polluants largement utilisés et mal évalués

Il a d’abord fallu se mettre à la page sur ce que sont les pesticides PFAS et ce qu’ils représentent, concrètement, en Wallonie et en Belgique. A ce jour, selon l’exposé du représentant de l’administration fédérale, 31 substances actives PFAS contenant au moins un groupe méthyle perfluoré sont autorisées dans des formulations finales diverses, après avoir fait l’objet d’une évaluation des risques conforme aux principes du droit européen. Ils sont autorisés, dès lors que le critère de « permanence » dans l’environnement d’un produit ou de ses métabolites (produits de dégradation) – même s’ils sont (très) mobiles comme le TFA – ne permet pas de les interdire. Le colloque a aussi permis d’identifier d’autres faiblesses du régime d’évaluation en vigueur ou de son application par la Belgique : l’effet cocktail, la pertinence d’étudier leurs métabolites, leurs adjuvants et autres co-formulants, les semences enrobées de PFAS, etc.

S’ils ne constituent pas la majorité des produits utilisés par les agriculteurs conventionnels, on observe que les quantités épandues de ces herbicides, insecticides et fongicides de nouvelle génération est en augmentation nette en Wallonie, notamment dans les cultures de pommes de terre et de céréales d’hiver. Alors que, selon les derniers chiffres connus de Nature & Progrès, 220 tonnes de pesticides PFAS avaient été commercialisés en 2021, Corder nous a parlé de 255 tonnes commercialisées en 2022, dont un petit dernier qui n’était pas dans nos tableaux, le méfentrifluconazole. Ce fongicide, qui a vu le jour en 2022, est immédiatement devenu le plus vendu en Belgique. De plus, une experte en santé publique au sein de la cellule environnement de la Société Scientifique de Médecine Générale a révélé que les pesticides munis d’un groupe méthylène perfluoré ne sont pas repris dans la catégorie des pesticides PFAS en Europe et aux Etats Unis.

Les conférenciers sont unanimes sur le fait qu’il existe trop peu d’études actuellement sur les risques pour la santé et sur l’environnement des polluants PFAS à chaine courte, voire ultra-courte (comme le TFA). On ne peut donc pas affirmer qu’ils seraient moins toxiques, moins bioaccumulables (qui s’accumule dans un être vivant), moins biomagnifiables (qui s’accumule dans la chaîne alimentaire), une plus faible source de perturbation endocrine ou moins toxiques pour la reproduction des êtres vivants. Des études laissent même à penser que leurs effets sur la santé seraient similaires à ceux des PFAS à chaine longue. Quant à l’eau et l’environnement, la contamination exponentielle pose la question préoccupante de non-réversibilité de la pollution environnementale pour les générations futures, selon Bruno Schiffers.

 

Un cadre juridico-légal précis et complexe

Les conclusions de ces scientifiques indépendants convergeaient vers les revendications de Nature & Progrès : stopper les sources de contamination en amont. Cela suppose une volonté politique, mais aussi de bien comprendre le cadre légal des pesticides PFAS, de leurs métabolites, au croisement des règlementations sur les autorisations et utilisations des pesticides PFAS et des normes sur l’eau. Cela nous conduit au carrefour du droit européen, fédéral et régional, et donc des responsabilités des différents niveaux de pouvoir. Il a donc fallu s’imprégner de cette multiplicité et complexité de normes et d’acteurs, grâce à PAN Europe, la SPGE et le cabinet d’avocats Law4Nature, pour déceler les « habilitations législatives », comme on dit dans le jargon.

On retiendra le flou sur la définition de « zone spécifique » pour protéger les publics vulnérables, le Code wallon de l’eau et son article 168, jamais activé jusqu’ici, qui donne une large compétence au ministre de tutelle (ministre de l’Environnement) pour légiférer sur les zones de protection des captages, en matière de pesticides. On retiendra aussi la loi sur la protection de la nature qui attribue certaines compétences aux communes … 

 

Perspectives économiques et agronomiques

Préconiser une agriculture sans pesticides PFAS, c’est le point de vue de Nature & Progrès fort de son projet « Vers une Wallonie sans pesticides » et renforcé par l’expérience du centre BRIOAA, dont le représentant n’a eu de cesse d’interpeller l’audience sur la faisabilité et la rentabilité indiscutable d’une agriculture fondée sur l’agroécologie biologique. Selon SYTRA, la Belgique pourrait s’inspirer de l’initiative du Danemark de taxer les pesticides en fonction des risques (Load Pesticides). Dans le même sens, une huitième branche de sécurité sociale, fondée sur l’alimentation, sécuriserait la demande en produits biologiques, en sécurisant l’offre et en dynamisant la production bio. L’expert économique et financier O. Lefebvre est revenu sur le constat d’échec du modèle agricole actuel, sous perfusion et dont les coûts cachés pour la société devront bien, un jour, être pris à bras le corps.

 

Les objectifs de notre colloque, d’informer les acteurs professionnels et politiques sur les pesticides PFAS, sur les risques qui y sont associés pour notre environnement et notre santé, sur les lacunes législatives mais aussi les leviers actionnables à tous niveaux de pouvoir, et sur la nécessité d’une transition vers une agriculture se passant de ces produits, ont été remplis. La diversité des intervenants et leur crédibilité, la position unanime des experts sur la nécessité de supprimer les pesticides PFAS de notre environnement, ne peuvent que mener à l’action de nos politiques. Riche de ces savoirs et de ses échanges, Nature & Progrès poursuit son suivi et ses actions sur ce dossier prioritaire, pour notre santé et celle de la Terre.

 

REFERENCES

 

Cet article vous a plu ?

 

Découvrez notre revue Valériane, le bimestriel belge francophone des membres de Nature & Progrès Belgique. Vous y trouverez des

informations pratiques pour vivre la transition écologique au quotidien, ainsi que des articles de réflexion, de décodage critique sur nos enjeux de

société. Découvrez-y les actions de l’association, des portraits de nos forces vives, ainsi que de nombreuses initiatives inspirantes.

 

 En devenant membre de Nature & Progrès, recevez la revue Valériane dans votre boite aux lettres. En plus de soutenir nos actions,

vous disposerez de réductions dans notre librairie, au Salon bio Valériane et aux animations proposées par nos groupes locaux.