Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°173

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Par Sylvie La Spina,

rédactrice en chef pour Nature & Progrès

Le Ministre wallon du bien-être animal projette d’interdire l’abattage privé à domicile de petits ongulés pour la consommation de la famille. Cette menace touche à l’autonomie alimentaire des particuliers qui font le choix d’assumer pleinement leur responsabilité de mangeurs en élevant et en sacrifiant eux-mêmes les animaux qu’ils consomment, tout en veillant à leur bien-être jusqu’à leur dernier souffle. 

Chez Xavier, deux cochons labourent le potager. Ils seront consommés en hiver.

 

Cultiver un potager pour se fournir en légumes, planter des arbres fruitiers pour en récolter les fruits ou élever des animaux pour consommer leur lait, leurs œufs ou leur viande, sont la base de l’autoproduction alimentaire des ménages. Une étude réalisée en 2022 par l’Observatoire Société & Consommation (ObSoCo) auprès de 4.000 Français (1) a révélé que 67 % de la population majeure du pays pratique au moins une activité d’autoproduction alimentaire.

 

Produire sa propre nourriture

Cette enquête révèle que pour 46 % des personnes sondées, le fait d’avoir la possibilité de manger des aliments sains, bruts et frais arrive en tête des raisons invoquées pour produire sa propre alimentation, pour prendre soin de sa santé. Cette démarche permet aussi de reprendre le contrôle de son alimentation et de la chaîne de production. Ainsi, réduire sa dépendance vis-à-vis des entreprises motive 25 % des autoproducteurs. Produire sa propre nourriture permet à des ménages à bas revenus de subvenir à leurs besoins : 30 % des sondés le font pour des raisons économiques. On retrouve aussi le souhait de se rapprocher de la nature et de développer un lien avec les animaux. L’autoproduction est source de fierté et de bien-être, et permet de créer du lien social. Pour 23 % des sondés, passer du temps en famille est une motivation importante, de même qu’éveiller les enfants à certaines valeurs (23 %) et transmettre ses connaissances (17 %). Enfin, cette démarche renforce la prise de conscience par les citoyens de la valeur de l’aliment et de ce qui en fait la qualité.

 

Une école de la vie

Il est important, en tant que citoyen, de conserver un lien fort avec les animaux élevés pour la production alimentaire. Être confronté aux réalités de l’élevage permet d’être cohérent dans ses choix et dans ses revendications de consommateur. Et au-delà, être confronté à la mort d’un animal, c’est être conscient de sa responsabilité, de la valeur de la viande et de sa symbolique. Francis interpelle : « Il est vital pour nous tous de connaître parfaitement les origines de notre alimentation, de palier à l’immense perte de savoir qu’engendre son industrialisation, de rappeler sans cesse les étapes importantes qui sont préalables au rayon du supermarché. » Marine, quant à elle, témoigne de la place de l’élevage dans sa famille.

« Ces animaux sont au cœur des familles qui les accueillent, inculquant aux enfants les cycles de la vie, de la mort et les composantes de la chaîne alimentaire. »

Les animaux destinés à la consommation du ménage remplissent, durant leur vie, une fonction dans l’entretien du jardin ou dans la valorisation des déchets de cuisine. Chez Céline, les cochons kune kune participent à l’entretien des prairies tandis que chez Xavier, les moutons et les oies entretiennent le verger tout en préservant la biodiversité. D’après le sondage de l’ObSoCo, 82 % des autoproducteurs se disent préoccupés par l’environnement et l’écologie, et 72 % déclarent agir pour protéger la biodiversité. Marine ajoute : « Nos cochons servent à écouler le petit lait, qui serait un déchet autrement. Ils préparent nos terrains pour les futures cultures en remuant la terre et en la fertilisant. Ils vivent heureux et nous fourniront notre nourriture carnée pour l’année. Ils seront abattus et découpés par un professionnel. »

 

Défendre notre droit

Le droit de produire sa propre nourriture, tout comme le droit de la cuisiner, est d’une importance capitale car il répond à notre besoin fondamental de nous alimenter, de faire des choix concernant la qualité de la nourriture et la manière dont elle est produite. Il est impensable de remettre en question cette autonomie alimentaire, d’obliger le citoyen à déléguer la production de sa nourriture à des professionnels de l’agriculture ou de l’industrie agro-alimentaire. Francis interpelle :

« Interdire l’abattage privé revient à poursuivre cette marchandisation galopante du moindre aspect de notre vie sociale »

 

Le contact des enfants avec les animaux d’élevage leur apprend l’origine et la valeur de l’alimentation.

 

Autoproduction alimentaire et bien-être animal, incompatibles ?

Pour de nombreux particuliers, élever et abattre eux-mêmes les animaux qui finissent dans leur assiette est une manière de s’assurer de leur bien-être et de leur respect depuis leur naissance jusqu’à leur dernière heure. Associer la recherche de bien-être pour ses animaux et le fait d’abréger leur vie pour les consommer semble incompatible et incompréhensible pour de nombreuses personnes. Pourtant, à côté d’une décision de se passer totalement de produits carnés pour réduire la souffrance animale, reprendre la main sur l’élevage et la mise à mort des animaux qui nous nourrissent est une solution alternative.

La différence avec les filières professionnelles se manifeste pendant toute la vie de l’animal. Etant donné l’absence de contraintes économiques pesant parfois lourd sur les pratiques des professionnels, les particuliers peuvent offrir à leurs animaux des conditions de vie plus douces en élevant de petits groupes d’animaux dans des espaces extérieurs et en développant un lien fort avec eux.

« Vaut-il mieux aujourd’hui être un cochon enfermé dans un bâtiment par centaines, sans aucun accès à la lumière du jour, ou un cochon élevé dans un jardin avec un ou deux congénères ? » Xavier

 

Jusqu’au dernier souffle

Des règles encadrent l’élevage et la mise à mort de toutes les espèces domestiques, autant chez les professionnels que chez les particuliers. Les contrôleurs du bien-être animal de la région wallonne ont pour mission de faire respecter cette législation chez tous les citoyens.

En ce qui concerne l’abattage, les normes européennes sont reprises dans le règlement européen (CE) n°1099/2009 (2). L’article 3 précise : « Toute douleur, détresse ou souffrance évitable est épargnée aux animaux lors de la mise à mort et des opérations annexes. » La pratique de l’étourdissement est précisée à l’article 4 : « Les animaux sont mis à mort uniquement après étourdissement selon les méthodes et les prescriptions spécifiques exposées à l’annexe I. L’animal est maintenu dans un état d’inconscience et d’insensibilité jusqu’à sa mort. »

L’abattage privé des volailles, moutons, chèvres et cochons peut encore, au contraire des filières professionnelles, être réalisé à domicile, dans le milieu de vie des animaux. C’est une situation privilégiée pour leur bien-être, qui est, par ailleurs, revendiquée par de nombreux éleveurs. Ces derniers réclament la mise en place d’abattoirs mobiles ou d’autres dispositifs permettant d’abattre à la ferme (3).

 

Mieux à la maison

Abattre à domicile permet d’éviter le stress du chargement, du transport, du déchargement à l’abattoir et de l’attente avant la mise à mort par des personnes non familières pour l’animal. De plus, dans le cas de l’abattage pour consommation personnelle qui concerne de petits volumes, les animaux sont souvent abattus seuls. Pour les amener à l’abattoir, il est nécessaire de les séparer du reste du troupeau, ce qui est un facteur de stress important et complique le plus souvent l’opération d’abattage. Quand il est nécessaire de faire appel à un transporteur professionnel, pour des déplacements excédant 50 kilomètres, l’animal est mélangé avec d’autres individus, ce qui représente une source d’anxiété intense.

Une citoyenne anonyme témoigne : « Si nous voulons abattre nos animaux à domicile, c’est justement pour une question de bien-être de l’animal et de son éleveur. Charger un cochon seul dans une bétaillère (ou pire, avec d’autres animaux inconnus), traverser toute la Wallonie (car il n’y a presque plus d’abattoirs), les déposer dans l’abattoir (un endroit inconnu source d’énormément de stress) et finalement, les étourdir par asphyxie au dioxyde de carbone… Un coup de pistolet d’abattage dans leur box ou leur prairie, sans qu’ils ne voient rien venir, c’est le mieux que l’on puisse faire pour le moment. » Manoëlle complète : « J’abats quelques moutons et un ou deux cochons chaque année, pour notre autonomie alimentaire. Il serait hors de question d’amener ces animaux à l’abattoir ! Pour une raison de bien-être animal avant tout. » Manoëlle

Tandis que de nombreux particuliers font réaliser l’abattage par une personne expérimentée, certains tiennent à reprendre ou à garder la main sur cet acte. Pour Xavier, « Il s’agit d’endosser entièrement la responsabilité du sacrifice de l’animal. Il est trop facile de déléguer. Pour moi, c’est un réel besoin, une évidence ». Stéphane ajoute :

« Dans un abattoir, il s’agit d’un processus mécanique alors qu’à domicile, il s’agit d’un geste inscrit dans une relation affective. »

Interdire l’abattage privé à domicile pour les moutons, chèvres, cochons et gibier d’élevage revient à priver le particulier de la possibilité de fournir à ses animaux les meilleures conditions de bien-être jusqu’à leur dernier souffle. Pour un ménage souhaitant abattre un mouton ou un cochon, la seule solution laissée par ce projet de législation serait d’amener ses animaux dans un abattoir agréé, un lieu qui suscite des inquiétudes étant donné l’impossibilité de les accompagner jusqu’au bout de leur vie. Or, comme s’en inquiète Nature & Progrès depuis plusieurs années, le nombre de structures d’abattage se réduit comme peau de chagrin.

 

Des abattoirs inaccessibles

En Wallonie, six abattoirs de porcs sont actifs (Lovenfosse, Goemaere, Porc Qualité Ardenne et les abattoirs communaux d’Ath, de Gedinne et de Virton) (4). Les trois premiers sont réservés aux professionnels. L’abattoir d’Ath fermera ses portes le 1er juillet 2025 (5). Pour les particuliers, il ne restera donc que deux possibilités d’abattre un cochon pour consommation personnelle : à Gedinne et à Virton. En ce qui concerne les moutons, les abattoirs actifs sont Wama Beef à Ciney, l’abattoir intercommunal de Liège et les abattoirs communaux d’Aubel, d’Ath, de Gedinne et de Virton. Il ne restera donc bientôt plus que cinq abattoirs pour ovins accessibles en Wallonie. Accessibles… pour qui pourra y amener son animal, car le transport par le particulier est limité à 50 kilomètres de chez lui. Pour de plus longues distances, il faut donc faire appel à un transporteur professionnel.

Par ailleurs, tous les abattoirs ne proposent pas la découpe de l’animal, comme à Gedinne ou à Aubel. Pour un particulier, il est plus compliqué de prévoir le rapatriement de la carcasse à domicile que d’organiser cette transformation chez soi. L’éleveur amateur qui dispose rarement d’une chambre froide planifie ses abattages pour les faire correspondre aux mois d’hiver, lorsque la température ambiante est suffisamment basse pour travailler dans des conditions hygiéniques dans une pièce non chauffée.

Cette inaccessibilité des abattoirs et la difficulté d’organiser la suite du processus de transformation de viande au départ de plusieurs de ces structures constituent un frein important. L’interdiction d’abattage privé à domicile empêcherait de nombreuses personnes de poursuivre l’élevage d’animaux pour la consommation de leur ménage.

AGISSONS !

Nature & Progrès s’oppose à ce projet d’interdiction et veut proposer un meilleur encadrement de l’abattage privé à domicile, en vue de garantir le bien-être animal. Nous vous invitons à nous rejoindre pour en débattre et pour élaborer des propositions qui soutiendront le travail de plaidoyer de Nature & Progrès. Des rencontres seront organisées en Wallonie fin mai. Manifestez votre intérêt auprès de Murielle (murielle.degraen@natpro.be) ou au secrétariat.

REFERENCES

Témoignages de particuliers élevant et abattant des animaux pour leur consommation personnelle recueillis via la création d’un groupe de discussion sur Facebook.

(1) Gamm’Vert. 2022. Communiqué de presse : L’observatoire de l’autoproduction. 7 pages.

(2) Règlement (CE) N°1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort.

(3) Sylvie La Spina. 2017. Développer l’abattage de proximité… Et pourquoi pas à la ferme ? Valériane n°125.

(4) Université de Liège. 2022. Opportunités de développement de l’abattage à la ferme en Wallonie. Rapport, 336 pages. https://bienetreanimal.wallonie.be/files/documents/Documentation/2022_Uliège_RW_Abattageferme_public.pdf

 

 

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