La peste et bientôt le choléra ?

L’irruption de la Peste Porcine Africaine (PPA) en Gaume met toute la filière porcine en grande difficulté, avec un préjudice économique qui s’annonce énorme. Alors que l’abattage de quatre mille porcs sains issus de petits élevages locaux est vécu comme un véritable gâchis, l’inquiétude s’installe désormais sur le long terme. Et pas seulement chez les éleveurs de porcs ! Du côté des (ir)responsabilités, tous les regards se tournent vers les grandes sociétés de chasse… 

Par Marc Fasol

Introduction

A Nassogne, qui ne connaît pas la Maison Magerotte ? Propriétaire d’une boucherie artisanale élue parmi les dix meilleures de Belgique, André Magerotte y pratique la vente directe. Artisan-boucher, gardien de la grande tradition salaisonnière ardennaise, l’homme est avant tout éleveur. En 1998, la piètre qualité gustative de la viande de porc issue d’élevages industriels le laisse sur sa faim. Partant du principe que les méthodes doivent s’adapter à l’animal et non le contraire, il décide, avec l’aide de feu son frère, de revoir complètement le processus d’engraissement. La bonne vieille méthode ancestrale est alors remise sur pied et un cheptel de quelque quatre cents porcs est constitué : née en prairie et hébergée dans de jolies cabanes en bois en lisière de la Forêt de Saint-Hubert, chaque bête dispose de pas moins de quatre cents mètres carrés de pâtures, de quoi s’épanouir dans les normes les plus strictes de santé et de bien-être animal. Le tout s’inscrivant dans un type d’élevage parfaitement durable, à défaut dans ce cas d’être certifié bio.

Afin de pouvoir s’adapter au climat de l’Ardenne, deux races particulièrement rustiques sont croisées : un verrat – porc mâle – de race Duroc, connue pour la finesse de sa viande, avec une truie Landrace, connue pour ses qualités maternelles. Perfectionniste dans l’âme, l’éleveur recourt même à un deuxième croisement. Le résultat est sensationnel : le “Porc des prairies d’Ardenne®” est né ! Proche de la race ancestrale, il est désormais protégé par une marque déposée. Un label d’excellence que bien des filières lui envient.

Coup de théâtre !

13 septembre 2018. Un agent de la DNF tombe sur deux carcasses suspectes de sangliers près d’Etalle, en Province de Luxembourg. Ils seront déclarés porteurs du virus de la PPA. Très vite, un périmètre de sécurité est décrété. Une zone interdite à toute activité couvrant soixante-trois mille hectares. Périmètre revu à la baisse – douze mille cinq cents hectares – et clôturé un mois plus tard, à savoir la zone forestière où ont été retrouvés tous les cas positifs. L’ensemble est englobé par une “zone tampon” plus vaste où les forestiers peuvent poursuivre leurs activités. Le tout est encore flanqué d’une “zone de surveillance renforcée” qui s’étend au sud du pays jusqu’à la frontière française… où nos voisins sont aussi sur pied de guerre. Chez Magerotte, sans perdre une minute, une nouvelle clôture électrifiée d’un mètre vingt de hauteur est préventivement installée sur plusieurs kilomètres. Tout contact avec les sangliers de la forêt voisine doit être rigoureusement évité.

Hélas le risque zéro n’existe pas, soupire l’éleveur, je reste très préoccupé : si l’épidémie se répand et que l’AFSCA m’oblige un jour à confiner mes bêtes, je suis dans l’impossibilité de le faire et, si mon cheptel est contaminé, c’est vingt ans de travail qui passent à la trappe…

En Gaume, à l’intérieur du périmètre de sécurité, quatre mille porcs sont abattus dans la précipitation. Le désastre n’est pas seulement éthique et moral pour les éleveurs mais aussi économique : le fruit d’un travail de longue haleine, vendu essentiellement en circuit court, est anéanti en quelques jours. Le ministre fédéral Denis Ducarme a-t-il cédé aux exigences du Boerenbond flamand dont les élevages industriels excédentaires destinés à l’exportation – Inde, Corée et Chine – sont jugés prioritaires ? Deux petits éleveurs concernés – dont la Ferme du Hayon, signataire de la charte éthique de Nature & Progrès – attaquent l’arrêté ministériel au Conseil d’Etat. Signalons que, dans le domaine, l’hypocrisie règne en maître puisque nos porcs étaient sains, tandis que ceux des Chinois sont contaminés ! Hé oui, la Chine est le plus grand réservoir de PPA au monde…

Rassurés pour autant ? Pas si vite ! En effet, le virus, sans danger pour l’homme, est très virulent. Et quand bien même il serait possible de vacciner toute la faune sauvage, il n’existe à ce jour ni traitement, ni vaccin ! Reste tout ce qui se passe dans l’ombre, dans un milieu très fermé : celui des sociétés de chasse. En la matière, Magerotte n’a pas sa langue en poche quand il s’agit de dénoncer les abus et autres pratiques illégales de certaines d’entre elles. Créateur de l’appellation “Gibier éthique d’Ardenne”, l’artisan-boucher a visiblement fait son examen de conscience depuis longtemps : il ne vend dorénavant que du gibier prélevé sans stress, issu d’une chasse respectueuse de l’animal et de l’environnement (1).

Les associations jouent les Cassandre

Le plus incompréhensible dans cette crise, c’est que la catastrophe était annoncée depuis belle lurette. Dans notre analyse intitulée “Haro sur les sangliers”, dès le début de 2018, nous évoquions déjà âprement tous les problèmes suscités par la surdensité des sangliers en forêt : ils y étaient, selon les sources, de trois à sept fois trop nombreux or les problèmes sont fortement liés aux nourrissages prétendument “dissuasifs” (2). De telles surdensités accroissent non seulement le risque d’apparition de la PPA – jusqu’à cent cinquante sangliers peuvent se rassembler aux points de nourrissage ! – mais elles en augmentent aussi la vitesse de propagation, rendant la situation totalement ingérable, deux points non abordés dans notre précédente analyse…

Lorsqu’au début de la crise, le porte-parole du Royal Saint-Hubert Club de Belgique (RSHCB) tente de faire passer les chasseurs pour des victimes, le sang du président d’Inter Environnement Wallonie ne fait qu’un tour. Indigné, il dénonce “la responsabilité, l’ignominie et le lobbying forcené qu’exercent les chasseurs auprès des décideurs politiques !” Même son de cloche dans le camp des associations de conservation de la nature : Natagora, LPO… Quant à l’European Food Security Authority (EFSA), elle ne s’était pas trompée non plus en juin dernier : dans ses recommandations sanitaires, figuraient déjà l’interdiction de tout nourrissage en forêt et de toutes ses formes détournées. Eh oui, pour contourner la loi, des champs dits “martyrs” sont parfois semés de plants de maïs en lisière forestière. Clôturés mais non récoltés, certains s’ouvrent subitement à la veille de la chasse ! Faisant preuve au mieux d’attentisme, aucune disposition en la matière n’a pourtant été prise par le ministre wallon de l’agriculture, René Collin. Dans un récent communiqué, il se défend même de faire le jeu du lobby de la chasse. On ne demande évidemment qu’à le croire…

Entre-temps, la Fédération Wallonne de l’Agriculture (FWA), de solides recommandations sous le bras, a exigé une entrevue avec le ministre. Le ton est encore monté d’un cran lorsque les chasseurs ont eu le culot de réclamer des indemnisations pour leur “travail logistique exemplaire” dans la gestion de cette crise. “Si ceux-ci doivent être payés, alors que le job soit exécuté par des agents publics avec obligation de résultats”, martèle la FWA. Au moins, il n’y aura pas de conflit d’intérêts !

Quand l’hôpital se moque de la charité…

Lors de notre entretien avec l’éleveur Jules Bastin, réalisé in tempore non suspecto dans le cadre de notre précédente analyse, ce dernier avait déjà évoqué, avec effroi, les risques liés à l’importation illégale, dans sa région, de sangliers issus des pays de l’Est. De simples rumeurs, des fake news – le mot, décidément, est à la mode ! – non avérées selon le magazine Chasse & Nature du RSHCB qui s’obstine à répéter en boucle les mêmes propos.

Lorsque la fable du sandwich au saucisson abandonné nuitamment en bordure d’autoroute par un routier venu de l’est a été avancée pour expliquer l’irruption brutale de la maladie, cela a bien fait rigoler pas mal de monde. D’un point de vue épidémiologique, le virus de la PPA peut pourtant subsister plusieurs mois, voire plusieurs années dans des déchets alimentaires infectés, mais la source de la contamination chez les Suidés est très probablement à rechercher ailleurs. Comme l’explique un officier de police judiciaire depuis longtemps affecté à l’Unité anti-braconnage (UAB) (3), “l’importation de sangliers issus d’élevage au sein de pays infectés à l’Est est plus que probablement à l’origine de cette épidémie.” Pourquoi? “Tout est un problème d’actionnariat dans ces sociétés. Des chasseurs fortunés paient jusqu’à deux mille euros par jour pour pouvoir réaliser leur tableau et repartir avec de beaux trophées. Et ils veulent en avoir pour leur argent, point barre !” D’autres encore se rendent directement dans les pays de l’Est infectés pour lancer leurs battues et revenir avec leurs trophées “planqués dans les bagages”…

Bien que toujours difficiles à prouver (4), des lâchages illégaux de sangliers ont pourtant bien eu lieu en Wallonie (5). Aujourd’hui, avec cette crise, les langues commencent à se délier tandis que d’autres évoquent carrément un secret de Polichinelle. Par ailleurs, on attend toujours le verdict de l’enquête judiciaire menée pour identifier les responsables. Basée notamment sur l’identification par analyse ADN de la provenance des bêtes infectées, elle était toujours à l’instruction à l’heure de clôturer ce texte. Quoiqu’il en soit, puisse cet immense gâchis servir de leçon et être l’occasion unique de revoir fondamentalement la loi de 1882 sur la chasse. Afin qu’elle devienne enfin écologiquement responsable, compatible avec les enjeux majeurs du XXIe siècle et que ce genre de désastre sanitaire ne se reproduise plus à l’avenir…

Notes

(1) Cahier de charge de l’appellation “Chasse éthique d’Ardenne” sur www.chassenassogne.weekbly.com

(2) Les tonnes de maïs distribué à la machine en forêt ont été remplacées par un nourrissage de boules contenant un mélange de céréales et de pois, devant être distribuées à la main…

(3) Jugée trop remuante au sein des sociétés de chasse, l’UAB a récemment changé d’autorité hiérarchique, perdant ainsi l’autonomie qui lui avait permis d’être si efficace dans la lutte contre le braconnage. Cherchez l’erreur…

(4) En février 2017, des chercheurs de l’UCL publient une étude génétique mettant en évidence l’origine non-wallonne de plusieurs sangliers tués ces dernières années.

(5) Le 18 décembre 2005, trois chasseurs sont pris en flagrant délit de lâchage de sangliers, la veille d’une chasse à Tellin, une pratique interdite depuis 1994.

Trump, les gilets jaunes, Antigone et l’effondrement …

Esquisse de quelques phénomènes dans ce qu’ils ont de nouveau… 

Le monde bascule ! Nous devons, dans ce contexte, comprendre plutôt que condamner les individus que nous sommes, nous qui avons du mal à accepter de déranger nos convictions, nos habitudes qui sont parfois serties dans nos identités les plus profondes. Certitude qu’on trouvera toujours bien une solution technologique, habitude de prendre sa voiture, par exemple…

Par Guillaume Lohest

Introduction

Nous devons comprendre aussi les récits qui fondent nos sociétés et les croyances qui alimentent la confiance collective : progrès, croissance, développement durable… Nous devons comprendre les verrous sociaux et techniques qui paralysent nos institutions. Comprendre, en un mot, que l’inertie de nos sociétés est systémique et complexe.

Pourtant, après une longue stagnation, la période du statu quo semble s’être achevée. Le monde bascule dans une nouvelle ère avec une telle évidence que seuls quelques irréductibles ou quelques fous peuvent encore l’ignorer. Mais si l’inertie était un phénomène complexe à analyser, le basculement en cours l’est tout autant. Les gens changent peut-être rarement d’eux-mêmes, mais “ça” change. Qu’est-ce que “ça” ? L’ambition de texte est de tenter d’y voir un peu plus clair.

Ombres sur les démocraties

Un mouvement qu’on pensait irréversible est en train de s’inverser. Après Trump aux États-Unis, après Salvini en Italie, c’est le Brésil qui vient de placer au pouvoir un dirigeant dont la conception de la démocratie semble très rudimentaire. Jair Bolsonaro est sexiste, raciste, nationaliste, homophobe. Il n’a que faire des droits humains fondamentaux. Quand on fait le compte, parmi les grandes puissances économiques ou démographiques mondiales, quels pays ne sont pas encore aux mains de l’ultra-droite ou de l’extrême-droite ? Ni la Russie, ni les USA, ni le Brésil, ni l’Inde, ni la Chine, ni l’Italie… La France et l’Allemagne connaissent une montée des nationalismes. Reste le Canada, l’Espagne, le Royaume-Uni, mais ce dernier a décidé de quitter l’Union Européenne qui ne fait plus rêver. La démocratie semble s’effriter.

Les processus électoraux donnent le pouvoir à des dirigeants autoritaires qui, en outre, ne prennent pas au sérieux le réchauffement climatique ou l’extinction de la biodiversité. La tendance, en tout cas au niveau des États, est au déni et au repli. Selon l’historien Jean-Baptiste Fressoz, on assiste à la montée d’un carbo-fascisme. Le nationalisme se combine à une négation totale des enjeux écologiques : “les partis de droite dure, trop vite rangés sous l’étiquette inoffensive de «populiste», sont de véritables catastrophes environnementales.” (1) Ainsi Trump est-il sorti de l’accord de Paris, tandis que Bolsonaro s’apprête à le faire. Le nouveau président brésilien souhaite, par ailleurs, exploiter davantage la forêt amazonienne pour booster le développement économique du pays des agro-carburants.

Dans un récent ouvrage intitulé “Où atterrir ?”, Bruno Latour analyse l’élection de Donald Trump comme le symptôme d’un repli des classes dirigeantes face à la perspective des catastrophes climatiques et de l’épuisement des ressources. L’élection de Bolsonaro au Brésil, la tendance des gouvernements d’extrême-droite à nier le réchauffement climatique, le laxisme envers l’évasion fiscale, la tendance globale à édifier des murs et à freiner l’immigration semblent confirmer cette intuition.

Devant la menace, on aurait décidé, non pas de lui faire face, mais de fuir. Les uns dans l’exil doré du 1% – “les super-riches doivent être protégés avant tout !” – d’autres en s’accrochant à des frontières assurées – “par pitié, laissez-nous au moins l’assurance d’une identité stable !” -, d’autres enfin, les plus misérables, en prenant la route de l’exil” (2).

Le non des gilets jaunes

Le mouvement du 17 novembre 2018, qui a vu des centaines de milliers de personnes revêtir un gilet jaune pour s’opposer aux taxes sur le carburant, a pu sembler, dans un premier temps, tout à fait anti-écolo. Pourtant, il ne l’est pas forcément. Les jours passant, on a pu se rendre compte que ce mouvement très hétérogène, qui va de l’extrême-droite à l’extrême-gauche en passant par tous les déçus des partis traditionnels, n’avait pas de revendication construite empêchant de lutter contre le réchauffement climatique. Sa seule unité, c’est la radicalité d’un refus. Mais en contestant les taxes en général, en ce compris la fiscalité verte, les individus qui enfilent le gilet jaune s’opposent surtout à ce qu’ils considèrent comme une injustice fiscale. Les plus gros doivent payer, disent-ils en substance. En ce qui concerne la question du climat, leur posture n’est donc pas forcément incompatible avec la lutte contre le réchauffement. On ne peut pas dire que leur “non” s’adresse à l’écologie en général. Il est, par contre, résolument contraire à la manière dont la transition écologique est envisagée aujourd’hui par la plupart des gouvernements européens, sous la forme d’incitants fiscaux ou de taxes censés orienter l’économie dans le sens d’une croissance – un tout petit peu – plus verte.

Or, visiblement, cela ne marche pas ! Une récente étude publiée par le think-tank américain World Ressources Institute et par deux centres de recherches britanniques du Grantham Research Institute et Centre for Climate Change Economics and Policy a dévoilé que, sur les cent nonante-sept pays signataires de l’Accord de Paris sur le Climat, seuls seize pays avaient engagé des actions à la hauteur des engagements pris. Parmi ces seize pays, aucun membre de l’Union Européenne ! Les politiques des gouvernements européens en place ne peuvent donc, en aucun cas, être vues comme des politiques écologiques. Vu sous cet angle, il est sans doute plus justifié de s’inquiéter des possibles dérives antidémocratiques du mouvement des gilets jaunes, que de leur – absence de – positionnement vis-à-vis de l’écologie. A contrario, on peut plutôt se réjouir que ces gouvernements soient à présent pris en tenaille entre un puissant cri d’alarme citoyen pour lutter contre le réchauffement climatique et une intense colère envers les injustices générées par le modèle économique néolibéral en vigueur. Le concept de “justice climatique” prend alors tout son sens.

Des Antigone se lèvent !

Ende Gelände (3), vous connaissez ? Extinction Rebellion (4), ce nom vous dit quelque chose ? Il s’agit de deux mouvements activistes. Le premier trouve son origine en Allemagne et rassemble des militants de divers pays pour mener des opérations de blocage de mines de charbon. Le second est anglais et a récemment rassemblé six mille personnes pour bloquer des ponts, à Londres le 17 novembre 2018, afin d’exiger que les gouvernements agissent à la fois contre le réchauffement climatique et la sixième extinction de masse des espèces.

Les actions coordonnées de désobéissance civile ou d’occupations de “zones à défendre” (ZAD) se multiplient. Aux yeux de certains, elles continuent d’apparaître comme des agitations peu sérieuses ne respectant pas le résultat des élections. C’est une conception simpliste qui assimile démocratie et élection à la majorité. L’histoire montre pourtant autre chose : de nombreux droits fondamentaux, de nombreux progrès humains ont été obtenus grâce à la désobéissance civile, quand des minorités ont le courage de défendre des principes au nom de tous.

Revendiquer le droit des citoyens à désobéir à des lois injustes et le devoir de désobéir à des lois dangereuses, a écrit Howard Zinn, c’est la véritable essence de la démocratie, qui accepte que le gouvernement et ses lois ne sont pas sacrés mais qu’ils ne sont que des instruments au service de certaines fins : la vie, la liberté, le bonheur. Les instruments sont accessoires ; pas les fins.” (5)

À l’heure où j’écris ces lignes, une centaine d’activistes viennent de réaliser une action de désobéissance civile au Parlement Belge, en s’introduisant dans la cour du bâtiment pour y entonner des chants et des discours réclamant la justice climatique. Ils n’ont pas respecté la loi qui interdit l’entrée dans cette cour. Mais ils l’ont fait au nom d’un principe supérieur, inscrit dans l’article 23 de la Constitution belge, le “droit à la protection d’un environnement sain”. Ce décalage entre la légalité – en vigueur – et une justice – d’un autre ordre – est le moteur du conflit qui oppose Antigone à son oncle Créon dans la mythologie grecque. C’est aussi dans cet espace qu’Howard Zinn inscrit la légitimité de la désobéissance civile.

Qu’elle soit reconnue comme légale, au nom d’un droit constitutionnel ou international, ou non, son but est toujours de combler la brèche qui sépare la loi de la justice, dans un processus infini de développement de la démocratie.” (6)

L’événement bruxellois « Claim the Climate« , qui s’annonce comme la plus grande mobilisation jamais réalisée en Belgique sur le réchauffement climatique, est un indice de plus que, parmi les populations aussi, s’éveille une force de grande ampleur. Les gens ne changent-ils pas ? En tout cas, ils réclament du changement !

L’incroyable cheminement du concept d’effondrement

Qui se souvient de cette époque, pas si lointaine, où Pablo Servigne, alors actif au sein de l’asbl Barricade à Liège, vint présenter dans la librairie de Nature & Progrès, à Jambes, le premier livre qu’il venait de publier, Nourrir l’Europe en temps de crise, paru aux éditions… Nature & Progrès ? Il y était question, déjà, d’effondrement, de rupture des systèmes d’approvisionnement alimentaire, de résilience face aux catastrophes. Pour certains d’entre nous, ce furent des moments décisifs d’une prise de conscience profonde que l’avenir ne ressemblerait pas à aujourd’hui. Mais nous n’étions qu’une poignée, et beaucoup considéraient alors cette approche des choses comme farfelue, inutilement catastrophiste, voire carrément ridicule.

Quatre ans plus tard, tout a changé. Le concept d’effondrement est discuté dans les grands médias, parfois de façon polémique, mais il ne fait plus ricaner. Le premier ministre français Edouard Philippe en a parlé, face caméra, avec Nicolas Hulot, l’été dernier. Pablo Servigne a récemment échangé, une heure durant, avec le député de la France Insoumise François Ruffin (7). Avec Raphaël Stevens, ils avaient également été reçus à Bercy, au Ministère de l’économie et des finances (8). Des dizaines de vidéos comptabilisant des centaines de milliers de vues circulent sur les réseaux sociaux. D’autres livres ont été publiés par d’autres auteurs sur le sujet en français. La démission soudaine de Nicolas Hulot de son poste de ministre a aussi constitué un déclic salutaire. Même lui dont beaucoup d’écologistes moquaient le caractère trop conciliant, même Hulot ne croit plus aux petits pas et aux changements de comportement à la petite semaine. Son discours est clairement celui de l’effondrement.

Bref, en quelques années, cette approche s’est imposée dans le débat public, complémentaire des visions plus progressives – la transition – et des pratiques existantes – agriculture biologique et paysanne, monnaies locales, etc. Dans le domaine littéraire, les fictions du genre dystopique ou utopique connaissent un bond en avant, souvent venues d’Amérique du Nord. L’imaginaire culturel est en train de changer, avec des perspectives d’effondrements qui deviennent tangibles et centrales.

La fête est définitivement finie

Que se passe-t-il ? Beaucoup de choses à la fois, certainement. Les observateurs politiques, les scientifiques, les sociologues, les artistes, les gens eux-mêmes dans leurs vécus, chacun a un fragment de vérité à dire sur l’époque que nous traversons. Difficile d’y voir clair. Si les gens se mettent à “bouger” dans des directions diverses, en enfilant un gilet jaune, en votant pour des partis extrémistes dont ils ne partagent pas forcément les idées, en se mobilisant – enfin – pour le climat, en mettant en place des actions plus radicales, ou en imaginant des solutions de repli – survivaliste, nationaliste -, n’est-ce pas parce que l’horizon collectif est à présent tout à fait bouché ? Il est possible que le sentiment de révolte soit en train d’éclore maintenant, par des canaux contradictoires et conflictuels entre eux, maintenant et seulement maintenant, parce que la perspective d’un avenir meilleur dans le cadre du  monde tel qu’il fonctionne ne s’était pas encore assez effondrée jusque-là. Les croyances – dans le développement durable, la croissance verte, les solutions technologiques – ont pu rester très longtemps un refuge. Il faut croire que ce grand récit, puissant, a fini par s’effondrer. Tout le monde en Occident commence à comprendre, du moins à percevoir, que la fête de l’abondance est finie, définitivement finie. La finitude des ressources et la fragilité de la planète, sans être forcément identifiées comme telles, ont refermé leurs implacables tenailles sur l’avenir dans lequel les gens pouvaient se projeter.

Par raccourci, on pourrait dire que l’effondrement a fini par gagner l’inconscient collectif. Il a été intériorisé par la société, en quelque sorte. Que ce soit dans la clarté d’un raisonnement ou par une approche intuitive, la rupture est consommée. La promesse du XXe siècle, celle du Progrès, est brisée pour de bon. Et les réactions à ce choc partent dans tous les sens. Les cyniques proposent de construire des murs pour protéger le magot accumulé. D’autres, plus indécis dans leur colère, veulent renverser la table et faire payer les responsables politiques sans trop s’embarrasser de la suite. Une minorité grandissante s’attache à limiter les dégâts et à construire un monde plus résilient, hors du cadre de la croissance économique. Le drame serait que les cyniques, que les Bolsonaro, les Trump, les Salvini, récoltent les raisins de la colère et détériorent davantage encore nos solidarités, et celles de la terre.

Ces solidarités-là, Nature & Progrès s’efforce, depuis plus de quarante ans, de les rendre concrètes dans le quotidien de nos concitoyens. Nous poursuivrons ce travail sans relâche, sûrs à présent que ce que nous appelons « résilience » n’est pas simplement un effet de rhétorique. Il appartient, en effet, à chacun d’entre nous d’être, quoi qu’il arrive, mieux préparé à l’imprévisible, plus disponible pour l’irréversible. Même si aucune catastrophe ne doit jamais être souhaitée.

Notes

(1) Jean-Baptiste Fressoz, “Bolsonaro, Trump, Duterte… La montée d’un carbo-fascisme ?” dans Libération, le 10 octobre 2018.

(2) Bruno Latour, Où atterrir ?, Comment s’orienter en politique, La Découverte, 2017.

(3) https://www.ende-gelaende.org/fr/

(4) https://rebellion.earth/

(5) Howard Zinn, Désobéissance civile et démocratie, Agone, 2010 (édition originale en anglais, 1968).

(6) Idem.

(7) On trouve cette vidéo sur Youtube : “Pablo Servigne et François Ruffin : une dernière bière avant la fin du monde”.

(8) Voir sur Youtube la websérie “NEXT”, de Clément Montfort, qui aborde l’effondrement avec des angles d’approche diversifiés.

Le scolyte attaque la forêt wallonne

Un quart de la forêt wallonne – cent vingt-cinq mille hectares ! – est planté d’épicéas (Picea abies). Durant l’été extrêmement sec de 2018, ces résineux ont été gravement attaqués par un petit insecte, le scolyte. Assoiffés et donc affaiblis, ils sont morts sur plusieurs milliers d’hectares et devront être abattus et évacués avant le 31 mars 2019 afin de limiter la contamination des arbres encore sains. Dans le contexte du réchauffement climatique, l’événement n’a rien d’un fait isolé : c’est toute notre forêt qui souffre, c’est toute notre forêt qui meurt…

Par Jürg Schuppisser et Christine Piron

Introduction

Comment reboiser rapidement ces milliers d’hectares ? L’Université de Namur, qui gère le domaine d’Haugimont, à Faulx-les-Tombes, a choisi une piste originale… Constatant que jadis, on ressemait – de préférence en automne -, dans les parcelles à reboiser, les glands et les faînes qui n’avaient pas encore germé, elle a invité le grand public à se mobiliser, durant le mois de novembre, dans le but d’effectuer ce travail très simple. Il suffit, en effet, d’ouvrir à la bêche une fente de trois à six centimètres de profondeur et d’y glisser trois glands ou trois faînes. Un vrai jeu d’enfant, qui amusa des familles entières !

Un résineux qui ne convient plus à la forêt wallonne

A cette occasion, nous rencontrons Charles Debois, ingénieur forestier et gestionnaire du domaine d’Haugimont, depuis 1978. Il nous donne un aperçu de la gravité de la situation.

« Le scolyte, précise-t-il, est un coléoptère xylophage endémique, c’est-à-dire qu’il est présent en permanence. Il mesure un demi-centimètre environ et commence par attaquer le haut de l’épicéa. Les adultes pondent alors des larves qui vont descendre dans le tronc et tuer l’arbre. Cela peut aller très vite ! Dès que la cime des arbres devient brune, trente jours plus tard, l’arbre est mort, même si les pics noirs et les pics épeiche se régalent des larves. En temps ordinaires, le scolyte se reproduit une seule fois, fin mai. Les larves s’envolent et vont attaquer l’arbre le plus faible ; c’est une espèce de sélection naturelle. Voici, malheureusement, le troisième été sec que nous subissons ! Et 2018 fut même le plus marqué, plus encore qu’en 1976. »

Dans nos forêts wallonnes, à deux cent cinquante mètres environ d’altitude moyenne, les épicéas ne sont pas en station, c’est-à-dire qu’ils ne se trouvent pas dans leurs conditions physiques et biologiques de préférence. Dans les Vosges ou dans le Jura, par exemple, ils vivent à une altitude supérieure à cinq cents mètres, ce qui leur convient beaucoup mieux.

« L’épicéa a été abondamment introduit, en Wallonie, après la Seconde Guerre, explique Charles Debois. Nous devions alors reconstituer rapidement nos forêts car nous avions d’urgents besoins de bois, notamment pour fabriquer de la pâte à papier. Or l’épicéa est un excellent arbre pour faire de la pâte à papier : c’est un bois blanc avec une longue fibre. De nos jours, on recycle cinq à six fois le papier et donc le besoin diminue. L’épicéa, qui a un enracinement traçant, en surface, n’est pas adapté à la sécheresse et aux chaleurs que nous avons connues, ces derniers étés. On n’observe jamais de températures voisines de 35°C à cinq cents mètres d’altitude et les peuplements ne sont jamais ensoleillés du matin au soir. L’été 2018 a donc clairement démontré que l’épicéa n’est pas en station, à deux cents mètres d’altitude. Il ne l’est d’ailleurs sans doute jamais en-dessous de quatre cents. »

Les immenses dégâts du scolyte

« Fin mai, poursuit Charles Debois, le scolyte a donc engendré une première génération qui a trouvé beaucoup d’arbres à coloniser puisqu’ils étaient complètement assoiffés. Les conditions étaient donc réunies pour donner naissance à une deuxième génération de larves, fin juillet, puis à une troisième, début octobre, alors qu’il faisait encore très sec. Imaginez la démultiplication de ces insectes, en sachant qu’un couple donne des centaines de larves… Et, si le printemps de 2019 est ensoleillé et sec, chaque larve essaimera dans un rayon de cent mètres autour de chaque arbre attaqué. Dans le domaine d’Haugimont, nous comptions deux cents arbres attaqués sur une surface de quatre hectares ; un mois plus tard, il y en avait cinq cents ! Nous avons donc pris la décision de récolter la parcelle. Vous observerez que l’arbre attaqué bleuit quand il commence à sécher ; c’est dû à l’action d’un champignon que véhicule le scolyte. Le bois est encore de qualité et peut passer dans les sciages ordinaires. Mais, si on attend trop longtemps, il faudra en faire des palettes ou de la caisserie, soit la dernière qualité de sciage. Les épicéas morts qui seront secs tout l’hiver, au fond de jardins par exemple, ne pourront donc plus servir qu’à fabriquer des pellets ou des panneaux de particules… Précisons également que la législation dispose qu’en cas d’épidémie en forêt, tous les arbres morts ou dont on sait qu’ils sont malades doivent être coupés et évacués endéans les six mois – donc avant le 31 mars prochain – à une distance d’au moins cinq kilomètres, en dehors de la forêt ! »

Mettre à blanc et replanter !

« Notre pratique de la sylviculture se veut proche de la nature, dit Charles Debois. Normalement, nous ne faisons pas de mise à blanc et donc pas de plantation. Le forestier récolte les gros bois au fur et à mesure qu’ils grossissent ; en-dessous, la régénération naturelle attend son tour. Nous souhaitions continuer à éclaircir les épicéas qui atteignent un demi-siècle, comme nous le faisons depuis trente ans. Bien éclaircir permet à la lumière d’arriver au sol ; des semis naturels apparaissent alors. Epicéas, bouleaux, pins, chênes et hêtres sylvestre – qui ne sont pas attaqués par le scolyte – sont ainsi en pleine lumière. Malheureusement, au lieu de l’éclaircie, nous avons dû passer à la coupe à blanc à cause du problème sanitaire grave ; nous ne voulons pas avoir, l’année prochaine, quatre hectares d’épicéas tout bruns dont les marchands ne donneraient plus que le tiers du prix qu’ils valent maintenant. Car la forêt de l’Université de Namur est gérée comme une forêt normale, avec un objectif de vente de bois et de location de droits de chasse. Dans une optique de sylviculture différente, nous avons des espèces indigènes, en mélange. Ce sont les plus aptes à affronter le réchauffement climatique. Précisons également, et c’est un élément très important, que nous nous trouvons en zone Natura 2000. Nous pouvions mener à terme les peuplements d’épicéas qui se s’étaient retrouvés en zone Natura 2000 mais il ne nous est pas permis de replanter des résineux. Nous repassons donc aux feuillus. Les propriétaires reçoivent, pour cela, un subside de quarante euros l’hectare ; ils doivent également conserver, sur au moins 3% de la surface, des arbres qui vivront jusqu’à la fin de leur vie naturelle. Les épicéas qui poussent en semis naturel ne seront donc pas arrachés mais seront des plantes accompagnatrices des hêtres, des chênes et des bouleaux. Ils enserreront les troncs des jeunes arbres qui seront semés et feront en sorte que leurs troncs soient indemnes de branches, afin d’obtenir un bois de première qualité. L’épicéa n’est donc plus destiné, ici, qu’à accompagner les essences nobles. »

Profiter d’une récolte abondante

Replanter paraît très simple : il suffit apparemment de déplacer les glands et les faînes qu’on trouve en abondance !

« Sous les chênes et les hêtres, un peu plus loin, le semis naturel se fait en suffisance, précise Charles Debois. Pourtant, amener nous-mêmes la masse disponible de glands et faînes et l’enterrer ici, tout de suite, plutôt que d’attendre les geais et les écureuils, permet de gagner un temps précieux, ce surplus risquant d’ailleurs d’être tout simplement avalé par les sangliers, les chevreuils et les mulots… Mais surtout, cela ne marchera plus, l’an prochain, car les chênes et les hêtres qui auront donné beaucoup en 2018 ne donneront plus grand-chose pendant les trois ou quatre années qui vont suivre. La dernière récolte abondante remonte à 2011, il y a sept ans déjà, ce qui signifie qu’il faudrait acheter des glands si nous voulions effectuer la même opération l’an prochain. Ceux-ci se conservent, en effet, difficilement au-delà de six mois. Recourir à la main-d’œuvre humaine est utile également puisque, le germe du gland étant une racine, le mieux est de le mettre… vers le bas ! De plus, il est toujours préférable de choisir un gros gland puisque la réserve de nourriture est toujours plus importante dans une grosse graine. Il faut aussi en mettre deux ou trois par trou pour qu’il y en ait au moins un des deux qui survive ».

On ne peut donc pas simplement lancer les glands en l’air et les laisser retomber où ils veulent ? Charles Debois nous explique que, sous les arbres, ils seraient recouverts de feuilles qui les protégeraient du gel. Or ici, rappelons-le, nous nous trouvons dans une coupe à blanc…

« Ces parcelles, à la fin des années soixante, étaient certainement des chênaies ou des hêtraies, regrette enfin Charles Debois. Les arbres furent sans doute vendus par l’ancien propriétaire pour payer des droits de succession. Des épicéas furent plantés mais les scolytes ne posaient pas de problèmes à cette époque ; le climat des années soixante n’était pas celui d’aujourd’hui… »

Reconstituer la forêt

Les défenseurs d’une sylviculture proche de la nature utilisent le slogan « Imiter la nature, hâter son œuvre« . Si nos compétences en la matière sont certes limitées, chez Nature & Progrès, il n’y a cependant pas de doute que nos choix en matières agricoles nous amèneront à partager cette ligne de conduite. Et le geste simple qui est aujourd’hui demandé au public permet de réaliser ce que la nature aurait peut-être mis une décennie à accomplir. Plus prosaïquement, en Wallonie, une parcelle comme celle-là est généralement nettoyée à l’aide de bulldozers et, une fois les troncs enlevés, tout le reste est broyé – en ce compris les petits bouleaux et les semis naturels d’épicéas – afin d’obtenir un terrain tout-à-fait clean afin de replanter plus facilement. Ce saccage coûte un minimum de cinq mille euros l’hectare, gyro-broyage et plantation compris. Ici, on se contentera de reconstituer la forêt telle qu’elle existait avant les épicéas, en exposant aussi un minimum de frais…

D’une manière plus générale, la majorité des essences qui composent nos forêts vont souffrir d’attaques diverses et seront donc appelées à s’adapter, ou à disparaître. Gageons que certaines ne subsisteront pas et qu’une gestion forestière par trop brutale n’ouvrira pas la porte aux solutions alternatives. Un pessimisme exacerbé n’est, bien sûr, pas de mise. Un optimisme béat non plus.

Pesticides et agriculture : déroger ne peut jamais devenir l’ordinaire !

Notre industrie betteravière n’a pas été capable de se réformer à temps. Son avenir peut-il encore dépendre de dérogations au sujet d’une molécule chimique mise hors-la-loi par l’Europe ? Qui se permettrait aujourd’hui un raisonnement aussi insensé, au mépris total de la santé publique et de l’environnement, si ce n’est une frange en déroute du monde agricole qui refuse de voir son avenir ailleurs que dans la chimie ? Cette question est de la compétence du Ministre fédéral de l’Agriculture. Aura-t-il le courage politique suffisant pour ramener ces betteraviers sur la voie de la raison ?

Par Dominique Parizel et Marc Fichers

Introduction

Au cas où il n’existerait pas d’autre moyen de combattre un parasite, un Etat membre a la possibilité de déroger, cent vingt jours durant, à l’interdiction par l’Europe d’un produit phytosanitaire. Or, dans le cas des néonicotinoïdes, nul n’aurait, semble-t-il, plus que nous à pâtir de la jaunisse de la betterave, une maladie due à un puceron… Serait-ce là une sortie de secours inespérée pour le secteur betteravier belge qui ne manifeste guère l’intention de modifier ses pratiques en admettant la prohibition des produits toxiques qu’il utilise ? Mais déroger à l’interdiction demeure très dangereux pour notre environnement et oriente les agriculteurs vers un avenir incertain. Raisonnant exclusivement à court terme, nos betteraviers apparemment n’en ont cure…

Un processus d’agréation complexe

Les matières actives des pesticides sont autorisées sur base d’un long processus qui se fait d’abord au niveau Européen. Lorsqu’une matière active est autorisée, les Etats membres peuvent toutefois agréer les formulations – les matières actives plus divers « formulants » – correspondant aux différents usages des produits commercialisés. Si une matière active est alors jugée néfaste pour la santé humaine ou pour l’environnement, un très long processus s’ensuit qui peut durer plusieurs dizaines d’années avant de voir enfin prononcée l’interdiction de la molécule incriminée.

On commence donc par se borner à « gérer le risque ». Une matière active peut, par exemple, poser problème pour la santé humaine mais, au lieu de l’interdire purement et simplement, on choisira de gérer cette dangerosité en imposant, par exemple, qu’elle soit commercialisée sous forme liquide plutôt que sous forme de poudre. Suit quand même une série d’études dont la grande majorité est évidemment réalisée par la firme détentrice de l’homologation et dont le seul but est de semer le doute au sujet l’étude initiale qui avait établi un risque pour la santé humaine… Parfois cependant une décision tombe au terme de dizaines d’années de controverse, comme pour les néonicotinoïdes, ces insecticides tueurs, entre autres, d’abeilles. Les premières études qui mettaient en avant leur dangerosité datent de la fin des années nonante, le produit ayant d’ailleurs été interdit sur le tournesol, en France, dès 1999 ! Ce n’est malheureusement qu’après une vingtaine d’années d’études et de contre-études et face à l’hécatombe dont sont victimes les populations d’insectes que l’Europe décida enfin d’interdire l’usage de ces funestes molécules. Les défenseurs de la santé et de l’environnement ne doivent pourtant pas se réjouir trop tôt : le combat n’est pas terminé car les pesticides ne se sont pas bornés à détruire notre santé et notre environnement, ils ont aussi contribué à changer, en profondeur, les pratiques agricoles…

Néonicotinoïdes et lavage de cerveau

Les néonicotinoïdes sont des insecticides systémiques dont la particularité est d’agir à micro-doses. Ils demeurent actifs plusieurs mois dans la plante et dans le sol. Utilisés intensivement pour de très nombreuses cultures – 100% des semences de betteraves sont traitées aux néonicotinoïdes -, ils sont même présents dans les colliers antipuces des chiens et des chats. En culture betteravière, ils permettent le contrôle des insectes ravageurs du sol ainsi que celui des pucerons responsables des infections virales. Bref, une fois le semis réalisé, ils autorisent l’agriculteur à ne plus à se soucier, le moins du monde, des insectes ravageurs… C’est donc tout un empire que leur interdiction va ébranler.

Dans cet ordre d’idées, la Sucrerie de Tirlemont – qui appartient à Südzuker, un leader mondial du sucre – nous présente, dans le cadre d’une campagne de promotion, une jeune agricultrice qui nous dit sa passion pour la culture de la betterave (1). Elle rappelle que sa famille cultive la plante depuis plusieurs générations et exprime son désir et sa volonté de continuer. L’idée ne lui vient jamais que cette culture pourrait ne plus être possible chez nous pour de simples questions de rentabilité, mais surtout parce que son environnement et les risques que les méthodes culturales font peser sur lui ont bien changé depuis l’époque de ses parents et de ses grands-parents. Comment revendiquer, en effet, une sorte de droit cultural ancestral sans même évoquer la façon dont le père et le grand-père cultivaient à une époque où les néonicotinoïdes, évidemment, n’existaient pas ? Sans le vouloir sans doute, la Sucrerie de Tirlemont attire donc l’attention sur un fait essentiel : le véritable lavage de cerveau que subissent les agriculteurs depuis une vingtaine d’années ! Plus aucun d’entre eux ne conçoit ses cultures sans l’usage des pesticides. Mais si les pratiques agricoles évoluent dangereusement autour de l’usage des néonicotinoïdes, la recherche s’engage dans la même impasse puisque la sélection variétale – aux mains de semenciers directement liés avec les firmes qui produisent les pesticides – s’effectue depuis vingt ans au départ de variétés issues de champs traités…

La tradition betteravière belge

Le monde agricole a la mémoire courte. Il semble surtout avoir oublié que celui qui cultive doit constamment remettre ses pratiques en question. Nos agriculteurs savaient cultiver la betterave bien avant que se généralisent les néonicotinoïdes. Pour contrôler les insectes ravageurs, il fallait veiller à bien implanter la culture car un sol mal préparé ou un semis mal effectué fragilisent les plantes en croissance et les rendent plus sensibles aux ravageurs. Une observation très régulière des cultures était indispensable pour évaluer l’opportunité de traiter ; une attaque devait souvent être tolérée pour permettre le développement des insectes auxiliaires. Pareille tolérance n’est désormais plus de mise puisque les champs doivent être visuellement « parfaits », d’une vaine et triste uniformité. Voilà pourquoi les bio sont aujourd’hui les seuls à démontrer que la culture sans néonicotinoïdes est évidemment toujours possible ; du sucre de betterave bio est d’ailleurs produit en Allemagne par la maison mère de la Sucrerie de Tirlemont at cette dernière a démarré des essais en Belgique…

Bien sûr, avant, la culture de la betterave était plus technique, elle exigeait de l’agriculteur une véritable expertise. Mais, qu’on le veuille ou non, les marges d’erreurs étaient réduites et la culture n’en était pas moins rentable. Une ferme de cinquante hectares était suffisante alors que, maintenant, plus rien ne fonctionne en-dessous de cent cinquante ! Un vent de panique souffle, depuis l’annonce de l’interdiction des néonicotinoïdes, comme si l’avenir de l’agriculture était suspendu à un fil, à une seule molécule chimique dont la disparition a été décidée, cet été, au niveau européen. Mais c’est peut-être lui faire endosser une responsabilité qui n’est pas la sienne…

Quoi qu’il en soit, l’émoi est si grand dans le secteur betteravier que notre Ministre fédéral de l’Agriculture envisage le recours à la dérogation de cent vingt jours que nous évoquions ci-dessus (2), une astuce qui permet à tout Etat membre de continuer à répandre un produit hors-la-loi, même si cette interdiction a été dûment motivée par une interminable liste d’études qui en ont démontré la toxicité pour la santé humaine et les dangers pour l’environnement. Et même si le dernier carré des défenseurs de ladite molécule a eu tout le temps nécessaire pour faire entendre sa voix. Que faut-il encore faire de plus, décidément, pour que la raison l’emporte ?

Cent vingt jours ? Pour quoi faire, cent vingt jours ?

Ainsi, quand tout a été dit et démontré, un Etat membre peut encore déroger à l’interdiction formelle. Et cela, pour cent vingt jours par an, ce qui est bien suffisant pour couvrir toute la période culturale… Une rare exception, pensez-vous ? Pas du tout : la dérogation pour cent vingt jours devient la norme. Il y en a des quantités, plusieurs dizaines rien qu’en Belgique, dont celle du Metham sodium, un monstre classé cancérigène, utilisé pour « désinfecter les sols ». Car quand un agriculteur – ou celui qui ose encore se revendiquer comme tel – « oublie » ce principe fondamental de l’agronomie qu’est la rotation des cultures et qu’il « fatigue » son sol en provoquant le développement de champignons et d’insectes pathogènes pour certaines d’entre elles, et comme il ne veut en aucun cas remettre en question ses sacro-saints principes culturaux dictés par le chimique, il faut bien qu’on le laisse désinfecter sa terre – ou ce qu’il en reste ! – en y injectant des poisons comme le Metham sodium (3). La vie trépasse partout où ils passent et, quand le sol est bien mort sur ses premiers centimètres, plus rien ne s’oppose bien sûr à ce qu’il puisse être ensemencé. Mais avec quelle réussite ? Quand cessera enfin ce scandale, ce trop évident triomphe de la bêtise ?

Autoriser quand même ce qui est interdit est toujours un très mauvais symptôme pour une démocratie. Accorde-t-on des dérogations aux pickpockets, aux voleurs de banques, aux tueurs de chiens et de chats ? Y aurait-il une légitimité plus grande à empoisonner les consommateurs et à polluer l’environnement ? Quel signal entend-on donner ainsi aux agriculteurs ? Qu’ils ont parfaitement le droit de s’entêter dans des pratiques délétères et désuètes, basées sur le recours systématique aux pesticides, en faisant courir à la population tout entière un risque insensé en termes de santé publique et de protection de l’environnement (4) ? Ce traitement de faveur n’est pas admissible et doit cesser immédiatement.

Généraliser l’exceptionnel, c’est mépriser la loi !

Dans le cas des néonicotinoïdes interdits, nous ne pourrions comprendre – nous avons montré pourquoi – qu’une dérogation soit accordée, comme notre pays en a pris la mauvaise habitude, mettant ainsi à mal notre santé et celle de la terre. D’une manière plus générale, il ne nous semble pas acceptable de rendre ordinaire ce qui est explicitement prévu pour rester une exception. Le faire, c’est mépriser l’esprit de la loi !

Il est grand temps, nos autorités publiques doivent en prendre toute la mesure, de tourner le dos à l’agriculture fondée sur les pesticides. Les alternatives existent et aucun agriculteur, pour peu qu’il montre un minimum de bonne foi, ne restera sur le bord de la route. Il appartient aux pouvoirs publics – à tous les niveaux – d’orienter l’ensemble des recherches vers le développement des alternatives d’avenir. N’abandonnons pas nos cultures – et, par conséquent, notre alimentation – au seul bon vouloir de l’industrie chimique. Ou, dans le cas de la betterave, à l’utilisation d’une seule molécule, de surcroît bel et bien interdite !

Notes

(1) Vidéo visible sur : https://www.youtube.com/watch?v=013SYidb3iw&list=PLMWpwfct65-tU4b4RZ-CS8SVMFAuacPHY&index=2

(2) Voir : https://fytoweb.be/fr/legislation/phytoprotection/autorisations-120-jours-pour-situations-durgence

(3) Le Métham sodium est interdit au niveau européen depuis de nombreuses années mais des dérogations sont régulièrement distribuées par les Etats membres et notamment en Belgique pour un grand nombre de légumes cultivés sous serre et pour les courgettes en pleine terre: https://fytoweb.be/sites/default/files/legislation/attachments/solasan_autorisation_120_jours_2018_0.pdf

(4) Prenons-en pour preuve la dernière intoxication de masse survenue en France, soixante-et-une personnes furent concernées après un épandage de Metham sodium ! Voir : https://rcf.fr/actualité/metam-sodium-faut-il-produire-autrement-la-mache-nantaise-en-maine-et-loire

En finir avec les pesticides dans les prairies !

Les prairies permanentes comptent parmi les milieux les plus riches en biodiversité. Il est donc particulièrement important de ne pas les polluer en les arrosant pesticides. Mais que représentent exactement les prairies à l’échelle de la Wallonie ? Et qu’en est-il de l’utilisation des pesticides sur les prairies wallonnes ? Bref, préserver nos prairies permanentes, le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Voilà ce que nous nous proposons d’analyser…

Par Catherine Buysens

Introduction

La prairie est un peuplement végétal composé principalement de graminées – Poacées -, de légumineuses – Fabacées – fourragères et d’autres dicotylées. Elle est destinée à l’alimentation du bétail, principalement celle des ruminants. La composition botanique d’une prairie peut être fort différente selon l’âge de la prairie, les techniques d’exploitation – fauche, pâturage -, le sol et le régime hydrique, la localisation – altitude -, etc.

On distingue deux grands types de prairies :

– la prairie permanente qui est une surface enherbée depuis plus de cinq ans et qui n’entre normalement pas dans une rotation ; elle est composée d’espèces pérennes comme le ray-grass anglais – RGA -, la fétuque des prés, la fléole, le dactyle et le trèfle blanc ;

– la prairie temporaire qui entre régulièrement dans la rotation – de un an à quatre ou cinq ans. Les espèces qui la composent sont peu pérennes mais très productives. On retrouve notamment le ray-grass italien, le ray-grass de Westerwold, le ray-grass hybride, le trèfle violet… Une prairie temporaire de longue durée – trois ans et plus – nécessite d’implanter des espèces pérennes moins productives – ray-grass anglais, fléole…

En règle générale, les prairies temporaires sont fauchées alors que les prairies permanentes sont, le plus souvent, pâturées ou exploitées sous régime mixte fauche/pâture. Sous notre climat, nous recherchons à favoriser la famille des graminées qui constitue l’essentiel d’une bonne prairie – 75% – à condition que celles-ci soient classées dans la catégorie des bonnes graminées – ray-grass anglais, fléole, pâturin des prés… La famille des légumineuses sera plus ou moins développée en fonction du mode d’exploitation.

Les autres plantes peuvent représenter un certain pourcentage de la flore – jusqu’à 20% – à condition de tenir compte de la spécificité des adventices. Certaines sont bénéfiques à la qualité du fourrage et donc pour l’animal car elles sont généralement assez riches en minéraux et autres métabolites secondaires. D’autres sont toxiques ou encore totalement inutiles car non appétées, gênantes pour la récolte… Ainsi tolère-t-on la présence de 10% maximum de berces, d’anthrisques, d’achillées millefeuilles mais seulement 5% d’orties, de rumex, de chardons, de renoncules âcres. Le pissenlit, quant à lui, sera toléré jusque 20%.

Les surfaces enherbées représentent 23% de la surface de la Wallonie (figure 1). Les prairies permanentes représentent 304.523 hectares, c’est-à-dire à peu près 42% de la surface agricole utile wallonne (SAU). Les prairies temporaires représentent 35.794 hectares, c’est-à-dire 5% de la SAU. Les autres cultures fourragères représentent 8 % – dont 87% de maïs fourrager -, le reste est occupé par des céréales (25%), des cultures industrielles – 10% dont 60% par des betteraves sucrières -, des pommes de terre (6%) et d’autres cultures (4%) (figure 2).

La répartition des prairies au sein de la Wallonie est très variable en fonction des régions et de leurs spécificités de climat et de sol. Par exemple, en Haute-Ardenne, 95,5 % de la SAU est constituée de prairies. Par contre, dans les zones limoneuses propices aux cultures, seuls 20 % de la SAU sont consacrés aux prairies. Les prairies gérées en respectant le cahier des charges de l’agriculture biologique représentent 15 % de la totalité de la superficie des prairies wallonnes.

Dans les régions où, à cause du climat et du type de sol, les prairies sont les seules « cultures » possibles, les ruminants – bovins, ovins et caprins – sont les seuls capables de transformer l’herbe en lait et en viandes de qualité. On ne peut pas parler de concurrence entre l’alimentation humaine et celles des ruminants puisque, sans eux, ces terres ne pourraient pas être valorisées.

L’utilisation de pesticides dans les prairies wallonnes

Le contrôle des adventices, les plantes indésirables, en prairie est une des préoccupations majeures des éleveurs car leur prolifération peut devenir problématique lorsqu’il s’agit de plantes toxiques ou invasives, qui entraînent une perte au niveau de la productivité du couvert. La gestion des prairies est une affaire d’équilibres délicats – typiquement liés aux conditions de station – qu’il convient de connaître et de préserver. Dans les prairies bio, il n’est bien sûr pas question d’utiliser de pesticides. Dans les prairies conventionnelles, le recours aux pesticides au niveau des prairies permanentes demeure assez occasionnel et correspond généralement à l’emploi d’herbicides contre les rumex, chardons, orties et autres renoncules, notamment présentes en raison d’une gestion du sol non adaptée. Le désherbage chimique est donc une opération de rattrapage d’une situation qui a dégénéré suite à l’apparition trop importante d’une ou plusieurs adventices. Une prairie trop envahie de plantes indésirables sera soit complètement détruite avec un herbicide total pour la rénover complètement, soit uniquement nettoyée en utilisant un herbicide sélectif. Cette pratique est souvent appliquée, étant donné que c’est une solution facile, rapide et peu coûteuse pour se débarrasser momentanément de symptômes d’un mode de gestion inadapté, tels que l’apparition ou prolifération de plantes indésirables mais ne fournit pas de réelle solution et ne fait que masquer les causes. La grande majorité des traitements utilisés concernent la problématique du rumex. Le rumex a une influence négative sur les paramètres alimentaires du fourrage, diminution de la digestibilité, des valeurs énergétiques et protéiques. Cependant, les herbicides sélectifs efficaces contre le rumex impactent également certaines légumineuses. Un traitement herbicide est donc souvent suivi d’un sur-semis de mélange fourrager pour combler les vides.

L’apport de pesticides en prairie conventionnelles est faible par rapports aux autres cultures comme les vergers et la pomme de terre (figure 4). La dose d’application de substances actives représente la quantité moyenne de substances actives appliquées par hectare de culture. Elle est exprimée en kilos par hectare. Cependant, en prairie conventionnelle l’application de pesticides concerne, en général, uniquement les herbicides. La catégorie de produits pour laquelle les quantités vendues ont été les plus élevées en Belgique pour la période comprise entre 1992 et 2010 – à l’exception de l’année 2009 – concerne la catégorie « herbicides » (figure 5). De 2005 à 2010, on assiste à une véritable chute des données de vente nationales des quantités totales d’herbicides (-74,5%) expliquée par le retrait du chlorate de soude sur le marché belge ainsi que par la diminution drastique des ventes de sulfate de fer (-88%) et de glyphosate (-56%).

Actuellement, afin de protéger l’environnement, comme par exemple l’eau, les pesticides ne peuvent pas être utilisés sur certaines zones. Nous pouvons cependant constater que des pulvérisations localisés y sont quand même autorisées. Prenons, par exemple, les zones tampons qui sont des bandes de terrain non traitées, établies entre une surface traitée et les eaux de surface ou entre une surface traitée et les surfaces pour lesquelles le risque de ruissellement vers les eaux de surface est élevé. L’objectif d’une zone tampon est de protéger les organismes aquatiques et, de manière plus générale, les eaux de surface, des pesticides entraînés par les brumes de pulvérisation. Cependant, le traitement localisé – au moyen d’un pulvérisateur à dos ou à lance ou par injection – contre certains chardons – Carduus crispus, Cirsium lanceolatum, Cirsium arvense -, rumex – Rumex crispus, Rumex obtusifolius – et contre les plantes exotiques envahissantes – berce du Caucase, balsamine de l’Himalaya – y est autorisé. Dans les prairies des zones Natura 2000 et dans le cahier de charge des prairies gérée par des méthodes agro-environnementales et climatiques (MAEC), l’utilisation des herbicides n’est également pas autorisée, à l’exception d’un traitement localisé contre les chardons et le rumex avec un herbicide sélectif. Pourquoi ne pas interdire complètement l’utilisation d’herbicides dans ces zones ? Des alternatives efficaces existent pourtant. Le traitement des prairies avec des pesticides est surtout une catastrophe pour l’entofaune par la disparition des plantes fleuries, sources de nourriture pour les insectes.

Importance de préserver nos prairies permanentes wallonnes

En plus de son utilisation pour l’alimentation du bétail, la prairie a aujourd’hui d’autres rôles à jouer sur l’environnement, sur la conservation de la nature et des paysages. Grâce au processus naturel de la photosynthèse, l’herbe des prairies utilise le dioxyde de carbone de l’air – le CO2 -, l’énergie solaire et l’eau pour pousser. Le carbone s’accumule ainsi dans les tissus végétaux, puis dans le sol sous forme de matière organique quand les plantes meurent. C’est pourquoi on dit que le sol des prairies permanentes stocke du carbone : sous nos climats, en moyenne 760 kilos par hectare et par an dans l’état actuel des connaissances. En revanche, si elles sont labourées, le carbone stocké est réémis, sous forme de CO2, lorsque la matière organique du sol entre en contact avec l’oxygène de l’air. Il est donc important de maintenir les surfaces de prairies permanentes et leur stock de carbone.

La prairie a également un rôle important dans le cycle de l’azote car elle permet de limiter le lessivage des nitrates et donc la pollution des eaux. Certaines plantes qui composent la prairie sont capables de pousser à des températures proches de 0 °C, ce qui signifie que la nitrification de fin d’hiver est immédiatement valorisée. De plus, certaines plantes prairiales – des légumineuses telles que les trèfles – sont capables de fixer l’azote atmosphérique.

Une prairie est couverte en permanence, ce qui limite efficacement les phénomènes d’érosion du sol. De plus, certaines prairies renferment une diversité biologique extrêmement importante : il existe peu de prairies mono-spécifiques. Il s’agit principalement d’associations de différentes espèces. Enfin, elles constituent des zones d’habitat pour la faune. Les prairies ont donc un rôle important dans la préservation de la biodiversité de la faune et de la flore.

Même s’il s’agit d’un critère subjectif, la prairie participe aussi à la qualité du paysage. Qui n’a pas en tête les paysages du plateau de Herve ou des prairies ardennaises ? Ce caractère paysager est un atout touristique indéniable. La prairie donne également une image de marque au produit qui s’y rapporte. Certains labels concernant la viande ou les fromages sont liés à l’utilisation importante de l’herbe. La prairie peut également avoir une influence sur les qualités organoleptiques d’un produit.

Une conclusion, une évidence…

Que dire de ceux qui scient, non sans une apparente jouissance, la branche sur laquelle ils sont assis ? Comment qualifier le mal qui les afflige ? On peut en discuter longuement… Dans l’intervalle et par mesure de précaution, on interdira complètement et dans l’urgence toute utilisation de pesticides !

Cela, d’autant plus, que nos visites dans les fermes bio montrent que les alternatives aux pesticides existent bel et bien, et sont régulièrement mises en œuvre. Nous espérons qu’elles inspireront les agriculteurs conventionnels et qu’elles leur permettront peut-être de soigner le grave déni dont ils souffrent plus que jamais… Mais c’est sans doute une toute autre histoire, et cette histoire-là ne concerne sans doute pas l’agronome…