La collaboration associations – entreprises au banc d’essai

Sans discontinuer, Nature & Progrès cherche à s’associer les compétences lui permettant de lever les barrières psychologiques et idéologiques qui pourraient entraver son cheminement dans la transition écologique. Le conseil d’administration de notre association s’étoffe donc en permanence, avec la volonté d’éviter l’entre-soi et de s’enrichir dans la diversité. Nous donnons, dans cette optique, la parole à Dominique Clerbois, nouvelle administratrice dont le parcours peut-être en surprendra – ou en ravira – plus d’un-e…

Propos recueillis par Dominique Parizel

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Introduction

« Je suis ingénieure commerciale, annonce d’emblée Dominique Clerbois, formée à l’UCL. Je suis également analyste financier à l’ULB et j’ai passé une année d’étude aux Etats-Unis. J’ai aussi une formation de l’INSEAD, l’Institut européen d’administration des affaireswww.insead.edu -, qui offre un complément très utile dans le cadre d’une carrière orientée vers le management, très intéressante pour former des administrateurs indépendants… Mon expérience professionnelle, je l’ai acquise essentiellement, pendant trente-cinq ans au sein du groupe Solvay, en travaillant surtout « à l’international », à partir de la Belgique pour des activités localisées à travers le monde mais aussi, durant quatre ans, en Thaïlande. Il s’agissait là d’une joint-venture avec des partenaires locaux qui m’a ouverte à l’expérience de conseils d’administrations très diversifiés, où Solvay n’était d’ailleurs pas toujours majoritaire. Collaborer à des partenariats de ce type, je l’ai fait pendant plus de quinze ans, dans des groupes différents et pour des activités extrêmement diverses, un peu partout en Europe et dans le monde… Ce contact avec des partenaires de cultures diversifiées m’a toujours beaucoup plu. »

BoardCompanion'Speed dating à la Fondation Roi Baudouin

« Je suis membre de différentes associations, poursuit Dominique Clerbois. La plus intéressante, vu les matières qui nous intéressent, est sans doute BoardCompanionswww.boardcompanions.org – dont les membres ont suivi, comme moi, une formation d’administrateur indépendant. Tous cherchent – dans l’esprit du compagnonnage qui forme les artisans – à valoriser expérience et compétences, en proposant leurs services à des associations belges en quête d’administrateurs, tout cela dans une optique où chacun pourra apprendre de l’autre. La Fondation Roi Baudouin, riche de tous ses contacts associatifs, a permis les rencontres et c’est ainsi que j’ai découvert Nature & Progrès. Je suis également membre de Gubernawww.guberna.be -, de Women on boardhttps://womenonboard.be -, une association qui s’efforce de promouvoir la parité au sein des conseils d’administration, et de Chapter Zero Brussels qui est liée à la gestion du changement climatique…

Mes premiers contacts avec Nature & Progrès eurent lieu lors d’une journée de rencontres de style speed dating, organisée par BoardCompanions à la Fondation Roi Baudouin, entre des responsables associatifs et des candidats administrateurs. Nature & Progrès souhaitait trouver une personne à même de l’aider dans la révision de son plan stratégique et financier. Cette mission m’intéressait énormément ! J’ai d’abord été invitée, à titre d’observatrice, par le conseil d’administration de Nature & Progrès, à partir de septembre 2019. J’ai ensuite, comme membre effectif, présenté ma candidature pour en faire partie et me voilà officiellement nommée depuis août dernier ! J’apprécie particulièrement l’engagement sociétal de l’association, sa capacité à s’appuyer sur des faits étayés scientifiquement, son engagement sans concession en faveur du bio et de la diversité. Les valeurs d’éthique et d’honnêteté que je retrouve dans l’association sont très importantes à mes yeux. J’aime également beaucoup sa capacité à affronter de nouveaux défis, environnementaux et autres, sa résilience et sa volonté de faire circuler, parmi ses membres, de nouvelles connaissances agricoles, sur la base de son Système Participatif de Garantie, par exemple… Les compétences qui existent, au sein de Nature & Progrès, me paraissent extrêmement diverses. La complexité du métier de producteur agricole n’arrête pas de me surprendre. Et la difficulté de transiter vers le bio me préoccupe également beaucoup…

Je suis convaincue par la vision et les objectifs de Nature & Progrès et considère que les entreprises doivent intégrer elles aussi, dans leurs stratégies, toute cette responsabilité sociétale et environnementale. J’aimerais personnellement leur apporter quelque chose de cet ordre-là, indépendamment même de mon action chez Nature & Progrès, car je pense qu’elles doivent mieux se préparer à affronter le futur, notamment en matière de changement climatique. Celui-ci ne se résumera d’ailleurs pas à une menace qu’il est nécessaire d’anticiper, des opportunités se présenteront également qui seront liées aux capacités d’innovation, aux relations avec les clients, etc. Chez Nature & Progrès, je souhaite apporter ma contribution en matière de transformation du financement et d’amélioration de la gouvernance mais aussi, si c’est possible, en établissant des contacts avec des entreprises convaincues par l’approche dite ESG, c’est-à-dire basée sur des critères Environnementaux, Sociétaux et de Gouvernance. J’ai rencontré beaucoup de gens dans ma carrière, le plus souvent dans des business locaux. La qualité des gens et des projets, c’est toujours localement qu’on l’aperçoit le mieux. C’est sur le terrain, au contact des personnes concernées, qu’il est vraiment possible de construire quelque chose… »

Une collaboration accrue entre associations et entreprises ?

« En matière de gestion des associations, précise Dominique Clerbois, je voudrais mentionner une enquête réalisée, en Belgique en 2019 par l’INSEAD dont j’ai déjà fait mention, et qui compare le fonctionnement des sociétés à but lucratif à ce qui, au contraire, est sans but lucratif. Il en ressort que les associations excellent à défendre leurs missions et leurs valeurs, alors que les entreprises n’en poussent pas assez loin la définition. Cependant, les sociétés à but lucratif se concentrent davantage sur l’exécution de leurs stratégies et sur l’évaluation de leurs performances. Il me semble donc qu’on pourrait aider les associations à évoluer vers une traduction plus concrète de leurs missions et de leurs valeurs en stratégies. Il devrait être également possible de veiller ensuite à la mise en place du monitoring des résultats de leur action. Nous pouvons certainement travailler sur ces aspects qui étaient spécifiquement ceux qu’évoquaient les responsables de Nature & Progrès que j’ai rencontrés en 2019… La crise de la Covid-19 a évidemment imposé des révisions de nos priorités stratégiques et nos modes de financement…

Le bénévolat est également un des aspects qui distinguent les associations des entreprises à but lucratif. L’apport bénévole de personnes soucieuses des valeurs qu’elles défendent renforce évidemment la pérennité et la légitimité des associations. La grande liberté d’investissement qui est le propre de ces personnes bénévoles peut cependant rendre plus complexe la capacité des associations à concrétiser exactement leurs stratégies et à mesurer les résultats de leurs actions. Des étalons, des critères spécifiques doivent être clairement définis à cet effet : nombre de signataires de pétitions, nombre de donateurs, nombre de projets, etc. De tels indicateurs ne sont pas nécessairement liés au résultat financier. Les entreprises – la plupart de celles qui mettent en place une approche ESG – utilisent énormément, et de plus en plus, d’indicateurs non-financiers.

Les entreprises qui affichent, de manière volontariste, leur engagement en matière d’ESG – une exigence pour beaucoup d’entre elles qui sont soucieuses de leur avenir – sont certainement des partenaires privilégiés pour Nature & Progrès. L’ESG permet notamment de motiver un personnel de qualité, principalement parmi les plus jeunes ; quant aux investisseurs et aux bailleurs de fonds, ils sont également de plus en plus attentifs à choisir des sociétés qui s’orientent vers ce type d’engagements. Ceux-ci sont de plus en plus réglementés, ce qui doit permettre d’éviter le greenwashing. Beaucoup d’entreprises se réfèrent aujourd’hui aux objectifs de développement durable des Nations-Unies, en indiquant de quelle manière elles pensent être en mesure de contribuer aux différents objectifs poursuivis et en précisant ce qu’elles mettent en place à cet effet. Cette nécessité de transparence est encore renforcée depuis que les entreprises belges cotées en bourse – les plus grandes en taille – sont tenues à un code de bonne gouvernance qui recommande de définir des priorités à long terme, mais aussi des objectifs de durabilité clairs, et d’auditer tout cela sur base de critères précis, comme les émissions de CO2, la production de déchets, l’impact sur les écosystèmes, la gestion de l’eau, etc. Un rapport transparent des performances non-financières devient ainsi une nécessité pour elles. Leur conseil d’administration doit partager et soutenir pleinement cette approche qui ne peut donc se limiter à être le fait d’une initiative marginale. Le mouvement doit être global au sein de l’entreprise ! Or les indicateurs montrent que cette dynamique ne fut pas freinée par la crise de la Covid-19. Elle ne pourra être que renforcée par la mise en place du Green Deal européen qui prévoit la mise en place d’indicateurs mesurant si les entreprises sont réellement engagées dans la voie du développement durable, évaluant quelles sont leurs contributions positives ou leurs éventuels impacts négatifs…

Nos premiers partenaires potentiels sont donc à trouver parmi le nombre croissant d’entreprises qui souscrivent à de tels engagements. Elles ont besoin de conseils afin de mieux les guider et de leur permettre d’apprécier quels types d’efforts elles sont en mesure d’accomplir sur le terrain. Nature & Progrès a donc certainement un rôle important à jouer : que faire de plus, par exemple, en matière de biodiversité ? Dans le cadre de ses objectifs de développement durable, Solvay par exemple espère montrer la voie aux entreprises industrielles en fixant des objectifs pour réduire les pressions sur la biodiversité. Le personnel d’un nombre croissant d’entreprises est également sollicité pour participer, chaque année, à des projets environnementaux ; du temps de travail est ainsi libéré pour lui permettre de participer à ces projets. Différents types de collaborations avec Nature & Progrès me semblent donc envisageables : services, échanges, formations, conseils… Les possibilités ne se limitent pas, bien au contraire, au mécénat ou au sponsoring… »

Le capitalisme est en train de changer !

« De telles ouvertures, insiste Dominique Clerbois, doivent permettre de dépasser l’opposition, trop souvent frontale, entre le monde environnemental et certains grands groupes industriels ou agroalimentaires, par exemple… Le capitalisme est en train de changer, ainsi que le cadre au sein duquel les entreprises sont désormais appelées à évoluer. L’objectif financier n’est plus le seul qui leur soit demandé. Elles sont également évaluées sur un ensemble de facteurs – c’est l’approche ESG dont j’ai parlé – qui incluent environnement, engagement sociétal et bonne gouvernance. Les préoccupations financières, bien sûr, sont inévitables car toute entreprise se doit d’assurer avant tout sa propre survie. Mais les actionnaires, quant à eux, ne souhaitent plus investir leur argent dans n’importe quel type d’entreprise…

L’INSEAD a également publié, en septembre dernier, une enquête relative à la place de l’ESG dans les entreprises. Cette enquête montre que le besoin de collaboration – avec des associations, par exemple – est important afin d’aboutir à des réalisations concrètes. L’ESG est une vague qui monte de plus en plus, en Belgique, et bon nombre de PME, par exemple, pourraient être mieux épaulées sur le terrain environnemental. A l’heure où une inquiétude croissante émerge chez bon nombre de nos concitoyens, peut-être les outils et réflexions mis en place par Nature & Progrès dans le champ de l’éducation permanente pourraient-ils constituer une base utile en la matière ? Il me semble en tout cas que c’est sur des projets concrets qu’il est possible de dépassionner les débats… Dans le domaine alimentaire cher à Nature & Progrès, il est certainement possible de travailler à une amélioration qualitative et de ramener un peu de sérénité. Dans les assiettes, en tout cas… Il serait cependant intéressant d’analyser comment les sociétés agro-industrielles et agroalimentaires – qui sont sous le feu des critiques de Nature & Progrès – se positionnent vis-à-vis de leur personnel, de leurs bailleurs de fonds, de leurs actionnaires… Une transparence en matière de stratégie environnementale discutable et de qualité, surtout en matière alimentaire, sera de plus en plus requise par les parties prenantes des entreprises. Et si un dialogue peut s’ouvrir, ce sera certainement bénéfique pour tout le monde ! Je suis personnellement d’une nature plutôt optimiste… Mais peut-être vaut-il mieux commencer à travailler avec ceux qui ne sont pas en complète opposition avec les valeurs que nous défendons ? »

Différents niveaux d'engagement

« J’ai cru percevoir, risque alors Dominique Clerbois, qu’il n’y avait peut-être pas, chez Nature & Progrès, une grande sensibilité à l’évolution de ces courants au sein des entreprises. Certaines d’entre elles persistent évidemment encore dans le greenwashing. Mais c’est de moins en moins possible avec toutes les mesures de contrôle qui se sont progressivement mises en place. Les preuves de transparence sont régulièrement « auditées » et doivent absolument être fournies ! Le monde de l’entreprise reste, je l’ai dit, un milieu très concurrentiel, avec des objectifs financiers qui doivent absolument être assurés, juste pour rester dans le business l’année suivante… Différents niveaux d’engagement existent cependant qui vont de la philanthropie pure – pour ceux qui acceptent de consacrer des moyens à une œuvre sans rendement financier – jusqu’à la combinaison étroite, avec les objectifs économiques, d’actions en quête d’un réel impact environnemental et sociétal positif. Une profonde cohérence avec la stratégie business doit alors être trouvée car il serait évidemment trop aléatoire de greffer artificiellement des visées sans rapport suffisant. Certaines entreprises sont déjà très avancées dans des démarches qui marient harmonieusement business et impact positif pour la société et l’environnement. Les possibilités d’action sont nombreuses. Je pense, par exemple, à cette entreprise américaine de vêtements qui encourage ses clients à ne plus lui acheter de vêtements neufs mais plutôt des vêtements recyclés. Ce qui est renvoyé par les clients est simplement réparé, recyclé et revendu par l’entreprise… Je citerai également un fabricant de lunettes qui, chaque fois qu’il vend une paire, en envoie une seconde en Malaisie où les travailleurs, dans les plantations de thé, lorsque l’âge leur faire prendre leur acuité visuelle, ne parviennent plus à travailler et perdent prématurément leur emploi. L’adhésion du public à ce genre de démarche est importante ; ce « buy one give one » est un exemple de modèle, pas tout-à-fait nouveau, pour des entreprises soucieuses de créer un impact positif.

Chaque producteur ou transformateur soutenu par Nature & Progrès est une entreprise ! J’ai déjà eu l’occasion d’en visiter plusieurs qui sont en quête notamment de compétences commerciales accrues afin de pouvoir mieux négocier, par exemple, avec leurs distributeurs. Sans doute les étudiants en commerce ne voient-ils toujours pas suffisamment, dans les entreprises agricoles, un terrain où ils pourraient contribuer efficacement ? »

« Si seulement je pouvais percevoir la crise planétaire comme un appel de mon enfant endormi »

Lecture de Jonathan Safran Foer, L’avenir de la planète commence dans notre assiette.

Certaines phrases, certains textes, certains livres ont le pouvoir de modifier notre regard sur les choses. Ils produisent un déclic, nous font entrer dans un territoire inexploré ou éclairent soudainement une partie de nos pensées ou de nos émotions qu’on imaginait impossibles à mettre en mots. Dans nos engagements et questionnements sur l’écologie, l’alimentation, l’agriculture, l’écoconstruction, le changement climatique, la biodiversité, il n’en va pas autrement. Certaines lectures sont impossibles à garder pour soi. Voici, très sommairement exprimés, trop brièvement présentés, quelques fragments du livre du Jonathan Safran Foer, L’avenir de la planète commence dans notre assiette.

Par Guillaume Lohest

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Introduction

Que peut-on écrire à propos du dérèglement climatique qui n’ait déjà été écrit ? Des milliers de livres sur le sujet ont transité par les librairies du monde entier, depuis trente ans. Pourtant, Jonathan Safran Foer réussit la prouesse d’en parler d’une façon nouvelle. Écrivain surdoué – ses trois romans sont des purs chefs-d’œuvre foisonnant de trouvailles littéraires -, il parvient à réaliser ce que les ouvrages de vulgarisation scientifique ou de plaidoyer écologique ne parviennent pas à faire : raconter le dérèglement climatique depuis l’intérieur des émotions humaines qu’il engendre. Tandis que les démonstrations rationnelles et les exhortations militantes décrivent un monde souvent statistique, factuel et binaire, le récit de Jonathan Safran Foer est vivant, torturé, vertigineux, humoristique. Il convoque le passé, les grands mythes bibliques et sa vie familiale pour tenter de montrer à quel point notre degré de compréhension du réchauffement climatique est primaire. L’effort principal de Foer est de nous mettre dans un état de perception réelle de la menace existentielle qui plane sur nos vies et celles de nos enfants. Ensuite, il ne lâche pas son lecteur, ne l’abandonne pas à l’énormité des constats mais lui plonge le nez dans l’impératif d’agir au départ de son alimentation quotidienne. L’avenir de la planète commence dans notre assiette n’est pourtant pas un livre sur l’agriculture ni sur l’alimentation. C’est un livre sur l’urgence écologique, proposant un angle d’action accessible à tout être humain qui peut se permettre de choisir ses repas.

Nous sommes tous climato-mollassons

Ce que Foer commence par affirmer, en se prenant lui-même comme exemple, c’est que le fait d’être informé, conscient du réchauffement climatique n’a quasiment aucune valeur en soi. Il estime que le clivage entre ceux qui acceptent la science et ceux qui la refusent est réel, mais insignifiant. Pour lui, en effet, « la seule dichotomie qui compte est celle qui sépare ceux qui agissent de ceux qui ne font rien (1). » Nos descendants ne se demanderont pas qui était conscientisé et qui ne l’était pas, mais pourquoi nous ne faisions rien – même quand nous savions. « Nous exagérons dramatiquement le rôle de ceux qui refusent les conclusions de la science parce que cela permet à ceux qui les acceptent de se sentir en paix avec eux-mêmes, sans pour autant nous mettre au défi d’agir en utilisant le savoir que nous avons intégré. » Autrement dit, stigmatiser les climato-négationnistes nous réconforte mentalement, mais cela ne nous fait pas agir plus radicalement pour autant. C’est en ce sens que le philosophe australien Clive Hamilton considère que « nous sommes tous climatosceptiques » : au fond, nous continuons de nous comporter comme si le caractère dramatique du dérèglement climatique – dont nous avons pourtant conscience – ne changeait rien à notre vie. Ou presque rien. Nous achetons sans doute des ampoules différentes, diminuons nos trajets en voiture et en avion, choisissons un magasin plutôt qu’un autre mais cela ne correspond pas à la modification rapide, radicale et inédite de tous les aspects de société à laquelle exhortait le GIEC dans un communiqué de presse à l’automne 2018.

Cerveau et cœur inadaptés

Nous savons, sans y croire vraiment. Safran Foer s’attaque à ce nœud central qui constitue, pour lui, le cœur du problème. Pour nous le faire percevoir dramatiquement, il tisse un parallèle historique avec la figure de Jan Karski, un résistant polonais qui fut chargé d’alerter les gouvernements alliés, dès 1942, sur l’extermination des Juifs d’Europe. Après avoir accumulé les témoignages en Pologne, il est parvenu à se rendre à Washington où il a été reçu par un juge à la Cour suprême, Felix Frankfurter, lui-même juif. « Après avoir entendu le récit de Karski sur l’évacuation du ghetto de Varsovie et sur l’extermination dans les camps de la mort, après lui avoir posé une série de questions de plus en plus précises (« quelle est la hauteur du mur qui sépare le ghetto du reste de la ville ? »), Frankfurter arpenta le bureau en silence, s’assit dans son fauteuil et déclara : « Monsieur Karski, un homme comme moi, quand il s’adresse à un homme comme vous, doit être totalement franc. Il me faut donc vous dire que je ne crois pas à ce que vous m’avez raconté. » »

Mais attention, les mots utilisés par le juge avaient toute leur importance. Car il ne refusa pas la version de Karski. Il dit précisément ceci : « Je n’ai pas dit que ce jeune homme mentait. J’ai dit que je ne parvenais pas à le croire. Mon cerveau, mon cœur sont faits de telle façon que je ne peux pas l’accepter. » Notre relation au réchauffement climatique est, selon Safran Foer, du même ordre. Nous écoutons les alertes du GIEC, nous les considérons comme graves et sérieuses, mais « nos cerveaux et nos cœurs sont façonnés de manière à pouvoir accomplir certaines tâches, mais peu préparés à en réaliser d’autres. » Nous nous montrons incapables de faire tout ce qui est possible pour modifier radicalement de façon inédite tous les aspects de la société, bien que le dérèglement climatique relève, selon le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, d’une « menace existentielle pour la planète et nos vies mêmes ».

L’écrivain cependant n’accuse pas son lecteur. Ce dialogue entre deux personnages, l’un qui veut alerter et l’autre qui ne parvient pas à accepter la gravité des faits, se joue surtout à l’échelle intérieure. Safran Foer nous montre le dialogue incessant qui se produit en lui entre le « résistant » résolu et la tendance de son cœur et de son cerveau à fonctionner de la façon dont ils sont construits, autrement dit à continuer de vivre comme il l’a toujours fait.

Si seulement…

Ce constat conduit Jonathan Safran Foer à analyser le rôle capital des émotions dans notre rapport au changement climatique. Observant comment, dans d’autres situations d’urgence, les êtres humains sont capables de réagir avec urgence et détermination, individuellement ou collectivement, il accumule les comparaisons pour tenter de nous faire sentir que la situation écologique mondiale exigerait le même genre d’attitudes. « Je me précipite pour apaiser mon fils qui fait un cauchemar, écrit-il, mais je ne fais quasiment rien pour éviter un cauchemar au monde. Si seulement je pouvais percevoir la crise planétaire comme un appel de mon enfant endormi. Si seulement je pouvais percevoir cette crise exactement pour ce qu’elle est.« 

Cette incapacité à percevoir la nature réelle du danger implique, pour nos sociétés, la nécessité de mobiliser l’action autrement que par la seule spontanéité individuelle. « Les événements virtuels – les nazis qui approchent de votre village, une célébration nationale de gratitude, une guerre loin de nos côtes, une élection présidentielle, le dérèglement climatique – exigent des structures facilitant les actions qui provoquent des émotions.

Et la contrainte ? « Dans les moments de menace sans précédent, nous pouvons faire appel à l’histoire pour y trouver de l’aide. » Toujours inspiré par l’histoire du XXe siècle, Safran Foer s’intéresse par exemple à la possibilité pour les citoyen.ne.s d’accepter des contraintes d’État. Il rappelle que celles-ci furent drastiques pour les Américains durant la Seconde Guerre mondiale. « Le gouvernement a décidé, et les Américains ont accepté, que les prix du nylon, des bicyclettes, des chaussures, du bois de chauffe, de la soie et du charbon soient contrôlés. L’essence fut strictement régulée, et la vitesse limitée à cinquante kilomètres heure dans tout le pays pour réduire les dépenses de carburant et la consommation de caoutchouc. Des affiches commanditées par l’État recommandaient le covoiturage en annonçant : « SEUL dans votre voiture, vous roulez pour Hitler ! » » Cette mobilisation générale, justifiée par la nécessité de gagner la guerre, n’a pas suffi par elle-même mais y a contribué, note-t-il. Aujourd’hui, ce type de mesures semble impensable, tant nos habitudes de consommation et de mobilité sont assimilées par les gens à des libertés non-négociables. Mais le débat ne mérite-t-il pas d’être ouvert ?

La chose la plus difficile à changer

Ce n’est pourtant pas par cet angle de la contrainte collective que l’écrivain choisit d’encourager son lecteur à agir. Comme l’indique le titre de son livre, c’est par l’assiette qu’il incite à passer à l’action. Il ne s’agit évidemment que d’un levier parmi d’autres. Alors pourquoi Jonathan Safran Foer pointe-t-il précisément nos habitudes alimentaires, en insistant sur la réduction drastique de la consommation de viande ? Parce qu’il serait un militant végan extrémiste ? Cela nous arrangerait peut-être de le stigmatiser comme tel, afin d’éviter de nous remettre en question nous-mêmes. Mais non, il aime les hamburgers et avoue ne pas parvenir à s’empêcher tout à fait de manger de la viande. S’il interpelle notre passage à l’action par ce biais, c’est parce qu’il s’agit de la chose la plus difficile à modifier, pour lui comme pour la plupart des gens. « Je connais trop de gens intelligents et concernés – je ne parle pas de ceux qui défendent des causes par narcissisme, mais de gens respectables, qui donnent de leur temps, de leur argent, et de leur énergie pour améliorer le monde – qui jamais ne modifieraient leur régime alimentaire, aussi persuadés qu’ils soient du bien-fondé de ce changement. » S’identifiant à nos difficultés, ne donnant aucune leçon si ce n’est à lui-même, il va donc directement au cœur du problème. Il reconnaît, évidemment, que la question de l’alimentation carnée n’en est qu’un aspect – mais un aspect incontournable. « Les efforts consentis par les civils aux États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale n’étaient pas suffisants, à eux seuls, pour assurer la victoire, mais la guerre n’aurait pas pu être gagnée sans eux. Un changement de nos habitudes alimentaires ne suffira pas, à lui seul, pour sauver la planète, mais nous ne pourrons pas la sauver sans procéder à ce changement.« 

L’un des chapitres les plus passionnants de ce livre est l’appendice qui suit la conclusion. Il s’agit d’un examen détaillé de la controverse scientifique concernant la part de responsabilité du secteur de l’élevage industriel dans les émissions de gaz à effet de serre. Deux chiffres sont en concurrence, selon la manière dont on calcule, on non, les effets indirects liés à l’élevage industriel, et sa croissance exponentielle : 14,5%, ou 51% des émissions mondiales. Cette controverse est intéressante, non pas dans le but de donner raison à l’une ou l’autre des approches, mais parce qu’en tentant d’en comprendre les tenants et aboutissants, on voit à quel point l’élevage industriel n’est pas un « secteur » isolé du reste de nos sociétés. Il est inextricablement lié au transport, à l’affectation des terres, à la déforestation, à la destruction des habitats. Par le détour de cette controverse, on perçoit immédiatement que l’élevage industriel est un facteur, si pas majoritaire en tout cas central, des enjeux écologiques mondiaux. Faire reculer drastiquement la consommation et la production de produits industriels d’origine animale aurait ainsi des effets bénéfiques en cascade.

Pas avant le souper

Pour avoir déjà écrit un essai sur la question – Faut-il manger les animaux ? en 2011, l’auteur connaît parfaitement les caricatures qui peuvent être faites et les réactions viscérales qui peuvent surgir autour de ce débat. Dans un chapitre qui se présente comme une discussion intérieure entre son âme et lui, il déculotte cette opposition stérile entre « viandeux » et « végans » d’une simple réplique.

  • Quel est le contraire d’un type qui mange de la viande, des produits laitiers et des œufs ?
  • Un Végan.
  • Non. Le contraire d’une personne qui mange beaucoup de produits d’origine animale, c’est quelqu’un qui fait attention à la fréquence à laquelle il en consomme. La meilleure façon d’éviter de se confronter à un défi, c’est de prétendre qu’il n’y a qu’une seule solution de rechange.

Ainsi, sa proposition n’est pas de supprimer totalement les produits d’origine animale de nos repas. Loin du dogmatisme, l’auteur cherche un compromis. Il invite, pour la viande, les œufs et les produits laitiers, à attendre le repas du soir. « Le rapport scientifique le plus intéressant publié l’an dernier disait qu’en Occident on devrait manger 90 % de viande et 70 % de laitages en moins si l’on voulait avoir un impact sur le réchauffement. Je voulais juste trouver un compromis entre ce qu’il faut faire et ce qu’on peut faire. Et comme le dîner est le moment le plus convivial de la journée, je me dis que changer notre mode d’alimentation au petit-déjeuner et au déjeuner n’altérera pas nos modes de vie (2). » On notera, chez Nature & Progrès, que cette proposition est compatible avec le maintien d’élevages domestiques, paysans et locaux, permettant une consommation (très) modérée, réfléchie, ainsi qu’un bien-être animal accru.

Vulnérable comme ma grand-mère

Même s’il affirme ponctuellement que son livre concerne l’impact de l’élevage industriel sur le réchauffement climatique, Jonathan Safran Foer s’attarde bien davantage sur notre compréhension du dérèglement climatique lui-même – ce qu’il reconnaîtra dans des interviews après la publication. Il accumule les images pour tenter de décrire, aussi souvent que nécessaire, le lien vital qui nous unit à notre planète. Ainsi évoque-t-il l' »effet de surplomb », ce sentiment intense ressenti par les astronautes lorsqu’ils voient la terre de loin, dans toute sa fragilité et sa beauté, au point parfois d’inspirer des changements radicaux dans leur existence. Il établit encore un parallélisme entre notre planète et sa propre grand-mère en fin de vie. « À regarder ma grand-mère à cette distance, je ressens quelque chose qui ressemble à l’effet de surplomb : mon « chez-moi » me paraît soudain vulnérable, singulièrement beau. Et soudain je la vois tout entière – dans le contexte de ma vie, de ma famille, de l’histoire. Entourée par un néant de ténèbres apparemment infinies, ma grand-mère a besoin de protection, et elle la mérite.« 

Allant un pas plus loin, il invite même à demi-mot ses lecteurs à accepter le destin irrémédiable des formes actuelles de vie sur la terre, quand il décrit sa grand-mère à ses côtés. « D’une certaine façon, elle est déjà morte – malgré ce qu’il m’en coûte d’écrire ces mots – et accepter son absence n’est pas seulement la seule démarche honnête, c’est celle qui nous permettra de mesurer pleinement l’importance de sa présence. » Je ne connais pas de description plus puissante et plus efficace du lien qui peut unir le deuil et l’action dans un même mouvement – en apparence paradoxal, mais en apparence seulement.

Pourquoi encore agir ?

Deux questions importantes restent à évoquer. D’abord, celle du sens. Pourquoi continuer à agir si l’ampleur des catastrophes est telle qu’on ne peut pas les solutionner ? Ce questionnement théorique, légitime, est cependant un piège. « Je ne pense pas que le plus grand défi posé par le dérèglement climatique soit d’ordre philosophique. Et je suis tout à fait convaincu qu’un habitant de l’Afrique subsaharienne, ou de l’Asie du Sud-Est, ou encore de l’Amérique latine – là où le dérèglement climatique est ressenti de la façon la plus douloureuse – serait d’accord avec moi. Le plus grand défi est de sauver tout ce qui peut l’être : autant d’arbres, autant d’icebergs, autant de degrés de température, autant d’espèces, autant de vies – bientôt, rapidement, et sans délai.« 

Nous sommes faits de telle manière que nous cherchons un engagement parfait, qui garantisse que les problèmes seront solutionnés par notre action. Ne s’agit-il pas d’une fausse excuse, d’un prétexte pour ne pas changer ? « La mesure essentielle n’est pas la distance qui nous sépare d’une perfection inaccessible mais d’une inaction impardonnable. » Quand le Titanic coulait, savoir qu’il n’y aurait pas de place pour tout le monde dans les canots de sauvetage n’empêchait pas de tout mettre en œuvre pour sauver un maximum de vies.

L’individu et le système

Après le discours mielleux des gestes individuels pour ‘sauver le climat », dans lequel la publicité commerciale continue de se vautrer pitoyablement, on a assisté ces dernières années à un salutaire retour en force des critiques systémiques. Les structures doivent changer. Pour autant, Jonathan Safran Foer refuse que cette évidence puisse conduire les individus à se dédouaner de leur part de liberté. « Certes, il existe des systèmes à la force indéniable – capitalisme, élevage industriel, complexes industriels des énergies fossiles – qui sont difficiles à démanteler. Aucun conducteur ne peut créer un embouteillage tout seul. Mais aucun embouteillage ne peut exister sans conducteurs individuels. Nous sommes pris dans la circulation parce que nous sommes la circulation« . Autrement dit, malgré la force des contraintes et du système dans lequel nous sommes pris, nous demeurons libres de choisir parmi des options possibles, il y a une marge de manœuvre que nous devons utiliser. Parce qu’il faut faire tout ce qu’il est possible de faire. Il ajoute : « même si c’est sans doute un mythe néolibéral d’affirmer que les choix individuels emportent la décision ultime, ajoute-t-il, c’est un mythe défaitiste qui voudrait que les décisions individuelles n’aient aucun pouvoir du tout. Les plus grandes actions comme les plus petites ont leur efficacité, et quand il s’agit de freiner la destruction de notre planète, il serait contraire à l’éthique de rejeter les unes ou les autres, ou de proclamer que parce que les plus grandes ne peuvent pas être menées à bien, il serait inutile de tenter d’envisager les plus petites. » Sans nier la nécessité de changements structurels énormes, voire d’une révolution politique, Safran Foer affirme que « nous n’avons aucune chance d’atteindre notre objectif de limiter la destruction environnementale si nous ne prenons pas la décision hautement individuelle de manger différemment. » Cela revient à dire, et c’est le titre original de l’ouvrage en anglais, que « nous sommes le climat ».

Affrontant, encore et encore, le vertige ressenti face à l’ampleur des catastrophes, l’écrivain nous livre une énième introspection sous forme de dialogue intérieur. « Les vrais choix auxquels nous sommes confrontés, ce n’est pas ce que nous achetons, les avions que nous prenons ou les enfants que nous avons, c’est plutôt de savoir si nous sommes prêts à nous engager à vivre éthiquement dans un monde brisé, un monde duquel les humains dépendent pour leur survie collective dans une sorte de grâce écologique. »

Safran Foer, à ce moment, semble en train de réfléchir en même temps qu’il écrit. Car la suite du paragraphe réconcilie les deux aspects – choix quotidiens et positionnement philosophique – qu’il avait pourtant commencé par opposer : « que signifie vivre éthiquement si ce n’est pas faire des choix éthiques ? Au nombre de ces derniers, se trouvent précisément ce que nous achetons, les avions que nous prenons, le nombre d’enfants que nous mettons au monde. Que signifie la grâce écologique, si ce n’est la somme des décisions prises au fil des jours, au fil des heures, de consommer moins que ce qui tient entre nos mains, de manger autre chose que ce que nos estomacs réclament, de créer des limites pour nous-mêmes, pour que nous puissions partager ce qu’il reste ?« 

Notes

(1) Sauf mention contraire, toutes les citations de cet article sont tirées de Jonathan Safran Foer, L’avenir de la planète commence dans notre assiette, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Amfreville, Éditions de l’Olivier, 2019.

(2) Jonathan Safran Foer : « On doit inscrire en nous qu’on ne vole pas la planète« , propos recueillis par Alexandra Schwartzbrod, Libération, le 23 octobre 2019.

Un nouveau processus délibératif chez Nature & Progrès

Nature & Progrès met en place un panel citoyen appelé à réfléchir sur le thème : « As-tu besoin de ton voisin ?« . Notre inscription dans le champ de l’éducation permanente nous amène, en effet, à envisager une participation optimale de nos concitoyens et de nos membres dans la définition des actions mises en œuvre par notre association. D’une manière plus générale, ce nouveau mode d’action entend remédier aux critiques émergeant de notre corps social qui comprend toujours plus mal les processus décisionnels de nos représentants politiques. Il est grand temps de se mobiliser face à cette crise de la représentativité !

Par Sophie Devillers

Processus délibératif projet panel citoyen
Introduction

Mais, plus concrètement, comment de telles délibérations citoyennes peuvent-elle nous permettre de voler au secours de nos démocraties en souffrance ? C’est ce que nous explique une jeune doctorante de l’Institut de Sciences politiques de l’UCLouvain…

Les symptômes d’une démocratie malade

Depuis ces dernières années, scandales et crises politiques en tous genre ne cessent de rythmer l’actualité. Entre Publifin, les formations gouvernementales interminables voire incompréhensibles et l’urgence de la situation climatique, nos systèmes politiques semblent bien impuissants. En conséquence, de plus en plus de citoyens manifestent leur mécontentement et leur perte de confiance en les institutions et les personnes qu’ils ont pourtant élues pour décider en leur nom. Jamais, en effet, la confiance des citoyens en ces structures n’a été si faible (1).

Ainsi, bien que le vote soit obligatoire en Belgique, de plus en plus de citoyens s’abstiennent de voter – ne se rendent pas à l’isoloir – ou encore votent blanc – ne remplissent aucune case sur le bulletin – ou nul – en exprimant, par exemple, leur colère par le biais d’annotations sur le bulletin. Aussi, on remarque que les familles politiques traditionnelles – libéraux, socialistes et chrétiens démocrates – voient leur succès électoral s’essouffler au profit de formations plus « antisystème » telles de que le PTB en Wallonie ou le Vlaams Belang en Flandre, dont un des leitmotivs est le rejet des structures politiques actuelles. Et ce sont peut-être d’ailleurs ces mêmes structures qui sont à l’origine du manque d’efficacité et du déficit de confiance que l’on observe aujourd’hui. Certains s’interrogent, en effet, sur la capacité d’un système plus que bicentenaire à affronter les crises qui traversent les sociétés actuelles en pleins bouleversements à tous niveaux – technique, climatique, géopolitique… – et proposent des innovations – qui sont exposées ci-dessous – avec l’espoir de donner un coup de jeune à nos démocraties.

A l’origine du mal : les élections ?

Avant d’aborder ces innovations, attardons-nous quelques instants sur une notion fondamentale : la démocratie. Finalement, c’est quoi une démocratie ? Un système qui permet à tous de vivre pleinement sa liberté de parole ? Un régime où tous les citoyens ont droit à un niveau de vie digne ? Ou encore un État où la vie privée est protégée contre les éléments pouvant y porter atteinte ? Il semble y avoir autant de manière de vivre la démocratie que d’États démocratiques…

Mais avant tout, l’élément fondamental qui semble les rassembler tous aujourd’hui est leur fonctionnement sur base d’élections. De nos jours, tous les États considérés comme « démocratiques » présentent un système de gouvernance « du peuple par le peuple et pour le peuple » (2) organisé par l’intermédiaire de représentants élus à l’issue d’élections libres et périodiques. Et c’est bien ce système qui semble être à l’origine des maux dont souffre actuellement notre démocratie. D’une part, passer par des élections structurées par des partis politiques afin de choisir les représentants du peuple qui décideront en son nom, a tendance à produire une certaine élite. Ainsi, la composition de nos assemblées est biaisée et offre une surreprésentation à certaines catégories de personnes. Plus précisément – et si on regarde, par exemple, le Parlement de Wallonie -, on remarque entre autres que l’âge moyen des septante-cinq parlementaires est de quarante-sept ans, contre quarante pour l’ensemble de la population wallonne. La proportion d’hommes y est aussi plus élevée que dans l’ensemble du territoire wallon : 59% contre 49% (3). Enfin, le niveau d’éducation des élus est bien plus élevé que le niveau moyen de la population : 64% des parlementaires disposent d’un diplôme universitaire contre 14% pour la population wallonne. Par conséquent, les citoyens ont parfois du mal à se sentir véritablement représentés par leurs élus, qui semblent distants de leur réalité quotidienne et ne seraient ainsi pas en mesure de prendre des décisions représentant véritablement les intérêts de leur électorat, si différent.

Les cycles électoraux, quant à eux – on vote une fois tous les cinq ans au niveau fédéral et régional, et une fois tous les six ans au niveau provincial et communal -, engendrent des dynamiques de court terme où les élus ont peu de temps pour mettre en place des projets qui viendront embellir leur bilan et leur donner une meilleure image lors des élections suivantes… On remarque souvent, par conséquent, une certaine frilosité à investir dans des politiques de long terme, coûteuses en investissements et donc peu populaires, et dont les bénéfices ne se voient parfois que sur plusieurs décennies. Les enjeux climatiques, par exemple, en sont une victime collatérale.

La démocratie délibérative : remède universel ?

Toutefois, il existe aujourd’hui des modèles permettant de combler ces problèmes engendrés par un fonctionnement par élections. Et si on imaginait que démocratie et élections ne soient plus des synonymes ? Si cela nous semble compliqué aujourd’hui, des peuples ont tenté, il y a plusieurs siècles, d’autres systèmes pour gouverner leurs territoires et leurs populations, comme la Grèce antique, qui comptait des organes composés de citoyens tirés au sort pour s’occuper de la gestion quotidienne de la cité (4).

Aujourd’hui, académiques, experts, activistes, associations et même politiques s’inspirent de ces modèles alternatifs pour tenter de combler les failles de notre système 100% électif. S’il ne s’agit évidemment pas d’abolir purement et simplement les élections, il s’agit de répondre par contre à leurs principaux défauts – manque de représentativité des institutions et vision de court-terme – par des processus adjacents impliquant plus directement les citoyens, sans l’intermédiaire de leurs représentants. La démocratie délibérative, entre autres, commence à faire son chemin en Belgique. Derrière ce concept général, se cachent en réalité les « panels citoyens », les « assemblées consultatives », les « parlements citoyens » et bien d’autres formules. De manière générale, ces processus rassemblent un petit groupe de citoyens – de quelques dizaines à plusieurs centaines – aux opinions et profils divers dans le but de discuter, pendant un ou plusieurs jours, d’un sujet particulier, allant de la mobilité à la fiscalité, en passant par l’urbanisme ou l’intelligence artificielle… Pendant leurs rencontres, accompagnés d’experts du sujet et de modérateurs, ils ont pour tâche de produire des recommandations, des solutions, des points d’attention par rapport à la thématique qui leur est soumise, à l’attention des décideurs politiques. Ces processus imposent, par ailleurs, aux participants de se confronter à des points de vue différents à propos de sujets de société parfois clivants, leur permettant ainsi de mieux comprendre le point de vue de parties adverses et de s’ouvrir à d’autres perspectives. Aussi, si ces processus sont exigeants en termes de temps et d’investissement, cet investissement n’est pas perdu, dans la mesure où les participants en ressortent souvent avec une meilleure compréhension des sujets qui les concernent et du système politique en général. Enfin, leur participation sert parfois de tremplin pour continuer leur engagement par d’autres canaux.

En Belgique, le plus célèbre de ces processus est sans doute le G1000 qui a rassemblé plus de sept cents citoyens belges tirés au sort (5), le 11 novembre 2011, pour parler de sujets tels que l’immigration, la sécurité sociale et l’emploi. Ce processus est né de l’esprit de quelques académiques et activistes, dont David Van Reybrouck, auteur d’un livre intitulé « Contre les élections » (6) et précurseur des réflexions sur le sujet, en Belgique, face à la crise gouvernementale – ou plutôt d’absence de gouvernement – qui a secoué la Belgique, cette année-là. Pendant que certains belges se laissaient pousser la barbe, ce petit groupe a mis en place un processus délibératif « 100% citoyen ». Si les politiques, en effet, ne parviennent pas à gouverner, pourquoi pas demander aux citoyens d’essayer ?

Fonctionnement et influence du G1000

Cette idée anima les organisateurs de l’évènement qui mirent un point d’honneur à intégrer les citoyens dans tout le déroulement du processus. Ainsi, les thèmes à l’ordre du jour furent choisis suite à une consultation en ligne à laquelle tous les Belges purent participer. Les thèmes qui revenaient le plus souvent furent ensuite soumis au groupe des sept cent quatre participants, ainsi qu’à l’ensemble des citoyens qui pouvaient participer à distance, soit depuis chez eux en ligne, soit dans une salle de leur commune. A l’issue des discussions, les recommandations furent transmises aux présidents des parlements du pays mais n’eurent pas, pour autant, un quelconque impact sur les politiques liées à ces sujets…

Toutefois, si l’impact du G1000 demeura plus que modeste en termes de contenu des politiques, il permit incontestablement de lancer la dynamique délibérative en Belgique. Ainsi, notre pays compta, en 2018, trente-huit processus délibératifs utilisant le tirage au sort ! Ces processus se déroulèrent à tous les niveaux de pouvoir – du local au fédéral en passant par le régional – et couvrirent une très large variété de sujets.

A l’aune de la multiplication de ces processus, il faut toutefois relever un écueil majeur auquel ils se heurtent aujourd’hui : celui de leur impact sur les politiques publiques. Si ces processus permettent, en effet, de créer du dialogue entre les citoyens – qui en sortent souvent avec l’impression d’une expérience humaine enrichissante -, ceux-ci risquent malheureusement d’être très frustrés par le peu d’impact de leur investissement sur les politiques. Souvent, les rapports contenant les recommandations des citoyens ne parviennent pas à intégrer les processus de prise de décisions et ne sont donc pas utilisés pour nourrir les réflexions du personnel politique qu’ils sont censés éclairer par le point de vue des citoyens. Ainsi, au lieu de rapprocher le citoyen du politique, ils pourraient donc l’en éloigner encore davantage par la frustration qu’engendre le sentiment d’avoir participé « pour rien » à un tel processus, chronophage et intensif.

Face à ce risque de retour de flamme, deux institutions belges ont décidé d’entériner un processus délibératif directement dans leurs structures politiques officielles. Dès 2019, la Communauté germanophone a ainsi instauré son Dialogue citoyen permanent, véritable premier Parlement « citoyen » à l’échelle mondiale, disposant d’une existence dans les textes de lois. Son Conseil citoyen se compose de vingt-quatre citoyens et se renouvèle tous les dix-huit mois. Cet organe a le pouvoir de soumettre des thématiques à la discussion d’assemblées citoyennes, composées de vingt-cinq à cinquante participants tirés au sort, en vue d’adresser des recommandations au Parlement. Les sujets soumis à ces assemblées peuvent provenir du Parlement, du Gouvernement, d’une pétition signée par cent citoyens de la Communauté, ou du Conseil citoyen lui-même, ce dernier étant souverain pour décider quel thème sera finalement soumis aux assemblées. A l’heure actuelle, le Dialogue citoyen permanent a traité de l’organisation des soins de santé et de l’éducation. Une fois les recommandations adressées au politique, ce dernier est contraint d’en effectuer un suivi : à la fois de rendre des comptes aux citoyens quant aux recommandations qui seront effectivement mises en œuvre et à celles qui sont rejetées en explicitant les raisons motivant ce rejet.

Le second Parlement à avoir sauté le pas de l’institutionnalisation est le Parlement bruxellois qui a voté, en 2020, une législation permettant d’intégrer des citoyens tirés au sort dans les commissions parlementaires. Ainsi, à la demande de mille citoyens bruxellois – par la signature d’une pétition – ou d’un groupe ou député individuel du Parlement, un sujet peut être soumis à une commission délibérative, composée de quinze élus – les membres de la commission parlementaire possédant la thématique dans ses attributions – et de quarante-cinq citoyens bruxellois, tirés au sort, âgés d’au moins seize ans. La commission de l’Environnement et de l’Énergie, à laquelle se sont ajoutés quarante-cinq Bruxellois, ont par exemple, délibéré pendant quatre journées des balises encadrant l’installation du réseau 5G à Bruxelles. Leur rapport a été transmis au Parlement qui, comme en Communauté germanophone, se doit de motiver la manière dont il compte effectuer le suivi des recommandations. Ici, la présence des élus renforce encore davantage le lien entre le processus et les instances politiques, dans la mesure où les élus participent dès le départ à coconstruire les politiques, et seront donc plus enclins à les défendre au sein de l’assemblée parlementaire, de jouer les porte-parole du processus en installant ainsi une courroie de transmission entre les recommandations des citoyens et le pouvoir en charge de les mettre en œuvre.

Une inspiration pour Nature & Progrès ?

En s’inspirant de ces expériences innovantes, Nature & Progrès a aussi voulu tenter l’aventure de la délibération en faisant participer directement ses publics – producteurs, membres et public proche de l’association – à la définition des grandes orientations de l’association, répondant ainsi notamment à l’interpellation de son groupe local de Marche qui cherche une réponse innovante à l’immobilisme du « Conseil des Locales » de l’association. L’ensemble des groupes locaux de Nature & Progrès sont donc appelés à s’associer à cette démarche ou à réfléchir à d’autres questions qui pourraient faire l’objet d’un même traitement, la volonté étant de dynamiser la participation des publics de Nature & Progrès pour qu’ils contribuent effectivement à définir les orientations de l’association.

En l’occurrence, notre association, soutenue par son Conseil d’administration, organisera, durant deux samedis du mois de mars 2022, son premier processus délibératif sur le thème « As-tu besoin de ton voisin ?« . Pendant ces deux journées, trente citoyens pourront ainsi discuter du (re)développement des tissus sociaux et des réseaux de consommation et de production locaux, en vue d’alimenter les positions de l’association sur cette thématique. Le comité de pilotage à la manœuvre de ce processus veillera à composer le panel de participants le plus divers possible, lui permettra d’échanger avec des professionnels de terrain et des experts du sujet afin d’alimenter la réflexion et les échanges.

Notes

(1) Selon des études récentes, voir notamment : Goovaerts, I., Kern, A., Marien, S., van Dijk, L., van Haute, E., Deschouwer, K. (2019). Vote protestataire ou idéologique. Les déterminants des choix électoraux au 26 mai 2019. Note sur base des données du projet EoS RepResent, Communiqué de presse.

(2) Selon la célèbre formule du président Lincoln prononcée lors du discours de Gettysburg en 1863.

(3) Sources : RTBF Info (11 juin 2019) : « Âge, salaire, niveau d’étude… Qui sont les députés qui vont siéger en Wallonie et à Bruxelles » et IWEPS

(4) Ce modèle est évidemment loin d’être idéal dans la mesure où, à l’époque, tout le monde ne jouissait pas du statut de citoyen. Ainsi, les femmes et les esclaves étaient d’office exclus du tirage au sort et ne participaient donc pas à la gestion de leur cité.

(5) Ce tirage au sort a été effectué par un « Random Digit Dialing« , c’est-à-dire une composition aléatoire de numéros de téléphone, permettant ainsi de joindre des personnes au hasard dans l’ensemble de la population.

(6) David Van Reybrouck, Contre les élections, éditions Actes Sud (Babel), 2014 – existe en version téléchargeable.

Tourner le dos aux pesticides, il y a urgence !

Rendus publics le 4 octobre dernier, les résultats du Biomonitoring humain wallon, réalisé par l’Institut Scientifique de Service Public (ISSeP) – voir : https://www.issep.be/biomonitoring/ – ne sauraient être accueillis avec indifférence. On nous démontrera, certes, que certaines valeurs sont en baisse – métaux lourds, bisphénols, etc. – et que, dans l’ensemble, tout cela n’est pas pire qu’ailleurs en Europe… L’imprégnation de nos corps par d’innombrables substances potentiellement toxiques n’en reste pas moins extrêmement préoccupante.

Par Marc Fichers

nouveaux ogm non à la déréglementation
Introduction

Nous n’y pouvons rien ou à peu près, sauf peut-être en ce qui concerne les fumeurs… Ces innombrables substances sont largement présentes dans notre environnement, intérieur et extérieur – eau, air, sol -, mais aussi dans notre alimentation et dans bon nombre de produits que nous utilisons dans notre vie quotidienne – des matériaux divers, des produits de nettoyage, des jouets, etc. Le Biomonitoring, réalisé par l’ISSep à la demande de la Région Wallonne – dans sa première phase concernant nouveau-nés, adolescents et adultes âgés de vingt à trente-neuf ans -, nous livre une estimation réelle et globale de l’exposition de ces catégories de personnes à une cinquantaine de substances chimiques, toutes sources et voies d’exposition confondues. Il sera donc particulièrement utile pour effectuer un suivi de ces expositions. 828 Wallons et Wallonnes – 284 nouveau-nés, 283 adolescents et 261 adultes de vingt à trente-neuf ans – se sont donc portés volontaires afin de mesurer, en toute confidentialité, leurs niveaux d’imprégnation. Des analyses complémentaires seront réalisées par la suite, afin de déterminer l’origine précise de certains polluants, autour des broyeurs à métaux par exemple…

Les pesticides nous empoisonnent toujours la vie !

Pour ce qui concerne Nature & Progrès et son action : rien d’étonnant, hélas ! Le glyphosate – pourtant interdit en Belgique, depuis 2017, pour l’usage privé et dans les espaces publics – est présent dans presque un quart des échantillons d’urine. Nous avons maintes fois expliqué que cette molécule active ne voyage jamais seule. Le produit commercial, qui est effectivement utilisé et impunément répandu dans notre environnement et jusqu’à l’intérieur de nos corps, se compose également de toute une série de co-formulants dont nous savons finalement fort peu de choses, mais qui ne sont jamais visés par les études de toxicité. Ces substances mystérieuses, considérées à tort comme sans effet biologique, se drapent, en effet, dans le secret industriel pour échapper à tout contrôle. Mais de plus en plus d’études montrent que le « produit formulé », c’est-à-dire la substance active + ses co-formulants, est souvent beaucoup plus toxique que la seule substance active !

D’une manière plus générale, nos craintes semblent, malheureusement, se vérifier en ce qui concerne les plus jeunes d’entre nous : les concentrations mesurées chez les adolescents sont, en effet, significativement supérieures à celles des adultes, pour la grande majorité des pesticides actuellement utilisés. De quoi s’inquiéter pour les générations futures ?

La croyance dans la nécessité des pesticides est une forme d’obscurantisme ! Il y plus d’un demi-siècle déjà, les industriels des pesticides distribuaient, entre autres, le Chloropyrifos, un insecticide organophosphoré qui a des effets génotoxiques et neurotoxiques. Des études démontrèrent également un retard mental chez les enfants exposés à ces poisons. Les industriels l’ignoraient-ils ? Sans doute pas plus que les industriels du tabac n’ignoraient les effets cancérogènes des cigarettes. Leo Burnett, le Marlboro Man n’est plus là pour en témoigner. Les fondateurs de Nature & Progrès, quant à eux, étaient déjà conscients que ces poisons n’apporteraient rien de bon à l’agriculture et à l’alimentation humaine. Ils firent le choix de tabler sur la bonne gestion des sols pour produire une alimentation saine, dans le respect des lois de la nature et en refusant l’usage des pesticides chimiques de synthèse. Depuis tous ce temps, les agriculteurs bio perfectionnent leurs techniques de production. Ils l’ont fait seuls car les centres de recherche publics ont toujours choisi la voie chimique qui leur semblait un gage de modernité. Ces procédés chimiques sont aujourd’hui totalement dépassés mais le mythe moderniste subsiste.

Les techniques de l’agriculture biologique sont performantes et la production bio est plébiscitée par les consommateurs. Un agriculteur wallon sur sept travaille en bio. Sans la moindre gouttelette de pesticide chimique de synthèse ! A telle enseigne que la Wallonie a choisi de se doter d’un plan ambitieux qui vise 30% de bio en 2030. Fort de ce constat, fort de l’efficacité des techniques de la bio, Nature & Progrès a lancé, il y a près de cinq ans sa campagne Une Wallonie sans pesticides, nous y croyons ! dont le but est de libérer notre région des pesticides, puisqu’il est communément admis que leur usage – et c’est un prudent euphémisme – « n’est pas sans danger ». Le remplacement pur et simple des pesticides chimiques de synthèse par des alternatives non chimiques est possible. Absolument possible. Les alternatives existent, nous les avons répertoriées et testées : en prairies, en maïs, en céréales, en pommes de terre… Et nous ne demandons qu’à poursuivre notre démarche. A cet effet, Nature & Progrès organise des rencontres entre agriculteurs, bio et non bio, pour en faire la démonstration… Nous ne craignons donc plus de dire qu’un changement radical est non seulement possible, mais totalement nécessaire, car la biodiversité est, par ailleurs, dans un état lamentable. Or ceci est dû, principalement, à l’emploi, insupportable car totalement inutile, de pesticides dans nos campagnes. D’une manière très générale, la pollution de notre environnement appelle également un changement radical de paradigme.

L'approche toxicologique, seule, ne suffit pas…

Les toxicologues ont donc sans doute raison de dire que les particules fines, dans nos villes, font statistiquement plus de dégâts que les pesticides. Ce sont leurs chiffres et ils les connaissent mieux que nous… Mais qu’est-ce que cela change ? Changer d’agriculture est une nécessité globale qui s’articule autour de plusieurs nécessités vitales : la fertilité d’un sol vivant, le maintien de la biodiversité et le respect de l’environnement qui nous entoure, pour n’évoquer que ces trois-là, sont le fondement de toute forme d’agriculture durable.

Pourtant… Pourtant, chaque année, les Centres de recherches et d’encadrement publics – financés avec l’argent du contribuable – n’ont de cesse promotionner l’usage des pesticides. Chaque année, au printemps, ils publient des pages entières dans les journaux agricoles pour faire l’apologie du désherbage chimique, en maïs par exemple. Pas la moindre fichue petite ligne mentionnant l’usage du désherbage mécanique alors que cette alternative fonctionne à la perfection.

Pourtant… Quand l’Europe bannit les dangereux néonicotinoïdes, la Belgique croit malin d’y déroger. Car il arrive, malgré tout, que des pesticides soient interdits lorsque leur nocivité est à ce point patente que les firmes n’ont plus aucun moyen pour les défendre. Le Chloropyrifos, lui, fut finalement interdit… mi-2019 ! Après cinquante-cinq années de « bons et loyaux services » pour la cause de la destruction de la biodiversité ! Une perte de la biodiversité telle que des insectes ravageurs ne rencontrent plus leurs prédateurs et se développent de manière exponentielle : mouches de la cerise, drosophiles « suzuki », pyrale du buis…

Les résultats du grand travail de l’ISSeP ne peuvent donc, en aucun cas, être analysés au microscope, fut-ce ceux d’éminents toxicologues. Ils ne peuvent prendre leur sens qu’avec le recul macroscopique, la vision globale qu’impose l’écologie. Qu’il demeure des traces de Chloropyrifos dans 90% des échantillons d’urine des ados et des adultes de l’étude n’est donc pas un fait anecdotique qui nous remet en mémoire le « bon vieux temps ». C’est une source historique, gravée dans nos chairs, qui doit à tout moment nous rappeler les douloureux errements du passé ! Voulons-nous « travailler avec la nature » ou définitivement « en finir avec le mythe de la nature saine » et nous défendre contre ce qu’elle nous apporte, en optant pour la fuite en avant dans les produits létaux ? En oubliant que la nature ne fait, le plus souvent, que réagir à des déséquilibres de nature anthropique, c’est-à-dire causés par l’action de l’homme – et dont le réchauffement du climat n’est pas le moindre. Se réconcilier ou se combattre. Il n’y a plus de moyen terme. Et nous ne sommes pas en position de force !

Notre environnement est pollué par les pesticides

Le Biomonitoring humain wallon confirme ce qu’annonçaient les études Expopesten et PROPULLP, déjà dues au même ISSeP. Des mesures doivent, à présent, être prises et Nature & Progrès a déjà interpellé les autorités compétentes afin que les choses changent.

En direction du grand public et des agriculteurs, nous allons :

  • développer notre campagne Une Wallonie sans pesticides, nous y croyons ! qui a mis en évidence les opportunités qu’offrent les alternatives aux pesticides ; de nombreuses rencontres entre agriculteurs bio et non bio, en présence de consommateurs, l’ont démontré ;
  • intensifier ces rencontres et diffuser plus largement encore l’information sur les alternatives qui ressort de ces rencontres ;
  • continuer notre travail de sensibilisation en direction des consommateurs. Car il s’agit bien d’être informé, plus que de subir la propagande de grands groupes agroindustriels.

 En direction de l’autorité fédérale, nous allons :

  • continuer les actions en justice entamées avec le Pesticide Action Network et l’apiculteur indépendant membre de Nature & Progrès, Benoît Dupret, contre les dérogations belges à l’interdiction des néonicotinoïdes en Europe. Ce dossier est porté devant la Cour européenne de Justice. Nous ne pouvons plus tolérer que la Belgique déroge à tout-va. Quand l’Europe interdit une molécule, c’est qu’elle est vraiment nocive pour la santé ! La dernière dérogation accordée au Mancozeb est une honte : ce fongicide, utilisé entre autres en betteraves, a été interdit, au niveau européen, car c’est un perturbateur endocrinien toxique pour la reproduction ! Encore un fongicide autorisé depuis 1960 !
  • interpeller à nouveau le ministre Clarinval au sujet des « co-formulants » des pesticides. Nous avons, là aussi, de graves inquiétudes car une étude récente a montré qu’ils sont loin d’être d’anodins compléments des substances actives. Une première demande adressée au ministre a, malheureusement, essuyé une fin de non-recevoir. Nous devons donc intervenir par d’autres moyens.

En direction de l’autorité régionale, nous allons :

  • nous appuyer sur les études Expopesten et PROPULLP, de l’ISSeP, ainsi que sur le récent Biomonitoring humain wallon, qui ont montré une inquiétante dispersion des pesticides dans l’environnement wallon, afin de comprendre comment il se fait que les techniques de pulvérisation – que ce soit en agriculture ou pour l’application des traitements herbicides sur les voies de chemins de fer, ou encore pour d’autres usages – ne garantissent jamais la non-dérive des produits utilisés ;
  • interpeller la Ministre wallonne de l’environnement, au sujet de l’arrêté du gouvernement qui prévoit les conditions à respecter lors de traitements à l’aide de pesticides ; nous lui demanderons que ces conditions soient revues afin d’empêcher toute dérive car rien ne justifie, à nos yeux, que des riverains aient à en supporter les conséquences ;
  • réclamer que les moyens alloués à la recherche et à l’encadrement pour l’optimalisation de l’usage des pesticides soient réorientés vers la recherche et le développement des alternatives à leur usage. Les utilisateurs n’ont plus besoin de conseils pour utiliser les pesticides, ils ont plutôt besoin de conseils pour en sortir ! Il faut donc les accompagner dans le développement d’alternatives et, en ce sens, les centres de recherche et les structures d’encadrement auront l’opportunité idéale pour construire, avec eux, l’agriculture et l’alimentation de demain.

Les pesticides sont le reflet d’une vision du passé ! Osons leur tourner le dos et œuvrons, tous ensemble, au développement de leurs alternatives. Et au développement de l’agriculture biologique. Une Wallonie sans pesticides, nous y croyons !

Déréglementation des nouveaux OGM

Le document de la Commission sur les nouvelles technologies génomiques est biaisé, dès le départ !

Le 29 avril 2021, la DG Santé de la Commission européenne a publié, à la demande du Conseil européen composé des chefs des Etats membres, un document de travail relatif au statut des nouvelles techniques génomiques au regard du droit de l’Union et à la lumière de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne de juillet 2018. Au terme de ce travail, la Commission estime, à l’instar de l’industrie, que la réglementation actuelle sur les OGM est inadaptée pour les nouvelles techniques génomiques dont celles dites d’ »édition du génome ». Elle propose ainsi d’exempter des exigences de la Directive 2001/18, les organismes manipulés selon certaines nouvelles techniques génomiques.

Par Catherine Wattiez, Dr. Sc. Biologiques,
campagne OGM de Nature & Progrès

Logo nouveaux OGM
Introduction

Une telle déréglementation va à l’encontre de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne ! Aux yeux de la Cour, les nouveaux OGM sont des OGM à part entière et relèvent donc de la Directive 2001/18. Une déréglementation signifierait qu’il n’y aurait plus, afin d’autoriser ou non les nouveaux OGM, d’analyse de risques pour la santé et l’environnement, d’exigence de traçabilité et d’étiquetage. De plus, le suivi des problèmes occasionnés par ces nouveaux OGM, après la mise sur le marché, deviendrait totalement impossible. Ceci engendrerait des risques inacceptables pour la santé et pour l’environnement, empêcherait le consommateur de choisir ses aliments et entraverait encore d’avantage la liberté de l’agriculteur – lire notre dossier dans les pages de Valériane n°148.

En vue de l’élaboration de la position politique de la Belgique relative à ce travail, une vingtaine d’ONG et d’organisations paysannes, en Belgique, ont co-signé un document de critiques du travail de la Commission, dûment référencé, et réalisé en collaboration avec un réseau européen de groupements pairs. Quels problèmes ce document soulève-t-il ?

Comme toujours : on minimise l'impact des pesticides !

La Commission s’appuie sur les promesses invérifiables de l’industrie des OGM ! Les parties prenantes à la consultation qui a alimenté le document de travail de la Commission ont été choisies par la Commission elle-même. Elles comptaient seulement 14% de représentants de groupes de la société civile contre 74% de représentants de l’industrie ! C’est totalement inacceptable en ce qui nous concerne !

La Commission affirme que les nouveaux OGM pourraient contribuer aux objectifs de durabilité de l’agriculture. Une telle opinion, basée sur les dires invérifiables des développeurs et des groupes de pression associés, n’est absolument pas étayée. De plus, la grande majorité des nouveaux produits OGM potentiels sont encore au stade de recherche et développement et pourraient aussi bien ne jamais voir le jour.

La Commission minimise, à tort, la tolérance aux herbicides visée par les développeurs des nouveaux OGM. En effet, le Centre Commun de Recherche (CCR) remet en question la possibilité, pour les nouveaux OGM, d’améliorer la durabilité de l’agriculture et montre que la principale caractéristique des plantes génétiquement modifiées et au stade pré-commercial est la tolérance aux herbicides qui ne contribue pas à réduire les besoins en ces pesticides. Les adventices deviennent, à terme, elles-mêmes tolérantes aux herbicides tolérés par l’OGM et il s’ensuit in fine une utilisation d’autres herbicides. Les insecticides intégrés dans la plante OGM deviennent, quant à eux, rapidement résistants et l’agriculteur se sent alors obligé de recourir à d’autres insecticides. La première génération d’OGM a été promue, il y a plus de vingt ans, sur la base d’affirmations de réduction de l’utilisation de pesticides et ces promesses ne sont jamais concrétisées. Que du contraire : elles ont augmenté la dépendance aux pesticides !

La résistance aux effets des changements climatiques : de la poudre aux yeux !

Le développement de nouveaux OGM résistants aux stress abiotiques est promu par le lobby biotechnologique, dans le cadre de la lutte contre les effets des changements climatiques. Ces caractères – dont la résistance à la sécheresse, par exemple – sont souvent déterminés par une interaction complexe entre plusieurs gènes – caractères polygéniques -, des mécanismes cellulaires et l’environnement. Les techniques de sélection conventionnelles se sont avérées efficaces pour produire des plantes présentant des caractéristiques aussi complexes. Ainsi, nombre de plantes sélectionnées conventionnellement et résistantes à la sécheresse sont préférées pour la mise en culture, aux USA, et n’interfèrent pas avec la régulation et l’organisation des gènes. Cela fait aussi plus de vingt ans que des OGM résistants à la sécheresse ont été promis, mais non développés, par les chercheurs liés à l’industrie.

La Commission ne tient aucun compte d’un grand nombre d’analyses et de preuves de la littérature scientifique indépendante et récente soulignant les risques de nouvelles techniques de manipulations génétiques.

La Commission reprend à tort les arguments du lobby des biotechnologies. Elle affirme qu’il ne devrait pas y avoir de « discrimination » entre les produits de la sélection conventionnelle et ceux issus de l’ »édition des gènes » car les erreurs génétiques induites par celle-ci pourraient également survenir dans la nature ou lors de la sélection conventionnelle.

Cette affirmation est fausse.

Les techniques d’édition du génome peuvent induire des mutations d’une seule base azotée, dans l’ADN, qui peuvent aussi se produire dans la nature. Cela est exact. Mais elles peuvent également induire des erreurs génétiques – hors cible ou sur cible d’insertion -, même indépendamment de l’insertion ou non d’ADN étranger dans le génome hôte. Ces erreurs-là, chez les OGM fruits de l’ »édition du génome », ne se produisent pas dans la nature ou lors de la sélection conventionnelle. Une des raisons en est que les techniques dites de l’ »édition des gènes » peuvent accéder à des zones du génome qui sont « naturellement » protégées des mutations. Ces erreurs génétiques peuvent occasionner toxicités, allergénicités, modifications métaboliques, impacts sur les écosystèmes…

Contrairement aux opinions de l’European Food Safety Agency (EFSA), l’identification et les caractéristiques des modifications hors cible dans le produit final sont pertinentes pour l’évaluation des effets non-intentionnels. Toutefois, il est montré que la grande majorité des études sur les nouveaux OGM utilisent des méthodes biaisées pour rechercher les effets hors cible. La plupart de ces effets pourraient donc être manqués. L’approche de précaution de la réglementation européenne actuelle sur les OGM ne devrait pas être affaiblie en excluant de son champ d’application des groupes entiers de technologies nouvelles, sans effectuer une évaluation des risques spécifiques, au cas par cas, dans le cadre réglementaire actuel !

La fédération européenne des associations et industries pharmaceutiques (EPFIA) affirme, quant à elle, que pour les mêmes nouvelles techniques à applications médicales que celles à applications agricoles, ces technologies ne sont pas sans risques et que les produits devraient faire l’objet d’une évaluation des risques.

Indétectables, les nouveaux OGM ?

La Commission, à l’instar du lobby des biotechnologies, affirme à tort que les nouveaux OGM considérés ne peuvent être détectés ! Elle invoque cette raison afin d’affirmer que la législation actuelle sur les OGM – qui exige la fourniture par le développeur d’une méthode de détection spécifique – ne peut être appliquée à ces produits. Toutefois, depuis 2013, la Commission a opposé un refus répété à ses propres laboratoires de détection des OGM qui demandaient des budgets pour travailler à la mise au point de méthodes de détection de ces nouveaux OGM.

Pourtant, le secteur de la sélection végétale conventionnelle a prouvé que l’identification de ses variétés végétales se fait déjà à l’aide de techniques biochimiques et moléculaires. Il n’y a donc aucune raison pour qu’il en aille différemment pour les nouveaux OGM. Par ailleurs, la mise en évidence de la présence d’OGM repose aussi sur la documentation et la traçabilité tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Cette traçabilité doit continuer à être assurée.

Enfin, la Commission ne prend aucun engagement net en faveur de l’étiquetage des aliments : elle laisse la porte ouverte à la disparition du droit actuel au choix des sélectionneurs, agriculteurs, transformateurs, négoce alimentaire et consommateurs. Elle se borne à souligner le désaccord généralisé des parties prenantes consultées quant à la nécessité de cet étiquetage.

Demandes pressantes à nos politiques !

Nature & Progrès demande, de manière pressante, au monde politique belge de tout mettre en œuvre pour que la Belgique se positionne pour le maintien des nouveaux OGM dans la directive 2001/18 qui sert actuellement de cadre à tous les OGM !

Ce maintien n’empêchera en rien la poursuite de la recherche et du développement dans le domaine des OGM mais garantira aux citoyens que la dissémination volontaire de ces nouveaux OGM dans l’environnement sera précédée d’une évaluation de leur impact sur la santé et l’environnement, et règlementera l’étiquetage des produits contenant des OGM. Les consommateurs auront alors toujours la liberté de choix de leurs aliments.

Le soutien financier et politique accordé jusqu’à présent à la recherche associée aux nouvelles applications des OGM doit être réorienté dans la recherche et la promotion de l’agriculture biologique et de l’agroécologie qui bénéficient déjà de preuves de durabilité.

La Commission et les Etats membres devraient rendre obligatoire l’application des techniques de détection déjà disponibles pour l’identification des variétés végétales, faisant appels à des méthodes biochimiques et moléculaires. Nature & Progrès médiatise ce dossier afin de permettre à tous les citoyens, belges et européens, de se forger une opinion et de disposer des moyens de la défendre. Nature & Progrès s’engage à rencontrer l’ensemble de nos responsables politiques, régionaux et fédéraux, et de continuer ses actions pour que notre environnement et notre alimentation restent indemnes d’OGM !

Nous demandons enfin à la Commission de bien vouloir s’interroger, en toute bonne foi, sur cette question cardinale : quel serait encore l’intérêt de développer l’agriculture biologique si les OGM venaient à être dispersés dans l’environnement ? Vous avez dit 25% de bio, en Europe, en 2030 ? Il n’y aurait pas comme une petite « dissonance » quelque part ?

La volonté des parties prenantes était, une fois de plus, de légiférer sans en faire le moindre écho ! Il est intolérable qu’une décision de cette importance, pour notre vie de tous les jours, puisse échapper à l’avis des gens ! En tant que citoyens engagés, Nature & Progrès vous propose donc d’écrire, à ce sujet, au Ministre de votre choix afin de lui faire part de vos préoccupations.

Téléchargez, pour ce faire, le courrier prérempli figurant sur notre site Internet – https://www.natpro.be/nouveauxogm-non-aux-ogm-caches/. Ou demandez-le-nous. Il résume la question des nouveaux OGM et affirme la nécessité les garder dans le giron de la Directive 2001/18.

Postez ce courrier ou déposez-le dans les bureaux de Nature & Progrès. Tenez-nous informés de la réponse éventuellement reçue.

Le rapport intégral de la critique des ONG et des groupes de paysans est accessible sur le site www.natpro.be, à l’onglet « nouveaux OGM ».

Hors du lit !

Les effets du réchauffement climatique à l’usage de ceux qui n’y croyaient toujours pas…

Si, à l’avenir, nos « draches nationales » sont amenées à s’intensifier et à devenir plus régulières, comme le prévoit le GIEC, les solutions pour en limiter les dégâts sont en revanche connues depuis belle lurette. Voici donc quelques pistes pour contrer inondations, coulées de boue et, de manière générale, adapter radicalement notre territoire aux nouveaux aléas climatiques…

Par Marc Fasol

nouveaux ogm non à la déréglementation
Introduction

Hasard de calendrier ? Peu après les crues apocalyptiques qui ont frappé notre région à la mi-juillet, tombe le rapport d’évaluation du GIEC. Il est sans appel. Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat publie ses conclusions, les sixièmes déjà depuis 1990. Elles confirment ce que tout le monde redoutait depuis quelques temps : un peu partout dans le monde, incendies, pluies diluviennes, pics de chaleur extrêmes, sécheresses et autres aléas climatiques vont désormais s’enchaîner et se déchaîner sur notre continent à un rythme et à un niveau sans précédent !

  1. Plus de doute, ces dérèglements climatiques sont bien imputables à l’activité humaine, voilà qui n’excuse plus l’inaction ;
  2. Ces catastrophes n’épargnent plus personne, ni les pays pauvres, ni les pays riches. Elles nous concernent donc tous, petits et grands ;
  3. La crise climatique que nous connaissons est, hélas, irréversible : il n’y a plus de retour en arrière possible, faudra faire avec !

A l’avenir, ces phénomènes météorologiques – que certains qualifient encore volontiers d’ »exceptionnels », « du siècle », voire même « du millénaire » – deviendront la norme. Et ce qui était jusqu’ici inimaginable devient réalité. Le tableau brossé s’assombrit tellement pour notre futur qu’il plonge de plus en plus de citoyens dans l’éco-dépression. Un phénomène nouveau, ressenti surtout chez les jeunes – la « génération Greta »-, lié aux échecs répétés, voire à l’inaction des Pouvoirs publics, le plus souvent aux mains de Boomers (1) qui peinent à prendre les mesures adéquates pour y faire face !

Faire peur ne sert à rien !

Les professionnels de la communication le confirmeront : surfer sur les superlatifs, comme le fait la presse, en ressassant pour la Xe fois les records de chaleur, le débordement invraisemblable des pluviomètres ou encore les courbes affolantes des graphiques climatiques, ne sert pas à grand-chose. Agiter le « spectre de la fin du monde » pousse les gens à se cabrer, à se résigner ou à s’enfermer dans le déni. Ce n’est hélas pas comme cela qu’ils changeront fondamentalement de comportement. La plupart, persuadés qu’ils ne peuvent de toute façon rien y changer, attendent de voir ce qu’il adviendra avant de se décider enfin à réagir. Qui sait ? Peut-être que la technologie va nous sauver ? Malgré l’extrême urgence officialisée par le GIEC, les activités humaines continuent donc, encore et toujours, à fonctionner comme avant, poussées par les diktats de la sacro-sainte croissance économique.

Inutile de s’étendre davantage sur la manière de désamorcer la bombe climatique, la solution en amont est connue de tous depuis belle lurette : pour limiter le réchauffement à +1,5°C – réchauffement qui augmente les risques d’inondations -, il nous faut limiter drastiquement les émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone. A cet égard, tous les espoirs seront reportés une nouvelle fois sur la prochaine COP 26, programmée pour ce mois de novembre, à Glasgow. En aval, il faudra désormais faire avec… et donc s’adapter. Eh oui, vous lisez bien : s’adapter !

Pour les sinistrés interrogés sur place juste après les événements tragiques de cet été, passé l’effroi et la consternation, la colère se mêle à l’incompréhension. Aux micros des journalistes, les mêmes rengaines ressortent en boucles : « Ah, tout ça à cause du barrage d’Eupen qui, saturé, n’a pas joué son rôle d’écrêteur de crues« . Moïse, le barragiste, n’aurait donc pas rempli son devoir de retenue des eaux. A moins que ce ne soient les barrages de castors (sic !) qui auraient cédé avec la « vague »… En attendant le verdict de la Commission d’enquête parlementaire qui doit faire toute la lumière sur les responsabilités, manquements et/ou dysfonctionnements de l’administration en matière de prévention et de coordination des secours, il est de bon ton de désigner le lampiste de service. Jusqu’ici, il n’était pas rare de pointer du doigt l’entretien – le curage – défaillant des cours d’eau, voire les amas de branchages, responsables de ces débordements récurrents. A Dinant, ce serait carrément le bassin d’orage qui, lui, n’aurait pas été nettoyé convenablement…

Un territoire bien plus résilient

Parmi les nombreuses personnalités politiques à avoir visité les lieux après la catastrophe, seule Céline Tellier, Ministre de l’environnement pour la Région wallonne, semble être suffisamment clairvoyante pour saisir l’ampleur du problème de manière holistique : « il est grand temps d’intégrer les risques climatiques dans toutes les politiques publiques… et pas seulement pour ce qui concerne les inondations. Par ailleurs, on ne peut se contenter de modeler la nature à coup de béton, comme on le fait généralement. Dorénavant, les autorités ont un rôle clé à jouer dans la gestion de tout le territoire face aux nouvelles réalités du changement climatique.« 

Eléments de solution n°1. Un territoire résilient aux pluies diluviennes se doit, dorénavant, d’être le plus perméable possible. Or la Belgique compte parmi les pays les plus imperméabilisés d’Europe : 7,2% du territoire wallon sont aujourd’hui étanchéisés – pour 12,9% en Flandre ! Grignotés sur les précieuses terres agricoles et naturelles, ils le sont hélas de manière irréversible (2). Mieux : hors contrôle, le phénomène se poursuit encore et toujours… à raison de trois hectares par jour, soit douze kilomètres carrés par ! Il est donc grand temps d’apaiser cette boulimie consommatrice d’espace, particulièrement forte en zone périurbaine et autour des villages, les fameux étalements « en pattes d’araignée ». Le problème ? Les « zones d’habitat », au Plan de secteur, ont été définies in tempore non suspecto, c’est à dire du temps de bon-papa, à une époque où l’imperméabilité des sols ne constituait pas une préoccupation majeure.

Par ailleurs, comme les événements météorologiques extrêmes – à savoir de longues périodes de sécheresse alternant avec des précipitations record, telles que nous les avons connues récemment – ont tendance à se multiplier avec le réchauffement global de la planète, ils auront forcément, à terme, un effet sur la vitesse de recharge – le réapprovisionnement – de nos nappes phréatiques. Or il faut savoir que cette recharge se fait en hiver et très peu en été, période propice aux écoulements de surface. Et donc aux glissements de terrain, comme vécus de manière apocalyptique, cet été, en Allemagne…

Par ordre de décroissance, ce sont les forêts qui jouent le mieux le rôle de percolateur pour les eaux pluviales… Pour peu qu’elles soient naturelles, avec différentes strates de végétation – arborescente, buissonnante, herbacée et muscinale. Et qu’il ne s’agisse pas de simples plantations d’arbres sans aucune végétation de couverture au sol, à l’image des mornes et lugubres étendues d’épicéas, cultivés en monoculture, souvent balafrées de drains qui accélèrent plus encore l’évacuation des eaux. D’après le WWF (3), celles-ci devraient tout simplement être proscrites !

"La faute aux cultos" ?

Si les prairies régulent l’infiltration des eaux de pluie et assurent leur rétention, il faut savoir que ces terres, une fois mises en culture, en absorbent deux à trois fois moins. Or, avec la fermeture des petites exploitations et la diminution du nombre d’agriculteurs au profit des grandes exploitations industrielles dont la superficie n’arrête pas de s’étendre, on assiste progressivement à la disparition de nos prairies : en trente-cinq ans, la Wallonie a perdu 23% de ses prairies permanentes !

Avec des sillons de plus en plus longs, certains champs de maïs font jusqu’à huit cents mètres de long. Lors d’orages violents, l’eau qui s’écoule entre les rangées de maïs, de betteraves ou de pommes de terre, y acquiert rapidement de la vitesse, se charge de sédiments pour former des coulées boueuses qui s’épandent alors sur nos routes, traversent les villages pour s’engouffrer dans les avaloirs… Les stations d’épuration, vite débordées, se déversent à leur tour directement dans nos rivières. Le désastre est total !

Pas étonnant qu’après le déluge, les agriculteurs soient régulièrement pris pour cibles de leurs riverains exaspérés. Or de nombreux cultivateurs se disent de plus en plus préoccupés par le problème des dérèglements climatiques. Avec des pertes de rendement dues aux sécheresses, aux canicules, aux grêles tardives et autres inondations, ils se retrouvent souvent en première ligne. Ils savent également que les indemnisations dans le cadre des « calamités agricoles » seront de plus en plus soumises à conditions, tandis que, pour leur part, les sociétés d’assurance se montrent de plus en plus réticentes à couvrir des risques étroitement liés aux changements climatiques.

Pour que les surfaces agricoles retiennent un minimum terres et eau, il serait plus sage de restaurer le bocage. Il faut donc replanter des haies autour de parcelles dont l’étendue devrait aussi être revue à la baisse. Le bocage qui étoffe le maillage écologique du paysage est bien connu pour ses propriétés anti-écoulements et antiérosives. Le projet « Yes, we plant » visant à replanter quatre mille kilomètres de haies champêtres – environs cinq cent mille arbres ont déjà été plantés sur mille kilomètres – va évidemment dans ce sens et sert d’exemple, même si l’opération semble dérisoire par rapport aux centaines de milliers de kilomètres perdus lors des opérations de remembrement agricole des années cinquante. Parmi les autres mesures agri-environnementales favorables, notons encore les couvertures hivernales du sol, les tournières enherbées, les chemins agricoles bi-bandes, etc.

"Zones d’Immersion Temporaire" (ZIT)

Eléments de solution n°2. L’idée ici n’est plus d’appliquer un carcan de béton au caractère rebelle des rivières mais bien de composer avec la nature. Le principe des « ZIT » est justement de laisser déborder un cours d’eau tout en cadrant ses débordements. La rivière entre en crue comme elle l’a toujours fait, mais uniquement dans des zones prévues où les dégâts sont moindres, le plus en amont possible des zones habitées. Un type de bassin d’orage 2.0, en quelque sorte, mais beaucoup plus eco-friendly.

Le petit village frontalier de Willemeau, au sud de Tournai, par exemple, était fréquemment touché par d’importantes inondations. Récemment, deux ouvrages de rétention des eaux y ont été réalisés. Après étude hydrologique, le Service Public de Wallonie n’a donc pas opté pour le classique bassin d’orage en béton. Dans le « ZIT », l’eau s’étale sur de grandes superficies végétalisées et dissipe son énergie lors des fortes précipitations, épargnant ainsi les zones urbanisées. Ces aménagements s’inscrivent dans une démarche de développement durable. Hors crues, le site devenu biologiquement très intéressant, est ouvert au public pour l’observation des oiseaux d’eau et du milieu aquatique…

Contrairement à Louvain qui a été épargnée grâce à ce genre de réalisation, la ville de Wavre a été dramatiquement impactée par les inondations de juillet dernier. Au cours des années septante, le fond de vallée humide, occupé par de vastes marécages, a été asséché pour permettre l’implantation d’un vaste zoning commercial. Avec l’augmentation des pics de pluviosité, l’erreur écologique se paie cash aujourd’hui. Plusieurs grandes entreprises dont un célèbre parc récréatif bien connu en ont fait les frais…

Le reméandrage des rivières

Une analyse des cartes de Ferraris – qui datent de 1770 – montre qu’à l’époque, la plupart de nos rivières méandraient paresseusement au fond des vallées. Les crues étaient même attendues par les paysans qui se félicitaient de pouvoir ainsi engraisser leurs prairies. Mais, pour accélérer l’évacuation des eaux, optimiser l’agriculture, on a cru bon, dans les années septante, de les rendre rectilignes, en corsetant les cours d’eau. Le problème des débordements, apparemment résolu en tête de bassin, aggravait en réalité inévitablement les inondations plus brutales en plaine, fragilisant au passage les digues qui y avaient été construites et laminant le lit majeur. On essaie aujourd’hui de faire marche arrière… Tout est fait pour ralentir au maximum l’écoulement des eaux en amont, histoire de réduire l’impact sur les zones urbanisées en aval.

Divers travaux réalisés sur la Haute-Sûre ou encore sur l’Eau blanche à Nismes – le projet Walphy – sont particulièrement démonstratifs. La végétation des bords de rives y régule les crues et en atténue les pics. Tandis que la végétation herbacée ralentit la vitesse du courant, la plus rigide, comme les saules et les aulnes qui retiennent les berges, joue le rôle de « peigne », en arrêtant les bois-morts responsables des embâcles à hauteur des arches de pont.

De manière générale, les milieux aquatiques en bordure de rivière, comme les prairies marécageuses, les bras morts et les méandres avec leurs zones plus profondes, possèdent naturellement de nombreux atouts pour réduire le risque d’inondation. Mettre à profit leurs caractéristiques hydrologiques, tout en limitant le recours du génie civil aux seuls secteurs urbanisés, permet à la fois d’apporter une réponse judicieuse en matière de prévention, sans en altérer le bon fonctionnement.

Malgré tous les efforts qui seront fournis à l’avenir, il n’y a cependant guère de miracle à attendre. Le but ici est d’abord de réduire le bilan humain et matériel. Les solutions d’ingénierie écologique, comme le recul des digues, les travaux de « renaturalisation » du milieu « rivière », la reconnexion des cours d’eau avec les zones humides adjacentes, dès lors qu’elles subsistent encore – car 80% d’entre elles ont disparu ! -, restent des outils complémentaires. Plus coûteux, les travaux du génie civil devraient se limiter dorénavant aux seuls secteurs urbanisés. De plus, comme ils dégradent souvent le paysage, ils ne devraient être vraiment réalisés qu’en dernier recours…

Des villes plus "poreuses" !

Eléments de solution n°3. En zone urbaine, l’imperméabilisation des surfaces loties reste un sacré problème. Hormis le maillage vert et bleu développé dans la capitale, certaines mesures devraient pouvoir se développer davantage au coeur des autres villes. Comme le recours systématique aux matériaux perméables – dalles à trous – pour l’aménagement des aires de parking, l’aménagement de toitures végétalisées pour les grandes surfaces commerciales, etc. Hélas, ces mesures demeurent relativement peu, voire pas du tout appliquées en Wallonie. Ailleurs, certains sites industriels désaffectés – le long de la Meuse liégeoise par exemple – ne pourraient-ils pas être reconvertis en zones d’immersion ?

Dans les zones sinistrées, les constructions déjà existantes situées en « zone inondable » posent aussi problèmes. Pas question de reconstruire les maisons détruites de Pepinster aux mêmes endroits. Sauf que relocaliser les habitants dans les zones à moindre risque ne se fait pas du jour au lendemain, surtout lorsque les personnes concernées y sont parfois elles-mêmes réticentes. Il n’y a qu’à voir avec quelle obstination, les vacanciers réinvestissent, d’année en année, les mêmes emplacements de « camping sur pilotis », le long de l’Ourthe. Une fois que les assurances ont remboursé, finalement, on oublie vite…

Beaucoup ne sont pas non plus conscients du danger. Ne leur répète-t-on pas, encore et toujours, que ces crues sont « exceptionnelles » ? Déclarations rassurantes de la part de nos politiciens qui, entre nous, détestent aborder tout sujet anxiogène, mais qui pourraient à terme s’avérer mortifères car mensongers. La notion du risque climatique est encore loin d’être bien ancrée chez tout le monde. Et le coup de semonce vaut autant pour les bureaux d’architectes, les études notariales que pour les décideurs en charge de la délivrance des permis. Combien de logements encore récemment construits et vendus en zone d’aléa d’inondation ? Combien de garages souterrains conçus et planifiés en dépit du bon sens, condamnés à être inondés chaque été ? Gageons que les événements tragiques de ce mois de juillet servent de piqûre de rappel pour une réforme en profondeur de l’aménagement du territoire, axée davantage sur la résilience.

Les questions qui font débat… ou qui fâchent !

En agriculture, deux facteurs essentiels aggravent la problématique actuelle. Le premier est l’extension de la culture de la pomme de terre pour laquelle le risque érosif est extrême. Or, en vingt ans, la superficie consacrée à cette culture a doublé, passant de vingt à quarante mille hectares. Ces cultures étant « sous contrat » avec le transformateur, l’opération n’est vraiment profitable, pour le producteur, que si la parcelle est vaste. Il n’est donc pas rare de voir plusieurs voisins s’associer pour former de gigantesques monocultures couvrant jusqu’à vingt-cinq hectares ! Le second est la perte des prairies : le secteur de l’élevage étant en crise, de nombreux éleveurs se sont tournés vers les grandes cultures, même dans les régions herbagères. La perte de quinze mille hectares en quelques années pose d’important problèmes climatiques – avec d’énormes émissions de CO2 -mais aussi d’érosion et de qualité de l’eau potable dans les nappes phréatiques, due au lessivage des nitrates. Des règles ont été imposées au niveau européen mais la Wallonie a toujours opté pour la solution minimaliste, en refusant de protéger de nouvelles zones où le risque érosif est pourtant élevé.

Concernant le secteur forestier, le WWF, dans un communiqué récent, a pointé LA cause aggravante dans le bassin de la Vesdre : la gestion déplorable des pessières – les monocultures d’épicéas – en amont de la zone sinistrée. D’où levée de boucliers de la filière forêt-bois ! Info, intox ? Analysons leur « droit de réponse » tenant lieu de réquisitoire contre l’association écologiste… Selon les forestiers, le drainage en forêt serait totalement interdit depuis 2008 par l’article 43 du code forestier. Si les erreurs – choix sylvicoles inappropriés, plantations intensives d’épicéas, drainages – sont reconnues et assumées, elles auraient surtout été commises au cours des deux siècles précédents. Quelques rapides questions posées à des entrepreneurs forestiers suffisent cependant pour comprendre que l’entretien des fameux drains – voir photo – représente, aujourd’hui encore, une activité forestière non négligeable dans l’Hertogenwald, mais surtout… qu’ils sont régulièrement recreusés ! Ces travaux ne sont pas interdits mais seulement « soumis à notification » – article 5 de l’AGW.

La fédération des entreprises signataires fait également remarquer que le Plan de gestion des risques d’inondation (PGRI) 2022-2027 de la Wallonie, actuellement soumis à enquête publique, ne reprend aucun élément qui permette d’identifier une quelconque pratique sylvicole, ou des cultures spécifiques, comme un facteur favorisant les inondations. Les PGRI, en effet, se sont concentrés sur l’imperméabilisation des sols, voire un peu sur les zones agricoles, mais pas du tout sur les forêts. Décentrées des zones densément peuplées, elles furent considérées, à tort, comme non-problématiques. Dans la vallée de la Vesdre toutefois, où les surfaces agricoles sont marginales, les forêts constituent bien la principale superficie contributive de la crue. Or elles n’ont pas retenu l’attention du PGRI, ce qui est regrettable, d’autant plus que les voiries forestières y jouent un rôle majeur, accélérant le flux d’écoulement des eaux de ruissellement. Pire : ces dernières font toujours l’objet d’importantes demandes de soutien financier pour la nouvelle PAC, prévue en 2023.

A propos du choix de l’essence épicéa, c’est bien connu : plantée en milieu trop humide, cette essence de montagne pousse mal et ne doit sa survie qu’aux drainages réalisés jadis. Mais le pire est à venir : les scientifiques prédisent que ces arbres ont très peu de chance d’arriver à leur terme d’exploitabilité, dans soixante ans, à cause… de l’évolution du climat ! L’adaptation de nos modes de gestion forestière aux effets de la crise climatique est donc une urgence. Fallait-il un drame de cette ampleur pour que la classe politique s’en soucie enfin et prenne le problème à bras le corps ?

Notes

(1) « OK boomers » est une expression péjorative employée pour tourner en dérision les jugements dépassés des baby boomers, nés durant les « trente glorieuses », c’est-à-dire les années cinquante à septante.

(2) « Etat de l’Environnement wallon ». Janvier 2018. ULB – IGEAT – ANAGEO, 2015. Cartographie des surfaces imperméables en Wallonie (CASIM). Rapport final. Etude réalisée pour le compte du SPW-DG03 – DRCE.

(3) Voir : Monocultures d’épicéas favorisant le ruissellement : « leur suppression est une vraie solution pour faire face aux inondations futures » (rtbf.be)

Les animaux et nous, les animaux en nous

Introduction à quelques réflexions de Baptiste Morizot

Certaines phrases, certains textes, certains livres ont le pouvoir de modifier notre regard sur les choses. Ils produisent un déclic, nous font entrer dans un territoire inexploré ou éclairent soudainement une partie de nos pensées ou de nos émotions qu’on imaginait impossibles à mettre en mots. Dans nos engagements et questionnements sur l’écologie, l’alimentation, l’agriculture, l’écobioconstruction, le changement climatique, la biodiversité, il n’en va pas autrement. Certaines lectures sont impossibles à garder pour soi. Voici, très sommairement exprimés, trop brièvement présentés, quelques fragments du livre du Baptiste Morizot, Manières d’être vivant.

Par Guillaume Lohest

nouveaux ogm non à la déréglementation
Introduction

Je me revois, enfant, terrorisé sur les quelques dizaines de mètres qui séparaient la maison de mes parents de celle de mes grands-parents, dans la campagne d’Entre-Sambre-et-Meuse. La cause de cette épouvante ? Un chien en liberté. Un être vivant avec lequel je n’étais pas du tout habitué à interagir. Cette peur du chien, du loup, de l’ours, des forces sauvages du vivant, l’Occident s’en est occupé avec des laisses, des grilles, des fusils… Pas seulement. Aujourd’hui, l’animal est aussi considéré comme thérapeutique : on soigne son âme au contact des chevaux, des rongeurs, des perruches… Qu’est-ce que cela dit de nous ?

Les pionniers de l’agriculture biologique ont perçu ce problème très tôt dans leur critique des techniques agricoles classiques développées au XXe siècle : notre rapport au vivant est un rapport de contrôle, de domination, de domestication. La pensée occidentale est centrée sur la raison et sur la force de la volonté. Nous avons construit nos « exploitations agricoles » de la même façon que nos villes, nos maisons, nos économies et nos politiques : en nous appuyant sur des modèles de contrôle des éléments naturels. Enclos, barrières, délimitations, élimination, sélection…

N’y a-t-il que du négatif là-dedans ? Sûrement pas. Mais ce schéma dominant de rapport au monde influence l’ensemble de nos imaginaires, de nos idées, de nos projections dans l’avenir. Il nous fait supposer que c’est l’être humain qui rend la terre habitable alors que, comme le résumait le philosophe Baptiste Morizot dans l’émission La grande librairie, c’est tout l’inverse : c’est l’ensemble du vivant qui rend la terre habitable, les millions d’espèces animales et végétales qui dépendent les unes des autres et fournissent les conditions de la vie sur cette planète.

La morale du cocher

Dans un livre d’une rare intensité, Manières d’être vivant, Baptiste Morizot s’attarde, le temps d’un chapitre, sur les liens entre nos rapports au monde animal et notre rapport aux passions, aux émotions, aux désirs. Il rappelle que la morale occidentale s’est construite sur l’idée que le vivant à l’intérieur de nous – désirs, passions, intuitions – devrait être combattu et maté par la force de la volonté, guidée par la raison. Morizot appelle cela la « morale du cocher » : nos passions, nos désirs sont comparés à des chevaux qu’un cocher – la raison – doit fouetter pour les commander et les faire aller dans la direction souhaitée. Plus largement, rappelle-t-il encore, c’est toute la palette de la vie intérieure des humains, leur vie passionnelle, qui est figurée par « des métaphores animales : les pulsions sont figurées comme des fauves, la docilité comme de paisibles animaux domestiques, le courage comme un lion, la voracité prend le visage du porc (2). » Les fables de La Fontaine fournissent un exemple parfait de cette analogie entre le monde animal et les questions morales qui se posent à l’humain. Ce qui est bon ou mauvais, sage ou dangereux, vertueux ou méprisable, est identifié à des comportements d’animaux. Cette « ménagerie intérieure », omniprésente dans notre imaginaire, est intimement liée à la « morale » occidentale classique.

Mais, selon Baptiste Morizot, notre tradition s’est énormément trompée sur ce qu’est un animal. Nous sommes devenus incapables de décrire finement le monde animal et de percevoir tout ce qui nous lie aux autres espèces, ce qui nous empêche d’avoir des attitudes – et des politiques – ajustées, notamment en ce qui concerne les grands enjeux écologiques de notre temps. Et c’est en connaissance de cause que le philosophe énonce cette critique car ses recherches universitaires reposent sur une autre activité de terrain : il piste des loups dans le Vercors, les observe des heures durant, revient sur les lieux, observe à nouveau, en lien avec une équipe de chercheurs et les bergers du coin. Il s’agit donc d’une véritable recherche-action philosophique, totalement imbriquée dans le monde animal, aux lisières entre le sauvage – les loups – et le domestique – les troupeaux de brebis et leurs éleveurs. L’ouvrage Manières d’être vivant rend bien compte de l’origine concrète des réflexions philosophiques proposées. À des chapitres racontant des expéditions de pistage succèdent des développements philosophiques et politiques.

Impossible, évidemment, de résumer en quelques paragraphes des réflexions si puissantes et si originales. Je ne m’attarde donc ici que sur quelques aspects. En particulier sur le nouveau rapport au monde proposé par l’auteur à la place de cette « morale du cocher », qu’il soupçonne d’être fondamentalement trompeuse et incapable de produire de la puissance d’agir dans la situation qui est la nôtre aujourd’hui. Plutôt que des relations de contrôle et de domination de nos « animaux intérieurs », Morizot invite à ce qu’il appelle une « diplomatie de soi ». Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Voici deux exemples concrets.

Le loup noir et le loup blanc

Dans un récit amérindien, un sachem présente la personne humaine comme constituée de deux loups : un noir et un blanc. En résumé, le loup noir est « sûr de son dû, effrayé de tout, donc colérique, plein de ressentiment, égoïste et cupide, parce qu’il n’a plus rien à donner. Le blanc est fort et tranquille, lucide et juste, disponible, donc généreux, car il est assez solide pour ne pas se sentir agressé par les événements. » Un enfant dans l’assistance pose alors la question : mais lequel des deux loups suis-je alors ? Réponse du sachem : « celui que tu nourris ».

Cette admirable petite fable repose, elle aussi, sur un parallélisme entre un animal et notre monde intérieur fait d’émotions et de passions. Toutefois, contrairement à la morale du cocher, elle ne dit pas que l’être humain doit dompter ou dominer son animalité mais plutôt en nourrir certains aspects positifs. Cette façon de voir les choses est mise en parallèle par l’auteur avec l’éthique du célèbre philosophe Baruch Spinoza (1632 – 1677). Celui-ci a, en effet, développé une conception de la vie intérieure comme agitée par des désirs qu’on peut classer en deux catégories : les passions tristes – le loup noir en gros – et les passions joyeuses – le loup blanc. Pour Baptiste Morizot, il s’agit d’une façon beaucoup plus pertinente de se représenter les choix éthiques : il ne s’agit pas alors de considérer l’âme humaine comme une bataille entre la raison – bonne – et les passions – mauvaises – mais comme une articulation entre deux types d’affects, la joie et la tristesse. La « diplomatie de soi », c’est nourrir en soi les désirs qui augmentent la joie et la puissance d’agir.

Le paradoxe du chimpanzé

Oui mais concrètement ? En quoi cette histoire de loup blanc et Spinoza nous aident-ils dans notre vie quotidienne ? Prenons un nouvel exemple. Imaginons que vous traversez une mauvaise passe : rien ne vous sourit, vous éprouvez des difficultés au boulot, vous cherchez un nouveau logement et vous ne trouvez rien… La morale classique dirait : il faut « vous faire une raison » ou bien « avoir de la volonté » pour persévérer. Dans une approche inspirée de Spinoza, on se posera plutôt la question de l’affect qu’on nourrit : s’enfonce-t-on dans le ressentiment, la jalousie, la colère ou alimente-t-on tout ce qui favorise la joie malgré les difficultés ? Se poser la question sous cette forme n’empêche en rien de persévérer ni même de s’indigner des éventuelles injustices rencontrées sur son chemin, ni même de lutter contre celles-ci. Au contraire même mais l’objectif éthique est déplacé, il ne s’agit pas de faire triompher la raison ou la force de la volonté mais d’augmenter la joie et la puissance d’agir.

Baptiste Morizot éclaire encore son propos en reprenant l’image du chimpanzé, développée par le psychiatre Steve Peters : vivre, dit-il, consiste à « cohabiter avec un chimpanzé en soi ». Ce chimpanzé est une force qui nous incite, par exemple, à succomber à des désirs immédiats, comme manger compulsivement, fumer une cigarette, râler, agir ou parler dans le feu de l’action, etc. Comme ce chimpanzé est beaucoup plus puissant que nous, comme notre volonté n’a quasiment aucune prise sur lui, Steve Peters propose d’établir une relation apaisée et coopérative avec lui, de le nourrir avant de tenter de l’influencer. « Pour que ce soit plus concret, disons que vous vous inquiétez de façon obsessionnelle du fait que vous êtes en retard pour une réunion. Vous pourriez vous demander : « Est-ce que je veux être inquiet à ce sujet ? » Si vous dites non, vous pouvez être sûr que vous avez un problème de chimpanzé intérieur qui doit être géré. Une fois que vous avez déterminé cela, vous pouvez régner sur ce côté émotionnel de vous-même en lui donnant un petit exercice (2). » Nourrir ce chimpanzé consiste à le laisser s’exprimer d’abord, dire tout ce qui nous vient à l’esprit, sans filtre. Peters préconise de faire cet exercice seul ou avec des personnes de confiance…

Comment résumer, alors, cette éthique diplomatique décrite par Baptiste Morizot ? Pour prendre une image bien connue des lecteurs de Valériane, « L’éthique diplomatique relève d’une permaculture de soi – et non pas d’une agriculture intensive et interventionniste sur soi : elle repose sur une compréhension de l’écologie des passions, une canalisation, une irrigation et une potentialisation des désirs. « Je » suis une jardin-forêt permacole, là où les morales classiques voulaient que je sois un impeccable jardin à la française, là où le romantisme me fantasmait en jardin à l’anglaise, là où la morale néolibérale exige que je sois une parcelle de monoculture à haut rendement. »

Incorporer des bonnes habitudes

Si j’applique, à présent, cette vision éthique à un domaine qui touche de près aux enjeux alimentaires et agricoles, je comprends beaucoup mieux certains de mes échecs passés et comment fonctionnent les ressorts du changement de comportement. Combien de fois, en effet, ne me suis-je pas convaincu, par la raison, que je devais absolument éviter les produits suremballés, les plats préparés, la nourriture industrielle ? Combien de fois ai-je malgré tout craqué ? Si je reste englué dans une morale classique, je ne peux que m’accuser de manquer de volonté, d’être faible, incohérent. Baptiste Morizot aide à changer d’approche en écartant cette illusion de la force de volonté et en proposant une autre piste. « Mais comment continuer à agir s’il n’y a pas de volonté souveraine ? En incorporant des bonnes habitudes qui infléchissent le déploiement même des passions les plus ardentes. Non pas en se donnant des ordres, fouet en main, mais en mettant en place dans le milieu qui nous entoure de petits dispositifs susceptibles de faire émerger spontanément les désirs joyeux et de faire perdre aux désirs tristes leur vitalité : organiser les rencontres. »

Comment puis-je parvenir à me passer totalement de produits industriels, par exemple ? Pas en me « privant » mais en multipliant les habitudes joyeuses associées à des consommations plus responsables. « Le secret de la volonté, ajoute Morizot, c’est qu’elle existe bien, mais pas en nous. Personne n’a de volonté. La « volonté » est le mot que les gens invoquent quand ils voient de l’extérieur, chez un autre, les flots d’énergie d’une vie intérieure converger, et couler superbement dans une même direction ascendante, alors même que la pente est rude – « quelle force de volonté elle a, celle-là ! » La volonté en fait n’est que le nom a posteriori qu’on donne au système d’irrigation des désirs, dans les moments bénis où ils se composent de manière à converger dans une même direction, plutôt choisie. »

Vers une politique des interdépendances

Ceci étant dit, on pourrait penser à ce stade que les propositions avancées par Baptiste Morizot concernent la sphère du développement personnel. C’est mal connaître le philosophe. Car les réflexions de son ouvrage – et de plusieurs autres – vont bien plus loin et appellent à une véritable politique des interdépendances. Il s’agit, selon lui, de « multiplier les approches, les pratiques, les discours, les œuvres, les dispositifs, les expériences qui sont capables de nous faire sentir et vivre depuis le point de vue des interdépendances. Nous faire sentir et vivre comme vivant parmi les vivants, comme eux pris dans la trame, partageant des ascendances et des manières d’être vivant, un destin commun, et une vulnérabilité mutuelle. » Une politique des interdépendances, cela signifie donc, en très résumé, un changement de perception du champ politique lui-même, qui ne concerne pas seulement les humains, leurs habitats, leurs routes, leurs « ressources » mais qui s’élargirait à l’ensemble du vivant.

En moi-même, par curiosité, je me suis demandé à la lecture si Baptiste Morizot se considérait comme « collapsologue », s’il faisait partie des optimistes ou des pessimistes… C’est dans une interview qu’il a donné à Libération que j’ai trouvé une réponse de sa part. « Ne perdons pas trop de temps à nous demander si c’est déjà cuit, si on ferait mieux d’aller siroter des mojitos, parce que de toute façon il n’y a rien d’autre à faire. Je crois vraiment à la capacité des humains à ouvrir leur gamme de sensibilité, à élargir politiquement la gamme de ce à quoi ils font attention, à apprendre un nouveau sens de la justice à l’égard de formes de vie qui actuellement sont complètement en-dehors… Les puissances sont là. Est-ce qu’elles seront à la hauteur de la crise, je ne sais pas. Mais imaginez les premières suffragettes qui ont commencé à militer : elles ont bien fait de ne pas se dire «il est trop tard, de toute façon les hommes sont trop bêtes, ils ne vont jamais comprendre…» Soyons des suffragettes ! (3) »

Notes

(1) Sauf mention contraire, tous les extraits mentionnés dans cet article sont tirés du livre de Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, Actes Sud, 2020. En particulier du chapitre intitulé « Cohabiter avec ses fauves, L’éthique diplomatique de Spinoza », pp. 175-206

(2) Olivier Charles, « Le paradoxe du chimpanzé ou comment gérer nos émotions irrationnelles », résumé de livre sur www.motive-toi.com

(3) Baptiste Morizot : « Sur la piste du loup, l’homme, dépourvu de nez, doit éveiller l’œil qui voit l’invisible, l’œil de l’esprit », interview dans Libération par Coralie Schaub, 25 décembre 2018

L’arbre mort donne la vie !

Conversation avec Cécile Bolly

Après l’immense secousse qui fut celle de la Covid-19, il nous a semblé primordial de parler de la vie et de la mort – et de tout ce qui a vraiment de l’importance à nos yeux – à l’aide des innombrables symboles et images que nous offre la nature. Une simple rencontre avec Cécile Bolly, médecin et guide-nature, photographe et auteure de nombreux livres sur les arbres (1), nous ouvre un champ de ressources insoupçonnées. Juste pour vivre, mieux…

Propos recueillis par Dominique Parizel

Introduction

« J’ai fondé, il y a bien longtemps, l’association Collines, raconte Cécile Bolly, afin d’animer des stages dans la nature, pour les enfants à ce moment-là : nous partions dans la nature avec un âne et une aquarelliste… Ces stages sont actuellement destinés aux adultes. Depuis lors, j’ai eu l’occasion de participer à la création de Ressort, centre de formation continue de la Haute école Robert Schuman (HERS), qui ne veut pas faire simplement un « commerce » de la formation continue mais propose des choses plus nouvelles et plus créatives pour participer à la transformation de la société. Dans le pôle « Être et devenir », nous proposons aujourd’hui une formation en pleine nature, destinées à des soignants… entre autres de soins palliatifs ! Comme j’anime aussi des formations « Arbre et conscience » au CRIE du Fourneau-Saint-Michel, nous poursuivons le partenariat en louant leurs locaux, précaution utile en Belgique, même lorsqu’on a l’ambition de travailler en pleine nature. »

Mieux appréhender ce qu'est mourir au contact de la nature

« La philosophie de la formation que nous proposons aux soignants, précise Cécile Bolly, est simplement d’être dans la nature, en contact avec le vivant et avec tout ce que la nature offre comme métaphores et comme symboles. La nature invite ou même oblige à être entièrement présent pour profiter pleinement de ce qu’elle nous offre, ce qui nécessite une attitude particulière d’écoute et de disponibilité. En étant accompagné dans ce qu’il perçoit dans la nature grâce à sa sensibilité, chacun développe alors une attitude de présence qui peut être transférée à la relation avec les patients. Cet apprentissage se fait dans une ambiance de grand respect mutuel, où chacun s’engage à participer aux exercices, à apprivoiser le silence dans des temps de méditation assise ou marchée, à se remettre en question, à partager ce qu’il découvre. La démarche d’ouverture nécessaire se fait par exemple par un atelier d’écriture, par une cérémonie du thé ou encore en utilisant des liens végétaux : m’appuyant sur mes connaissances en vannerie, j’aime que les soignants tissent des liens pour se relier les uns aux autres… Quand on travaille la ronce, par exemple, il faut d’abord la fendre et avant cela, enlever les épines, en utilisant le dos d’un couteau et en étant délicat. Si certains participants prennent la lame pour aller plus vite, il ne leur reste alors, quand ils ont terminé, que des lambeaux de ronce… Au contraire, le travail à l’aide du dos du couteau laisse l’écorce de la ronce entière de la ronce et elle devient ainsi un lien très solide. Les paniers en paille de seigle et ronce, utilisés pour faire lever le pain, sont ainsi d’une très grande solidité. Et ainsi en va-t-il aussi de l’être humain : attaquer, symboliquement parlant, ses défauts avec la lame ne donnera que des lambeaux alors que l’aider délicatement à se transformer permettra de créer des liens solides… La nature est très riche d’images et de symboles qui permettent de comprendre des choses qu’on n’aurait pas comprises autrement. Elle permet ainsi de guérir les humains en les inspirant dans leur cheminement intérieur. Nous ne souhaitons pas réserver l’apprentissage d’une telle écoute profonde à des soignants en soins palliatifs, parce que dans tous les services, les soignants peuvent être amenés à côtoyer des gens en fin de vie qu’ils voudront accompagner… Nous accueillons donc les soignants et bénévoles, qui souhaitent développer cette attitude d’ouverture et de sérénité qui permet d’aider les patients à traverser les moments difficiles. Toute la symbolique présente dans la nature permet aussi aux soignants d’apprendre à apprivoiser le silence. Car ce qui  aide un patient qui est en fin de vie ou qui souhaite parler de sa fin de vie, ce n’est pas qu’on lui parle sans cesse d’une chose et l’autre ou qu’on essaie de le rassurer.  C’est au contraire qu’il puisse ressentir une présence paisible et bienveillante, à ses côtés, qui témoigne encore de sa valeur d’humain. Même s’il est en fin de vie…

Dans la formation (qui est soutenue par la Fondation Roi Baudouin),  des temps particuliers sont prévus afin d’aider les soignants à transférer ce qu’ils ont appris dans leur pratique professionnelle. Et un peu de temps sépare chaque journée pour qu’ils puissent le mettre en ?uvre, la journée suivante incluant un retour sur ce qui s’est passé pour eux, avant de repartir dans de nouveaux exercices et de nouveaux apprentissages… »

Ce qu'on nomme la "fin de vie"…

« La Belgique, explique Cécile Bolly, qui a été pionnière en Europe pour les soins palliatifs, à domicile en particulier, donne à un patient en fin de vie qui désire rester chez lui la possibilité de différentes aides : une équipe de « seconde ligne » – comprenant infirmière, psychologue, etc. – peut venir à domicile et un matériel très spécifique peut être prêté, des visites de médecins, infirmiers et kinésithérapeutes sont également prévues… Tout cela gratuitement ! Dans les équipes de seconde ligne, les soignants sont spécialisés en matière de soins palliatifs, ce qui n’est pas toujours le cas des médecins généralistes, des infirmiers et infirmières de première ligne qui manquent parfois d’habitude de la fin de vie. D’où l’intérêt de travailler ensemble mais aussi de continuer à former tous ceux qui seront en présence de patients qui vont mourir, en leur apprenant à ne pas « se sauver » y compris par des phrases qui clôtureraient davantage le dialogue qu’elles ne l’ouvriraient… L’idée de notre formation est donc de les aider à dialoguer, à oser parler avec les patients de la vie et de la mort. Car là où l’on croit parler de la mort, c’est en fait de la vie qu’il s’agit !

C’est une vérité que nous mettons souvent en évidence : quand un patient envisage qu’il va bientôt mourir, c’est toujours sa propre vie qu’il désire raconter, toutes les valeurs qu’il a incarnées, tout ce qu’il a vécu de marquant. Il en parle avec d’autant plus d’urgence qu’il en sent l’échéance prochaine. Mais ce qu’il vit génère aussi beaucoup d’émotions, que craignent parfois les soignants. A l’occasion de cours à des étudiants en médecine à l’université de Louvain, je leur propose d’aller chez des patients en fin de vie en étant accompagnés d’un professionnel, pour qu’ils vivent par eux-mêmes cette expérience. Ils redoutent évidemment l’intensité des émotions qu’ils imaginent devoir affronter, mais reviennent toujours avec le sentiment d’avoir vécu une des plus belles expériences de leur formation ! Car c’est bien de la profondeur et de l’intensité de la vie qu’il s’agit, plutôt que d’un dialogue centré sur la tristesse ou le désespoir. La difficulté est évidemment d’oser être là et d’y rester, car la présence d’un patient en fin de vie nous renvoie immanquablement à notre propre mort, à notre propre histoire… C’est bien cela que chaque soignant peut travailler – j’ai envie de dire « doit » travailler – afin d’être complètement disponible à l’autre. Sans quoi il est encombré par ses propres difficultés, projette des attentes ou des peurs sur l’autre, réagit comme il voudrait que d’autres réagissent pour lui-même et oublie que le patient est forcément quelqu’un de différent. Par l’espace qu’ouvre la nature et par la dimension très particulière du temps et de la temporalité en forêt, il est très intéressant d’oser y aborder la question de la mort. Elle est omniprésente dans la forêt et au fil des saisons, elle donne naissance à la vie ! Et l’intitulé de notre formation est bien « l’arbre mort donne la vie » car quand un arbre meurt en forêt, il est source de vie pour de nombreux animaux, comme dans n’importe lequel de nos jardins d’ailleurs… »

Admettre la mort pour préserver la vie

« L’idée de conserver un arbre mort en forêt est très récente, admet Cécile Bolly. Naguère, on les coupait pour les évacuer. Or une faune spécifique ne vit que sur le bois mort. L’enlever, c’est donc diminuer la biodiversité… On peut faire un parallèle avec l’être humain : refuser de parler de sa mort, l’évacuer, c’est empêcher de donner vie à de nombreux éléments de son histoire, à la diversité de ses expériences, de ses désirs, de ses projets. C’est se priver d’une profonde richesse humaine que de ne pas accepter de parler de la mort. Et souvent, malheureusement, les patients aimeraient en parler mais ne trouvent personne qui accepte de le faire avec eux. On leur promet de nouveaux traitements, on leur fait de vaines promesses de survie et ils se retrouvent isolés face à leur mort plutôt que d’être accompagnés, jusqu’au moment du passage. C’est très souvent la difficulté d’accueillir les émotions qui empêche les soignants de proposer un accompagnement adéquat. C’est également ce qu’on a fait très longtemps (et parfois encore maintenant) avec les enfants, en leur disant « ne pleure pas » ou « ne te mets pas en colère, ce n’est pas beau !« , ce qui revient à les priver et à nous priver de ce que leur émotion cherche à exprimer, à faire comprendre.

Je pense profondément que toute une part de l’apprentissage dont les soignants ont besoin n’est pas seulement d’ordre technique, mais surtout d’ordre psychique et relationnel, d’ordre intérieur et spirituel. C’est une présence qui doit être travaillée, et cette présence-là gagne à être expérimentée dans la nature où, même immobile et silencieux, on reçoit en permanence d’innombrables signes auxquels nous pouvons nous rendre attentifs, nous rendre présents ; une sorte d’apprivoisement, dans le non-faire, qui nous rend témoins, qui nous force à écouter. Même s’il n’y a que le silence à écouter, au moins l’aurons-nous entendu ensemble. La profondeur de ce qui nous est donné à vivre dans la nature n’est évidemment pas l’apanage de la mort. Je pense en particulier aux rituels qu’on peut proposer à toutes sortes d’occasion, y compris la préparation à la naissance, comme le fait une de mes filles, qui s’est formée aux éco-rituels. Cela nous aide d’ailleurs à comprendre que nous sommes nous-mêmes la nature, que nous n’en sommes pas séparés. Nous pourrions donc très bien installer notre formation dans un grand jardin, ou dans un coin de verger… L’essentiel est que nous retrouvions une vraie collaboration avec la nature plutôt que de chercher à la maîtriser. Et que nous découvrions qu’elle peut nous guérir, en profondeur.  Nous sentir tenus de sauver la nature, du réchauffement climatique notamment, c’est avant tout admettre l’idée que la nature nous sauve. A la condition que nous soyons disponibles, évidemment.

« Il faut sauver les condors, a dit l’ornithologue Ian MacMillan, non pas seulement parce que nous avons besoin des condors, mais parce que nous avons besoin de développer les qualités humaines nécessaires pour les sauver, car ce sont ces qualités-là dont nous aurons besoin pour nous sauver nous-mêmes.« 

Mourir n'est pas un échec !

« Lors de nos activités, poursuit Cécile Bolly, nous sommes également attentifs à favoriser ce qui nous aide à prendre soin de nous. C’est par exemple le cas de notre nutrition (dont la médecine s’occupe jusqu’à présent très peu). Il peut par exemple s’agir de proposer une nourriture végétarienne lors d’une journée, afin que chacun réfléchisse au contenu de son assiette. Ou bien aborder la dimension symbolique de la nourriture. J’aime commencer un repas par un rituel zen qui consiste à manger les trois premières bouchées en se reliant à une dimension chaque fois particulière de la nourriture. On mastique la première bouchée dans la gratitude à témoigner envers ceux qui nous ont nourris. Depuis nos parents et nos éducateurs jusqu’aux agriculteurs qui ont cultivé pour nous, en passant par ceux qui ont construit les routes pour que les camions puissent arriver à nous, ceux qui ont construit les moteurs pour que les camions puissent rouler, etc. La deuxième bouchée est mangée avec la conscience que c’est à nous maintenant qu’il incombe d’être nourriture pour le monde – pas juste donner à manger, mais être nourriture par notre manière de vivre, de partager, d’être soucieux des autres. La troisième bouchée, enfin, doit nous rappeler qu’elle est peut-être la dernière et que, si c’est le cas, ce que nous avons encore à vivre doit être vécu pleinement. Il peut paraître bizarre de penser, chaque jour, que nous allons mourir mais c’est justement ce qui nous met du côté de la vie. Cela n’a absolument rien de morbide… Se rappeler que nous allons mourir, c’est se rappeler de vivre l’essentiel.

La crise de la Covid-19 nous a montré à quel point nous avons cherché à maintenir, à tout prix, la vie biologique de personnes très âgées, en oubliant leur vie psychique. Si la mort est encore parfois vécue comme un échec par la médecine, elle reste aussi un tabou pour l’ensemble de la société, qui intime en permanence à ses membres d’être performants. Si quelqu’un de votre famille vient à mourir, vous disposez de trois jours d’arrêt pour le deuil, puis vous êtes priés de redevenir performant et d’arrêter d’embêter les autres avec le chagrin qui est le vôtre. Notre vie sociale nous force à repousser la mort au lieu de nous rappeler qu’elle est bien là, que nous mourrons un jour, et que, dans le temps qui nous est donné, nous pouvons accomplir ce qui est essentiel à nos yeux, rendre la terre de plus en plus belle… Se rappeler que c’est peut-être la dernière bouchée que nous avalons est donc un acte symbolique qui nous amène à penser aux choses qui ont vraiment de l’importance et à ne pas perdre notre journée… »

Souffrance éthique

« Je ne travaille pratiquement plus en tant que médecin généraliste, dit encore Cécile Bolly, mais davantage comme psychothérapeute, d’une part, et comme formatrice en éthique, de l’autre. De nombreux soignants, durant cette longue épidémie, ont été placés dans l’obligation de transgresser, de piétiner leurs propres valeurs. C’est ce qu’on appelle la « souffrance éthique », c’est-à-dire le fait de ne pas pouvoir agir en cohérence avec les valeurs fondamentales qu’ils veulent défendre. Les soignants qui travaillent en maisons de repos aiment les personnes âgées, veulent les soigner dans la proximité et leur donner de la chaleur humaine. Or, d’un seul coup, ils n’ont plus pu les toucher et les prendre dans leurs bras ! Sous la contrainte de nouvelles règles, ils ont subitement dû travailler en complète opposition avec leurs propres valeurs et faire l’inverse de ce qu’ils aiment faire, ce qui a généré énormément de souffrances… Avec le centre Ressort, nous sommes les témoins de nombreuses situations dramatiques, au sein des maisons de repos, que nous cherchons à apaiser. Cette épidémie est l’occasion de mieux comprendre et mettre en ?uvre une démarche éthique dans le soin. Parfois, elle nécessite d’ailleurs de dire non, de désobéir par exemple pour rappeler que la vie biologique n’est pas seule en cause. Autre chose se joue à chaque instant : la déshérence par rapport à un idéal, par rapport au choix d’une profession, par rapport à celui ou celle qu’on devient. S’il n’est pas possible de garder un lien fort avec les valeurs qui nous animent, cela induit une perte totale de sens et ce constat est sans doute valable pour l’ensemble de nos concitoyens. C’est sans doute pour cela qu’il y a tant de burn-out actuellement… Mais je pense que ceux qui passent par un burn-out sont encore suffisamment bien pour dire stop : je n’irai pas plus loin, sinon je meurs ! Ce qui parle ainsi en eux, c’est leur être profond, qui a la clairvoyance, la sensibilité pour leur dire de ne pas aller plus loin dans cette voie-là. Beaucoup d’autres, hélas, paraissent encore vivants mais sont morts à l’intérieur pour être toujours à même d’accepter la loi que dictent aujourd’hui certaines entreprises…

Il y a déjà un certain nombre d’années, j’ai eu la chance de rencontrer un pédagogue médical canadien nomme George Bordage qui, à la fin de sa carrière, résumait à ceci ce qu’il avait encore à nous dire : « creusez un sillon, choisissez-en un et creusez-le, vous découvrirez le monde entier ! » Moi, j’ai choisi l’éthique, surtout pour les soignants, même si beaucoup de demandes ont également émané du monde enseignant. Et dans l’éthique, ce qui me passionne, c’est entre autres de réaliser des outils que les soignants peuvent utiliser pour éveiller l’éthicien qui dort en eux… Il est sûr que les outils que nous mettons au point au centre Ressort pourraient convenir à l’ensemble de la société. Et une profession particulièrement méprisée, Nature & Progrès ne me contredira pas, dans l’éthique qui est la sienne, est sans doute celle d’agriculteur. Comment travailler encore pour l’agro-industrie en prétendant défendre une éthique ? Qui comprend aujourd’hui l’immense détresse que cela génère ? »

Plus d’informations sur les formations : www.ressort.hers.be

(1) Dans les pages de Valériane n°72, Benjamin Stassen attirait déjà notre attention sur La Magie des Arbres, paru aux éditions Weyrich, en 2008. Plus récemment, on citera également L’arbre qui est en moi, également paru aux éditions Weyrich, en 2018…

Réseau RADiS, de la solidarité au cœur de la construction de filières bio et locales

Voici tout juste un an que le Réseau RADiS a vu le jour. Cette initiative portée par Nature & Progrès et la Fondation Cyrys a pour objectif d’encourager le développement de l’agriculture biologique et solidaire en région dinantaise. La participation est au cœur de ce projet très ambitieux. Levons le voile sur les premiers travaux du groupe « alimentation solidaire ».

Par Sylvie La Spina

Introduction

Le groupe thématique « alimentation solidaire » est constitué d’une trentaine de personnes : citoyens, producteurs et structures sociales actives dans la région dinantaise. Son ambition ? Assurer le caractère solidaire des filières mises en place dans le cadre du Réseau RADiS. La construction des filières alimentaires repose en général sur des critères techniques et économiques. La volonté de notre Réseau est d’assurer également la prise en compte sociale, pour une alimentation bio et locale accessible pour tous.

Dès début de cette année, afin de co-construire des bases de travail solides, le groupe « alimentation solidaire » s’est lancé dans la définition de ses bases de travail. Ces travaux préliminaires indispensables visent à s’accorder sur ce que les participants entendent par alimentation de qualité, solidarité, et à définir ce qu’ils souhaitent mettre en place, et comment. Voici le fruit de ces échanges.

Une alimentation de qualité accessible pour tous

Qu’est-ce qu’une alimentation de qualité ? Grâce à la construction participative d’un nuage de mots, nous avons souligné les besoins fondamentaux auxquels l’alimentation devrait répondre : des besoins nutritionnels – santé -, sociaux – partager un repas -, hédoniques – le plaisir de manger -, idéologiques – exprimer ses convictions, le bio et le local, par exemple – et culturels. Les facteurs qui peuvent limiter l’accès à cette alimentation ont aussi été identifiés. On pense en premier à l’argent – le prix – mais il s’agit aussi de tout ce qui est nécessaire pour faire ses courses, cuisiner, jardiner… Par exemple, le temps disponible, la capacité physique – santé -, l’estime de soi – motivation -, le savoir-faire – compétences, connaissances -, les infrastructures – cuisine, espaces de stockage, jardin… -, la mobilité ou encore l’accès à l’information – où trouver les produits bio et locaux que je recherche.

A travers un jeu de rôle, les participants du groupe se sont mis dans la peau de différents profils de personnes en situation fragile – famille monoparentale, pensionné isolé, étudiant, chômeur de longue durée… – et ont testé différents types de solutions – colis alimentaires, épicerie sociale, jardins partagés, création d’emploi… La conclusion de cet exercice fut la suivante : il existe une diversité de situations et aucune solution n’est universelle ! Cette complexité doit être prise en compte dans les travaux du groupe.

Mais qu’est-ce que la précarité ? Définie comme l’incertitude, pour une personne, de conserver ou de récupérer une situation acceptable dans un avenir proche, cette précarité peut prendre différentes formes : financière, sociale – isolement, exclusion… -, médicale – difficulté d’accès aux soins de santé… -, technologique – zones blanches… -, énergétique, liée à la mobilité… Pour la définition du terme « solidarité », par contre, le nuage de mots fut très explicite, avec une mise en avant de l’entraide, du soutien, de la coopération, du partage, de l’égalité, ensemble… La solidarité va donc bien plus loin que la question financière, il s’agit aussi de donner de la confiance et de l’estime de soi à des personnes vivant des moments de vie difficiles.

Des critères pour des actions solidaires

Une fois ces concepts posés, le groupe a travaillé sur la définition de critères permettant d’évaluer des pistes d’actions solidaires. Grâce à ces critères, il est alors possible de se positionner ensemble sur les idées d’actions, grâce à des valeurs communes. Sept critères ont ainsi été définis.

Les trois premiers permettent de qualifier la qualité sociale de l’action. Le caractère participatif – par opposition à une action paternaliste et « infantilisante » – assure l’implication des personnes dans la définition même et la mise en place des actions. Ne travaillons pas hors-sol ! A travers cette participation, on peut augmenter les chances d’obtenir une cohérence des actions et leur utilisation par les personnes fragiles. Le caractère inclusif – par opposition à tout ce qui est discriminant et stigmatisant – assure l’accès pour tous aux actions, assure que tous les publics puissent préalablement se sentir concernés. Enfin, le critère « renforcer l’autonomie » – par opposition à assistanat et palliatif – propose que les actions donnent toutes les clés pour retrouver confiance et estime de soi, et se sentir capable de se reprendre en mains.

Les critères suivants sont relatifs à l’impact – notamment en termes de nombre de personnes impliquées et de leurs diversités de situations -, à la pérennité de l’initiative et de ses actions – par opposition aux accès à durée limitée – et, enfin, à la durabilité écologique, économique et sociale de l’action. Le septième critère enfin balise les idées, dans le cadre du Réseau RADiS, soit la construction de filières bio et solidaires sur le territoire d’action défini. Voici maintenant le groupe armé pour évaluer, nuancer et valider des idées d’actions solidaires.

Quelle participation des personnes fragiles ?

Lors de cette même réunion, la question de la participation des publics fragiles a été soulevée. Allons-nous les inviter aux travaux de notre groupe thématique, à nos réunions ? Pourrons-nous assurer cette mixité, sommes-nous capables de travailler en direct avec des personnes en situation précaire ? Ne se sentant pas compétents pour gérer une telle mixité et ses difficultés potentielles, les participants du groupe ont opté pour une représentation indirecte des publics-cibles, notamment via les acteurs sociaux du territoire. Ces derniers travaillent au quotidien avec les personnes concernées, et peuvent donner un avis éclairé sur les idées d’action et, en parallèle, impliquer leurs publics dans le Réseau RADiS. Certains de ces acteurs ont même rejoint le groupe, dès son démarrage, avec une motivation enthousiasmante.

Mais qui est donc notre public-cible ? Allons-nous nous focaliser sur certaines formes de précarité ? Le groupe préfère rester très ouvert et agir avec le plus grand nombre, tout en ayant une attention particulière pour différents publics. En fonction de leurs affinités, les citoyens et les producteurs ont identifié des publics pour lesquels ils peuvent porter une attention particulière. Béatrice, productrice de fraises, choisit entre autres les personnes handicapées, ayant une expérience familiale, Jean, maraîcher, choisit également les personnes pensionnées, étant souvent en contact avec elles, Olivier, représentant les Îles de Paix, choisit aussi entre autres les personnes réfugiées et les jeunes…

Le témoignage d’Aliz, notre stagiaire

Aliz, stagiaire du Réseau RADiS entre avril et juillet, a identifié et contacté les quelques deux cent cinquante acteurs sociaux actifs sur le territoire dinantais. Grâce à de nombreux contacts et à des interviews, elle a pu réaliser un diagnostic social du territoire, et motiver de nombreux acteurs à rejoindre la dynamique du Réseau.

« Les entretiens que j’ai eu l’occasion de réaliser m’ont permis de mieux comprendre le contexte territorial et social dans lequel s’inscrit le réseau RADiS et de me rendre compte de certaines réalités sur un territoire assez contrasté.

Pour commencer, les acteurs et actrices semblent s’accorder sur le fait qu’il est essentiel de travailler sur l’alimentation car « […] c’est la base, tout le monde mange et cela a beaucoup d’implications dans tous les aspects de la vie (travail, environnement, …) » – Delphine Claes, directrice du CPAS de Dinant. L’alimentation est donc une thématique qui revient dans beaucoup de projets. Mais c’est également un sujet à traiter avec beaucoup de délicatesse car « Le rapport à la nourriture c’est de l’intime […] » – Virginie Want directrice de l’AMO Globul’in, service d’Action aux jeunes en Milieu Ouvert. S’intéresser à l’alimentation d’une personne c’est donc toucher à sa vie intime, c’est rentrer chez elle.

Tous les entretiens se rejoignent également sur le fait que la mobilité est un enjeu important pour le territoire rural sur lequel est implanté le réseau RADiS. Un enjeu qui, lui aussi, influencera de nombreux aspects de la vie quotidienne en limitant l’accès à de nombreux services pour certaines personnes : «[…] pour tous les projets c’est vraiment quelque chose de très important, on ne peut pas penser un projet sans penser mobilité sinon forcément on exclut toute une partie de la population » – Monique Couillard-De Smedt, membre du groupe local Pays des Vallées d’ATD Quart Monde Wallonie-Bruxelles. Bien conscientes de ce problème, les communes ont développé des solutions pour renforcer la mobilité, en se reposant notamment sur des services d’aides bénévoles. Cependant, des difficultés persistent : « Il faut se préparer 48h à l’avance, il faut pouvoir sortir les sous, il faut qu’il y ait un bénévole disponible et puis pas le soir, pas le week-end, et puis pour certains, les raisons sont bien définies » – Monique Couillard-De Smedt.

Plusieurs structures ont également souligné l’intérêt de créer des lieux conviviaux d’échange et de partage « […] ils viennent surtout pour la compagnie, il s’agit surtout d’un lieu de rencontre, ce sont beaucoup des gens qui souffrent de la solitude » – Thérèse de Biourge, bénévole au Bar à Soupe de Dinant. Mais ils ont également fait remarquer l’importance de redonner confiance aux personnes en montrant qu’elles sont capables : « […] quand tu vis la honte dans tout ton milieu depuis l’enfance, tu as intégré que t’es nul et coupable. Donc il faut que les personnes exclues puissent changer leur propre vision des choses et il faut faire changer la vision des autres. Parce qu’à partir du moment où ceux-ci se disent « ce ne sont pas des nuls, ce sont des gens intéressants qui peuvent donner beaucoup à la société », il y a plein de possibilités qui s’ouvrent » – Monique Couillard-De Smedt.

Pour finir, la solidarité concerne tout un chacun et elle devrait, dans l’idéal, aller dans les deux sens : « […] que tout le monde soit sur le même pied. On le fait ensemble pour tout le monde, par tous pour tous » – Sandrine De Vreese, coordinatrice de la cellule de Dinant de l’asbl Article 27. Le réseau a donc choisi de travailler avec le plus grand nombre de personnes et de réalités différentes tout en portant une attention particulière aux plus fragiles car comme le souligne Monique Couillard-De Smedt : « Quand tu veilles à ce que ceux qui ont le plus de difficultés aient leur place, c’est tout à fait possible que les autres l’aient aussi, tandis que le contraire n’est pas vrai. »

Néanmoins, le travail en direct avec certaines personnes en difficulté n’est pas toujours facile et demande certaines compétences spécifiques en termes de techniques d’animation : « l’animation ça va, mais pas de trop, il y a plein de mots qu’il ne faut pas dire, leur demander leur avis ça ils aiment bien, ça fonctionne… » – Christine Longrée, administratrice déléguée et responsable pédagogique de l’asbl Dominos LA FONTAINE. C’est pourquoi le réseau a opté dans un premier temps pour une participation indirecte en passant par les structures sociales sur les six communes. »

Tous ces éléments sont – ou devront – être pris en compte lors de la définition des actions par le groupe thématique « alimentation solidaire » afin que ces dernières correspondent au maximum aux situations vécues au sein du territoire. Et comme l’explique Christine Longrée, « C’est peut-être l’occasion, c’est une innovation ce réseau RADiS qui se met en place, de trouver des moyens pour pouvoir créer du plaisir dans le travail et d’avoir une approche différente. »

Première définition des actions du groupe

Les idées d’actions furent définies lors de la troisième réunion du groupe « alimentation solidaire », début juin. Elles sont pour le moment au nombre de trois. Dans le cadre du développement de la filière fruits et légumes bio, le groupe a choisi de travailler sur l’accueil social à la ferme. Ce concept vise à permettre à des personnes en situation difficile de passer du temps en ferme, en compagnie d’un producteur, pour changer d’air, découvrir autre chose, se ressourcer au contact des cultures et des animaux, découvrir et partager le quotidien et les travaux du producteur, échanger avec lui… Une structure sociale partenaire est impliquée pour assurer le bon fonctionnement de cet accueil.

Pour la filière céréales alimentaire bio, l’idée d’un four à pain mobile a soulevé l’enthousiasme de chacun. En plus d’être un outil de sensibilisation à la bonne farine – notamment notre future farine bio et locale des producteurs du Réseau RADiS, dès cet automne – et à la fabrication du pain, le four à pain mobile va à la rencontre des personnes et joue le rôle de créateur de liens. Un outil similaire, mis en place par le GAL Jesuishesbignon, est source d’inspiration… Et nous avons appris également qu’un four à pain mobile en dormance est présent sur le territoire !

Enfin, afin de renforcer les liens entre producteurs et citoyens, il a été décidé d’améliorer le référencement des producteurs bio du territoire et d’en assurer une bonne diffusion, afin que chacun puisse rentrer en contact avec eux et échanger sur leur travail et leurs productions… A suivre !

Pour aller plus loin…
https://www.reseau-radis.be/accueil/les-groupes-thematiques/alimentation-solidaire/

Citoyenneté alimentaire : un monde meilleur !

Bien sûr, il est toujours loisible, même en bio, de manger en dépit du bon sens, d’outre-manger, de « mal manger » dans le mépris total de ce que recommande la faculté… Cependant, même si le consommateur intègre à son assiette les équilibres et l’hygiène indispensables à sa bonne santé, rien ne lui garantit que son alimentation remplisse tous les critères de la qualité optimale qu’il souhaite. En cause : des méthodes industrielles mues davantage par la logique du profit que par le souci de nourrir, au mieux de leurs possibilités, l’humain qui a placé en elles sa confiance…

Par Dominique Parizel

nouveaux ogm non à la déréglementation
Introduction

Mais pourquoi les normes savamment mises en place pour l’agro-industrie ne servent-elles jamais de manière prioritaire à la fabrication de denrées de qualité ? Tout simplement parce que l’usine à bouffe est avant tout une machine à fabriquer de l’argent. Toute forme de qualité, tout coût excédentaire au-delà de ce qu’exige simplement la norme en vigueur correspond forcément, à ses yeux, à une dépense inutile. La norme qui la guide n’a donc aucune utilité d’ordre qualitatif ou sanitaire ; elle fixe seulement le niveau de qualité suffisant pour que le consommateur rassuré par la publicité continue d’acheter massivement. Et pour que se remplissent ainsi les coffres-forts des mastodontes transnationaux qui sont à la manœuvre…

Que sait encore le consommateur de la qualité de ce qu'il mange ?

Toute publicité autour d’un produit alimentaire d’origine industrielle trompe délibérément le consommateur dans la mesure où elle cherche systématiquement à en faire une sorte d’ambroisie destinée à une clientèle d’exception, le parant pour ce faire de valeurs affectives et symboliques qui lui épargnent tout simplement d’évoquer sa véritable nature, sa véritable identité. Et d’avoir à risquer, par conséquent, des mensonges encore plus graves à son sujet… Aussi énorme soit la ficelle, elle marche interminablement, incroyablement. La publicité se mue ainsi en une providentielle mine d’or pour tous les annonceurs du monde et peu importe finalement la matérialité, la réalité de ce qu’on donne à ingérer aux clients : l’impact colossal du discours publicitaire – consommer plus pour être plus heureux ! – supplante, et de très loin, la médiocrité nutritionnelle du produit. Ainsi la « marque de soda la plus célèbre au monde » prétend-elle faire sortir le Père Noël de sa manufacture à jouets dès que circulent de grands camions rouges garnis de guirlandes colorées. Sous d’autres cieux et en d’autres saisons, elle sublime la goutte de fraîcheur providentielle perlant sur ses petites bouteilles à taille de guêpe et qui serait tout aussi attirante que à la sueur tombant du muscle ambré d’un beau livreur… Elle nous fait aujourd’hui danser cocassement ou nous destine, en un seul clip, tout l’art du monde pourvu qu’on y repère sa marque d’universelle panacée, à l’image du Sirop Typhon de l’ancien et prophétique succès de Richard Anthony, quelque part autour de 1969… Elle évite ainsi tout questionnement superflu sur la composition du liquide noirâtre dont elle pollue le monde et fait passer pour un sommet de qualité gustative ce qui n’est au fond qu’un vieux remède archi-édulcoré de rebouteux d’arrière-boutique. Le monde entier prend des vessies pour des lanternes mais c’est exactement le but recherché dès lors que l’idéologie publicitaire relègue aux oubliettes tout souci d’ordre alimentaire. Qu’une pandémie d’obésité soit à la clé, cet universel pourvoyeur de bonheur et de respect n’en a cure : le marchand d’armes n’est jamais responsable des carnages que provoquent ses fusils mais seuls ceux et celles qui en pressent la gâchette… Ou qui dégoupillent la canette !

Parfois conscient qu’on le manipule à outrance, le consommateur certes s’organise mais ses « organisations de consommateurs », ne pouvant agir qu’à la marge d’un système globalement vicieux, n’en corrigent jamais que l’un ou l’autre os qu’on leur laisse fort opportunément à ronger…

Nos repas quotidiens ne peuvent plus nous mentir

La grande distribution n’est pas épargnée par cette logique. Sa puissance logistique et l’omniprésence de sa communication semblent d’insurpassables promesses de notoriété pour n’importe quel produit qu’elle consent à diffuser. Son organisation complexe s’applique principalement à des denrées « chosifiées » dont on emplit à ras bord les caddies : emballages en tous genres dont on peut comparer la taille, le prix et la durée de vie, voire un certain niveau qualitatif à condition qu’ils se plient à une batterie de critères que personne ne comprend et dont tout le monde, d’ailleurs, se fiche éperdument… La confiance qu’on fait à la grande distribution est à la mesure de l’esbrouffe qu’elle jette à la tête du chaland mais, plus le temps passe, plus le maquillage du vieux clown se fissure et plus ce qui semblait magique se banalise. L’artifice – et même une certaine mocheté du quotidien – sautent soudain aux yeux de tous…

Que s’est-il passé ? Être touché par la grâce de la grande distribution a un coût qui se répercute souvent sur la production, qu’elle écrase sous son incurable obsession d’écraser les prix ! Son organisation, complexe et onéreuse, requiert volumes, délais et marges budgétaires non négligeables… Comme le « noir soda du bonheur » que nous évoquions ci-avant, elle exhibe toujours plus d’images de marques et toujours moins de qualités intrinsèques. Quand le consommateur se soucie de fraîcheur et de proximité, elle ne répond que conservation et centrales d’achats. Et il devient trop évident qu’une grande mécanique aussi sophistiquée est inadaptée à nos besoins nouveaux. D’une universelle promesse de bonheur par l’outre-consommation, le consommateur moderne n’en veut plus. Il désire juste un peu de la confiance perdue. En parlant tranquillement avec le fermier et l’artisan de son coin…

Nos emplettes quotidiennes sont devenues incroyablement fastidieuses. Les paradis de la consommation, naguère si riants, se sont mués en traquenards pour notre portefeuille car, si les coûts restent modiques, les sollicitations y sont sans limites. Notre intégrité mentale y est à tout instant menacée par une ingénierie commerciale dont nous ne tolérons plus d’être les dupes. Nous éprouvons un irrépressible besoin de vérité et les insupportables tours de passe-passe d’un marketing abuseur nous sautent aux yeux et nous harcèlent. Bien sûr, tous les produits n’y ont pas les mêmes budgets promotionnels pharaoniques que la boisson noire ci-devant évoquée. Mais tous cultivent la même et invraisemblable ambition de n’être qu’une référence standardisée, dûment formattée, individualisée puis exposée au regard d’un maximum d’acheteurs potentiels. Il faut être vu, être connu, être vendu ; il faut qu’à ce lot succède un autre lot, que gonfle inlassablement le chiffre d’affaires et qu’on produise ainsi à l’infini pour que ruissèlent des cascades d’or fin sur le consommateur grisé par ce tourbillon de boîtes, de canettes et de bidons… On l’aura compris : ce modèle consumériste ne nous correspond plus. Face à la succession des crises et aux limites physiques de notre monde, le vertige et l’ivresse ont vécu ! Nous voulons passer à autre chose. Revenir dans la réalité…

La qualité, et rien d'autre

Nous sommes ce que nous mangeons ! Nous exigeons donc logiquement de pouvoir disposer de la certitude que ce que nous mangeons est bon, selon des critères qui nous appartiennent et qui ne peuvent nous être imposés contre notre gré. Rien de plus, rien de moins. Il s’agit, à nos yeux, d’un droit inaliénable de la personne et nul ne doit disposer du pouvoir de nous ôter ce droit ou de le rendre inapplicable. Mais un besoin, un désir si puissant est également contraignant car il impose à chacun d’entre nous, pour continuer de le revendiquer, de se comporter en citoyen responsable plutôt qu’en consommateur passif qui accepte sans ciller les pratiques contestables de ses fournisseurs industriels. Mais sans doute nombre d’entre nous le font-ils parce qu’ils sont objectivement forcés de se fournir, près de chez eux, à très bas prix, les inégalités croissantes constituant un levier toujours plus important dont joue habilement une partie en développement constant de la grande distribution ? Les « épiceries sociales » elles-mêmes – dont chacun s’accorde évidemment à louer l’action généreuse – ne peuvent d’ailleurs exister que par les surplus abondants de denrées industrielles. Mais peut-on s’accommoder aussi aisément d’un système alimentaire générant la charité pour les dépossédés, en même temps que l’iniquité qui les dépossède ? Sans qu’il s’agisse d’une question foncièrement différente de celle que nous traitons ici, ce grave problème est trop vaste pour être développé plus avant. Précisons toutefois que Nature & Progrès s’efforce – notamment grâce à la mise en place du Réseau RADiS – d’ébaucher des réponses à cette terrible question, en tablant davantage sur une redynamisation locale du « capital social »…

La capacité du citoyen à revendiquer une alimentation de qualité passe immanquablement par un « retour aux sources », une redécouverte du monde de la production et de la transformation, une considération nouvelle à l’égard du monde agricole qui dépasse de très loin l’agro-tourisme ou la ferme didactique… Il ne s’agit pas seulement, non plus, d’une simple « revalorisation » de pratiques professionnelles mais, bien plus, qu’une compréhension profonde et partagée, entre producteurs et consommateurs, des réalités incontournables qui permettent l’obtention et la transformation adéquate de produits agricoles optimaux : respect de la terre et des animaux, conditions de fonctionnement des fermes, transparence des méthodes, etc. Mais cette compréhension touche surtout au respect humain que se doivent les uns et les autres, rien n’étant jamais envisageable sans ouverture et sans confiance, sans acceptation surtout d’un « juste prix » qui ne leurre pas le consommateur mais qui rémunère aussi le producteur de manière équitable, à l’égal de n’importe quel travailleur au sein de notre société. Ce cadre général de reconnaissance est le sens même de la « charte éthique », mise en place par Nature & Progrès, qui intervient en complément de la certification bio classique. Elle s’appuie sur un Système Participatif de Garantie (SPG) – qui associe producteurs, consommateurs et professionnels de l’association – dont le but est d’offrir, aux producteurs, un encadrement dans les domaines où une marge de progression est identifiée d’un commun accord…

Enfin, le couplage, au sein même de l’association, de cette charte éthique avec une démarche globale de « Citoyenneté active » – on dit plus usuellement d' »Education permanente » – est de nature à renforcer la prise de conscience – et de confiance ! – des différents publics concernés avec le contenu de leurs assiettes. Si certaines formes de « citoyenneté passive » peuvent sans doute être déplorées dans d’autres matières qu’investit l' »Education permanente », gageons que la rupture, dans le cadre du système alimentaire qui est le nôtre, avec l’agriculture industrielle productiviste et la grande distribution classique est déjà, à l’heure qu’il est, un gage important d’activité citoyenne. Le cadre global d’approvisionnement que Nature & Progrès s’efforce de définir et de mettre en place rencontre ainsi pleinement la demande croissante de ceux que nous éviterons désormais de qualifier de simples « consommateurs » d’une nouvelle forme de citoyenneté alimentaire.

Citoyenneté alimentaire ?

La pleine conscience de ce que nous ingérons quotidiennement fait de nous des gens meilleurs, moins inquiets et certainement, par conséquent, moins malades et plus heureux. Cette pleine conscience ne peut cependant s’envisager que par le plein exercice de nos droits et devoirs de citoyens à l’égard des processus complexes qui nous nourrissent et des gens qui, dans ce cadre, travaillent à nous satisfaire. Rien à voir avec l’accumulation de « produits » dans un caddie, toujours suivie d’un passage à la caisse…

Au système traditionnel « produits standardisés + marketing », nous cherchons aujourd’hui à substituer un système « producteurs (et transformateurs) responsables + citoyenneté active ». La connaissance approfondie de la réalité agricole et du travail de ses produits, couplée à une démarche citoyenne sur les dérives du système alimentaire actuel, permettra l’émergence de la citoyenneté alimentaire que nous appelons de nos vœux. Ce ne sera pas une révolution sanglante mais seulement la reprise en main du contenu des assiettes par celles et ceux qui finalement les mangent ! Quoi de plus simple et quoi de plus normal ? Quoi de plus élémentaire que d’exercer le droit de manger ce qui nous épanouit, plutôt que ce qui torture les corps et les inféodent à la grande finance transnationale ? Ce qui nous avilit, au fond, faute de nous convenir vraiment et qui nous empêche finalement d’être vraiment heureux… Evidemment, il y aurait, à cela, quelques menues conséquences « collatérales » car la citoyenneté alimentaire n’a aucun besoin de publicité, aucun besoin de marketing, aucun besoin des vaines promesses d’un monde meilleur… Car la citoyenneté alimentaire serait un monde meilleur !

Lutter contre la richesse et apprendre des situations de pauvreté

« Sensibiliser à des changements de comportement. » Pour enclencher la transition écologique, on continue majoritairement de penser qu’il faut transformer l’économie, consommer autrement, habiter autrement, produire autrement, manger autrement, s’habiller autrement… Bref, remplacer nos pratiques par d’autres pratiques moins émettrices de CO2. Mais la manière de consommer est-elle vraiment la question centrale ? Ne serait-ce pas plutôt le niveau de richesse ? Prenons la question par les deux bouts.

Par Guillaume Lohest

nouveaux ogm non à la déréglementation
Introduction

L’an passé, préparant une conférence-spectacle avec un ami, j’ai pris conscience d’une incroyable évidence. Une évidence parce qu’au fond nous l’avions toujours su, comme la plupart des gens sans doute. Mais incroyable tout de même : en observant les implacables graphiques que nous avions sous les yeux, nous avons eu envie de le hurler autour de nous…

Le seul critère déterminant

Hurler quoi ? Qu’être sensibilisé… ne réduit pas notre empreinte carbone. Qu’il n’y a qu’un seul critère vraiment décisif : le niveau de richesse. Plus on est riche, plus on émet. C’est aussi simple que cela. Les tonnes et les tonnes de discours, de réflexions, de prises de conscience, toute cette écologie ostentatoire bute sur une réalité implacable : j’ai beau avoir la conscience aussi verte qu’un feuillage de forêt tropicale, dans le monde tel qu’il fonctionne c’est la contenance de mon portefeuille ou de mon patrimoine qui préserve ou détériore le climat et la biodiversité. Point barre.

C’est ce qu’écrivait déjà Grégoire Wallenborn en 2007 à propos des consommations énergétiques des ménages : « généralement, les ménages les plus riches sont à la fois les plus sensibilisés aux problèmes environnementaux et ceux qui, globalement, entraînent le plus d’impacts négatifs sur l’environnement. Ce constat est cependant nuancé dans le cas où un investissement financier a pour conséquence une diminution des pressions environnementales. Nous pensons qu’une analyse d’autres secteurs de la consommation déboucherait sur des résultats analogues. Songeons au tourisme et aux loisirs, mais aussi à l’alimentation, à l’eau et aux déchets ménagers. (1) »

Même constat implacable chez Paul Ariès, en préambule à un ouvrage sur l’écologie et les milieux populaires : « Les centres de recherche, qu’ils soient publics ou privés, ne donnent pas exactement les mêmes chiffres, mais ils s’accordent tous cependant pour reconnaître que « ceux d’en bas » sont plus écolos que ceux d’en haut. Cette vérité est connue de tous les spécialistes, que ce soit ceux de l’ADEME, du ministère de l’écologie et du Développement durable, des ONG ou même ceux de l’OBCM (Observatoire du Bilan carbone des ménages), tous bien obligés d’admettre que « Les revenus les plus élevés affichent des bilans carbone globalement plus mauvais que la moyenne » et que les milieux populaires font donc mieux. (2) »

Petits gestes mais grands voyages

Jusqu’ici, on suit. La logique semble respectée : plus on a d’argent, plus on le dépense ou plus on l’investit, or rares sont les activités totalement neutres en émissions carbone ou en dégâts environnementaux. Pourtant, on continue d’avoir envie d’y croire. La consommation alternative, locale, de seconde main, tout cela existe, cela permet de réduire l’empreinte carbone, tout de même ! Oui mais, les données sont claires : dans l’extrême majorité des cas, cette consommation alternative, saine en soi, s’accompagne d’autres attitudes de consommation qui en relativisent l’impact, voire la rendent anodine. Une enquête du CREDOC, en 2018, détaille ce phénomène. « Si 88 % de la population estime que les consommateurs doivent prendre en charge les problèmes environnementaux, est-ce que les plus sensibles à l’écologie mettent le plus en pratique des gestes efficaces pour l’avenir de la planète ? Pour répondre à cette question, le CREDOC a confronté les représentations de la consommation durable par le biais d’une question ouverte, « Si je vous dis, consommation durable à quoi pensez-vous ?« , aux pratiques de consommation durable, de l’habitat à l’alimentation en passant par les transports. Les résultats sont sans appel : la richesse conduit les plus sensibles à l’écologie à des pratiques de mobilité qui ne peuvent pas être compensées, en termes d’empreinte écologique, par de « petits gestes » comme la consommation de produits bio, la réduction ou la suppression de la viande et l’achat de produits d’occasion. (3) »

Dit autrement : les personnes qui se disent sensibilisées à l’écologie sont, en moyenne, plus riches que les autres, prennent davantage l’avion, se déplacent plus loin, ont un style de vie beaucoup plus énergivore que les personnes aux revenus plus modestes, qui n’embrassent pas forcément un discours écolo mais dont l’empreinte carbone est inférieure. Chaque sensibilisé pourra certainement trouver, autour de lui, l’un ou l’autre contre-exemple pour se rassurer, il n’empêche que les constats sont là. La réalité n’a que faire de nos petits contre-exemples ou de notre désir d’être vertueux. Comme le dit, en substance, l’écrivain Jonathan Safran Foer, nos descendants ne se soucieront pas de savoir qui voulait lutter contre le changement climatique ou qui l’écrivait sur son compte Twitter – ou dans Valériane ! – mais qui l’a réellement fait ! L’ostentation écologique n’a donc aucun intérêt, et il est même vraisemblable qu’elle soit contre-productive quand elle s’érige, inconsciemment, en signe de distinction sociale. La seule chose qui compte, c’est si ça change quelque chose, ou pas. Et Foer met le doigt pile où ça peut nous faire très mal, nous les amateurs de seconde main et de cultures du monde : « le problème principal, c’est que ce qui serait bon pour le climat correspond souvent à ce qu’on aime faire. Ce n’est pas comme si on devait mettre moins de t-shirts rayés ou manger moins de brocolis. Si c’était tout ce qu’on avait à faire (il rit), le problème serait résolu depuis longtemps ! On doit manger moins de la nourriture qu’on aime. On doit voyager moins, ce qui pour les gens qui ont la chance de pouvoir voyager est vraiment une activité qui a de la valeur. Et à raison car voyager, ce n’est pas un plaisir vide et égoïste. C’est précieux d’avoir la possibilité de voir le monde et d’enrichir sa vision du monde. (4) »

Si nous étions des autruches, nous oserions affirmer qu’il est possible de voyager en bateau ! Qu’un autre tourisme est possible ! Soyons de bon compte : ils existent mais ils sont rares, ceux qui rejoignent Buenos Aires en bateau-stop ou Jérusalem à pied. La plupart de ceux qui y ont mis les pieds, écolos consciencieux compris, ont cherché le vol le moins cher possible. Le CREDOC est donc crédible quand il enfonce le clou : « Le cas du recours à l’avion est parlant. Si environ un tiers des Français a pris l’avion en 2018, ce sont ceux qui ont fait au moins un trajet en avion qui ont le plus déclaré limiter leur consommation de viande – 48% contre 41% – et qui ont le plus acheté de produits issus de l’agriculture biologique – 78% contre 67%. Même une action demandant plus d’investissement, comme la production d’électricité verte ou la souscription à un contrat d’électricité garantissant une part d’électricité verte, ne va pas de pair avec une réduction de l’impact de la mobilité. Ces contradictions peuvent en partie s’expliquer par un plus grand recours des plus diplômés à la voiture et à l’avion pour les loisirs, ce qui montre les limites de la conscience et de l’action individuelles. (5) »

Vers un seuil de richesse à ne pas dépasser ?

Avançons. Comment expliquer, si cela fait quinze ans au moins qu’on sait que ce qui pollue, c’est la richesse, qu’on continue à faire de la « sensibilisation » aux « changements de comportements » la pierre angulaire de la transition sociétale ? Nul complot là-dedans ! Cette écologie basée sur la substitution – le remplacement de consommations par des consommations similaires mais plus propres – est simplement celle dont s’accommodent le mieux toutes les structures et représentations qui tiennent notre société en place : non seulement l’économie capitaliste avec ses impératifs de croissance, bien sûr, mais aussi plus foncièrement notre attachement à la propriété privée, notre conception des libertés individuelles, nos habitudes, etc.

Comment faire autrement ? Quelle conclusion tirer de cette vérité implacable : la richesse pollue ? Cela tombe sous le sens, il faut lutter contre la richesse. C’est évident mais c’est dur à écrire et dur à penser car on craint alors de sembler prôner la pauvreté. Or ce n’est ni envisageable ni souhaitable. L’hypothèse simple qu’il nous faut plutôt faire, c’est que richesse et pauvreté, dans un monde fini, dans une société capitaliste, vont de pair. La lutte contre la pauvreté ne devrait-elle pas se doubler d’une lutte contre la richesse ? Qui osera proposer de fixer un seuil de richesse inacceptable ? Plusieurs politiciens s’y sont déjà cassé les dents car notre imaginaire culturel, depuis des siècles, reste ancré dans cette étrange idée que seule la perspective d’être plus riche fait progresser le monde et les gens. C’est ce fameux argument du « PDG » ou du chirurgien : pour attirer les meilleurs, il faudrait pouvoir offrir des salaires astronomiques. Et si on ne le fait pas, alors voici qu’on agite le spectre de la fuite des cerveaux. Peu importe au fond que cette croyance soit vraie ou fausse : on n’a pas le choix ! Si l’on veut être efficace en matière de lutte contre le changement climatique, il faut lutter contre la richesse. Fixer des limites, au-delà de la satisfaction des besoins essentiels évidemment, mais des limites tout de même. Un immense STOP qui aiderait la société à déployer des possibles en-dehors de ce corridor monétaire qui relie l’extrême pauvreté à l’extrême richesse.

Comment ? Les deux leviers collectifs classiques à notre disposition sont la fiscalité et la loi. Pour les actionner, pour en déterminer les modalités, il n’y a pas d’autre chemin que celui de la discussion et de la délibération démocratique.

Une écologie des milieux populaires ?

À côté de ce débat essentiel sur les limites à la richesse, on peut aussi se demander si les personnes en situation de pauvreté n’ont pas, de leur côté, des savoirs à diffuser, une culture à partager. Car si les milieux aisés « sensibilisés » n’enclenchent aucune transition de société, une autre mobilisation est peut-être possible. Non pas descendante, à partir du degré de sensibilisation, mais ascendante, à partir des pratiques culturelles des milieux populaires. Paul Ariès, par exemple, reste ainsi « convaincu que seule la mise en branle de toute la société peut éviter une catastrophe planétaire majeure, mais aucun bouleversement de cette ampleur n’est jamais possible sans faire du neuf avec du vieux, c’est-à-dire sans prendre appui sur un « déjà-là » que l’on ne perçoit même plus. Ce « déjà-là » à même de sauver la planète de la catastrophe, c’est la façon dont les milieux populaires ont appris à vivre avec peu ; et ceci, non pas depuis les politiques d’austérité qui frappent aujourd’hui l’Europe du Sud après avoir anéanti les pays du Sud, mais depuis des siècles et des siècles. (6) »

Le regard de Paul Ariès est enthousiasmant : il consiste à faire remarquer, comme il le dit d’une formule-choc, que « les pauvres ne sont pas des riches à qui il manque de l’argent« . Cela revient à dire qu’il y a de l’intelligence collective, des savoirs sociaux, des exemples à suivre dans la manière dont les populations les plus pauvres, dans le monde entier, s’adaptent, survivent et vivent avec une empreinte environnementale bien plus soutenable que celle de populations plus favorisées. Qu’il s’agit donc, plutôt que de prescrire des bons comportements à adopter, de se mettre à l’écoute de cette expertise des milieux précaires et populaires. Pour Paul Ariès, il y a une part de provocation dans cette invitation à changer de regard, mais une « provocation à penser dans la direction de ce qu’on nomme aujourd’hui l’écologisme des pauvres, laquelle soutient que les milieux populaires (principalement du Sud) n’ont même pas besoin du mot « écologie » pour être beaucoup plus écolos que les riches, mais aussi que beaucoup d’écolos des pays opulents. (7) » Il existerait donc, selon les mots entendus dans la bouche d’un animateur d’ATD Quart-Monde, une « écologie invisible » qui peut être une source d’inspiration.

Mange d’abord, tu feras de l’écologie plus tard

À ce stade, j’ai un aveu à vous faire. Je ne sais comment conclure ces réflexions. Je regarde en face et je vous livre, sans paraphraser, les deux propositions relayées dans cet article : lutter contre la richesse et s’inspirer de l’ »écologie invisible » des populations pauvres. J’ai bien conscience de leur énormité, de leur manque de sérieux aux yeux des standards du débat public actuel sur l’écologie, et des sujets brûlants et délicats qu’ils traînent aux entournures. Par ailleurs, j’ai lu des critiques appuyées de l’ouvrage de Paul Ariès, lui reprochant une idéalisation, une essentialisation des milieux populaires. Du coup, après avoir fait résonner ces deux idées puissantes mais incertaines, je m’en vais clôturer ces paragraphes par un retour à la parole brute, avec des propos tenus lors d’un atelier « Pauvreté et écologie » à Rimouski, au Québec, animé par Bruno Tardieu (ATD-Quart Monde), en juillet 2018. Dans le fil des échanges, après des mots assez directs décrivant le fait que « les pauvres ne polluent pas » mais que « l’écologie, ce n’est pas leur sujet », une sorte de synthèse est proposée aux participants, sous la forme d’une question : « les pauvres n’ont-ils pas d’autres préoccupations, leur souffrance n’est-elle pas trop grande pour que l’écologie soit, pour eux, une priorité ? » Des participants, universitaires, évoquent alors la pyramide de Maslow. La réaction ne se fait pas attendre. « Les gens en situation de pauvreté ont osé dire qu’ils ne savaient pas ce que c’était que cette pyramide dont ils n’avaient jamais entendu parler dans leurs études. Les universitaires ont alors expliqué la hiérarchie des besoins. Les personnes en situation de pauvreté ont été très choquées, et ont réagi vivement : c’est comme si on nous disait, il faut d’abord manger avant de s’intéresser à la culture. Mange d’abord, tu feras de la politique plus tard. C’est complètement faux ! Les humains ont besoin de tout. C’est nous réduire. Parfois c’est la culture qui va te réveiller, parfois la spiritualité, parfois c’est une relation, parfois c’est un repas. Ce n’est pas une mécanique.« 

Finalement, conclut Bruno Tardieu, la hiérarchie des besoins qui justifierait l’hypothèse que les plus pauvres ne s’intéressent pas à l’écologie ne tient pas. (8)

Notes

(1) Joël Dozzi et Grégoire Wallenborn, « Du point de vue environnemental, ne vaut-il pas mieux être pauvre et mal informé que riche et conscientisé ? » dans Environnement et inégalités sociales, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2007, pp. 47-59.

(2) – (6) Paul Ariès, Écologie et milieux populaires, Utopia, 2015.

(3) – (5) Victoire Sessego et Pascale Hébel, « Consommation durable : l’engagement de façade des classes supérieures » dans Consommation et modes de vie, enquête du CREDOC, mars 2019.

(4) Jonathan Safran Foer, « On n’a pas besoin que tout le monde soit vegan, mais que les gens mangent beaucoup moins de viande », propos recueillis par Lila Meghraoua dans Usbek & Rica, 27 octobre 2019.

(7) Paul Ariès, « L’écologie des milieux populaires », Agir par la culture, Hiver 2018.

(8) Bruno Tardieu, « Pauvreté et écologie », Extrait du compte-rendu de l’atelier « Pauvreté et écologie », animé par l’auteur et Isabelle Fortier pendant le Séminaire annuel de philosophie à l’initiative de Jean Bédard, paysan-philosophe, à Rimouski (Québec, Canada), en juillet 2018, sur le thème Lutter contre la pauvreté, la misogynie, la destruction de la planète, même combat ?

La certification : un enjeu essentiel pour le bio

Depuis le 28 avril, Certisys, leader belge de la certification bio, a rejoint le groupe Ecocert, présent dans cent trente pays à travers le monde… La direction de Certisys est désormais confiée à Franck Brasseur qui avait intégré l’équipe en 2018. Il sera accompagné, pendant une période de transition de quelques mois, par Blaise Hommelen qui fut à l’origine du mouvement bio belge. Et le fondateur historique de l’entreprise, en 1991 ! Une occasion unique de rendre hommage à ce vieux militant de la cause biologique…

Propos recueillis par Dominique Parizel et Marc Fichers

Logo Certisys
Introduction

Lui rendre hommage bien sûr, pour sa brillante carrière qui passa jadis par Nature & Progrès, mais surtout brosser avec lui un rapide aperçu des nouvelles réalités qui questionnent, au présent, la certification bio. De nouveaux acteurs arrivent dans le bio, sans connaître nécessairement les valeurs qui le fondent et qu’il défend avec vigueur, depuis plusieurs décennies déjà. A l’image de Certisys dont l’intégration au groupe Ecocert lui permet une expansion nouvelle, tout en gardant son identité propre, c’est tout un secteur qui passe progressivement le flambeau à la génération montante. Même si, aux yeux du consommateur, rien ne change évidemment… L’occasion rêvée pour demander l’avis de Blaise Hommelen à ce sujet, et faire le point sur les principaux points d’attention, les nouveaux défis que devra relever le secteur tout entier. Chut, écoutons-le parler…

« Personne n’est éternel, constate lucidement Blaise Hommelen, et il faut pouvoir envisager de nouveaux relais. Mon entreprise fut toujours très liée au local, tout en développant une envergure internationale. Certisys, dans ce contexte, fait face à de gros groupes et doit pouvoir être suffisant fort pour mener à bien sa mission. Fort d’un point de vue technique, juridique, financier et tout cela en toute indépendance, en toute impartialité, en se gardant de tout greenwashing. Travailler avec le groupe Ecocert, c’est donc se renforcer et se mettre en capacité d’offrir un meilleur service… Il faut bien sûr distinguer clairement la réglementation du bio et ce qu’est réellement le bio. IFOAM – l’association internationale de l’agriculture biologique – se définit comme un mouvement : d’une part, cela concerne des personnes et, d’autre part, cela n’arrête pas d’évoluer. Il y a, d’une part, les agriculteurs, les producteurs, ceux qui pratiquent effectivement l’agriculture biologique sur le terrain et, d’autre part, il y a les consommateurs. Ces deux courants ont déterminé conjointement l’évolution historique du secteur… »

S'adapter à une demande toujours plus forte du consommateur

« La bio est née de la rencontre de ces deux courants, poursuit Blaise Hommelen, celui des producteurs et celui des consommateurs. Etant agronome de formation, je suis rentré dans le système par une approche agronomique, par la rencontre d’agriculteurs qui pratiquaient l’agriculture biologique. Le consommateur, quant à lui, exprime une attente et cette attente évolue dans le temps. Le producteur et les techniques qu’il met en œuvre évoluent également mais en restant toujours fidèles au concept d’agriculture durable de départ, qui est vraiment un excellent concept. J’ai donc pu observer l’évolution de l’attente du consommateur par rapport à ce qui se passait au niveau de l’agriculture conventionnelle en général, mais aussi par rapport à sa propre demande qui est progressivement devenue très importante. Avec les différents scandales alimentaires, ce poids croissant de la demande du consommateur – qui correspondait à une prise de conscience nouvelle – est apparue comme un fait tout-à-fait nouveau. En plus de l’intérêt que je portais déjà à l’agriculture biologique, en tant qu’agronome, est apparu le défi de la garantie du produit biologique destiné à ce consommateur nouveau. Au-delà des aspects purement techniques inhérents à la pratique de l’agriculture biologique, la mission qui nous était assignée de garantir la qualité biologique au consommateur prenait, elle aussi, une importance nouvelle. Mais comment s’y prendre pour rencontrer son attente, toujours plus forte, en donnant au consommateur la certitude que le produit bio acheté est bien celui qu’il avait espéré ? Un produit sans résidus, sans OGM… Le consommateur demande – en se le formulant à lui-même de manière parfois assez floue – un produit parfaitement naturel et absolument sans danger.

Or, au début, nous avions tout simplement affaire à quelques producteurs bio qui voulaient juste écouler leur production biologique, et nous partions uniquement de leurs pratiques agricoles. Eux cherchaient uniquement à se différencier sur le marché et à valoriser leur dénomination, par rapport à la spécificité de leur démarche d’agriculteurs. Le courant des consommateurs est alors venu se joindre à cette démarche mais en y plaçant une exigence toujours plus forte. En tant que certificateurs, nous nous focalisions, quant à nous, sur la façon dont les agriculteurs désherbent, fertilisent ou alimentent les animaux, comment ils s’y prennent pour que les vaches ne soient pas malades… Tout cela, en fonction des bases agronomiques de l’agriculture biologique. Mais aujourd’hui, les enjeux des OGM, des pesticides, des additifs, des nanotechnologies, etc. mettent toujours une pression plus intense sur la responsabilité de garantie que le consommateur attend de notre part. »

Obligation de résultat, ou obligation de moyens ?

« Une autre évolution capitale à mes yeux, explique Blaise Hommelen, réside dans le fait que l’agriculture biologique a été étendue à la transformation des produits biologiques. Cette évolution n’avait rien d’une évidence, vers 1980, lorsqu’on parlait encore d’agriculture « dite biologique ». Il ne s’agissait que d’agriculture stricto sensu – le règlement ne parlait alors que de cela – et nous avons dû batailler afin d’obtenir également la couverture sur les produits transformés. Il faut aujourd’hui rester extrêmement vigilants sur les normes de transformation car rien ne définit spécifiquement une transformation de produits biologiques. Quelles sont les méthodes ? Quels sont les critères ? Qu’est-ce qui nous guide ? Qu’est-ce qui nous motive ? Personne ne sait exactement : les techniques de transformation sont une chose, la composition des produits utilisés en est une autre. L’industrie agroalimentaire veut des produits raffinés, des produits purifiés aptes à être travaillés, par elle, techniquement. Ceci est totalement antagoniste avec nos idées bio, puisque nous voulons des produits bruts qui conservent et respectent le mieux possible la matière première. Au niveau des huiles, nous travaillons, par exemple, avec des huiles de pression mais pas d’extraction, ni d’hydrogénation, etc. Nous nous battons donc pour éviter que des techniques telles que les systèmes à échangeur d’ions soient refusés en transformation biologique. Le règlement définit, plus ou moins, une certaine approche. Et on peut légitimement se demander à quoi servirait de mettre en place une garantie stricte chez l’agriculteur, si cette garantie n’existe pas jusqu’à l’assiette du consommateur final ? Raison pour laquelle tout produit bio doit également être garanti sur l’ensemble de la filière, en incluant toute la chaîne distribution. Pour les distributeurs, c’est une chose nouvelle et ils ne comprennent pas toujours pourquoi il est indispensable qu’ils soient également sous contrôle. S’ajoutent à cela les questions relatives à la restauration collective, au catering, etc.

Redisons-le : au niveau de notre mission, nous étions simplement partis de la production, des producteurs qui sont au commencement de la filière… Pour englober maintenant l’ensemble de la filière jusqu’à l’assiette du consommateur dont les exigences n’ont cessé de se renforcer, en mettant toujours plus de pression sur le contrôle. Nous avons toujours été bien conscients de cela, au niveau belge, et le secteur a toujours demandé aux organismes de contrôle d’avoir des fréquences suffisantes de présence sur le terrain mais également d’assurer une obligation de résultat, alors que l’agriculture biologique ne se définit que par les pratiques qu’elle met en œuvre et n’a donc qu’une obligation de moyens. Mais le fait est pourtant que nous ne considérons pas comme possible que nos produits soient pollués, par des pesticides ou par autre chose. Voilà encore un nouvel enjeu, et il est de taille… »

Fidélité aux principes de base

« Le Règlement européen pour lequel nous nous sommes longuement battus, se souvient Blaise Hommelen, avait pour but d’obtenir une reconnaissance officielle et de protéger ainsi l’appellation biologique. Il n’est aucunement une fin en soi ! L’agriculture biologique doit être très attentive à ses racines, tant au niveau des producteurs et des transformateurs qu’au niveau des consommateurs. Les différents acteurs du bio se sont professionnalisés, avec l’adoption de ce Règlement européen, mais il ne s’agit nullement, pour nous organisme de contrôle – comme certains aiment parfois le prétendre -, de nous borner à réglementer l’achat de fraises bio en Espagne… Il s’agit, avant tout, de travailler à la pérennité d’une agriculture durable qui participe de l’agroécologie. Nous devons absolument conserver cet objectif, cette ambition… Or la réglementation évolue sans cesse et c’est pourquoi les organisations citoyennes sont très importantes, au sein du monde bio, afin de garder le cap que nous nous sommes fixés, de garder les pieds sur terre, de conserver nos racines. Une certaine dilution du bio semble, bien sûr, inévitable dès lors qu’on veut en développer le marché ; un pôle associatif fort doit donc absolument veiller à la sauvegarde des principes de base qui lui ont permis d’exister. Ainsi certains producteurs, arrivés par le seul attrait des primes bio, deviennent-ils parfois d’authentiques puristes. Et la très grande majorité des agriculteurs qui ont fait le pas vers le bio sont, à présent, très heureux de l’avoir fait et regrettent même souvent de ne pas l’avoir fait plus rapidement. Les opportunistes du bio le sont rarement de père en fils, et le fils fera, le cas échéant, la prise de conscience que n’avait jamais pu faire le père…

En tant qu’organisme de contrôle, nous devons bien connaître les règles du bio, bien les expliquer et bien les appliquer. Je suis donc partisan d’un contrôle préventif, je suis pour une présence continue. Il ne s’agit pas de tomber n’importe comment sur le dos de n’importe qui. Il faut bien sûr être suffisamment costaud pour lutter contre les fraudes possibles. Mais rester étroitement relié au secteur bio me tient énormément à cœur. Or il est aujourd’hui possible qu’un organisme de contrôle se borne à contrôler un cahier de charges, en étant en déconnexion totale par rapport au secteur concerné. Nous donnons donc, chez Certisys, un rôle très important à notre comité consultatif – l’évolution de l’ancienne COMAC (Commission mixte d’Agrément et de contrôle) – qui est un lieu de rencontre et d’échanges entre les professionnels, les consommateurs et les autorités, dans le cadre d’une garantie participative. Nous constatons que, bien qu’il y ait toujours davantage de bio, le secteur associatif y est, à certains égards, moins actif. Alors que le politique a démantelé la plateforme Bioforum Wallonie, il n’existe plus de véritable coordination du secteur. Or, en bio, c’est tout le monde qui discute, tout le temps, c’est un vrai mouvement de société qui est à l’œuvre où tout le monde a voix au chapitre en permanence. Et c’est peut-être ce qui fait toute la différence ! Cette importante dimension citoyenne doit rester à l’initiative des évolutions du secteur, qui ne doivent pas venir seulement de l’administration ou de l’Europe. Certisys estime donc que la bonne application des règles dépend aussi de la capacité de pouvoir consulter facilement le secteur. La problématique des élevages de volailles montre bien que nous sommes constamment aux prises avec des limites ; il est donc stratégiquement indispensable de savoir ce que veulent, dans leur ensemble, les gens qui font le bio au quotidien… »

Toujours davantage de missions

« Depuis une dizaine d’années, dit Blaise Hommelen, les organismes de contrôle sont également considérés comme des collecteurs de données. Or notre premier métier est de voir comment les règles bio évoluent, de bien les communiquer en direction des opérateurs et de veiller à leur bonne application. Maintenant, on nous oblige à collecter et à organiser toutes ces données, que ce soit pour la problématique des primes bio ou pour les statistiques qui sont certes nécessaires, tant au niveau belge qu’européen, pour le développement des filières ou la localisation des matières premières… Nous avons donc été obligés d’investir énormément dans les systèmes informatiques pour encoder, exploiter, stocker et transférer ces données. Mais nous devons veiller, d’autre part, à leur fiabilité et il nous incombe donc de tout vérifier dans le détail, ce qui est un authentique travail de fourmis. Ce boulot colossal occupe cinq personnes, à plein temps, chez Certisys et nous met une pression importante… Bien sûr, ces connaissances aident aussi le secteur à mieux se connaître lui-même mais peut-être des relais devraient-ils être pris par d’autres, au-delà de la simple collecte d’informations, afin d’en penser plus adéquatement le développement global ?

Certisys est avant tout une entreprise de service, répétons-le. Nous engageons de nombreuses personnes, en nous rendant compte à quel point il est indispensable de les former adéquatement aux spécificités du bio. Le plan de formation que nous appliquons est donc fondamental, à nos yeux. Je regrette vraiment de ne pas emmener suffisamment ces nouveaux engagés à la rencontre de pionniers du bio, afin de leur poser simplement ces deux questions : qu’est-ce que le bio à leurs yeux, et qu’est-ce qu’ils attendent vraiment de Certisys ? Tout notre personnel doit absolument se confronter à ces deux questions. On n’apprend malheureusement pas ce qu’est le vrai bio à l’école d’agriculture… »
Plus d’infos : www.certisys.eu

La faux : un outil moderne

Le fauchage qui existe aujourd’hui, en Wallonie, est généralement mécanique mais un net regain d’intérêt pour la faux est apparu ces dernières années. Trop d’utilisateurs ignorent pourtant la grande technicité de cet outil, très simple d’apparence, qui permet sa bonne utilisation. Un réel apprentissage est donc indispensable pour que son intérêt réel puisse être comparé à celui des outils à moteur. Pour en savoir plus, écoutons Peter De Schepper, responsable du Pic Vert, à Heyd-Durbuy…

Propos recueillis par Dominique Parizel

nouveaux ogm non à la déréglementation
Introduction

Le secret d’un fauchage efficace réside dans le tranchant de la faux ! S’il est optimal, le bon usage de l’outil viendra rapidement avec la pratique, là où la seule puissance d’une machine corrige toujours ses mauvaises utilisations…

« Mais tout ce qui demande un apprentissage invite toujours l’utilisateur à vouloir être plus habile, complète Peter De Schepper. C’est un constat qui, je crois, gagne toujours à être fait. Et à être généralisé, autant que possible, à l’ensemble de nos activités… »

Ne sommes-nous pas tous tributaires de notre idée préconçue d’un jardin ordonné ? N’avons-nous pas tous l’impression que plus vite le travail sera accompli, plus vite le bon ordre sera de retour ?

« La faux, d’une manière générale, ajoute Peter, est au moins aussi rapide que la débroussailleuse mais la vitesse n’est probablement pas la première raison de la choisir. Un retour au manuel offre surtout une meilleure précision, donnant à celui qui travaille davantage de satisfactions car le jardinage tient aussi au plaisir d’accomplir chaque geste avec justesse, bien plus sans doute qu’à un résultat à atteindre le plus rapidement possible. A l’échelle où travaillent la plupart des jardiniers, la faux est, en réalité, bien moins fatigante que la débroussailleuse et permet donc de « tenir le coup » plus longtemps. Le travail effectué avec une débroussailleuse ou avec une tondeuse peut être aisément accompli avec une faux : tondre une pelouse ou même faire du foin, par exemple, afin de nourrir quelques moutons… Il est évidemment possible de faire beaucoup plus, comme jadis, si on s’en donne le temps et si on est en mesure de s’organiser en conséquence. Toutefois, le savoir-faire concernant la bonne utilisation de ce précieux outil fait aujourd’hui particulièrement défaut. Peu de gens savent encore comment utiliser correctement une faux, une perte de connaissances qui s’est progressivement accentuée tout au long du XXe siècle… »

Apprendre à battre est indispensable !

« Je me suis mis à la faux dans les années nonante, poursuit Peter De Schepper, un peu comme je pouvais. Je trouvais cela lent et un peu dur mais j’étais encore jeune et je me disais que nos anciens devaient avoir une robuste constitution. Puis j’ai rencontré un cantonnier à la retraite, sur une « scène des vieux métiers ». Il m’a dit qu’il fallait « battre la faux », alors que je me demandais ce qu’il faisait. Personne ne m’avait jamais dit cela ! Quand il était encore en activité, ce monsieur fauchait manuellement le bord des chemins… J’ai ensuite trouvé, sur une brocante, l’enclumette et le marteau servant au battage et j’ai commencé, tant bien que mal, mais je trouvais que cela allait déjà beaucoup mieux, même si c’était loin d’être parfait. Je suis retourné voir ce monsieur, chez lui un an plus tard, et il m’a appris tout ce que j’ignorais encore…

Les bons gestes s’acquièrent aisément quand l’outil coupe bien mais la plupart des utilisateurs de faux ignorent malheureusement en quoi consiste ce bon entretien du tranchant. Battre consiste à aplatir, à amincir l’acier sur une zone du tranchant d’un à trois millimètres de large. On étire le métal pour en entretenir la géométrie. Ce geste s’effectue traditionnellement à l’aide d’un petit marteau et d’une enclumette portative qu’on fiche dans le sol, certains modèles pouvant même être montés dans un banc, ou sur une bûche… La même opération se fait à l’aide d’une meule pour la plupart des autres outils, comme les haches ou les ciseaux à bois. Quand on aiguise à la pierre fine, la géométrie, petit à petit, devient moins idéale ; on retrouve donc le bon angle grâce au passage sur la meule. Avec la faux, plutôt que de retirer de la matière, on retrouve la bonne géométrie et la bonne forme à l’aide de l’enclumette et du marteau : la lame est étirée, légèrement élargie, et l’acier devient plus dur sur la zone battue. Ce travail est nécessaire toutes les quatre à six heures de fauche en moyenne, en fonction des conditions rencontrées. Il prend entre vingt minutes et une demi-heure, en fonction de la longueur de la lame. L’aiguisage à la pierre, emportée à la ceinture dans un étui appelé coffin – où elle trempe en permanence dans de l’eau et éventuellement un peu de vinaigre -, se fait régulièrement après quelques minutes de fauche et ne doit prendre que quelques secondes. Juste un ou deux passages sur le tranchant afin de l’aviver à nouveau…Ce laps de temps varie évidemment en fonction des conditions de travail : le tranchant tient parfois cinq minutes, parfois dix. Quand j’aiguise, ma lame coupe encore bien ; après l’aiguisage elle coupe très bien…

Je conserve un article sur le battage de la faux en Wallonie, qui date des années septante. On disait déjà, à l’époque, qu’il n’était pas facile de trouver des « témoins » en mesure de battre la faux correctement. L’outil était encore là mais on ne savait déjà plus s’en servir adéquatement s’il ne restait pas un vieux paysan pour battre les faux des autres… Se borner à aiguiser avec une pierre artificielle, en carbure de silicium – carborundum en anglais -, rendra le tranchant plus épais et le travail sera alors nettement moins efficace. Une lame bien battue, puis aiguisée à l’aide d’une pierre plus fine – une pierre naturelle qui enlève beaucoup moins de matière – donne de bien meilleurs résultats. »

Un geste qui devient alors naturel…

« Un tranchant bien entretenu, insiste Peter De Schepper, permet d’adopter un geste qui sera nettement moins fatigant, et même pas fatigant du tout dans la plupart des situations. Bien sûr, l’exercice sera beaucoup plus sportif si on fauche pendant toute une journée, mais il ne requiert pourtant aucune aptitude physique particulière. Si l’outil coupe mal, au contraire, on se met alors à hacher et on s’épuise inutilement alors que le geste optimal du faucheur est un geste complet où tout le corps travaille, en évitant de mobiliser trop de force et de solliciter inutilement les épaules et les bras. Il faut donc apprendre, avant tout, à bien se tenir et, quand on fauche large, on peut même compléter par un mouvement de balancement qui fait travailler les jambes, dans un geste très ample qui évoque le tai chi. Il rajoute un peu d’inertie et réduit l’effort des bras et des épaules. Celui qui n’apprend pas cela d’emblée finira inévitablement par abandonner sa faux et par reprendre les machines…

J’ai personnellement travaillé, pendant une dizaine d’années, à l’entretien d’espaces verts et j’ai presque toujours tout fait à la faux. Ce travail a toujours été réalisé dans les mêmes délais qu’avec le fauchage mécanique. Mon employeur ne s’est jamais plaint car celui qui maîtrise bien la technique va aussi vite manuellement que mécaniquement. La fréquence des fauchages dépend évidemment de ce qu’on veut obtenir ; il est même possible de garder une pelouse très courte simplement à l’aide d’une faux ! Cela ne pose aucun problème de la maintenir au ras du sol, en passant chaque semaine… A condition que la faux soit parfaitement affûtée. Les pelouses sont une invention de riches qu’on ne trouvait pratiquement qu’autour des châteaux ; elles étaient entretenues, avant la mécanisation, par des jardiniers qui utilisaient des faux. Les gazons anglais n’ont évidemment pas attendu les tondeuses pour exister… Tout cela ne pose donc pas de difficultés, une fois qu’on a compris la nécessité de bien battre le tranchant. La faux passe alors sur l’herbe comme un rasoir et un tel travail permet sans doute d’être plus attentif à ce qu’on fait, de mieux repérer pour l’éviter la belle orchidée qui pousse dans un coin. La faux permet sans doute aussi d’épargner plus de grenouilles et d’orvets que le travail à la débroussailleuse. Mais si de tels drames sont plus rares, cela tient peut-être surtout à l’état d’esprit de celui qui manie l’outil… Ne reproche-t-on pas aux « robots » qui vont et viennent en continu de causer de gros dégâts à la faune des pelouses, même s’il n’y a sans doute plus grand monde qui habite encore ces vastes étendues ultra-raccourcies ? Mais est-il vraiment nécessaire d’avoir une pelouse qui ressemble à de la moquette, même si on désire conserver un endroit pour permettre aux enfants de jouer, ou pour s’asseoir au soleil ? Une telle réflexion bien sûr, d’ordre plus culturel, n’est évidemment pas directement liée à l’outil et on doit l’avoir aussi si on opte pour l’entretien mécanique. Mais que le jardin idéal soit celui où rien ne vit est évidemment une conception des plus critiquables. N’est-il pas préférable de multiplier les lieux de vie et les habitats au jardin, surtout dès le moment où on choisit d’y implanter également un potager ? »

Le souci de l'écologie

« Au début de ma vie professionnelle, avoue Peter, je travaillais alternativement à la faux et à la débroussailleuse car j’estimais que celle-ci convenait mieux à certains endroits, par exemple, qui n’avaient plus été entretenus depuis plusieurs années. On y trouvait parfois des ronces aussi grosses que mon pouce… Petit à petit, j’en suis venu à ne plus la démarrer que très rarement. Je travaille maintenant à un rythme tout-à-fait acceptable, au fauchon pour le débroussaillage des tiges dures, des ronces, etc. En s’approchant progressivement du sol, la plupart des obstacles sont faciles à repérer. Et le fauchon étant assez épais, même un petit coup accidentel sur un obstacle n’est pas trop grave pour l’outil… La pratique développe la sensibilité de celui qui le manie, ce qui réduit les dégâts à peu de choses. Beaucoup de force et d’enthousiasme, mais trop peu de technique, augmentent au contraire le risque d’abimer le matériel… Pour les zones herbeuses, il faut choisir la faux car l’approche est différente pour le fauchage de l’herbe. La lame se pose alors directement sur le sol et reste en contact avec lui pendant tout le mouvement.

Le jardinier est ainsi incité à un entretien beaucoup plus différencié en fonction des endroits : il en fauchera une partie et laissera une herbe haute ailleurs, il évitera de tout raser au même moment afin qu’il reste toujours des fleurs sauvages quelque part, etc. Et s’il souhaite laisser pousser l’herbe pour faire du foin, il ne fauchera pas avant juin, ou juste un peu après… Il peut aussi combiner le fauchage et le passage d’animaux, ou encore veiller à raccourcir l’herbe avant l’hiver pour que le travail soit moins dur au printemps, quand arrivera la nouvelle pousse… Il peut aussi privilégier certains endroits en fonction de choix environnementaux et du respect de la biodiversité, créer des coins protégés pour la faune et la flore. Une telle gestion peut bien sûr se faire également à la machine mais le simple fait, pour un jardinier, de s’intéresser à la faux témoigne souvent de son souci de l’écologie et de son intérêt pour une autre façon de gérer le terrain. La faux est d’ailleurs l’outil par excellence pour la gestion des réserves naturelles ; en Flandre, elle est de plus en plus utilisée dans ce contexte. Certaines communes l’utilisent aussi pour la gestion des espaces verts. »

Trouver des outils de qualité

« De nombreuses personnes m’ont sollicité, il y a une bonne quinzaine d’années, afin de savoir où il était possible d’acquérir du bon matériel, explique Peter De Schepper. Mon propre outil avait lui-même quelques dizaines d’années déjà, et je me suis alors rendu compte qu’une telle qualité se trouvait difficilement dans le commerce courant. Je me suis alors livré à quelques recherches – à une époque où l’on ne trouvait pas aussi facilement les informations utiles sur Internet – et la nécessité d’importer des faux s’est rapidement imposée à moi. Il ne reste plus que trois fabricants en Europe occidentale ; ce sont les derniers dépositaires d’un savoir-faire vieux de plusieurs siècles. L’un d’eux se trouve dans le nord de l’Italie, les deux autres en Autriche, un pays où il y en existait encore une vingtaine dans les années cinquante. Au milieu du XIXe siècle, ils étaient environ… cent septante ! Nous n’avons jamais eu de grande industrie de la faux en Belgique et le dernier fabricant français a stoppé son activité, il y a une vingtaine d’années. Les Forges de Ciney, fondées en 1920, ont bien fabriqué des faux mais la plupart de celles que j’ai vues, estampillées avec la marque Ciney, étaient fabriquées par le fabriquant autrichien Krenhof qui a arrêté sa production vers 1975 : il avait simplement repris le style et le nom de Ciney pour les lames exportées vers la Belgique. Notons aussi qu’on trouve encore une usine de faux en Russie, et une autre en Turquie… Avec la crise de la Covid-19, l’importation depuis l’Italie pose quelques problèmes et il y a eu des ruptures de stocks car beaucoup de gens qui songeaient déjà à faucher leurs parcelles se sont peut-être dit que le moment était enfin venu de le faire.

Je propose différents types de faux et recommande un manche ajustable, fabriqué en Autriche. Je travaille également le bois et je réalise ainsi moi-même le simple manche droit, de type ardennais, mais en petites séries, que je taille sur place et sur mesure en présence du client. Mes lames sont toutes importées et il existe des longueurs différentes, selon les usages qu’on veut en faire. Les fauchons, pour débroussailler, ont des lames plus courtes et plus épaisses. Rares sont encore les faucheurs de céréales mais les lames qu’ils utilisent sont traditionnellement assez longues, soit septante-cinq à nonante centimètres. Pour le foin, quand la prairie est bien entretenue, on peut également travailler avec une longue lame. Pour le jardin et pour les vergers, où l’on peut trouver davantage d’obstacles, on fauche généralement l’herbe avec des lames de soixante à septante centimètres. La lame de soixante-cinq centimètres et le fauchon de quarante-cinq ou de cinquante centimètres étaient d’ailleurs les dernières qu’on trouvait en jardineries. Ce sont sans doute aussi les longueurs qui restent les plus utilisées pour l’entretien autour de la maison, pour couper l’herbe ou pour maîtriser les ronces…

Pour battre le tranchant enfin, il existe un petit gabarit – que j’appelle « outil à battre » – qui autorise moins de précision afin d’arriver à un battage correct. Il s’utilise également avec un marteau mais on tape sur une douille qui se glisse sur l’axe central au lieu de marteler directement sur le tranchant de la lame, le profil du dessous de la douille définissant la zone à aplatir. C’est une facilité que peuvent s’autoriser les débutants ou ceux qui, n’ayant pas de grandes superficies à faucher, ne doivent battre leur lame qu’une fois par an, par exemple… »

Gagner en convivialité !

Afin de permettre aux candidats faucheurs de réapprendre les bonnes pratiques, le Pic Vert s’est également lancé dans l’organisation de stages.

« Nous sommes déjà dans notre douzième année, constate Peter De Schepper ! La saison des stages commence en mai, si la météo s’y prête, mais le gros de l’activité trouve surtout place en été, puis en septembre et parfois même en octobre, pour accueillir ceux qui étaient partis en vacances. Mais c’est alors plus aléatoire, en fonction du temps qu’il fait…

La plupart des stages se déroulent en une seule journée : j’apporte tout le matériel utile et toutes les lames sont battues à l’avance. Il est d’abord nécessaire d’apprendre à régler les poignées à la bonne hauteur ; on se munit ensuite d’une pierre et on profite de la matinée – et de la rosée – car la lame glisse mieux quand l’herbe est plus tendre et encore humide. Nous restons à l’ombre, s’il fait chaud après la pause, afin de travailler le battage. Une heure ou deux sont nécessaires pour bien expliquer en quoi l’apprentissage des gestes corrects est absolument indispensable. Nous fauchons encore un peu pour terminer la journée et les participants peuvent ainsi prendre conscience de la différence entre la fauche du matin et celle de la fin d’après-midi, l’idéal étant évidemment de se mettre au travail dès qu’il fait clair ! Lorsqu’il fait aussi beaucoup moins chaud…

Utiliser la faux, même occasionnellement, est un travail très agréable qui évite le gros inconvénient du bruit et des gaz d’échappement. Si on le souhaite, il est même possible de travailler le dimanche matin, dès l’aube. Les voisins n’en sauront jamais rien ! Sans compter les économies d’entretien et de carburant… Et les gains importants de convivialité ! »

On mesure, une fois de plus, le dommage qu’il y a à expulser, au nom de la modernité, les savoirs anciens de la gamme des solutions qui doivent rester à notre disposition. Les solutions low-tech et peu consommatrices d’énergie seront, à n’en pas douter, de plus en plus sollicitées. Encore faut-il poutant que le bagage technique dont leur usage rend l’acquisition nécessaire soit parvenu jusqu’à nous. Or la génération qui a totalement abandonné ces pratiques « d’un autre temps » a également cru bon d’expurger la culture populaire des connaissances qui leur sont liées. Nous devons aujourd’hui absolument nous en convaincre : les savoirs traditionnels et ancestraux – même si parfois ils nous paraissent encore totalement dépassés – sont au cœur même de nos capacités de résilience. Sachons donc en conserver entièrement la mémoire…

« Mes aliments ont un visage », vingt ans de campagne, cinquante ans de convictions

Au-delà de simples consommateurs de produits sur des étalages, les partisans et partisanes de Nature & Progrès sont surtout de réels soutiens aux femmes et hommes artisan.ne.s de leur alimentation. En 2001, la campagne « Mes aliments ont un visage » de Nature & Progrès concrétisait l’intention de mettre ce lien au centre de la réflexion. Vingt ans après, la nécessité de nous connecter aux maillons de notre alimentation est toujours bien présente…

Par Mathilde Roda

Est-il encore nécessaire de rappeler que Nature & Progrès puise son origine dans le rassemblement de citoyens, d’agriculteurs, d’agronomes, liés par une vision commune de ce que devrait être l’agriculture productrice de leur alimentation ? Depuis près de cinquante ans, cette interconnexion, ce lien privilégié entre consommateurs et producteurs, anime toutes les actions de l’association.

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A chaque crise sa solution

C’est à la suite d’une ennième crise du secteur alimentaire industriel – voir l’encadré ci-dessous – qu’est née l’idée de ce message : « Mes aliments ont un visage » ! Cinq mots qui résument notre philosophie, qui ramènent à l’essentiel : derrière chaque aliment, il y a une productrice, un producteur, une transformatrice, un transformateur. Du moins, il devrait y en avoir ! Et c’est ce que nous prônons, chez Nature & Progrès. « Nul n’a le droit, pensons-nous, de limiter l’aliment à un simple bien commercial. Le producteur ne saurait être vu comme un simple fournisseur d’ingrédients ; le consommateur n’est pas davantage un vulgaire acteur économique, un acheteur d’aliments« , indiquait la campagne de 2001. Et aujourd’hui, nous tenons à réitérer cet appel !

Car trop nombreuses sont les crises alimentaires qui nous pendent encore au nez ! Le secteur industriel a de plus en plus la mainmise sur notre alimentation, même en bio. Les débats sont rudes pour tenir le cap. Quand on parle de valeurs, on nous répond « loi du marché ». Comment faire valoir la parole des agriculteurs quand ceux-ci sont réduits à de simples fournisseurs de matières premières ? Comment aider au développement des transformateurs qui veulent valoriser les productions wallonnes quand on les met en concurrence avec des industries peu regardantes sur la provenance des denrées utilisées ? Sous couvert de développement de filières, on continue finalement de soutenir le même modèle agricole productiviste. Au pays du bas prix, le rendement est roi ! Et le risque pour le consommateur reste le même…

Pour nous, c’est un fait : nombres des dérives dans le secteur agroalimentaire seraient évitables si nos aliments transitaient le plus directement possible du lieu de production vers nos cuisines. Et s’il ne fallait qu’un seul geste pour qu’ils passent de la main du producteur ou du transformateur vers celle du consommateur ? Et si, ainsi, nous pouvions nous réapproprier notre droit de manger sainement, en soutenant ceux qui travaillent en ce sens ?

Bien plus qu’une campagne de communication

Il y a vingt ans, nous vous interpellions. « Acheter bio, c’est une chose. Mais, pour faire de votre aliment un outil formidable de développement humain, économique et environnemental, il convient que cet achat concerne des produits locaux, des produits proches des hommes, dont la culture aura un impact positif sur leur lieu et leurs conditions de vie. » Et vingt après, notre position n’a pas changé. C’est dans l’ADN de Nature & Progrès de revendiquer que nos aliments aient un visage ! Les initiatives de regroupement en circuit-court qui essaiment, ces dernières années, soufflent un vent d’espoir et montrent que notre message est porteur. Il est d’ailleurs marquant de voir que ce sont toujours des producteurs bio de Nature & Progrès qui en sont les figures de proue.

Mais finalement, notre modèle alimentaire a peu évolué depuis l’après-guerre. Il suffit de déambuler dans les allées des grandes surfaces, qui restent le canal principal d’achat du bio – 39% des parts de marché en 2019 -, pour voir que le changement tant attendu ne s’est pas réellement opéré. Si les productions bio wallonnes gagnent du terrain dans les étalages, celles-ci restent anonymes. Certes, des visages, on nous en sert : ceux des mannequins qui posent en salopette, fourche à la main, sur des affichages publicitaires trompeurs. Qu’on se le dise, dans les grandes surfaces, les aliments n’ont pas de visage.  La situation reste donc majoritairement la même : le maillon central de l’alimentation, c’est le distributeur – ou la structure de transformation qui le fournit. Le consommateur et le producteur sont réduits au rang d’outils financiers. L’aliment, un objet de spéculation comme un autre ? Pour Nature & Progrès, c’est non. Un grand non !

À la suite de la crise du lait, des producteurs bio belges se sont regroupés pour valoriser les productions locales, auprès des grandes surfaces. Comme la coopérative Biomilk, dont on retrouve le lait dans les rayons de Delhaize. Au départ, la brique mettait clairement en avant la présence de la coopérative. Lors de la révision du packaging bio, Delhaize en a profité pour lisser le visuel, et le logo « Bioptimist » a supplanté celui de Biomilk – saurez-vous repérer la marque Biomilk sur l’emballage ci-dessus ? -, permettant ainsi au distributeur de garder la main mise sur le packaging. Le producteur est déshumanisé et son produit vendu sous une marque de l’enseigne, qui reste maître de la commercialisation, du marketing, et surtout de la négociation des prix. Biomilk devient ainsi plus facilement interchangeable avec un autre groupement, déséquilibrant les négociations à la défaveur de la coopérative.

Un œil dans le rétroviseur : 1999 et la crise de la dioxine en Belgique

Les dioxines, ce sont des molécules organochlorées, des polluants organiques persistants dans l’environnement et qui ont la réputation d’être dangereuses pour la santé. Pourquoi ? Déjà parce que l’Homme est un bio-accumulateur de ces molécules car il est en bout de chaîne alimentaire et incapable de les éliminer de son organisme. Ensuite parce que ces molécules se transmettent de la mère au fœtus ou, via l’allaitement, au jeune enfant. Nous vous laissons ouvrir vos encyclopédies pour en savoir plus sur leurs origines dans notre environnement. Sachez seulement que des études considèrent que certains types de dioxines sont hautement toxiques, en agissant au niveau du développement, du système immunitaire, des hormones… Et qu’elles peuvent également causer des cancers…

On constate, début 1999, que des aliments pour animaux – monogastriques en l’occurrence, donc poulets et porcs -, produits en Belgique, sont contaminés à des doses hors normes de dioxines, via des graisses minérales qui n’auraient pas dû se retrouver là où elles se trouvent. Ces dioxines sont détectées dans les œufs et la viande conventionnelles qui sont consommés. Mais voilà, dans un monde où les filières alimentaires sont de plus en plus compliquées, remonter à la source de la fraude devient un incroyable casse-tête !  Pour en savoir plus, nous vous conseillons de lire l’article du journal Le Soir : La crise qui empoisonna la Belgique, disponible en ligne.

La déconnexion des différents maillons de la chaîne fait qu’au final le producteur n’est plus maître de l’alimentation qu’il donne à ses animaux. Un cas isolé ? Pas vraiment ! La mondialisation et la capitalisation de notre alimentation rend les contrôles toujours plus ardus. La responsabilité de chacun est diluée au nom de la productivité et de la libre concurrence. Pour preuve : on voit revenir la manipulation de l’alimentation par des acteurs industriels qui, à coups de lobbying puissant au niveau européen, tentent de libéraliser la diffusion des OGM dans l’agriculture et donc dans notre alimentation. Pour plus d’information, voir notre brochure intitulée La problématique des nouveaux OGM – disponible sur www.natpro.be – ou relire le dossier de votre précédent numéro de Valériane.

Au-delà du scandale politique et économique que la crise de la dioxine provoqua, c’est la confiance des consommateurs dans le système alimentaire qui fut durablement mise à mal. Heureusement pour l’industrie, l’humain a la mémoire courte. C’est pourquoi Nature & Progrès est là pour vous rappeler que consommer est un acte politique ! Et si nous accordions plus d’importance aux artisans de notre alimentation ?

Réaffirmons que nos aliments ont un visage !

En rapprochant producteurs et consommateurs, nous sommes en mesure de garantir une bio locale et éthique, qui repose sur une relation de confiance. Connaître l’humain qui se cache derrière ce que nous consommons en est l’essence même. L’aliment fait le lien, tel un contrat tacite mais essentiel, entre celui qui le produit et celui qui le consomme. Il est l’engagement du producteur à procurer une alimentation de qualité, tout en respectant l’environnement et la santé. Il est l’engagement du consommateur à soutenir cette philosophie de production. Il est le garant de la confiance du citoyen envers les agriculteurs et les transformateurs qu’il soutient, mais aussi de la qualité de vie de tous ceux qui font que, du champ à l’assiette, l’aliment est !

Dans la nécessité de maintenir les valeurs du bio face au développement important du secteur, il devient de plus en plus limpide que les producteurs bio de Nature & Progrès apportent des solutions. C’est pourquoi chaque jour, nous défendons leurs valeurs qui sont aussi les vôtres ! (Re)découvrez donc les producteurs bio de Nature & Progrèswww.producteursbio-natpro.be – qui vous proposent viandes, fromages, charcuteries, fruits et légumes de saison, farines, biscuits, bières… Toute une variété de produits dont ils maîtrisent la culture et la transformation, en toute transparence.

Les choses ont évolué en vingt ans ! les producteurs bio de Nature & Progrès ont développé leurs magasins et les surfaces agricoles bio ne cessent de croître. Il faut s’en réjouir ! Tout en restant attentifs aux fondamentaux. La croissance des marchés doit se faire en respectant les valeurs du lien entre production et consommation. Nature & Progrès est là pour le rappeler et pour réaffirmer les convictions défendues depuis ses débuts : « Mes aliments ont un visage » ! Nous connaissons tous le nom de l’auteur du dernier livre que nous avons acheté. Nous connaissons le nom de nos animateurs télé et radio favoris. Celui de notre coiffeur, nous le connaissons évidemment parfaitement. Alors comment ne pas connaître celui des hommes et des femmes qui se cachent derrière notre alimentation ?

Soyez attentifs, durant toute cette année, aux messages qu’ils auront à vous faire passer. Ouvrez l’œil, et le bon. Pour voir s’épanouir les visages de vos producteurs bio !

Pour réduire les inégalités, la folle idée d’une « sécurité sociale de l’alimentation »

Le “monde d’après”, beaucoup en rêvent. Un monde plus juste, respectueux des écosystèmes, moins compétitif, relocalisé, démocratique, soutenable… Une utopie, quoi ! Nous sommes habitués à penser qu’il est essentiel de visualiser un autre monde pour qu’il nous attire à lui comme un aimant. Ce mois-ci, à partir du constat des inégalités d’accès à une alimentation saine et durable pour tous, nous abordons une véritable « utopie » alimentaire, une idée un peu folle, et pourtant une idée qui mérite d’être connue, approfondie, débattue. Au sein de Nature & Progrès aussi ?

Par Guillaume Lohest

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Introduction

On trouvera peu de monde, aujourd’hui, pour défendre une alimentation industrielle et importée, à base de produits gras, sucrés et transformés. Il existe un très fort consensus sociétal autour des aspects de santé liés à l’alimentation, tandis qu’en matière d’environnement, l’ensemble des acteurs politiques reprend le refrain du local, durable, de saison. Pourtant, malgré ces évidences relativement partagées, tout le monde n’a pas une nourriture saine dans son assiette. Nous sommes (très) loin d’être égaux en matière d’alimentation.

Trop cher ?

Pourquoi ? Le premier cliché qui vient à l’esprit, le plus tenace, c’est celui du prix. Les produits locaux, artisanaux, biologiques, équitables sont en moyenne plus chers que leurs équivalents industriels, conventionnels et… inéquitables – nous reviendrons sur cet adjectif. L’explication serait donc à chercher de ce côté-là. Faudrait-il donc que les prix de ces « bons » aliments baissent ?

Nous savons qu’il faut répondre non à cette question, parce que la réalité est inverse : c’est l’alimentation industrielle et importée qui coûte trop peu cher, parce qu’elle repose sur un modèle agricole et commercial qui favorise l’exploitation dans les deux sens du terme, celle des sols et des ressources, et/ou celle des êtres humains – travailleurs sous-payés ou clandestins, coûts de production non couverts par le prix d’achat, etc. On sait d’ailleurs que la part consacrée à l’alimentation dans le budget des ménages n’a cessé de diminuer au fil des décennies.

Un système low-cost

Si elle est si bon marché dans les rayons, c’est parce que cette nourriture est produite en quantité, souvent au détriment de la qualité, et qu’elle est en outre massivement subventionnée, entre autres via la Politique Agricole Commune (PAC) de l’Union européenne – voir en page 43. Dans bon nombre de cas, il serait impossible pour les agriculteurs de survivre sans ces aides européennes… ce qui montre bien que la nourriture qu’ils produisent ne leur est pas achetée assez cher ! Ce système industriel et agricole dominant, Olivier De Schutter l’appelle l’alimentation low-cost. « Dans ce système, les aliments ultra-transformés à forte densité énergétique (gras/salés, gras/ sucrés) sont ceux qui coûtent le moins cher. Résultat, les populations les plus pauvres achètent pour un faible coût des aliments de mauvaise qualité nutritionnelle et à forte densité énergétique. Ces aliments favorisent à la fois les carences en vitamines et minéraux, et l’obésité » (1).

Diminuer les prix des aliments locaux, biologiques et de saison pour les rendre encore plus low-cost est donc une voie impossible. Non seulement parce que cela ne pourrait se faire qu’au détriment des producteurs dont la majorité peine déjà à trouver un équilibre financier, mais aussi parce que le prix n’est sans doute pas l’élément décisif en matière de changement d’habitudes alimentaires !

Les dimensions sociales et culturelles de l’alimentation

Dans son Livre Blanc « Pour un accès de tous à une alimentation de qualité » (2), Solidaris a identifié cinq déterminants sur lesquels il est indispensable d’agir pour réduire les inégalités alimentaires. Le prix n’est donc qu’un élément parmi d’autres ! Outre l’accessibilité pratique – localisation, transports, etc. -, les obstacles sont aussi à chercher dans l’accès à l’information, ainsi que dans l’imaginaire culturel et dans les dimensions psycho-sociales de notre rapport à la nourriture.

Autrement dit, on choisit surtout de manger ce qu’on mange – et de nourrir nos proches de telle ou telle façon – parce que cela répond à des normes ou à des représentations qui sont profondément inscrites en nous. À prix équivalent, nous cuisinons rarement ce qui est objectivement meilleur pour notre santé ou plus respectueux des écosystèmes : nous choisirons une nourriture qui correspond à ce que nous estimons qu’elle doit être, selon un équilibre subtil qui vient peut-être un peu de notre volonté et de nos valeurs, mais aussi et surtout de nos goûts, de nos représentations, de nos compétences et de nos habitudes. Par exemple, à certains moments de l’année, les fruits et légumes de saison sont disponibles en quantité et à des prix abordables, et tout le monde connaît l’adage « cinq fruits et légumes par jour ». Pour autant, très rares sont les ménages dont l’alimentation repose sur le socle de base des fruits et légumes de saison. Car le prix et l’information rationnelle ne sont pas tout. Nous ne sommes pas des machines : nous sommes aussi des estomacs, des papilles gustatives, des souvenirs, des hôtes, de bons ou de piètres cuisiniers, etc. Et tout cela joue !

Les inégalités alimentaires tiennent donc aussi, pour une large part, à des déterminants socio-culturels. Une importante étude sociologique de 2009 avait identifié quatre types de comportements alimentaires liés aux catégories sociales – voir figure ci-contre. Ces comportements sont des héritages culturels remontant parfois à des époques anciennes, ils sont fortement ancrés dans les habitudes. C’est donc aussi sur ce plan-là que les milieux sociaux ne sont pas égaux : les milieux aisés ont tendance à adopter rapidement de nouvelles normes et à s’en considérer comme les dépositaires. Autrement dit, à vouloir diffuser la « bonne parole alimentaire » assimilée aujourd’hui à une consommation locale, bio et de saison. Les milieux populaires sont divisés entre des attitudes volontaires d’intégration de ces normes, et des postures de rejet, de revendication d’autres valeurs.

Dès l’enfance

Cela se traduit notamment dans l’éducation alimentaire des enfants. « Dans les catégories aisées, bien nourrir son enfant relève d’une démarche éducative et d’une conception “pédagogique”, structurée par un ensemble de règles et de principes vigoureusement affirmés. Les mères, qui disposent des conditions sociales nécessaires (revenus, temps disponible, niveau de scolarisation élevé), s’investissent fortement dans ce qu’elles conçoivent comme une éducation alimentaire, pour elles une priorité, et s’y donnent précocement un rôle » (3). Les schémas de pensée dans les milieux populaires sont souvent différents – et il n’y a pas à juger cela moralement puisqu’il s’agit d’un héritage social, déterminé largement par une persistance d’inégalités au long cours. « Dans les catégories modestes, la priorité est qu’ils mangent, et qu’ils mangent ce qui leur plaît : l’honneur tient au fait de pouvoir nourrir ses enfants soi-même. Le goût des aliments à prétention diététique comme les légumes, perçus comme austères par les mères, leur viendra peut-être plus tard, avec le temps, mais ne constitue pas un enjeu. Opulence alimentaire et satisfaction des préférences enfantines – qui s’observent par exemple dans le fait que plusieurs mères vont jusqu’à proposer quatre plats différents à table – sont objet de fierté, car ils sont à la fois réaction à la peur du manque et signe d’abondance, persistance de très anciennes représentations s’expliquant par « la peur fondamentale de manquer »  » (4) Stigmatiser les milieux populaires sur base de critères moraux n’a ainsi pas davantage de sens que d’en appeler à la loi du marché ou à des signaux-prix pour inverser les tendances de consommation. On touche ici à des dimensions sociologiques et psychologiques plus profondes.

Que faire, dans l’immédiat ?

Cela ne signifie pas qu’il n’y a rien à faire. Prix, normes, représentations, information, éducation : tous ces éléments jouent. Il y a donc lieu d’agir sur tous les plans, sans considérer aucune voie comme la panacée. Un exemple concret concerne le débat sur l’alimentation bio dans les supermarchés, qui agite le secteur bio depuis… des décennies. Est-ce vendre son âme au diable, ou au contraire influencer les grands acteurs en les forçant à intégrer de nouvelles normes ? Aucune réponse tranchée n’est possible. Comme le résume Olivier De Schutter, la tension doit subsister : « La très grande majorité de la population continue d’aller dans des supermarchés classiques, on doit donc encourager davantage de produits bio et locaux sur les rayons des supermarchés – mais cela doit être à condition d’un suivi rigoureux et d’une remise à plat des rapports avec les producteurs, afin qu’ils bénéficient d’une rémunération équitable » (5). Pas question donc, pour lui, de miser sur la stratégie de l’abaissement des prix pour attirer les consommateurs vers les produits jugés qualitativement meilleurs. « On pense souvent que le low-cost serait une solution parce qu’on a des familles en pauvreté qui ne peuvent faire autrement que de s’approvisionner à travers ces filières. Mais c’est une impasse. La malbouffe affecte notamment les plus précaires, qui ont les indices de surpoids et d’obésité les plus importants. Ce n’est pas inévitable. Cuisiner chez soi des produits frais et de saison, en réduisant la consommation de viande, n’est pas spécialement cher. Mais ça demande une organisation, et c’est parfois difficile pour des ménages qui ont des longues navettes ou n’ont qu’un accès difficile à des produits de qualité. En outre, l’alimentation low-cost ne peut pas être un substitut à une protection sociale digne de ce nom. Il faut, par un relèvement des salaires minima et des allocations sociales, que des régimes alimentaires sains soient abordables pour tous » (6).

Une idée folle… ou la seule pertinente ?

Pour modifier durablement les comportements alimentaires, il faudrait donc agir sur tous les fronts à la fois. Impossible ? Peut-être pas. Durant le premier confinement lié à la pandémie de Covid-19, une tribune parue sur le média Reporterre a ravivé une idée très audacieuse, qui avait déjà fait de timides apparitions dans le débat public par le passé : celle d’une sécurité sociale de l’alimentation. Hein ? Quoi ? Eh bien oui, aussi fou et étrange que cela puisse paraître, cette proposition n’est pas dénuée de sens. Il suffit de réaliser un parallèle avec les soins de santé pour percevoir toute sa pertinence. Aujourd’hui, près de trois quarts des dépenses médicales des Français sont prises en charge par la sécurité sociale. « En 1945, dans une économie pourtant exsangue, des hommes et des femmes engagés pour des « jours heureux » ont pensé un monde où toutes et tous pourraient se soigner sans distinction de classe. Ils ont bâti et défendu la sécurité sociale. À la place des politiques de réduction des inégalités ou des logiques de charité discrétionnaire chères aux libéraux, ils ont créé du droit, à partir d’un système universel. Quelques décennies plus tard, revendiquons le même engagement pour l’alimentation : que le droit soit le socle de toutes les politiques alimentaires et agricoles à venir » (7). L’idée d’une sécurité sociale alimentaire, telle que développée au départ par un groupe thématique de l’association française Ingénieurs sans Frontières, peut être résumée de la manière suivante : allouer cent cinquante euros par mois par personne pour l’alimentation, utilisables uniquement auprès d’acteurs du marché alimentaire « conventionnés » – comme aujourd’hui on parle de médecins conventionnés. Les signataires de la tribune dans Reporterre ajoutent : « Cent cinquante euros par mois vont permettre durablement aux ménages les plus précaires un bien meilleur accès à une alimentation choisie, de qualité. Une sécurité sociale de l’alimentation obligera les professionnels.les de l’agriculture et de l’agroalimentaire, s’ils veulent accéder à ce « marché », à une production alimentaire conforme aux attentes des citoyens.nes » (8).

Oui mais… D’où viendraient les milliards d’euros nécessaires à un tel projet ? La proposition, là encore, suit le parallèle avec la sécurité sociale actuelle : « L’analogie avec la sécurité sociale nous a menés sur l’idée historique d’une cotisation. Cette option est cohérente avec notre volonté d’avoir des caisses de sécurité sociale gérées de manière démocratique, là où un financement par l’impôt risquerait d’induire une gestion centralisatrice par l’État. Une première option à étudier serait une cotisation supplémentaire qui serait prélevée sur le salaire ou revenu brut. Ceci impliquerait une baisse du salaire ou du revenu net, plus ou moins compensée par le versement de 150 euros par mois à dépenser uniquement pour une alimentation conventionnée » (9).

Vers une démocratie alimentaire

Quel intérêt, alors, si c’est pour recevoir d’une main ce qu’on donne de l’autre ? Tout d’abord, cette cotisation serait évidemment proportionnelle aux revenus. Cela signifie que la question des inégalités serait attaquée de front, suivant l’adage : chacun contribue selon ses capacités et reçoit selon ses besoins. Pour faire simple : certains contribueraient au pot commun davantage qu’ils n’en bénéficieraient. Autre intérêt à cette idée : le « conventionnement » des acteurs alimentaires reposerait sur un débat démocratique, une cogestion par des représentants des mangeurs et des producteurs. Cela signifierait une sortie partielle de la pure logique de marché. Les acteurs souhaitant pouvoir vendre à l’intérieur de ce système solidaire devraient se plier aux choix démocratiques de la population. Au passage, on retrouve là, généralisé et renforcé, un fonctionnement participatif qui ressemble au système participatif de garantie (SPG) cher à Nature & Progrès.

Bien sûr, il s’agit encore d’une utopie. De très nombreuses questions pratiques se posent, sur le fonctionnement concret d’un tel système et surtout sur la transition, pour les acteurs du système actuel, vers ce système alimentaire partiellement « socialisé ». Notez que le groupe de travail à l’origine de cette proposition est allé très loin déjà dans les implications pratiques possibles (10). Il y a là, à n’en pas douter, un formidable vivier de réflexions pour les associations d’éducation permanente qui font de l’alimentation une thématique centrale. « Il n’est pas possible de dire que les initiatives qui s’occupent aujourd’hui de construire une démocratie alimentaire, un accès de tous à une alimentation de qualité, sont « nombreuses ». Mais elles existent. (…) Faire vivre ce projet de sécurité sociale de l’alimentation, c’est se donner l’objectif de mettre en avant et de généraliser ce type d’initiatives, bien plus à même de répondre aux enjeux agricoles et alimentaires que les injonctions à la “consomm’action” ou les discours des grandes surfaces promettant « une agriculture bio accessible à tous« . C’est lutter contre l’idée que la responsabilisation individuelle par l’éducation serait suffisante pour répondre aux enjeux agricoles et alimentaires, quand bien même elle est nécessaire (11).

Notes

(1) « Alimentation et inégalités sociales de santé : l’accès à une alimentation de qualité en question.« , par Martin Biernaux, chargé de projets au service Promotion de la santé de Solidaris – Mutualité socialiste, FIAN Belgium, www.fian.be

(2) Livre blanc « Pour un accès de tous à une alimentation de qualité« , Solidaris, 2014. Voir livre-blanc-alimentation-version-telechargeable.pdf (alimentationdequalite.be).

(3-4) Régnier, Faustine, et Ana Masullo. « Obésité, goûts et consommation [*]. Intégration des normes d’alimentation et appartenance sociale« , Revue française de sociologie, vol. 50, n°. 4, 2009, pp. 747-773.

(5-6) Olivier De Schutter, « On doit replacer l’alimentation au centre de nos existences« , propos recueillis par Frédéric Rohart dans L’Écho, 14 décembre 2020.

(7-8) « Créons une sécurité sociale de l’alimentation pour enrayer la faim« , tribune dans Reporterre, 25 mai 2020.

(9) Pour une sécurité sociale de l’alimentation, Ingénieurs sans frontières (isf-france.org)

(10) « Le groupe thématique Agricultures et Souveraineté Alimentaire d’Ingénieur.e.s sans frontières (ISF) regroupe des citoyen.ne.s œuvrant pour la réalisation de la souveraineté alimentaire et des modèles agricoles respectueux des équilibres socio-territoriaux et écologiques. »

(11) Pour une sécurité sociale de l’alimentation, Ingénieurs sans frontières (isf-france.org)