24, Nov 2022 | 2022, Analyses
Trois cent dix tonnes de thiaméthoxame, telle est bien la quantité astronomique de ce pesticide néonicotinoïde qui a été exportée depuis la Belgique, vers le Brésil et le « poumon vert » de la planète, dans le dernier quadrimestre de 2020 ! En pleine deuxième vague de la crise sanitaire… Mais la Belgique n’a peut-être été qu’une « porte de sortie » de l’Union européenne pour un produit qu’elle-même s’interdit, même si ses Etats-membres, trop souvent, « dérogent » par habitude…
Par Dominique Parizel
Fin novembre 2021, l’ONG suisse Public Eye révèle que l’Union européenne a exporté, durant les quatre derniers mois de l’année 2020, des milliers de tonnes des pesticides « tueurs d’abeilles » – les fameux néonicotinoïdes – qu’elle-même interdit sur son propre sol (1). Public Eye rappelle que « trois cultures sur quatre dans le monde dépendent des abeilles et autres insectes pollinisateurs ainsi qu’un tiers de la production alimentaire mondiale ». L’effondrement de ces populations, très vulnérables aux pesticides et à d’autres facteurs environnementaux, représente donc une « sérieuse menace pour la sécurité alimentaire et la nutrition dans le monde », ainsi que nous en avait averti la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture).
Dès 2018 et sur cette base, l’Europe avait donc interdit les trois principaux néonicotinoïdes – imidaclopride, thiaméthoxame et clothianidine – pour toutes les cultures de plein air, en raison de risques « inacceptables » pour les abeilles et ce, en dépit de la guérilla juridique opposée par les fabricants, Bayer et Syngenta essentiellement, qui furent déboutés par la Cour de Justice de l’Union européenne.
Où l’on mesure que l’intérêt des multinationales « fait loi »…
Il nous en coûte de resasser pareil poncif, croyez-le, mais hélas les faits sont là… L’Union, tout d’abord, permit à ses Etats-membres de « déroger » pour des raisons – et selon une procédure – obscures à propos de laquelle nous attendons toujours les précisions que doit apporter la Cour de Justice de l’Union européenne, suite aux recours intentés par Nature & Progrès Belgique, Pesticide Action Network Europe et un apiculteur indépendant. Nous vous avons parlé, à maintes reprises, des « dérogations » – arbitraires selon nous -, accordées par la Belgique, auxquelles s’ajoute maintenant une autre « dérogation » pour le sulfoxaflor. Nous revenons, dans l’article qui suit, sur les alternatives possibles pour ce produit dangereux. Plus fondamentalement, nous nous demandons surtout à quoi sert de légiférer si les puissants de ce monde – rien de neuf sous le soleil – sont ensuite autorisés à s’asseoir aussi facilement sur tout ce qui les embête. Et tout cela, dans le cadre de ce que l’Europe s’efforce encore de nous présenter comme un Green Deal…
A tous ceux qui laissaient encore quelques crédits à sa bonne foi, elle démontre à présent qu’elle-même se fiche éperdument de l’esprit même de ses propres lois, autorisant les géants de l’agrochimie à produire, sur le territoire européen, les pesticides qu’elle-même répute dangereux, puis à les exporter vers des pays où les réglementations sont – mais oserait-on encore en mettre sa main à couper – « plus faibles ». Quoi qu’il en soit, le grand commerce toxique mondialisé a encore de beaux jours devant lui. Et les « parrains de la drogue » ne sont pas forcément ceux qu’on croit !
L’ONG Public Eye et la cellule d’enquête de Greenpeace en Grande-Bretagne, baptisée Unearthed, réussirent, en effet, à mettre la main sur des données d’exportation obtenues, en vertu du droit à l’information, auprès de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA). Car même les multinationales sont tenues d’informer les autorités européennes de leurs exportations de produits chimiques interdits… Pour un résultat anodin ? Vous ne rêvez pas : plus de trois cents exportations en à peine quatre mois ! Et Bayer et Syngenta, qui disposent d’un vaste réseau d’usines en Europe, sont responsables de près des neuf dixièmes de ces exportations. De plus, le quotidien Le Monde relève (2) qu’avec « 310 tonnes de substances actives – le thiaméthoxame de Syngenta -, la Belgique est de loin le plus gros exportateur, devant la France. » L’analyse des données publiées par Public Eye permet même de constater qu’un seul envoi massif fut réalisé par Syngenta depuis notre pays ! La chose qui le compose, une fois formulée, s’appelle Engeo Pleno S et il y en avait très exactement deux millions deux cent mille litres ! Bien sûr, officiellement, la Belgique et la France soutiennent, à présent, une interdiction d’exportation car « il n’est pas acceptable d’exposer l’environnement et la santé dans d’autres pays » à ces substances, dit-on dans l’Hexagone où l’on ne manque décidément pas d’humour. Car tant la France que la Belgique « dérogent » toujours… Et nous aimerions vraiment bien savoir quelle partie du poison fut fabriquée dans notre rutilante usine de Seneffe, dans notre belle Wallonie, ce qu’indiquent clairement les document mis en ligne par Syngenta-Brésil…
Engea Pleno S, oui mais pour quoi faire ?
Donc, trois cent dix tonnes de thiaméthoxame furent fabriquées puis exportées depuis la Belgique en direction du Brésil, envoyés par les bons soins de Syngenta. Soit deux millions deux cent mille litres d’un produit formulé nommé Engea Pleno S, un merveilleux produit autorisé pour un nombre impressionnant de cultures, de la canne à sucre au soja. Si l’acte d’autorisation « conseille » de ne pas traiter en période de floraison, il permet, notamment pour les cultures de soja et de blé, d’effectuer des traitements aériens… via des avions. ! Une honte sans nom par conséquent – disons-le tout net – de voir notre pays « déroger » – décidément, ce n’est plus une habitude mais un vrai tic nerveux – aux interdictions en vigueur et à l’esprit de nos propres lois, pour laisser des industries transnationales exporter de vrais poisons qui vont polluer – et partant anéantir – le « poumon vert » de notre planète. Jouer les bonnes âmes conscientisées quand vient la COP, c’est une chose, mais agir, c’est en décidément une autre…
On sait bien sûr que, d’une manière générale, les écolos brésiliens ont la vie dure. Pourtant, des bonnes âmes, il y en a (4). Ne parlons donc pas des Brésiliens eux-mêmes mais de la responsabilité écrasante de leur état dans la destruction de sa forêt, avec le dessein – stupide et coupable – de devenir la « ferme du monde ». Une ferme agroindustrielle, cela va sans dire. Collaborer à un tel projet revient donc objectivement à agir contre la biodiversité et contre le climat ! Ainsi la quantité de terres consacrées aux palmiers à huile, par exemple, avait déjà doublé, au Brésil, entre 2004 et 2010, sou l’impulsion de président Lula. La volonté de concurrencer la Malaisie et l’Indonésie, dans cette production très controversée, n’a pas cessé depuis, les producteurs prévoyant de doubler encore le volume pour 2025 (5). Le Brésil est donc loin d’être un pays vertueux en matière écologique. Et Bolsonaro n’est pas seul en cause… L’impossibilité de signer un accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur est là pour nous le rappeler.
Du reste, c’est bien l’ensemble de l’agriculture brésilienne qui est une véritable tare pour la planète entière, et c’est bien cette agriculture, dans la plupart de ses spéculations principales – coton, riz, arachides, pommes de terre, cannes à sucre, oignons, citrons, fèves, tournesols, maïs, palmiers fourragers, pâturages, concombres, soja, sorgho, tomates, blé – qui est grande consommatrice de poisons tels que l’Engea Pleno S. Alors, pourquoi, décidément, lui en envoyer en si grandes quantités ? Et de quelle terrible infestation « contre laquelle il n’y a pas d’alternative », le Brésil a-t-il bien pu être la victime, en cette saison 2020 ?
Syngenta chinois
A moins que… A moins que le grand jeu géopolitique ne soit encore bien plus « subtil » que cela… Car oui, en mai 2017 – cela n’a pas fait les gros titres ! -, le géant ChemChina – une « propriété » de l’Etat chinois – a trouvé un soutien suffisant parmi les actionnaires de Syngenta pour boucler une offre mirobolante de quarante-trois milliards de dollars – trente-neuf milliards d’euros et des poussières… – sur le géant suisse des pesticides et des semences… Cette « fusion » – ah, l’amour fusionnel ! – revêtait un caractère stratégique pour la Chine, premier marché mondial en agriculture, qui cherchait alors à assurer la sécurité d’approvisionnement de sa gigantesque population.
L’Europe, toujours pleine de bienveillance et de bonnes intentions, veut-elle s’abstenir de contrarier la Chine dans ses relations avec le Brésil ? Pareille « diplomatie du pesticide » serait sans doute particulièrement risible s’il n’y avait d’autres enjeux de taille mondiale : le climat, la biodiversité… Quant à l’Europe, si elle veut montrer la voie en matière climatique, qu’elle le fasse peut-être avec un peu plus de fermeté… Qu’enfin nos pathétiques défenseurs locaux des intérêts industriels venus d’ailleurs daignent arrêter de se poser en arrogants libérateurs de l’agrochimie et qu’ils admettent, une fois pour toutes, ce que veut, chez lui, le consommateur lambda : du bio et du local en circuit court ! Tout profit pour nos agriculteurs. Nos agriculteurs à nous, ceux qui cultivent chez nous, c’est-à-dire en Wallonie… Pour ceux qui décidément mettent du temps à comprendre !
Notes :
(1) Voir : https://www.publiceye.ch/fr/thematiques/pesticides/lue-exporte-des-milliers-de-tonnes-de-tueurs-dabeilles-interdits-sur-son-sol/
(2) Voir : Stéphane Mandard, « L’UE exporte les néonicotinoïdes interdits sur son sol », dans Le Monde du 19 novembre 2021, page 10
(3) Voir : https://www.syngenta.com.br/sites/g/files/zhg256/f/engeo_pleno_2.pdf?token=1562182806
(4) Voir : https://www.secours-catholique.org/actualites/au-bresil-des-fossoyeurs-de-lamazonie-deviennent-ses-defenseurs
(5) Voir : www.greenpeace.fr/deforestation-huile-de-palme-compte-a-rebours-final/
(6) Voir : https://unearthed.greenpeace.org/2020/02/20/brazil-pesticides-soya-corn-cotton-hazardous-croplife/
24, Nov 2022 | 2022, Analyses
L’agriculture biologique se développe. Rien ne semble – et c’est heureux – pouvoir stopper sa marche en avant ni freiner l’adoption de ses produits par un nombre croissant de consommatrices et de consommateurs (1). Mais les méthodes chimiques continuent pourtant d’empoisonner nos vies et de tuer les pollinisateurs. Qui peut expliquer pareil paradoxe ? Voici quelques tentatives d’explication…
Par Marc Fichers
Plus d’un quart de siècle d’actions et de revendications, dans les milieux apicoles et environnementalistes, en vue de voir interdits ces dangereux tueurs d’abeilles n’auront pas suffi ! Tout avait été dit, semblait-il, lors d’un colloque organisé, par nos soins, il y a plus de quinze ans, décrivant l’effet terrible des insecticides néonicotinoïdes sur les pollinisateurs. Et pourtant…
Triste saga
Nous savons, depuis tout ce temps, que les néonicotinoïdes agissent à très faible dose et déstructurent les ruchers, qu’ils « travaillent » à dose « sublétales » et sont ainsi la menace majeure qui guette nos abeilles, et nos pollinisateurs d’une manière général. Pour les autres insectes, on ne sait pas exactement. Personne ne les a encore étudiés !
Un quart de siècle d’un combat désespéré dans le monde apicole pour arriver enfin à une interdiction, par l’Europe, des trois principales matières actives – imidaclopride, clothianidine et thiaméthoxame -, une interdiction liée aux risques graves qu’elles font courir aux abeilles. Qu’à cela ne tienne : la Belgique a courageusement « dérogé », par quatre fois déjà, à cette interdiction européenne. Cela sans raison précise, si ce n’est de sauvegarder un secteur agroindustriel, entre autres sucrier, qui continue de laisser croire aux agriculteurs que l’avenir est dans la lutte chimique et qui refuse obstinément, depuis plus de vingt ans, de développer les alternatives aux pesticides (2). Et elle persiste dans son erreur funeste : un nouveau dossier s’ajoute aujourd’hui à la pile, celui du sulfoxaflor, encore un néonicotinoïde tueur d’abeilles – comme s’il n’y en avait déjà pas assez ! – autorisé uniquement en milieu confiné. Le ministre fédéral belge de l’agriculture n’a pas hésité à « déroger » à nouveau, en autorisant ce pesticide pour la culture de la betterave, en 2021. La Belgique, apparemment, ne connaît rien d’autre, en la matière, que des « situations d’urgence » (3), le ministre fédéral belge de l’agriculture considérant, en l’occurrence, que « la production végétale menacée ne peut être protégée du danger par d’autres moyens raisonnables ». Nous montrons pourtant, dans la suite de ce dossier, que des alternatives à ce pesticides existent et sont efficaces !
De telles dérogations salissent l’image de la Belgique ! Elles laissent également planer l’espoir que de tels poisons sont encore une voie d’avenir, en dépit des interdictions européennes. Plutôt que d’explorer et de proposer des alternatives au secteur agricole, ainsi que le propose Nature & Progrès, plutôt que de travailler à l’amélioration de ces alternatives en mettant des moyens pour une telle recherche, notre pays se complait à entretenir l’illusion que l’avenir se trouve encore dans le chimique. Il s’engage dans une impasse et il le sait ! Nous le lui répétons depuis de nombreuses années : le citoyen ne s’y retrouve plus ! D’un côté, on prétend vouloir développer la biodiversité et, de l’autre, on « déroge » à qui mieux mieux à l’interdiction de dangereux pesticides. De qui se moque-t-on ? Nos abeilles, chers élus, dépérissent ! Les populations d’insectes et d’oiseaux périclitent ! Le rapport sur l’état de l’environnement publié par la Région wallonne est particulièrement clair :
« Les effectifs des espèces associées aux milieux agricoles sont en déclin continu depuis 1990 et présentent la diminution la plus flagrante : ces espèces ont perdu plus de la moitié de leurs effectifs (- 60 %), au rythme moyen de 3,0 % par an. Ce déclin concerne tout autant les espèces liées aux grandes cultures que les espèces associées aux prairies (4). »
Or, par la faute de « dérogations » ineptes, la Belgique tord toutes les règlementations acquises de haute lutte pour permettre aux pesticides chimiques – et non des moindres ! – d’être répandus sur nos champs… mais aussi dans nos habitations puisque ces funestes molécules sont également utilisées pour lutter contre les puces de nos chiens et de nos chats !
Un élève modèle
La Belgique est totalement imprégnée par l’idéologie « chimique », la plupart de nos scientifiques sont toujours formattés dans ce moule. Mais la Belgique est aussi littéralement imprégnée de chimie, chaque Belge individuellement contenant en lui un grand nombre de ces molécules… Tout notre environnement est pollué par ces poisons, ainsi que l’ont montré les études Expopesten et PROPULLP, menées par l’ISSeP (5). Les pesticides se retrouvent finalement dans nos lieux de vie ! La ministre wallonne de l’Environnement l’a encore récemment mis en évidence (6), grâce à l’analyse de la présence de pesticides dans le sang et dans l’urine de 828 de nos concitoyens wallons. 90% des échantillons contenaient des métabolites d’insecticides pyréthrinoïdes et organophosphorés. Un quart contenaient du glyphosate, et 20 % des pesticides interdits depuis des dizaines d’années… Preuve que nous n’avons certainement pas fini de déguster ! Nature & Progrès avait d’ailleurs interpellé la ministre, dès son arrivée au gouvernement wallon, sur la nécessité de revoir la législation concernant les modalités d’utilisation des pesticides. Nous sommes donc dans l’attente de règles claires qui empêchent la dispersion de pesticides dans l’environnement. Car qu’est-ce qui peut justifier, en fin de compte, le fait que des produits dont la dangerosité est avérée puissent être ainsi disséminés en dehors des lieux traités ? Or il ne suffit manifestement pas que les conditions d’épandage soient normalisées et les pulvérisateurs régulièrement contrôlés… Cela s’apparente à une contamination, pure et simple, qu’aucune forme de nécessité ne peut plus aujourd’hui justifier : un pesticide est autorisé pour un lieu donné et contre un ravageur donné, rien ne justifie sa dissémination, d’autant plus que – répétons-le ! -des alternatives non chimiques existent et ont démontré leur efficacité.
Et nous n’incriminons pas ici les seuls agriculteurs : ce sont les fabricants qui devraient être poursuivis pour pollution de l’environnement. Quand le scandale de l’amiante a éclaté, personne n’a imaginé poursuivre les couvreurs ! Ce sont bien les firmes qui fabriquaient les matériaux de recouvrement à base d’amiante qui ont été d’emblée montrées du doigt. Comment se fait-il qu’en matière de pesticides, les seuls incriminés soient les utilisateurs ? D’autant que le coût environnemental et de santé est à charge de la collectivité alors que les bénéfices sont pour les fabricants (7) !
A l’heure qu’il est, la Belgique fait toujours partie du trio de tête des pays européens gros utilisateurs de pesticides (8). La Wallonie, quant à elle, a récemment octroyé une dérogation – une de plus ! – à Infrabel pour l’utilisation de glyphosate, et les justifications avancées ne laissent en rien supposer qu’il n’y aura pas de reconduction l’an prochain, alors que cet herbicide est, de plus en plus souvent, mis sur la sellette et qu’aucun moyen n’a été mis en œuvre pour rechercher et développer des alternatives. Le rendement économique, comme le rappelle fort à propos la ministre, ne peut cependant prévaloir sur les dégâts occasionnés à l’environnement et à la santé (9)… Mais alors, pourquoi pareille dérogation ?
Non content d’être un « gros consommateur » de pesticides, de « déroger » à tour de bras, de polluer l’environnement et nos maisons – via les colliers antipuces, notamment -, la Belgique est maintenant connue comme le plus gros exportateur – une « plaque tournante » du trafic – de pesticides interdits vers les pays du Sud, ainsi que nous le verrons dans l’article qui suit. Bravo, la Belgique !
Travailler à une meilleure réglementation
Depuis cinquante ans, Nature & Progrès tourne le dos à l’utilisation des pesticides en développant l’agriculture biologique. Les précurseurs de la bio, on le sait maintenant, ont raison, non pas de suivre les élucubrations de nos élites scientifiques de l’époque, mais simplement de répondre aux attentes quotidiennes de nos concitoyens ! A chacun son domaine : le labo et la bibliothèque aux uns, la vie de tous les jours aux autres…
L’Europe vise à présent 25% de bio en 2030 et le gouvernement wallon actuel s’est engagé pour 30%, la même année. C’est parfait ! Quelle magnifique reconnaissance pour la vision qu’ont eue les précurseurs. Depuis une dizaine d’années pourtant, Nature & Progrès Belgique s’investit aussi pour diminuer la pression chimique dans l’agriculture conventionnelle. Nous avons ainsi développé le projet « Wallonie sans pesticides » qui vise à les remplacer par des alternatives, et à investir dans des moyens de recherche afin de développer les alternatives toujours cruellement manquantes. Nature & Progrès consacre même ses maigres moyens dans cette recherche, via entre autres le Plan Bee. La situation actuelle montre toutefois que c’est évidemment loin d’être suffisant et qu’il faut également s’investir dans le combat politique pour mieux réglementer :
– l’autorisation, tout d’abord : nous ne pouvons évidemment plus tolérer que des « dérogations » soient données arbitrairement pour des produits interdits en raison de leur dangerosité ;
– d’utilisation, ensuite, car des produits aussi problématiques ne devraient plus jamais atterrir dans nos lieux de vie, dans nos maisons et dans notre environnement. Un principe simple doit être adopté : un pesticide ne peut être appliqué dans un endroit donné que si sa non-dispersion peut être garantie ! Si ce n’est pas le cas, eh bien qu’il soit interdit – et qu’il n’y ait évidemment aucune possibilité de « déroger »…
Nature & Progrès portera, cette année, une attention accrue sur ces différents points. Et ce n’est pas de gaîté de cœur ! Nous préférerions sincèrement concentrer toute notre énergie au développement de l’agriculture biologique. Malheureusement, au terme de vingt-cinq années d’actions citoyennes positives pour le monde où nous vivons, nous devons encore supporter que nos responsables « dérogent » à l’interdiction formelle de produits pourtant clairement réputés dangereux. Nous devons encore supporter que des législations inadaptées ou obsolètes sur l’utilisation des pesticides ne garantissent pas leur non-dispersion et que d’authentiques poisons soient retrouvés dans les lieux de vie de nos concitoyens. Face à de tels scandales, non, nous ne parvenons pas à rester les bras croisés…
Mais à qui la faute ? Dans l’étrange concert mondial de l’agrochimie, il est aujourd’hui bien difficile de comprendre exactement qui peut quoi et qui veut quoi (10). Ainsi que le montre l’article qui suit… Une manière habile pour ceux qui nous gouvernent de laisser faire, en déclinant toute forme de responsabilité ? L’état de la planète et du climat ne peut cependant plus souffrir la moindre approximation en matière agricole…
En 2022, Nature & Progrès concentrera ses efforts sur :
– le développement de l’agriculture biologique pour atteindre au plus vite les 30% promis ;
– des actions, entre autres en justice, pour faire cesser les « dérogations » sur les produits interdits en raison de leur dangerosité avérée ;
– des actions afin de faire évoluer les règlementations en matière d’autorisation des pesticides et concernant leurs conditions d’utilisation ;
– la réorientation des moyens toujours dévolus à la recherche et au développement en matière de pesticides vers le développement des alternatives manquantes ;
– la recherche et l’information concernant les alternatives aux pesticides via notamment notre campagne « Une Wallonie sans pesticides, nous y croyons ! ».
Notes :
(1) Les dépenses ménages belges en produits bio ne cessent d’augmenter depuis plus de dix ans : 890 millions d’euros en 2020, soit une augmentation de 13% par rapport à l’année précédente ! En 2020, 96% des Belges ont consommé au moins une fois un produit bio. Voir : https://www.biowallonie/chiffres-du-bio/
(2) Ce qui, pourtant, vient d’être fait par treize fermes qui ont expérimenté la culture de la betterave en agriculture biologique, pendant deux ans, et se sont réunies pour commercialiser un sirop bio. Voir : http://organicsowers.bio
(3) Voir : https://fytoweb.be/fr/legislation/phytoprotection/autorisations-120-jours-pour-situations-durgence
(4) Voir : http://etat.environnement.wallonie.be/contents/indicatorsheets/FFH%208.html
(5) Voir : https://www.issep.be/expopesten-2/ et https://www.issep.be/wp-content/uploads/PROPULPPP_R%C3%A9sum%C3%A9.pdf
(6) Voir : https://tellier.wallonie.be/home/presse–actualites/communiques-de-presse/presses/des-polluants-interdits-depuis-40-ans-se-retrouvent-dans-lurine-ou-le-sang-des-wallons.html
(7) Pour en savoir plus, voir : https://lebasic.com/wp-content/uploads/2021/11/BASIC_Etude-Creation-de-Valeur-et-Couts-Societaux-Pesticides_20211125.pdf
(8) Voir : https://fr.statista.com/infographie/15061/consommation-pesticides-en-europe-par-pays/
(9) Voir : https://www.parlement-wallonie.be/pwpages?p=interp-questions-voir&type=28&iddoc=98246
(10) Lire : Cécile Boutelet et Nathalie Guibert, « Pesticides : la nouvelle hégémonie chinoise », dans Le Monde, du 1/12/2021
24, Nov 2022 | 2022, Analyses
Nature & Progrès organise, durant deux samedis du mois de mars 2022, son premier processus délibératif sur le thème « As-tu besoin de ton voisin ? ». Trente citoyens vont discuter du (re)développement des tissus sociaux et des réseaux de consommation et de production locaux, en vue d’alimenter les positions de l’association sur cette thématique.
Par Dominique Parizel
Bien sûr, il appartiendra au groupe représentatif invité à discuter de préciser ses objectifs et de définir plus avant les méthodes de travail qu’il adopte. Il semble toutefois nécessaire d’imaginer, de préciser un cadre de départ, sans quoi il serait difficile de mobiliser qui ce soit. Ce cadre initial a trait – nous l’avons dit – aux relations de voisinage, au sein de nos villages et de nos quartiers. Leur qualité, nous le savons tous, améliore grandement le quotidien. Voici donc une première esquisse, la petite graine appelée à devenir un bel arbre plein de fruits vitaminés…
Nous retrouver, échanger, collaborer…
Les faits démontrent que les replis, individuels ou collectifs, sont souvent des attitudes bien illusoires. Les ressources de la planète sont limitées et nous les consommons aujourd’hui plus rapidement qu’elles ne peuvent se renouveler. Les mauvais traitements que nous infligeons aux écosystèmes dans lesquels nous vivons constituent une menace croissante pour l’espèce humaine elle-même. Et tout indique que le vivant – c’est-à-dire aussi nous-mêmes ! – souffrira terriblement des dérèglements dont nous sommes collectivement – mais certaines collectivités beaucoup plus que d’autres – les responsables.
Les logiques locales, collaboratives et participatives, sont sans doute désormais les seules qui soient à même d’amener plus de justice sociale, en ce compris la sauvegarde du patrimoine environnemental au sein duquel nous coulons nos existences. Comme les beaux jardins que nous cultivons avec amour et passion, sans doute avons-nous le devoir de restituer ces écosystèmes où nous vivons plus beaux que nous les avons trouvés ? Sans doute les modus vivendi qui nous permettront de le faire, peuvent-ils être à même de mieux nous auto-réguler, par l’adoption, au sein de nos communautés, de pratiques communes qui nous paraissent justes et soient admissibles pour chacun. La crise des « gilets jaunes » a montré que le monde politique est désormais incapable d’imaginer de telles règles équitables et de les mettre en place. Son seul horizon paraît être de préserver l’activité – quel qu’en soit l’objectif et les conséquences – et les flux monétaires – qui ne profitent qu’au dixième de pourcent les plus riches ! Très loin des besoins réels de la population et de l’amélioration possible de son sort : qualité alimentaire, confort de l’habitat, facilités de mobilité, qualité des loisirs et amélioration des liens sociaux…
Sans doute appartient-il désormais aux citoyens de pallier ces manquements par leurs propres initiatives et d’utiliser le pouvoir qu’ils détiennent – collectivement et directement – pour imposer la mise en place de solutions adéquates dont le « mouvement social » aura démontré l’efficacité. L’émergence de circuits courts de distribution est, par exemple, une flagrante démonstration d’une telle volonté citoyenne. Le circuit court apparaît même aujourd’hui comme la meilleure planche de salut pour le monde agricole. Entendez le monde agricole à taille humaine, le seul qui soit à même de sauvegarder le caractère local et traditionnel de nos productions. Nous ne parlons pas ici de l’agro-industrie qui est, de plus en plus, une plaie, une réelle nuisance pour notre population. Mais les « gros capitaux », par l’entremise de la grande distribution notamment, déploient une énergie dantesque pour contrecarrer cette réappropriation populaire. Ils ont, en effet, gros à perdre. Et, avec eux, leurs affidés au sein du landerneau politicien…
Le développement du « capital social »
Qu’entendons-nous exactement par « capital social » ? C’est très simple. Tout se passe comme si nous étions chacun les neurones d’un même cerveau. Mais la capacité d’un cerveau repose moins sur le nombre de ses neurones – et sur ce qu’ils « savent » en leur for intérieur – que sur le nombre des connexions qui les relient et sur la capacité de ces connexions à échanger rapidement toutes sortes de données utilisables… Une grosse masse de neurones peut donc être en état de mort cérébrale si on l’arrose quotidiennement, par exemple, de publicités débiles qui la poussent à se comporter machinalement contre son propre intérêt. Un peu de matière grise dûment stimulée peut au contraire être très active si elle se décide à réfléchir. Ainsi en va-t-il de nos groupes humains : il y a les grosses villes socialement inertes qui glissent lentement dans la pauvreté et les hameaux minuscules au bouillonnement intense où l’on cultive proximité avec la nature et douceur de vivre…
L' »intelligence » d’un tel cerveau ne prend pas toujours la forme qu’on croit. Point ne trouverons donc ici d’élucubration savante « à la Elon Musk » : ni rutilantes berlines électriques, ni exploration martienne… On trouvera en revanche dans les villages et les quartiers aux voisins très connectés, la volonté de partager, par exemple, les récoltes avant qu’elles ne périssent, lorsque celles-ci sont importantes : donner aux voisins pour éviter que tout cela ne « tourne à rien » est un acte de civilité et de cohésion sociale, avant même qu’on ne songe au remplissage de l’un ou l’autre estomac… La capacité à autoproduire, une partie de l’alimentation notamment, reste une ressource importante, surtout pour la frange la moins favorisée de nos concitoyens. Pour autant bien sûr que la transmission des savoir-faire essentiels ait lieu, par le biais de potagers collectifs essentiellement qui ne peuvent se mettre en place que dans le cadre de relations de « bon voisinage ». Tout cela n’est pas bien neuf, nous le savons pertinemment, et ne relève, pour ainsi dire, que d’une saine tradition qui gagnerait sans doute à s’étendre à beaucoup d’autres domaines de la vie publique. Des telles pratiques intelligentes en ont toutefois déjà inspiré – ou revigoré – beaucoup d’autres :
– celle du don, par exemple, car ce qui ne sert plus à l’un peut certainement être utile à d’autres, et ce qui redevient utile à l’autre évite bien sûr d’en faire trop rapidement un vulgaire « déchet ». Cela tombe sous le sens mais il n’est jamais inutile de le rappeler…
– les services spontanés aux personnes – âgées ou handicapées, par exemple – peuvent être peu de choses pour ceux qui les rendent, mais s’avérer d’un réconfort insoupçonné pour ceux qui les reçoivent. Et sauver la vie, le cas échéant, d’une vieille personne isolée, par exemple, toujours susceptible d’avoir fait une simple chute, sans plus pouvoir se redresser…
– le partage d’équipements aussi car nous n’avons pas tous besoin, tout le temps, de notre défonceuse ou de notre perceuse à percussion, par exemple, à moins d’être des bricoleurs quotidiens, obsessionnels et patentés… Dans le même ordre d’idée, peut-être n’avons-nous pas besoin non plus, en permanence, de notre voiture, et peut-être est-il possible d’imaginer un moyen de mettre en partage – et en mouvement – ce gros tas de ferraille qui encombre le trottoir ? Aucune industrie n’imaginerait d’immobiliser une machine aussi chère pendant… 95% de son existence. Plus largement encore, la mise en commun d’un matériel de type professionnel – agricole, par exemple – peut être envisagée par le biais, par exemple, de coopératives créées à cet effet…
– les groupements d’achats en tous genres et de toute nature, enfin, pour l’alimentation ou pour l’énergie par exemple, ont suffisamment montré qu’elles ont un rôle à jouer dans la diffusion d’une information de qualité et dans la responsabilisation du consommateur par rapport à ses achats. Mais, certes, nous nous éloignons peut-être là un peu trop du voisinage…
Voisin, voisine, j’ai besoin de toi ! Mais comment nous organiser ?
Oui. Quels modes d’organisation adopter, une fois que nous avons compris combien nous avons besoins les uns des autres ? Et à l’initiative de qui ? Dons, services et partages ne font pas tourner l’économie ! Les actes gratuits n’ont aucune valeur dans notre univers capitaliste ; ils ne constituent pas non plus de potentiels « gisements d’emplois ». Et qui va rouspéter si trop d’échanges citoyens venaient à faire chuter les ventes d’appareillages électriques ou de voitures ? Fabricants et détaillants en équipements en tous genres n’auraient-ils pas tôt fait de dénoncer un important « manque à gagner », peut-être crieraient-ils même aux possibles pertes d’emplois et au travail au noir ? Mais le marketing qui individualise la clientèle ne crée-t-il pas, par simple opportunité, l’achat inutile qui tôt ou tard fait les montagnes de déchets ? Et la pléthore de services publics en tous genres – peu efficaces et peu connus – ne tue-t-elle pas le don et le service spontanés entre voisins, qui créent le véritable lien social ? Comment mesurer l’inintérêt sociétal et la pollution induite par la masse de bibelots idiots qu’on nous vend à vils prix, comment évaluer la qualité très inégale de ce qui est mis en place avec l’argent public, comment stimuler la démarche positive, gratuite et généreuse vis-à-vis de ceux qu’un seul mur sépare parfois de l’endroit où s’écoulent paisiblement nos jours ? Comment faire entendre la voix des acteurs indépendants qui font – ou devraient faire ? – ce salutaire travail d’évaluation ?
Le renforcement des liens de voisinage et le développement du « capital social » peuvent-il être envisagés comme un véritable objectif politique ? La mise en œuvre d’un tel projet dans le long terme n’entrera-t-il pas forcément en concurrence avec les infrastructures et les actions soutenues ou mises en place au bénéfice de tel ou tel mandataire local ? Comment envisager la conception et l’éclosion d’authentiques initiatives citoyennes, indemnes de toutes formes de récupération ? Comment les rendre pérennes ? Comment en évaluer exactement les effets ? Qui solliciter pour les initier et les piloter ? Où trouver l’argent nécessaire pour qu’elles existent et se développent ? Et qu’est-ce qui contribue, en définitive, à la qualité de nos vies ? Avoir, autour de nous, des gens « sur qui compter » plutôt qu’un fatras d’appareillages intrusifs et froids ? Ou peut-être être nous-mêmes ces gens sur qui peuvent compter ceux qui vivent h-juste à côté de nous ? Être là, l’un pour l’autre, tous bienveillants et chacun selon ses compétences : certains jardinent, d’autres cuisinent, certains font la conversation, d’autres sont plus doués écouter sans rien dire… Restent aussi les moyens divers qu’une véritable entraide locale permet de mobiliser, et les dépenses inutiles qu’elle permet d’éviter : une véritable « économie locale » et collective, pour s’épauler dans la proximité, qui permet sans doute de faire face discrètement à de nombreuses situations de précarité, en évitant surtout l’humiliation d’exposer au grand jour les cruelles difficultés de l’existence ? Mais rien qui excite vraiment le politicien local à la générosité ostentatoire, rien qui excite beaucoup le média encensoir des belles et grandes solidarités. Rien qui concerne non plus le grand Monopoly libre-échangiste mondialisé dont on ne sait trop s’il est devenu un atout ou une menace pour la vie des villages et des quartiers ?
Dans le temps, les soirs d’été – quand ne bourdonnaient pas encore les TV -, les gens sortaient s’asseoir sur leur banc ou sous leur arbre et parlaient, de tout et de rien, en compagnie de leurs voisins. Jusqu’à ce qu’il fasse assez frais et assez sombre pour aller enfin se coucher…
L’objectif de Nature & Progrès ?
Réunir un panel citoyen et parler voisinage. D’accord mais pour quoi faire exactement ? Partager le constat que le voisin et la voisine sont des gens uniques dont avons absolument besoin et s’interroger sur les moyens de resserrer le tissu social de proximité. C’est sans doute, à présent, une affaire entendue. Mais encore ?
Nature & Progrès proposera au panel citoyen d’explorer, à l’échelle de nos villages et de nos quartiers, ses thématiques principales – accès à une alimentation bio et locale de qualité, jardinage et autoproduction, éco-bioconstruction – afin d’y déceler et d’imaginer les actions ou les mécanismes qui permettraient une réactualisation – peut-être une simple « mise à jour » – des liens de voisinage. Nous rêvons à de nouveaux outils, un nouvel état d’esprit, un nouveau regard que le simple fait de mieux manger et de mieux habiter – le fait de mieux savoir ce que l’on mange et ce que l’on habite – nous permettrait peut-être de poser enfin sur ces gens étranges que nous n’avons pas choisis et qui nous semblent, à la fois, si loin et si proches : nos voisins ! Ceux et celles de mon village, de mon quartier…
24, Nov 2022 | 2022, Analyses
La (bio)méthanisation est souvent présentée comme une source d’énergie durable, contribuant à la transition énergétique. Qu’en est-il vraiment ? Voici donc quelques pistes de réflexion qui doivent vous permettre de mieux connaître les enjeux liés à cette technique…
Par Sam Ligot
À l’heure d’un dérèglement climatique plus prononcé que jamais, la transition énergétique est un enjeu central. Cela implique de décarboner nos sociétés – ne plus utiliser d’énergie fossile – afin de réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES) et ainsi préserver le fragile équilibre climatique. Qui dit transition énergétique dit énergies renouvelables dont les plus connues sont sans doute le photovoltaïque et l’éolien. Mais il en existe d’autres, dont celle qui nous intéresse ici : la biomasse.
La biomasse – c’est-à-dire, littéralement, la « masse vivante » – est toute matière organique pouvant servir de source d’énergie. Elle est utilisée depuis l’aube de l’humanité pour se chauffer – grâce au feu de bois – mais les défis actuels poussent à trouver de nouvelles méthodes de production énergétique dans ce domaine. C’est précisément ce qu’est la méthanisation ou biométhanisation : une « nouvelle » méthode de production d’énergie.
Biométhanisation : principes généraux
La (bio)méthanisation consiste à produire du biogaz, composé majoritairement de méthane (CH4) et de dioxyde de carbone (CO2), à partir de biomasse. Cette transformation du carbone organique, contenu dans la biomasse, en méthane est rendue possible grâce à des micro-organismes qui réalisent une digestion anaérobie. L’intérêt de ce biogaz réside précisément dans le méthane qui peut être brûlé afin de produire de la chaleur ou de l’électricité. Certains d’entre vous en utilisent peut-être même sans le savoir car le gaz naturel, lui aussi, est principalement composé de méthane. Mais la différence entre le méthane du gaz naturel et le méthane du biogaz réside dans leur origine : le biogaz est produit à partir de biomasse alors que le gaz naturel est issu de gisements fossiles. Le biogaz peut également être transformé en biométhane en éliminant le CO2 afin d’obtenir un gaz quasi uniquement composé de méthane. Ce qui peut s’avérer plus pratique pour, par exemple, réinjecter ce gaz sur le réseau…
Bien que de nombreuses matières premières puissent être utilisées pour la (bio)méthanisation, le potentiel de rendement de chacune est différent. Ainsi les matières premières contenant beaucoup de carbone accessible aux micro-organisme – c’est-à-dire le carbone labile – seront à même de produire beaucoup plus de biogaz que les matières premières en contenant peu. De fortes différences de rendement sont donc possibles. Les conditions de traitement appliquées aux matières premières dans le méthaniseur – tels que le temps de séjour ou la température – auront également une influence sur les rendements.
Le digestat, quant à lui, est un co-produit de la (bio)méthanisation ; il se compose de la matière première qui n’a pas été transformé en biogaz. Le digestat conserve ainsi l’ensemble des nutriments de la matière première – azote, phosphore, potassium, etc. -, ce qui en fait un fertilisant potentiellement intéressant pour l’agriculture. Son utilisation fait cependant débat, notamment au niveau de la vie du sol qui, en l’absence de carbone labile nécessaire à de nombreux organismes du sol, verrait son fonctionnement perturbé…
Quelques nuances…
La (bio)méthanisation est popularisée depuis une dizaine d’année, notamment au niveau européen. La méthode est mise en avant, en Belgique également, par les pouvoirs publics soucieux d’assurer une partie de la transition énergétique. La première station d’injection de biométhane dans le réseau de distribution wallon, inaugurée fin 2020 à Fleurus, démontre cet intérêt. La (bio)méthanisation est présentée comme une source d’énergie durable contribuant à la transition énergétique, dont voici quelques points fondamentaux. À première vue, la (bio)méthanisation ne présenterait que des avantages : valorisation des déchets en énergie, source d’énergie renouvelable, digestat utilisable comme fertilisant minéral… Bref, elle serait une recette miracle. Il est cependant important de nuancer quelques points essentiels.
Tout d’abord, en fonction des matières premières utilisées, l’impact environnemental peut être totalement différent d’un cas à l’autre. Une pratique, souvent pointée du doigt, est l’utilisation de cultures exclusivement dédiées à la production d’énergie. Ainsi, une concurrence pourrait-elle apparaître entre alimentation et énergie… De plus, la notion même de « déchet », utilisée par les défenseurs de la (bio)méthanisation, est subjective. Un fumier, par exemple, sera souvent considéré comme un déchet agricole, dans un cadre de (bio)méthanisation, alors que celui-ci joue un rôle fondamental dans le maintien de la fertilité des sols. D’un point de vue agronomique, il semble donc beaucoup plus judicieux d’utiliser du fumier composté plutôt que de l’envoyer au « biométhaniseur ».
Ensuite, au niveau du digestat, certaines matières premières sont impropres à être utilisées en agriculture étant donné la présence de contaminants : par exemple, le digestat de boues d’épuration. La valeur agronomique du digestat est également discutée puisque son impact sur les sols est encore mal connu, d’autant plus que chaque sol peut réagir différemment au digestat et que les digestats, eux-mêmes, peuvent varier dans leur composition.
Enfin, la forme de l’énergie produite, à partir du biogaz ou du biométhane, influencera également la performance d’un tel système. La transformation de biogaz en chaleur est bien plus efficiente que sa transformation en électricité. La production de chaleur à partir de biogaz a, en effet, un rendement environ deux fois plus important par rapport à sa transformation en électricité. Cependant, la chaleur ne peut être utilisée que localement et instantanément, à l’inverse de l’électricité qui peut être exportée sur le réseau, voire stockée dans des batteries. Dans la pratique, beaucoup d’exploitations agricoles utilisant la biométhanisation ont recours à un système intermédiaire de cogénération qui produit, à la fois, chaleur et électricité.
Pour se faire un avis précis sur la production d’énergie via la biométhanisation, il est donc important d’adopter une approche globale de la situation car rien n’est jamais simple et, en fonction des choix qui sont faits – matière première, gestion du digestat, forme d’énergie produite -, l’appréciation qui est faite peut radicalement changer.
Dimitri Burniaux, producteur labellisé Nature & Progrès, défend une biométhanisation raisonnée…
Pour mieux appréhender le sujet, dans le cadre du travail préliminaire, j’ai conversé avec Dimitri Burniaux qui gère une unité de biométhanisation à la Ferme Champignol, à Surice, près de Philippeville.
– Dimitri, qu’est ce qui t’as amené à la biométhanisation ?
Le projet a débuté en 2003, suite à un appel à projets du gouvernement wallon portant sur les énergies renouvelables. L’association du village, la « Surizée », a répondu à l’appel, proposant un projet de biométhanisation, et a été retenu. Le projet, initialement prévu sur un autre site, a failli ne pas voir le jour à cause de problèmes de voisinage. Nous avons donc décidé de l’accueillir sur notre exploitation après l’avoir remanié pour convenir à cette nouvelle organisation. L’unité de biométhanisation a finalement été construite, en 2006, et a été rénovée, pour doubler sa capacité de production, en 2015. Il s’agit d’un biométhaniseur infiniment mélangé – où les intrants sont solubilisés – qui est le type de méthaniseur le plus répandu en Wallonie.
– Quelles matières premières utilises-tu ?
J’en utilise plusieurs dont les principales sont les sous-produits de betteraves, les tontes de pelouses, les déchets de céréales, l’amidon de pommes de terre – qui est un déchet de l’industrie -, du fumier et du lisier. L’ensemble de ces intrants représente cinq mille tonnes par an. La plupart d’entre eux sont externes à la ferme. J’arrive à travailler avec de « bons déchets » qui permettent de se passer de cultures énergétiques. Je constate cependant qu’avec le temps et le développement de la filière biométhanisation, ces sous-produits sont de plus en plus chers et de moins en moins disponibles.
– Que penses-tu des cultures énergétiques ?
Je ne suis pas spécialement pour. Mais force est de constater qu’elles peuvent avoir leur intérêt. D’une part, la production d’énergie peut permettre de mieux valoriser une culture dont le prix de vente est faible. L’énergie – qui reste un besoin central de nos sociétés – peut donc être considérée comme un nouveau débouché pour les agriculteurs, sans pour autant remplacer l’alimentaire. C’est un équilibre à trouver : ce n’est pas parce qu’on utilise des cultures énergétiques qu’on va abandonner la production alimentaire. On pourrait même imaginer intégrer une culture énergétique dans une rotation, par exemple. D’autre part, il faut bien se rendre compte que les cultures énergétiques existent déjà depuis plus de dix ans, en Belgique. Par exemple, BioWanze, producteur de bioéthanol utilisé comme carburant, est un gros consommateur de céréales – Ndlr : 750.000 tonnes par an ! – et de betteraves – Ndlr : 450.000 tonnes par an ! Il est curieux de constater que le sujet des cultures énergétiques fait débat pour la biométhanisation, pourtant peu répandue, alors que ce n’est pas le cas pour d’autres secteurs de valorisation énergétique. Selon moi, il faudrait baliser la pratique mais ne pas l’interdire, d’autant plus que la Belgique est en situation de dépendance énergétique.
– Quelle utilisation fais-tu du biogaz produit ?
Je le valorise en cogénération. Environ 90% de l’électricité produite – soit un million et demi de kW par an – est exportée sur le réseau et le reste est utilisé pour faire tourner le biométhaniseur et couvrir les besoins de la ferme. La chaleur – soit un million de kW par an – est valorisée à la ferme et dans seize maisons aux alentours. Ce qui est intéressant avec ce système, c’est que l’énergie produite sur place ouvre la porte à de nouvelles opportunités sur la ferme. Ainsi le chauffage de serres pour les plants de légumes, en début de printemps, et le séchage du foin ont-ils été rendu possibles grâce à la chaleur produite par le biométhaniseur.
– Comment gères-tu ton digestat ?
Je l’utilise comme source d’azote minéral rapide ; il est particulièrement utile pour le tallage des céréales, au mois de mars, et d’autant plus en bio où il peut être difficile de trouver des sources d’azote rapidement assimilé par les plantes. J’utilise 80% du digestat, à ce moment-là, et il me permet de fertiliser deux cent cinquante hectares de céréales et un peu de prairies. Le digestat n’a d’ailleurs aucune odeur, ce qui n’est pas pour déplaire au voisinage, en comparaison avec le lisier. L’important, c’est de bien équilibrer son utilisation. Un excès de digestat pourrait devenir problématique mais c’est loin d’être le cas dans ma ferme. J’en manquerai presque…
– Digestat et bio font bon ménage, alors ?
Etant donné que les matières premières que j’utilise ne sont pas bio, le digestat fait l’objet d’une dérogation pour son utilisation en agriculture biologique. C’est possible car toutes les matières premières utilisées sont des matières premières qui sont utilisables en bio. Une dérogation ne serait pas possible si les matières premières étaient des boues d’épuration ou des fientes de poules industrielles, par exemple. Tout ce qui rentre dans mon méthaniseur pourrait aussi bien passer par le rumen d’une vache. De plus, le digestat est légalement considéré comme un déchet, ce qui rend obligatoire de réaliser régulièrement des analyses complètes, afin de s’assurer du respect des normes en termes de pathogènes, de métaux lourds et autres pollutions…
– Que penses-tu des critiques qui sont parfois faites au digestat : déclin de la vie du sol, risques de pollution… ?
Il est vrai, en ce qui concerne la vie du sol, que le digestat est un produit « inutilisable » pour la faune du sol, de par sa faible teneur en carbone labile. Néanmoins, encore une fois, tout est une question d’équilibre et de réflexion : ce n’est pas parce qu’on utilise du digestat que la vie du sol va dépérir. Il suffit d’assurer par d’autres moyens l’apport de matière organique afin de préserver cet équilibre ; ce n’est pas parce qu’on utilise du digestat qu’on arrête d’épandre du fumier pailleux. En bref : ce n’est pas le rôle du digestat de nourrir le sol ! Bien sûr qu’il nourrit la plante mais, s’il est bien utilisé et intégré dans une approche globale, je n’y vois pas de problème. Depuis quinze ans que j’utilise ce produit, j’ai conservé des teneurs stables en humus dans mes sols. Et, au niveau des pollutions, ce n’est pas vraiment un souci puisque les analyses réalisées garantissent un digestat qui en est exempt.
– En tant que membre de Nature & Progrès, que penses-tu de la biométhanisation, d’une manière générale ?
Trois choses doivent absolument être prises en compte : les matières premières, l’énergie et la gestion du digestat. Comme je l’ai dit, je ne suis un partisan à outrance des cultures énergétiques mais je pense qu’il ne faut pas les interdire, dans un souci d’autonomie. Il faut toutefois bien en encadrer la pratique. Il ne faut pas oublier non plus que la biométhanisation permet la production d’une énergie verte à partir de déchets, ce qui est plutôt intéressant. La pratique a donc tout son intérêt dans une démarche d’économie circulaire.
Enfin, les cycles de la matière sont fermés, de par le retour au sol du digestat, tout en permettant une fertilisation intéressante pour les cultures. Nous sommes très loin d’être en surproduction de digestat, que ce soit ici ou à plus large échelle. Le principal est de bien équilibrer les apports au sol, en lui amenant aussi de la matière organique.
Conclusion
La biométhanisation, sujet d’actualité, est un procédé plus complexe qu’il n’y paraît et qui demande de prendre en compte de nombreux aspects pour être évalué correctement. Loin d’en être arrivé à l’étape de la conclusion, Nature & Progrès Belgique ouvre le débat et commence – notamment grâce à ce travail d’investigation – à réfléchir à la question.
La biométhanisation est-elle compatible avec le fonctionnement d’une ferme biologique ? Favorise-t-elle l’autonomie des fermes en polyculture-élevage ? Peut-elle être pratiquée dans le cadre des valeurs de la charte de Nature & Progrès ? Comme c’est l’habitude de notre association, consommateurs et producteurs, ensemble, devront en discuter lors de commissions dédiées. Et c’est seulement après ce processus que nous pourrons entrevoir une position sur le sujet. Affaire à suivre donc…