La faux : un outil moderne

Le fauchage qui existe aujourd’hui, en Wallonie, est généralement mécanique mais un net regain d’intérêt pour la faux est apparu ces dernières années. Trop d’utilisateurs ignorent pourtant la grande technicité de cet outil, très simple d’apparence, qui permet sa bonne utilisation. Un réel apprentissage est donc indispensable pour que son intérêt réel puisse être comparé à celui des outils à moteur. Pour en savoir plus, écoutons Peter De Schepper, responsable du Pic Vert, à Heyd-Durbuy…

Propos recueillis par Dominique Parizel

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Introduction

Le secret d’un fauchage efficace réside dans le tranchant de la faux ! S’il est optimal, le bon usage de l’outil viendra rapidement avec la pratique, là où la seule puissance d’une machine corrige toujours ses mauvaises utilisations…

« Mais tout ce qui demande un apprentissage invite toujours l’utilisateur à vouloir être plus habile, complète Peter De Schepper. C’est un constat qui, je crois, gagne toujours à être fait. Et à être généralisé, autant que possible, à l’ensemble de nos activités… »

Ne sommes-nous pas tous tributaires de notre idée préconçue d’un jardin ordonné ? N’avons-nous pas tous l’impression que plus vite le travail sera accompli, plus vite le bon ordre sera de retour ?

« La faux, d’une manière générale, ajoute Peter, est au moins aussi rapide que la débroussailleuse mais la vitesse n’est probablement pas la première raison de la choisir. Un retour au manuel offre surtout une meilleure précision, donnant à celui qui travaille davantage de satisfactions car le jardinage tient aussi au plaisir d’accomplir chaque geste avec justesse, bien plus sans doute qu’à un résultat à atteindre le plus rapidement possible. A l’échelle où travaillent la plupart des jardiniers, la faux est, en réalité, bien moins fatigante que la débroussailleuse et permet donc de « tenir le coup » plus longtemps. Le travail effectué avec une débroussailleuse ou avec une tondeuse peut être aisément accompli avec une faux : tondre une pelouse ou même faire du foin, par exemple, afin de nourrir quelques moutons… Il est évidemment possible de faire beaucoup plus, comme jadis, si on s’en donne le temps et si on est en mesure de s’organiser en conséquence. Toutefois, le savoir-faire concernant la bonne utilisation de ce précieux outil fait aujourd’hui particulièrement défaut. Peu de gens savent encore comment utiliser correctement une faux, une perte de connaissances qui s’est progressivement accentuée tout au long du XXe siècle… »

Apprendre à battre est indispensable !

« Je me suis mis à la faux dans les années nonante, poursuit Peter De Schepper, un peu comme je pouvais. Je trouvais cela lent et un peu dur mais j’étais encore jeune et je me disais que nos anciens devaient avoir une robuste constitution. Puis j’ai rencontré un cantonnier à la retraite, sur une « scène des vieux métiers ». Il m’a dit qu’il fallait « battre la faux », alors que je me demandais ce qu’il faisait. Personne ne m’avait jamais dit cela ! Quand il était encore en activité, ce monsieur fauchait manuellement le bord des chemins… J’ai ensuite trouvé, sur une brocante, l’enclumette et le marteau servant au battage et j’ai commencé, tant bien que mal, mais je trouvais que cela allait déjà beaucoup mieux, même si c’était loin d’être parfait. Je suis retourné voir ce monsieur, chez lui un an plus tard, et il m’a appris tout ce que j’ignorais encore…

Les bons gestes s’acquièrent aisément quand l’outil coupe bien mais la plupart des utilisateurs de faux ignorent malheureusement en quoi consiste ce bon entretien du tranchant. Battre consiste à aplatir, à amincir l’acier sur une zone du tranchant d’un à trois millimètres de large. On étire le métal pour en entretenir la géométrie. Ce geste s’effectue traditionnellement à l’aide d’un petit marteau et d’une enclumette portative qu’on fiche dans le sol, certains modèles pouvant même être montés dans un banc, ou sur une bûche… La même opération se fait à l’aide d’une meule pour la plupart des autres outils, comme les haches ou les ciseaux à bois. Quand on aiguise à la pierre fine, la géométrie, petit à petit, devient moins idéale ; on retrouve donc le bon angle grâce au passage sur la meule. Avec la faux, plutôt que de retirer de la matière, on retrouve la bonne géométrie et la bonne forme à l’aide de l’enclumette et du marteau : la lame est étirée, légèrement élargie, et l’acier devient plus dur sur la zone battue. Ce travail est nécessaire toutes les quatre à six heures de fauche en moyenne, en fonction des conditions rencontrées. Il prend entre vingt minutes et une demi-heure, en fonction de la longueur de la lame. L’aiguisage à la pierre, emportée à la ceinture dans un étui appelé coffin – où elle trempe en permanence dans de l’eau et éventuellement un peu de vinaigre -, se fait régulièrement après quelques minutes de fauche et ne doit prendre que quelques secondes. Juste un ou deux passages sur le tranchant afin de l’aviver à nouveau…Ce laps de temps varie évidemment en fonction des conditions de travail : le tranchant tient parfois cinq minutes, parfois dix. Quand j’aiguise, ma lame coupe encore bien ; après l’aiguisage elle coupe très bien…

Je conserve un article sur le battage de la faux en Wallonie, qui date des années septante. On disait déjà, à l’époque, qu’il n’était pas facile de trouver des « témoins » en mesure de battre la faux correctement. L’outil était encore là mais on ne savait déjà plus s’en servir adéquatement s’il ne restait pas un vieux paysan pour battre les faux des autres… Se borner à aiguiser avec une pierre artificielle, en carbure de silicium – carborundum en anglais -, rendra le tranchant plus épais et le travail sera alors nettement moins efficace. Une lame bien battue, puis aiguisée à l’aide d’une pierre plus fine – une pierre naturelle qui enlève beaucoup moins de matière – donne de bien meilleurs résultats. »

Un geste qui devient alors naturel…

« Un tranchant bien entretenu, insiste Peter De Schepper, permet d’adopter un geste qui sera nettement moins fatigant, et même pas fatigant du tout dans la plupart des situations. Bien sûr, l’exercice sera beaucoup plus sportif si on fauche pendant toute une journée, mais il ne requiert pourtant aucune aptitude physique particulière. Si l’outil coupe mal, au contraire, on se met alors à hacher et on s’épuise inutilement alors que le geste optimal du faucheur est un geste complet où tout le corps travaille, en évitant de mobiliser trop de force et de solliciter inutilement les épaules et les bras. Il faut donc apprendre, avant tout, à bien se tenir et, quand on fauche large, on peut même compléter par un mouvement de balancement qui fait travailler les jambes, dans un geste très ample qui évoque le tai chi. Il rajoute un peu d’inertie et réduit l’effort des bras et des épaules. Celui qui n’apprend pas cela d’emblée finira inévitablement par abandonner sa faux et par reprendre les machines…

J’ai personnellement travaillé, pendant une dizaine d’années, à l’entretien d’espaces verts et j’ai presque toujours tout fait à la faux. Ce travail a toujours été réalisé dans les mêmes délais qu’avec le fauchage mécanique. Mon employeur ne s’est jamais plaint car celui qui maîtrise bien la technique va aussi vite manuellement que mécaniquement. La fréquence des fauchages dépend évidemment de ce qu’on veut obtenir ; il est même possible de garder une pelouse très courte simplement à l’aide d’une faux ! Cela ne pose aucun problème de la maintenir au ras du sol, en passant chaque semaine… A condition que la faux soit parfaitement affûtée. Les pelouses sont une invention de riches qu’on ne trouvait pratiquement qu’autour des châteaux ; elles étaient entretenues, avant la mécanisation, par des jardiniers qui utilisaient des faux. Les gazons anglais n’ont évidemment pas attendu les tondeuses pour exister… Tout cela ne pose donc pas de difficultés, une fois qu’on a compris la nécessité de bien battre le tranchant. La faux passe alors sur l’herbe comme un rasoir et un tel travail permet sans doute d’être plus attentif à ce qu’on fait, de mieux repérer pour l’éviter la belle orchidée qui pousse dans un coin. La faux permet sans doute aussi d’épargner plus de grenouilles et d’orvets que le travail à la débroussailleuse. Mais si de tels drames sont plus rares, cela tient peut-être surtout à l’état d’esprit de celui qui manie l’outil… Ne reproche-t-on pas aux « robots » qui vont et viennent en continu de causer de gros dégâts à la faune des pelouses, même s’il n’y a sans doute plus grand monde qui habite encore ces vastes étendues ultra-raccourcies ? Mais est-il vraiment nécessaire d’avoir une pelouse qui ressemble à de la moquette, même si on désire conserver un endroit pour permettre aux enfants de jouer, ou pour s’asseoir au soleil ? Une telle réflexion bien sûr, d’ordre plus culturel, n’est évidemment pas directement liée à l’outil et on doit l’avoir aussi si on opte pour l’entretien mécanique. Mais que le jardin idéal soit celui où rien ne vit est évidemment une conception des plus critiquables. N’est-il pas préférable de multiplier les lieux de vie et les habitats au jardin, surtout dès le moment où on choisit d’y implanter également un potager ? »

Le souci de l'écologie

« Au début de ma vie professionnelle, avoue Peter, je travaillais alternativement à la faux et à la débroussailleuse car j’estimais que celle-ci convenait mieux à certains endroits, par exemple, qui n’avaient plus été entretenus depuis plusieurs années. On y trouvait parfois des ronces aussi grosses que mon pouce… Petit à petit, j’en suis venu à ne plus la démarrer que très rarement. Je travaille maintenant à un rythme tout-à-fait acceptable, au fauchon pour le débroussaillage des tiges dures, des ronces, etc. En s’approchant progressivement du sol, la plupart des obstacles sont faciles à repérer. Et le fauchon étant assez épais, même un petit coup accidentel sur un obstacle n’est pas trop grave pour l’outil… La pratique développe la sensibilité de celui qui le manie, ce qui réduit les dégâts à peu de choses. Beaucoup de force et d’enthousiasme, mais trop peu de technique, augmentent au contraire le risque d’abimer le matériel… Pour les zones herbeuses, il faut choisir la faux car l’approche est différente pour le fauchage de l’herbe. La lame se pose alors directement sur le sol et reste en contact avec lui pendant tout le mouvement.

Le jardinier est ainsi incité à un entretien beaucoup plus différencié en fonction des endroits : il en fauchera une partie et laissera une herbe haute ailleurs, il évitera de tout raser au même moment afin qu’il reste toujours des fleurs sauvages quelque part, etc. Et s’il souhaite laisser pousser l’herbe pour faire du foin, il ne fauchera pas avant juin, ou juste un peu après… Il peut aussi combiner le fauchage et le passage d’animaux, ou encore veiller à raccourcir l’herbe avant l’hiver pour que le travail soit moins dur au printemps, quand arrivera la nouvelle pousse… Il peut aussi privilégier certains endroits en fonction de choix environnementaux et du respect de la biodiversité, créer des coins protégés pour la faune et la flore. Une telle gestion peut bien sûr se faire également à la machine mais le simple fait, pour un jardinier, de s’intéresser à la faux témoigne souvent de son souci de l’écologie et de son intérêt pour une autre façon de gérer le terrain. La faux est d’ailleurs l’outil par excellence pour la gestion des réserves naturelles ; en Flandre, elle est de plus en plus utilisée dans ce contexte. Certaines communes l’utilisent aussi pour la gestion des espaces verts. »

Trouver des outils de qualité

« De nombreuses personnes m’ont sollicité, il y a une bonne quinzaine d’années, afin de savoir où il était possible d’acquérir du bon matériel, explique Peter De Schepper. Mon propre outil avait lui-même quelques dizaines d’années déjà, et je me suis alors rendu compte qu’une telle qualité se trouvait difficilement dans le commerce courant. Je me suis alors livré à quelques recherches – à une époque où l’on ne trouvait pas aussi facilement les informations utiles sur Internet – et la nécessité d’importer des faux s’est rapidement imposée à moi. Il ne reste plus que trois fabricants en Europe occidentale ; ce sont les derniers dépositaires d’un savoir-faire vieux de plusieurs siècles. L’un d’eux se trouve dans le nord de l’Italie, les deux autres en Autriche, un pays où il y en existait encore une vingtaine dans les années cinquante. Au milieu du XIXe siècle, ils étaient environ… cent septante ! Nous n’avons jamais eu de grande industrie de la faux en Belgique et le dernier fabricant français a stoppé son activité, il y a une vingtaine d’années. Les Forges de Ciney, fondées en 1920, ont bien fabriqué des faux mais la plupart de celles que j’ai vues, estampillées avec la marque Ciney, étaient fabriquées par le fabriquant autrichien Krenhof qui a arrêté sa production vers 1975 : il avait simplement repris le style et le nom de Ciney pour les lames exportées vers la Belgique. Notons aussi qu’on trouve encore une usine de faux en Russie, et une autre en Turquie… Avec la crise de la Covid-19, l’importation depuis l’Italie pose quelques problèmes et il y a eu des ruptures de stocks car beaucoup de gens qui songeaient déjà à faucher leurs parcelles se sont peut-être dit que le moment était enfin venu de le faire.

Je propose différents types de faux et recommande un manche ajustable, fabriqué en Autriche. Je travaille également le bois et je réalise ainsi moi-même le simple manche droit, de type ardennais, mais en petites séries, que je taille sur place et sur mesure en présence du client. Mes lames sont toutes importées et il existe des longueurs différentes, selon les usages qu’on veut en faire. Les fauchons, pour débroussailler, ont des lames plus courtes et plus épaisses. Rares sont encore les faucheurs de céréales mais les lames qu’ils utilisent sont traditionnellement assez longues, soit septante-cinq à nonante centimètres. Pour le foin, quand la prairie est bien entretenue, on peut également travailler avec une longue lame. Pour le jardin et pour les vergers, où l’on peut trouver davantage d’obstacles, on fauche généralement l’herbe avec des lames de soixante à septante centimètres. La lame de soixante-cinq centimètres et le fauchon de quarante-cinq ou de cinquante centimètres étaient d’ailleurs les dernières qu’on trouvait en jardineries. Ce sont sans doute aussi les longueurs qui restent les plus utilisées pour l’entretien autour de la maison, pour couper l’herbe ou pour maîtriser les ronces…

Pour battre le tranchant enfin, il existe un petit gabarit – que j’appelle « outil à battre » – qui autorise moins de précision afin d’arriver à un battage correct. Il s’utilise également avec un marteau mais on tape sur une douille qui se glisse sur l’axe central au lieu de marteler directement sur le tranchant de la lame, le profil du dessous de la douille définissant la zone à aplatir. C’est une facilité que peuvent s’autoriser les débutants ou ceux qui, n’ayant pas de grandes superficies à faucher, ne doivent battre leur lame qu’une fois par an, par exemple… »

Gagner en convivialité !

Afin de permettre aux candidats faucheurs de réapprendre les bonnes pratiques, le Pic Vert s’est également lancé dans l’organisation de stages.

« Nous sommes déjà dans notre douzième année, constate Peter De Schepper ! La saison des stages commence en mai, si la météo s’y prête, mais le gros de l’activité trouve surtout place en été, puis en septembre et parfois même en octobre, pour accueillir ceux qui étaient partis en vacances. Mais c’est alors plus aléatoire, en fonction du temps qu’il fait…

La plupart des stages se déroulent en une seule journée : j’apporte tout le matériel utile et toutes les lames sont battues à l’avance. Il est d’abord nécessaire d’apprendre à régler les poignées à la bonne hauteur ; on se munit ensuite d’une pierre et on profite de la matinée – et de la rosée – car la lame glisse mieux quand l’herbe est plus tendre et encore humide. Nous restons à l’ombre, s’il fait chaud après la pause, afin de travailler le battage. Une heure ou deux sont nécessaires pour bien expliquer en quoi l’apprentissage des gestes corrects est absolument indispensable. Nous fauchons encore un peu pour terminer la journée et les participants peuvent ainsi prendre conscience de la différence entre la fauche du matin et celle de la fin d’après-midi, l’idéal étant évidemment de se mettre au travail dès qu’il fait clair ! Lorsqu’il fait aussi beaucoup moins chaud…

Utiliser la faux, même occasionnellement, est un travail très agréable qui évite le gros inconvénient du bruit et des gaz d’échappement. Si on le souhaite, il est même possible de travailler le dimanche matin, dès l’aube. Les voisins n’en sauront jamais rien ! Sans compter les économies d’entretien et de carburant… Et les gains importants de convivialité ! »

On mesure, une fois de plus, le dommage qu’il y a à expulser, au nom de la modernité, les savoirs anciens de la gamme des solutions qui doivent rester à notre disposition. Les solutions low-tech et peu consommatrices d’énergie seront, à n’en pas douter, de plus en plus sollicitées. Encore faut-il poutant que le bagage technique dont leur usage rend l’acquisition nécessaire soit parvenu jusqu’à nous. Or la génération qui a totalement abandonné ces pratiques « d’un autre temps » a également cru bon d’expurger la culture populaire des connaissances qui leur sont liées. Nous devons aujourd’hui absolument nous en convaincre : les savoirs traditionnels et ancestraux – même si parfois ils nous paraissent encore totalement dépassés – sont au cœur même de nos capacités de résilience. Sachons donc en conserver entièrement la mémoire…

Le label Nature & Progrès en toute transparence avec le Système participatif de garantie (SPG)

Transparent, évolutif, participatif, cohérent… Autant de qualificatifs qui s’appliquent au label des producteurs bio de Nature & Progrès. Mais comment le garantir ? C’est le rôle de notre système participatif de garantie (SPG) pratiqué par l’association depuis plus de cinquante ans.

Par Mathilde Roda

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Introduction

Mais, au fond, pourquoi un tel système de garantie ? Dans une société où le greenwashing va bon train, où l’image du bio est récupérée par les publicitaires, où des termes comme « durable » et « local » sont souvent utilisés à tort et à travers, il est bon de pouvoir se reposer sur des gages de confiance. C’est ce que veulent garantir Nature & Progrès et les producteurs et transformateurs du label. Et c’est pourquoi, elles et ils s’engagent dans le SPG. Tous entendent vous prouver – à vous, citoyens et potentiels consommateurs – qu’ils respectent et mettent en œuvre les valeurs que l’association défend.

Le SPG ne se contente pas de vérifier une check-list – méthode pratiquée dans les contrôles classiques et qui ne permet pas d’entrevoir une évolution. Or c’est bien de ça qu’il s’agit, chez Nature & Progrès : travailler à l’amélioration continue d’une activité, se questionner, ne pas rester figé dans un modèle agricole unique. Chaque ferme et activité de transformation a sa propre réalité, les choix des uns ne se justifieraient pas pour d’autres. Le SPG, basé sur le dialogue, permet d’envisager chaque situation dans son authenticité, au regard de son contexte agro-climatique, mais aussi économique et social.

Tous les membres du label étant certifiés 100% bio, le SPG s’attarde sur ce qui fait la spécificité du label Nature & Progrès : sa charte – consultable sur www.producteursbio-natpro.com/la-charte. Le SPG, c’est donc ce qui garantit que l’activité du visité s’inscrit et évolue dans le cadre de cette Charte. Il ne s’agit pas, en effet, d’une simple visite de ferme à caractère « touristique ». Et, même si la visite se déroule dans la convivialité et l’échange, l’agronome s’assure que tous les points de la Charte et du Cahier des Charges de Nature & Progrès sont passés en revue. Mais les vrais acteurs du système ce sont bien ceux et celles qui mangent les denrées produites.

Une véritable démarche de citoyenneté

Vous l’aurez compris : bien au-delà d’un système de « contrôle », le SPG est surtout le garant de la co-construction du label Nature & Progrès. C’est son principe même, sa quintessence ! Les visites regroupent donc producteurs et consommateurs et sont ouvertes à tous les membres de Nature & Progrès, permettant ainsi aux producteurs et productrices visités d’échanger, de réfléchir conjointement à des pistes d’évolution de leur activité, dans le sens des valeurs définies par la Charte de Nature & Progrès.

Pas besoin d’être expert. Pourquoi tenons-nous tant à cet aspect des choses ?

– Pour garantir la transparence, si chère aux membres du label. Nos productrices et producteurs n’ont rien à cacher ! Au contraire, ils sont fiers de vous présenter leurs activités, de vous expliquer ce qui a guidé leurs choix…

– Pour apporter un regard extérieur, différent de celui d’un agronome ou d’une personne issue du milieu agricole. Vous seriez étonnée des questions qui vous travaillent et qui ne sont jamais posés les producteurs ! C’est l’occasion unique de leur en faire part. De leur faire prendre du recul, voire même de la hauteur.

– Pour réaffirmer le consommateur comme partie intégrante des filières d’alimentation et ce, afin de reconnecter consommation et production. L’agriculture n’est pas le seul fait des agriculteurs, le citoyen en est le maillon final indispensable qui doit, en conséquence, être conscient du type d’agriculture qu’il défend par ses choix de consommation.

– Pour sensibiliser les citoyens et les citoyennes à la réalité agricole. C’est loin d’être négligeable. Rares sont les occasions d’entrer dans une ferme, dans une société de transformation, et de pouvoir en apprendre plus sur cette réalité, en questionner les acteurs.

Le rôle fondamental des "consommateurs"

Mais peut-on encore vraiment les appeler ainsi ? A l’image d’Isabelle et de Gaston, ce sont d’authentiques partenaires de notre action pour la citoyenneté alimentaire. Depuis toujours, Nature & Progrès prône le rapprochement entre producteurs et consommateurs, et leur investissement démontre à quel point ceci est loin de n’être qu’une formule creuse. Vous aussi, vous pouvez, de cette façon, passer à l’action pour un monde meilleur. Pourquoi attendre plus longtemps ?

  1. L’avis d’Isabelle

Isabelle nous accompagne régulièrement chez des producteurs lors des visites du SPG, comme ici, son dernier en date, chez Michel et Marianne Monseur, de Li Cortis des Fawes, à Sprimont. Toute en discrétion – il faudra donc l’excuser de ne vous dévoiler que son prénom – mais pleine de convictions, Isabelle est donc une membre Nature & Progrès, active dans le cadre de notre Système Participatif de Garantie (SPG). Elle nous témoigne, comme suit, son engagement en faveur de notre label et les raisons qui la poussent à soutenir les producteurs bio de Nature & Progrès.

– Isabelle, peux-tu, tout d’abord, te présenter en quelques mots auprès de nos lecteurs ?

J’habite en province de Liège et je travaille en province de Namur… Mais j’ai pas mal déménagé dans ma vie puisque j’ai aussi habité en Brabant wallon et dans le Hainaut… Indépendamment de mon engagement personnel chez Nature & Progrès, en tant que consommatrice, je travaille pour la fondation Cyrys qui est partenaire de Nature & Progrès, depuis cette année, pour le Réseau RADiS. Mais je suis membre Nature & Progrès depuis une dizaine d’années…

– Qu’est-ce qu’y t’a amenée chez Nature & Progrès ?

Quand j’habitais dans le Brabant wallon, je faisais partie d’un groupement d’achats qui était lié à la locale de Nature & Progrès. C’est par la dynamique des personnes que je côtoyais, dans ce groupement d’achat, leur engagement, le questionnement social et environnemental qu’ils véhiculaient, que j’ai fait le pas de devenir membre de l’association.

– Et pour quelles raisons soutiens-tu actuellement l’association ?

Tout simplement pour la concordance des valeurs ! Il y a une grande cohérence de l’association à travers toutes ses activités, que ce soit le Salon Valériane, la revue, le SPG… Je trouve que ce que vous faites a beaucoup de sens. Ça sonne juste et ça sonne vrai ! On est loin du greenwashing, on est dans le fondement, dans l’incarnation des valeurs. Et aussi parce que ce que Nature & Progrès défend, ce n’est pas l’environnement contre l’humain, comme dans certains mouvements où on sent que l’Homme est quasiment la bête à abattre… Ici, on veut construire quelque chose de global avec l’humain.

– Merci, cela fait vraiment plaisir d’entendre cela car, en effet, c’est ce que nous essayons de prôner. Notamment à travers le SPG… C’est donc une belle transition pour te demander de nous expliquer comment tu t’impliques chez Nature & Progrès ?

En tant que consommatrice, je trouve que c’est bien d’être sensibilisée pour sensibiliser à son tour. J’ai suivi la formation de jardinier-semencier de Nature & Progrès car l’alimentation commence dès la semence. Être attentive à tout ça, faire son potager, c’est aussi être un vrai consomm’acteur ! Mais il est vrai que la matérialisation la plus concrète de mon engagement en tant que consommatrice, c’est au sein du SPG qui est, pour moi, un processus bien complet, qui garantit la confiance, la transparence… On n’est pas là simplement pour un contrôle mais véritablement pour échanger. Ces visites m’ont permis de rencontrer des producteurs labellisés Nature & Progrès, pas trop loin de chez moi mais cependant pas dans ma sphère d’achats habituelle. Je n’aurais donc pas eu l’occasion de les croiser autrement. J’irai maintenant, chez eux, faire mes courses, à l’occasion… Il est aussi très important pour moi de participer au Salon Valériane. Si ce n’est pas en tant que bénévole, ce sera au moins en tant que visiteuse. Pour prendre le pouls de tout ce qui gravite autour de ces préoccupations, pour participer au rassemblement…

– Pourquoi est-il important, pour toi, de soutenir les producteurs bio de Nature & Progrès ?

Dans ma vie de tous les jours, je consomme bio mais pas exclusivement Nature & Progrès… Je vais, en règle générale, au plus local, chez des producteurs de ma commune. Mais si, dans un magasin, j’ai le choix entre deux produits bio dont un porte le label Nature & Progrès, c’est celui-ci que je choisirai parce que je sais que ça va plus loin que le seul label bio. Honnêtement, je ne connais pas le cahier des charges européen dans le détail, je ne suis jamais allée le voir. En revanche, je connais le label Nature & Progrès, je sais que derrière chaque décision prise il y a une réflexion globale et la prise en considération de la réalité de l’agriculteur. Il y a une dimension sociale pas du tout présente dans le label européen…

Pour moi le fait de ne pas être centré que sur des pratiques culturales mais aussi de le concilier avec des réflexions plus globales – l’énergie, le bien-être animal, le circuit-court… – est clairement une plus-value. D’ailleurs, je me fais ambassadrice du label auprès des producteurs bio que je côtoie et que je considère en adéquation avec les valeurs de Nature & Progrès

– A tes yeux, qu’est-ce qu’ils offrent de plus en étant membres du label ? En tant que consommatrice, qu’est-ce-que cela te garantit ?

Tous réfléchissent vraiment à leurs pratiques, à leurs façons de faire les choses, quand ils prennent une décision, tout en étant suivis dans leur démarche via le SPG. Cela garantit aussi une non-délocalisation de l’activité. Sans prétendre que c’est exclusif à ceux du label de Nature & Progrès, je sens quand même chez eux un ancrage fort avec leurs terroirs. Et cela justifie le fait d’inclure les valeurs de la charte dans leur activité : par exemple, le fait de prendre en compte l’aspect énergétique tout en réfléchissant à comment vendre leurs productions… Ils sont vraiment dans une globalisation de leur réflexion. Dès qu’ils mettent quelque chose en place, sur le terrain, cela se fait dans cette dynamique positive, pour que ce soit le plus cohérent possible en regard des valeurs qu’ils défendent… Je pense que le bio a toujours eu, dans son ADN, une vision durable de l’agriculture, de quelque chose de viable pour les générations futures. Les producteurs de Nature & Progrès incarnent cela par cette pensée « systémique »…

  1. L’avis de Gaston

Depuis qu’il travaille au Comptoir paysan, à Beauraing, Gaston côtoie quotidiennement des producteurs bio de Nature & Progrès. Nouveau membre de notre association, Gaston incarne cette jeunesse avide de changement. Il s’investit pour soutenir un autre modèle agricole. C’est donc tout naturellement que ses convictions personnelles l’ont rapproché de Nature & Progrès

– Gaston, parle-nous un peu de toi…

Je m’appelle Gaston Piraux, j’ai vingt-six ans et suis ingénieur agronome de formation. J’ai récemment été engagé comme chargé de mission au Comptoir paysan, un nouveau magasin de producteurs locaux, et en partie bio, afin de développer le réseau des producteurs autour du projet. J’habite la commune d’Anhée.

– Comment as-tu connu Nature & Progrès ?

C’est une association avec des valeurs proches des miennes, avec laquelle je partage beaucoup de choses… J’ai donc été amené, plusieurs fois, à croiser son chemin, lors de différentes activités auxquelles je m’intéressais. Et il se fait aussi que, durant un stage pendant mes études, je suis venu aux bureaux de Nature & Progrès pour visiter le jardin potager d’intégration et la librairie. Plus récemment j’ai rejoint le groupe de travail « céréales bio » du Réseau RADiS, ce qui constitue ma première réelle implication avec l’association. A force d’être en lien avec les activités de Nature & Progrès, je me suis dit qu’il était temps d’en devenir membre et donc je le suis officiellement depuis cette année. Ce qui me permet de recevoir la revue Valériane mais aussi de soutenir les actions de l’association, notamment le SPG qui m’intéresse beaucoup…

– Quel est, à l’heure actuelle, ton lien avec les producteurs bio de Nature & Progrès ?

Mon premier lien, c’est celui que j’ai en tant que consommateur. Avant de m’impliquer dans le cadre de mon travail, j’étais déjà proche de la consommation en circuit-court, notamment avec la Ferme de Stée ou la Ferme de la Sarthe, que je connais bien. En fait, en achetant des produits labellisés Nature & Progrès, il est devenu logique pour moi de m’intéresser au label et à ce qu’il veut dire. Plus récemment, j’ai élargi mes horizons, grâce à mon travail dans lequel je côtoie des producteurs Nature & Progrès investis dans le Comptoir paysan, comme Marc-André Hénin ou Thibault Goret. Du coup, j’ai aussi la chance de pouvoir acheter des fromages, de la viande, des bières d’autres producteurs labellisés.

– Que dirais-tu, aux citoyens lambdas, pour les motiver à aller chez des producteurs bio de Nature & Progrès ?

Je pense que le label permet de recréer du lien entre production et consommation, ce qui est fondamental car, dans notre société, on a complètement perdu cette connexion. C’est important de remettre l’humain au centre et donc de soutenir ceux qui le font. De plus, Nature & Progrès est, pour moi, un label de qualité avant tout, grâce à sa charte. Elle permet d’avoir une garantie basée sur une relation de confiance avec son producteur, grâce au SPG qui est différent d’un contrôle extérieur qui vérifie juste le respect de normes et où les artisans sont logés à la même enseigne que les industriels.

Le SPG de Nature & Progrès permet, quant à lui, de réfléchir ensemble, de rendre le consommateur acteur. Il ne doit pas simplement être au bout de la chaîne alimentaire et consommer passivement. Mais il doit prendre part au système et soutenir les producteurs qui œuvrent à cette transition agroécologique.

Vive les sentiers, vive les sentiers libres !

Sur fond de crise sanitaire, nos comportements de mobilité ont brutalement changé. Voies lentes, sentiers, chemins champêtres se doivent désormais d’être réhabilités. Pour nos loisirs mais aussi et surtout pour nos déplacements locaux, utiles et quotidiens. Avec la mobilité douce, la transition énergétique est… en marche ! Pedibus cum jambis !

Texte et photos de Marc Fasol

Introduction

Chacun aura pu le constater, l’année écoulée fut l’objet de nombreux changements dans notre façon de vivre, de se déplacer et de goûter aux choses simples. Un véritable regain d’intérêt s’est subitement manifesté pour la marche à pied, les promenades à vélo, les déplacements locaux et le tourisme de proximité. Nous avons encore tous en mémoire ces interminables colonnes de marcheurs dans les Hautes-Fagnes, lors des premières chutes de neige. Alors que la crise sanitaire nous fermait les frontières avec, à la clé, une interdiction de se rendre à l’étranger, aux sports d’hiver, les mesures sanitaires – confinement et déconfinement successifs – ont finis par nous envoyer tous promener.

La neige, c’est lumineux. On comprend dès lors pourquoi des gens, pour certains au chômage forcé depuis un an, enfermés comme des fous, se soient ainsi rués sur les grands espaces naturels ou en forêt de Saint-Hubert, explique un agent de la DNF, ce n’était pas seulement l’évasion, mais aussi pour nous, l’invasion. Une situation ingérable sur une superficie aussi restreinte. Les pouvoirs publics se sont vus contraints de multiplier les interdictions jusqu’à envoyer des hélicoptères pour refouler les promeneurs. Du jamais vu ! On s’est aussi rendu compte que la demande de pouvoir circuler en forêt, en pleine nature était immense. Clairement, il y aura un avant et un après Covid

À propos de nos libertés sans cesse réduites, le philosophe Pierre Rabhi n’évoquait-il pas “la civilisation carcérale” ?

Passer en mode “mobilité douce”

De manière générale, c’est le tourisme local, et toute l’économie qui en dépend, qui devraient pouvoir en bénéficier. Une manière de relancer à terme des secteurs si durement touchés par la crise. Mais si la mobilité douce a connu de belles avancées, en Wallonie, ces dernières années, notamment au travers du réseau Ravel, et plus récemment encore, par l’irruption du réseau les points-nœuds – Wallonie picarde, Brabant wallon et cantons de l’Est -, ces carrefours numérotés auxquels nos voisins flamands et néerlandais sont familiarisés depuis bientôt une vingtaine d’années – knooppunten -, tout cela reste essentiellement des déplacements de loisirs.

Le nombre de kilomètres parcourus, à pied ou à vélo, par les Belges a beau augmenter, si les gens se rendent en voiture au départ des différents parcours pédestres ou cyclables, il n’est toujours pas question de comportements véritablement durables et d’alter-mobilité.

En politique, on parle énormément de plans de mobilité mais rarement des chemins et encore moins de sentiers”, déplore Marc Blondeel, très actif avec une poignée de riverains pour réhabiliter, dans son propre village, ces voiries alternatives. La population est, en effet, tout aussi demanderesse de mobilité douce pour ses déplacements quotidiens. A savoir les itinéraires empruntés pour se rendre aux différents lieux de vie sur de courtes distances, comme ceux pour aller chercher son pain le matin, faire ses courses au marché, promener son chien, se rendre à l’arrêt de bus, à la gare ou encore pour que les enfants puissent tout simplement se rendre à l’école en toute sécurité sans devoir passer par les cases “papa-taxi” et “école drive in”.

Jadis, ces chemins utilitaires étaient appelés “chemins de messe”. Les villageois ne prenaient pas leur voiture pour aller s’acheter un paquet de cigarettes. Ils se rendaient au magasin du village à pied. Il existait aussi des chemins inter-villages. Tout bon pour la santé ! La conservation du maillage de mobilité douce est pourtant cruciale pour les générations futures. Pour y travailler, l’association “Tous à pied” travaille, depuis quelques années, à développer la culture de la marche utilitaire, en accordant une attention particulière à la valorisation de ce genre de petites voiries publiques. S’arranger pour qu’elles soient accessibles à tous, les rendre agréables à emprunter et, à terme, inciter les concitoyens à changer leurs habitudes de mobilité… Tout un programme !

Le nouveau décret, adopté par le Parlement wallon en février 2014, a justement pour but de préserver « l’intégrité, la viabilité et l’accessibilité des voiries communales« , ainsi que d’améliorer leur maillage. Il tend aussi, selon les modalités que le Gouvernement fixe, et en concertation avec l’ensemble des administrations et acteurs concernés, à ce que les communes « actualisent leur réseau de voiries communales« . Il n’existe plus désormais qu’un seul régime juridique et un seul type de voiries : la voirie communale. La loi antérieure étant abrogée par le même décret. A noter que le nouveau texte instaure également un système d’infraction en la matière, avec possibilité de lever des sanctions.

Entré en vigueur le 1er avril 2014, l’Atlas des voiries communales remplace l’ancien Atlas des chemins vicinaux qui datait de… 1841 ! Dans ce document, on retrouvera les plans des voiries communales, leur description, ainsi que toutes les décisions administratives et juridictionnelles les concernant. Grande simplification : la gestion des voiries communales incombe désormais à la commune.

Redécouvrir son quartier, son village…

Le moyen le plus efficace de protéger tous ces petites voiries publiques reste évidemment de pouvoir les utiliser afin d’éviter qu’ils ne disparaissent progressivement sous les ronces. Mais voilà, depuis que la société est passée au tout à la voiture, beaucoup de nos anciens chemins et sentiers ont disparu sur la pointe des pieds. Presque toujours de manière illégale ! Ici, les agriculteurs les ont grignotés voire labourés, ailleurs d’indélicats propriétaires les ont clôturés, quand tout n’est pas sciemment organisé pour essayer de dissuader le passage. D’autres encore ont tout simplement été asphaltés…

L’usage des sentiers et chemins, tel qu’il figure dans le nouveau décret entré en vigueur le 1er avril 2014, est pourtant clair : il correspond à un « passage continu, non interrompu et non équivoque, à des fins de circulation publique ». Il ne s’agit donc pas d’une simple tolérance du propriétaire, au cas où l’assiette du chemin en question serait privée.

Hélas, certains ne le voient pas toujours d’un bon œil et croient qu’on veut embêter les propriétaires. On nous voit comme des éléments perturbateurs”, regrettent les membres de l’association locale “Sentiers libres”. Notons encore que le procédé d’appropriation d’un sentier ou d’un chemin, appelé “prescription trentenaire extinctive”, n’existe plus depuis le 1er septembre 2012. “Lors des démarches entreprises pour réhabiliter car il s’agit bien de “réhabiliter” l’utilisation des chemins et non de les “ouvrir”, comme le prétendent certains propriétaires de mauvaise foi –, on essaie, dans la plupart des cas, de trouver des solutions à l’amiable : tourniquets, chicanes, potelets, échaliers ou encore barrières ouvrables sont des aménagements permettant de limiter le passage aux utilisateurs non motorisés”. Par ailleurs, le balisage est, quant à lui, dûment normalisé par la réglementation – couleurs et formes -, en fonction du type d’utilisateurs : piétons, cavaliers, vélos, fondeurs, etc.

Chaque année, en octobre, une grande opération de sensibilisation est organisée par l’association “Tous à pied”. “La Semaine des Sentiers” offre la possibilité non seulement de protéger le réseau de voies lentes, de les restaurer, mais aussi de les valoriser aux yeux des riverains et donc de les faire (re)-connaître du grand public. Rien de tel que la marche pour découvrir sa région, le patrimoine local, la nature et, chemin faisant,… de se refaire une santé.

“Tous à pied”, mode d’emploi

Si votre ville ou votre commune, consciente de l’intérêt de la mobilité douce, souhaite recevoir de l’aide et offrir à ses habitants la possibilité de se déplacer autrement, de développer un réseau adapté aux déplacements doux, une expertise préalable est nécessaire. Celle-ci peut cependant s’avérer lourde et particulièrement complexe. Et donc nécessiter de l’aide. Comment procéder ?

– Etape 1 : sur demande, l’association élabore d’abord un inventaire de droit et de fait. Idéalement, cette démarche doit être faite par les citoyens bénévoles, histoire de les impliquer au maximum ;

– Etape 2 : on passe à l’étape suivante : la conception d’un maillage structuré pour relier les villages et les quartiers entre eux, mais aussi les pôles principaux entre eux : arrêts TEC, gare, administration communale, écoles, sites touristiques, syndicats d’initiative, etc.

– Etape 3 : la dernière étape consiste à cartographier et à baliser. La signalisation assure la visibilité et la promotion du réseau.

Basket d’or

Depuis quelques années, les initiatives remarquables sont régulièrement récompensées. Ainsi, en 2013, la ville de Chaudfontaine avait reçu une mention spéciale du jury lors de l’élection de la commune la plus durable de Belgique. Et ce, notamment, parce qu’elle avait développé un réseau de mobilité douce entre les différents villages de l’entité.

En 2020, quarante-huit communes de Wallonie ont, par ailleurs, reçu le label “Commune pédestre”, accumulant le nombre de baskets un peu comme les étoiles en restauration. Elles y sont arrivées en valorisant leur réseau de petites voiries par des actions favorables à la mobilité active, alternative à la voiture : inventaire, balisage, création d’une Commission sentiers, etc.

En 2020 encore, le “Prix de la Basket d’Or” est ainsi revenu à la commune de Namur, notamment parce qu’elle a investi dans une passerelle cyclo-piétonne : l’Enjambée. L’endroit porte bien son nom pour les pedibus : Jambes !

Adresses utiles :

– “Tous à Pied”
Élise Poskin – elise.poskin@tousapied.be081/39.07.13
Boris Nasdrovisky – boris.nasdrovisky@tousapied.be081/39.08.11

– “Géoportail de la Wallonie, le site de l’information géographique wallonne”
Pour connaître l’histoire d’un chemin, en remontant le temps, sur WalOnMap, vous trouverez toute la Wallonie en carte, de 1777 – les cartes de Ferraris – à nos jours – photos satellites. Cliquez sur “Voyage dans le temps” et encodez une adresse. Ludique et fabuleux !
https://geoportail.wallonie.be/walonmap#BBOX=

La méthode Lemaire-Boucher

Dans les coulisses d’une mise en pratique précoce de l’agriculture biologique

A travers cette analyse, nous nous proposons d’approfondir ce que fut la première mise en pratique, à grande échelle, de l’agriculture biologique, en France. En 1963, Raoul Lemaire et Jean Boucher associent leurs efforts pour donner naissance à la « méthode agrobiologique Lemaire-Boucher« , méthode agricole qui sera pratiquée par plusieurs centaines d’agriculteurs, dès la fin des années soixante… Connaître son histoire et ses racines, on ne le dira jamais assez, contribue sans aucun doute à mieux se connaître soi-même car Nature & Progrès prit son essor notamment en réaction à cette initiative… Décryptage.

Par Florian Rouzioux

nouveaux ogm non à la déréglementation
Introduction

Né dans le nord de la France dans une famille de négociants, Raoul Lemaire (1884-1972) réussit à se faire une place dans le marché des semences de blé durant les années 1920. En tant que sélectionneur, il effectue des hybridations de blés dans le but d’obtenir des blés de force – catégorie de blé exceptionnellement riche en protéines et destinée à la fabrication de farines panifiables – à une période où ces derniers sont importés du Canada. Plusieurs des blés Lemaire s’avèrent même supérieurs au grand blé de force canadien de l’époque, le Manitoba. Le succès de ses expériences lui vaut d’être nommé officier du mérite agricole en 1932. Alors que la France est envahie par l’armée allemande, en 1940, il se résout à quitter le nord de la France pour l’Ouest. Il finit par créer une nouvelle affaire commerciale, le Service de Vente de Blés Lemaire – que nous nommerons société Lemaire -, à Angers, en 1946. Néanmoins, ses affaires sont moins florissantes qu’avant-guerre. Ses initiatives commerciales sont davantage gênées par les services d’homologation et par l’organisme national en charge de la régulation des céréales. Convaincu que l’État français mène une politique trop dirigiste qui freine des initiatives profitables, il décide de s’engager vigoureusement dans le syndicalisme agricole, dans sa branche la plus conservatrice. Ce combat l’amène d’ailleurs en politique : aux élections législatives de 1956, puis de nouveau à celles de 1958, il fait campagne en portant la bannière du mouvement poujadiste (1). Ne parvenant pas à être élu, il décide de se consacrer à nouveau à ses affaires.

Les excès de la chimie agricole

Cependant, les variétés de blés de force ne lui paraissent plus être un objectif suffisamment satisfaisant et il voudrait s’engager dans une nouvelle voie conforme à ses nouvelles convictions. Il pense que la chimie agricole est devenue une pratique excessive qui nuit à la santé des élevages comme à la santé des consommateurs. Au milieu des années 1950, il a été alerté par les nombreuses épidémies de fièvres aphteuses et de tuberculose qui ont touché les cheptels bovins français. C’est dans ce contexte épidémique qu’il commence à étudier les propriétés du maërl, un dépôt littoral formé de sable coquillé et de débris de lithothamne – une algue calcaire riche en magnésium. Le maërl est alors employé comme amendement organique sur les pâturages bretons. Raoul Lemaire est marqué par un rapport vétérinaire qui conclut que les apports en magnésium et en oligo-éléments du lithothamne ont permis aux troupeaux bretons de passer au travers de l’épidémie de fièvre aphteuse. De plus, cette conclusion semble confirmer les recherches de Pierre Delbet, un médecin dont les travaux sur les vertus immunitaires du magnésium ont déjà retenu l’attention de Raoul Lemaire.

Ecoutant son intuition, Raoul Lemaire ambitionne de creuser davantage cette piste du lithothamne. Il souhaiterait mettre son pied une méthode agricole « naturelle », entendue au sens de méthode n’employant aucun fertilisant ni pesticide de synthèse, basée sur l’amendement des terres au lithothamne. Si ses essais de culture du blé sont concluants, cette méthode permettrait de commercialiser en bout de chaîne un blé naturel – l’expression « blé biologique » apparaîtra un peu plus tard. En définitive, cette nouvelle méthode présenterait l’avantage, pour Raoul Lemaire, de combattre les méthodes agrochimiques, tout en continuant de valoriser ses semences de blés à haut rendement qui ont fait son succès en tant que sélectionneur. En 1959, Raoul Lemaire entre en contact avec un industriel breton producteur de lithothamne, puis s’associe avec les moines de l’abbaye de Bellefontaine pour réaliser ses premiers essais de culture céréalière…

Jean Boucher, premières convictions, premières déconvenues…

Ingénieur horticole à la suite de ses études à l’École Nationale d’Horticulture de Versailles, Jean Boucher (1915-2009) est de trente ans plus jeune que Raoul Lemaire ! Durant la Seconde Guerre mondiale, il travaille au sein d’une équipe de botanistes sur l’introduction en France de différentes variétés de soja. Au lendemain de la guerre, il entre au Service de la Protection des Végétaux de Nantes où il prend part à l’expérimentation des pesticides organiques de synthèse qui viennent de faire leur entrée sur le marché agricole. Il s’avoue au départ conquis par ces nouveaux produits qui semblent prouver leur efficacité. Cependant, il est témoin d’une première déconvenue, en 1947. Alors que des vergers sont traités au DDT (2), des araignées rouges envahissent tout de même les pommiers. Il en conclut que les insecticides ne sont peut-être pas une solution miracle et cette expérience est le point de départ à son scepticisme vis-à-vis de la chimie agricole. Selon toute vraisemblance, il participe, l’année suivante, aux journées de l’humus à Paris, évènement organisé par l’association « l’Homme et le Sol ». L’évènement a pour but d’inviter les chercheurs conviés à développer les études consacrées à la pédologie et, plus spécifiquement, à la microbiologie du sol. De retour à Nantes, Jean Boucher lance une expérimentation sur le compostage de fumiers de bovins du marais vendéen pour remplacer les fumiers équins. Par cette initiative, il tente de parer l’extension des maladies des cultures légumières nantaises qui se développent depuis une décennie. Dans cette démarche, il est guidé par les travaux d’un chercheur de l’Institut Pasteur, Jacques Pochon, spécialisé dans la microbiologie des sols. Il en arrive à la conclusion que le but d’un cultivateur doit être, avant toute autre chose, de favoriser le développement de l’activité microbienne du sol dans le respect des équilibres biologiques.

Pour développer ses arguments sur les limites des traitements phytosanitaires, Jean Boucher se sert de plusieurs revues horticoles comme d’une tribune. Il y prône sa vision d’une bonne « hygiène générale des sols » pour prémunir les cultures du parasitisme et développer l’immunité naturelle des plantes. En 1956, il rejoint l’Association Française pour la Recherche d’une Alimentation Normale (AFRAN), une organisation menée par des médecins nutritionnistes qui popularisent l’expression « agriculture biologique » (3). Les alertes sanitaires, relayées par les revues de l’AFRAN, poussent bientôt des agriculteurs et sympathisants de la région nantaise à s’associer dans le cadre d’un groupement. En avril 1958, le Groupement d’Agriculture Biologique de l’Ouest (GABO) prend forme. Les membres se donnent pour objectif d’expérimenter et de promouvoir les méthodes agricoles alternatives à la chimie agricole. Jean Boucher est tout de suite très impliqué dans cette initiative et joue rapidement le rôle de conseiller technique.

Comme ses idées vont de plus en plus à rebours des orientations agrochimiques qui s’imposent dans la protection des végétaux, Jean Boucher finit par entrer en conflit avec son supérieur au sein du Service de protection des végétaux de Nantes. Convoqué devant un conseil de discipline, sa hiérarchie décide de l’écarter en l’envoyant dans l’antenne de Bordeaux. Finalement, il prend la décision de démissionner, en 1959. Dès lors, il décide de se consacrer pleinement à la dynamique du GABO. Son expertise dans les aspects phytosanitaires, son enthousiasme et ses compétences en coordination lui valent bientôt la place de secrétaire de l’association.

Naissance de la méthode agrobiologique Lemaire-Boucher

Nous sommes donc en 1959. Agé de septante-cinq ans, Raoul Lemaire est persuadé que le développement d’une agriculture plus naturelle n’est pas un espoir vain. Il compte mettre toute son énergie dans son nouveau projet : développer l’emploi du lithothamne en agriculture en remplacement des fertilisants et pesticides de synthèse. Dans cet objectif, il se rapproche des animateurs du GABO pour avoir des retours et trouver d’éventuels cultivateurs qui seraient prêt à effectuer des essais de culture. C’est alors qu’il fait la connaissance de Jean Boucher. Après une première rencontre, Raoul Lemaire ne tarit pas d’éloge au sujet de cet homme qu’il dit admirer pour sa combativité à l’égard des « trusts de produits chimiques » (4). Les deux hommes sont occasionnellement amenés à se croiser, voire à s’épauler, lors de conférences organisées devant des agriculteurs, dans des salles communales. Bientôt, ils partagent la conviction qu’il devient impérieux de créer un label commercial pour distinguer, sur le marché des produits alimentaires, les produits issus d’une pratique agricole qui exclut les engrais et les pesticides de synthèse. Une des maximes favorites de Raoul Lemaire est révélatrice de cette ambition : « il n’y a pas de réalisation sans commercialisation ».

Aidé de ses fils, Jean-François et Pierre-Bernard, Raoul Lemaire débute la commercialisation du lithothamne – sous la forme maërl -, en 1960, en tant que revendeur. Deux ans plus tard, la société Lemaire se met à vendre du lithothamne sous sa propre marque, Calmagol (5). Le produit est commercialisé pour deux principaux usages. Le paysan qui s’en procure peut à la fois amender sa terre – « dynamiser et protéger ses plantes » – et fournir, à ses animaux, un complément alimentaire sain (6).

L’idée générale de Raoul Lemaire est de se servir des recettes réalisées par les ventes du lithothamne pour ensuite mettre sur pied un circuit commercial de blé biologique. La société Lemaire proposerait à des agriculteurs sous contrat un approvisionnement en semences de blés Lemaire. Les agriculteurs seraient tenus d’utiliser le Calmagol en complément de leur fumure organique, sans avoir recours au moindre intrant chimique pour la culture des céréales. La société rachèterait ensuite la totalité des blés récoltés pour produire des farines biologiques sous marque « Lemaire ». Convaincu du bien-fondé des initiatives commerciales proposées par la société Lemaire, Jean Boucher accepte de rejoindre l’équipe et devient, au début du mois d’août 1963, le conseiller agronomique de la société Lemaire. Désormais officiellement associés, Raoul Lemaire et Jean Boucher inaugurent rapidement un procédé agricole normé qui prend le nom de « méthode agrobiologique Lemaire-Boucher ». Un premier livre est édité, en 1964, pour en faire la promotion.

Les quatre atouts maîtres de la culture biologique !

La méthode agrobiologique Lemaire-Boucher est principalement destinée aux agriculteurs en polyculture-élevage, alors très nombreux dans l’Ouest de la France. Elle se définit comme la synthèse de quatre principes que Jean Boucher nomme les « quatre atouts maîtres de la culture biologique », dans son Précis d’agriculture biologique. Deux principes sont issus des recherches de Raoul Lemaire : la culture des blés de force Lemaire à hauts rendements et l’utilisation du lithothamne en guise d’amendement naturel. Les deux autres principes sont, quant à eux, portés et documentés par Jean Boucher : le compostage de la fumure organique et la culture de légumineuses associées aux céréales.

En ce qui concerne le compostage de la fumure organique, Jean Boucher s’appuie largement sur les théories d’Ehrenfried Pfeiffer et sur sa méthode biodynamique qui demeure encore largement méconnue en France. L’originalité vis-à-vis du compostage selon Pfeiffer provient de l’ajout de lithothamne dans le processus de compostage. Pour favoriser la santé de son bétail et obtenir un fumier équilibré, l’agriculteur est invité à poudrer les litières des animaux avec du lithothamne – à raison d’un kilo de lithothamne pour quatre-vingts kilos de paille – et à attendre un minimum de quinze jours avant de récolter la litière de paille afin que celle-ci ait été suffisamment ramollie par les animaux. Récolté, le fumier de stabulation doit ensuite être broyé, par l’action d’un épandeur, de façon à former un tas longitudinal de section triangulaire. On procède comme dans la méthode de Pfeiffer à un recouvrement du tas par une fine couche de terre, le manteau de terre jouant un rôle de « levain bactérien ». Toutefois, Jean Boucher précise que la couche de terre n’est pas rigoureusement indispensable. Dans tous les cas, le tas de fumier est recouvert d’une épaisse couche de paille ou de déchets végétaux pour former un écran protecteur contre le vent et le soleil. En définitive, la phase de fermentation doit durer idéalement une quinzaine de jours pour que le fumier composté soit devenu un véritable engrais organique prêt à être épandu.

Légumineuses et céréales

Le quatrième principe de la méthode réside dans la culture des légumineuses associées à la culture des céréales. C’est d’ailleurs l’une des principales innovations à avoir été portée et valorisée par les adeptes de l’agriculture biologique, dès les années 1960. Jean Boucher insiste sur le fait que les associations végétales sont très importantes, en raison de la présence, dans un milieu végétal équilibré, d’espèces auxiliaires antagonistes – coccinelles, collemboles – des animaux parasites des cultures. En d’autres termes, l’association des légumineuses aux céréales est le meilleur « traitement préventif » qui vaille pour garantir la santé des céréales (7). Il prévient toutefois qu’a contrario de la culture en terre nue, l’agriculteur doit veiller à une préparation scrupuleuse du terrain. En définitive, la culture des légumineuses associées permet à l’agriculteur de faire l’impasse sur l’épandage d’engrais azotés synthétiques, le couvert végétal de la légumineuse permettant la fixation naturelle de l’azote à la surface d’un sol riche en micro-organismes. Néanmoins, l’apport d’une fumure phosphatée substantielle demeurant nécessaire, il est recommandé d’utiliser en complément le Calmagol P, une poudre de lithothamne enrichie de phosphate naturel. Nous verrons, dans la seconde partie de l’article, que cette recommandation n’est pas sans inconvénients…

Dans les paragraphes précédents, nous avions déjà présenté les caractéristiques des blés Lemaire et du lithothamne. Le lithothamne étant sans conteste le cœur de la méthode Lemaire-Boucher, ajoutons tout de même quelques précisions concernant sa production. Pêché vivant au large de l’Océan Atlantique, à proximité des îles Glénan en Bretagne, le lithothamne subit un séchage dans un hangar avant d’être réduit en une fine poudre (8). Face à la croissance des ventes, le fournisseur de lithothamne de la société Lemaire finit par se retrouver dans l’incapacité d’honorer les commandes. Pour assurer un approvisionnement constant de Calmagol à leurs clients agriculteurs, les fils de Raoul Lemaire décident finalement de créer leur propre usine de production, en 1968.

Réussites commerciales

En 1968, Raoul Lemaire laisse les rênes de la société à ses deux fils, Jean-François et Pierre-Bernard. Les bénéfices retirés de la vente du Calmagol permettent à la société d’envisager un plus grand essor de la méthode agrobiologique Lemaire-Boucher. Les principaux collaborateurs s’installent dans des nouveaux locaux plus spacieux, dans la banlieue d’Angers, à Saint-Sylvain d’Anjou… Des cours agrobiologiques par correspondance sont alors mis en place, ainsi qu’un service de conseil agronomique. En 1970, les dirigeants font le pari de tenir trois stands au Salon international de l’Agriculture de Paris. Pour la première fois représentée, l’agriculture biologique ne manque pas de susciter l’hostilité des groupes agrochimiques présents sur le salon !

En quelques années, la société Lemaire a su solidement organiser toute une chaine de production – semences, blé, farine, pain biologique -, en intégrant par contrat les agriculteurs, les stockeurs de blé, les minotiers et les boulangers. La société Lemaire fournit les semences aux agriculteurs sous contrat puis achète le blé récolté en leur assurant une prime qui représente 20 à 25 % par rapport au prix courant de rachat du quintal. Ensuite, le stockage du blé Lemaire est assuré sans pesticides. La société délègue la fabrication des farines Lemaire à des minoteries équipées de meules de pierre. A la suite de la création de la Société de Diffusion des Produits Lemaire – une des filiales de la société -, les Lemaire lancent la commercialisation de leur propre gamme de produits biologiques. Produit phare, le pain biologique Lemaire est lancé durant l’été 1964. Dix ans plus tard, ce sont mille boulangers répartis sur toute la France qui façonnent ce pain à partir des farines Lemaire (9).

Afin de dynamiser les échanges commerciaux dans le marché émergent des produits biologiques et de valoriser l’ensemble des acteurs qui font le choix de se lancer dans ce marché – fournisseurs d’intrants naturels, agrobiologistes, transformateurs, distributeurs -, les Lemaire décident de publier le Répertoire International Lemaire (RIL). Le RIL répertorie l’ensemble des acteurs engagés par contrat avec la société Lemaire. A ce titre, la direction considère le RIL comme un « véritable Bottin des échanges biologiques » (10). Finalement, sur les deux mille producteurs se référant à un cahier des charges d’agriculture biologique, treize cents se réfèrent à celui de la société Lemaire (11). Après dix ans d’existence, la méthode Lemaire-Boucher accompagne plus de la moitié des agriculteurs engagés dans l’agriculture biologique en France. Elle est aussi présente en Belgique grâce aux efforts d’un représentant de la société qui fait la promotion de la méthode dans le Namurois, Jean de Pierpont.

Les fragilités scientifiques de la méthode

Dans son ouvrage focalisé sur l’agriculture biologique – le Précis de culture biologique que nous avions déjà présenté dans la première partie de l’article -, Jean Boucher évoque les références scientifiques qui ont influencé la naissance de la méthode Lemaire-Boucher. Au premier rang figure Claude Bernard – fondateur de la médecine expérimentale – pour ses travaux sur l’immunité naturelle, Louis Pasteur – microbiologiste bien connu – pour ses travaux sur la dissymétrie moléculaire, René Quinton – biologiste – pour ses travaux sur propriétés de l’eau de mer et Pierre Delbet – médecin – pour ses travaux sur le magnésium (12). Néanmoins, le fait est qu’au début des années soixante, les quatre scientifiques précités ont disparu. Il appartient donc à Raoul Lemaire et à Jean Boucher de trouver des cautions scientifiques contemporaines pour donner à la méthode plus de notoriété scientifique. C’est dans ce contexte qu’ils entrent en relation avec Corentin Kervran, en 1963. Essayiste quimpérois, Corentin Kervran vient alors de publier Transmutations biologiques (13), un livre qui présente une nouvelle hypothèse scientifique visant à éclairer des phénomènes physiques jusque-là inexplicables (14). Il a nommé ces dernières, les « transmutations biologiques ». En définitive, les travaux de Kervran attribuent à la terre, matière vivante, un rôle naturellement régénérateur. Raoul Lemaire et Jean Boucher s’avèrent séduits par cette théorie car elle expliquerait pourquoi le lithothamne contribue à cette régénération du sol.

Le parrainage scientifique de Corentin Kervran est visible dans Agriculture et Vie. Le journal lui fait une publicité inespérée alors qu’il peine à faire reconnaitre sa théorie par ses pairs, tant celle-ci est à contre-courant de la science officielle (15). Les transmutations biologiques vont finalement nuire à la crédibilité scientifique de la méthode Lemaire-Boucher. Elle rencontre la désapprobation de la grande institution agronomique officielle, l’Institut National de Recherche Agronomique (INRA). Un assistant de l’INRA rédige un rapport à charge contre les arguments scientifiques tenus par Jean Boucher dans son Précis de culture biologique (16). En conséquence, les justifications scientifiques présentées par Jean Boucher font ainsi naître une très vive polémique contre-productive qui perdure durablement entre l’INRA et la société Lemaire. En outre, la théorie de Kervran est réfutée par la communauté scientifique, par la suite.

Cependant, tous les membres de l’INRA ne se prononcent pas unanimement en défaveur de la culture biologique. Membre de l’INRA, Francis Chaboussou reconnait, dès les années septante, que la culture biologique et ses premières propositions – apports d’amendements calcaire et oligo-éléments, rotation des cultures, polyculture, culture de légumineuses, compostage, stimulation des micro-organismes du sol – ouvrent une voie féconde de recherches.

Une méthode qui fait polémique au sein du mouvement biologique

Au sein du mouvement pour l’agriculture biologique, l’efficacité de la méthode Lemaire-Boucher pose, dans le même temps, de grandes interrogations. Pour André Louis, agronome et fondateur de Nature & Progrès, en mars 1964, Jean Boucher a tort de faire du lithothamne une « panacée universelle », un remède miracle qui garantit la régénération du sol. Il ajoute qu’à cause de son caractère de « notice de propagande », l’ouvrage de Jean Boucher perd beaucoup de sérieux (17). C’est d’ailleurs en raison de la trop grande emprise des activités commerciales sur l’Association Française d’Agriculture Biologique, qu’André Louis et Mattéo Tavera ont pris le parti de se retirer de l’AFAB pour fonder une association sans attache commerciale. Il faut aussi ajouter que les conceptions idéologiques de Jean Boucher ont joué un rôle déterminant dans la prise de recul des fondateurs de Nature & Progrès de l’AFAB. En effet, dans sa correspondance André Louis lui reproche son intransigeance et son goût pour des interprétations idéologiques sectaires (18). Dans les rangs de Nature & Progrès, on se prononce très clairement contre le « matraquage » publicitaire au profit du Calmagol, dans Agriculture et Vie. Gêné par les arguments commerciaux et scientifiques de Raoul Lemaire et de Jean Boucher, André Louis préfère d’ailleurs orienter les agrobiologistes qu’il conseille sur le plan agronomique vers d’autres fournisseurs n’ayant pas décidé d’en faire un quelconque standard de l’agriculture biologique.

Le nœud du problème de la méthode Lemaire-Boucher réside, en effet, dans la non prise en compte des caractéristiques du sol. Amendement calcaire, le Calmagol échoue sur les terres déjà calcaires. A cause de certaines approximations agronomiques qui caractérisent les débuts de la méthode, les rendements baissent couramment de 30%, lors de la reconversion. Il faut ajouter à cela une certaine approximation dans la maîtrise du compostage. Les producteurs laissent malencontreusement des fermentations alcooliques se produire dans le compost ce qui nuit, en conséquence, à son efficacité. Dans une correspondance, André Louis va jusqu’à déplorer que des producteurs se trouvent ruinés et dégoutés à tout jamais de la culture biologique à cause de la méthode Lemaire-Boucher. Si le lithothamne peut parfois être un fertilisant de grande valeur, il n’est pas la solution universelle espérée de tout cœur par Raoul Lemaire (19). De nos jours, cette algue est surtout utilisée comme médecine douce pour sa capacité à assurer l’équilibre acido-basique de l’organisme. Pour cette raison, le lithothamne demeure utilisé comme complément alimentaire du bétail.

Le déclin de la méthode

Le fossé entre les agrobiologistes pro et anti Lemaire-Boucher se creuse d’autant plus lorsqu’un ancien agent bien connu de la société Lemaire, George Racineux, rentre en confrontation avec Jean-François et Pierre-Bernard Lemaire. Agent de la société Lemaire depuis 1960, George Racineux accuse la société Lemaire d’engendrer trop de profit sur le dos d’agriculteurs prisonniers d’un système de commerce intégré qui ne leur est pas suffisamment profitable. Licencié de la société et démis de ses fonctions de secrétaire de la fédération des syndicats proches de la société, il décide de créer sa propre organisation (UFAB) et son propre cahier des charges à partir du réseau de producteurs qu’il a tissé en tant qu’agent Lemaire.

Le premier artisan de la méthode, Raoul Lemaire, s’éteint en 1972 à l’âge de quatre-vingt-huit ans. Avec son décès, la méthode perd un ambassadeur de poids. Cependant, la mémoire de son franc-parler est particulièrement cultivée dans Agriculture et Vie qui devient une revue trimestrielle. On reproduit ses vœux et ses prises de positions pour perpétuer son souvenir. Finalement, au milieu des années septante, Jean Boucher finit par prendre ses distances avec les fils Lemaire pour tenter de relancer l’AFAB.

Au sein de la société Lemaire, Henri Quiquandon – docteur et directeur du service vétérinaire et d’élevage biologique – fait bouger les lignes. Il est engagé dans le pilotage d’un comité d’études technique qui prend le nom de CONETAB, en 1976. On appelle désormais les producteurs à procéder à une « fertilisation biologique adaptée aux propriétés chimiques, physiques et biologiques du sol » (20). A la différence de Jean Boucher, Henri Quiquandon est une figure de l’agrobiologie appréciée des animateurs de Nature & Progrès. On reproduit certains de ses articles dans la revue Nature & Progrès, on l’invite à participer aux congrès de l’association et on fait la promotion des produits vétérinaires à base d’essences aromatiques naturelles qu’il met au point.

Dans le duel symbolique qui l’oppose, depuis 1964, à l’association Nature & Progrès, la société Lemaire finit par perdre du terrain. D’abord sur le plan idéologique. Dans les années septante, le corporatisme paysan à tendance conservatrice et nationaliste, tel qu’il est défendu par les syndicats du courant Lemaire marque le pas. La critique d’un système économique productiviste destructeur des liens sociaux et de l’environnement se développe avec plus d’efficacité dans les rangs de la gauche radicale. Les figures scientifiques controversées (21) mobilisées par les premiers chefs de files du mouvement biologique cèdent la place à des figures du mouvement écologique naissant. Le respect de la nature – au sens des écosystèmes – devient le cœur de l’agriculture biologique. Les néoruraux et consommateurs citadins se reconnaissent davantage dans les colonnes de Nature & Progrès. Même du côté des producteurs, le réseau Lemaire ne paraît plus aussi dominant qu’auparavant. En 1976, mille quatre cents agriculteurs se réfèrent au cahier des charges Lemaire quand huit cent quarante se réfèrent au cahier des charges de Nature & Progrès.

Finalement, le nom de Boucher n’est plus aussi incontournable dans le courant Lemaire, si l’on s’en tient à la promotion qui est faite de la méthode au sein d’Agriculture et Vie. Dans le numéro qui paraît en juillet 1980, l’encart qui présentait jadis les « produits agréés de la méthode Lemaire-Boucher » devient un encart présentant les « produits agrées de la méthode agrobiologique Lemaire » (22). La fin de la collaboration entre la maison Lemaire et Jean Boucher est alors suffisamment entérinée. Au début des années quatre-vingt, la société Lemaire connait des problèmes financiers qui ont pour conséquence une restructuration complète de ses nombreuses filiales. Elle prend de nom de Lemaire SA. Par ailleurs, Pierre-Bernard, co-gérant de la société, décède subitement. Malgré les restructurations, la société peine à augmenter sa base d’agriculteurs sous contrat. Jean-François Lemaire décide de rejoindre le groupe Carnot, avant de prendre sa retraite en 1993.

Conclusion

En une vingtaine d’années d’existence, la méthode agrobiologique Lemaire-Boucher aura marqué les débuts de la culture biologique, avec son circuit semence-blé-farine-pain. Avec ces multiples initiatives commerciales – ambitieuses pour les uns, maladroites pour les autres -, la société Lemaire contribue quoi qu’il en soit à l’émergence et à la structuration du marché des produits biologiques en France, aux côtés des magasins diététiques tels que les magasins Maison de la Vie Claire. Chef d’orchestre d’un réseau comprenant quantité d’acteurs – agrobiologistes, stockeurs de blé, minotiers et boulangers -, la société Lemaire aura été beaucoup décriée pour son système intégré. On reprocha au duo Lemaire-Boucher les promesses faites aux agriculteurs sur l’efficacité quasi miraculeuse du Calmagol, mais également le fait qu’ils aient accordé un crédit démesuré à une hypothèse scientifique, le tout finissant par nuire durablement à l’essor de la méthode.

En outre, la nostalgie marquée de Raoul Lemaire et de Jean Boucher pour une France paysanne et chrétienne a très certainement joué dans l’effacement progressif de leur mémoire dans le mouvement bio. Aussi, une question reste en suspens : leur engagement en faveur d’une agriculture biologique très codifiée a-t-il davantage servi, ou au contraire davantage desservi, le développement du mouvement bio français ? La réponse à cette question est loin d’être évidente…

Notes

(1) Mouvement politique antifiscal et antiparlementaire qui a marqué la vie politique française de 1953 à 1958.

(2) Synthétisé en 1874 par un chimiste autrichien, le DDT (dichloro-diphényle-trichloro-éthane) est un pesticide chimique organochloré incolore utilisé comme insecticide à partir de 1939.

(3) Il se trouve que l’expression « agriculture biologique » est employée dans les revues éditées par l’AFRAN au milieu des années cinquante.

(4) Archives Patrimoniales d’Angers, 42 J 186, Lettre de Raoul Lemaire à M. de Gastines, 17 novembre 1959.

(5) Cal pour Calcium, Mag pour Magnésium, Ol pour oligo-éléments.

(6) Dans les prospectus commerciaux, on annonce que l’algue possède des propriétés antivirales qui en font un excellent activateur microbien capable de prémunir les cheptels de la fièvre aphteuse.

(7) Il précise qu’hormis la luzerne – qui sera réservé pour le couvert végétal d’hiver -, tous les trèfles – blanc nain, minette, lotier, etc. – peuvent être associés aux céréales durant le printemps.

(8) Pour qu’il soit suffisamment soluble dans la terre qu’il viendra amender, le lithothamne doit subir une délicate opération industrielle, la micro-pulvérisation.

(9) Dans le contrat, il est aussi stipulé que le boulanger doit utiliser du levain, du sel marin et un four qui ne soit pas alimenté au mazout pour la cuisson.

(10) La première édition du RIL (avril 1974) est diffusée à cinquante mille exemplaires. Il répertorie alors trois cent quinze agrobiologistes, en majorité situés dans l’ouest de la France et dans la vallée du Rhône.

(11) Chiffre valant pour l’année 1974. Jeanne-Marie Viel, L’Agriculture biologique : une réponse ?, 1979.

(12) Les théories scientifiques d’Ehrenfried Pfeiffer – ingénieur allemand fondateur de la biodynamie – et d’Albert Howard – botaniste anglais fondateur de l’agriculture organique – sont également mentionnées.

(13) Corentin Kervran, Transmutations biologiques : métabolismes aberrants de l’azote, le potassium et le magnésium, Paris, Maloine, 1962.

(14) En physique, la transmutation nucléaire désigne la transformation d’un élément chimique en un autre élément par une modification du noyau atomique de l’élément. Cette transformation est artificielle. La théorie scientifique de Kervran est que la Nature effectue, elle-aussi, des transmutations d’éléments inexplicables par la physique nucléaire classique.

(15) Les travaux de Corentin Kervran sont alors considérés comme de la pseudo-science.

(16) Dans ce rapport, le chercheur de l’INRA affirme que Boucher ne raisonne pas de manière objective car il ne sait pas distinguer un principe d’une hypothèse. L’agriculture biologique : une doctrine scientifique ?, Yves Berthou, INRA, 1970.

(17) « Nous vous conseillons de lire« , André Louis, Nature et Progrès, Janvier-Mars 1965.

(18) Jean Boucher associe sa démarche professionnelle à une posture idéologique qui favorise la désunion des acteurs du mouvement. Par exemple, il affiche des positions anti-communistes et plaide pour la conservation d’un monde paysan fidèle à ses racines chrétiennes. C’est certainement une des raisons qui incite les fondateurs de Nature & Progrès à préciser, dans leur première revue, que leur organisation entend accueillir les adhérents quelles que soient leurs appartenances sociales, religieuses ou politiques.

(19) Lorsque qu’il présente le lithothamne, dans l’Encyclopédie permanente d’agriculture biologique, Claude Aubert explique que le lithothamne est incontestablement un fertilisant de grande valeur, mais déconseille son utilisation sur des sols à pH élevé – sols sur roche-mère calcaire. Il conseille l’emploi du lithothamne sur les sols acides – sols sur roches primaires et les terrains granitiques notamment.

(20) Les agriculteurs sont invités à effectuer des prélèvements de terre, à l’aide d’une sonde ou d’une tarière, et à expédier les échantillons au laboratoire d’analyse dans un bref délai. Agriculture et Vie, n°127, Janvier 1979.

(21) Le chirurgien Alexis Carrel (1873-1944) ou le docteur Paul Carton (1875-1947). Précisons que le discours politique de ces figures affiliées à la droite radicale était très loin de faire l’unanimité parmi les premiers chefs de file qui se contentaient, pour la majorité, de s’appuyer sur leurs arguments scientifiques.

(22) Agriculture et Vie, n°133, Juillet 1980.

Pourquoi tant de mépris à l’égard des insectes pollinisateurs ?

Au mieux pris à tort pour des abeilles ou parfois de dangereuses guêpes, les syrphes sont bien souvent inconnus aux bataillons. Dommage car ces petits insectes sont importants dans les écosystèmes mais ils peuvent également contribuer à faire le bonheur des jardiniers ! La pollinisation est essentielle dans la production de nos aliments mais ses acteurs sont souvent de parfaits anonymes. N’est-il pas temps de rendre à César… ?

Par Morgane Peyrot

Introduction

Depuis longtemps l’abeille domestique (Apis mellifera) jouit de sa renommée en tant que « super-pollinisateur » et, plus encore, avec la forte médiatisation de l’extinction massive des colonies durant ces vingt dernières années, notamment lors de la crise des néonicotinoïdes. Certainement pas à tort puisque l’usage des pesticides et autres produits phytosanitaires -encore loin d’être tombé en désuétude, affaiblit le système immunitaire des pauvres ouvrières et engendre, chaque année, un taux de mortalité hivernal exponentiel, encore de l’ordre de 30% durant la saison 2017-2018 (1). Un véritable génocide qu’il ne faut certes pas laisser passer mais qui a malheureusement contribué à évincer tout un pan de la riche biodiversité des insectes pollinisateurs…

Et cela ne doit pas continuer à faire résonner, dans nos esprits, l’idée que les habitantes de nos ruches sont les seuls insectes efficaces et indispensables pour assurer la pollinisation (2). Dans la nature, tout est question d’équilibre, et l’intégrité des écosystèmes dépend de l’interaction de multiples êtres vivants qui, chacun, ont leur importance. Les abeilles sauvages, par exemple, dont on dénombre trois cent septante espèces, rien qu’en Wallonie – et plus d’un millier en France ! -, sont souvent très spécialisées et nécessaires à de nombreuses plantes. Sans oublier les papillons, certains coléoptères, ou encore les méconnus et très étonnants syrphes. Ces drôles de mouches farceuses jouent pourtant un rôle essentiel dans la nature par leur activité de pollinisateurs. Et ils vous réservent également d’autres surprises !

A la rencontre des syrphes

Que sont les syrphes et comment les reconnaître ? Si leur livrée caractéristique n’est pas sans rappeler celle des effrayantes guêpes – ce qui est d’ailleurs le but -, soyez rassurés car il n’en est rien. Ce petit jeu de dupe est, en réalité, un ingénieux stratagème, couramment mis à profit dans le monde animal : le mimétisme. Pour simplifier, la ruse consiste à « se faire passer pour ce que l’on n’est pas »… En l’occurrence, un dangereux insecte au dard aiguisé dont le souvenir de la piqûre douloureuse saura dissuader de nombreux prédateurs potentiels, tels que les oiseaux. Astucieuses, ces mouches ! Car, en effet, les syrphes ne sont autres que d’inoffensives mouches… Ils appartiennent, comme leurs cousines, à l’ordre des Diptères, caractérisés par une première paire d’ailes fonctionnelles et une seconde paire d’ailes atrophiées, réduites à l’état de balanciers, qui leur assurent une grande stabilité et leur permettent d’effectuer un vol stationnaire. Tandis que les abeilles, guêpes et bourdons constituent l’ordre des Hyménoptères, dont les deux paires d’ailes sont de taille similaire et bien visibles. Cela constitue un premier indice, très utile, pour les différencier. Un autre détail apparaît frappant : la grosseur des yeux. Ceux des hyménoptères, petits et saillants, n’ont a priori rien en commun avec les gros yeux protubérants des mouches qui semblent faire les trois quarts de leur tête !

Une famille nombreuse

Distinguer un syrphe d’une guêpe ou d’une abeille apparaît donc plutôt simple, alors que reconnaître un syrphe parmi les syrphes est une autre histoire, tant leur petit monde se trouve finalement vaste. Rien qu’en France, la famille des Syrphidés compte environ cinq cent cinquante espèces différentes, ce qui en fait l’un des groupes les plus riches ! La plupart sont de petits spécimens discrets au corps fin, jaune annelé de noir – l’allure parfaitement mimétique explicitée précédemment. Mais il en existe de toutes formes et de couleurs variées. Citons la rhingie champêtre (Rhingia campestris), au corps orangé, ou le surprenant syrphe bleu à larges bandes (Leucozona glaucia) dont le nom laisse deviner la parure azurée. D’autres spécimens, trapus et munis d’une épaisse pilosité, évoquent plutôt les bourdons – voir l’encadré suivant. Une telle diversité a de quoi surprendre et attiser la curiosité envers ces insectes que l’on prendrait fort bien pour de simples mouches. L’occurrence de nouvelles découvertes naturalistes est une première bonne raison pour s’intéresser à leur sort. Mais elle n’est sûrement pas la seule…

Quelques espèces à découvrir

Parmi les spécimens les plus communs, voici ceux que vous aurez probablement l’occasion d’observer lors de vos balades :

– le syrphe ceinturé (Episyrphus balteatus)

Ses gros yeux rouges surmontent un thorax gris ponctué de quatre bandes noires longitudinales. L’abdomen jaune-orangé porte trois rayures caractéristiques. Contrairement aux femelles, les mâles ont les yeux accolés au-dessus de la tête. Malgré sa petite taille, ce syrphe aux facultés de vol exceptionnelles est capable de migrer sur de longues distances et se rencontre ainsi quasiment partout dans le monde !

– le syrphe porte-plume (Sphaerophoria scripta)

Ce petit syrphe jaune à rayures noires est reconnaissable à son corps mince et allongé qui lui donne une allure élégante. Son thorax porte une tache jaune en demi-cercle. Les mâles sont moins robustes que les femelles et ont également les yeux accolés. Ce dernier est aussi un grand migrateur, commun dans la majeure partie de l’Europe. Il se rencontre fréquemment dans les herbes hautes ou lorsqu’il butine les fleurs.

– la volucelle bourdon (Volucella bombylans)

Ce syrphe dodu et velu a l’apparence d’un bourdon, ce qui est bien pratique pour s’introduire discrètement dans le nid de ces derniers, où il pond ses œufs. Sa progéniture s’y nourrit des déchets, insectes et larves mortes qu’elle trouve. Cette espèce revêt deux formes possibles : l’une noire à l’extrémité de l’abdomen roux imite le bourdon des pierres. L’autre, au thorax noir cerclé de jaune orangé et à l’abdomen tricolore – roux, noir et blanc -, imite le bourdon terrestre. Les antennes sont plumeuses.

Un rôle essentiel dans les écosystèmes…

Souvent, les mouches – et tout ce qui s’y apparente – sont perçues comme des charognards bons à parasiter la viande ou les fruits, après avoir allègrement festoyé dans les excréments, bien entendu. Il est triste que cette image entache tant la réputation de ces insectes qui, dans la nature, remplissent de nombreuses fonctions indispensables. Pour commencer, beaucoup de mouches participent à la pollinisation : certaines plantes, comme le Trolle d’Europe, dépendent même intégralement de ces dernières ! Ceci est le cas des syrphes qui, au stade adulte, se nourrissent généralement de nectar ou de pollen et s’observent d’ailleurs couramment sur les fleurs, notamment les ombelles des Apiacées : carotte, fenouil, berce, etc. Leurs larves, quant à elles, présentent un régime alimentaire variable. Certaines se développent dans le bois vermoulu des troncs d’arbres morts ou dans les excréments. Ceci en fait des décomposeurs, participant à la dégradation de la matière organique et au grand recyclage naturel. D’autres, comme la larve « à queue de rat » de l’éristale gluante (Eristalis tenax), vivent dans les points d’eau souillés où elles filtrent les particules en suspension et contribuent également à « nettoyer » tous ces déchets. De plus, la diversité de leur alimentation et leur cycle de vie font de ces larves d’excellents indicateurs de la biodiversité et de l’état de santé des milieux naturels. Ainsi, une base de données nommée « Syrph-the-Ney » leur a même été dédiée pour être utilisée en ce sens par les gestionnaires de l’environnement !

…Comme au jardin !

Heureux soient les jardiniers qui auront la chance de constater la présence des syrphes dans leur potager. Non seulement ces derniers viendront visiter vos fleurs mais ils pourront également y pondre leurs œufs. Or de nombreuses larves de syrphe – dont nous avons évoqué précédemment la diversité de l’alimentation – se révèlent être d’impitoyables carnivores dévoreurs de pucerons. C’est le cas de la progéniture du syrphe ceinturé – voir encadré – ou encore du syrphe du poirier (Scaeva pyrastri) qui est l’un des plus importants régulateurs connus de pucerons : une seule de ces larves serait capable de décimer jusqu’à trois cents individus en une nuit ! Le cas apparaît cependant isolé et il est estimé qu’une larve de syrphe consomme, en moyenne, quatre à sept cents pucerons au cours de sa vie, ce qui n’est tout de même pas négligeable ! Voilà un sérieux atout pour lutter naturellement et efficacement contre ces petits envahisseurs parfois encombrants.

Pourquoi un tel mépris ?

La pollinisation, tout le monde en parle et a souvent beaucoup de choses à raconter, au sujet des abeilles notamment, mais en ignorant totalement que d’autres insectes y jouent un rôle tout aussi déterminant. C’est même pire que cela : l’idée qu’on se fait généralement de ces inutiles que seraient les insectes est tout simplement désastreuse, l’indifférence et le mépris avec lesquels on en parle et les on traite sont absolument navrants.

Alors, d’accord, manger des fruits et des légumes, c’est important, même si les enfants préfèrent de loin du MacDo… La pollinisation, d’accord, c’est un sujet « de société », c’est économique, mais nous apprendre à distinguer les mouches entre elles, franchement, ne poussons tout de même pas trop loin le bouchon, on a des choses plus sérieuses à faire que cela… Sortir d’une vision béatement anthropocentrée du monde où nous vivons, en songeant parfois que le destin d’un insecte comme le syrphe n’est peut-être pas uniquement de venir mourir écrabouillé sur le capot de la bagnole ? Témoigner un peu de respect et d’empathie pour une petite bête qui a le droit de vivre, comme tout le monde, en faisant simplement et honorablement sa petite part du boulot ? Vraiment, vous croyez que c’est utile ? Vous croyez que c’est important ? Vous croyez que ça a… un sens ?

Notes :

(1) D’après l’enquête statistique du ministère français de l’agriculture et de l’ANSES sur la mortalité hivernale des abeilles, pour la saison 2017-2018, publiée le 25 octobre 2018

(2) Pour exemple, une étude internationale menée, en 2016, par trente-cinq chercheurs prouve que la seule diversité des pollinisateurs sauvages en culture explique une différence de 20 à 30% du rendement dans les petites exploitations !

(3) «Are empidine dance flies major flower visitors in alpine environments? A case study in the Alps, France», V. Lefebvre, C. Fontaine, C. Villemant, C. Daugeron, le 1er novembre 2014

Le sol : Terra incognita !

Comment les techniques horticoles influencent-elles la vie du sol ?

La vie du sol est un des aspects centraux de la culture biologique. Nous abordions déjà ce sujet essentiel, il y a un peu plus de deux ans, dans les pages de Valériane n°130. Voici donc une nouvelle approche de cette question fondamentale, abordée via le regard d’un des jardiniers les plus chevronnés de notre association…

Un dossier réalisé par Philippe Delwiche

Bien connaître son sol

« Nous entendons par écologie la science globale des relations des organismes avec le monde extérieur environnant dans lequel nous incluons, au sens large, toutes les conditions d’existence. » Ernst Haeckel, 1866.

Parler de « biota » des sols est plus précis que parler de biodiversité des sols car ce mot fait référence à la communauté complète vivant à l’intérieur d’un « système sol » donné. Ceci permet, par exemple, de préciser que le « biota » du sol d’une prairie est généralement plus diversifié que celui d’une terre cultivée. Nous verrons aussi que le « biota » des potagers peut varier à l’infini selon le terroir – type de sol, pH… -, le climat, la météo, l’aménagement du jardin – haie, pelouse… -, les pratiques de gestion du sol ainsi que l’approche du jardinier quant à la manière d’apporter les matières organiques au sol.

Le sol et la vie qui y est présente constitue la part prépondérante de l’écosystème du jardin. Ce monde grouillant et complexe que nous foulons chaque jour est majoritairement inaccessible à l’œil et, même lorsque nous nous penchons sur lui alors que nous le travaillons, il ne nous révèle que peu d’ »informations ». Cette invisibilité et cette complexité expliquent-t-elles le désintérêt du monde agronomique pour ce sujet ? Mais aussi la frustration des rares scientifiques qui s’y intéressent ? Dans le cadre de ses recherches sur les mycorhizes, le chercheur J.-N. Klironomos considère que « le sol est vraiment comme une grande boîte noire ; c’est vraiment difficile de comprendre ce qui s’y passe » (J.-N. Klironomos, cité dans ‘Harmless-looking’ trees really predators, partner with fungi to eat insects alive, new research shows, 2001).

Un long processus biologique à préserver

La « science globale » nécessiterait que le sol et la vie qui s’y déroule soient étudiés par des équipes interdisciplinaires. Des scientifiques comme Claude et Lydia Bourguignon, ou comme Marcel Bouché, ont cependant consacré toute leur vie de recherches à ce sujet ou à un de ses domaines. Et, pour le bonheur des jardiniers et des agriculteurs, ils ont publié des ouvrages de vulgarisation très digestes et nous permettent de nous rendre compte que les techniques préconisées, dès le début, par les pères de l’agriculture et du jardinage biologiques étaient les bonnes. Peu à peu cependant, une part de l’empirisme du départ est ainsi balayée par de nouvelles découvertes qui nous permettent de mieux comprendre et d’améliorer nos techniques culturales, favorables à des productions légumières et fruitières saines et, par conséquent, à une alimentation équilibrée.

La transformation de la matière organique brute en éléments assimilables par les plantes est un long processus qui doit être absolument préservé car il est le garant d’un bon sol de jardin. Il permet, tout d’abord, la fragmentation et une lente transformation des déchets organiques en humus, avant que celui-ci ne soit, lui-même, transformé en substances rendues assimilables par les plantes. Le jardinier joue donc un rôle important – et, tout à la fois, mineur – dans la grande usine fertilisante du sol du potager car celui-ci s’autorégule naturellement s’il adopte des techniques culturales appropriées et, outre le compost, apporte très régulièrement des matières organiques fraîches au sol. Ainsi, avec un sol vivant, le cycle annuel d’activité et de repos des plantes est en parfaite adéquation avec le cycle de transformation des matières organiques en éléments nutritifs assimilables par les plantes.

Joseph Poucet propose ainsi la métaphore de l’usine pour illustrer le travail intense de l’écosystème du sol, alors qu’il utilise celle de l’entrepôt pour évoquer l’approche conventionnelle avec utilisation d’engrais chimiques.

Les flux d’énergie du monde végétal vers le sol

Le sol est le support de la biodiversité terrestre, qu’elle soit visible à nos yeux ou, au contraire, cachée sous nos pieds. Mais ce sont les végétaux qui en sont les orchestrateurs car ils fixent l’énergie solaire qu’ils transforment en énergie biochimique assurant leur croissance. Si nous réfléchissons sommairement à l’utilité de cette énergie, nous pensons à l’alimentation du monde animal domestique et sauvage, avec le broutage par les herbivores tels que la vache, le lapin, le mulot, la chenille ou l’ensemble des omnivores … Mais aussi à l’alimentation de l’humanité ! Toutefois, la « part du gâteau » promise aux herbivores et aux omnivores est très faible si elle est comparée à celle qui est destinée à la biodiversité du sol. Faut-il s’en étonner lorsqu’on sait que le sol héberge 80 % de la biomasse terrestre ?

Trois phénomènes participent aux transferts de l’énergie des plantes vers le sol :

– la faune et la flore épigées dont le milieu de vie est la litière de surface où s’accumulent les parties aériennes des végétaux tombées par terre. Dans le jardin, un milieu artificiel mais assez proche de cette litière peut être recréé avec des apports variés de « mulch » qui ne laissent jamais la terre nue ;

– les endogés sont une faune beaucoup plus discrète mais tout aussi importante qui se nourrit essentiellement de racines mortes, dans les profondeurs du sol, mais aussi de microorganismes morts et vivants. Il est donc essentiel de laisser les racines dans le sol, lors des récoltes, afin d’y maintenir cette précieuse forme de vie ;

– la rhizodéposition, indécelable et trop peu connue, consiste en la libération, par l’extrémité des racines et des radicelles des plantes vivantes, d’exsudats de sève élaborée et de cellules détachées directement dans la rhizosphère. Ce processus permet de nourrir et donc d’accumuler dans la mince couche de terre agglutinée aux racines les micro-organismes utiles à la plante – bactéries, protozoaires, nématodes, champignons – ; ce phénomène est très important car il fournit jusqu’à 40 % des sucres fixés par la plante. Il est dû à la présence de plantes cultivées ou spontanées ; l’occupation des parcelles par des cultures intermédiaires d’engrais verts est donc un facteur permettant de le favoriser et de l’intensifier.

 

Le jardinier peut également se montrer moins sévère avec les plantes adventices annuelles plus faciles à gérer – comme la mercuriale, le mouron des oiseaux, le séneçon ou la petite véronique – car cette végétation variée assure également la fertilité des sols. Il doit donc veiller à supprimer les « temps morts » par des successions rapides de cultures de légumes et d’engrais verts, et par des « mulchs » qui nourriront la biodiversité du sol par les trois phénomènes décrits ci-dessus.

Il est également nécessaire de compenser les exportations de récoltes, qui épuisent les sols, par des apports de matières organiques, issues du jardin d’agrément ou de l’environnement extérieur : fumiers, feuilles mortes, broyat… Quand c’est possible, il faut toujours privilégier, pour ces apports, la technique du « mulch » à la celle du compostage et toujours veiller à couvrir les parcelles inoccupées.

Les travailleurs de l’ombre de l’usine du sol

La macrofaune du sol désigne grosso modo tous les invertébrés visibles à l’œil nu. Ce sont les architectes du sol : la densité des macropores qu’ils creusent dans le sol déterminera notamment sa capacité d’absorption des eaux de pluie. Nous nous intéresserons ici aux trois faunes et aux deux types de « microbes » du sol dont la vie intense se partage en différents territoires et en différentes tâches. Les populations épigées, endogées et anéciques se définissent principalement par leur localisation dans le sol et par leur régime alimentaire.

Faune épigée et faune endogée
  1. La faune épigée vit dans la litière de surface, composée des déchets organiques tombés au sol, qu’elle déchiquette, broie et réduit finalement en boulettes fécales et en humus. On y trouve les saprophages, les nécrophages et les coprophages.

Les saprophages mangent les déchets végétaux. Ce sont les cloportes et les iules aux puissantes mandibules qui s’attaquent aux bois tendres des jeunes rameaux, les limaces et les collemboles s’attaquent qui aux parties tendres des feuilles entre les nervures – alors que les acariens attaquent les nervures -, les nématodes et les petits vers épigés – comme le ver du fumier – qui terminent le travail et s’alimentent de déchets très fins ainsi que des excréments des autres espèces.

Les nécrophages, comme les mouches se nourrissent des cadavres de petits vertébrés. Certains insectes du genre Nicrophorus enterrent même les cadavres afin de les soustraire à leur appétit des mouches. Les nécrophores transportent souvent de nombreux acariens lors de leurs déplacements.

Les coprophages éliminent les déjections des autres animaux ; les plus actifs sont les bousiers, les mouches et les cafards mais il n’est pas rare de voir des insectes plus inattendus comme des papillons tels que l’Argus bleu (Polyommatus icarus) ou le Bel argus (Polyommatus bellargus) se nourrir de déjections.

De minuscules acariens s’attaquent aux fibres les plus dures ; c’est, par exemple, le cas des Oribate sp., un groupe d’acariens dont la taille est inférieure au millimètre, caractérisé par une carapace, un exosquelette qui recouvre leur corps. De grandes densités de populations vivent dans la litière et les tapis de mousses et de lichens ; ils se nourrissent de matières en décomposition et sont capables de s’attaquer aux fibres les plus dures. Ils jouent un rôle primordial dans le recyclage de la matière organique en la fragmentant en très petites particules, et se rencontrent donc dans les « mulchs », le compost et les fumiers.

Parmi la faune épigée, de nombreuses espèces craignent les rayons du soleil. Le jardinier, en labourant, les prive de nourriture trop profondément enfouie. Cette faune est donc plus difficile à maintenir dans nos potagers. Outre son rôle de bio-décomposeur, son importance est pourtant primordiale car elle crée une infinité de zones poreuses qui génèrent jusqu’à 80 % de vide dans cette « peau » qu’est le sol, ce qui lui procure une incroyable perméabilité pouvant contenir jusqu’à cent cinquante millimètres d’eau par heure, dans nos forêts tempérées de feuillus, alors qu’un limon labouré qui devient battant voit sa perméabilité tomber à un millimètre d’eau par heure ! Les techniques du « mulch », de la dépose de compost jeune et mi-vieux et des cultures intercalaires d’engrais verts sont donc essentielles si le jardinier veut favoriser la présence de la faune épigée dans son potager.

 

  1. La faune endogée vit dans les profondeurs du sol et se nourrit essentiellement de racines mortes. Sa présence est indicatrice de la bonne santé du sol. Elle comprend les mêmes groupes que la faune épigée : vers, myriapodes, thysanoures, collemboles, acariens et protoures. Les espèces sont, par contre, plus petites, de couleur blanche ou très pâle et très allongées afin de se faufiler jusqu’au bout des racines les plus fines. Cette faune assure une porosité qui peut atteindre 60 % du volume du sol profond ; elle permet une bonne répartition de l’irrigation et la respiration des racines. La meilleure manière de favoriser sa présence au potager consiste à mettre en place des cultures intermédiaires car des successions rapides entre cultures de légumes et cultures d’engrais verts laissent, en continu, des déchets de racines dans le sol.
La faune anécique

Cette faune désigne toutes les espèces de lombrics. Nous avons évoqué les trois grands phénomènes participant aux transferts d’énergie des plantes vers le sol pour l’enrichir en humus. Parlons, à présent, de ceux que les pédologues considèrent comme les grands architectes du sol : les lombrics qui, par d’incessants déplacements entre la litière et la roche-mère, réunissent le minéral et le végétal pour en faire une terre fertile !

Les lombrics brassent sans arrêt le sol dont ils assurent un bon drainage sur de grandes profondeurs. Leur va-et-vient incessant, dans de longs terriers verticaux parfois longs de plus d’un mètre, leur permet de remonter des profondeurs les éléments minéraux en voie de lessivage ; ils les agglomèrent ensuite avec la matière organique récoltée dans la litière, lors du passage dans leur intestin. Ce « collage » entre argile et humus est rendu possible par une glande riche en calcium qui en assure l’attache. Les lombrics vident ensuite partiellement leur intestin, en surface, sous forme de petits tas appelés « turricules », avant de redescendre inlassablement vers les profondeurs…

Le lombrimixage

 

kilos par mètre carré

kilos par are

tonnes par hectare

un jour

0,018

1,8

0,18

un an

6,57

657

65,7

cinquante ans

328,5

32.850

3.285

Ces chiffres correspondent à un taux de 3% d’humus stable, soit un taux souvent largement dépassé dans les bons jardins bio. Notons qu’après cinquante ans, l’entièreté de la couche arable est passée par le tube digestif des lombrics !

Ce tableau permet donc de mesurer l’incroyable action bénéfique des lombrics sur le sol. En perpétuel déplacement, ils ingèrent, digèrent et remodèlent des quantités inimaginables de terre. Ils assurent :

– l’aération du sol ;

– un brassage intime des minéraux et de la matière organique ;

– la formation de micro-agrégats indispensables à la percolation des eaux de pluies qui limitent les effets d’érosion ;

– la stabilisation du carbone dans le sol ;

– la dissémination d’importantes communautés microbiennes, présentes dans leur tube digestif, qui interviennent dans la dégradation des protéines et agissent sur le cycle de l’azote ;

– la formation de composés organiques aux propriétés hormonales, favorables à la croissance des plantes, qui se trouvent dans les fèces ;

– la formation de substances rhizogènes similaires à l’acide indole acétique, une phytohormone qui stimule la rhizogénèse ;

– enfin le lombric (Lumbricus terrestris) possède un pouvoir neutralisant qui agit sur le pH acide de la terre grâce à des excrétions cutanées qui augmentent d’autant plus que le pH du sol est bas.

Les lombrics ont également un effet bénéfique pour les plantes car ils développent une relation étroite avec leur système racinaire. Ils creusent jusqu’à cinquante mètres de galeries dans un seul mètre cube de terre cultivée, dont cinq à sept mètres débouchent en surface. La surface des parois de ces galeries peut atteindre cinq mètres carrés. Le nombre de microorganismes situés sur ces parois correspond à la moitié de la masse totale présente dans les sols. Il n’est donc pas étonnant de retrouver racines et radicelles dans ces galeries riches en oxygène et en éléments rendus assimilables par les microorganismes. Les lombrics, dans les galeries qu’ils creusent, se retrouvent ainsi souvent entourés d’une gangue de radicelles.

L’observation des traces laissées en surface par les lombrics est internationalement reconnue comme un bon indicateur de l’état des terres de culture et des conséquences des pratiques culturales. L’altération de la biodiversité lombricienne peut donc être mise en parallèle avec l’altération de la biocénose du sol.

Evaluation de l’activité lombricienne par le diamètre des galeries

diamètre

origine – galerie formée par

signification

10 à 13 mm

de très gros lombrics

très bonne activité du sol

5 à 10 mm

de gros lombrics

bonne activité du sol

3 à 5 mm

des lombrics moyens

activité moyenne du sol, à améliorer

1 à 3 mm

des vers endogés

activité insuffisante du sol

0,5 à 1 mm

des vers endogés ou des racines

absence de lombrics, sol quasi mort

 

Evaluation de l’activité lombricienne par la densité des galeries

densité –

grosses galeries tous les

activité des lombrics

signification

3 à 5 cm

excellente

maintenir

5 à 10 cm

très bonne

améliorer encore cette bonne activité

20 à 40 cm

moyenne

améliorer

50 à 100 cm

faible

intensifier (BRF)

pas de grosses galeries

absente

sol à restaurer (BRF)

Le travail des lombrics dans un très bon sol peut atteindre cinq cents mètres de galeries par mètre carré, soit le tour d’un terrain de football. Le sol est transformé en gruyère et nous n’en sommes pas conscients !

Evaluation de l’activité lombricienne par la présence de turricules

nombre de turricules

signification agronomique

50 à 100 % de la surface recouverte

très bonne activité lombricienne

dix par mètre carré

bonne activité biologique

un par mètre carré

activité moyenne

un pour dix mètres carrés

activité faible

aucun turricule observé

activité très faible ou nulle

 

Comparatif sol / fèces pour quelques éléments nutritifs

Eléments comparés

Sol de surface

en o/oo

Fèces de lombric

(en o/oo)

Taux d’enrichissement

(en %)

Calcium

1,990

2,790

140 %

Magnésium

0,162

0,492

300 %

Azote

0,004

0,022

550 %

Phosphore disponible

0,009

0,067

740 %

Potassium

0,032

0,358

1100 %

pH

6,4

7

D’autres vers de terre que les lombrics participent également à un bon équilibre du sol. On en rencontre parmi la faune épigée – vers de fumiers – et la faune endogée où, contrairement aux lombrics, ils creusent des galeries horizontales. Ces vers sont beaucoup plus petits et sont de couleurs plus ternes ou plus pâles.

Trois groupes écologiques de vers de terre

 

Anéciques

Endogés

Epigés

habitat

toutes les couches du sol jusqu’à quatre mètres de profondeur

couche arable entre cinq et quarante centimètres

en surface dans la litière, au potager sous les « mulchs » mais surtout en prairie et en forêt.

taille

quinze à quarante-cinq centimètres

jusque quinze centimètres

deux à six centimètres

aliments

tirent de longs débris frais ou en décomposition dans les galeries

débris organiques en mélange avec la terre

débris organiques présents dans la litière de surface.

reproduction

limitée

limitée

importante

durée de vie

quatre à huit ans

trois à cinq ans

un à deux ans

espèces

lombric

Octolasium lacteum, Allolobophora caliginosa

ver du fumier, ver du marécage

 

Champignons et microorganismes

Ces populations se divisent en deux groupes selon le résultat de leur action sur la transformation de la matière organique :

– les humificateurs fabriquent le meilleur et le plus stable des humus, en s’alimentant de matière organique riche en carbone ; ce sont principalement les champignons basidiomycètes ;

– les minéralisateurs transforment l’humus et la roche-mère en éléments nutritifs assimilables par les plantes ; ce sont des bactéries, des champignons actinomycètes et des champignons inférieurs inféodés aux différents types de nutriments.

Pour favoriser les microorganismes dans le sol, il faut ;

– des apports de matières organiques réguliers ;

– un travail du sol le plus superficiel possible, en cherchant à obtenir une structure meuble et aérée en surface et stable dans les couches profondes ;

– des conditions stables de température – avec des variations atténuées par des rotations suivies de cultures et la pose de « mulchs » – et d’humidité grâce à une bonne percolation et à la protection du sol par les « mulchs » ;

– un pH le plus proche de la neutralité grâce aux apports d’intrants – chaux, soufre… -, et d’humus, ainsi que par une régulation par les lombrics.

Poids des microorganismes à l’are

Sol équilibré

Sol dégradé

bactéries

20 kg

200 g

champignons

15 kg

500 g

algues

2 kg

50 g

nématodes

100 kg

10 g

 L’origine des symbioses entre plantes, champignons et bactéries est très ancienne. Au Dévonien, il y a quatre cents millions d’années, les premières plantes pionnières, des algues vertes, quittèrent l’océan pour conquérir les continents. Dépourvues de racines pour se nourrir, elles s’associèrent avec des bactéries et des champignons, mieux armés pour minéraliser les éléments nutritifs.

Un monde de communications et d’équilibres

Le sol, appareil digestif des plantes

Les scientifiques remarquent combien les approches respectives de la racine et de l’intestin possèdent des points communs, du point de vue du microbiote. Dans l’intestin d’un animal, les bactéries, indispensables à l’assimilation des nutriments, avant leur passage dans le sang, se situent contre les parois intestinales. Elles sont « coincées » entre les villosités. Pour la racine, c’est à l’extérieur, entre les poils absorbants de la zone apicale que la masse microbienne est localisée et forme un « manchon » autour de la racine. Le principe de fonctionnement est cependant identique : racine et intestin fournissent les ressources énergétiques produites par l’hôte et nécessaires aux microorganismes, principalement bactéries et cryptogames, qui se chargent en retour d’aider l’hôte à se nourrir – minéralisation -, à croître – hormones de croissance – et à se défendre des bioagresseurs – antibiotiques. Les plantes veulent profiter pleinement de ces bienfaits et ont développé un mécanisme qui, pour un esprit cartésien, pourrait sembler peu profitable. Elles participent, en effet, activement à la chaîne trophique en nourrissant les mycorhizes et les bactéries. Pour cela, les racines exsudent du carbone : jusqu’à 40 % des sucres présents dans la sève élaborée sont diffusés dans la rhizosphère afin d’attirer et de nourrir le microbiote racinaire avide de carbone. En fonction de la demande en éléments nutritifs, hormones ou antibiotiques, les exsudats émis par les plantes sont modifiés afin de favoriser la vie bactérienne nécessaire à leurs besoins.

La vie bactérienne

Une cuillère à café de sol contient cinq milliards de bactéries qui sont à l’origine de nombreux processus :

– transformation et solubilisation des éléments utiles à la plante à partir de la matière organique et des minéraux du sol : carbone, azote, soufre et phosphore mais aussi oligo-éléments sont étroitement liées à l’activité bactérienne, Bacillus mucilaginosus, B. megaterium, B. amyloliquefaciens ;

– fixation de l’azote atmosphérique et du sol et échange avec la plante contre du sucre (symbiose), Rhizobium sp (Fabacées), Azospirulum (Graminées), Nitrobacter ; dans un bon sol ces bactéries peuvent produire jusqu’à deux kilos et demi d’azote à l’are ; l’azote atmosphérique peut également être fixé dans le sol par des bactéries aérobies non symbiotiques, comme Azotobacter chroococcum, cyanobactérie Nostoc ;

– minéralisation de l’azote, avec conversion de l’ammonium en nitrites – Nitrosomonas, Nitrosospira, Nirosococcus, Nitrosolobus… – et conversion des nitrites en nitrates – Nitrobacter, Nitrospina, Nitrococcus ;

– production d’hormones de croissance, de type auxine, qui favorisent le développement des racines – B. subtilis ;

– compétition pour les nutriments, avec les micro-organismes pathogènes et limitation des risques de maladie – B. mucilaginosus, B. megaterium, B. amyloliquefaciens, B. subtilis, Pseudomonas chlororaphis, Pseudomonas fluorescens ; cette lutte s’effectue de plusieurs manières : compétition pour les nutriments et pour la colonisation des zones racinaires, compétition par le nombre, compétition par action enzymatique…

– rôle protecteur contre les attaques de ravageurs – Bacillus thuringiensis ;

– formation d’agrégats améliorants pour la structure du sol et maintien des éléments fertilisants près des racines ; elles fabriquent une gomme destinée à les maintenir contre les racines ;

– effet protecteur contre la sécheresse et les stress hydriques ;

– détoxification du sol – Pseudomonas sp (fioul, pétrole brut), Micrococcus sp (pyridines, herbicides, biphényles chlorés, pétrole).

Echanges complémentaires avec les symbioses mycorhiziennes

A l’instar du lichen résultant d’une symbiose d’un champignon avec une algue, il existe des collaborations entre les champignons et les racines des plantes, d’où leur nom, qui s’inspire du grecs, mykes pour champignon et rhiza pour racine. Le terme mycorhize définit ainsi les différentes formes d’associations symbiotiques entre les plantes et certains champignons du sol, qui colonisent les tissus racinaires des plantes pendant la période végétative. Lors de ce « partenariat », les champignons mycorhiziens jouent un rôle important pour la nutrition minérale des plantes et bénéficient, en retour, de l’apport de sucres dérivés de la photosynthèse des plantes colonisées. Au moins 80% des plantes peuvent s’associer à des champignons et bénéficier de cette symbiose. On connaît aujourd’hui au moins sept types d’associations mycorhiziennes et l’une des deux principales, dite à arbuscule, est formée par des champignons primitifs et concerne plus de 90 % des végétaux, avec quelques exceptions comme les Brassicacées (choux, moutardes…).

Les bénéfices biologiques rendus par les symbioses mycorhiziennes présentent un réel intérêt en production biologique, à faibles quantités d’intrants :

– le mycélium des champignons mycorhiziens constitue, pour les plantes, une extension de leurs systèmes racinaires et permet un accroissement significatif du volume de terre exploré :

– une solubilisation des formes organiques du phosphore se produit par le biais des acides organiques sécrétés par les champignons, or la carence en phosphore (P) constitue un des facteurs limitants dans les sols uniquement fertilisés de compost et d’engrais verts ;

– une mobilisation, par les champignons mycorhiziens à arbuscules qui colonisent les racines de la plupart des plantes, de potassium (K), calcium (Ca), magnésium (Mg), cuivre (Cu), zinc (Zn), fer (Fe), soufre (S) et même d’azote (N) : ces champignons sont parmi les plus efficaces pour le prélèvement des macronutriments et tout particulièrement en ce qui concerne le phosphore (P) ;

– une hydrolyse de l’azote organique ;

– un rôle protecteur contre les attaques d’agents phytopathogènes – Trichoderma harzianum contre certains Fusarium, Sclerotinia

– le renforcement de la résistance des plantes aux stress thermique, hydrique et salin ;

– l’amélioration de la qualité des terres, en renforçant la diversité de la microflore ;

– la réduction de l’érosion hydrique, grâce à la production d’une substance collante qui cimente les particules du sol en petits agrégats stables ;

– la détoxification du sol – Coniochaeta ligniaria.

D’autres champignons contribuent à la lutte biologique contre des maladies et des ravageurs ; ils jouent un rôle protecteur contre les attaques d’insectes ravageurs – Beauvaria bassiana, Arthrobotrys anchonia – et les nématodes – Arthrobotrys anchonia.

Différents facteurs les favorisent :

– les sols riches en humus ;

– la réduction du travail mécanique ;

– les associations et les rotations de cultures ;

– la plupart des adventices qui favorisent la croissance des mycorhizes et servent de plantes relais entre deux cultures de légumes ;

– les cultures intermédiaires d’engrais verts mycorhigènes : les légumineuses et les graminées (photo) sont particulièrement enclines aux associations mycorhiziennes, la phacélie est très mycorhigène, avec vingt-six spores par décigramme de sol.

D’autres facteurs nuisent à leur présence :

– les labours et les monocultures ;

– la richesse d’un sol en phosphore est un facteur limitant (engrais chimique) ;

– les légumes et les engrais verts des familles des alliacées, des brassicacées et des chénopodiacées (épinard, bette, betterave) ne sont pas mycorhigènes et ne doivent pas se succéder.

Après la mort des racines, la rhizosphère se différencie toujours du sol environnant, d’abord par une transformation en matière organique et, suite à leur dégradation, par la formation de macropores qui, comme les galeries de lombrics, possèdent un fort impact sur les propriétés de transport du sol. La rhizodéposition et le turnover racinaire peuvent représenter jusqu’à 40% de l’apport total de carbone dans le sol.

A l’heure actuelle, les chercheurs estiment qu’environ 80% des plantes et cent septante espèces de champignons peuvent être impliqués dans des associations mycorhiziennes.

Phénomènes d’allélopathie et bio-fumigation

En 1833, Maquaire écrit déjà dans son Mémoire pour servir à l’histoire des assolements qu’ »on sait que le chardon nuit à l’avoine, l’euphorbe et la scabieuse au lin, l’ivraie au froment ; peut-être les racines de ces plantes suintent-elles des matières nuisibles à la végétation des autres ? […] La plupart des végétaux exsudent par leurs racines des substances impropres à leur végétation ; la nature de ces substances varie selon les familles de végétaux qui les produisent […]« 

Outre la compétition pour l’eau, les nutriments et la lumière, il est aujourd’hui établi que les plantes interagissent aussi par la production de molécules chimiques capables d’influencer la germination ou la croissance de leurs voisines mais aussi d’agir contre la présence de maladies et de ravageurs. Parmi ces plantes, on trouve des légumes, de nombreux engrais verts mais aussi des espèces aromatiques. Voici quelques exemples :

composés toxiques de l’ail – on découvre ici un phénomène plus complexe de compétition et de coopération ;

– les pailles de l’avoine cultivée, Avena sativa, utilisées en « mulch » jouent un rôle d’herbicide et réduisent considérablement la présence des adventices ;

– toutes les Brassicacées, à des degrés divers, sont riches en glucosinolates toxiques pour de nombreux organismes du sol, comme les champignons Verticillium dahliae, Sclerotinia et Pythium ;

– l’épervière piloselle, Pilosella officinarum, contient les acides phénols caféique et chlorogénique qui possèdent des pouvoirs antibactérien et herbicide ; elle peut contribuer à résoudre le problème des adventices dans les lignes, en arboriculture et en viticulture ; malgré sa petite taille, la piloselle progresse en colonies, en cercles concentriques vers l’extérieur, alors que les cercles intérieurs se dénudent. Elle passe ainsi de la télétoxie à l’autotoxicité : à la suite du lessivage du sol par les fortes pluies, les graines de piloselle y germent, millepertuis et millefeuilles disparaissent mais de rares espèces comme le thym et le serpolet parviennent à lui résister. Le lin et le blé dépérissent également mais le radis résiste ;

– l’oignon secrète, par ses racines, une substance qui gêne la croissance de ses congénères ; il faut donc le semer et le repiquer clair. D’autres espèces possèdent le même comportement : ne dit-on pas que « le pire ennemi du blé est le blé » ;

– des expérimentations, menées à l’université de Lublin en Pologne, ont montré que le poireau et le céleri-rave, cultivés en rangs alternés, réduisent la prolifération des adventices et des insectes ravageurs avec, pour chacun d’eux, des rendements augmentés par rapport à des monocultures ;

– les semences de pois libèrent, dans le sol, des excrétions qui vont réveiller un Fusarium, un de ses ennemis ;

– les grains de seigle, en cours de germination, émettent de la benzolone, une toxine fatale à un petit champignon du genre Fusarium, agent de la « pourriture de neige » ;

– les semences de violette, déposées sur un papier humide en présence de grains de blé, en inhibent totalement la germination…

Interactions entre la flore, la faune et la roche-mère

Les interactions entre les flores, les faunes et les minéraux sont innombrables mais très peu connues. En voici quelques exemples :

– Fabacées et bactéries spécifiques du genre Rhizobia installées sur les racines (nodosités) forment une relation symbiotique permettant de capturer l’azote atmosphérique et de le transformer en substances azotées utilisables par les plantes ;

– les mycorhizes agissent comme pont entre deux plantes et permettent le transfert du phosphore d’une plante « donneuse » à une plante « réceptrice » ; ces champignons permettent également le transfert d’informations : c’est, dit un chercheur, « comme l’Internet de la nature, c’est le plus grand réseau d’échange du monde… » ;

– les plantes défendent leur territoire : les non-mycorhigènes en produisant des substances aux pouvoirs allélopathiques herbicides, les mycorhigènes grâce aux mycorhizes  qui empêchent la prolifération des allélopathiques ;

– les vers inoculent la terre, grâce aux fèces, d’une multitude de microorganismes produits lors du transit intestinal ;

– l’humus est fabriqué, en surface, grâce au travail des champignons et de la faune épigée ; les argiles sont fabriquées, en profondeur, par l’attaque des racines des arbres au contact du monde minéral. Les lombrics assurent un brassage intime des minéraux et de la matière organique…

Des techniques respectueuses de la vie du sol

Faut-il opter pour le jardinage sans labours ? Nous avons vu l’importance de ménager la vie du sol en maintenant sa structure la plus intacte possible. Le passage d’un travail du sol en profondeur – même s’il n’est pas retourné – à un travail superficiel doit s’effectuer en plusieurs étapes et après :

– une amélioration éventuelle de la structure par des apports conséquents, variés et réguliers de matières organiques – plusieurs années peuvent être nécessaires ;

– la vérification d’une activité biologique intense avec la présence des lombrics ;

– des essais de culture sur sol superficiellement travaillé avec des cultures particulièrement volontaires : pommes de terre, choux, haricots…

Et, pour les légumes racines :

– un travail avec la grelinette, le croc, le cultivateur, le râteau des maraîchers ;

– un travail sur buttes, comme le font les agriculteurs pour les carottes, fonctionne particulièrement bien mais correspond assez bien de l’image que nous avons lorsque nous parlons de l’éléphant dans un magasin de porcelaine ;

– une approche intéressante se situe dans le choix de variétés à racine courte comme la carotte ‘Bellot’ très hâtive ; pour la mise en silo, il existe quelques variétés intéressantes : la ‘Guérande’ qui deviendra ‘Oxheart’ aux Etats-Unis, et des sélections récentes de cette dernière, avec l’‘Oxhella’ et l’‘Ochsenherz’ ; la ‘Demi-longue de Chantenay’ est bien adaptée aux sols lourds et peu profonds.

Le rôle capital de l’humus dans la préservation des sols

Sur sol sableux, l’humus augmente sa capacité à retenir l’eau et les éléments fertilisants. Il accroît également leur résistance à l’érosion par les vents et les pluies. Son action est tout aussi améliorante pour les sols lourds et argileux qu’il rend plus souples et plus aptes à la percolation des eaux. Pour une production maximale, la plupart des légumes cultivés ne tolèrent qu’une mince marge, en ce qui concerne le pH du sol : entre 6,5 et 6,9. En tamponnant le pH du sol, les apports d’humus rendent possible la culture d’espèces dans des sols qui, à l’origine, seraient trop acides ou trop alcalins.

Rôles de l’humus dans le sol

 

action

bénéfices

rôle physique

structure et porosité

pénétration de l’air ;

limitation de l’hydromorphie ;

limitation de l’érosion ;

limitation du tassement ;

accélération du réchauffement

rétention en eau

meilleure pénétration et stockage de l’eau et meilleure alimentation hydrique

rôle biologique

stimulation de l’activité biologique : lombrics, biomasse microbienne

dégradation, minéralisation ;

réorganisation, humification ;

aération

rôle chimique

dégradation, minéralisation

fourniture d’éléments minéraux selon les saisons : N, P, K, oligo-éléments

capacité de rétention des éléments minéraux

stockage et mise à disposition des éléments minéraux

éléments traces métalliques

limitation des toxicités dues aux métaux lourds : Cu entre autres

rétention des micropolluants organiques et des pesticides

amélioration de la qualité des eaux

 

Les engrais verts

En optant pour les engrais verts, le jardinier poursuit différents objectifs.

* L’amélioration du sol par :

– la préservation des symbioses mycorhiziennes grâce à une rotation culturale aussi continue que possible : les Fabacées, en général, et la phacélie sont des engrais verts mycorhigènes ; par contre, les brassicacées et les chénopodiacées, comme l’épinard et la betterave, ne bénéficient pas de la mycorhization ;

– la restitution et l’enrichissement en humus : moutarde, phacélie, radis fourrager, seigle, vesce d’hiver ;

– l’enrichissement en azote : Fabacées ;

– le piégeage de l’azote et du phosphore en voie de lessivage, en automne et en hiver : lin, moutarde, phacélie, seigle ;

– la remobilisation des éléments phosphore et potasse ;

– une protection contre les excès de chaleur et de froid qui permet de diminuer les périodes d’inactivité : tous les engrais verts ;

– une action améliorante sur la structure du sol en :

O le drainant : lin, phacélie, radis fourrager ;

O perçant les terres compactes, les semelles de labour : luzerne, radis fourrager ;

O fissurant les terres compactées : phacélie, vesce d’hiver ;

O limitant la battance causée par les pluies, grâce à la protection physique des sols par le feuillage : tous les engrais verts ;

O limitant l’érosion par la présence du couvert végétal qui favorise l’infiltration de l’eau et limite donc le ruissellement qui entraîne les particules de terre : tous les engrais verts ;

* la lutte contre les adventices par :

– leur pouvoir concurrentiel pour la lumière, l’eau et les éléments nutritifs : sarrasin, seigle ;

– l’incorporation de résidus d’engrais verts arrivés à maturité, coupés tardivement et en voie de lignification, avec un rapport carbone – azote élevé qui provoque une immobilisation temporaire de l’azote et limite la croissance des adventices :  lin, phacélie, sarrasin ;

* la lutte contre les maladies, en rompant le cycle de certains pathogènes ; l’aération du sol par les racines de la culture intermédiaire travaille à une décomposition rapide des résidus du précédent cultural et nuit à la prolifération des pathogènes inféodés – tous les engrais verts, sauf si légumes et engrais verts de la même famille se suivent ;

* la lutte contre les ravageurs, en rompant le cycle de reproduction : tous les engrais verts mais on évitera que légumes et engrais verts de la même famille se suivent ;

* une bio fumigation contre :

– les adventices – graines de rumex, de chiendent… – grâce à leurs pouvoirs inhibiteurs sur la germination, avec l’émission de composés chimiques au niveau des racines – la moutarde brune est riche en polyphénols – et des parties aériennes, ou leur libération lors de la décomposition des résidus lors de la mise en « mulch » : moutarde brune, radis fourrager ;

– les œufs d’insectes : hanneton, taupin, tipule… : moutarde brune, radis fourrager ;

– les nématodes : phacélie, moutarde ;

– les spores de champignons pathogènes – sclérotinia, rhizoctone noir, Rhizoctonia solani – grâce aux crucifères riches en glucosinolates : toutes les crucifères à des degrés divers ;

* favoriser, grâce à la ronde des familles, la digestion des putrescines issues des cultures légumières en évitant ainsi aux racines d’une culture de croître dans les « déchets » de son espèces : tous les engrais verts mais on évitera que légumes et engrais verts de la même famille se suivent ;

* augmenter la biodiversité végétale domestique et renforcer l’écosystème du jardin, en fournissant refuge et nourriture par la présence d’un couvert végétal qui favorise certaines espèces, comme les insectes auxiliaires et pollinisateurs, les oiseaux, la macro et microfaune du sol… : lotier corniculé, luzerne, mélilot, phacélie.

Deux périodes de semis possibles des engrais vert seront valorisées : à la fin de l’hiver et en fin d’été début d’automne. En automne, toutes les parcelles qui ne sont plus utilisées pour la culture de légumes seront idéalement ensemencées d’engrais vert. En fin d’hiver et au printemps, il faudra être vigilant quant à la période de destruction de l’engrais vert afin de ne pas nuire à la culture suivante en ce qui concerne :

– l’eau et les éléments nutritifs : en fin d’hiver, l’engrais vert repart en végétation, consomme de l’eau et désengorge la terre qui sera plus rapidement « amoureuse » et facile à travailler. Une destruction trop tardive peut provoquer, par un manque de disponibilité en eau et en éléments nutritifs, des effets dépressifs sur la culture suivante ; il faut donc être particulièrement attentif à cette compétition pour l’eau lors des hivers secs ;

– l’effet allélopathique qui peut nuire à la culture suivante ; il est nécessaire de prévoir huit à dix jours d’intervalle entre l’enfouissement et les semis.

Il faut également éviter de favoriser les bio-agresseurs. Les engrais verts mal choisis encouragent leur présence lorsqu’ils participent à leur cycle plutôt que de le rompre. Il faut donc organiser la « ronde des familles », avec la succession d’engrais verts et de légumes de familles différentes. Il est également nécessaire d’organiser une tournante des engrais verts sur les parcelles. Si des problèmes de bio-agresseurs récurrents se présentent dans le jardin, il faut opter pour les engrais verts qui ne font partie d’aucune famille de légumes : lin, phacélie, sarrasin et seigle.

On évitera un précédent de Fabacées pour les légumes qui n’apprécient pas l’azote, comme les Liliacées : oignon, ail, échalote ou chou de Bruxelles. On sèmera aussi les engrais verts en mélanges car les vers de terre et les mycorhizes apprécient peu les monocultures et peuvent y dépérir avec certaines espèces.

Concernant la destruction et la valorisation de l’engrais vert, il est préférable de le faucher alors qu’il est en pleine floraison et le plus riche en éléments fertiles et en fibres. Toutefois, la réussite de la culture suivante oblige souvent le jardinier à plus de souplesse. L’étape suivante est souvent associée à l’incorporation immédiate de la masse végétale en pleine sève dans les premiers centimètres du sol. Or cela amène souvent des soucis de parasitisme avec la réapparition du champignon Sclerotinia, du ver taupin ou d’adventices vivaces.

Après fauchage, l’engrais vert doit sécher entre huit et dix jours en surface, avant d’être incorporé dans les premiers centimètres du sol. Ce délai permet la transformation de la chlorophylle et de la sève en aliments pour des organismes du sol : enzymes, bactéries, cryptogames non pathogènes. Le fauchage est préférable au broyage qui laisse une bouillie favorable à l’activité des limaces, alors que le fauchage laisse des pailles et des tiges que les vers de terre anéciques préfèrent car ils sont plus faciles pour eux à incorporer au sol.

Cependant, pour une bio-fumigation efficace des sols, la pratique est différente. Il faut :

– broyer ou écraser le plus finement possible l’engrais vert avant de l’incorporer – passage d’une tondeuse ;

– incorporer les plantes broyées sur toute la profondeur du sol, immédiatement après le broyage ;

– prévoir la bio-fumigation juste avant des précipitations car le sol doit être humide afin de permettre une action rapide des principes actifs ;

– effectuer la bio-fumigation pendant la période chaude de l’année d’avril à septembre ;

– attendre une semaine avant une remise en culture afin d’être assuré que les principes actifs sont épuisés.

L’apport de matières organiques

Quelles sont les techniques adéquates d’apport des matières organiques pour obtenir une terre potagère vivante et fertile ?

– « Mulchs » et composts

Nous venons de voir l’importance de maintenir au mieux toute la chaîne trophique des organismes vivants dans, mais aussi hors, du sol de nos potagers. Avec les cultures intercalaires d’engrais vert, les « mulchs » sont les plus aptes à répondre à cet objectif, en offrant des déchets organiques frais qui nécessiteront l’intervention de tous les êtres vivants de cette chaîne pour, in fine, apporter les éléments nutritifs aux plantes. Ces « mulchs » pourront être composés d’adventices, de tontes de pelouse, de déchets de légumes, mais il sera aussi important de ne pas oublier des tontes de haie plus riches en lignine nécessaire à la présence des champignons basidiomycètes.

Les techniques du « mulch » – BRF inclus – et des cultures intercalaires – engrais verts – sont-elles préférables, pour la vie du sol, à des apports de compost ?

Il est erroné de comparer les résultats obtenus par le travail de la faune et de la flore d’un sol à une variante des mécanismes de compostage. Le compostage accélère la libération d’éléments minéraux mais n’initie pas une chaîne trophique complexe, capable de s’autoréguler et de se régénérer, comme cela s’observe en forêt. Le seul réflexe d’apport de matière organique via le compostage interdit aux terres cultivées la survie de la chaîne trophique complète qui régénère les sols et maintien leur fertilité alors que les successions de cultures les épuise. Par conséquent, s’il veut maintenir vivants tous les maillons de la chaîne trophique, le jardinier doit offrir, à chacun d’eux, de bonnes conditions d’existence et, en ce qui concerne la matière organique brute, faire :

– des apports en surface de matériaux diversifiés, non compostés, pour la faune et la flore épigées ainsi que pour les anéciques ;

– des apports dans le sol, avec les cultures intercalaires d’engrais verts et la mise à disposition de racines vivantes – mycorhizes – et mortes pour les faune et flore endogées.

Ces apports doivent être renouvelés en continu et, idéalement, couvrir le sol tout au long de l’année, dès que les cultures le permettent.

– Un compost jeune amende le sol alors qu’un compost mûr le fertilise

On parlera d’amendement lorsque le but premier est l’amélioration biologique et physique du sol, et de fertilisation lorsque l’apport est destiné à une assimilation plus rapide par les plantes. Le compost jeune – de trois à six mois maximum – est épandu en paillage au pied des arbres, en « mulch » entre les lignes de légumes à grand développement – pommes de terre, tomates, choux… – et en couverture des sols, à l’automne. Les déchets ligneux non décomposés qu’il contient encore permettent le maintien d’une activité biologique complète du sol. La distribution de compost jeune constitue une fertilisation à long terme plus spécifiquement destinée à la culture suivante.

Le compost mûr incorporé dans les premiers centimètres de la terre permet une minéralisation très rapide. Distribué en fin de saison, il joue un rôle d’éponge et améliore significativement les terres arides.

– Les limites du BRF

Le BRF doit être utilisé comme un restaurateur de l’activité biologique et de la flore mycologique des sols abîmés avec un maximum de deux apports importants sur deux ans. Il doit être apporté sur un sol dont le jardinier est certain qu’il ne sera pas travaillé pendant un à trois ans, selon l’épaisseur apportée, car le BRF ne peut être enterré à plus de quatre à cinq centimètres.

Il faut être conscient de la « faim d’azote » que le BRF va provoquer pour les légumes. Des apports azotés doivent être prévus sous forme de légumineuses – engrais verts ou légumes -, de purins d’orties ou de fumier. Pour une terre très abîmée, il est possible d’étaler une couche de sept centimètres de BRF que l’on associe à un semis de luzerne : la luzerne est vivace et produit énormément d’azote au point de polluer les nappes phréatiques dès la troisième année si elle est cultivée en monoculture… On n’oubliera pas d’ensemencer la parcelle avec les champignons basidiomycètes, en parsemant sur le BRF un peu de litière forestière. Le maintien des champignons basidiomycètes sur le sol peut s’effectuer avec des « saupoudrages » de BRF, apportés tous les quatre ou cinq ans. Si ces règles de base ne sont pas respectées, il y a un risque réel de créer plus de problèmes que de bénéfices…

Le BRF ne peut pas être apporté comme paillage. Utilisé régulièrement, il intoxique les sols car plusieurs années sont nécessaires pour qu’il soit digéré. Les champignons basidiomycètes sont les seuls à pouvoir digérer la lignine des BRF et ont impérativement besoin d’un milieu aérobie pour se développer. Si le BRF est enterré, ils ne peuvent plus assurer la décomposition de la lignine, faute d’une teneur en oxygène suffisante. Le BRF va alors intoxiquer le sol et épuiser rapidement les réserves d’azote et d’eau.

Conclusion : santé des plantes, santé des hommes…

Le sol constitue une ressource vitale, non renouvelable, qu’il est absolument vital de préserver. La gestion de sa fertilité doit être au centre des préoccupations du jardinier mais aussi de tous ceux qui profitent de son travail… L’humus y joue un rôle prépondérant et il faut donc le renouveler ou, beaucoup mieux, en augmenter le taux. Dans les année quatre-vingt, lorsque je m’initiais au jardinage biologique, j’ai toujours été frappé par l’acharnement des « précurseurs » à apporter de l’humus à leur terre.

Chez le regretté Luigi Pelucchi, à Seraing, on marchait sur du terreau à certains endroits ; chez Gilbert Cardon, à Mouscron : 12 % d’humus à l’analyse ! M. Delwiche, à Saint-Marc, compostait des tas de plusieurs dizaines de mètres de feuilles mortes. Il en recevait, à cet effet, des camions entiers de la Ville de Namur… Pour trente tonnes de terre à l’are – sur trente centimètres d’épaisseur -, un taux d’humus de 4% représente 1,2 tonnes par are, ou douze kilos d’humus pour trois cents kilos de terre au mètre carré.

En jardinage biologique, les organismes vivants du sol et la chaîne trophique qu’ils forment sont indissociables d’une nutrition équilibrée des plantes. Ils permettent une diminution notable – totale ? – des intrants. Par exemple, la solubilisation des formes organiques du phosphore par le biais des acides organiques sécrétés par les champignons mycorhiziens, alors que l’épuisement total des réserves mondiales de phosphate est annoncé pour les prochaines décades. Ils assurent également un rôle de protection sanitaire et renforcent l’immunité des plantes cultivées.

Par des techniques appropriées, le jardinier doit leur permettre de participer à la croissance et à la santé des plantes.  Changer son approche du jardinage peut être difficile : renoncer à un jardin « propre », au travail de la terre en profondeur, au binage… Admettre volontairement des adventices dans les parcelles… Mais santé du sol, santé des plantes et santé de l’homme ne sont-elles pas liées ?