Fallait-il vraiment annuler Valériane ?

Coup dur pour tous les fidèles du salon Valériane, organisé par Nature & Progrès… Coup dur pour tous les bio de la première heure – et des suivantes – qui aiment s’y retrouver pour bavarder, manger ensemble, trinquer avec enthousiasme… et modération ! En 2020, Valériane n’aura pas lieu ! Fut-ce une sage décision ? Nature & Progrès s’explique…

Interview de Jean-Pierre Gabriel, président du Conseil d’administration de Nature & Progrès.

Propos recueillis par Dominique Parizel

Valériane
- Jean-Pierre, fallait-il vraiment annuler Valériane ?

Le problème est évidemment que personne n’a de boule de cristal. Le pic mondial de la pandémie n’est toujours pas dépassé à l’heure où nous parlons et bien malin qui peut dire où nous en serons début septembre, même en Wallonie… De toute façon, les événements « de masse » sont interdits jusqu’au 31 août, et les dates de Valériane sont d’ailleurs fort proches de cette limite. Or nous avons vu bien des organisations comparables à notre salon « tomber » les unes après les autres… Nous avons tenté de résister le plus longtemps possible, eu égard à la grande fidélité de notre public et de nos exposants mais nombre d’entre eux, par mesure de prudence, se sont eux-mêmes progressivement désistés et rien n’indique qu’une fois septembre venu, notre public aurait jugé raisonnable de tenir un salon dont le principal atout est justement le contact et la chaleur humaine… Préparer un rassemblement festif de plusieurs milliers de personnes, alors qu’une seconde vague de Covid-19 n’est toujours pas exclue, nous est finalement apparu comme indéfendable.

- Une décision particulièrement douloureuse, on l’imagine aisément ?

La balance entre le rationnel et l’émotionnel l’a fait pencher du côté financier ; c’était sans doute l’attitude la plus raisonnable même si les conséquences peuvent être dommageables. Je n’imaginais pas devoir vivre cela, à la tête d’un conseil d’administration que je préside. Nous sommes là, chaque année, sans interruption depuis 1985, une époque où il fallait vraiment beaucoup de courage pour se réclamer de l’agriculture biologique, une période où l’écologie balbutiait et n’était pas encore vraiment prise au sérieux par le commun des mortels… Avec le public fidèle du salon Valériane, nous avons parcouru ensemble toutes les étapes d’une prise de conscience difficile, tout en nous efforçant de l’accompagner de passages à l’acte, pour notre santé et celle de la terre… Nous avons fait, ensemble, notre crise d’adolescence et nous pensions, à trente-six ans, avoir enfin atteint l’âge de la maturité. Un fait inattendu en a décidé autrement… Nous démontrons depuis 1985, par la tenue du salon Valériane, que l’agriculture biologique, le lien direct entre le producteur et le consommateur, l’autonomie en matière d’agriculture et d’alimentation, ainsi que le circuit court évidemment, sont les pistes les plus sérieuses pour nous garantir une alimentation de qualité. Durant le confinement, ce sont justement ces valeurs que les citoyens ont plébiscitées. Le thème de Valériane 2020, « Dès demain du 100% bio et fait maison » était donc, une fois encore, judicieusement choisi. Gageons que nous en reparlerons en 2021…

- Comment nos exposants ont-ils accueilli cette décision d’annulation ? Pourrons-nous compter sur leur participation pour l’édition 2021 ?

Nos exposants nous ont généralement témoigné une grande solidarité et je tiens à les en remercier. Le sentiment dominant était bien sûr une certaine tristesse, liée à la grande incertitude des moments que nous traversons. La grande majorité nous adressa ses encouragements à revenir plus résolus et plus forts encore, à l’automne 2021, jugeant finalement que notre décision était sage, même si elle était évidemment regrettable… Précisons que beaucoup d’entre eux hésitaient à s’inscrire vu les incertitudes qui pesaient sur la possibilité de tenir, cette année, notre salon Valériane, car il restait toujours un gros point d’interrogation pour les événements d’automne. Beaucoup n’y croyaient pas et les inscriptions arrivaient au compte-goutte… Certains trouvaient les mesures sanitaires trop strictes pour permettre un événement convivial et ceux qui avaient une ou plusieurs frontières à traverser craignaient d’être placés en quarantaine lors du retour au pays… Beaucoup évoquèrent des questions de trésorerie ; d’autres avaient déjà beaucoup plus de boulot que d’habitude, vu la confiance renouvelée que témoigna le consommateur durant la crise à tout ce qui est vente directe… Plus de la moitié des exposants avaient cependant déjà répondu présent et se montrèrent très compréhensifs lors de l’annonce de l’annulation, nous assurant de leur présence en 2021.

- Les pouvoirs publics, en ce qui concerne les foires et salons, étaient dans l’incapacité de prédire de quoi la rentrée serait faite ?

Le Conseil d’administration de Nature & Progrès dut se rendre à l’évidence, dans le courant du mois de juin : nous ne pouvions pas continuer à engager des frais pour un salon sans « certitude ». Les gros événements publics, comme les Fêtes de Wallonie, étaient déjà annulés depuis bien longtemps. De petits événements furent ensuite progressivement réautorisés, vu le bon déroulement du déconfinement au début de l’été… Malheureusement, Valériane accueille vraiment trop de monde et un monde qui a tellement de bonheur à être là qu’il aime passer de longues heures entre les murs de Namur Expo…

Nul ne pouvait prédire alors ce que serait vraiment la situation sanitaire au mois de septembre, et à quel stade en serait la pandémie, car rappelons-le le virus est toujours bien présent chez nous, même s’il n’a heureusement guère circulé pendant l’été… Qu’un salon Valériane soit éventuellement un cluster de contamination est un scénario cauchemardesque que nous ne pouvions, en aucun cas, envisager. Il n’est d’ailleurs absolument pas sûr que le public aurait répondu à notre invitation si nous avions voulu courir le risque de maintenir ce grand rassemblement. De toute façon, c’est le public qui a toujours raison, et l’organisateur tort s’il est d’un avis contraire…

- C’est un coup dur pour le secteur bio ?

Non, pas du tout. Au contraire, c’est un peu la « rançon de la gloire » ! La crise du Covid-19 a permis, à l’ensemble du secteur, de franchir un palier important, véritablement boosté par des consommateurs en mal d’une confiance que seul le contact direct, humain, semble désormais en mesure de ramener. Si le secteur bio a souffert, par conséquent, c’est surtout d’avoir à faire face à un volume de travail vraiment inattendu. Mais je crois que, globalement, nos producteurs et nos transformateurs sortent de cet épisode grandis et heureux. La bio fait une nouvelle crise de croissance dont le salon Valériane est, hélas, une très malheureuse victime collatérale. Comme le sont d’ailleurs l’ensemble des manifestations du même genre qui ne trouvent guère de solution pour continuer à exister… Valériane c’est surtout un moment chargé d’émotions où les acteurs de la bio aiment se retrouver pour parler d’avenir. Ce n’est que partie remise, espérons-le…

- Un coup dur pour Nature & Progrès, alors ?

Cela, sans aucun doute… On se souviendra de 2020 comme d’une année particulièrement pénible, du point de vue financier, pour notre association. Toutefois, un salon peu fréquenté et pauvre en temps forts aurait peut-être été pire que pas de salon du tout. Nous ne voulions pas non plus d’allées clairsemées, avec peu d’exposants sans enthousiasme, parcourues par un public méfiant n’éprouvant aucun plaisir à être là. Nous avons donc simplement pris acte du fait que les astres n’étaient pas alignés ! Ce qui n’arrange malheureusement pas nos bidons… Le salon est évidemment le noyau de notre année d’activité, c’est l’élément-pivot de la vie de notre association autour duquel énormément de choses sont structurées. De plus, un tel événement annulé, c’est déjà beaucoup de frais engagés ! En fait, la grande majorité des frais l’étaient déjà. En pure perte, par conséquent…

- C’est également un grand rendez-vous du secteur associatif qui n’a pas lieu ?

Bien sûr ! Nous savons tous que le salon Valériane est beaucoup plus qu’un simple marché – même si c’est toujours le plus grand marché bio de Belgique ! – où l’on vient juste faire ses courses, avec cette originalité chère à Nature & Progrès pourtant qu’on peut y rencontrer ceux et celles qui fabriquent ce que nous mangeons. L’aliment est beaucoup plus, à nos yeux, qu’un vulgaire objet de commerce dont on tire profit… Le secteur associatif, bien sûr, y est très présent et est également particulièrement touché par cette crise sanitaire ; il ne pourra pas non plus, malheureusement, rencontrer son public, en ce début septembre. Toutes les associations sont mises à mal cette année. Or le salon Valériane est, depuis trente-cinq ans, un véritable lieu d’échange et de confrontation d’idées où se retrouvent les associations et où elles peuvent dialoguer en toute tranquillité avec le simple citoyen. Pour beaucoup, le salon Valériane est le véritable point d’orgue qui marque la rentrée. Ne pas retrouver cela, en 2020, accuse encore un peu plus le fait que nous vivons une véritable année charnière… Qui nous mènera vers quoi ? Il faudra encore vivre quelques autres éditions du salon Valériane pour le savoir…

- Un an de perdu pour les grandes revendications de Nature & Progrès ?

Ce serait vraiment exagéré de dire une chose pareille. Néanmoins, c’est évidemment de notre plus belle tribune dont nous sommes privés cette année… Le thème choisi pour l’édition 2020, « Dès demain du 100% bio et fait maison » semble à ce point s’imposer à présent comme une évidence que nous allons lancer, dès ce mois de septembre, un vaste mouvement pour que notre alimentation soit totalement, inconditionnellement et indiscutablement bio. Riche en contacts et en respect humains… Et, plus encore, qu’elle soit faite maison, sans hésitation et exactement comme nous le voulons ! « Faite maison », cela signifie pour nous que le producteur va le plus loin possible dans la transformation de ses productions, en s’affranchissant des intrants et en produisant lui-même les aliments de son bétail et en transformant lui-même ses céréales en farine… Cela signifie aussi, pour le consommateur, jardiner autant que possible pour produire les légumes et cuisiner les bons ingrédients bio achetés chez les producteurs. Et tout cela, bien entendu, dans un esprit d’échange de pratique et de savoirs… Notre association est riche de producteurs et de transformateurs qui ne demandent qu’à proposer les fruits de leur travail, elle est riche de bénévoles férus de jardinage et passionnés de cuisine qui ne demandent qu’à partager leurs connaissances afin d’améliorer l’alimentation quotidienne de tout un chacun… Nous avons des auto-constructeurs qui développent des techniques de construction originales et qui mettent en avant des matériaux issus des sous-produits de l’agriculture de notre région… Pour rattraper le salon perdu, l’année qui vient sera donc parsemée d’ateliers et de conférences, de moments privilégiés sur nos réseaux sociaux et ailleurs qui mettront en relation toutes les personnes qui désirent produire et consommer dans le respect de l’humain et de l’environnement… Nous pouvons donc déjà annoncer qu’au vu de la demande croissante qui se ressent chez nos concitoyens, le thème « Dès demain du 100% bio et fait maison » sera, bien entendu, maintenu pour l’édition 2021. Nous avons toute une année pour le travailler en profondeur… Stimulons dès maintenant les changements qui sont dans l’air et dont le salon Valériane 2021 verra le plein épanouissement !

- Quel effet l’annulation aura-t-elle sur nos activités d’éducation permanente ?

Nous n’insistons sans doute jamais assez sur l’importance que revêt ce grand rendez-vous en matière d’éducation permanente, tant pour Nature & Progrès que pour d’autres associations qui y sont présentes… Nous serons donc contraints de faire l’impasse sur d’importantes conférences ainsi que sur les débats politiques qui sont habituellement programmés à cette occasion. Les activités de clôture de nos projets d’éducation permanente sont également compromises mais ce n’est évidemment que reculer pour mieux sauter car ces activités reprendront, dès cet automne, principalement par le biais de nos groupes locaux…

- Le Covid-19 semble avoir globalement donné un nouveau coup de pouce à la prise de conscience écologique ?

Le scénario linéaire, le business as usual, ne semble plus envisageable pour personne, y compris pour nous. Nous martelons à nos concitoyens qu’ils doivent apprendre à être résilients ; eh bien, soyons-le nous aussi et sachons rebondir pour imaginer un salon encore plus adapté à l’époque que nous traversons… Mais qu’est-ce qu’un salon résilient face à un virus et à une pandémie mondiale, je dois avouer que je n’en ai pas la moindre idée. Des plus jeunes que moi pourront peut-être m’aider à y réfléchir…

- Nature & Progrès pourra-t-il redémarrer de plus belle en 2021 et offrir à son public fidèle une version post-Covid-19 de son salon Valériane ?

Le défi est énorme ! Mais si notre public et nos fidèles exposants le veulent, nous sommes évidemment prêts à le relever. Diverses questions, pas forcément nouvelles, se reposeront cependant avec plus de gravité encore : celle des infrastructures, par exemple, Namur Expo étant toujours plus cher et plus mal adapté à nos besoins… Sans doute aurons-nous un important effort de créativité à produire pour cheminer vers un quarantième salon Valériane. Un salon qui reflète vraiment les enjeux du XXIe siècle…

- Cela traduira, quoi qu’il en soit, un engagement ferme et réaffirmé de la part de Nature & Progrès en faveur d’un monde plus écologique ?

Rien ne sera plus pareil avec le Covid-19, et même après lui… Le monde change et la cause de l’écologie est de mieux en mieux comprise. Elle suscite, auprès des générations montantes, une réelle adhésion positive. C’est donc le moment d’en finir, par exemple, avec ceux qui parlent encore d’ »écologie punitive ». C’est un non-sens ! Les écologistes n’ont pas inventé les crises environnementales et climatiques juste pour embêter les capitalistes et pour empêcher le peuple de s’épanouir en consommant… Au contraire, l’écologie est la solution, sans doute la seule, qu’on puisse apporter à l’épuisement des ressources et au dérèglement du climat. Les faits mettent aujourd’hui le peuple des consommateurs face à ses responsabilités ! L’écologie impose toutefois un changement radical de mentalité : plutôt que d’être celui, ou celle, qui sait tout et qui court partout, il faut d’abord faire la paix avec soi-même et avec le monde alentour. La crise de la biodiversité, la crise climatique nous montrent que l’homme n’est pas au-dessus de la nature : il y en fait intrinsèquement partie ! Toute l’alimentation du monde n’est disponible que parce qu’une mince couche de quelques centimètres de terre produit tout ce que nous mangeons. L’homme, quelle que soit son intelligence et sa richesse, n’est donc rien sans la nature qui l’entoure. Il est inutile de cueillir toutes les pommes pour le seul plaisir illusoire et dangereux de posséder beaucoup de pommes ; il en faut aussi pour les oiseaux, pour les insectes et pour les vaches… Il en faut qui pourrissent par terre pour libérer la semence et donner vie à de nouveaux jeunes pommiers…

En fait, ce n’est même pas vraiment notre problème. Prélevons juste le minimum et regardons la nature faire le reste. Elle fait tout cela beaucoup mieux que nous ne pourrions jamais le faire nous-mêmes – ou qu’une prétendue « intelligence artificielle » pourrait le faire à notre place – et nous serons plus heureux de la voir faire pleinement ce qu’elle fait si bien dans l’intérêt de tous…

L’électricité bio, ça existe !

« Il y aura un avant et un après Covid-19« , a-t-on entendu partout. Sûr ? Au-delà des bonnes intentions, changer de cap ne sera pas une mince affaire. Manger local, utiliser davantage son vélo, cultiver son jardin… Cela suffira-t-il ? « Intuitivement, nous savons que non« , affirme Mario Heukemes, responsable de la coopérative COCITER, le fournisseur d’électricité citoyen wallon. Nous avions déjà rencontré Mario en 2016, quand COCITER n’était encore qu’une société naissante. Aux yeux de Nature & Progrès, le modèle qu’illustre COCITER est absolument inégalable tant il donne tout pouvoir aux gens qui ont besoin d’électricité. Nous y revenons donc, en donnant la parole au représentant d’une de ses coopératives coopératrices…

Par Jean-François Cornet

Introduction

Dans la conjoncture particulière que nous vivons aujourd’hui, le modèle coopératif mis en place par COCITER trouve tout son sens et pourrait être une des clés du changement. Nous retrouvons Mario pour faire le point sur l’évolution de COCITER et l’interroger sur la pertinence de cette initiative dans le contexte de l’après-Covid-19.

« Aucun basculement significatif ne s’opérera sans une modification profonde de certains secteurs stratégiques, affirme Mario Heukemes. Ceux-ci sont majoritairement aux mains de multinationales ou de grandes entreprises privées qui ne voient, bien sûr, aucun avantage à ce que le système change. »

Parmi ces domaines stratégiques à réinventer, on trouve entre autres le secteur bancaire, l’agro-alimentaire, la téléphonie mobile ou l’énergie. Ces domaines, beaucoup les pensaient réservés à une élite industrielle. Pourtant des citoyens, regroupés en coopératives, les ont déjà investis et se sont réappropriés les connaissances et les compétences nécessaires, qu’ils mettent ensuite au service de la population. NewB, Paysans Artisans, Neibo, COCITER… : la preuve est faite qu’il n’y a plus de chasse gardée !

Toutes les électricités ne se valent pas

« Nous avons fait nôtre le slogan « Pour changer le monde, changeons déjà d’électricité ! », poursuit Mario Heukemes. Il faut du changement. Mais ce n’est pas gagné. Le dérèglement climatique cause déjà, et causera encore, bien plus de dommages que le Covid-19, on le sait. Alors, à quoi sommes-nous prêts pour changer le monde ? A explorer des chemins de traverse ? A privilégier le collectif ? A renoncer à une consommation low cost ? Quand je choisis mon fournisseur d’électricité, je n’achète pas seulement l’électricité qu’il me vend. Je choisis aussi le modèle économique et social qu’il défend, je soutiens sa façon d’agir sur l’environnement, j’adhère à sa vision de la société future. Je choisi le monde dans lequel je veux vivre. Or quels sont les critères qui nous guident quand nous choisissons notre électricité ? Pour beaucoup d’entre nous, ce sont les prix. Nous soutenons ainsi le modèle low cost dont on a vu, dans d’autres domaines, à quelles aberrations il nous menait. Nous sommes malheureusement encouragés dans ce choix par certaines organisations de consommateurs et des plateformes d’achat groupé. Et tant pis pour la provenance réelle des kWh et la qualité de la production ; et tant pis pour le greenwashing, les promotions aguichantes – qui ne sont que temporaires – et les conditions en petits caractères ! Tant pis aussi pour le modèle économique dont nous sommes, du coup, le support ! Non, toutes les électricités ne se valent pas ! »

C’est aussi l’avis de Greenpeace. Dans son classement des fournisseurs d’électricité en Belgique, l’ONG donne à COCITER la meilleure note et une mention flatteuse : « cette coopérative couvre 100% de ses livraisons par une production d’électricité durable. L’énergie aux mains de la population, c’est l’avenir ! », peut-on lire sur le site de Greenpeace, www.monelectriciteverte.be.

Une électricité d’origine contrôlée

Pourtant, quelle que soit l’origine de l’électricité que nous consommons – renouvelable, nucléaire et autre fossile -, sa qualité est apparemment la même : les ampoules éclairent nos maisons de la même façon, les radiateurs chauffent pareillement, les appareils électroménagers fonctionnent tout aussi bien – ou tout aussi mal. Qu’est-ce qui est différent, alors, avec l’électricité de COCITER ? « Pour nous, explique Mario, ce qui fait la qualité d’une électricité, c’est son origine : d’où vient-elle, comment a-t-elle été produite, par qui, avec quelle conséquence sur l’environnement, sur la planète et ses habitants ? Qui profite des bénéfices engendrés ? Chez COCITER, c’est simple : l’électricité fournie aux consommateurs est celle produite en Wallonie par les coopératives citoyennes. Les coopérateurs des coopératives associées sont les propriétaires de leurs outils de production et de leur fournisseur d’électricité. C’est le circuit court de l’électricité. C’est un modèle unique en Wallonie ! Nous garantissons ainsi une électricité 100% durable, 100% locale, 100% contrôlée et gérée démocratiquement par les citoyens. C’est une électricité d’origine contrôlée. C’est ça, une électricité de qualité ! Nos prix sont dans la moyenne des autres fournisseurs alors que, contrairement à eux, nous n’avons aucune condition du type « factures par Internet obligatoire » ou « paiement trimestriel à l’avance ». Nous sommes encore une jeune société et nous avons des frais que nous n’aurons plus dans quelques années… COCITER vend l’électricité au prix coûtant, seuls les frais de fonctionnement doivent être couverts. Et évidemment, plus les clients seront nombreux, plus ces frais diminueront. »

L’électricité bio, ça existe !

Une salade bio, c’est meilleur pour la santé. Mais c’est aussi meilleur pour la terre, pour la biodiversité, pour la planète. La manière dont le maraîcher l’a cultivée, les soins qu’il lui a apportés, le respect de la nature dont il a fait preuve dans son travail, le circuit court qu’il privilégie, voilà ce qui fait la qualité de sa salade. Il en va de même pour l’électricité, explique Mario Heukemes.

« Notre électricité, c’est comme une salade bio. Nous la produisons localement avec grand soin, avec un maximum de respect pour l’environnement et nous la livrons en circuit court. Et comme le maraîcher, nous travaillons selon les principes de l’économie sociale et durable. En résumé, c’est vraiment de l’électricité bio ! »

COCITER veille également à la diversification de ses sources. Si la production des coopératives partenaires de COCITER reste principalement d’origine éolienne, elle s’est cependant diversifiée ces dernières années. Elle provient maintenant aussi d’une unité de biométhanisation, de panneaux photovoltaïques et de turbines hydrauliques. Cette diversification renforce les capacités et la solidité de l’offre de COCITER. Par ailleurs, de nouvelles coopératives se sont jointes aux coopératives de départ.

« Actuellement, treize coopératives sont partenaires dans COCITER, précise Mario Heukemes. Nous fournissons aujourd’hui cinq mille deux cents ménages et nous produisons suffisamment pour seize mille ménages. De nouvelles unités de production sont en préparation qui nous permettront, dans les années à venir, de fournir encore davantage de ménages. Il n’y a donc aucun risque que nous manquions d’électricité. »

Un fournisseur à taille humaine

Autre nouveauté, chez COCITER, le capital s’est ouvert à d’autres actionnaires qui partagent les mêmes valeurs que les coopératives citoyennes. W.Alter – anciennement, la SOWECSOM, c’est-à-dire la Société wallonne d’économie sociale de la Région wallonne -, la Fondation pour les Générations futures et les Cercles des Naturalistes de Belgiques se sont engagés aux côtés de COCITER.

« C’est un geste fort de leur part, se réjouit Mario. Nos objectifs et nos valeurs sont les mêmes : réappropriation des biens communs, lutte contre les dérèglements climatiques et protection de la biodiversité, gouvernance démocratique, consommation responsable. Leur adhésion, au-delà du soutien financier apporté, représente surtout, pour nous, un bel encouragement. C’est aussi une reconnaissance du travail effectué jour après jour, avec enthousiasme, par les équipes de terrain. »

Les équipes de terrains, parlons-en. La plupart des coopératives citoyennes fonctionnent grâce à des équipes de bénévoles. Mais elles se professionnalisent au fur et à mesure de leur développement et, dès qu’elles le peuvent, elles engagent du personnel salarié. Quant à COCITER, il emploie actuellement six personnes, soit trois « équivalents temps plein » (ETP) et demi. Une structure encore modeste donc, mais qui s’étoffe d’année en année.

« Notre taille nous permet d’être proches et à l’écoute des clients, aime à souligner Mario Heukemes. Quand un client téléphone, ce n’est pas un robot qui l’accueille en lui demandant de taper 1 ou 2… C’est Fabienne ou Guido qui répondent et le dialogue est toujours chaleureux. Nous tenons à cette spécificité de fournisseur à taille humaine. Nos clients ne sont pas juste des « clients », ils participent avec nous au circuit court de l’électricité, nous sommes co-responsables de COCITER. Ça, c’est le cœur de notre projet coopératif : remettre le citoyen au centre de l’activité économique, lui redonner du pouvoir et de la responsabilité. »

Une gouvernance partagée et solidaire

COCITER est une coopérative rassemblant treize coopératives citoyennes wallonnes qui produisent de l’électricité verte. Ce sont donc les coopérateurs de ces coopératives qui sont propriétaires de leur fournisseur. Ce modèle économique permet de garantir un prix juste pour les clients. Quant à la gouvernance interne de COCITER, elle se veut participative.

« Chaque coopérative associée, explique Mario, participe aux décisions et aux orientations stratégiques de la société. Quelle que soit sa taille et l’avancement de ses projets de production, quel que soit son apport financier à la structure commune, chacune a la possibilité de participer aux discussions au sein des instances de décisions. Le principe d’organisation en cercles permet à celles et ceux qui le souhaitent de s’investir dans un ou plusieurs aspects de la gestion qui lui tiennent à cœur. C’est un modèle exigeant mais qui permet à tous les associés de trouver leur place dans le fonctionnement de la société. »

La crise du Covid-19 nous l’a rappelé, parfois douloureusement : notre modèle économique et social a trop longtemps négligé l’humain et le collectif. Deux valeurs qui fondent COCITER, fournisseur atypique, bien en phase donc avec la société résiliente dont nous avons besoin.

COCITER – le Comptoir Citoyen des Energies renouvelables
www.cociter.be – 080/68.57.38

Dès demain du 100% bio et fait maison

Tel devait être le thème de notre salon Valériane 2020… Mais, si le salon n’a pas lieu, la proposition qui est ainsi faite à chacun.e d’entre nous reste évidemment, plus que jamais, d’actualité. Qu’est-ce que le « fait maison » ? Quelle est la réalité derrière la formule ? Elle recouvre, vous vous en doutez, une très grande diversité d’approches et de méthodes… Nous avons donc sollicité, pour y voir un peu plus clair, le témoignage de cinq « proches » de Nature & Progrès. Nous leur avons posé quatre questions très simples pour les laisser évoquer librement leur rapport à la nourriture. Matière à réflexion…

Propos recueillis par Dominique Parizel

Introduction

Les quatre questions :

  1. Quel a été ton parcours vers le « fait maison » ?
  2. Où situe-tu ton degré d’autonomie alimentaire ?
  3. Table-tu plutôt sur l’autoproduction ou sur la proximité avec les producteurs locaux ?
  4. As-tu des « trucs et astuces » à recommander ?
Patricia, quelque part en Hesbaye liégeoise, est très active sur facebook

1- J’ai toujours eu beaucoup de plaisir à manger et à découvrir des saveurs. J’ai toujours été intéressée par l’environnement et la nature, j’ai toujours aimé les balades… Avec mon groupe facebook, je me considère comme une « délivreuse » de savoir-faire, dans les deux sens du terme : je les libère là où ils sont resté coincés et je les apporte à ceux qui en ont besoin, pour gagner en qualité de vie sans nuire à l’environnement. Je propose juste ce que je fais tous les jours : des choses qui me paraissent simples mais qui ne le sont peut-être pas aux yeux de quelqu’un d’autre. Nous avons tous une histoire familiale riche de connaissances singulières qui doivent absolument être partagées. Une recette n’est une chose figée ; elle doit toujours être transformée par celui ou celle qui la fait. Moi, je propose des recettes avec ce qu’on a sous la main car je trouve la cuisine trop souvent inutilement sophistiquée.

2- Autonomie est un terme à la mode. Moi, je suis autonome au saut du lit mais, quand j’arrive au déjeuner, il me faut du thé, du café, du lait, du sucre… Et, même si je fais mon pain moi-même, je n’ai pas cultivé la céréale… Pour nourrir une famille entière, il faudrait cultiver un hectare car les céréales prennent énormément de place. Donc, même si nos potagers nous rendent plus autonomes, la collaboration avec des professionnels est indispensable. Il m’est difficile de m’engager pour les agriculteurs, même si j’en côtoie souvent. Je préfère donc parler de consommation en circuits courts, de résilience et d’efficience en cuisine. Ce serait déjà pas mal, pour beaucoup de monde, d’être autonome en cuisine, au fourneau. Si j’achète un colis de bœuf, j’aurai des beaux morceaux et des moins beaux morceaux que j’aurai autant de plaisir à manger… à condition de savoir les cuisiner ! Des carbonades qui mijotent, tout un après-midi, embaument toute la cuisine. C’est terrible, croyez-vous, cela prend des heures ? Du calme ! Venez sur mon groupe pendant que cela cuit. Ou allez vous promener… S’organiser est indispensable mais il ne faut pas non plus devenir l’esclave de ses convictions. Il y a des jours où on peut juste ouvrir une boîte de sardines… Toutefois, les nombreuses petites aides culinaires qui sont très utiles – comme les légumes lactofermentés en bocaux -, il faut pouvoir prendre le temps de les faire. Ce sont des activités qui déstressent…

3- Je cultive une petite parcelle dans mon jardin – quelques plants de courgettes et de potirons, des poireaux, des betteraves et des salades – où j’ai surtout des aromatiques, ainsi que des fraises et des petits fruits. J’ai aussi une parcelle dans un jardin communautaire, à Awans, où on m’a même demandé d’être présidente. Sans doute parce que j’avais un beau chapeau… Je suis bénévole au Valeureux et également chez Hesbicoophttps://hesbicoop.be/ – quand j’arrive à quitter ma cuisine et mon écran d’ordinateur… Hesbicoop est une centrale où les producteurs amènent leurs marchandises qui sont ensuite dispatchées vers différents centres de ralliement où nous les répartissons en paniers pour les particuliers. C’est du local où nous incorporons un peu d’équitable. Une solution qui permet aussi d’éviter des déplacements inutiles en voiture, le problème du circuit court étant souvent de devoir courir à dix endroits différents pour dix denrées différentes. Nous proposons un juste milieu : tout centraliser pour ne faire qu’un trajet par semaine…

4- Un truc ? Faites du bouillon maison ; on peut en faire énormément de choses… Pour mes préparations, je fais deux casseroles de bouillon par mois que je stocke au frigo et au congélateur. Tous les quinze jours, j’achète environ trois kilos de carcasses crues de poulets bio. Je les cuis une première fois à petits bouillons dans une grande quantité d’eau – avec de la sauge, du thym, du laurier et du romarin réduits en poudre -, ce qui permet de retirer facilement les chairs. Je récupère ainsi un tiers du poids en effilochés de volaille. Soit environ un kilo de viande bio pour deux euros !

Cela prend du temps ? Ben oui. Je me pose dans ma cuisine pendant une demi-heure et je ne ressens pas ça comme une corvée. Je rêvasse en occupant mes mains… Je les replonge les carcasses nettoyées dans le bouillon pour qu’elles libèrent un maximum de goût, je passe ensuite le jus au tamis et j’ajoute ou non des légumes en fonction des utilisations prévues. Le faire à ce moment-là permet de ne pas avoir les légumes empêtrés dans les petits os. Ce temps investi me permet d’avoir, en permanence, sous la main un exhausteur de goût naturel et nourrissant. Et plus un kilo de viande pour un moindre coût… Ce bouillon, vous pouvez le servir, avec légumes et effiloché de volaille, en plat unique, en ajoutant simplement des céréales. Ou le transformer en bol « ramen », en y ajoutant de la sauce soja… Ou encore ajouter les effilochés dans une salade… Ou comment faire de la top cuisine en valorisant juste un « déchet »…

Joseph, du côté de Waremme, encadre un potager collectif…

1- Nous faisions un jardin, à la maison, dans les années cinquante, comme tout le monde en faisait à l’époque. C’était du bio avant l’heure… Cette culture subsiste toujours chez moi aujourd’hui ! Les gens – dont mes parents d’origine polonaise qui ont été déportés pendant la guerre – avaient subi d’immenses privations. La nourriture était donc une chose très importante à leurs yeux mais ce qui l’était encore plus c’était que leurs enfants ne connaissent pas ce qu’ils avaient vécu. L’érosion de la part consacrée à l’alimentation, dans le budget d’un ménage, l’a fait passer de 50% après la guerre à moins de 15% actuellement. Il y a tout un débat de société à faire autour de cela : pourquoi consacrons-nous moins de budget et moins de temps à nous soucier de la qualité de notre alimentation ? Cela a-t-il vraiment un sens ?

2- A la maison, nous ne produisons pas tout nous-mêmes ; nous n’avons pas de bétail ni même de petit élevage. Nous sommes de très petits consommateurs de viande et sans doute l’âge y est-il pour quelque chose ? Notre production concerne donc essentiellement les fruits et légumes. Nous achetons peu de choses et, quand c’est le cas, c’est du bio. Je ne saurais donc dire si la qualité globale de l’alimentation, ainsi que certains le prétendent, a baissé depuis l’époque de mes parents. Toutefois, notre propre récolte de pommes de terre nous mène de la fin juin jusqu’à février-mars et nous achetons des patates bio pour faire la soudure. La différence est évidente avec ce que je fais au jardin ; on sait qu’on mange des pommes de terre mais pas beaucoup plus que cela. Je ne me prononcerai donc pas sur les pommes de terre en conventionnel…

Je connais beaucoup de travailleurs détachés polonais qui travaillent dans le maraîchage en Hesbaye ; je leur rends à l’occasion l’un ou l’autre service de traduction pour remplir des documents. Ils me donnent en remerciement des surplus de production bio destinés à la benne quand il y a un excédent momentané. Si je compare un poireau de cette production avec un poireau de mon jardin, je dirais qu’il faut vraiment mettre le nez dedans pour savoir ce que c’est. Je pense donc que la baisse globale de qualité est malheureusement bien réelle et tient au fait que les méthodes culturales bio sont identiques à celles du conventionnel, hormis évidemment pour tout ce qui concerne les intrants. Ceci dit, on ne parle de conventionnel que depuis cinquante ans ; avant cela, tout était en bio « sans le savoir »…

3- Notre autonomie est assez élevée sur la partie maraîchère. Je mange peu de fruits, n’étant pas sucre du tout. Ma femme l’est de moins en moins… Et nous consommons peu de viande, pas de poisson… Nous nous rendons bien chez les producteurs locaux mais nous sommes parfois un peu gênés de ne prendre chez eux que les tchinisses qui nous manquent… Nous faisons peu de conserves – nos surplus sont congelés – en restant attentifs à consommer le plus frais possible. Nous faisons bien sûr un peu de lactofermentation – choucroute et cornichons -et nous séchons également des fruits mais de manière très marginale. Nous faisons des coulis de tomates et des pesto… Nous avons un extracteur, pour faire des jus de fruits et de légumes, et nous faisons notre propre pain, avec les farines d’Agribio ou de Vajra

Le jardin collectif de La prêle, au sein duquel je suis actif pour la huitième année, a surtout pour but de montrer que des gens qui se déplacent pour cultiver sur un lieu collectif, s’en sortent très bien en n’y consacrant pas plus de deux ou trois heures par semaine pour environ cent vingt-cinq mètres carrés. Tout est affaire d’organisation ; les jardiniers qui ont un jardin trop grand ne savent souvent pas par où commencer quand tout est à faire en même temps… Pour des gens inexpérimentés, se faire encadrer est souvent très utile car les causes d’échecs sont plus nombreuses que les réussites… Je pense que le jardin est source de grandes économies ! Pas sur le prix de ce qu’on produit mais par rapport à tout ce qu’on n’achète plus. Car le ménage qui prend goût au jardinage vit dans son jardin et les autres stimulations extérieures perdent beaucoup de leur impact. On va s’amuser au jardin, on se fait de bons petits repas et on est heureux comme cela ! Être en harmonie avec sa propre personnalité et avec la nature environnante est le principe même de la décroissance.

4- Je préconise l’utilisation de la « marmite norvégienne » pour cuisiner en faisant de belles économies d’énergie. Mais cela mérite un article spécifique…

Carine, dans le Brabant Wallon, ou comment marier opportunisme et créativité…

1- Une infirmière qui s’occupait de moi, dans une période difficile de ma vie, m’a un jour annoncé qu’elle allait se mettre à faire du pain au levain, du pain bio… C’était il y a plus de quarante ans ! Le pain étant la base de l’alimentation, tout a commencé par là et mon esprit s’est ouvert. J’ai ensuite suivi des cours sur le jeûne, les soupes, l’alimentation végétarienne, etc. J’ai pris conscience de la nécessité d’assainir la façon dont je me nourrissais et dont je nourrissais les autres. A commencer par mes propres enfants qui, à leur tour, ont été très sensibles à toutes les questions liées à la nourriture, au « zéro déchet », etc. Tout cela m’amène aujourd’hui à une très grande autonomie alimentaire, en ce sens que, si j’ai envie de soupe, je fais le tour du jardin et je trouve une ortie et de l’égopode auxquels j’ajoute la patate qui traîne dans mon panier et les deux carottes qui restent dans mon frigo… La créativité fait partie de ce que je suis devenue. Je récupère tout ! Si un magasin met devant sa porte du pain rassis pour les animaux, eh bien, je ne le donne pas aux animaux et je le mange moi-même ! Je peux donc me débrouiller avec un budget extrêmement restreint. Mais, soyez rassurés, un bon pain bio vieillit mieux que l’éponge de la boulangerie du coin qui se borne à cuire des pâtons venus on ne sait d’où… Puéricultrice de formation, j’ai à cœur de dépanner des mamans mais ma vision de l’aide a changé : pendant qu’elles s’occupent elles-mêmes du bébé, je leur fais cadeau d’un repas, ou simplement d’une bonne soupe… Je suis également traiteur autodidacte, spécialisée dans la cuisine vietnamienne, pour des œuvres, des communions, des mariages… Des petits budgets… Je donne également des formations sur le pain au levain. Au salon Valériane, entre autres…

2- En matière d’autonomie, je ne suis pas parfaite mais je tends vers… Voilà comment je pourrai définir mon niveau. Cela s’inscrit dans le sens d’une réflexion personnelle. Je suis là, ici et maintenant, dans ma maison et je n’ai pas été gênée par le confinement. Je n’ai pas de liste de courses impressionnante à transmettre parce que la base nécessaire est toujours là, chez moi. Je fais, par exemple, des recettes à base de tempura, une pâte à beignet d’origine japonaise, dans laquelle je passe des fleurs et que j’accompagne d’une sauce soja diluée… En fait, je suis une opportuniste alimentaire. J’ai vu, ce matin, quatre champignons dans une prairie. Je les ai ramassés, coupés, congelés… Ils me serviront bien, un jour ou l’autre…

3- Je suis entièrement favorable à la production locale. Mon jardin n’est certes pas très fourni mais je fais activement partie d’un groupement d’achat, labellisé Nature & Progrès, et nous avons une nouvelle épicerie coopérative à Mont-Saint-Guibert qui est très bien fournie. J’aime aussi les fromages de la Baillerie qui ne sont pas certifiés bio mais c’est ceux-là qui me conviennent. Question de goût, de discernement… et de proximité ! Et, surtout, je connais les producteurs…

4- A l’époque du vite-fait, tout-fait et souvent mal fait, j’apprécie beaucoup les petites recettes sympathiques, réalisables rapidement – mais avec créativité – avec ce qui tombe sous la main. Ce sont mes « improvistes » ! Voici donc ce que j’ai toujours sous la main, en version bio et local si possible : quelques tranches de pain ou un paquet de crackers, une boîte de sardines ou de maquereaux – issus d’une pêche responsable -, quelques œufs… Dans mon frigo : mayonnaise, fromage frais ou dur, quelques olives, du bouillon et du parmesan. Dans mon placard : noix, amandes, pâtes, riz, quinoa, couscous, lentilles corail ou vertes, coulis de tomate bio… Dans mon panier de légumes : oignons, carottes, radis, concombre, tomates, fenouil… Dans mon congélateur : quelques pilons de poulets, quelques tranches de dos de dinde surgelés par deux, un peu de fromage râpé… Dans mon tiroir à épices : thym, laurier, ail, curcuma, paprika, curry… Et, bien sûr, dans mon jardin : de la verdure – orties, consoude, égopode -, des fleurs – capucines, lierre terrestre, hémérocalles, mauves, etc. -, des fruits – rhubarbe, mûres, groseilles et framboises – et quelques herbes – ciboulette, persil, sauge…

Xavier, quelque part au cœur des Ardennes, anime désormais la page recettes de votre revue Valériane

1- J’ai commencé à cuisiner avec maman quand j’étais enfant : gâteaux, desserts… Une fois l’adolescence venue, pour essayer de la soulager un peu, j’ai fait les repas une fois par semaine. Arrivé dans la vie active, je m’y suis mis de plus en plus et j’ai naturellement mis au point mes propres recettes, amélioré celles que je connaissais déjà. Nous faisions une cuisine familiale ; étant originaire de Jalhay, il s’agissait de plats de la région liégeoise et de recettes de famille. Nous nous sommes installés, ma compagne et moi, près d’Houffalize en 2013, et produisons une partie de notre alimentation sur un terrain d’un hectare. Mes parents avaient bien un potager qui n’était pas très grand et ne produisait pas énormément. Maintenant, je réalise tout moi-même à partir d’ingrédients bio autoproduits ou achetés chez des producteurs proches. Je teste des choses à partir de ce que j’ai appris, toujours dans le strict cadre familial… Cuisiner est juste un hobby pour faire plaisir à la famille ou aux amis qui viennent manger chez moi. Je fais avec ce que j’ai et il est rare que j’aille chercher ailleurs.

2- Notre degré d’autonomie alimentaire est quasi-complet en ce qui concerne les légumes. Nous nous battons évidemment contre les ravageurs, limaces et campagnols principalement. Nous n’avons presque pas produit de pommes de terre et de carottes, l’année dernière, et avons donc dû en acheter. Mais il y a deux ans, la production de tomates a été si bonne que nous avons encore des conserves de coulis. Je pense qu’il faut viser la variété au niveau du potager, en s’apprêtant toujours à subir l’un ou l’autre échec et en n’hésitant pas à recourir à de la lutte intégrée contre les ravageurs, en améliorant la biodiversité et en amenant des moyens de lutte naturels ou mécaniques… Nous avons réglé nos gros problèmes de limaces en adoptant le canard coureur indien ; nous nous attaquons aux campagnols en plaçant des barrières physiques qui leur empêche d’accéder aux parcelles. C’est en testant et en améliorant chaque année, sans se décourager, qu’on trouve les solutions adéquates, mais l’autonomie n’est pas une fin en soi. Nous produisons aussi une part de notre viande – de la volaille principalement et occasionnellement des moutons et des cochons – mais être totalement autonome en la matière semble extrêmement difficile… Pour la plupart des gens, le plus gros problème reste l’accès à une terre où installer leur potager. Mais tout le monde peut cultiver des salades et quelques plants de tomates, dans des bacs, sur sa terrasse…

3- Tout ce que nous achetons à des producteurs est strictement local, même si, à l’occasion – nous avons tous les deux des métiers très mobiles -, nous ramenons des denrées de producteurs plus éloignés. Les producteurs locaux pratiquent des prix tout-à-fait raisonnables et se fournir chez eux n’est pas plus cher que de le faire en grandes surfaces… Le principal problème réside donc dans la bonne gestion des stocks puisqu’on ne rend pas visite à un producteur chaque semaine : un fromage, par exemple, s’achète par roue dont on congèle éventuellement une partie. Acheter local permet donc de gagner en qualité sans que cela atteigne vraiment le portefeuille. Mais cela change surtout l’organisation des courses, de manière générale…Notre micro-ferme, elle, n’a d’autre fonction que d’améliorer notre qualité de vie, même si nous y proposons des activités qui peuvent être utiles pour tout auto-producteur non-professionnel… Nos fruits et légumes autoproduits sont incontestablement meilleurs au goût, ne serait-ce que parce qu’ils sont récoltés à maturité. Quant au coût d’un potager, il est principalement lié au temps qu’on y passe…

4- Le plus difficile est d’oser se lancer, essayer l’une ou l’autre chose… Ne suivez jamais une recette au pied de la lettre, prenez-en l’idée et tournez autour. Elles ne sont là que pour donner envie. Modifiez, retirez, ajoutez… C’est là que vous commencerez à prendre du plaisir dans votre cuisine, à innover et à produire ce qui vous plaît vraiment. Conserver les légumes est utile également mais ce n’est pas conserver qui prend le plus de temps, c’est récolter. Cependant, si on veut avoir des petits pois toute l’année, il faut bien les conserver. Ou alors attendre des producteurs qu’ils le fassent pour vous. Congeler est très simple, stériliser n’est pas compliqué même s’il faut parfois préparer les légumes, et lactofermenter n’est guère plus difficile mais il est nécessaire de bien comprendre le processus. Il faut juste avoir de la place pour ranger tout cela…

Bernadette, dans le Namurois…

1- Nous étions quatre enfants à la ferme, à aider notre père qui était veuf : gérer le potager et faire la cuisine parce qu’il n’avait pas trop le temps, étant agriculteur. Le milieu rural nous a beaucoup aidés car nous avions du petit élevage, poules, lapins, cochons, etc. Je faisais déjà les conserves et la charcuterie, alors que j’avais à peine douze ou treize ans… Nous congelions déjà beaucoup car il y avait beaucoup de viande à la ferme. La viande de porc précuite était conservée dans sa propre graisse qu’on coulait chaude entre les morceaux, dans un pot en grès ; nous allions ensuite repêcher les morceaux dans le saindoux… A la campagne, tout le monde vivait simplement ; il y avait juste une petite épicerie au village où on allait peut-être tous les quinze jours. Et une boulangerie aussi…

Nous avons continué ce mode de fonctionnement après notre mariage, même si la proximité de la ville a amené de nouvelles tentations. Nous avons toujours un très grand potager et un verger avec une soixantaine d’arbres : pommes, poires, prunes, pêches, figues, abricots… Et, bien sûr, des petits fruits… Nous avons malheureusement dû nous limiter fortement au niveau des animaux mais nous avons encore des poules, des oies, des canards, des dindes… Jusqu’il y a une vingtaine d’années, nous avions vaches et cochons… Nous faisions appel à un ami boucher pour la découpe et je faisais moi-même toutes les charcuteries, ainsi que le beurre, la maquée et un fromage à pâte dure, de type Saint-Paulin. Je transformais également tous les petits fruits…

2- Nous étions totalement autonome, hormis peut-être un peu de poisson de temps en temps… Aujourd’hui, nous le restons à 95% en légumes. Nous avons notre épeautre chez un ami fermier, que nous faisons moudre au moulin d’Odeigne, et nous faisons 90% de notre pain. Nous sommes autonomes à 100% en fruits, si l’on veut bien excepter quelques bananes bio…Pour les fruits de table, nous le sommes à 75%…

3- Nous mangeons nettement moins de viande qu’au début de notre mariage. J’en achète donc encore un peu au groupement d’achat de Nature & Progrès. Deux colis de trois kilos tous les deux mois… Et tout le reste, je le prends lors du salon Valériane…

4- Tous nos déchets organiques vont directement aux poules. Pour le reste, ne jamais jeter de nourriture est une chose qui me tient particulièrement à cœur ! Je m’efforce donc d’accommoder absolument tous les restes de repas. Un pain bio dure une semaine, et un pain sec passe aisément dans une soupe, ainsi que tous les légumes qui traînent au fond du congélateur. Une carbonnade flamande se recycle aisément en boulet à la liégeoise. Pas de problème communautaire sous mon toit !

Conclure ?

Tout ceci démontre au moins une chose : il est possible de cuisiner bio, sainement et pas trop cher ! Il faut d’abord en prendre conscience mais c’est aussi un choix de vie dont on peut parier qu’il rend ceux qui le font moins malades et moins stressés… La crise que nous traversons n’a sans doute fait qu’accentuer cette tendance lourde dans notre société : pourquoi courir pour gagner sa vie si c’est pour être en déficit chronique de bonheur et casser sa pipe un gros paquet d’années trop tôt ? Libre évidemment à ceux qui courent encore de critiquer pareille philosophie… Tant qu’ils ont la santé…

Shakespeare est-il aussi vital qu’une variété de légumes ?

Lecture de Station Eleven d’Emily St. John Mandel

Cette analyse se propose de parcourir une nouvelle œuvre de fiction dans le but d’éclairer quelques grands enjeux de notre époque : engagements écologiques, perspectives d’effondrement, idéaux de transitions à opérer. Station Eleven, d’Emily St. John Mandel, met en scène une troupe d’artistes itinérante dans un monde effondré. On y saisit l’occasion de s’interroger sur la place et l’importance de la culture et de l’art dans nos sociétés et dans nos vies…

Par Guillaume Lohest

Introduction

Pourrions-nous faire sans art et sans culture, en ces temps de Covid-19 où les voilà bien malmenés ? Comment expliquer que nous puissions, à la fois, les ressentir comme inutiles et indispensables ? Une célèbre citation, attribuée à Winston Churchill, a beaucoup tourné sur les réseaux sociaux. Alors que la Seconde Guerre mondiale faisait rage, le Parlement anglais aurait proposé de couper dans les subventions aux arts et à la culture pour les reverser à l’effort de guerre. Churchill aurait alors répondu (1) : “Mais alors, pourquoi nous battons-nous ?

Place de la culture

Quand on réfléchit à un autre monde, moins industriel et moins dépendant des énergies fossiles, plus respectueux de la nature, les premières images qui viennent à l’esprit concernent souvent l’habitat et l’alimentation. Les romans et les films post-apocalyptiques ont le don d’enflammer notre imagination pour les aspects matériels d’une vie qui aurait résisté à des effondrements. Même chose pour les livres sur la transition et les initiatives concrètes : l’alimentaire – potagers collectifs, AMAP, coopératives, circuits courts, etc. – tient le haut du pavé, et de loin !

En pleine pandémie de Covid-19, le monde de la culture a souffert. Dans l’impossibilité d’exercer leur métier, les artistes – mais aussi, plus généralement, les travailleurs socio-culturels – ont pris la parole pour faire entendre leurs difficultés et leurs inquiétudes, mais aussi la valeur de leur travail, leur rôle essentiel dans la société.

Quand l’effondrement de notre civilisation industrielle mondialisée m’apparaît comme une évidence, en tant que travailleur “socio-culturel”, je vous avoue que je me demande parfois à quoi je pourrais bien être utile dans une nouvelle société low-tech. La mini-série “Effondrement”, diffusée sur Canal+ l’an dernier, condensait ce questionnement dans la réplique d’un personnage, habitant un écoquartier autonome et organisé. Voyant arriver un groupe de citadins aux professions intellectuelles, artistiques, commerciales, il dit à ses amis qu’ils ne serviront à rien car ils n’ont pas de compétences utiles. Et en effet : tant de railleries sont possibles envers les artistes, les intellectuels, les écrivains… C’était déjà le thème du célèbre Albatros de Baudelaire : les “hommes d’équipage” d’un navire se livrent à des jeux cruels avec un albatros maladroit et incapable de “marcher”, symbolisant le poète inapte aux tâches plus terre-à-terre, utiles des hommes.

Jouer Shakespeare dans un monde dévasté

Le roman Station Eleven d’Emily St John Mandel s’intéresse à cela notamment : à la vie d’une bande d’“albatros” – comédien.ne.s et musicien.ne.s – dans un monde dévasté par une pandémie foudroyante. Vingt ans après la mort de 99% de l’humanité, une petite troupe appelée la “Symphonie” parcourt les rives du lac Michigan et joue des pièces de théâtre ainsi que de la musique orchestrale. Leurs conditions de vie sont compliquées. “La civilisation, en l’An vingt, était un archipel de petites localités. Ces colonies avaient combattu les bêtes sauvages, enterré leurs voisins, vécu, péri et souffert ensemble pendant les années sanglantes qui avaient suivi le cataclysme, avaient survécu dans des conditions épouvantables, et ce seulement en se serrant les coudes dans les périodes d’accalmie : autant dire qu’elles ne se mettaient pas en quatre pour accueillir les étrangers (2).

Néanmoins, la plupart du temps, la “Symphonie” est bien reçue et se concentre sur un certain répertoire. “Les premières années, il leur était arrivé de jouer davantage de pièces contemporaines, mais le plus étonnant, ce qu’aucun d’entre eux n’aurait imaginé, c’était que le public semblait préférer Shakespeare aux autres œuvres de leur répertoire. “Les gens veulent ce qu’il y avait de meilleur au monde”, disait Dieter, qui avait lui-même du mal à vivre dans le présent.

Avant, pendant et après

Ce roman jongle avec trois moments distincts : l’avant-catastrophe, le moment de la catastrophe, et vingt ans plus tard. Les personnages font le lien entre les époques. Tout commence sur scène, avec la mort d’un certain Arthur Leander, une star de cinéma, en pleine représentation du Roi Lear de Shakespeare. Cet événement a lieu juste au déclenchement de la pandémie de “grippe de Géorgie”, un virus foudroyant très contagieux qui tue en quelques jours à peine. Est-ce une manière de rappeler, comme fil rouge du roman, que les œuvres d’art survivent aux humains qui les créent et les interprètent sans cesse ?

Toujours est-il que ce contraste entre les époques fait naître de multiples réflexions-choc sur ce qui dure et ce qui ne dure pas, sur ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas. Ainsi, une longue liste énumère une série d’habitudes et de bienfaits que nous pensons acquis, normaux, alors qu’ils sont en réalité des bienfaits extraordinaires. “Liste non exhaustive : Plus de plongeons dans des piscines d’eau chlorée éclairées en vert par en dessous. (…)

Plus d’écrans qui brillent dans la semi-obscurité lorsque des spectateurs lèvent leurs portables au-dessus de la foule pour photographier des groupes en concert. Plus de scènes éclairées par des halogènes couleur bonbon, plus d’électro, de punk, de guitares électriques. Plus de produits pharmaceutiques. Plus aucune garantie de survivre à une égratignure à la main, à une morsure de chien, à une coupure qu’on s’est faite au doigt en éminçant des légumes pour le dîner. Plus de transports aériens. Plus de villes entrevues du ciel à travers les hublots, (…) Plus de pays, les frontières n’étant pas gardées…. Plus d’internet. Plus de réseaux sociaux, plus moyen de faire défiler sur l’écran les litanies de rêves, d’espoirs fiévreux, des photos de déjeuners, des appels à l’aide, des expressions de satisfaction, des mises à jour sur le statut des relations amoureuses grâce à des icônes en forme de cœur – brisé ou intact -, des projets de rendez-vous, des supplications, des plaintes, des désirs, des photos de bébés déguisés en ours ou en poivrons pour Halloween. Plus moyen de lire ni de commenter les récits de la vie d’autrui et de se sentir ainsi un peu moins seul chez soi. Plus d’avatars.

Une vie de somnambules ?

Bien au-delà de cette comparaison globale entre la civilisation et un monde “effondré”, Station Eleven explore l’intimité du vécu et la façon dont les personnages tentent de donner du sens à leur vie. Cette question se pose évidemment autant avant la catastrophe qu’après ! Ainsi un certain Clark en vient-il à s’interroger sur le fait que bien des gens vivent en “somnambules”, que “l’âge adulte est peuplé de fantômes”. “Clark avait bel et bien été un somnambule, menant sa vie routinière dans un demi-sommeil depuis déjà un moment, depuis des années. Il n’était pas spécifiquement malheureux, mais quand avait-il éprouvé pour la dernière fois un réel plaisir dans son travail ? Quand avait-il été pour la dernière fois sincèrement ému par quelque chose ? Depuis quand n’avait-il pas ressenti d’admiration, d’inspiration ?

Il n’est pas anodin que ce soit ce personnage, Clark, qui crée un “musée de la civilisation” installé dans un ancien aéroport, dans le monde effondré vingt ans plus tard. Après coup, après la pandémie, il prend conscience que la civilisation dans laquelle tant de gens vivaient en somnambules était aussi pleine de splendeurs. Il se retrouve à expliquer à des enfants comment décollaient les avions et les fusées.

Ce roman ne propose pas d’argumentaire. Il ne dresse pas le procès de notre monde industriel au nom d’une idéologie ou d’une écologie revendiquée. C’est ce qui le rend encore plus beau et digne d’intérêt : nous sommes laissés en tant que lecteurs à nos spéculations sur le monde réel, sur les crises écologiques, sanitaires, économiques. Pas d’argumentaire donc, mais le déroulement de plusieurs histoires à des années d’intervalle. L’intrigue, qui ne sera pas dévoilée, est passionnante elle aussi. On est captivé par le passé d’acteur hollywoodien à succès d’Arthur, avant son décès sur scène dans Le roi Lear. On découvre, morceau par morceau, ce qui le relie à Kirsten, personnage central de l’intrigue du monde d’après, comédienne de la “Symphonie”. Enfin, on est plongés au cœur du moment d’effondrement avec Jeevan, un ancien paparazzi reconverti en infirmier urgentiste.

Qu’est-ce que l’essentiel ?

Quand ce qui nous semble normal s’effondre, nous sommes face à l’interrogation ultime. Dans une certaine mesure, la pandémie de Covid-19 nous a brutalement incités à y réfléchir. Les personnes engagées dans ce qu’on appelle la “collapsologie” – l’étude des effondrements -, quelles que soient les critiques qu’on puisse formuler à l’égard de leurs points de vue, aboutissent souvent à cette question du sens. Sans leçon morale, Station Eleven explore ce questionnement sur ce qui donne du sens à nos vies.

Le roman y répond-il ? Pas directement. Il raconte, il montre, il décrit. Deux éléments essentiels se détachent de l’entrelacs des histoires racontées : les autres et l’art. Ce n’est pas simple de vivre avec “les autres”, si proches soient-ils. Ainsi est-il dit à propos de la cohabitation dans la “Symphonie” : “tous ces gens, avec leur collection de petites jalousies, de névroses, de syndromes post-traumatiques non diagnostiqués et de rancœurs brûlantes, vivaient ensemble, voyageaient ensemble, répétaient ensemble, jouaient ensemble trois cent soixante-cinq jours par an, compagnie permanente, en tournée permanente.” Mais, malgré ces difficultés parfois insurmontables, ce collectif d’artistes ambulants tient le coup parce que les êtres humains ont besoin de liens. “La Symphonie était insupportable, l’enfer c’était les autres (3), ou les autres flûtes, ou celui qui avait fini la colophane (4), ou celui qui ratait le plus de répétitions, mais il n’en restait pas moins que la Symphonie était leur seul foyer.” Le roman livre d’ailleurs aussi la réflexion contraire : “L’enfer, c’est l’absence de ceux qu’on voudrait tant avoir auprès de soi.” On peut sourire : présence des autres ou absence des autres, serions-nous condamnés à un enfer ? Pas de réponse directe….

Les liens, le sens et la beauté : aussi vitaux que les calories

… mais indirectement, l’histoire semble montrer que ce qui est insupportable, c’est l’absence de sens et, aussi, l’absence de beauté. Or c’est sans doute à cela que contribuent la culture et l’art : à donner du sens et de la beauté. On serait bien prétentieux d’essayer de répondre à cette question que personne n’a définitivement résolue : à quoi sert l’art ? Le théâtre, la peinture, la poésie, le cinéma, etc. ? Ou plutôt, puisqu’en termes utilitaires l’art ne sert précisément à rien, pourquoi l’humanité crée-t-elle des choses belles et inutiles ? Pourquoi l’humanité a-t-elle besoin de l’inutile pour vivre ? Peut-être, là encore, pour faire du lien. Entre les époques, entre les gens, entre les questions sans réponse, entre des connaissances apparemment isolées les unes des autres, entre ce qui disparaît et ce qui naît, entre les générations…

Ce qui a été perdu lors du cataclysme : presque tout, presque tous. Mais il reste encore tant de beauté : le crépuscule dans ce monde transformé, une représentation du Songe d’une nuit d’été sur un parking. […] Parce que survivre ne suffit pas.” Sur la caravane de tête de la “Symphonie” mais aussi tatouée sur le bras gauche de Kirsten, cette citation issue de l’univers de Star Trek (5) : “Parce que survivre ne suffit pas.” Cela a beau être une évidence, cette phrase fait jaillir une multitude de liens avec d’autres œuvres, avec d’autres vécus. Par exemple cette bande de jeunes amis, en Syrie, qui au cœur de la répression armée et des bombardements quotidiens par le régime de Bachar Al-Assad, ont consacré leur énergie à créer une bibliothèque pour donner sens à leur existence (6). Par exemple, cette réplique du chanteur et poète Leonard Cohen à qui un journaliste demandait ce qu’était, pour lui, le succès : “le succès, c’est de survivre”, répondit-il avec un sourire un peu triste. Comme si, au fond, il n’y avait pas de distinction si nette que cela entre la survie et la vie tout court. L’art et la création sont, déjà, du domaine de la survie. Comment expliquer, sinon, les innombrables témoignages relatant la vie artistique dans les camps de concentration, dans les prisons, dans les goulags, ces œuvres nées de femmes et d’hommes ayant le ventre vide ? Les pragmatiques peuvent ricaner, on dirait bien que l’humanité a autant besoin de sens et de beauté que de calories alimentaires. Les aubergines ‘Violette de Florence’, les tomates ‘Cœur de bœuf’ et la poésie n’ont rien de contradictoire !

Notes :

(1) Il semble cependant qu’il s’agisse d’une attribution erronée.

(2) Sauf mention contraire, toutes les citations sont issues du livre Station Eleven d’Emily St. John Mandel, éditions Payot & Rivages, 2016 (édition originale en anglais, 2013), traduit de l’anglais (Canada) par Gérard de Chergé.

(3) Allusion à la célèbre phrase issue de la pièce Huis clos, de Jean-Paul Sartre : “L’enfer, c’est les autres”.

(4) La colophane, résidu solide issu de la distillation de térébenthine – qui vient des arbres résineux -, est utilisée par les musiciens pour donner de l’aspérité au crin des archets d’instruments à cordes frottées – violons, violoncelle, contrebasse.

(5) Créée dans les années soixante, bien longtemps avant Star Wars, Star Trek est une vaste fresque, d’abord télévisuelle, de la conquête spatiale, une Pax americana à l’échelle cosmique consécutive à une période post-apocalyptique…

(6) Voir le magnifique documentaire “Daraya, la bibliothèque sous les bombes”, de Delphine Minoui et Bruno Joucla (France, 2018), ainsi que le livre de Delphine Minoui, Les passeurs de livres de Daraya, Points, 2018.

Pollution lumineuse, un fléau dans l’ombre

Alors que diverses activités humaines préjudiciables pour l’environnement et la biodiversité sont largement médiatisées, les impacts – pourtant désastreux ! – engendrés par la pollution lumineuse sont trop souvent passés sous silence. La « fée électricité » n’a pas apporté que des bienfaits, loin de là, elle est aussi responsable de véritables gouffres économiques et financiers. Et la mauvaise éducation de l’humain « qui se croit tout seul sur terre » est cause de bien des dérèglements encore trop insoupçonnés…

Par Morgane Peyrot

Introduction

Parmi les nombreux dangers qui pèsent sur la planète, les répercussions écologiques du réchauffement climatique, de l’agriculture intensive et de l’usage des pesticides, ou encore les invasions biologiques d’espèces exotiques envahissantes, sont régulièrement – et à juste titre – pointés du doigt. Nonobstant les effets d’une menace insidieuse et de plus en plus grandissante : la pollution lumineuse. Inhérent à l’augmentation de la période d’activité des sociétés humaines et largement répandu à travers le globe, l’éclairage artificiel des lieux et des monuments publics, des autoroutes et même des enseignes publicitaires, apparaît dans nos pays industrialisés comme un phénomène quotidien relativement banal.

Si l’existence de ces sources lumineuses procure parfois une sensation de confort et de sécurité, leurs nombreux effets délétères, immédiats ou à long terme, sont souvent méconnus du grand public. Outre l’entrave à l’observation du ciel, dénoncée massivement par les astronomes auprès des pouvoirs publics depuis les années septante, l’éclairage artificiel, devenu excessif, a de sérieux impacts sur la faune et flore, les dépenses économiques et énergétiques, ainsi que la santé humaine. Une réalité d’autant plus inquiétante que le nombre de points lumineux augmente d’environ 2% par an, à l’échelle mondiale, et de 10% par an, en Europe (1).

Un désastre pour la biodiversité

L’éclairage artificiel, envahissant et abusif, a des conséquences sans précédent sur la faune et la flore. Si, en tant qu’êtres humains, nous avons une activité diurne, notre « modèle » ne s’applique pas pour autant à la majorité des êtres vivants auxquels nous l’imposons. Concernant les animaux, d’après Romain Sordello, ingénieur expert en biodiversité « une étude parue en 2010 indiquait que 30% des mammifères et plus de 60% des invertébrés sont partiellement ou essentiellement nocturnes« . Quant aux végétaux, dont la condition impose l’immobilité, impossible de s’y soustraire. Ainsi paient-ils pour notre confort le prix d’un lourd tribut… Plantes et insectes, reptiles, amphibiens, oiseaux, chauves-souris ou autres mammifères et poissons jusqu’au plancton, aucun d’entre eux n’est épargné ! Interférant avec le cycle naturel du jour et de la nuit, l’éclairage artificiel dérègle l’horloge interne et altère ainsi de nombreuses fonctions biologiques essentielles telles que la croissance, la reproduction ou la régulation hormonale. Les activités saisonnières telles que la migration des oiseaux en sont complètement perturbées. De même que la floraison ou la sénescence – vieillissement et chute – des feuilles, mécanisme naturel qui intervient chez de nombreuses plantes pour résister aux rigueurs de l’hiver. L’illustration édifiante d’une étude publiée par la British Ecological Society, prouve à quel point la pollution lumineuse peut affecter le cycle des arbres.

En outre, la formation de halos lumineux au-dessus des zones urbaines crée de véritables barrières ou pièges écologiques : les espèces naturellement repoussées par la lumière -phototaxie négative – comme certaines chauves-souris, ne peuvent plus rejoindre leur habitat, tandis que les espèces attirées par la lumière – phototaxie positive – modifient leur comportement et connaissent souvent une issue fatale. Les insectes en sont particulièrement victimes : papillons, mouches, moustiques et coléoptères, peuvent être attirés par une source lumineuse jusqu’à sept cents mètres de distance. En période estivale, ils meurent chaque nuit par centaines, en tournant autour des lampes, à force d’épuisement, de brûlures occasionnées par la chaleur ou encore par prédation. Après les insecticides, l’éclairage artificiel serait la principale cause de mortalité chez les insectes, encore dénoncée pas plus tard qu’en janvier par une étude publiée dans la revue Biological Conservation. Les ravages de l’attraction lumineuse touchent aussi sévèrement les oiseaux, dont le taux de mortalité par collision – avec les phares des véhicules ou bâtiments éclairés – augmente drastiquement, surtout en période de migration. De plus, la plupart des animaux se repèrent la nuit grâce aux étoiles, malheureusement dissimulées par la lumière artificielle, ce qui altère considérablement leurs facultés d’orientation. Par exemple, les jeunes tortues marines qui, après l’éclosion, attendent l’horizon nocturne pour gagner le grand large, ne trouvent pas leur chemin et meurent le lendemain sur la plage, assaillies par les prédateurs ou déshydratées par la chaleur. Les rapports proies-prédateurs sont quasiment toujours concernés, conduisant à une réduction des effectifs de population plus brutale et rapide que prévu. Au demeurant insignifiant, l’éclairage artificiel est un fléau pour la biodiversité qui signe, chaque nuit, le bilan d’une véritable hécatombe.

Risques sanitaires, pour l’être humain également

Nos congénères non humains ne sont pas seuls à subir les conséquences de la pollution lumineuse qui constitue un réel problème de santé publique. Elle s’observe en particulier dans nos maisons, par l’exposition croissante et prolongée à la lumière artificielle des LED, ordinateurs, portables et écrans en tous genres, qui émettent de la lumière bleue, des longueurs d’ondes comprises entre 380 et 500 nm. Interprétée par notre cerveau comme la lumière du jour, celle-ci dérègle nos rythmes circadiens et détériore la qualité de notre sommeil, en inhibant la production d’une hormone importante liée à l’endormissement : la mélatonine. Or un sommeil manquant ou défaillant favorise l’apparition de maladies cardiovasculaires, psychiques – la dépression – ou chroniques, comme le diabète et l’obésité. Les LED sont, entre autres, reconnus pour provoquer ou aggraver les problèmes de vue. Dès 2010, l’ANSES alerta sur la lumière bleue des LED qui affecte la rétine des plus jeunes, dans un rapport auquel fait suite un dossier de presse éloquent de 2019 (2). Enfin en 2018, une étude européenne, menée par le Barcelona Institute for Global Health (3), établit un lien entre l’exposition nocturne à la lumière bleue et un risque accru de cancer du sein et de la prostate.

Un gouffre énergétique et financier

L’éclairage artificiel ne cesse d’augmenter, impliquant des dépenses excessives et, de surcroît, un bilan énergétique catastrophique pour la planète. En France, par exemple, le nombre de points lumineux est passé de 7,2 millions, en 1990, à 9,5 millions, en 2015, et serait aujourd’hui de 11 millions. D’après l’ADEME, l’éclairage public correspond à 41% de la consommation et 37% de la facture d’électricité des communes, soit une bonne partie de leur budget énergie, et génèrerait près de 670.000 tonnes de CO2 par an (4). Tout cela sans compter l’approvisionnement, les équipements et le transport des systèmes d’éclairage, qui entraînent également des émissions de gaz à effet de serre, et ont un coût financier. De plus l’électricité, principalement produite à partir de sources nucléaire – uranium – et d’énergies fossiles, comme le gaz ou le charbon, participe à l’épuisement de ces ressources naturelles qui ne se trouvent pas en quantité illimitée dans le sol. Cette tendance à augmenter sans cesse l’éclairage artificiel relève de l’entêtement, lorsqu’on sait que plus de la moitié du parc d’éclairage public n’est plus aux normes – y subsistent, par exemple, des lampes à vapeur de mercure – et surconsomme de l’énergie. Alors même que les connaissances ont aujourd’hui évoluées en matière d’installations et qu’un investissement dans la rénovation serait plus profitable. Selon l’UNEP (United Nations Environment Program), le seul passage aux nouvelles technologies de l’éclairage permettrait d’économiser, à l’échelle mondiale, cent quarante milliards de dollars et de réduire les émissions de CO2 de 580 millions de tonnes par an (5) – encore faut-il évidemment que ces « nouvelles technologies » ne résident pas uniquement dans l’installation déraisonnée de LED, bien moins vertes qu’il n’y paraît pour la biodiversité… Un gaspillage accru, auquel s’ajoutent une puissance d’éclairage et un nombre de lampadaires trop élevés par rapport aux besoins, ou encore l’éclairage de zones très peu – voire pas du tout – fréquentées la nuit. De nombreux progrès restent donc à faire pour réduire les impacts de la pollution lumineuse…

Si la pollution lumineuse occasionne de sérieux dégâts, elle pourrait malgré tout être facilement limitée, ne serait-ce qu’en pratiquant l’extinction de l’éclairage public. Une mesure évidente et relativement simple à mettre en place, qui semble pourtant avoir du mal à être appliquée, notamment par crainte d’insécurité. En effet, en France, le décret du 30 janvier 2012 a imposé l’extinction des publicités et enseignes lumineuses de 1 heure à 6 heures du matin, suivi par l’arrêté du 25 janvier 2013, relatif à l’extinction de l’éclairage nocturne des bâtiments non résidentiels. Cependant, aucune loi n’a jamais étendu ces prescriptions aux parcs d’éclairages publics des communes dont les efforts, bien que louables, apparaissent encore insuffisants…

Réduire la voilure

Le dispositif de prise en compte et de réduction de la pollution lumineuse s’améliore quelque peu, avec l’arrêté du 27 décembre 2018 qui impose des prescriptions techniques pour les paramètres d’éclairage. Ce dernier prévoit notamment l’interdiction de l’éclairage en direction du ciel et des seuils de températures de couleurs à respecter, la nuisance d’une source lumineuse étant plus ou moins aggravée selon sa teinte – par exemple, la lumière bleue des LED. Pour la biodiversité, l’instauration d’une « trame noire » émerge, depuis quelques années, à l’échelle du territoire. Ce nouvel outil, proposé par le Ministère de la transition écologique et solidaire, est voué à limiter la dégradation et la fragmentation des habitats en assurant la continuité écologique des milieux, à l’instar de la trame verte et bleue.

En Belgique, aucun décret relatif à la pollution lumineuse n’a jamais vu le jour. Cependant, en mai 2019, l’ASCEN (Association pour la Sauvegarde du Ciel et de l’Environnement Nocturnes) et l’Observatoire Centre Ardenne ont signé une première charte contre la pollution lumineuse. La ville de Wavre a également mis en place un système d’éclairage intelligent basé sur des détecteurs de mouvement qui restreignent ainsi son usage aux besoins réels. D’autres initiatives fleurissent, de part et d’autre, mais il nous faudra encore dépasser une entrave psychologique de taille avant d’espérer que l’Europe rende à la nuit l’obscurité : la peur du noir ! Une peur primitive qui trouve son origine dans la crainte d’attaques de bêtes sauvages… Dans les temps modernes, il s’agit surtout d’une crainte relative à la hausse des accidents et de la criminalité. Plusieurs études prouvent pourtant que le nombre d’accidents est réduit dans un environnement moins éclairé, notamment sur les routes, les conducteurs étant plus attentifs dans ces conditions. Concernant la criminalité et la délinquance, l’éclairage des lieux publics ne prévient pas mais favorise au contraire les rassemblements à vocation agressive. Enfin, plus de 80% des vols et agressions ont finalement lieu… en plein jour (6) ! Plusieurs contrevérités ont, malgré tout, la peau dure…

Une lutte citoyenne, une de plus…

En attendant une possible évolution de la législation, chacun peut agir pour endiguer – ou, du moins, ne pas aggraver – les conséquences multiples de la pollution lumineuse, en évitant le plus possible d’y prendre part. Veillez, par exemple, à limiter l’installation d’éclairages extérieurs et préférez, si possible, installer des détecteurs de présence afin de vous assurer que vos éclairages ne fonctionnent qu’en temps voulu. Dans le cas contraire, pensez évidemment à éteindre toutes les lumières si elles sont inutiles, de la même manière que vous le feriez dans votre maison. Tentez de vous diriger vers des ampoules moins puissantes et moins nocives pour la faune – ampoule à sodium basse pression, par exemple – en évitant, à tout prix, la lumière bleue des LED ou en choisissant des LED ambrées – moins courantes mais tout de même accessibles dans le commerce. Malgré leur côté agréable et festif, limitez aussi l’usage des décorations de Noël ! ?’hésitez pas, enfin, à vous rapprocher des associations nationales de protection du ciel : ANPCEN – www.anpcen.fr – en France ou ASCEN – www.ascen.be – en Belgique. Informez-vous lors de leurs évènements et prenez part à leurs actions. Alertez également vos proches et vos voisins sur cette problématique : une prise de conscience collective sera le meilleur moyen d’agir !

Notes :

(1) D’après les données du site NuitFrancewww.nuitfrance.fr -, plateforme d’information sur le thème de la nuit, développée par l’ingénieur expert en biodiversité Romain Sordello

(2) Effets sur la santé humaine et sur l’environnement des systèmes utilisant des LED, ANSES, dossier de presse du 14 mai 2019

(3) Evaluating the Association between Artificial Light-at-Night Exposure and Breast and Prostate Cancer Risk in Spain (MCC-Spain Study), Environemental Health Perspectives, vol.126, No. 4, Avril 2018

(4) Source : ministère de la transition écologique et solidaire

(5) Source : AFE (Agence Française de l’Eclairage)

(6) Selon les chiffres disponibles de l’Observatoire national de la délinquance et des ripostes pénales (ONDRP)

Survivre & Vivre : un seul et même élan

Lecture de Dans la forêt de Jean Hegland (1)

Si le monde était clair, l’art ne serait pas”, a écrit Albert Camus. Cette analyse se propose donc de parcourir une œuvre de fiction dans le but d’éclairer un enjeu important de notre époque. En ne dévoilant rien d’essentiel à l’intrigue mais en faisant simplement résonner des questionnements, en partageant des éblouissements…

Par Guillaume Lohest

Introduction

La pandémie de Covid-19, dont personne ne sait encore comment le monde s’en relèvera, n’avait pas démarré quand l’idée m’est venue d’évoquer et de discuter ce roman incontournable car sublime. La coïncidence est troublante. Le désarroi que nous traversons, cette incertitude totale sur la forme que prendra l’avenir ne rend que plus nécessaire le fait de se confronter à des histoires qui s’inscrivent dans l’éventualité d’un effondrement de la civilisation.

Une histoire intime

Le monde francophone n’a découvert ce roman qu’en 2017 mais il a été publié, pour la première fois, en 1996 dans une petite maison d’édition féministe américaine, après avoir été refusé… vingt-cinq fois ! Il raconte l’histoire de deux sœurs, dix-sept et dix-huit ans, Nell et Eva, qui affrontent seules l’existence dans leur maison familiale isolée au milieu de la forêt, dans la région de San Francisco, en Californie. Totalement seules : pour des raisons qui demeurent assez obscures, la civilisation s’est totalement effondrée. Il n’y a plus d’électricité, plus de services publics, la débrouille règne en maître. La très grande originalité de ce roman est que, contrairement à la plupart des fictions du genre, l’action n’est pas occupée par des conflits sociaux autour d’un modèle de société post-apocalyptique. Le sujet du livre n’est pas la question du pouvoir et de l’organisation sociale mais le rapport intime de deux jeunes femmes au sens de leur existence, à leurs conditions de survie, au deuil de leurs anciens rêves, et au lien qui les unit.

Le début d’un roman s’apparente souvent à un vase vide ; on ne sait pas encore de quoi il sera rempli mais on nous livre, en creux, l’espace à combler, les questions à traverser. “C’est étrange, d’écrire ces premiers mots, comme si je me penchais par-dessus le silence moisi d’un puits, et que je voyais mon visage apparaître à la surface de l’eau. (…) Et je dois avouer que ce cahier, avec ces pages blanches pareilles à une immense étendue vierge, m’apparaît presque plus comme une menace que comme un cadeau – car que pourrais-je y relater dont le souvenir ne sera pas douloureux ?

Nell aime les livres. Pour Noël, sa sœur lui a offert un cahier vierge qu’elle a retrouvé derrière une armoire. Eva, elle, aime la danse. Elle a reçu en cadeau ses propres chaussons, patiemment rapiécés. Nell commence à écrire : “Cette année, Noël n’est rien de plus qu’un carré blanc sur un calendrier presque arrivé à la fin, une tasse de thé en plus, quelques instants d’éclairage à la bougie, et, pour chacune de nous, un unique cadeau.

Ce qui nous manque, ce que nous sommes

Ce premier Noël, que les deux sœurs affrontent seules, condense tout ce qui leur manque de leur ancienne vie disparue : les cadeaux, les relations sociales, la présence des proches, la nourriture, la culture, le sens qu’on donne aux jours qui passent. En écrivant, Nell se souvient des Noëls passés, lorsque ses parents étaient encore en vie et que l’électricité fonctionnait parfaitement : “Joyeux Noël semi-païen, légèrement littéraire et très commercial, annonçait toujours notre père” Pourquoi fête-t-on Noël ? a même demandé la jeune fille à son père une année, précisant que la famille n’était pas vraiment chrétienne. “Un peu qu’on ne l’est pas. (…) Nous ne sommes pas chrétiens, nous sommes capitalistes. Tout le monde dans ce pays de branleurs est capitaliste, que les gens le veuillent ou non. Tout le monde fait partie des consommateurs les plus voraces qui soient, avec un taux d’utilisation des ressources vingt fois supérieur à celui de n’importe qui d’autre sur cette pauvre terre.

Et nous ? En lisant ce paragraphe, on ne peut s’empêcher de réfléchir en écho à nos propres attitudes. Le fait de mettre en opposition une identité religieuse avec notre condition de consommateurs voraces invite le lecteur à s’interroger sur lui-même, sur sa participation plus ou moins consciente à une religion de la consommation, à peine adoucie par quelques achats alternatifs ou labels éthiques. Mais un roman ne juge pas ; il raconte et décrit. Car bien plus loin, ce rapport à la consommation apparaît sous un tout autre angle, un jour où Nell n’en peut plus d’être sans cesse préoccupée par la survie : “Je rêve d’enfourner des sachets entiers de raisins secs, de brûler douze bougies à la fois. Je rêve de me laisser aller, d’oublier, de ne me préoccuper de rien. Je veux vivre avec abandon, avec la grâce insouciante du consommateur au lieu de m’accrocher comme une vieille paysanne qui se tracasse pour des miettes.

Rien n’est facile

La grâce insouciante du consommateur : aurait-on idée de parler comme ça ? Non, bien sûr. Parce que nous sommes nombreux à être aujourd’hui tellement immergés dans cette insouciance que nous ne percevons même plus la dureté d’une vie sans supermarchés et sans chaînes d’approvisionnement. Les idéaux de transition et de décroissance, indispensables pour mobiliser d’autres imaginaires, sont souvent présentés comme des perspectives bucoliques, douces et harmonieuses de retour à la nature et aux choses simples. Méfions-nous de cette idéalisation de la vie paysanne ou de l’autosubsistance car c’est une vie très rude. L’écrivain Jean Giono en fit un petit récit tendrement sarcastique (2), à l’époque où les rêves de chèvres et de Larzac fleurissaient. Il recevait beaucoup de lettres de citadins lui confiant leur envie de devenir bergers. “Ils voient généralement le berger comme un personnage de L’Astrée ou des Lettres de mon moulin, dont tout le travail consiste en promenades, en haltes sous les ombrages, en contemplation du vaste ciel étoilé, une sorte de beau ténébreux dont on justifie la déambulation romanesque avec quelques quadrupèdes herbivores et lainiers qui le précèdent gentiment sur les sentiers d’un monde virgilien.” S’ensuit, sous la plume de Giono, une anecdote délicieuse où il raconte sa propre expérience de quelques jours avec un petit troupeau de moutons. Sa conclusion est sans appel : “Il s’agit bien d’un métier, et qui n’est pas à la portée de tout le monde.” Les gens imaginent qu’ils peuvent quitter leur emploi de bureau ou de fonctionnaire pour aller “garder les moutons dans les collines de Provence, parmi le thym et la sarriette. Les moutons ne mangent pas de ce thym-là. Rien n’est facile.

Revenons à notre roman Dans la forêt. La question de la survie alimentaire est évidemment un fil rouge du récit. À leurs débuts, les deux sœurs ne s’en font pas, elles pensent avoir assez de vivres. “Les étagères du garde-manger regorgent encore des provisions que nous avons achetées lors de notre dernière expédition en ville et des bocaux d’un litre de tomates, de betteraves, de haricots verts, de compotes de pomme (…)” Mais cela ne peut durer que quelques semaines, au mieux quelques mois. Assez vite, elles se retrouvent au centre d’une petite production d’autosubsistance, familière aux lecteurs de Valériane : potager, verger, petits animaux. Des après-midis entiers sont consacrés à la mise en bocaux stérilisés des tomates et autres fruits de conservation. Au passage, Nell bénit la sagesse de son père qui conservait les semences. Mais vraiment, rien n’est facile : “déjà l’hybridation va de travers. Nous avons des plants qui produisent des courgettes rondes et d’autres d’étranges courges vertes. Aucune des graines de choux, d’aubergine ou de radis n’a germé et certains pieds de tomates qui devaient d’après moi donner abondamment car leurs feuilles s’étaient développées avec vigueur n’ont pas une seule fleur.” Jardiniers, je devine votre sourire. Mais ne condamnez pas ces deux sœurs car elles vont se montrer très vaillantes.

Culture et nature : par-delà l’opposition

Produire de la nourriture n’est pas leur unique préoccupation. Eva danse quotidiennement. Sans électricité, donc sans musique, au seul battement du métronome. Elle rêve de retrouver un vieux bidon d’essence égaré quelque part, pour alimenter le générateur et profiter de quelques heures de musique. Ce rêve, dit-elle, lui suffit pour continuer à danser. Nell, quant à elle, se nourrit aussi de savoir. Elle lit l’encyclopédie, méthodiquement, article par article, espérant que cela entretienne ses connaissances pour les futures études dont elle ne parvient pas à faire le deuil.

Mais culture et nature ne sont pas deux univers séparés. Je n’en dirai pas trop, bien sûr, car vous devez lire ce roman en en conservant toutes les surprises principales. Alors restons dans le domaine alimentaire. Vient un moment où, pour manger, il devient nécessaire de se tourner vers les plantes sauvages… Nell prend alors conscience de son ignorance savante. “J’ai étudié la botanique. Je m’y entends en morphologie et physiologie végétales. Je sais comment les plantes poussent et se reproduisent. Je sais identifier une cellule végétale au microscope, dresser la liste des réactions chimiques qui provoquent la photosynthèse. Mais j’ignore le nom des fleurs que nous avons déposées sur la tombe de notre père. J’ignore le nom des mauvaises herbes que nous arrachons du potager ou même quel type de feuilles nous utilisons en guise de papier toilette.” Elle se met donc en quête d’un ouvrage qui pourrait l’aider. “J’ai trouvé Les Plantes indigènes de la Californie du Nord sur une étagère du haut entre Madame Bovary et un ouvrage sur la Guerre d’Espagne.” Cette petite phrase dit tout, elle réconcilie, sur une étagère de bibliothèque, nature et culture, vie et survie, rêve et réalité, guerre et paix. Elle rappelle, en écho, une autre formidable réplique de leur père, sorte de condensé de ses valeurs éducatives : “Mes filles ont la jouissance de la forêt et de la bibliothèque municipale”.

Mais cela ira bien plus loin. En alimentation, fruits et légumes ne suffisent pas. Nell, qui porte ce souci, se tournera vers des modes de subsistance encore plus spartiates. Leur nourriture proviendra de plus en plus de la forêt, de moins en moins de leur production. Elle se met en tête de réaliser de la farine de gland. Et ça, chers jardiniers, cela m’étonnerait que vous soyez allés jusque-là. “Un gland frais a un goût de cérumen. Il fait se froncer la langue, dessèche la bouche et laisse une amertume qui demeure longtemps après qu’on l’a recraché. J’ai mis plusieurs jours à trouver une façon de sécher, décortiquer, peler, piler, filtrer et cuire les glands. Au début j’écrasais les glands décortiqués avec un marteau puis je me servais du rouleau à pâtisserie en marbre de Mère pour essayer de les moudre sur une pierre plate qu’Eva m’avait aidée à sortir du ruisseau. Mais moudre des glands ne fait que les transformer en une pâte impossible à filtrer car l’eau ne passe pas à travers.

Dans ses tentatives et ses échecs, Nell découvre aussi de la beauté qui ne sort pas des livres. “Mais j’ai appris quelque chose que l’encyclopédie ne sait pas – quand la lune est croissante, on peut l’atteindre et tenir délicatement sa courbe externe dans la paume de la main droite. Quand elle est décroissante, elle remplit la paume de la main gauche.

Vivre un moment de basculement ?

Ce roman vaut la peine d’être lu aussi pour tout ce que je ne dévoile pas : les rebondissements de l’intrigue et de la psychologie, du lien unissant les deux sœurs et du rapport avec le monde extérieur. Il résonne par ailleurs incroyablement avec notre actualité. Voyez plutôt : “Il m’a raconté comment la grippe était survenue et m’a parlé du choc et de la colère et de la terreur des gens quand ils se sont rendu compte qu’il n’y avait personne ni rien pour les soigner. Il m’a décrit la peur de la contagion qui s’était emparée de la ville, comment les gens avaient arrêté de se serrer la main et de partager un repas, comment ils se cachaient chez eux et pourtant mouraient, ils allaient bien, et la semaine d’après, ils étaient morts.

Une histoire reste une histoire. À quoi bon lire alors ? Peut-être pour enrichir nos perceptions, notre mémoire, nos visions du monde. Nous n’apprendrons pas à biner dans un roman mais nous pouvons élargir nos capacités d’appréhender des situations et des émotions que nous ne connaissons pas, ou pas encore. Umberto Eco, peu avant sa mort, dans une lettre de Noël à son petit-fils, l’exhorte à cultiver sa mémoire notamment grâce aux livres : “Viendra le jour où tu seras un vieil homme et tu auras le sentiment d’avoir vécu mille vies. Car tu auras l’impression d’avoir été présent à la Bataille de Waterloo, avoir assisté à l’assassinat de Jules César”. Et il poursuit, impitoyable : “Mais tes amis qui n’auront pas cultivé leur mémoire auront juste vécu une seule vie, la leur, probablement un peu triste et en tout cas, pauvre en grandes émotions fortes.

Ce n’est pas exactement ce genre d’événements que relate Dans la forêt. Quoique. On peut aussi y trouver des résonances avec l’idée que l’histoire est peut-être en train de basculer, pas forcément vers le pire. “En même temps que l’inquiétude et la confusion est apparu un sentiment d’énergie, de libération. Les anciennes règles avaient été temporairement suspendues, et c’était excitant d’imaginer les changements qui naîtraient inévitablement de ce bouleversement, de réfléchir à tout ce qu’on aurait appris – et corrigé – quand les choses repartiraient. Alors même que la vie de tout le monde devenait plus instable, la plupart des gens semblaient portés par un nouvel optimisme, partager la sensation que nous étions en train de connaître le pire, et que bientôt – quand les choses se seraient arrangées -, les problèmes à l’origine de cette pagaille seraient éliminés du système, et l’Amérique et l’avenir se trouveraient en bien meilleure forme qu’ils ne l’avaient jamais été.” Pourquoi pas ? Notre histoire n’est pas celle de Nell et Eva ?

Notes :

(1) Sauf mention contraire, tous les extraits cités sont issus de : Jean Hegland, Dans la forêt, éditions Gallmeister, 2017, traduit de l’anglais (américain) par Josette Chicheportiche (édition originale en anglais, Into the Forest, 1996).

(2) “Rien n’est facile”, dans Jean Giono, Les trois arbres de Palzem, Gallimard, 1984, pp. 106-112.

Les plantes et le virus

En cette période mouvementée, où nous avons perdu nombre de nos repères, il est réconfortant de savoir que les plantes sont là. Cela me fait du bien parce que, malgré le confinement, je trouve la possibilité de descendre en bas de chez moi cueillir quotidiennement quelques brins d’égopode, de jeunes pousses d’ortie, des feuilles d’ail des ours parfumées et de la pimprenelle à saveur de noix fraîche…

Par François Couplan

Introduction
Heureusement, j’ai un peu de verdure, alors qu’en plein Bruxelles, la chose serait plus compliquée, quoique pas impossible. Grâce à ces tendres végétaux, je me nourris simplement, mais de façon agréable : un oignon revenu dans une bonne rasade d’huile d’olive, la verdure hachée, une carotte en rondelles et du fromage fondu ou un œuf dans le mélange : voici mon déjeuner quotidien. Et il me convient.

Un obscurantisme particulièrement agaçant

Certes, ma gourmandise, cultivée depuis l’enfance, m’a incité à déguster les plats les plus copieux et les plus sophistiqués mais je sais me contenter de peu, et qui plus est, je l’apprécie. Je le pratique d’ailleurs régulièrement et ce fait n’est sans doute pas étranger à la santé que j’affiche encore au bout de septante années d’une vie plus que bien remplie. Et je crois que bientôt – non, dès à présent ! – il va falloir s’y mettre : sans vouloir paraître moraliste, car chacun est libre du choix de ses comportements, il me semble que plus nous serons capables de vivre frugalement, mieux chacun s’en portera – la planète aussi, par la même occasion…C’est qu’on ne doit pas confondre quantité et qualité ! Nous nous sommes habitués à la première en négligeant la seconde. Or les plantes sauvages nous l’offrent en abondance. Si j’en aime les saveurs souvent marquées – et je ne suis pas le seul -, j’en ressens aussi tous les bienfaits. Il faut le faire savoir : ces végétaux sont extrêmement riches en micronutriments (1) qui nous font généralement défaut : l’Organisation Mondiale de la Santé alerte depuis longtemps sur le fait que la plupart des humains manquent de vitamine C (2), de fer (3), d’oligo-éléments et d’antioxydants qui ralentissent le vieillissement de l’organisme. La réaction habituelle est de supplémenter l’alimentation par la prise de compléments alimentaires. Cependant, quand on connaît la teneur souvent ahurissante des légumes et des fruits sauvages, on se pose la question : mais pourquoi ne les met-on pas à profit ?

La réponse est étonnante, et je l’expose en détail dans mon dernier livre, Ce que les plantes ont à nous dire. Elle tient, en fait à ce que nous ne mangeons pas des aliments mais des symboles ! En l’occurrence, les plantes sauvages ont été dévalorisées depuis des siècles et, pour cette raison, elles ne font plus partie de la nourriture possible de l’honnête homme. Or, si jusqu’à présent je trouvais simplement bête de passer à côté de produits tellement bons au goût et pour la santé pour des motifs socio-historiques qui n’auraient plus lieu d’être, je dois avouer que, dans les circonstances actuelles, cet obscurantisme m’agace profondément…

Le système immunitaire : notre atout majeur

L’une des grandes absentes des directives que l’on nous assène à longueur de journée est la suivante : faites tout ce que vous pouvez pour améliorer votre immunité naturelle. Certes, on nous recommande fort justement de nous laver les mains et d’éviter tout contact avec les autres mais on oublie, semble-t-il, qu’un organisme doué d’un système immunitaire en bon état résiste mieux à l’agression de virus, même extrêmement contagieux. Il est essentiel de le rappeler. Souvenons-nous que nous sommes en permanence soumis à la présence d’agents infectieux de toutes sortes et que notre corps a, heureusement, les moyens d’affronter efficacement la plupart d’entre eux – la meilleure façon de se soigner ne consiste-t-elle pas à ne pas tomber malade ? Or, à mon avis, la santé ne tient pas qu’au hasard : un organisme à qui l’alimentation apportera tous les éléments dont il a besoin sera très probablement mieux à même de faire face aux agents pathogènes de notre environnement. Y compris le coronavirus SARS-CoV-2, responsable de la pandémie Covid-19 actuelle.

Pourquoi ne le fait-on pas ? Sans doute y a-t-il toutes sortes de raisons, économiques et culturelles qui font préférer le développement d’un vaccin à celui de notre propre système immunitaire. Cela mérite d’être exploré. Peut-être aussi parce que nous sommes dans l’urgence et que l’amélioration de son immunité est un processus relativement long – mais nous devons dès à présent penser au futur tout comme au quotidien. Je soupçonne aussi que notre mentalité belliciste y est pour quelque chose. « Nous sommes en guerre… » et nous vaincrons ce méchant virus ! Il faut savoir d’où provient cette mentalité et quelles en sont les conséquences.

Bon, je ne m’attends pas à ce que nos dirigeants prônent, du jour au lendemain, la consommation régulière de plantes sauvages pour améliorer l’état de santé générale de la population mais je suis persuadé que les personnes sensées qui découvriront les possibilités que nous offrent les végétaux en tireront avantage pour elles-mêmes et pour leurs proches : ce n’est que du bon sens – additionné, il faut l’avouer d’une certaine dose de connaissances précises pour ne pas faire de bêtise et se guérir définitivement de tous ses maux terrestres. Et ça vous étonne ? Dans la situation actuelle, il y a quelque chose qui m’étonne… : c’est que les gens s’en étonnent.

Succomber à un simple rhume…
Certes, depuis quelque temps on se préoccupe d’environnement, on craint que le réchauffement climatique ne bouleverse notre vie, certains pensent que le nucléaire représente un danger majeur et, de plus en plus souvent, on entend parler d’effondrement… Personnellement, j’ai conscience de ces risques depuis de très nombreuses années – oh, plus d’un demi-siècle… Ce sont les plantes qui me l’ont raconté et je vous transmets leurs confidences dans mon nouveau livre – p.136 et suivantes – car le sujet est d’importance. Donc la pandémie qui nous assaille ne m’a pas surpris. Elle est, comme les catastrophes que je viens de mentionner, la conséquence directe du changement de mode de vie radical que nous avons entrepris voici dix mille ans. Certes, l’agriculture nous a donné Bach, Jimi Hendrix, Van Gogh et Notre-Dame de Paris. Mais l’adopter, c’était ouvrir la boîte de Pandore ! Et l’invention de l’élevage liée à la concentration des humains dans des villages, puis dans des villes, s’est révélée du pain béni pour les microbes. Il faut savoir que nous sommes les descendants de ceux qui ont résisté aux toutes premières épidémies transmises par les animaux domestiqués au Proche-Orient, voici une dizaine de milliers d’années. Résistants, les habitants des Amériques, eux, ne l’étaient pas à l’arrivée des Européens : d’après certaines estimations, près de 90% de la population a succombé aux maladies introduites, certaines aussi bénignes pour nous qu’un simple rhume. Mais nous n’étions pas non plus à l’abri de tout, la grande peste du XIVe siècle a emporté, en certains lieux de notre continent, plus de la moitié des gens – l’équivalent ferait aujourd’hui quelque trente-cinq millions de morts…

Je ne voudrais pas que l’on se méprenne sur ce que je dis : il est dommage de mourir, il est plus terrible encore de voir un proche décéder. Mais je pense important de prendre conscience de deux choses. La première est que la civilisation que nous avons créée, qui nous nourrit et qui nous oblige à réfléchir selon ses règles, est fragile. Nous avons en ce moment l’exemple d’un dysfonctionnement majeur. Il y en aura d’autres, c’est certain. Le second point est que la seule certitude que nous puissions avoir, en voyant le jour, est que nous mourrons un jour. Or la mort, qui pourtant nous fascine, est un sujet tabou dans notre monde moderne où nous voulons tout dominer, même la grande faucheuse… Mais ça, ce n’est pas possible !

Sortir de notre anthropocentrisme
Donc, que faire ? Céder à la psychose ambiante qui risque de se développer jusqu’à devenir panique, voire pis encore ? Il y a mieux à faire. Je pense qu’il faut bien comprendre les mécanismes par lesquels nous sommes arrivés dans la situation actuelle – et là, je ne parle pas que de l’épidémie qui nous submerge mais de tous nos maux civilisationnels -, sans y voir d’intention. Comprendre est essentiel car nous sommes des êtres de raison, tout autant que d’émotion, et il importe d’équilibrer ces deux aspects – or je vois aujourd’hui les émotions l’emporter de loin sur la raison… Les plantes, encore elles, m’ont expliqué bien des choses à propos de nous-mêmes et je crois que si vous les écoutez, vous en tirerez profit. Ce sont elles aussi qui m’ont suggéré des pistes à suivre pour améliorer ce qui peut l’être. Elles nous proposent de modifier l’attitude dominatrice que nous arborons du haut de notre toute-puissance, en descendant de notre piédestal et en accordant de l’importance à l’ensemble du vivant – même aux virus et aux bactéries… Elles nous conseillent de sortir de notre anthropocentrisme, de ce monde uniquement humain dans lequel nous devenons fous et de nous intéresser à elles, pas seulement pour leurs vertus mais pour leur existence propre. Il est possible de développer avec les végétaux une véritable relation qui commence par le recours à tous nos sens et nous emmène dans un univers d’émerveillement sans fin.

Conclusion
L’alimentation n’est pas forcément là où on le pense – au supermarché ! – ni sous la forme qu’on pense – emballée dans du plastique… La Covid-19, en passant par-là, est venu bouleverser bien des repères. Sommes-nous, pour autant, au début d’une nouvelle ère ? Je pense plutôt que nous nous trouvons en plein milieu d’un grand processus qui dure depuis bien longtemps et a encore de beaux jours devant lui. C’est un immense mouvement qui nous entraîne et dont nous sommes, que nous le voulions ou non, partie prenante. On le nomme l’évolution…

J’ajouterai que le sentiment qui me semble essentiel de manifester – même si en ces temps troublés cela demande un effort – est la gratitude. J’ai beau actuellement me sentir en manque de liberté et avoir dû reporter bien des choses à des temps meilleurs, je ne peux que remercier pour ce qui m’est accordé, tout en me sentant proche de ceux qui souffrent. Que la force des plantes soit avec vous !

Pourquoi tant de mépris à l’égard des insectes pollinisateurs ?

Au mieux pris à tort pour des abeilles ou parfois de dangereuses guêpes, les syrphes sont bien souvent inconnus aux bataillons. Dommage car ces petits insectes sont importants dans les écosystèmes mais ils peuvent également contribuer à faire le bonheur des jardiniers ! La pollinisation est essentielle dans la production de nos aliments mais ses acteurs sont souvent de parfaits anonymes. N’est-il pas temps de rendre à César… ?

Par Morgane Peyrot

Introduction

Depuis longtemps l’abeille domestique (Apis mellifera) jouit de sa renommée en tant que « super-pollinisateur » et, plus encore, avec la forte médiatisation de l’extinction massive des colonies durant ces vingt dernières années, notamment lors de la crise des néonicotinoïdes. Certainement pas à tort puisque l’usage des pesticides et autres produits phytosanitaires -encore loin d’être tombé en désuétude, affaiblit le système immunitaire des pauvres ouvrières et engendre, chaque année, un taux de mortalité hivernal exponentiel, encore de l’ordre de 30% durant la saison 2017-2018 (1). Un véritable génocide qu’il ne faut certes pas laisser passer mais qui a malheureusement contribué à évincer tout un pan de la riche biodiversité des insectes pollinisateurs…

Et cela ne doit pas continuer à faire résonner, dans nos esprits, l’idée que les habitantes de nos ruches sont les seuls insectes efficaces et indispensables pour assurer la pollinisation (2). Dans la nature, tout est question d’équilibre, et l’intégrité des écosystèmes dépend de l’interaction de multiples êtres vivants qui, chacun, ont leur importance. Les abeilles sauvages, par exemple, dont on dénombre trois cent septante espèces, rien qu’en Wallonie – et plus d’un millier en France ! -, sont souvent très spécialisées et nécessaires à de nombreuses plantes. Sans oublier les papillons, certains coléoptères, ou encore les méconnus et très étonnants syrphes. Ces drôles de mouches farceuses jouent pourtant un rôle essentiel dans la nature par leur activité de pollinisateurs. Et ils vous réservent également d’autres surprises !

A la rencontre des syrphes

Que sont les syrphes et comment les reconnaître ? Si leur livrée caractéristique n’est pas sans rappeler celle des effrayantes guêpes – ce qui est d’ailleurs le but -, soyez rassurés car il n’en est rien. Ce petit jeu de dupe est, en réalité, un ingénieux stratagème, couramment mis à profit dans le monde animal : le mimétisme. Pour simplifier, la ruse consiste à « se faire passer pour ce que l’on n’est pas »… En l’occurrence, un dangereux insecte au dard aiguisé dont le souvenir de la piqûre douloureuse saura dissuader de nombreux prédateurs potentiels, tels que les oiseaux. Astucieuses, ces mouches ! Car, en effet, les syrphes ne sont autres que d’inoffensives mouches… Ils appartiennent, comme leurs cousines, à l’ordre des Diptères, caractérisés par une première paire d’ailes fonctionnelles et une seconde paire d’ailes atrophiées, réduites à l’état de balanciers, qui leur assurent une grande stabilité et leur permettent d’effectuer un vol stationnaire. Tandis que les abeilles, guêpes et bourdons constituent l’ordre des Hyménoptères, dont les deux paires d’ailes sont de taille similaire et bien visibles. Cela constitue un premier indice, très utile, pour les différencier. Un autre détail apparaît frappant : la grosseur des yeux. Ceux des hyménoptères, petits et saillants, n’ont a priori rien en commun avec les gros yeux protubérants des mouches qui semblent faire les trois quarts de leur tête !

Une famille nombreuse

Distinguer un syrphe d’une guêpe ou d’une abeille apparaît donc plutôt simple, alors que reconnaître un syrphe parmi les syrphes est une autre histoire, tant leur petit monde se trouve finalement vaste. Rien qu’en France, la famille des Syrphidés compte environ cinq cent cinquante espèces différentes, ce qui en fait l’un des groupes les plus riches ! La plupart sont de petits spécimens discrets au corps fin, jaune annelé de noir – l’allure parfaitement mimétique explicitée précédemment. Mais il en existe de toutes formes et de couleurs variées. Citons la rhingie champêtre (Rhingia campestris), au corps orangé, ou le surprenant syrphe bleu à larges bandes (Leucozona glaucia) dont le nom laisse deviner la parure azurée. D’autres spécimens, trapus et munis d’une épaisse pilosité, évoquent plutôt les bourdons – voir l’encadré suivant. Une telle diversité a de quoi surprendre et attiser la curiosité envers ces insectes que l’on prendrait fort bien pour de simples mouches. L’occurrence de nouvelles découvertes naturalistes est une première bonne raison pour s’intéresser à leur sort. Mais elle n’est sûrement pas la seule…

Quelques espèces à découvrir

Parmi les spécimens les plus communs, voici ceux que vous aurez probablement l’occasion d’observer lors de vos balades :

– le syrphe ceinturé (Episyrphus balteatus)

Ses gros yeux rouges surmontent un thorax gris ponctué de quatre bandes noires longitudinales. L’abdomen jaune-orangé porte trois rayures caractéristiques. Contrairement aux femelles, les mâles ont les yeux accolés au-dessus de la tête. Malgré sa petite taille, ce syrphe aux facultés de vol exceptionnelles est capable de migrer sur de longues distances et se rencontre ainsi quasiment partout dans le monde !

– le syrphe porte-plume (Sphaerophoria scripta)

Ce petit syrphe jaune à rayures noires est reconnaissable à son corps mince et allongé qui lui donne une allure élégante. Son thorax porte une tache jaune en demi-cercle. Les mâles sont moins robustes que les femelles et ont également les yeux accolés. Ce dernier est aussi un grand migrateur, commun dans la majeure partie de l’Europe. Il se rencontre fréquemment dans les herbes hautes ou lorsqu’il butine les fleurs.

– la volucelle bourdon (Volucella bombylans)

Ce syrphe dodu et velu a l’apparence d’un bourdon, ce qui est bien pratique pour s’introduire discrètement dans le nid de ces derniers, où il pond ses œufs. Sa progéniture s’y nourrit des déchets, insectes et larves mortes qu’elle trouve. Cette espèce revêt deux formes possibles : l’une noire à l’extrémité de l’abdomen roux imite le bourdon des pierres. L’autre, au thorax noir cerclé de jaune orangé et à l’abdomen tricolore – roux, noir et blanc -, imite le bourdon terrestre. Les antennes sont plumeuses.

Un rôle essentiel dans les écosystèmes…

Souvent, les mouches – et tout ce qui s’y apparente – sont perçues comme des charognards bons à parasiter la viande ou les fruits, après avoir allègrement festoyé dans les excréments, bien entendu. Il est triste que cette image entache tant la réputation de ces insectes qui, dans la nature, remplissent de nombreuses fonctions indispensables. Pour commencer, beaucoup de mouches participent à la pollinisation : certaines plantes, comme le Trolle d’Europe, dépendent même intégralement de ces dernières ! Ceci est le cas des syrphes qui, au stade adulte, se nourrissent généralement de nectar ou de pollen et s’observent d’ailleurs couramment sur les fleurs, notamment les ombelles des Apiacées : carotte, fenouil, berce, etc. Leurs larves, quant à elles, présentent un régime alimentaire variable. Certaines se développent dans le bois vermoulu des troncs d’arbres morts ou dans les excréments. Ceci en fait des décomposeurs, participant à la dégradation de la matière organique et au grand recyclage naturel. D’autres, comme la larve « à queue de rat » de l’éristale gluante (Eristalis tenax), vivent dans les points d’eau souillés où elles filtrent les particules en suspension et contribuent également à « nettoyer » tous ces déchets. De plus, la diversité de leur alimentation et leur cycle de vie font de ces larves d’excellents indicateurs de la biodiversité et de l’état de santé des milieux naturels. Ainsi, une base de données nommée « Syrph-the-Ney » leur a même été dédiée pour être utilisée en ce sens par les gestionnaires de l’environnement !

…Comme au jardin !

Heureux soient les jardiniers qui auront la chance de constater la présence des syrphes dans leur potager. Non seulement ces derniers viendront visiter vos fleurs mais ils pourront également y pondre leurs œufs. Or de nombreuses larves de syrphe – dont nous avons évoqué précédemment la diversité de l’alimentation – se révèlent être d’impitoyables carnivores dévoreurs de pucerons. C’est le cas de la progéniture du syrphe ceinturé – voir encadré – ou encore du syrphe du poirier (Scaeva pyrastri) qui est l’un des plus importants régulateurs connus de pucerons : une seule de ces larves serait capable de décimer jusqu’à trois cents individus en une nuit ! Le cas apparaît cependant isolé et il est estimé qu’une larve de syrphe consomme, en moyenne, quatre à sept cents pucerons au cours de sa vie, ce qui n’est tout de même pas négligeable ! Voilà un sérieux atout pour lutter naturellement et efficacement contre ces petits envahisseurs parfois encombrants.

Pourquoi un tel mépris ?

La pollinisation, tout le monde en parle et a souvent beaucoup de choses à raconter, au sujet des abeilles notamment, mais en ignorant totalement que d’autres insectes y jouent un rôle tout aussi déterminant. C’est même pire que cela : l’idée qu’on se fait généralement de ces inutiles que seraient les insectes est tout simplement désastreuse, l’indifférence et le mépris avec lesquels on en parle et les on traite sont absolument navrants.

Alors, d’accord, manger des fruits et des légumes, c’est important, même si les enfants préfèrent de loin du MacDo… La pollinisation, d’accord, c’est un sujet « de société », c’est économique, mais nous apprendre à distinguer les mouches entre elles, franchement, ne poussons tout de même pas trop loin le bouchon, on a des choses plus sérieuses à faire que cela… Sortir d’une vision béatement anthropocentrée du monde où nous vivons, en songeant parfois que le destin d’un insecte comme le syrphe n’est peut-être pas uniquement de venir mourir écrabouillé sur le capot de la bagnole ? Témoigner un peu de respect et d’empathie pour une petite bête qui a le droit de vivre, comme tout le monde, en faisant simplement et honorablement sa petite part du boulot ? Vraiment, vous croyez que c’est utile ? Vous croyez que c’est important ? Vous croyez que ça a… un sens ?

Notes :

(1) D’après l’enquête statistique du ministère français de l’agriculture et de l’ANSES sur la mortalité hivernale des abeilles, pour la saison 2017-2018, publiée le 25 octobre 2018

(2) Pour exemple, une étude internationale menée, en 2016, par trente-cinq chercheurs prouve que la seule diversité des pollinisateurs sauvages en culture explique une différence de 20 à 30% du rendement dans les petites exploitations !

(3) «Are empidine dance flies major flower visitors in alpine environments? A case study in the Alps, France», V. Lefebvre, C. Fontaine, C. Villemant, C. Daugeron, le 1er novembre 2014

Des histoires pour dynamiter l’impasse écologique globale

Les récits de fiction peuvent-ils nous aider dans nos façons d’envisager l’avenir de nos territoires, nos modes de production et de consommation, nos techniques, nos modèles de société ? À quoi bon se raconter des catastrophes probables ? Que signifient les récits apocalyptiques ? Ont-ils quelque chose à apporter aux luttes écologistes actuelles ? On parlera ici du pouvoir de l’imagination, de catastrophes, de fin du monde, de littérature et de techniques.

Par Guillaume Lohest

Introduction

C’est à Rob Hopkins, le fondateur du mouvement de la transition, que je dois d’avoir réconcilié deux univers qui m’avaient semblé, jusque-là, incompatibles. Je veux parler de l’écologie et de la littérature.

L’écologie, c’était pour moi quelque chose de pratique, un rapport aux choses : consommer moins et mieux, faire son potager, choisir tel ou tel matériau, utiliser les transports en commun… C’était aussi une affaire politique : les lois devaient évoluer pour favoriser ce type de comportements. La littérature, quant à elle, était de l’autre côté d’une frontière bien entretenue par le sens commun : au mieux un loisir intéressant, au pire un truc d’intellos qui n’aidait pas vraiment à changer le monde. Je passais, pour ainsi dire, de l’une à l’autre. Mon mémoire sur l’apocalypse à peine terminé, j’avais sauté à pieds joints dans l’univers de la décroissance. Il s’agissait de faire pousser des légumes, de vivre de peu et de faire exploser, avec ce mot-obus, l’imaginaire de la croissance et de la technologie. Baudelaire, Rilke, Neruda et Cie ne nous seraient d’aucun secours face à la piéride du chou ou aux invasions de limaces. Amélie Nothomb et Marguerite Yourcenar ne nous aideraient guère à développer le maraîchage biologique, les monnaies locales et les transports en commun.

Mettre l’imagination au pouvoir

Rob Hopkins, lui, écrivait autre chose en introduction de son Manuel de transition. “Nous avons besoin de nouvelles histoires dépeignant de nouvelles possibilités, propres à resituer le lieu où nous nous voyons par rapport au monde qui nous entoure, à nous donner envie de considérer les changements qui nous attendent, en ayant hâte de découvrir les possibilités qu’ils renferment et qui, en dernière analyse, nous donneront la force d’émerger de l’autre côté, dans un monde nouveau mais plus nourrissant. (1)” Rob Hopkins ne parlait pas alors d’histoires au sens des romans de Jack London ou d’Alexandre Dumas, par exemple. Non, il évoquait la nécessité d’une force d’attraction vers l’avenir, en créant une vision positive et en multipliant les récits de toutes les initiatives déjà en route et porteuses d’alternatives. Dix ans plus tard, Rob Hopkins poursuit dans cette voie. Son nouveau livre – From What Is to What If, à paraître, en français, en avril 2020 – aborde le pouvoir de l’imagination. Il invite à passer de ce qui existe à ce qui pourrait être, à travers ces deux petits mots : Et si… ? « Ce ne sont pas les graphiques qui aident ; les gens ne se sentent pas concernés, ils se mettent en retrait. Par contre, quand je raconte des histoires qui leur ressemblent, je les touche, je les sensibilise (2)« . 

Libérer l’imagination, la mettre au pouvoir : l’insistance sur cet aspect des choses est un premier pavé lancé dans la mare de l’écologie pratique – celle des techniques – et de l’écologie politique – celle des idées. Mais, pour Rob Hopkins et en général dans tout le mouvement de la transition, cette mobilisation de l’imaginaire doit être obligatoirement positive. Par cet aspect, le mouvement de la transition reste, d’une certaine manière, assez conventionnel. Car c’est bien toute la société qui entonne ce refrain, des conservateurs aux publicitaires en passant par les mouvements citoyens : “Non aux prophètes de malheur, non aux prédictions apocalyptiques !” Le refus des récits catastrophistes serait-il une sorte de pensée-réflexe ?

Pourtant, une brèche semble s’être ouverte dans ce dogmatisme de la positive attitude, en particulier depuis l’émergence de la thématique de l’effondrement et de la collapsologie. Or il faut reconnaître que ce nouveau récit, nettement catastrophiste, a fait une percée au moins aussi importante dans l’opinion publique que celle de la transition, et qu’il a même contribué davantage à mettre en avant l’urgence absolue face à laquelle nous nous trouvons. Mais le plus incroyable, c’est qu’il semble que ces deux options – transition tout sourire et effondrement inéluctable – ne soient pas vraiment contradictoires en termes de sensibilisation. Au contraire, elles ont ensemble un effet boule de neige. Nombreux sont ceux, d’ailleurs, qui passent d’un univers à l’autre, comme si l’imagination positive et l’observation des catastrophes étaient les deux faces d’une même pièce. Le film Demain, par exemple, qui se voulait résolument positif, avait pour élément déclencheur une prise de conscience 100% catastrophiste.

Rouvrir le temps

L’opposition entre imaginaire positif et catastrophisme serait donc un faux débat. Comment expliquer cela ? Allons chercher quelques éléments de réponse auprès d’un professeur de… littérature comparée. Dans son ouvrage Fabuler la fin du monde, Jean-Paul Engélibert explore la puissance critique des fictions d’apocalypse. Selon lui, “les fictions de la fin du monde ont quelque chose à nous apprendre. Elles ne sont pas toutes des prophéties lancées par des marchands d’apocalypse jouant sur la fascination et la terreur. D’ailleurs, elles ne racontent presque jamais des fins absolues. (3)” Son livre explore diverses fictions, des séries, des films et des romans, pour montrer que les récits d’apocalypse n’ont pas pour fonction principale de susciter l’effroi, mais plutôt de “rouvrir le temps” – comme le signalent les théologiens depuis longtemps. L’opposition ne se situe donc pas entre “pensée positive” et “scénario-catastrophe” mais entre la prison du temps présent et la réouverture de l’avenir par le récit. Nous vivons depuis la fin du vingtième siècle, signale Engélibert, dans ce que François Hartog a appelé le “présentisme”, c’est-à-dire une perception du temps qui n’avance plus vers autre chose que lui-même. On ne croit plus vraiment au progrès ou à la révolution. Nous sommes donc comme enfermés dans un présent interminable sans alternatives. Cela rejoint le célèbre “TINA” de Margaret Thatcher, there is no alternative : il n’y a pas d’alternative au capitalisme mondialisé. Il semble impossible de lutter avec succès contre le réchauffement climatique, contre l’épuisement des ressources et l’extinction des espèces. Impossible car, comme l’a écrit le philosophe Mark Fisher, le capitalisme récupère tout. Il est comparable “à la Chose dans le film éponyme de John Carpenter : une entité monstrueuse, infiniment malléable, capable de métaboliser et d’absorber tout ce qu’elle touche. (4)” 

Or ce présent sans alternatives assombrit notre rapport au futur. Celui-ci n’est plus perçu comme une promesse – vers autre chose de mieux – mais comme une menace incorporée au présent, une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Difficile de ne pas voir l’écho de cette image dans notre rapport au réchauffement climatique, pour ne citer qu’un exemple. Si l’on ose évoquer la réalité des catastrophes, on est qualifié de prophète de malheur. Toute idée un peu trop radicale est stigmatisée comme irréaliste, idéaliste. Tyrannie du pragmatisme, du juste milieu et de l’optimisme, qui sont l’esprit du temps présent. Les catastrophes n’ont pas voix au chapitre mais elles ne disparaissent pas pour autant : elles épaississent la menace ! Cette impasse du présent est perçue par de plus en plus de citoyens, gonflant les rangs bigarrés des déprimés, des désabusés, des nihilistes, des enragés. C’est une perception confuse mais tenace. Certains en arrivent à désirer l’embrasement, la catastrophe, l’effondrement : “tout mais pas ce piège du présent”, se disent-ils en quelque sorte, grisés par la possibilité “qu’il se passe quelque chose”. Version contemporaine de la vieille rengaine : “il nous faudrait une bonne guerre”.

On sait, dans la réalité, ce que ce “quelque chose” a de douloureux. Inondations, incendies, tornades, crash boursier, canicule, guerre civile… Quelle que soit la forme de ce “quelque chose” qui nous sortirait de la tyrannie du présent, il est cependant inhumain et immoral de le désirer. Que faire alors ? C’est ici que le pouvoir de la fiction et des récits peut aider. “Imaginer la catastrophe déjà réalisée, écrit Engélibert, se placer après, faire comme si le monde était déjà détruit, c’est faire tomber cette menace. Le présent, aboli, n’exerce plus sa tyrannie. On change d’horizon et on autorise le déploiement de possibles en envisageant autrement le temps. Car se placer à la fin des temps, c’est une manière de penser le temps de la fin – ce qui n’est pas la même chose. (5)”

Des questions techniques dans la fiction

Je ne suis pas fou. Je sais bien que tous les romans du monde ne sont d’aucun secours face à une sécheresse, une carence en azote, un défaut d’isolation ou une fissure dans un réacteur nucléaire. Les problèmes que nous avons à affronter exigent des réponses techniques. Mais il faut peut-être prendre le problème à l’envers. La plupart des grandes figures de l’écologie nous répètent depuis des années que les solutions techniques existent. Pour nourrir le monde grâce à l’agroécologie, pour isoler nos maisons en matériaux locaux et naturels, pour mieux redistribuer les richesses, pour se passer de l’énergie nucléaire, pour décarboner l’économie, etc. Dans tous les domaines, selon l’adage marketing, “des solutions existent”. Mais alors ? Il est peut-être temps d’accepter l’idée que l’existence de solutions techniques ne provoque pas, par elle-même, de changement de société global. Parce qu’une société, c’est tout autre chose que la somme des choix individuels. C’est une structure, une culture dominante, un complexe caractérisé aujourd’hui par son enfermement dans le “présentisme”, le “TINA” ou le “réalisme capitaliste”.

Lister les alternatives, rappeler qu’elles existent, montrer par l’exemple qu’elles fonctionnent, tout cela est essentiel. S’impliquer dans des luttes politiques pour les faire advenir, tout autant. Mais l’élément décisif se situe peut-être à un niveau plus profond, qui n’est pas seulement technique et politique. C’est ce dont témoigne l’initiative des ateliers de l’Antémonde, un collectif d’écriture qui a publié, en 2019, le recueil de nouvelles Bâtir aussi – voir encadré. Enthousiasmé par un article de Murray Bookchin – “Vers une technologie libératrice”, 1965, traduit en 2011 -, ce collectif a entrepris un travail d’écriture de plusieurs années. Leur méthode, en résumé, consiste à partir d’interrogations techniques. Des personnages fictifs, mais proches de nous, sont mis en situation de bâtir un monde sur les ruines du nôtre. “La première impulsion de Bookchin, dans son article « Vers une technologie libératrice », est de partager une énergie, une passion de la bidouille, des chantiers et des métiers manuels en général. C’est la recherche théorique et l’invention du concret : expérimenter, rencontrer de sérieux problèmes de résistance et d’équilibre et trouver des solutions pour que ça tienne. Cette manière de faire de la théorie politique en se frottant à la matérialité du quotidien, de nos besoins intimes et contradictoires, nous parle énormément. (6)”

Ce mélange des genres – la technique et la création littéraire – alimente par ailleurs l’engagement politique des participants à ces ateliers. Ils ont été l’occasion, écrivent-ils, “d’échapper par à-coups aux urgences militantes. Prendre le temps de penser des formes de révolutions victorieuses nous a nourriEs au-delà de toute attente.” L’écriture de fiction est un instrument pour libérer l’imaginaire de l’oppression du temps présent. “Nous sommes à la recherche de futurs désirables, mais notre réalité est verrouillée sous cette chape de plomb capitalisto-techno-mondialisée : tout est déjà lancé, on n’y peut rien, ça va trop vite…” Ce recueil de nouvelles nous place ainsi face à des questions à la fois étranges et familières. Comment laver son linge dans un monde sans réseau d’électricité centralisé ? Qui lave le linge ? Comment décider démocratiquement chaque choix technique sans s’épuiser ? Comment régler les conflits si la loi et la police ont disparu ? Etc.

Qu’il se passe quelque chose

Le lien entre écologie et littérature ne m’a pas toujours semblé évident. L’une semblait pencher du côté du concret, de la nature, des gestes pratiques. L’autre évoquait l’esprit, la culture, l’abstrait. Mais aujourd’hui, qui peut encore nier que les grands enjeux écologiques exigent des changements culturels profonds ? Il ne s’agit pas seulement de choisir entre tel ou tel procédé technique plus ou moins durable comme on l’a longtemps pensé – et comme beaucoup le pensent encore – mais de sortir d’un enfermement dans le statu quo, de rouvrir la possibilité de transformations radicales. On pourrait résumer notre situation, notre paralysie de société face à ces grands enjeux, par cette phrase évoquée plus haut : nous voulons “qu’il se passe quelque chose”, enfin, quelque chose qui soit assez puissant pour dynamiter notre présent et rouvrir la voie à de l’avenir, quelque chose qui nous transforme collectivement.

Or, justement, les fictions sont des laboratoires de la transformation. Dans la littérature, le théâtre, le cinéma, les histoires racontées mettent aux prises des personnages avec des situations problématiques. Le propre d’une histoire, au fond, c’est que toujours il “se passe quelque chose” – même quand apparemment il ne se passe rien. Et ces histoires, contrairement à la politique et à la technique, permettent le déploiement des contradictions, des émotions, des contretemps. Elles permettent au lecteur, au spectateur d’adopter un autre point de vue, elles lui font vivre une expérience de pensée, des questions qu’il ne se posait pas. Bref, elles l’entraînent dans un univers où “il se passe quelque chose”. Et, dans une certaine mesure, elles le transforment, souvent plus efficacement, plus profondément qu’un prospectus ou qu’une conférence.

La culture transpose les préoccupations profondes qui traversent les sociétés humaines. Christian Salmon, spécialiste du storytelling – l’art de raconter des histoires – aime à rappeler que les questions sans réponse produisent les histoires. Or n’est-ce pas ce que nous vivons aujourd’hui : une absence de réponse face à la perspective de catastrophes écologiques majeures, face au spectre de divers effondrements, face à l’inefficacité globale des alertes, des réformes et des luttes écologiques actuelles ? Ce n’est sans doute pas un hasard si la production de fictions du genre post-apocalyptique est si abondante aujourd’hui. Certaines d’entre elles ont peut-être beaucoup à nous apprendre, à condition qu’on se donne le temps d’une analyse critique, partagée. C’est ce que je vous propose de faire dans les pages de vos prochains numéros : explorer des œuvres et des récits en tous genres, qui sont directement liés aux grands enjeux écologiques de notre époque et qui peuvent nous aider à questionner, en vue de les dépasser, certaines impasses actuelles…

Notes

(1) Rob Hopkins, Manuel de transition, éditions Écosociété, 2010 (2008 pour l’édition originale anglaise)

(2) « Rob Hopkins : l’imagination au pouvoir ! », compte-rendu d’une conférence au Festival « Maintenant », 30.10.19, http://developpementdurable.wallonie.be

(3) Jean-Paul Engélibert, Fabuler la fin du monde. La puissance critique des fictions d’apocalypse, La Découverte, 2019.

(4) Mark Fisher, Le réalisme capitaliste, Entremonde, 2018 (2008 en édition originale anglaire).

(5) Jean-Paul Engélibert, Idem, p. 13.

(6) Bâtir aussi, éditions Cambourakis, 2018, postface « Construire sur les ruines du système : vers une technologie libératrice ? »

Un modèle coopératif qui rassemble

L’exemple du Flietermolen, à Tollembeek

Ainsi va notre Belgique fédérale : beaucoup de boulangers bio de l’ouest de Bruxelles se fournissent au Flietermolen, dans le Pajottenland, c’est-à-dire en Flandre. Mais le grain moulu au Flietermolen, lui, vient peut-être de Wallonie… Avis aux coupeurs de cheveux en quatre : cela n’a strictement aucune importance ! Ici, c’est un nouveau modèle de société, un nouveau modèle coopératif et qualitatif qui tente de se mettre en place…

Par Jürg Schuppisser et Christine Piron

Introduction

Au Heetveldemolen de Tollembeek, Richard Van Ongevalle et Judith Clerebaut se marient en 1954, reprenant officiellement à leur compte la mouture sur meules de pierre et le moulin à cylindre de type Midget. Albert Hugo maîtrise parfaitement cette « machine révolutionnaire » anglo-américaine mais doit faire place au jeune couple. Sait-il alors que le Flietermolen, à moins de trois kilomètres de là, possède la même machine ?

Entouré de champs, il est posé sur la douce colline du Flieterkouter, une butte artificielle abritant les fondations et les réserves de ce moulin à vent construit en pierre vers 1788. Il subit de lourds dégats, en 1940, et n’est plus exploité. Albert Hugo et son épouse, Elsa Darbé, le rachètent en août 1954, font blanchir les murs extérieurs à la chaux, enlever les ailes et la tête rotative et dégager les caves sous la butte. Un moteur diesel en devient la force motrice et tout refonctionne jusqu’en 1976 : un petit moulin à taille humaine, très moderne et adapté à la demande. Les héritiers le mettent en vente, en 1985, après le décès d’Albert Hugo. Il reste à vendre pendant trente ans !

Mais, en 2016, l’acheteur s’appelle Julian Still, fils d’agriculteur britannique, actif en Belgique depuis vingt ans dans la gestion de société et de filières économiques en crise.

Une nouvelle coopérative multiacteurs.trices

Julian ne veut absolument pas rester meunier, tout seul. Pour lui, toute activité a besoin d’un environnement, d’un cadre, d’un espace dans lequel on s’invite pour produire, ensemble, des merveilles, c’est-à-dire une coopérative qui regroupe acteurs et actrices d’un même projet de société. L’idée n’est pas encore bien comprise dans nos régions ; Julian le sait pour l’avoir déjà tenté dans sa carrière. Heureusement, Katrien Quisthoudt avait, elle, l’expérience d’un habitat groupé autogéré et avait déjà boulangé son pain. Ils se croisent par hasard puis, sur conseil du meunier Jespers, de Bierghes, Julian se rend à la Ferme Quenestine, à Rebecq, à la rencontre de Robert Lisart, agriculteur et boulanger.

« Nous sommes tous conditionnés par les filières industrielles tentaculaires, regrette Julian, qui pratiquent l’extraction de la plus-value. Une filière, c’est une chaîne de création de valeurs : la production d’abord, puis la ou les transformation(s), la distribution et, en toute fin, la consommation. Si, dans cette chaîne, un des maillons décrète l’appropriation de la plus-value, sans réinvestir et la répartir dans la filière, le résultat sera la pollution de la planète, la dépression et le burnout pour les acteurs, une perte de santé pour les consommateurs qui sont, quant à eux, conditionnés par la quête du bon marché. Dans ce contexte la boulangerie n’a plus le droit de dire que son pain est trop bon marché… » Elle finit par mettre la clef sous le paillasson. En Belgique, aujourd’hui, c’est une par semaine ! « Et, en plus, la moitié des pains sont jetés », ajoute Katrien…

« Nous voulons changer de modèle, affirme clairement Julian ! Notre modèle est la coopérative multi-acteurs.trices. Nous nous réunissons entre fermier.ères, meunier.ères, boulangeries bio, magasins bio, consommateur.trices. Nous nous mettons d’accord sur tous les prix d’achat des céréales et de vente des farines. Tout est transparent et ouvert. Nous voulons créer du fair-trade local, une filière, une chaîne durable où tout le monde a son mot à dire. Nous venons d’avoir notre réunion annuelle des seize fermiers de la région. Il y a deux ans, nous n’étions que quatre… »

« Le moulin tourne depuis deux ans, poursuit Katrien. Nous sommes en production et en apprentissage. Le premier bilan indique la répartition de la demande : 70% de farine de froment, 20% d’épeautre, 10% de seigle. La demande augmente. Les magasins et les boulangeries poussent comme des champignons, la majorité d’entre eux a moins de trois ans d’existence, souvent des reconversions de carrière et des jeunes… »

Les systèmes complexes, c'est du Belge !

« Je réfléchis beaucoup aux systèmes complexes, explique Julian, une notion qui intervient lors de la mise en place d’une chaîne. Au départ, aucun maillon ne maîtrise la totalité de la chaîne. Une fois noyé dans la complexité, on perd la notion du bon et du mauvais, du correct et de l’incorrect, du noir et du blanc. Tout devient gris. Au début, en rassemblant tout le monde autour de la table, chacun gardait sa perspective de départ et chacun avait raison. Tout le monde a raison ! Mais, à force de discuter, d’écouter les autres, le phénomène d’émergence intervient. Les systèmes complexes, c’est du Belge ! L’émergence arrive comme une voie séparée. L’ensemble produit autre chose que la somme des éléments apportés par chacun des participants. Concrètement : l’agriculteur ne voit pas la même chose que le boulanger. Le premier pense terre, semences, culture, climat, maladies, voisins en conventionnel… L’autre pense levée, fermentation, cuisson et demande des clients. Les clients, eux, veulent le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière, c’est-à-dire le bon pain naturel, bien nutritif et pas cher. Le meunier, lui, veut des céréales avec un bon taux d’humidité, les plus propres possible… Il faut mettre tout cela ensemble pour y arriver, et il y a matière à discussion comme sur les meilleures variétés de céréales… »

Robert Lisart, lui, est agriculteur de Rebecq. Il cultive des céréales, du froment et de l’orge brassicole mais aussi des légumes bio, pois, haricots, pommes de terre… Il complète sa rotation avec des prairies temporaires. Sans bétail, il échange, avec un éleveur de bovins, sa paille de céréales contre du fumier pour nourrir la terre. Il cultive les champs de la Ferme Quenestine – originellement appelée Ferme Storme – dont la construction remonte à 1824. Cette ferme est typique de l’agriculture pratiquée au XIXe siècle, avec sa cour carrée, ceinturée de grands bâtiments ayant chacun sa fonction propre. Robert a fait le pas du bio, en 2012, et ne le regrette pas car son travail a retrouvé du sens, grâce aux liens que le moulin a pu recréer entre tous les acteurs de la chaîne alimentaire. Robert salue aussi toutes les « petites » initiatives locales de Rebecq et de ses environs, qui vont dans le sens d’une réappropriation du « chapitre alimentaire ».

La coopérative, concrètement

Dans la coopérative, chaque membre dispose d’une voix, quel que soit le nombre d’actions qu’il possède. Les coopérants sont tenus au courant des enjeux liés au moulin par le biais d’un bulletin d’information et régulièrement invités à des réunions de coopération. Ils sont également les bienvenus lors des rencontres avec les différents « acteurs » à l’occasion desquelles sont, entre autres, décidés les différents prix : achat de grain, vente de farine, etc. Une évaluation de l’année écoulée se fait lors de l’Assemblée générale annuelle, après quoi est fixé le montant des dividendes versés aux membres. La direction générale à suivre, les priorités et les réalisations espérées pour l’année à venir sont également discutées à cette occasion.

S’asseoir autour de la table avec tous les maillons de la chaîne et se mettre, ensemble, d’accord sur les prix reste donc le meilleur mode de fonctionnement possible. Au cours de ces tables rondes, chacun doit apprendre à écouter l’autre, pour qu’une solution émerge, lentement mais sûrement, qui est ensuite réalisée. L’équipe du personnel, quant à elle, est auto-gérée La coopérative adopte ainsi une approche pragmatique qui aborde l’inconnu étape par étape, et qui permet aussi prendre le recul nécessaire si les choses ne vont pas comme prévu, ou si les idées n’ont pas de succès escompté. Au Flietermolen, la conviction commune est qu’il est possible d’ajouter de la valeur, en tant que coopérative, et un consensus se dessine sur la meilleure manière de la partager…

En guise de conclusion

Aux yeux de Nature & Progrès, le système de production de notre alimentation doit absolument changer ! Or le Flietermolen offre un exemple de coopération qui doit absolument être encouragé. Chacun s’y enrichit humainement, en œuvrant dans le sens du bien commun. Nous ignorons, par ailleurs, quelle sera l’avenir de l' »empreinte alimentaire » de Bruxelles, c’est-à-dire d’où viendra la nourriture des Bruxellois puisqu’il ne sera certainement pas possible de tout produire intra muros. Il est probable qu’à l’avenir cette problématique prenne un tour de plus en plus politique mais la solution passera-t-elle par l’achat de terres en dehors de la Capitale ? L’option de collaborations avec des agriculteurs et des transformateurs locaux, en Flandre, en Wallonie ou ailleurs, ne serait-elle pas, de très loin, préférable ? Une vaste question dont nous n’avons sans doute pas fini de débattre…

Adhésion et informations : http://flietermolen.be/home-fr/

Transition alimentaire

Comment se nourrir à Waremme demain ?

Dans le but de réfléchir à la relocalisation notre alimentation, Nature & Progrès table évidemment sur la collaboration avec les mouvements de transition : un partenariat s’est ainsi créé avec le groupe de Waremme en Transition. Voici donc quelques pistes de fonctionnement proposées par des acteurs du changement, et formulées par ces acteurs de changement eux-mêmes, qui œuvrent ensemble pour plus de résilience alimentaire. Une démarche ouverte qui ne peut pas s’arrêter de chercher à progresser…

Par Michaël Stassart et Valérie Stassen, membres de Waremme en Transition

Introduction

Waremme en Transition (WET) s’inscrit dans le mouvement international de la transition qui a démarré en Grande-Bretagne, en 2006, et qui regroupe aujourd’hui plus de quatre mille initiatives de transition dans cinquante pays. Ces initiatives forment un réseau mondial, nommé Transition Network. WET s’inscrit également dans le réseau belge de transition : https://www.reseautransition.be/.

Le mouvement est composé de citoyennes et citoyens qui ont décidé d’agir au niveau local pour répondre aux défis environnementaux. Il s’agit de réinventer nos façons de vivre ensemble, de produire et de consommer afin de participer à la restauration des écosystèmes, à la lutte contre le changement climatique et à la réduction de notre dépendance aux ressources non renouvelables. Les membres de WET veulent rendre leur ville, les villages, les quartiers et les rues plus durables et plus conviviales en répondant, positivement et localement, aux défis posés.

Une initiative citoyenne

WET a comme objectif de :

– développer une vision : imaginer un avenir positif qui fait la paix avec la terre, en créant une vision tangible, claire et concrète du territoire de Waremme régénéré ;

– sensibiliser les habitants de Waremme sur les enjeux environnementaux, sur leur empreinte écologique et sur les solutions possibles, au moyen de partages d’expériences et de la diffusion d’informations fiables, accessibles, articulées, ludiques et engageantes en respectant les capacités de chaque personne à trouver une réponse appropriée à sa situation ;

– faire naître, réaliser, promouvoir, soutenir à Waremme, toute initiative, individuelle ou collective, qui vise à relever les défis environnementaux, sociaux et économiques que traverse notre société…

Les alternatives locales et participatives sont favorisées. C’est donc tout naturellement que des liens ont été créés avec d’autres groupes partageant les mêmes valeurs, dont Nature & Progrès, qui est actif depuis quarante-quatre ans en Hesbaye, et le Passage 9, Centre culturel de Waremme. Ces partenariats permettent à l’association, portée par des bénévoles, de bénéficier d’un soutien et d’une expertise professionnelle dans l’accomplissement de leurs projets.

Pour les membres de WET, la question de l’accès à une alimentation de qualité, locale et, de préférence, issue de l’agriculture biologique est primordiale. Le groupe remet clairement en question un système agroalimentaire qui leur est imposé et que ne leur convient plus. Ils décident donc d’organiser une soirée d’échanges et de rencontres, en invitant les habitants de Waremme, les éleveurs et les agriculteurs locaux du secteur conventionnel et de l’agriculture biologique, le réseau associatif des environs et les élus politiques, à débattre ensemble sur l’actuel modèle alimentaire et son futur.

Se nourrir, à Waremme, demain

Notre système alimentaire est à bout de souffle ! La transition vers un autre modèle reconnectant les citoyens, les agriculteurs et la nature est l’affaire de tous.

Le 30 novembre 2019, un évènement fédérateur rassemble donc, à Waremme, une cinquantaine de personnes. Elles se réunissent dans la grande salle du Centre culturel, préparée avec soin par les membres de WET. Nous visionnons d’abord une vidéo, intitulée « Pourquoi devons-nous changer notre système alimentaire« , qui nous démontre les limites du système agroalimentaire actuel et nous renvoie vers notre responsabilité de consommateur. Après cette introduction, nous faisons connaissance les uns avec les autres, via un petit débat mouvant et nous nous asseyons en table de discussions. La lecture d’un texte nous projette dans un rêve : un autre monde est possible mais comment le voyez-vous ? C’est le sujet du premier tour d’échanges entre les participants. Afin d’ancrer nos rêves dans la réalité et sur le territoire de Waremme, nous procédons à un deuxième tour de discussions portant sur des pistes d’actions pour une transition saine et durable.

Une mise en commun démontre ensuite que l’intérêt général porte premièrement sur la nécessité de créer des liens et de renforcer la solidarité entre les habitants, mais aussi avec les producteurs, afin de se ré.approprier une manière saine de manger. Et cela passe par le soutient aux diverses filières alimentaires locales et le développement des potagers, collectifs ou individuels, sur toutes les surfaces vertes disponibles. Deuxièmement, de re.créer des espaces verts en ville. Et, en troisième lieu, de continuer à dialoguer avec les pouvoirs publics dans l’espoir de voir soutenues les différentes initiatives et demandes citoyennes… Un moment convivial clôture l’évènement, permettant aux uns et aux autres de faire d’avantage connaissance et de poursuivre leurs débats…

Six enjeux se dégagent des discussions

À la suite de cet évènement, il était important, pour l’équipe de WET, d’analyser les résultats des tables rondes et d’identifier les six enjeux les plus importants de la soirée :

– favoriser la production locale – comme créer une ceinture alimentaire en Hesbaye -, favoriser l’autoproduction, payer un prix juste au producteur, entretenir des espaces d’ »incroyables comestibles » ;

– structurer les filières locales : les participants souhaitent se nourrir « du champ à l’assiette », en fréquentant une halle des artisans et un marché des producteurs locaux, en se fournissant directement à la ferme et en achetant des produits locaux dans les commerces existants ;

– restaurer la nature : par exemple, créer des espaces verts et des forêts, restaurer les cours d’eau, planter des haies, régénérer des sols ;

– augmenter les savoirs : en créant un potager dans chaque école, en suivant des formations – potager, permaculture, compost, cuisine, écologie -, en diffusant une base de données des acteurs de la transition, en fréquentant des « journées fermes ouvertes » ;

– renforcer les solidarités : pour les participants, il est important de rendre la nourriture saine accessible à tous, de recourir à des échanges gratuits entre particuliers – SEL, mise à disposition des jardins non utilisés -, d’encourager le volontariat et le glanage, des caisses de solidarités ;

– aiguiller le soutien des pouvoirs publics : ceux-ci pourraient mettre à disposition des maraîchers les terres agricoles appartenant aux pouvoirs publics, réduire les taxes des produits sains, encourager l’installation des producteurs, réserver un emplacement gratuit au marché pour les producteurs, favoriser le passage vers l’agriculture biologique…

Ces pistes dactions identifiées par les citoyens serviront de guide pour l’élaboration des projets de WET dans les mois à venir.

Waremme en Transition : bilan de la première année d’existence

Une naissance réussie ! Le noyau de la transition – le groupe initiateur – s’est constitué grâce à la mobilisation d’une dizaine de citoyens. Une dynamique collective s’est ainsi mise en place autour de la transition écologique. Le groupe se réunit mensuellement.

Une intégration de l’initiative de transition au sein du tissu local ! WET a reçu un accueil très positif des acteurs locaux qui se concrétise par la mise en place de plusieurs collaborations : avec des associations telles que le Centre culturel de Waremme, Nature & Progrès, Natagora, le GAL et d’autres initiatives de transition qui ont permis de mettre en place les premières actions. Nous avons constaté que les acteurs publics locaux sont souvent à la recherche de relais citoyens pour coconstruire des projets ou pour faire vivre les projets qu’ils ont eux-mêmes initiés. Nous avons ainsi été sollicité par les services communaux dans le cadre d’un appel à projet lancé par la Région Wallonne, « Ma commune en transition« . Suite à cet appel, WET bénéficie d’un subside communal et régional.

Cette première année a encore été l’occasion de nouer des liens avec les entreprises : avec le monde de l’agriculture, tout d’abord, par l’organisation des activités autour de la transition alimentaire mais aussi par la rencontre des commerçants locaux. Enfin, la mise en place du jardin communautaire s’est faite en collaboration avec un promoteur immobilier. Nous espérons ainsi, au travers de ces multiples collaborations, faire progressivement percoler la transition dans l’ensemble du tissu local.

L’impulsion d’une vision positive de notre avenir ! Le mouvement de la transition considère que l’élaboration d’une vision de l’avenir attrayante mobilisera les citoyens qui auront le désir de la faire vivre : c’est le scénario dit « de l’espérance » de l’éco-philosophe Joanna Macy. Face à la crise écologique, Joanna Macy met en évidence trois scénarios possibles : le « déni », la « grande désagrégation » et le « changement de cap ». C’est le scénario de l’espérance, à savoir un engagement collectif et personnel pour la transition d’une société de croissance autodestructrice vers une société qui soutient la vie, orientée vers un bonheur reposant plus sur les liens que sur les biens. L’enjeu est de retrouver une harmonie entre l’espère humaine et la biosphère, afin de garantir un mode de vie qui ne détruise pas les écosystèmes dont il dépend (1). WET a réalisé, en 2019, une première tentative d’élaboration de cette vision d’avenir, principalement pour l’alimentation.

Les défis de 2020 : consolider et renforcer la dynamique collective

Il s’agit, avant toute chose, de consolider les acquis de notre première année d’existence. En premier lieu, permettre à notre groupe de base de s’épanouir au travers de la réalisation des projets qui tiennent à cœur les membres du groupe. Deuxièmement, nous avons l’intention de poursuivre notre intégration dans le tissu local et d’étendre le réseau de la transition à Waremme. Ce travail de rencontres et de sensibilisation est, pour nous, essentiel. C’est d’ailleurs très enrichissant et cela constitue, à nos yeux, le meilleur moyen de faire bouger les choses. En 2020, nous accorderons une attention particulière à la sensibilisation des acteurs politiques locaux et des agriculteurs. Troisièmement, les défis sont immenses et donc les projets potentiels d’envergure. Outre le travail en collaboration avec les acteurs existants, il nous faut réussir à élargir notre groupe de base, en mobilisant davantage de citoyens voulant jouer un rôle actif dans la transition à Waremme.

Enfin, nous souhaitons inscrire WET dans un réseau plus large de la transition en Hesbaye. Nous bénéficions, en effet, sur le plateau de la Hesbaye, d’une unité de production agricole qui pourrait constituer un bon point de départ pour une action commune concernant la transition alimentaire. Nous profitons donc de l’occasion pour faire appel aux autres initiatives de transition situées en Hesbaye et aux Hesbignons qui voudraient rejoindre le mouvement de la transition.

L’âge de faire…

Le premier projet concret – et déjà en cours de réalisation – est un jardin communautaire dédié à la culture maraîchère et fruitière, sur le site dun ancien verger mis à disposition par le promoteur dun projet immobilier situé sur les parcelles voisines. Il s’agit d’en faire un lieu de permaculture urbaine. Ce jardin, situé au centre-ville, sera destiné à devenir un lieu d’échanges sociaux, de transmission de savoirs, de détente et dentraide. L’équipe porteuse du projet fera bientôt appel aux volontaires pour effectuer les premiers travaux daménagement avant larrivée du printemps.

Par ailleurs, nous réfléchissons encore à dautres projets à réaliser, en 2020, comme par exemple la mise en place d’un cycle de conférences avec Nature & Progrès et – pourquoi pas ? – le lancement des bases d’une ceinture alimentaire pour Waremme. Il nous semble également primordial de jeter des ponts avec des initiatives issues de la transition, comme la ceinture alimentaire liégeoise. Les ambitions de ces acteurs, en termes d’approvisionnement local, ne pourront, en effet, être rencontrées qu’avec la contribution des agriculteurs hesbignons !

Note :

(1) M.M. Egger, Soigner l’esprit, guérir la terre, p.13

Davantage de céréales bio et locales sur notre table

Citoyens et professionnels se mobilisent !

Nature & Progrès rassemble, depuis deux ans, consommateurs, agriculteurs, meuniers, malteurs, boulangers, brasseurs, chercheurs et autres professionnels du milieu agricole autour de la filière céréalière. Mais peu de céréales locales se retrouvent encore actuellement dans les farines, pains et bières, même confectionnés en Belgique. A peine quelques pourcents… Comment améliorer cet état de fait ?

Par Sylvie La Spina

Introduction

Comment augmenter la part de céréales locales et bio dans nos assiettes et dans nos verres ? Un foisonnement de pistes a été rassemblé lors des rencontres du projet et présenté à l’occasion d’un colloque, organisé par Nature & Progrès, le 15 novembre 2019, à Namur. Une journée qui a rassemblé plus de cent trente personnes, c’est dire si le sujet est important et d’actualité.

Un intérêt multi-acteurs

Le colloque a rassemblé citoyens, agriculteurs, meuniers, boulangers, malteurs, brasseurs et autres transformateurs mais aussi des politiques, des chercheurs, des structures du monde agricole et des porteurs de projets. Tous nous ont fait part de leur intérêt pour le travail réalisé sur les céréales, par Nature & Progrès à travers son projet Echangeons sur notre agriculture, durant ces deux dernières années.

Charles-Edouard Jolly, agriculteur à la ferme bio du Val Notre Dame, à Antheit, développe des cultures de céréales panifiables et d’orge brassicole et recrée peu à peu des filières locales. Il témoigne : « C’est très amusant à faire, et ça revalorise encore plus notre travail. Le problème, c’est la mise en réseau. Cela demande beaucoup de temps de rencontrer les différents transformateurs et distributeurs pour arriver à une filière courte. Mais je pense que cela a beaucoup d’avenir…« 

C’est lors d’une activité, organisée en 2018 par Nature & Progrès, que Cécile Schalenbourg, agricultrice à Donceel, rencontra Georges Sinnaeve, chercheur du CRAw venu parler de la qualité des céréales panifiables. Elle réalisa alors le potentiel de valorisation de son blé en farines alimentaires. Le GAL « Je suis Hesbignon » aida alors Cécile et d’autres agriculteurs à mettre en place leur projet : recherche d’un moulin, informations et formations, outils de communication… Selon Cécile, « le projet Echangeons sur notre agriculture de Nature & Progrès fait un très bon lien entre la théorie et la pratique. Les porteurs d’initiatives qui viennent témoigner au colloque sont des gens qui ont déjà éprouvé leur projet et peuvent, en toute transparence, livrer leurs connaissances…« 

Gil Leclercq, porteur du projet de la micro-malterie du Hoyoux, insiste : « ce colloque est une source d’inspiration pour d’autres porteurs de projets, tant pour le secteur panifiable que pour le secteur brassicole ; c’est aussi l’occasion de rencontrer les agriculteurs et les brasseurs qui sont intéressés par une filière locale.« 

Catherine Marlier, porteuse d’un projet de hall-relais Cultivae, témoigne : « c’est intéressant de pouvoir se rencontrer car on ne prend pas le temps de le faire ; nous sommes tous isolés sur nos projets, avec nos problèmes, et le fait d’échanger et de pouvoir en parler, cela nous renforce. En plus, on sent une volonté citoyenne qui nous conforte dans ce dans quoi on croit. Quand on veut créer quelque chose qui va dans un sens différent, cela demande beaucoup d’énergie.« 

Enfin, un membre de Nature & Progrès travaillant activement sur le projet de la ceinture alimentaire namuroise, Michel Berhin, explique : « ce colloque est un temps fort parce qu’il aide à identifier les acteurs présents au niveau local. La conclusion des rencontres de Nature & Progrès ne s’appuie pas sur un regard théorique mais bien sur les acteurs de terrain.« 

Des pistes intéressantes

Tout au long de ces deux années de travail sur les céréales alimentaires, de nombreuses pistes sont ressorties au fil des rencontres entre les différents acteurs pour aider au développement de filières locales, du grain à la table.

– la production

Un enjeu de taille, pour les producteurs, est d’atteindre la qualité de céréales nécessaire pour la transformation. Pour les céréales panifiables, les normes de qualité sont strictes car définies pour une transformation industrielle des farines. Elles impliquent une standardisation des procédés de fabrication – la pâte ne doit pas coller à la machine ! – et une optimisation économique, notamment un temps de pétrissage et de repos les plus courts possibles qui se font au détriment de la digestibilité et de la qualité nutritive du pain. Quand les céréales sont récoltées, séchées et triées, elles sont analysées puis réparties en fonction des normes en céréales panifiables et en céréales « tout-venant », purement et simplement écartées de la consommation alimentaire !

Ces normes pourraient donc être revues et, surtout, être distinctes en fonction de la finalité de la filière : industrielle ou artisanale. En effet, un boulanger travaillant de manière artisanale pourra plus facilement s’adapter à des farines « hors-normes », sans même avoir recours à des additifs technologiques. Cela ne veut pas dire qu’il utilisera n’importe quels grains car il faut évidemment veiller à ce qu’ils soient, tout de même, de bonne qualité : absence de mycotoxines, bon stade de maturation… Mais cela permettrait d’éviter le déclassement de nombreux lots en céréales « tout venant ».

Par ailleurs, on oublie trop souvent les autres modes de transformation des céréales : le « floconnage », la fabrication de biscuits ou de gaufres, celle de pâtes alimentaires… Ces filières mériteraient à être développées en Wallonie. Il est donc important de définir les critères de qualité des grains pour ces transformateurs afin de récupérer encore un peu plus de céréales « tout venant » pour alimenter localement nos concitoyens.

La qualité des céréales peut être améliorée en poursuivant les recherches sur l’itinéraire cultural, notamment la fertilisation qui conditionne le taux de protéines du grain. Si des études ont déjà été menées sur la fertilisation – type, quantité, période d’apport – ou le précédent cultural, il reste encore de nombreuses pistes à explorer : notamment les associations de cultures de céréales et de légumineuses. Ces cultures conjointes permettent de fournir de l’azote à la céréale mais nécessitent un tri des graines à la récolte. Les recherches sur les variétés de froments, d’épeautres et d’orges doivent être poursuivies notamment avec une finalité alimentaire et une adaptation au mode de culture biologique.

Enfin, un dernier frein à la valorisation des céréales est la taille des lots. Le parcellaire wallon est très morcelé et il est nécessaire de rassembler les productions de plusieurs agriculteurs pour atteindre les volumes demandés par certains transformateurs. Mais, pour être rassemblés, ces lots doivent être de qualité relativement homogène ! En Wallonie, on compte une septantaine de variétés de froments en champs, qui ont toutes leurs spécificités. Pourquoi des groupes de producteurs ne se concerteraient-ils pas pour cultiver la même variété, dans des conditions relativement similaires, afin de se donner plus de chances de valorisation ?

Le prix du marché pour les céréales alimentaires est aujourd’hui très défavorable aux filières : il est plus rentable pour un agriculteur de semer des céréales destinées à l’alimentation animale ou à l’énergie, plus faciles à cultiver et présentant un meilleur rendement en grains. Voilà ce qui explique le déclin de nos céréales alimentaires ! Et pourtant, la valeur de la céréale ne compte que pour quelques pourcents dans le prix du pain – 5 à 8 % – ou de la bière – moins d’1 %… Qu’est-ce qu’on attend ?

– le conditionnement

Après la récolte, les céréales doivent être triées, parfois séchées, et stockées jusqu’à leur transformation par le meunier ou le malteur. Or il y a, aujourd’hui, un manque flagrant de structures de tri des céréales biologiques, lesquelles doivent évidemment être conditionnées à part des céréales conventionnelles. Il manque aussi des outils pour le décorticage des céréales comme l’épeautre. Il est donc important de développer ces outils, que ce soit pour un producteur individuellement – le conditionnement à la ferme – ou pour un groupement d’agriculteurs – un hall-relais agricole. La formation des agriculteurs est également nécessaire pour bien maîtriser ces étapes critiques pour la bonne conservation des grains.

– la transformation

Les moulins connaissent un renouveau en Wallonie. Il était grand temps car c’est l’acteur incontournable pour le développement de filières panifiables locales. La vingtaine de moulins wallons sont cependant encore loin de suffire, par rapport aux besoins des producteurs et des boulangers. Il est donc important de soutenir la mise en place de nouveaux moulins, notamment d’outils travaillant à façon pour d’autres acteurs et permettant ainsi le développement de nouvelles filières. Comme pour les autres outils de première transformation – les abattoirs dans la filière viande, par exemple -, la rentabilité de ces outils est difficile à atteindre. Il faut, par conséquent, envisager soit un soutien public – comme les abattoirs communaux vus comme un service offert par la commune aux éleveurs -, soit l’intégration avec le reste de la filière, amont et aval, permettant notamment de bénéficier de la plus-value de la seconde transformation. Dans ce dernier cas, c’est la forme de coopérative qui est la plus appropriée comme le montrent plusieurs initiatives : Flietermolen ou Agribio, par exemple.

Pour la malterie, il reste deux opérateurs travaillant à façon en Belgique, ce qui permet des filières du grain à la bière. Cependant, les volumes traités par ces malteries sont importants par rapport à la taille des lots d’orges produites en Wallonie et par rapport aux besoins en malt des microbrasseries. Des micro-malteries, traitant de petits volumes d’orges, permettraient donc une meilleure valorisation des céréales locales mais aussi une meilleure stimulation, l’innovation et la diversification de nos microbrasseries et le développement de bières de terroir. Une micro-malterie est d’ailleurs en projet dans la région de Havelange.

La boulangerie artisanale a du plomb dans l’aile ! De plus en plus de consommateurs achètent leur pain en grande surface, ne distinguant plus de différence de qualité, ou refont leur pain à la maison car ils recherchent le bon goût et la digestibilité du « pain d’antan ». Il faut dire que les pratiques des boulangers ont fort évolué ces dernières décennies : pétrissage mécanique, abandon du levain, utilisation des mêmes farines et procédés, finalement, que la boulangerie industrielle. Il reste quelques irréductibles « vrais » boulangers qui travaillent en direct avec les producteurs des farines, sans le moindre additif et avec un savoir-faire immense qui inspire aujourd’hui de nouvelles vocations. Revenons donc vers ces méthodes artisanales pour offrir localement aux consommateurs, dans des boulangeries de quartier, du vrai bon pain ! Redonnons-leur confiance dans ce produit noble, base de notre alimentation, en offrant plus de transparence sur le mode de fabrication, la qualité des farines et, bien entendu, leur origine…

– les filières

Les rencontres animées par Nature & Progrès l’ont démontré, tout au long de ces deux années d’étude des filières céréalières : les différents acteurs ne se connaissent pas ! Chacun nourrit son projet et ses idéaux dans un coin de sa ferme, de sa brasserie ou de sa boulangerie. Mais il n’existe aucun lieu pour échanger, partager et… décider de travailler ensemble. Une plateforme et des inventaires des acteurs sont donc nécessaires afin que le boulanger, qui cherche un producteur de céréales, rencontre les agriculteurs de sa région, qu’il puisse aussi identifier un moulin qui serait prêt à moudre le grain et lui fournir la farine. Ces plateformes et inventaires stimuleraient alors le développement de filières locales !

Encourageons également la diversification au sein des fermes wallonnes. Pour un producteur de céréales, il peut être intéressant d’investir dans un moulin et dans un atelier de fabrication de pâtes – comme à la Ferme Harnois, près de Virton -, un atelier de boulangerie – comme à la Ferme Dôrloû, à Wodecq – ou une brasserie – comme à la Ferme à l’Arbre de Liège, à Lantin ! Cette diversification ne signifie pas que le producteur doit ajouter une casquette sur sa tête. Elle peut lui permettre d’accueillir une personne sur la ferme, employée ou indépendante, pour prendre en charge cet atelier.

En résumé…

Que de pistes prometteuses proposés par Nature & Progrès et par ses membres, que d’idées judicieuses et, surtout, quelle émulation pour le développement de filières céréales alimentaires 100% locales ! Le consommateur est demandeur de produits bio et locaux, les producteurs ont envie de franchir le pas, des transformateurs veulent mettre en avant le terroir wallon, la recherche et l’encadrement des acteurs sont bien présents… Le terreau est là pour davantage d’autonomie de nos fermes et la valorisation de notre artisanat ! Qu’est-ce qu’on attend ? Qu’est-ce qui nous freine encore ?

De l’ogre brassicole au goût wallon

Nos bières belges, ne sont pas si belges que ça, tant elles ont souvent recours à des ingrédients venus d’ailleurs. Mais quels rôles les différents maillons de la filière de production céréalière ont-ils à jouer pour redorer le blason de l’orge brassicole en Wallonie ? Car, même si d’autres céréales peuvent être maltées, pour apporter des goûts et des arômes différents, l’orge brassicole est au cœur de la filière. Sans orge brassicole, pas de malt, et – oh tristesse infinie ! – : pas de bière !

Par Mathilde Roda

Introduction

Nature & Progrès propose quelques pistes pour redynamiser la filière afin d’accroître la qualité de nos produits brassicoles et d’amener plus de valeur ajoutée au travail des brasseurs. Plutôt que de destiner nos céréales à l’alimentation du bétail et à la fabrication de « biocarbutants », il nous paraîtrait, en effet, plus intéressants de les diversifier et de les développer en les adaptant aux débouchés des produits transformés qui font notre renommée. Et, au premier plan d’entre eux, nos bières. En fait, cela tombe sous le sens, non ?

Bruno Godin, du Centre wallon de Recherche Agronomique (CRAw) de Gembloux, nous apporte son éclairage technique sur le sujet, en recontextualisant la problématique brassicole wallonne.

La recherche : l’orge est sélectionnée pour répondre à certains critères

N’est pas brassicole n’importe quelle orge ! Pour que l’ogre soit apte à être maltée, elle doit répondre à un certain nombre de critères.

– Bruno Godin, pourquoi tant de critères pour l’orge brassicole ?

Pour répondre aux exigences de maltage, il faut une faible dormance afin de pouvoir malter l’orge le plus rapidement possible après la récolte. Un haut potentiel de germination est nécessaire au processus ainsi que de gros grains chargés d’amidon car c’est l’amidon qui va permettre la production d’alcool. Les variétés doivent, de plus, être résistantes à la fusariose – une maladie causée par des champignons produisant des mycotoxines – et à la verse. Autant dire que ça fait beaucoup de critères !

– Et justement, d’où viennent-ils ?

Dans chaque pays, les critères sont définis par la fédération des négoces. Ce sont classiquement des grosses filières d’exportation qui subissent les pressions du marché. En Belgique, c’est Synagra qui fixe les normes.

– Ces critères-là, ils se jouent déjà au moment de la sélection variétale ?

Oui tout à fait. On est passé de processus de maltage qui prenaient un mois, il y a cent ans, à une semaine aujourd’hui. La sélection a été faite pour optimiser ces critères avec, pour mots d’ordre, rapidité et homogénéité des processus. Donc, comme en panifiable, des lignées sont croisées et testées sur base de ces critères. Certains peuvent être rapidement évalués : calibre, pouvoir de germination, taux de protéine : on évalue facilement et rapidement la protéine et cela permet d’estimer l’amidon… On peut aussi réaliser des micro-maltages et des micro-brassins, en laboratoire et à partir de quelques dizaines de grammes d’orge, pour vérifier son comportement. Mais les normes correspondent aux exigences pour les bières de type « pils », produites à basse fermentation, alors que, pour une filière de bières spéciales, on doit s’intéresser aux besoins de la haute fermentation. Or même les experts brassicoles le disent : on ne connaît pas bien les normes pour la haute fermentation. Ce qui est dommage aussi, c’est qu’on oublie le goût dans tout ça. Le goût n’a jamais été un marqueur de sélection et c’est vrai pour toutes les céréales alimentaires…

La production : cultiver l’orge brassicole, c’est toute une technique !

– Outre la sélection variétale, qu’est-ce qui peut influencer la qualité de l’orge ?

Depuis vingt ans, nous nous sommes spécialisés vers le tout fourrager et nous avons oublié les risques à gérer en céréales alimentaires. Or la manière de cultiver a évidemment un impact non négligeable ! Toute une série d’autres bonnes pratiques doivent être respectées, comme de séparer la « bonne » récolte des zones versées. Une chose de primordiale en brassicole, c’est la propreté ! Il ne faut surtout pas retrouver d’autres céréales, ni plusieurs variétés d’orge. Il faut du monovariétal pour un maltage homogène, sinon le brasseur aura des problèmes de filtration et de gestion de sa recette…

– Alors pourquoi, malgré ces difficultés, certains pays voisins ne semblent-ils pas avoir de problèmes à produire de l’orge brassicole en grande quantité ?

En Belgique, la période des moissons est souvent pluvieuse, or l’humidité étant la bête noire du stockeur ! Lorsqu’on a cherché à se spécialiser en transformation alimentaire, ce sont les industries à plus haute valeur ajoutée que les céréales, et plus facile à gérer avec la chimie, qui ont pris le dessus : les pommes de terre et la betterave. En France, par exemple, où le climat est plus favorable, on retrouve de grandes plaines céréalières car c’est le meilleur moyen de rentabiliser ces terres. Dans d’autres contextes, comme au Danemark, l’orge brassicole est le seul moyen d’apporter de la valeur ajoutée à des terres peu productives. En Wallonie, on se situe entre ces deux situations et on a préféré se diriger vers des productions céréalières à haut rendement, pour l’alimentation du bétail ou l’amidonnerie. On a choisi la quantité plutôt que la qualité.

– Comment faire alors pour remotiver aujourd’hui nos producteurs à se lancer dans cette culture ?

Disons clairement que produire de l’orge brassicole n’est pas une commodité. Mais cette culture présente aussi des avantages : diversification, allongement des rotations, valeur ajoutée… Et puis, tout est une question d’habitude, c’est simplement un métier à réapprendre. De plus, l’orge brassicole étant rustique, bien résistante aux maladies, cela trouve évidemment tout son sens en bio ! Surtout qu’il y a un déficit de production en céréales alimentaires bio…

Le maltage : une première transformation peu rentable

– On parle souvent du manque de micro-malteries en Belgique. Cela peut-il être un levier pour redynamiser la production d’ogre brassicole ?

Il existe deux malteries familiales en Belgique – la malterie du Château et la malterie Dingemans – qui tournent déjà avec de bons volumes et un carnet de commande plein. Il n’est donc pas facile pour les brasseurs qui veulent de petits volumes – qui plus est d’une orge locale pas forcément formatée aux normes industrielles – de trouver une cellule de maltage disponible. Pour pouvoir transformer à petite et à moyenne échelle, il faut donc une malterie adaptée et qui travaille à façon, il faut donc clairement une demande du consommateur, qui influencera le brasseur et qui stimulera la demande en orge locale et donc sa production. La micro-malterie est l’élément central qui fait le lien entre tous ces maillons.

– Qu’est-ce qui freine leur développement à l’heure actuelle ?

Vu le prix de la bière en Belgique, il y a peu de valeur ajoutée à se partager et le maltage est très peu rentable à petite échelle. Une micro-malterie demande beaucoup d’investissement en matériel et il faut vraiment avoir des acteurs de la filière prêts à suivre pour être sûr d’amortir le projet et de le rendre viable à long terme. Il est donc nécessaire de fédérer des agriculteurs, des négoces et des brasseurs autour du projet, avant même de le lancer, une sorte de solidarité nord-nord au sein de la filière, un commerce équitable à la belge…

Le brassage : un haut potentiel de valorisation du terroir belge !

Mais je vois un autre intérêt au développement d’une micro-malterie wallonne. Les brasseries industrielles, non seulement dictent leurs normes en achetant de gros volumes à prix bas. Les micro-brasseurs, non seulement payent un prix plus fort, mais sont soumis aux critères de qualité du malt industriel. Avec une filière locale à petite échelle, certes il y aurait un surcoût pour le consommateur, de l’ordre d’un à deux centimes d’euro pour une trente-trois centilitres, mais il serait possible de produire des bières complètement ancrées dans leur terroir ! Et le bio est d’autant plus intéressant de ce point de vue… Et c’est bien pour cela que les micro-malteries qui veulent se mettre en place veulent souvent viser le 100% bio. Mais il faudrait, pour cela, que les volumes suivent…

– Il y aurait donc un haut potentiel de qualité différenciée en Wallonie, même dans le secteur brassicole ?

Bien sûr ! Finalement, en céréales alimentaires, si on veut mettre en avant le terroir et le goût, il ne faut pas trop produire. On peut faire le parallèle avec le vin et se dire qu’il faut peut-être une même approche : aller vers une offre en plus petits volumes mais avec plus de valeur ajoutée. Evidemment, cela implique d’avoir des consommateurs qui soient en phase avec cela…

Conclusion

Les marchés font-ils le goût ? Non ! Les marchés embrayent sur la demande de consommateurs qui ne connaissent rien aux produits et réagissent simplement à leur réputation et au « récit » qu’en fait la publicité. Laisser faire les marchés, c’est tout standardiser, à terme.

Comment, au contraire, retrouver une typicité, une qualité pour nos produits brassicoles ? Nature & Progrès pense que c’est en permettant le développement de filières courtes et en confiant à de véritables artisans spécialisés la transformation de produits agricoles de terroir, en stimulant le dialogue entre cet artisan et l’agriculteur qui le fournit. A l’évidence, les outils de transformation, comme les micro-malteries, doivent également se trouver au cœur de ces filières. Fabriquer massivement « à façon », et souvent à l’étranger, est une option quantitative qui n’a de sens qu’en visant la conquête de marchés lointains. Cette vision compromet, hélas, la nécessaire évolution du goût et du savoir-faire qui sont un placement dans le long terme…

« Bon pour la casse ? », l’obsolescence programmée !

Critique de l’imaginaire du progrès et des impasses auxquelles il nous conduit

Le texte qui suit illustre une démarche d’éducation permanente menée par les bénévoles de la locale bruxelloise de Nature & Progrès, en partant du constat que la durée de vie de nos objets quotidiens – en particulier les appareils électro-ménagers et électroniques – est de plus en plus réduite et que les possibilités de réparation sont généralement limitées et couteuses et que certains produits semblent même être spécifiquement conçus pour ne pas être réparables. Ceci entrainant des conséquences tant environnementales qu’économiques et sociales…

Par Valérie Van Laere

Introduction

Les bénévoles de la locale de Bruxelles se sont donc interrogés sur notre modèle de production et de consommation de biens matériaux et ont alors décidé de développer un cycle d’activités sur – et autour de – l’obsolescence programmée.

Voulons-nous vraiment d’un modèle de société basé sur la surconsommation et les inégalités ? Nos besoins sont-ils réels ou fabriqués par la publicité ? Voulons-nous d’une croissance économique sans limite et à n’importe quel prix ? Est-il possible d’envisager une (dé)croissance raisonnable et raisonnée dans ce domaine ? Telles ont été les questions clefs du projet qui ont guidé les bénévoles dans leurs réflexions, dans la construction du projet et dans les échanges avec les membres de Nature & Progrès et avec tout citoyen soucieux de réfléchir, d’avoir un regard critique et d’agir sur cette problématique sociétale.

Favoriser le partage des « savoirs », trouver les points qui font débat et les expériences qui suscitent un autre regard par rapport au modèle dominant, soulever des interrogations et réveiller l’esprit critique, débattre, se questionner, réfléchir et imaginer ensemble des pistes d’actions individuelles et collectives… Voilà les ingrédients d’une démarche d’éducation permanente afin que tous les citoyens impliqués dans le projet se fassent leur propre opinion et fassent leurs choix en conscience.

Un cycle d’activités diversifié

Afin d’aborder, dans ses multiples dimensions, la complexité de la question de l’obsolescence programmé, son importance dans notre vie quotidienne et notre responsabilité en tant que consommateur, afin d’être à même de devenir des (non-)consommateurs conscients et critiques, les approches ont été diversifiées. Elles ont également été élaborées pour créer un processus évolutif de réflexion à partir de chacune des activités.

Au menu : projection de documentaires et de capsules vidéo (1) mais aussi visites thématiques, rencontres et débats avec des intervenants du secteur (2), puis animations en sous-groupes de travail. Chaque étape a fait l’objet d’une évaluation avec les participant(e)s, ce qui permettait de faire évoluer, d’une part, les réflexions et les activités suivantes et, d’autre part, l’ensemble du processus.

Alors ? L’obsolescence programmée : quoi, pourquoi, comment ? Voici les grandes questions débattues :

– l’obsolescence programmée : qu’est-ce à dire ?

– principales causes et conséquences : environnementales, économiques, sociétales…

– obsolescence programmée et rapports Nord-Sud,

– législation, certifications, normes de qualité, etc… Où en est-on aux niveaux européen et belge ?

– sociologie de la consommation : l’imaginaire de la consommation et la fabrication des besoins, l’influence de la publicité…

– les alternatives et le pouvoir du citoyen.

Forts de toutes ces informations et réflexions, nous pouvons alors envisager des solutions. La dernière activité du cycle consistait donc à proposer aux participants de se répartir en petits groupes de réflexions pour rechercher collectivement comment remédier à l’obsolescence programmée, en proposant des solutions concrètes.

Quelques exemples de réflexions

Face à l’acte d’acheter, quelques questions à se poser : « en ai-je vraiment besoin ? », « dois-je vraiment acheter du neuf ? », « dois-je vraiment suivre la mode », « est-ce nécessaire d’avoir des machines si sophistiquées ? », « n’y a-t-il pas d’autres alternatives ? » Les alternatives peuvent être d’acheter en seconde main – ressourceries, brocantes… -, d’emprunter, d’échanger ou de faire réparer – repair café, tutoriel… -, d’entretenir, de collectiviser l’usage ou de partager – Tournevie, usittoo.be… -, de s’inscrire sur des sites de don – récup à Bruxelles -, de créer des gives box de quartier… Valoriser l’artisanat, remplacer la pièce défectueuse plutôt que de jeter tout l’appareil – via les FabLabs ou les micro-fabriques… -, préférer les entreprises dont la politique est de produire des objets durables et évolutifs – disponibilité des pièces détachées, Fairphone… – et soutenir des start-ups durables sont également des pistes évoquées… Sont également envisagées les questions du coût écologique des produits et des rapports Nord – Sud : quelles conditions de travail nos achats engendrent-ils pour les travailleurs du Sud ?

En tant que consommateurs, nous pouvons également rejoindre, ou même créer, un groupement de pression, faire du lobby citoyen pour influencer les politique et les industriels, pour faire évoluer la législation, en incitant les producteurs à vérifier le coût écologique des produits, à utiliser des matières premières de qualité, à améliorer sa réputation en termes de durabilité, à produire des objets durables et évolutifs… Nous pouvons également faire entendre notre voix aux fabricants afin d’augmenter la durée de vie des produits et d’améliorer leur étiquetage – indication du coût écologique, de la durée de vie, de la réparabilité, de l’existence de pièces détachées… -, de revendiquer la création d’un label « non-obsolescent », d’exiger des manuels de réparation, etc.

En tant que citoyens, nous pouvons enfin impliquer les syndicats dans notre réflexion car la non-obsolescence crée de l’emploi, nous pouvons inciter les pouvoirs publics à organiser des formations en recyclage et en réparation ou même en électronique, en partenariat avec des structures telles que Repair together, Micro-marché, Cf2D, etc.

D’une manière générale, le citoyen veut pouvoir s’exprimer et dire clairement qu’il ne veut pas de ces appareils qui ne fonctionnent pas, qui ne durent pas… « Non, nous ne voulons pas de cette société du tout jetable ! »

Les idées et réflexions ne manquent pas. Cependant, si les citoyens peuvent agir individuellement par rapport à leurs propres modes de consommation, agir collectivement face au lobbying industriel et porter un message politique est plus compliqué. Au-delà de la motivation première, cela demande du temps mais surtout d’acquérir de nouvelles compétences au vu de la technicité et de la difficulté politique du sujet. Une action légale nécessiterait, pour se concrétiser, une expertise juridique et un groupe de citoyens engagés sur le long terme…

Quelques échos des participants

« J’ai beaucoup apprécié ce cycle. Merci de l’avoir organisé. Les vidéos étaient plus qu’intéressantes pour dresser un tableau exhaustif de la problématique. Les échanges étaient très enrichissants et éclairants. J’aimerais me tenir au courant des évolutions en matière de lois et de réglementations. »

« J’ai beaucoup apprécié la sélection de vidéos proposée, abordant le sujet sous différents aspects. J’ai bien aimé le brainstorming en début d’activité permettant à chacun de s’exprimer sur le sujet. Cela permettait de savoir quelles étaient les représentations de chacun et de prendre connaissance de leur façon de se situer par rapport à cette problématique. C’était stimulant pour entamer les échanges et poursuivre la réflexion pendant tout le cycle. »

« J’aimerais maintenant pouvoir agir et me retrouver avec un groupe de travail en vue de créer ou de développer des liens entre diverses initiatives existantes. Peut-être faudrait-il en créer d’autres comme le mouvement HOP en France ? »

« Beaucoup de choses intéressantes ont été abordées et échangées. L’approche méthodologique est bonne selon moi. J’aimerais maintenant approfondir davantage certains aspects économiques et sociaux. »

« J’ai particulièrement apprécié la dernière activité sur la réflexion autour des solutions. C’était la plus intéressante, à mes yeux, car je m’intéressais déjà depuis longtemps au sujet. Nous avions, dans le groupe, des niveaux de connaissances et de compréhension différents. Les échanges entre nous et avec les personnalités du secteur furent donc très enrichissants. Peu de personnes sont encore conscientes du problème et j’ai encore pu m’en rendre compte, ce matin, au cours d’une conversation avec mon garagiste. Poursuivre de telles activités est donc très utile pour amener plus de monde à réfléchir sur le sujet. »

« Je me posais des questions sur toutes ces machines qui se cassaient rapidement. Je savais qu’il existait des repair café et je suis venue au cycle car je voulais en savoir plus, mieux comprendre. J’ai appris beaucoup de choses. »

« J’ai bien apprécié le cycle dans son ensemble : structuré et souple à la fois. L’organisation des réflexions sous forme de « table question » est très agréable et dynamique. Elle a permis à chacun de s’exprimer… »

Plusieurs participant-e-s nous ont aussi envoyé des réactions par rapport aux questions qu’ils se posaient encore et des sujets qu’ils souhaitaient approfondir. Ceux-ci avaient, pour la plupart, été abordées pendant le cycle, étant donné la dynamique participative et auto-constructiviste de la démarche. Bien entendu, tout n’a pu être développé, tant le sujet est vaste…

En conclusion, notre objectif d’éducation permanente est avant tout de mettre les citoyens en éveil et de leur permettre de poursuivre eux-mêmes leurs réflexions au-delà du cycle, de se situer dans une démarche d’autonomisation pour la suite de leur cheminement personnel, sur une thématique donnée mais aussi collectivement… Nous les encourageons donc à poursuivre des rencontres entre eux et les invitons à rejoindre d’autres structures plus spécialisées sur l’un ou l’autre aspect du sujet. Ou même à en créer…

L’évaluation des bénévoles

Les retours des participants ont amené les bénévoles de notre association à conclure que le cycle d’activités a clairement contribué à une meilleure prise de conscience de la problématique de l’obsolescence programmée qui est souvent sous-estimée.

« Au départ, nous avons pu constater un manque général d’appréhension globale du sujet. Donc un accroissement de la compréhension, grâce aux échanges permis par le cycle, est un résultat dont il faut se féliciter. »

« En revanche, si nous avons bien senti, lors des échanges au fur et à mesure du déroulement des activités, un réel développement de l’esprit critique, il reste difficile de mesurer l’impact du cycle en termes de réel changement de comportement des participants. Un nouveau questionnaire, envoyé six mois après l’activité environ, pourrait être utile en ce sens. »

« Au terme du cycle, certain-e-s ont pu se documenter, lire des articles sur le sujet, alors qu’ils ou elles ne le faisaient pas avant. Ils expriment maintenant des intentions en termes d’action individuelle… Le projet a donc eu un réel impact au niveau des individus, de leur façon de réfléchir et de leurs capacités de réaction. »

L’impact de ce cycle sur l’obsolescence programmée fut donc également important pour les bénévoles impliqués dans la réflexion et le développement du projet, en termes d’approfondissement d’une problématique et d’acquisitions de nouvelles connaissances mais aussi en termes de rencontres et d’échanges citoyens. Et, in fine, en termes de « capacité citoyenne » à participer à la co-conception d’activités et à la co-animation d’échanges sous différentes formes…

« Pour les prochaines années, nous pensons que la réflexion autour de cette thématique doit être maintenue et développée car nous constatons, dans notre quotidien, que peu de gens en ont réellement conscience. La surconsommation se généralise et les impacts sur la planète sont conséquents. Or tout autour de nous pousse à surconsommer et les implications de ces modes de consommations sont encore et toujours mal connues, mal comprises et largement sous estimées du grand public. C’est pourtant un des enjeux majeurs de nos sociétés. »

Les bénévoles souhaitent donc poursuivre la réflexion sur la société de (sur)consommation mais aimeraient l’aborder maintenant sous un autre angle que celui de l’obsolescence programmée…

« Nous aimerions poursuivre et augmenter le nombre de citoyens et de groupes de réflexions car, plus il y aura de groupes, plus les possibilités de réseaux, de réflexions, d’idées, de créativité et donc de potentiels levier d’actions seront nombreuses… »

Conclusion

Cette vaste réflexion – et les réaction suscitées – ne fait que conforter Nature & Progrès dans l’idée que l’effort doit évidemment continuer, qu’il faut encourager le citoyen consommateur à agir plus encore. Comment ? En informant son entourage, en l’amenant à s’intéresser à ces questions par le biais notamment d’activités d’éducation permanente, mais aussi en reconsidérant drastiquement sa propre façon de consommer et en indiquant à ses représentants dans quel sens la réglementation doit absolument évoluer… Reste à savoir si les conditions mêmes de la consommation ne vont pas radicalement se transformer sous l’effet des crises en cours. L’avenir nous l’apprendra…

Comment les communes accueillent-elles l’habitat léger ?

L’habitat léger apporte de nombreuses solutions originales, à condition bien sûr de bénéficier des précieux conseils qui permettent d’en éviter les pièges, c’est ce que nous vous indiquions dans la cadre de précédents articles… Mais où s’installer ?, demandions-nous aussi dans les pages de Valériane n°140 ? Nous apportons de nouveaux éclairages dans le cadre d’une conversation – par vidéoconférence, Covid-19 oblige – avec Thibault Céder, de l’Union des Villes et Communes, que nous avions déjà accueilli lors du salon Valériane 2019. Extraits.

Par Dominique Parizel et Hamadou Kandé

Introduction

Mention « grande distinction », tout d’abord, pour l’excellent dossier publié dans Le mouvement communal n°948, de mai 2020, que vous pouvez consulter aisément sur le site Internet de l’Union des Villes et Communes (1). Il s’intitule « L’habitat léger en dix questions« , comprend un récapitulatif de toutes les questions importantes en la matière et devrait rapidement devenir un outil essentiel d’information et de sensibilisation des mandataires et des agents communaux.

« La question de l’habitat léger est récente, précise Thibault Céder, et la façon dont elle est appréhendée est assez différente d’une commune à l’autre. Certaines connaissent bien les questions liées au gens du voyage, ou celles qui sont inhérentes au plan HP – pour habitat permanent -, qui concerne nos concitoyens domiciliés dans des parcs touristiques. Elles sont souvent spécifiques aux communes concernées alors que l’habitat léger – un tout nouveau mode d’habitat – posera des questions transversales à toutes les communes. Toutes devront donc les examiner pour déterminer comment elles vont s’y prendre pour l’intégrer. »

Des questions nouvelles liées à l’habitat

Une dizaine de communes, pas plus, ont déjà eu l’occasion d’entamer leur réflexion sur l’habitat léger. Nous ne vous présentons plus Benoît Piedboeuf, maïeur de Tintigny, que nous avons également eu le plaisir d’accueillir à Valériane ; nous n’évoquerons plus l’expérience du « légendaire » quartier de la baraque, à Louvain-la-Neuve… Nous citerons peut-être la commune de La Louvière qui a récemment accueilli un « festival de l’habitat léger »…

« La grande majorité des communes découvre la question dans le cadre nouvellement fixé, poursuit Thibault Céder, qui ne donne guère d’assurance spécifique sur le long terme. Or chaque commune a ses propres contraintes : contraintes de territoire, zones éventuellement compatibles avec l’habitat léger, questions plus spécifiques liées à Natura 2000, à des zones inondables, à des zones forestières, etc. Et, bien sûr, il y a les inévitables questions politiques : c’est neuf et ce type d’habitat véhicule encore beaucoup de stéréotypes. Je compare volontiers cette question à celle du parement en bois des habitations, dont peu de communes prévoyaient l’intégration. Or, à présent, l’architecture contemporaine en intègre dans pratiquement toutes les nouvelles maisons ; cela ne pose plus le moindre problème. Une large explication et une sensibilisation sont passées par là pour que l’intérêt de l’autoriser soit bien compris par tous. Quelques années seront donc encore nécessaires avant que la question de l’habitat léger et l’intérêt qu’il présente pour un certain type de population soit intégré par tous. Si les communes se posent les bonnes questions, il me paraît certain que les bonnes réponses arriveront petit à petit… Toutes constatent l’émergence de questions nouvelles liées au fait d’habiter, d’une manière générale : questions liées à la densité, questions liées à la dépendance des personnes âgées, etc. Est-ce que l’habitat léger ne pourrait pas rejoindre, par exemple, l’ »habitat kangourou » pour faciliter l’encadrement de personnes âgées, en se posant de manière temporaire au fond du jardin d’un plus jeune ? Ces jeunes, eux-mêmes, y auront peut-être recours qui ne souhaitent plus s’endetter sur le long, aspirent à un retour à la nature, au circuit court, à la permaculture, etc. Nous nous adressons aujourd’hui à un public déjà acquis à la philosophie de l’habitat léger mais de nouveaux publics sont potentiellement concernés. Je pense, par exemple, aux étudiants ; i faut maintenant sensibiliser ces publics tout autant qu’il faut adapter l’habitat léger à leurs besoins mais son principe de modularité leur conviendra très bien, tant pour des questions financières que pour des questions de dépendance, d’indépendance ou d’interdépendance. Il peut, par exemple, permettre très facilement le regroupement de services ; il offre peu d’espace mais ses coûts sont limités ; il permet le regroupement rapide de communautés dont les besoins sont comparables…

L’habitat léger doit évidemment s’efforcer de sortir de la caricature qui en fait encore l’apanage d’une certaine forme de marginalité. Il n’est évidemment pas question non plus de parquer les vieux dans des campings, alors qu’ils avaient une belle maison… L’habitat léger est une piste d’avenir pour certains pans de la population mais à condition de s’inscrire dans la mixité, dans la pluralité des habitats… Certains de ses avantages peuvent déjà être facilement montrés : il permet, par exemple, d’habiter là où l’on cultive quelques hectares de maraîchage bio ou de permaculture. Il permet de lancer sérieusement un projet de vie, d’associer décemment vie quotidienne et travail, même si on n’a que peu de moyens… Notons cependant qu’un problème de financement peut se poser car, au niveau des banques, très peu de prêts semblent envisageables pour ce type de biens. Les prêts hypothécaires ne fonctionnement pas et les prix des habitats légers sont quand même trop élevés pour de simples prêts à la consommation. Peut-être faudrait-il interpeller les banques éthiques sur cette question ? »

Une expérience encore parcellaire

« Mais à cette ouverture, avertit Thibault Céder, correspondent aussi des craintes qui sont autant de freins. Que devient, par exemple, l’habitat léger, une fois que les personnes qui l’ont installé ne sont plus là ? Qui le reprend et à quelles conditions ? Un nouvel occupant ne va-t-il pas le transformer en quelque chose qui n’était pas convenu avec le voisinage ? Bref, comment donner à la commune des assurances dans le temps au sujet d’un projet précis ? Les yourtes, par exemple, font beaucoup parler d’elles… Certaines s’intègrent idéalement puis, quand l’occupant initial part, la yourte est subitement transformée en crèche ou en RBNB (2) et la relation avec le voisinage s’en trouve évidemment considérablement modifiée… Une yourte est rarement pensée en fonction de son isolation phonique et ceux font ce choix de vie sont plus souvent à l’extérieur que la moyenne des gens. Cela peut poser problème, au niveau du « vivre ensemble », avec la résonnance liée aux façades arrière des maisons à l’intérieur d’un îlot urbain. Certaines questions qu’on ne s’était jamais posées appellent donc des solutions nouvelles : soit on modifiera les yourtes, soit elles ne seront plus autorisées dans de tels endroits… Toutefois, une fois le permis délivré, il l’est de manière définitive. Seule l’expérience acquise permet donc aux communes d’être attentives au devenir des projets… Je pense que la crainte d’éventuels « quartiers ghettos » n’est plus guère présente que dans celles qui avaient connu le plan HP. Mais là aussi seule l’expérience acquise permet d’éviter que l’octroi de permis pour des habitations légères soit finalement préjudiciable à l’ordre ou à la sécurité publique… L’habitat léger concernant toutefois une habitation éparse sur un terrain donné, cela semble aisément évitable ; il s’agit essentiellement d’un habitat ponctuel même s’il est imaginable que des familles se regroupent dans le cadre d’un habitat léger groupé mais je n’en connais pas encore d’exemple. D’importantes questions restent donc à régler : elles ont trait à l’intégration urbanistique et aux rapports avec le voisinage Des règles de salubrité adéquates, une fois qu’elles seront définies, devraient également éloigner le spectre du bidonville. »

Le code du logement reconnaît l’habitat léger et lui assigne des objectifs précis. Toutefois, le ministre de l’aménagement du territoire n’a pas encore pris en compte cette question de l’habitat léger et doit donc modifier son code pour permettre la délivrance de permis, dans certains endroits précis. Tout cela sera défini… dans les prochaines années !

« Pour le moment, dit Thibault Céder, avec le code CoDT – pour Code de développement territorial – qui n’aborde pas directement la question de l’habitat léger, eh bien, on bricole. La nouvelle notion doit encore être intégrée dans les législations existantes et cela laisse parfois un grand vide. C’était prévu pour cette année… avant la crise du Covid-19 ! »

De nouveaux atouts entre les mains des communes

« L’habitat léger peut-il se mettre au service du logement social ? Une expérience à été tentée à Walhain, explique Thibault Céder, où il est utilisé pour des logements d’urgence : plutôt que de construire un seul logement en dur, vu les subsides disponibles, il a semblé préférable de s’orienter vers plusieurs logements légers afin de venir en aide à davantage de personnes…Toutefois, si une telle solution s’étend à des logements plus pérennes, comme les logements sociaux, surgira le problème d’appréhension du logement par l’habitant, qui reste très différente de celle d’un logement classique. Il faut être prêt à partager une philosophie nouvelle or la législation sociale ne permet pas, à l’heure actuelle, le choix du logement ; on est juste prioritaire dans une liste et, si un logement se libère, il est proposé. Être subitement appelé à vivre dans une yourte pourrait donc surprendre… Mais apprendre à bien habiter est sans doute un problème très général, du logement social notamment.

Les communes, dans le cadre de l’habitat léger, pourraient être amenées à associer des métiers que nous connaissons bien – menuisiers, ferronniers… -, ce qui offrirait des possibilités de mise à l’emploi…

« Cette question se posera immanquablement avec la crise que nous traversons, confirm Thibault Céder. Les problèmes économiques vont se multiplier et beaucoup plus de personnes, qualifiées ou non, seront en attente d’un travail. Le circuit court, qu’il s’agisse d’agriculture, de construction ou d’autre chose, sera une opportunité intéressante pour relancer l’économie locale. La volonté politique me semble réelle, au niveau de la région en tout cas, d’avancer vers l’économie circulaire. La crise sera un accélérateur pour éviter d’aller chercher ailleurs ce que nous sommes capables de faire nous-mêmes. Mais il y a un an seulement que la sensibilisation et la vulgarisation sont à l’œuvre dans les communes, auprès des agents et des mandataires, à propos de l’habitat léger… Les réponses qu’ils donnent aux questions que les citoyens se posent sont donc en cours d’élaboration, notamment avec l’aide de l’Union des Villes et Communes. Un bourgmestre ou un agent bien informés seront, à n’en pas douter, de bon conseil en la matière… »

Notes :

(1) http://www.uvcw.be/no_index/files/2587-mouvement-communal-948—mai-2020.pdf

(2) A l’origine, Airbnb est le nom d’une plateforme Internet payante de location et de réservation de logements de particuliers, créée à San Francisco, en 2008.