Pollution lumineuse, un fléau dans l’ombre

Alors que diverses activités humaines préjudiciables pour l’environnement et la biodiversité sont largement médiatisées, les impacts – pourtant désastreux ! – engendrés par la pollution lumineuse sont trop souvent passés sous silence. La « fée électricité » n’a pas apporté que des bienfaits, loin de là, elle est aussi responsable de véritables gouffres économiques et financiers. Et la mauvaise éducation de l’humain « qui se croit tout seul sur terre » est cause de bien des dérèglements encore trop insoupçonnés…

Par Morgane Peyrot

Introduction

Parmi les nombreux dangers qui pèsent sur la planète, les répercussions écologiques du réchauffement climatique, de l’agriculture intensive et de l’usage des pesticides, ou encore les invasions biologiques d’espèces exotiques envahissantes, sont régulièrement – et à juste titre – pointés du doigt. Nonobstant les effets d’une menace insidieuse et de plus en plus grandissante : la pollution lumineuse. Inhérent à l’augmentation de la période d’activité des sociétés humaines et largement répandu à travers le globe, l’éclairage artificiel des lieux et des monuments publics, des autoroutes et même des enseignes publicitaires, apparaît dans nos pays industrialisés comme un phénomène quotidien relativement banal.

Si l’existence de ces sources lumineuses procure parfois une sensation de confort et de sécurité, leurs nombreux effets délétères, immédiats ou à long terme, sont souvent méconnus du grand public. Outre l’entrave à l’observation du ciel, dénoncée massivement par les astronomes auprès des pouvoirs publics depuis les années septante, l’éclairage artificiel, devenu excessif, a de sérieux impacts sur la faune et flore, les dépenses économiques et énergétiques, ainsi que la santé humaine. Une réalité d’autant plus inquiétante que le nombre de points lumineux augmente d’environ 2% par an, à l’échelle mondiale, et de 10% par an, en Europe (1).

Un désastre pour la biodiversité

L’éclairage artificiel, envahissant et abusif, a des conséquences sans précédent sur la faune et la flore. Si, en tant qu’êtres humains, nous avons une activité diurne, notre « modèle » ne s’applique pas pour autant à la majorité des êtres vivants auxquels nous l’imposons. Concernant les animaux, d’après Romain Sordello, ingénieur expert en biodiversité « une étude parue en 2010 indiquait que 30% des mammifères et plus de 60% des invertébrés sont partiellement ou essentiellement nocturnes« . Quant aux végétaux, dont la condition impose l’immobilité, impossible de s’y soustraire. Ainsi paient-ils pour notre confort le prix d’un lourd tribut… Plantes et insectes, reptiles, amphibiens, oiseaux, chauves-souris ou autres mammifères et poissons jusqu’au plancton, aucun d’entre eux n’est épargné ! Interférant avec le cycle naturel du jour et de la nuit, l’éclairage artificiel dérègle l’horloge interne et altère ainsi de nombreuses fonctions biologiques essentielles telles que la croissance, la reproduction ou la régulation hormonale. Les activités saisonnières telles que la migration des oiseaux en sont complètement perturbées. De même que la floraison ou la sénescence – vieillissement et chute – des feuilles, mécanisme naturel qui intervient chez de nombreuses plantes pour résister aux rigueurs de l’hiver. L’illustration édifiante d’une étude publiée par la British Ecological Society, prouve à quel point la pollution lumineuse peut affecter le cycle des arbres.

En outre, la formation de halos lumineux au-dessus des zones urbaines crée de véritables barrières ou pièges écologiques : les espèces naturellement repoussées par la lumière -phototaxie négative – comme certaines chauves-souris, ne peuvent plus rejoindre leur habitat, tandis que les espèces attirées par la lumière – phototaxie positive – modifient leur comportement et connaissent souvent une issue fatale. Les insectes en sont particulièrement victimes : papillons, mouches, moustiques et coléoptères, peuvent être attirés par une source lumineuse jusqu’à sept cents mètres de distance. En période estivale, ils meurent chaque nuit par centaines, en tournant autour des lampes, à force d’épuisement, de brûlures occasionnées par la chaleur ou encore par prédation. Après les insecticides, l’éclairage artificiel serait la principale cause de mortalité chez les insectes, encore dénoncée pas plus tard qu’en janvier par une étude publiée dans la revue Biological Conservation. Les ravages de l’attraction lumineuse touchent aussi sévèrement les oiseaux, dont le taux de mortalité par collision – avec les phares des véhicules ou bâtiments éclairés – augmente drastiquement, surtout en période de migration. De plus, la plupart des animaux se repèrent la nuit grâce aux étoiles, malheureusement dissimulées par la lumière artificielle, ce qui altère considérablement leurs facultés d’orientation. Par exemple, les jeunes tortues marines qui, après l’éclosion, attendent l’horizon nocturne pour gagner le grand large, ne trouvent pas leur chemin et meurent le lendemain sur la plage, assaillies par les prédateurs ou déshydratées par la chaleur. Les rapports proies-prédateurs sont quasiment toujours concernés, conduisant à une réduction des effectifs de population plus brutale et rapide que prévu. Au demeurant insignifiant, l’éclairage artificiel est un fléau pour la biodiversité qui signe, chaque nuit, le bilan d’une véritable hécatombe.

Risques sanitaires, pour l’être humain également

Nos congénères non humains ne sont pas seuls à subir les conséquences de la pollution lumineuse qui constitue un réel problème de santé publique. Elle s’observe en particulier dans nos maisons, par l’exposition croissante et prolongée à la lumière artificielle des LED, ordinateurs, portables et écrans en tous genres, qui émettent de la lumière bleue, des longueurs d’ondes comprises entre 380 et 500 nm. Interprétée par notre cerveau comme la lumière du jour, celle-ci dérègle nos rythmes circadiens et détériore la qualité de notre sommeil, en inhibant la production d’une hormone importante liée à l’endormissement : la mélatonine. Or un sommeil manquant ou défaillant favorise l’apparition de maladies cardiovasculaires, psychiques – la dépression – ou chroniques, comme le diabète et l’obésité. Les LED sont, entre autres, reconnus pour provoquer ou aggraver les problèmes de vue. Dès 2010, l’ANSES alerta sur la lumière bleue des LED qui affecte la rétine des plus jeunes, dans un rapport auquel fait suite un dossier de presse éloquent de 2019 (2). Enfin en 2018, une étude européenne, menée par le Barcelona Institute for Global Health (3), établit un lien entre l’exposition nocturne à la lumière bleue et un risque accru de cancer du sein et de la prostate.

Un gouffre énergétique et financier

L’éclairage artificiel ne cesse d’augmenter, impliquant des dépenses excessives et, de surcroît, un bilan énergétique catastrophique pour la planète. En France, par exemple, le nombre de points lumineux est passé de 7,2 millions, en 1990, à 9,5 millions, en 2015, et serait aujourd’hui de 11 millions. D’après l’ADEME, l’éclairage public correspond à 41% de la consommation et 37% de la facture d’électricité des communes, soit une bonne partie de leur budget énergie, et génèrerait près de 670.000 tonnes de CO2 par an (4). Tout cela sans compter l’approvisionnement, les équipements et le transport des systèmes d’éclairage, qui entraînent également des émissions de gaz à effet de serre, et ont un coût financier. De plus l’électricité, principalement produite à partir de sources nucléaire – uranium – et d’énergies fossiles, comme le gaz ou le charbon, participe à l’épuisement de ces ressources naturelles qui ne se trouvent pas en quantité illimitée dans le sol. Cette tendance à augmenter sans cesse l’éclairage artificiel relève de l’entêtement, lorsqu’on sait que plus de la moitié du parc d’éclairage public n’est plus aux normes – y subsistent, par exemple, des lampes à vapeur de mercure – et surconsomme de l’énergie. Alors même que les connaissances ont aujourd’hui évoluées en matière d’installations et qu’un investissement dans la rénovation serait plus profitable. Selon l’UNEP (United Nations Environment Program), le seul passage aux nouvelles technologies de l’éclairage permettrait d’économiser, à l’échelle mondiale, cent quarante milliards de dollars et de réduire les émissions de CO2 de 580 millions de tonnes par an (5) – encore faut-il évidemment que ces « nouvelles technologies » ne résident pas uniquement dans l’installation déraisonnée de LED, bien moins vertes qu’il n’y paraît pour la biodiversité… Un gaspillage accru, auquel s’ajoutent une puissance d’éclairage et un nombre de lampadaires trop élevés par rapport aux besoins, ou encore l’éclairage de zones très peu – voire pas du tout – fréquentées la nuit. De nombreux progrès restent donc à faire pour réduire les impacts de la pollution lumineuse…

Si la pollution lumineuse occasionne de sérieux dégâts, elle pourrait malgré tout être facilement limitée, ne serait-ce qu’en pratiquant l’extinction de l’éclairage public. Une mesure évidente et relativement simple à mettre en place, qui semble pourtant avoir du mal à être appliquée, notamment par crainte d’insécurité. En effet, en France, le décret du 30 janvier 2012 a imposé l’extinction des publicités et enseignes lumineuses de 1 heure à 6 heures du matin, suivi par l’arrêté du 25 janvier 2013, relatif à l’extinction de l’éclairage nocturne des bâtiments non résidentiels. Cependant, aucune loi n’a jamais étendu ces prescriptions aux parcs d’éclairages publics des communes dont les efforts, bien que louables, apparaissent encore insuffisants…

Réduire la voilure

Le dispositif de prise en compte et de réduction de la pollution lumineuse s’améliore quelque peu, avec l’arrêté du 27 décembre 2018 qui impose des prescriptions techniques pour les paramètres d’éclairage. Ce dernier prévoit notamment l’interdiction de l’éclairage en direction du ciel et des seuils de températures de couleurs à respecter, la nuisance d’une source lumineuse étant plus ou moins aggravée selon sa teinte – par exemple, la lumière bleue des LED. Pour la biodiversité, l’instauration d’une « trame noire » émerge, depuis quelques années, à l’échelle du territoire. Ce nouvel outil, proposé par le Ministère de la transition écologique et solidaire, est voué à limiter la dégradation et la fragmentation des habitats en assurant la continuité écologique des milieux, à l’instar de la trame verte et bleue.

En Belgique, aucun décret relatif à la pollution lumineuse n’a jamais vu le jour. Cependant, en mai 2019, l’ASCEN (Association pour la Sauvegarde du Ciel et de l’Environnement Nocturnes) et l’Observatoire Centre Ardenne ont signé une première charte contre la pollution lumineuse. La ville de Wavre a également mis en place un système d’éclairage intelligent basé sur des détecteurs de mouvement qui restreignent ainsi son usage aux besoins réels. D’autres initiatives fleurissent, de part et d’autre, mais il nous faudra encore dépasser une entrave psychologique de taille avant d’espérer que l’Europe rende à la nuit l’obscurité : la peur du noir ! Une peur primitive qui trouve son origine dans la crainte d’attaques de bêtes sauvages… Dans les temps modernes, il s’agit surtout d’une crainte relative à la hausse des accidents et de la criminalité. Plusieurs études prouvent pourtant que le nombre d’accidents est réduit dans un environnement moins éclairé, notamment sur les routes, les conducteurs étant plus attentifs dans ces conditions. Concernant la criminalité et la délinquance, l’éclairage des lieux publics ne prévient pas mais favorise au contraire les rassemblements à vocation agressive. Enfin, plus de 80% des vols et agressions ont finalement lieu… en plein jour (6) ! Plusieurs contrevérités ont, malgré tout, la peau dure…

Une lutte citoyenne, une de plus…

En attendant une possible évolution de la législation, chacun peut agir pour endiguer – ou, du moins, ne pas aggraver – les conséquences multiples de la pollution lumineuse, en évitant le plus possible d’y prendre part. Veillez, par exemple, à limiter l’installation d’éclairages extérieurs et préférez, si possible, installer des détecteurs de présence afin de vous assurer que vos éclairages ne fonctionnent qu’en temps voulu. Dans le cas contraire, pensez évidemment à éteindre toutes les lumières si elles sont inutiles, de la même manière que vous le feriez dans votre maison. Tentez de vous diriger vers des ampoules moins puissantes et moins nocives pour la faune – ampoule à sodium basse pression, par exemple – en évitant, à tout prix, la lumière bleue des LED ou en choisissant des LED ambrées – moins courantes mais tout de même accessibles dans le commerce. Malgré leur côté agréable et festif, limitez aussi l’usage des décorations de Noël ! ?’hésitez pas, enfin, à vous rapprocher des associations nationales de protection du ciel : ANPCEN – www.anpcen.fr – en France ou ASCEN – www.ascen.be – en Belgique. Informez-vous lors de leurs évènements et prenez part à leurs actions. Alertez également vos proches et vos voisins sur cette problématique : une prise de conscience collective sera le meilleur moyen d’agir !

Notes :

(1) D’après les données du site NuitFrancewww.nuitfrance.fr -, plateforme d’information sur le thème de la nuit, développée par l’ingénieur expert en biodiversité Romain Sordello

(2) Effets sur la santé humaine et sur l’environnement des systèmes utilisant des LED, ANSES, dossier de presse du 14 mai 2019

(3) Evaluating the Association between Artificial Light-at-Night Exposure and Breast and Prostate Cancer Risk in Spain (MCC-Spain Study), Environemental Health Perspectives, vol.126, No. 4, Avril 2018

(4) Source : ministère de la transition écologique et solidaire

(5) Source : AFE (Agence Française de l’Eclairage)

(6) Selon les chiffres disponibles de l’Observatoire national de la délinquance et des ripostes pénales (ONDRP)

Survivre & Vivre : un seul et même élan

Lecture de Dans la forêt de Jean Hegland (1)

Si le monde était clair, l’art ne serait pas”, a écrit Albert Camus. Cette analyse se propose donc de parcourir une œuvre de fiction dans le but d’éclairer un enjeu important de notre époque. En ne dévoilant rien d’essentiel à l’intrigue mais en faisant simplement résonner des questionnements, en partageant des éblouissements…

Par Guillaume Lohest

Introduction

La pandémie de Covid-19, dont personne ne sait encore comment le monde s’en relèvera, n’avait pas démarré quand l’idée m’est venue d’évoquer et de discuter ce roman incontournable car sublime. La coïncidence est troublante. Le désarroi que nous traversons, cette incertitude totale sur la forme que prendra l’avenir ne rend que plus nécessaire le fait de se confronter à des histoires qui s’inscrivent dans l’éventualité d’un effondrement de la civilisation.

Une histoire intime

Le monde francophone n’a découvert ce roman qu’en 2017 mais il a été publié, pour la première fois, en 1996 dans une petite maison d’édition féministe américaine, après avoir été refusé… vingt-cinq fois ! Il raconte l’histoire de deux sœurs, dix-sept et dix-huit ans, Nell et Eva, qui affrontent seules l’existence dans leur maison familiale isolée au milieu de la forêt, dans la région de San Francisco, en Californie. Totalement seules : pour des raisons qui demeurent assez obscures, la civilisation s’est totalement effondrée. Il n’y a plus d’électricité, plus de services publics, la débrouille règne en maître. La très grande originalité de ce roman est que, contrairement à la plupart des fictions du genre, l’action n’est pas occupée par des conflits sociaux autour d’un modèle de société post-apocalyptique. Le sujet du livre n’est pas la question du pouvoir et de l’organisation sociale mais le rapport intime de deux jeunes femmes au sens de leur existence, à leurs conditions de survie, au deuil de leurs anciens rêves, et au lien qui les unit.

Le début d’un roman s’apparente souvent à un vase vide ; on ne sait pas encore de quoi il sera rempli mais on nous livre, en creux, l’espace à combler, les questions à traverser. “C’est étrange, d’écrire ces premiers mots, comme si je me penchais par-dessus le silence moisi d’un puits, et que je voyais mon visage apparaître à la surface de l’eau. (…) Et je dois avouer que ce cahier, avec ces pages blanches pareilles à une immense étendue vierge, m’apparaît presque plus comme une menace que comme un cadeau – car que pourrais-je y relater dont le souvenir ne sera pas douloureux ?

Nell aime les livres. Pour Noël, sa sœur lui a offert un cahier vierge qu’elle a retrouvé derrière une armoire. Eva, elle, aime la danse. Elle a reçu en cadeau ses propres chaussons, patiemment rapiécés. Nell commence à écrire : “Cette année, Noël n’est rien de plus qu’un carré blanc sur un calendrier presque arrivé à la fin, une tasse de thé en plus, quelques instants d’éclairage à la bougie, et, pour chacune de nous, un unique cadeau.

Ce qui nous manque, ce que nous sommes

Ce premier Noël, que les deux sœurs affrontent seules, condense tout ce qui leur manque de leur ancienne vie disparue : les cadeaux, les relations sociales, la présence des proches, la nourriture, la culture, le sens qu’on donne aux jours qui passent. En écrivant, Nell se souvient des Noëls passés, lorsque ses parents étaient encore en vie et que l’électricité fonctionnait parfaitement : “Joyeux Noël semi-païen, légèrement littéraire et très commercial, annonçait toujours notre père” Pourquoi fête-t-on Noël ? a même demandé la jeune fille à son père une année, précisant que la famille n’était pas vraiment chrétienne. “Un peu qu’on ne l’est pas. (…) Nous ne sommes pas chrétiens, nous sommes capitalistes. Tout le monde dans ce pays de branleurs est capitaliste, que les gens le veuillent ou non. Tout le monde fait partie des consommateurs les plus voraces qui soient, avec un taux d’utilisation des ressources vingt fois supérieur à celui de n’importe qui d’autre sur cette pauvre terre.

Et nous ? En lisant ce paragraphe, on ne peut s’empêcher de réfléchir en écho à nos propres attitudes. Le fait de mettre en opposition une identité religieuse avec notre condition de consommateurs voraces invite le lecteur à s’interroger sur lui-même, sur sa participation plus ou moins consciente à une religion de la consommation, à peine adoucie par quelques achats alternatifs ou labels éthiques. Mais un roman ne juge pas ; il raconte et décrit. Car bien plus loin, ce rapport à la consommation apparaît sous un tout autre angle, un jour où Nell n’en peut plus d’être sans cesse préoccupée par la survie : “Je rêve d’enfourner des sachets entiers de raisins secs, de brûler douze bougies à la fois. Je rêve de me laisser aller, d’oublier, de ne me préoccuper de rien. Je veux vivre avec abandon, avec la grâce insouciante du consommateur au lieu de m’accrocher comme une vieille paysanne qui se tracasse pour des miettes.

Rien n’est facile

La grâce insouciante du consommateur : aurait-on idée de parler comme ça ? Non, bien sûr. Parce que nous sommes nombreux à être aujourd’hui tellement immergés dans cette insouciance que nous ne percevons même plus la dureté d’une vie sans supermarchés et sans chaînes d’approvisionnement. Les idéaux de transition et de décroissance, indispensables pour mobiliser d’autres imaginaires, sont souvent présentés comme des perspectives bucoliques, douces et harmonieuses de retour à la nature et aux choses simples. Méfions-nous de cette idéalisation de la vie paysanne ou de l’autosubsistance car c’est une vie très rude. L’écrivain Jean Giono en fit un petit récit tendrement sarcastique (2), à l’époque où les rêves de chèvres et de Larzac fleurissaient. Il recevait beaucoup de lettres de citadins lui confiant leur envie de devenir bergers. “Ils voient généralement le berger comme un personnage de L’Astrée ou des Lettres de mon moulin, dont tout le travail consiste en promenades, en haltes sous les ombrages, en contemplation du vaste ciel étoilé, une sorte de beau ténébreux dont on justifie la déambulation romanesque avec quelques quadrupèdes herbivores et lainiers qui le précèdent gentiment sur les sentiers d’un monde virgilien.” S’ensuit, sous la plume de Giono, une anecdote délicieuse où il raconte sa propre expérience de quelques jours avec un petit troupeau de moutons. Sa conclusion est sans appel : “Il s’agit bien d’un métier, et qui n’est pas à la portée de tout le monde.” Les gens imaginent qu’ils peuvent quitter leur emploi de bureau ou de fonctionnaire pour aller “garder les moutons dans les collines de Provence, parmi le thym et la sarriette. Les moutons ne mangent pas de ce thym-là. Rien n’est facile.

Revenons à notre roman Dans la forêt. La question de la survie alimentaire est évidemment un fil rouge du récit. À leurs débuts, les deux sœurs ne s’en font pas, elles pensent avoir assez de vivres. “Les étagères du garde-manger regorgent encore des provisions que nous avons achetées lors de notre dernière expédition en ville et des bocaux d’un litre de tomates, de betteraves, de haricots verts, de compotes de pomme (…)” Mais cela ne peut durer que quelques semaines, au mieux quelques mois. Assez vite, elles se retrouvent au centre d’une petite production d’autosubsistance, familière aux lecteurs de Valériane : potager, verger, petits animaux. Des après-midis entiers sont consacrés à la mise en bocaux stérilisés des tomates et autres fruits de conservation. Au passage, Nell bénit la sagesse de son père qui conservait les semences. Mais vraiment, rien n’est facile : “déjà l’hybridation va de travers. Nous avons des plants qui produisent des courgettes rondes et d’autres d’étranges courges vertes. Aucune des graines de choux, d’aubergine ou de radis n’a germé et certains pieds de tomates qui devaient d’après moi donner abondamment car leurs feuilles s’étaient développées avec vigueur n’ont pas une seule fleur.” Jardiniers, je devine votre sourire. Mais ne condamnez pas ces deux sœurs car elles vont se montrer très vaillantes.

Culture et nature : par-delà l’opposition

Produire de la nourriture n’est pas leur unique préoccupation. Eva danse quotidiennement. Sans électricité, donc sans musique, au seul battement du métronome. Elle rêve de retrouver un vieux bidon d’essence égaré quelque part, pour alimenter le générateur et profiter de quelques heures de musique. Ce rêve, dit-elle, lui suffit pour continuer à danser. Nell, quant à elle, se nourrit aussi de savoir. Elle lit l’encyclopédie, méthodiquement, article par article, espérant que cela entretienne ses connaissances pour les futures études dont elle ne parvient pas à faire le deuil.

Mais culture et nature ne sont pas deux univers séparés. Je n’en dirai pas trop, bien sûr, car vous devez lire ce roman en en conservant toutes les surprises principales. Alors restons dans le domaine alimentaire. Vient un moment où, pour manger, il devient nécessaire de se tourner vers les plantes sauvages… Nell prend alors conscience de son ignorance savante. “J’ai étudié la botanique. Je m’y entends en morphologie et physiologie végétales. Je sais comment les plantes poussent et se reproduisent. Je sais identifier une cellule végétale au microscope, dresser la liste des réactions chimiques qui provoquent la photosynthèse. Mais j’ignore le nom des fleurs que nous avons déposées sur la tombe de notre père. J’ignore le nom des mauvaises herbes que nous arrachons du potager ou même quel type de feuilles nous utilisons en guise de papier toilette.” Elle se met donc en quête d’un ouvrage qui pourrait l’aider. “J’ai trouvé Les Plantes indigènes de la Californie du Nord sur une étagère du haut entre Madame Bovary et un ouvrage sur la Guerre d’Espagne.” Cette petite phrase dit tout, elle réconcilie, sur une étagère de bibliothèque, nature et culture, vie et survie, rêve et réalité, guerre et paix. Elle rappelle, en écho, une autre formidable réplique de leur père, sorte de condensé de ses valeurs éducatives : “Mes filles ont la jouissance de la forêt et de la bibliothèque municipale”.

Mais cela ira bien plus loin. En alimentation, fruits et légumes ne suffisent pas. Nell, qui porte ce souci, se tournera vers des modes de subsistance encore plus spartiates. Leur nourriture proviendra de plus en plus de la forêt, de moins en moins de leur production. Elle se met en tête de réaliser de la farine de gland. Et ça, chers jardiniers, cela m’étonnerait que vous soyez allés jusque-là. “Un gland frais a un goût de cérumen. Il fait se froncer la langue, dessèche la bouche et laisse une amertume qui demeure longtemps après qu’on l’a recraché. J’ai mis plusieurs jours à trouver une façon de sécher, décortiquer, peler, piler, filtrer et cuire les glands. Au début j’écrasais les glands décortiqués avec un marteau puis je me servais du rouleau à pâtisserie en marbre de Mère pour essayer de les moudre sur une pierre plate qu’Eva m’avait aidée à sortir du ruisseau. Mais moudre des glands ne fait que les transformer en une pâte impossible à filtrer car l’eau ne passe pas à travers.

Dans ses tentatives et ses échecs, Nell découvre aussi de la beauté qui ne sort pas des livres. “Mais j’ai appris quelque chose que l’encyclopédie ne sait pas – quand la lune est croissante, on peut l’atteindre et tenir délicatement sa courbe externe dans la paume de la main droite. Quand elle est décroissante, elle remplit la paume de la main gauche.

Vivre un moment de basculement ?

Ce roman vaut la peine d’être lu aussi pour tout ce que je ne dévoile pas : les rebondissements de l’intrigue et de la psychologie, du lien unissant les deux sœurs et du rapport avec le monde extérieur. Il résonne par ailleurs incroyablement avec notre actualité. Voyez plutôt : “Il m’a raconté comment la grippe était survenue et m’a parlé du choc et de la colère et de la terreur des gens quand ils se sont rendu compte qu’il n’y avait personne ni rien pour les soigner. Il m’a décrit la peur de la contagion qui s’était emparée de la ville, comment les gens avaient arrêté de se serrer la main et de partager un repas, comment ils se cachaient chez eux et pourtant mouraient, ils allaient bien, et la semaine d’après, ils étaient morts.

Une histoire reste une histoire. À quoi bon lire alors ? Peut-être pour enrichir nos perceptions, notre mémoire, nos visions du monde. Nous n’apprendrons pas à biner dans un roman mais nous pouvons élargir nos capacités d’appréhender des situations et des émotions que nous ne connaissons pas, ou pas encore. Umberto Eco, peu avant sa mort, dans une lettre de Noël à son petit-fils, l’exhorte à cultiver sa mémoire notamment grâce aux livres : “Viendra le jour où tu seras un vieil homme et tu auras le sentiment d’avoir vécu mille vies. Car tu auras l’impression d’avoir été présent à la Bataille de Waterloo, avoir assisté à l’assassinat de Jules César”. Et il poursuit, impitoyable : “Mais tes amis qui n’auront pas cultivé leur mémoire auront juste vécu une seule vie, la leur, probablement un peu triste et en tout cas, pauvre en grandes émotions fortes.

Ce n’est pas exactement ce genre d’événements que relate Dans la forêt. Quoique. On peut aussi y trouver des résonances avec l’idée que l’histoire est peut-être en train de basculer, pas forcément vers le pire. “En même temps que l’inquiétude et la confusion est apparu un sentiment d’énergie, de libération. Les anciennes règles avaient été temporairement suspendues, et c’était excitant d’imaginer les changements qui naîtraient inévitablement de ce bouleversement, de réfléchir à tout ce qu’on aurait appris – et corrigé – quand les choses repartiraient. Alors même que la vie de tout le monde devenait plus instable, la plupart des gens semblaient portés par un nouvel optimisme, partager la sensation que nous étions en train de connaître le pire, et que bientôt – quand les choses se seraient arrangées -, les problèmes à l’origine de cette pagaille seraient éliminés du système, et l’Amérique et l’avenir se trouveraient en bien meilleure forme qu’ils ne l’avaient jamais été.” Pourquoi pas ? Notre histoire n’est pas celle de Nell et Eva ?

Notes :

(1) Sauf mention contraire, tous les extraits cités sont issus de : Jean Hegland, Dans la forêt, éditions Gallmeister, 2017, traduit de l’anglais (américain) par Josette Chicheportiche (édition originale en anglais, Into the Forest, 1996).

(2) “Rien n’est facile”, dans Jean Giono, Les trois arbres de Palzem, Gallimard, 1984, pp. 106-112.

Les plantes et le virus

En cette période mouvementée, où nous avons perdu nombre de nos repères, il est réconfortant de savoir que les plantes sont là. Cela me fait du bien parce que, malgré le confinement, je trouve la possibilité de descendre en bas de chez moi cueillir quotidiennement quelques brins d’égopode, de jeunes pousses d’ortie, des feuilles d’ail des ours parfumées et de la pimprenelle à saveur de noix fraîche…

Par François Couplan

Introduction
Heureusement, j’ai un peu de verdure, alors qu’en plein Bruxelles, la chose serait plus compliquée, quoique pas impossible. Grâce à ces tendres végétaux, je me nourris simplement, mais de façon agréable : un oignon revenu dans une bonne rasade d’huile d’olive, la verdure hachée, une carotte en rondelles et du fromage fondu ou un œuf dans le mélange : voici mon déjeuner quotidien. Et il me convient.

Un obscurantisme particulièrement agaçant

Certes, ma gourmandise, cultivée depuis l’enfance, m’a incité à déguster les plats les plus copieux et les plus sophistiqués mais je sais me contenter de peu, et qui plus est, je l’apprécie. Je le pratique d’ailleurs régulièrement et ce fait n’est sans doute pas étranger à la santé que j’affiche encore au bout de septante années d’une vie plus que bien remplie. Et je crois que bientôt – non, dès à présent ! – il va falloir s’y mettre : sans vouloir paraître moraliste, car chacun est libre du choix de ses comportements, il me semble que plus nous serons capables de vivre frugalement, mieux chacun s’en portera – la planète aussi, par la même occasion…C’est qu’on ne doit pas confondre quantité et qualité ! Nous nous sommes habitués à la première en négligeant la seconde. Or les plantes sauvages nous l’offrent en abondance. Si j’en aime les saveurs souvent marquées – et je ne suis pas le seul -, j’en ressens aussi tous les bienfaits. Il faut le faire savoir : ces végétaux sont extrêmement riches en micronutriments (1) qui nous font généralement défaut : l’Organisation Mondiale de la Santé alerte depuis longtemps sur le fait que la plupart des humains manquent de vitamine C (2), de fer (3), d’oligo-éléments et d’antioxydants qui ralentissent le vieillissement de l’organisme. La réaction habituelle est de supplémenter l’alimentation par la prise de compléments alimentaires. Cependant, quand on connaît la teneur souvent ahurissante des légumes et des fruits sauvages, on se pose la question : mais pourquoi ne les met-on pas à profit ?

La réponse est étonnante, et je l’expose en détail dans mon dernier livre, Ce que les plantes ont à nous dire. Elle tient, en fait à ce que nous ne mangeons pas des aliments mais des symboles ! En l’occurrence, les plantes sauvages ont été dévalorisées depuis des siècles et, pour cette raison, elles ne font plus partie de la nourriture possible de l’honnête homme. Or, si jusqu’à présent je trouvais simplement bête de passer à côté de produits tellement bons au goût et pour la santé pour des motifs socio-historiques qui n’auraient plus lieu d’être, je dois avouer que, dans les circonstances actuelles, cet obscurantisme m’agace profondément…

Le système immunitaire : notre atout majeur

L’une des grandes absentes des directives que l’on nous assène à longueur de journée est la suivante : faites tout ce que vous pouvez pour améliorer votre immunité naturelle. Certes, on nous recommande fort justement de nous laver les mains et d’éviter tout contact avec les autres mais on oublie, semble-t-il, qu’un organisme doué d’un système immunitaire en bon état résiste mieux à l’agression de virus, même extrêmement contagieux. Il est essentiel de le rappeler. Souvenons-nous que nous sommes en permanence soumis à la présence d’agents infectieux de toutes sortes et que notre corps a, heureusement, les moyens d’affronter efficacement la plupart d’entre eux – la meilleure façon de se soigner ne consiste-t-elle pas à ne pas tomber malade ? Or, à mon avis, la santé ne tient pas qu’au hasard : un organisme à qui l’alimentation apportera tous les éléments dont il a besoin sera très probablement mieux à même de faire face aux agents pathogènes de notre environnement. Y compris le coronavirus SARS-CoV-2, responsable de la pandémie Covid-19 actuelle.

Pourquoi ne le fait-on pas ? Sans doute y a-t-il toutes sortes de raisons, économiques et culturelles qui font préférer le développement d’un vaccin à celui de notre propre système immunitaire. Cela mérite d’être exploré. Peut-être aussi parce que nous sommes dans l’urgence et que l’amélioration de son immunité est un processus relativement long – mais nous devons dès à présent penser au futur tout comme au quotidien. Je soupçonne aussi que notre mentalité belliciste y est pour quelque chose. « Nous sommes en guerre… » et nous vaincrons ce méchant virus ! Il faut savoir d’où provient cette mentalité et quelles en sont les conséquences.

Bon, je ne m’attends pas à ce que nos dirigeants prônent, du jour au lendemain, la consommation régulière de plantes sauvages pour améliorer l’état de santé générale de la population mais je suis persuadé que les personnes sensées qui découvriront les possibilités que nous offrent les végétaux en tireront avantage pour elles-mêmes et pour leurs proches : ce n’est que du bon sens – additionné, il faut l’avouer d’une certaine dose de connaissances précises pour ne pas faire de bêtise et se guérir définitivement de tous ses maux terrestres. Et ça vous étonne ? Dans la situation actuelle, il y a quelque chose qui m’étonne… : c’est que les gens s’en étonnent.

Succomber à un simple rhume…
Certes, depuis quelque temps on se préoccupe d’environnement, on craint que le réchauffement climatique ne bouleverse notre vie, certains pensent que le nucléaire représente un danger majeur et, de plus en plus souvent, on entend parler d’effondrement… Personnellement, j’ai conscience de ces risques depuis de très nombreuses années – oh, plus d’un demi-siècle… Ce sont les plantes qui me l’ont raconté et je vous transmets leurs confidences dans mon nouveau livre – p.136 et suivantes – car le sujet est d’importance. Donc la pandémie qui nous assaille ne m’a pas surpris. Elle est, comme les catastrophes que je viens de mentionner, la conséquence directe du changement de mode de vie radical que nous avons entrepris voici dix mille ans. Certes, l’agriculture nous a donné Bach, Jimi Hendrix, Van Gogh et Notre-Dame de Paris. Mais l’adopter, c’était ouvrir la boîte de Pandore ! Et l’invention de l’élevage liée à la concentration des humains dans des villages, puis dans des villes, s’est révélée du pain béni pour les microbes. Il faut savoir que nous sommes les descendants de ceux qui ont résisté aux toutes premières épidémies transmises par les animaux domestiqués au Proche-Orient, voici une dizaine de milliers d’années. Résistants, les habitants des Amériques, eux, ne l’étaient pas à l’arrivée des Européens : d’après certaines estimations, près de 90% de la population a succombé aux maladies introduites, certaines aussi bénignes pour nous qu’un simple rhume. Mais nous n’étions pas non plus à l’abri de tout, la grande peste du XIVe siècle a emporté, en certains lieux de notre continent, plus de la moitié des gens – l’équivalent ferait aujourd’hui quelque trente-cinq millions de morts…

Je ne voudrais pas que l’on se méprenne sur ce que je dis : il est dommage de mourir, il est plus terrible encore de voir un proche décéder. Mais je pense important de prendre conscience de deux choses. La première est que la civilisation que nous avons créée, qui nous nourrit et qui nous oblige à réfléchir selon ses règles, est fragile. Nous avons en ce moment l’exemple d’un dysfonctionnement majeur. Il y en aura d’autres, c’est certain. Le second point est que la seule certitude que nous puissions avoir, en voyant le jour, est que nous mourrons un jour. Or la mort, qui pourtant nous fascine, est un sujet tabou dans notre monde moderne où nous voulons tout dominer, même la grande faucheuse… Mais ça, ce n’est pas possible !

Sortir de notre anthropocentrisme
Donc, que faire ? Céder à la psychose ambiante qui risque de se développer jusqu’à devenir panique, voire pis encore ? Il y a mieux à faire. Je pense qu’il faut bien comprendre les mécanismes par lesquels nous sommes arrivés dans la situation actuelle – et là, je ne parle pas que de l’épidémie qui nous submerge mais de tous nos maux civilisationnels -, sans y voir d’intention. Comprendre est essentiel car nous sommes des êtres de raison, tout autant que d’émotion, et il importe d’équilibrer ces deux aspects – or je vois aujourd’hui les émotions l’emporter de loin sur la raison… Les plantes, encore elles, m’ont expliqué bien des choses à propos de nous-mêmes et je crois que si vous les écoutez, vous en tirerez profit. Ce sont elles aussi qui m’ont suggéré des pistes à suivre pour améliorer ce qui peut l’être. Elles nous proposent de modifier l’attitude dominatrice que nous arborons du haut de notre toute-puissance, en descendant de notre piédestal et en accordant de l’importance à l’ensemble du vivant – même aux virus et aux bactéries… Elles nous conseillent de sortir de notre anthropocentrisme, de ce monde uniquement humain dans lequel nous devenons fous et de nous intéresser à elles, pas seulement pour leurs vertus mais pour leur existence propre. Il est possible de développer avec les végétaux une véritable relation qui commence par le recours à tous nos sens et nous emmène dans un univers d’émerveillement sans fin.

Conclusion
L’alimentation n’est pas forcément là où on le pense – au supermarché ! – ni sous la forme qu’on pense – emballée dans du plastique… La Covid-19, en passant par-là, est venu bouleverser bien des repères. Sommes-nous, pour autant, au début d’une nouvelle ère ? Je pense plutôt que nous nous trouvons en plein milieu d’un grand processus qui dure depuis bien longtemps et a encore de beaux jours devant lui. C’est un immense mouvement qui nous entraîne et dont nous sommes, que nous le voulions ou non, partie prenante. On le nomme l’évolution…

J’ajouterai que le sentiment qui me semble essentiel de manifester – même si en ces temps troublés cela demande un effort – est la gratitude. J’ai beau actuellement me sentir en manque de liberté et avoir dû reporter bien des choses à des temps meilleurs, je ne peux que remercier pour ce qui m’est accordé, tout en me sentant proche de ceux qui souffrent. Que la force des plantes soit avec vous !

Pourquoi tant de mépris à l’égard des insectes pollinisateurs ?

Au mieux pris à tort pour des abeilles ou parfois de dangereuses guêpes, les syrphes sont bien souvent inconnus aux bataillons. Dommage car ces petits insectes sont importants dans les écosystèmes mais ils peuvent également contribuer à faire le bonheur des jardiniers ! La pollinisation est essentielle dans la production de nos aliments mais ses acteurs sont souvent de parfaits anonymes. N’est-il pas temps de rendre à César… ?

Par Morgane Peyrot

Introduction

Depuis longtemps l’abeille domestique (Apis mellifera) jouit de sa renommée en tant que « super-pollinisateur » et, plus encore, avec la forte médiatisation de l’extinction massive des colonies durant ces vingt dernières années, notamment lors de la crise des néonicotinoïdes. Certainement pas à tort puisque l’usage des pesticides et autres produits phytosanitaires -encore loin d’être tombé en désuétude, affaiblit le système immunitaire des pauvres ouvrières et engendre, chaque année, un taux de mortalité hivernal exponentiel, encore de l’ordre de 30% durant la saison 2017-2018 (1). Un véritable génocide qu’il ne faut certes pas laisser passer mais qui a malheureusement contribué à évincer tout un pan de la riche biodiversité des insectes pollinisateurs…

Et cela ne doit pas continuer à faire résonner, dans nos esprits, l’idée que les habitantes de nos ruches sont les seuls insectes efficaces et indispensables pour assurer la pollinisation (2). Dans la nature, tout est question d’équilibre, et l’intégrité des écosystèmes dépend de l’interaction de multiples êtres vivants qui, chacun, ont leur importance. Les abeilles sauvages, par exemple, dont on dénombre trois cent septante espèces, rien qu’en Wallonie – et plus d’un millier en France ! -, sont souvent très spécialisées et nécessaires à de nombreuses plantes. Sans oublier les papillons, certains coléoptères, ou encore les méconnus et très étonnants syrphes. Ces drôles de mouches farceuses jouent pourtant un rôle essentiel dans la nature par leur activité de pollinisateurs. Et ils vous réservent également d’autres surprises !

A la rencontre des syrphes

Que sont les syrphes et comment les reconnaître ? Si leur livrée caractéristique n’est pas sans rappeler celle des effrayantes guêpes – ce qui est d’ailleurs le but -, soyez rassurés car il n’en est rien. Ce petit jeu de dupe est, en réalité, un ingénieux stratagème, couramment mis à profit dans le monde animal : le mimétisme. Pour simplifier, la ruse consiste à « se faire passer pour ce que l’on n’est pas »… En l’occurrence, un dangereux insecte au dard aiguisé dont le souvenir de la piqûre douloureuse saura dissuader de nombreux prédateurs potentiels, tels que les oiseaux. Astucieuses, ces mouches ! Car, en effet, les syrphes ne sont autres que d’inoffensives mouches… Ils appartiennent, comme leurs cousines, à l’ordre des Diptères, caractérisés par une première paire d’ailes fonctionnelles et une seconde paire d’ailes atrophiées, réduites à l’état de balanciers, qui leur assurent une grande stabilité et leur permettent d’effectuer un vol stationnaire. Tandis que les abeilles, guêpes et bourdons constituent l’ordre des Hyménoptères, dont les deux paires d’ailes sont de taille similaire et bien visibles. Cela constitue un premier indice, très utile, pour les différencier. Un autre détail apparaît frappant : la grosseur des yeux. Ceux des hyménoptères, petits et saillants, n’ont a priori rien en commun avec les gros yeux protubérants des mouches qui semblent faire les trois quarts de leur tête !

Une famille nombreuse

Distinguer un syrphe d’une guêpe ou d’une abeille apparaît donc plutôt simple, alors que reconnaître un syrphe parmi les syrphes est une autre histoire, tant leur petit monde se trouve finalement vaste. Rien qu’en France, la famille des Syrphidés compte environ cinq cent cinquante espèces différentes, ce qui en fait l’un des groupes les plus riches ! La plupart sont de petits spécimens discrets au corps fin, jaune annelé de noir – l’allure parfaitement mimétique explicitée précédemment. Mais il en existe de toutes formes et de couleurs variées. Citons la rhingie champêtre (Rhingia campestris), au corps orangé, ou le surprenant syrphe bleu à larges bandes (Leucozona glaucia) dont le nom laisse deviner la parure azurée. D’autres spécimens, trapus et munis d’une épaisse pilosité, évoquent plutôt les bourdons – voir l’encadré suivant. Une telle diversité a de quoi surprendre et attiser la curiosité envers ces insectes que l’on prendrait fort bien pour de simples mouches. L’occurrence de nouvelles découvertes naturalistes est une première bonne raison pour s’intéresser à leur sort. Mais elle n’est sûrement pas la seule…

Quelques espèces à découvrir

Parmi les spécimens les plus communs, voici ceux que vous aurez probablement l’occasion d’observer lors de vos balades :

– le syrphe ceinturé (Episyrphus balteatus)

Ses gros yeux rouges surmontent un thorax gris ponctué de quatre bandes noires longitudinales. L’abdomen jaune-orangé porte trois rayures caractéristiques. Contrairement aux femelles, les mâles ont les yeux accolés au-dessus de la tête. Malgré sa petite taille, ce syrphe aux facultés de vol exceptionnelles est capable de migrer sur de longues distances et se rencontre ainsi quasiment partout dans le monde !

– le syrphe porte-plume (Sphaerophoria scripta)

Ce petit syrphe jaune à rayures noires est reconnaissable à son corps mince et allongé qui lui donne une allure élégante. Son thorax porte une tache jaune en demi-cercle. Les mâles sont moins robustes que les femelles et ont également les yeux accolés. Ce dernier est aussi un grand migrateur, commun dans la majeure partie de l’Europe. Il se rencontre fréquemment dans les herbes hautes ou lorsqu’il butine les fleurs.

– la volucelle bourdon (Volucella bombylans)

Ce syrphe dodu et velu a l’apparence d’un bourdon, ce qui est bien pratique pour s’introduire discrètement dans le nid de ces derniers, où il pond ses œufs. Sa progéniture s’y nourrit des déchets, insectes et larves mortes qu’elle trouve. Cette espèce revêt deux formes possibles : l’une noire à l’extrémité de l’abdomen roux imite le bourdon des pierres. L’autre, au thorax noir cerclé de jaune orangé et à l’abdomen tricolore – roux, noir et blanc -, imite le bourdon terrestre. Les antennes sont plumeuses.

Un rôle essentiel dans les écosystèmes…

Souvent, les mouches – et tout ce qui s’y apparente – sont perçues comme des charognards bons à parasiter la viande ou les fruits, après avoir allègrement festoyé dans les excréments, bien entendu. Il est triste que cette image entache tant la réputation de ces insectes qui, dans la nature, remplissent de nombreuses fonctions indispensables. Pour commencer, beaucoup de mouches participent à la pollinisation : certaines plantes, comme le Trolle d’Europe, dépendent même intégralement de ces dernières ! Ceci est le cas des syrphes qui, au stade adulte, se nourrissent généralement de nectar ou de pollen et s’observent d’ailleurs couramment sur les fleurs, notamment les ombelles des Apiacées : carotte, fenouil, berce, etc. Leurs larves, quant à elles, présentent un régime alimentaire variable. Certaines se développent dans le bois vermoulu des troncs d’arbres morts ou dans les excréments. Ceci en fait des décomposeurs, participant à la dégradation de la matière organique et au grand recyclage naturel. D’autres, comme la larve « à queue de rat » de l’éristale gluante (Eristalis tenax), vivent dans les points d’eau souillés où elles filtrent les particules en suspension et contribuent également à « nettoyer » tous ces déchets. De plus, la diversité de leur alimentation et leur cycle de vie font de ces larves d’excellents indicateurs de la biodiversité et de l’état de santé des milieux naturels. Ainsi, une base de données nommée « Syrph-the-Ney » leur a même été dédiée pour être utilisée en ce sens par les gestionnaires de l’environnement !

…Comme au jardin !

Heureux soient les jardiniers qui auront la chance de constater la présence des syrphes dans leur potager. Non seulement ces derniers viendront visiter vos fleurs mais ils pourront également y pondre leurs œufs. Or de nombreuses larves de syrphe – dont nous avons évoqué précédemment la diversité de l’alimentation – se révèlent être d’impitoyables carnivores dévoreurs de pucerons. C’est le cas de la progéniture du syrphe ceinturé – voir encadré – ou encore du syrphe du poirier (Scaeva pyrastri) qui est l’un des plus importants régulateurs connus de pucerons : une seule de ces larves serait capable de décimer jusqu’à trois cents individus en une nuit ! Le cas apparaît cependant isolé et il est estimé qu’une larve de syrphe consomme, en moyenne, quatre à sept cents pucerons au cours de sa vie, ce qui n’est tout de même pas négligeable ! Voilà un sérieux atout pour lutter naturellement et efficacement contre ces petits envahisseurs parfois encombrants.

Pourquoi un tel mépris ?

La pollinisation, tout le monde en parle et a souvent beaucoup de choses à raconter, au sujet des abeilles notamment, mais en ignorant totalement que d’autres insectes y jouent un rôle tout aussi déterminant. C’est même pire que cela : l’idée qu’on se fait généralement de ces inutiles que seraient les insectes est tout simplement désastreuse, l’indifférence et le mépris avec lesquels on en parle et les on traite sont absolument navrants.

Alors, d’accord, manger des fruits et des légumes, c’est important, même si les enfants préfèrent de loin du MacDo… La pollinisation, d’accord, c’est un sujet « de société », c’est économique, mais nous apprendre à distinguer les mouches entre elles, franchement, ne poussons tout de même pas trop loin le bouchon, on a des choses plus sérieuses à faire que cela… Sortir d’une vision béatement anthropocentrée du monde où nous vivons, en songeant parfois que le destin d’un insecte comme le syrphe n’est peut-être pas uniquement de venir mourir écrabouillé sur le capot de la bagnole ? Témoigner un peu de respect et d’empathie pour une petite bête qui a le droit de vivre, comme tout le monde, en faisant simplement et honorablement sa petite part du boulot ? Vraiment, vous croyez que c’est utile ? Vous croyez que c’est important ? Vous croyez que ça a… un sens ?

Notes :

(1) D’après l’enquête statistique du ministère français de l’agriculture et de l’ANSES sur la mortalité hivernale des abeilles, pour la saison 2017-2018, publiée le 25 octobre 2018

(2) Pour exemple, une étude internationale menée, en 2016, par trente-cinq chercheurs prouve que la seule diversité des pollinisateurs sauvages en culture explique une différence de 20 à 30% du rendement dans les petites exploitations !

(3) «Are empidine dance flies major flower visitors in alpine environments? A case study in the Alps, France», V. Lefebvre, C. Fontaine, C. Villemant, C. Daugeron, le 1er novembre 2014

Des histoires pour dynamiter l’impasse écologique globale

Les récits de fiction peuvent-ils nous aider dans nos façons d’envisager l’avenir de nos territoires, nos modes de production et de consommation, nos techniques, nos modèles de société ? À quoi bon se raconter des catastrophes probables ? Que signifient les récits apocalyptiques ? Ont-ils quelque chose à apporter aux luttes écologistes actuelles ? On parlera ici du pouvoir de l’imagination, de catastrophes, de fin du monde, de littérature et de techniques.

Par Guillaume Lohest

Introduction

C’est à Rob Hopkins, le fondateur du mouvement de la transition, que je dois d’avoir réconcilié deux univers qui m’avaient semblé, jusque-là, incompatibles. Je veux parler de l’écologie et de la littérature.

L’écologie, c’était pour moi quelque chose de pratique, un rapport aux choses : consommer moins et mieux, faire son potager, choisir tel ou tel matériau, utiliser les transports en commun… C’était aussi une affaire politique : les lois devaient évoluer pour favoriser ce type de comportements. La littérature, quant à elle, était de l’autre côté d’une frontière bien entretenue par le sens commun : au mieux un loisir intéressant, au pire un truc d’intellos qui n’aidait pas vraiment à changer le monde. Je passais, pour ainsi dire, de l’une à l’autre. Mon mémoire sur l’apocalypse à peine terminé, j’avais sauté à pieds joints dans l’univers de la décroissance. Il s’agissait de faire pousser des légumes, de vivre de peu et de faire exploser, avec ce mot-obus, l’imaginaire de la croissance et de la technologie. Baudelaire, Rilke, Neruda et Cie ne nous seraient d’aucun secours face à la piéride du chou ou aux invasions de limaces. Amélie Nothomb et Marguerite Yourcenar ne nous aideraient guère à développer le maraîchage biologique, les monnaies locales et les transports en commun.

Mettre l’imagination au pouvoir

Rob Hopkins, lui, écrivait autre chose en introduction de son Manuel de transition. “Nous avons besoin de nouvelles histoires dépeignant de nouvelles possibilités, propres à resituer le lieu où nous nous voyons par rapport au monde qui nous entoure, à nous donner envie de considérer les changements qui nous attendent, en ayant hâte de découvrir les possibilités qu’ils renferment et qui, en dernière analyse, nous donneront la force d’émerger de l’autre côté, dans un monde nouveau mais plus nourrissant. (1)” Rob Hopkins ne parlait pas alors d’histoires au sens des romans de Jack London ou d’Alexandre Dumas, par exemple. Non, il évoquait la nécessité d’une force d’attraction vers l’avenir, en créant une vision positive et en multipliant les récits de toutes les initiatives déjà en route et porteuses d’alternatives. Dix ans plus tard, Rob Hopkins poursuit dans cette voie. Son nouveau livre – From What Is to What If, à paraître, en français, en avril 2020 – aborde le pouvoir de l’imagination. Il invite à passer de ce qui existe à ce qui pourrait être, à travers ces deux petits mots : Et si… ? « Ce ne sont pas les graphiques qui aident ; les gens ne se sentent pas concernés, ils se mettent en retrait. Par contre, quand je raconte des histoires qui leur ressemblent, je les touche, je les sensibilise (2)« . 

Libérer l’imagination, la mettre au pouvoir : l’insistance sur cet aspect des choses est un premier pavé lancé dans la mare de l’écologie pratique – celle des techniques – et de l’écologie politique – celle des idées. Mais, pour Rob Hopkins et en général dans tout le mouvement de la transition, cette mobilisation de l’imaginaire doit être obligatoirement positive. Par cet aspect, le mouvement de la transition reste, d’une certaine manière, assez conventionnel. Car c’est bien toute la société qui entonne ce refrain, des conservateurs aux publicitaires en passant par les mouvements citoyens : “Non aux prophètes de malheur, non aux prédictions apocalyptiques !” Le refus des récits catastrophistes serait-il une sorte de pensée-réflexe ?

Pourtant, une brèche semble s’être ouverte dans ce dogmatisme de la positive attitude, en particulier depuis l’émergence de la thématique de l’effondrement et de la collapsologie. Or il faut reconnaître que ce nouveau récit, nettement catastrophiste, a fait une percée au moins aussi importante dans l’opinion publique que celle de la transition, et qu’il a même contribué davantage à mettre en avant l’urgence absolue face à laquelle nous nous trouvons. Mais le plus incroyable, c’est qu’il semble que ces deux options – transition tout sourire et effondrement inéluctable – ne soient pas vraiment contradictoires en termes de sensibilisation. Au contraire, elles ont ensemble un effet boule de neige. Nombreux sont ceux, d’ailleurs, qui passent d’un univers à l’autre, comme si l’imagination positive et l’observation des catastrophes étaient les deux faces d’une même pièce. Le film Demain, par exemple, qui se voulait résolument positif, avait pour élément déclencheur une prise de conscience 100% catastrophiste.

Rouvrir le temps

L’opposition entre imaginaire positif et catastrophisme serait donc un faux débat. Comment expliquer cela ? Allons chercher quelques éléments de réponse auprès d’un professeur de… littérature comparée. Dans son ouvrage Fabuler la fin du monde, Jean-Paul Engélibert explore la puissance critique des fictions d’apocalypse. Selon lui, “les fictions de la fin du monde ont quelque chose à nous apprendre. Elles ne sont pas toutes des prophéties lancées par des marchands d’apocalypse jouant sur la fascination et la terreur. D’ailleurs, elles ne racontent presque jamais des fins absolues. (3)” Son livre explore diverses fictions, des séries, des films et des romans, pour montrer que les récits d’apocalypse n’ont pas pour fonction principale de susciter l’effroi, mais plutôt de “rouvrir le temps” – comme le signalent les théologiens depuis longtemps. L’opposition ne se situe donc pas entre “pensée positive” et “scénario-catastrophe” mais entre la prison du temps présent et la réouverture de l’avenir par le récit. Nous vivons depuis la fin du vingtième siècle, signale Engélibert, dans ce que François Hartog a appelé le “présentisme”, c’est-à-dire une perception du temps qui n’avance plus vers autre chose que lui-même. On ne croit plus vraiment au progrès ou à la révolution. Nous sommes donc comme enfermés dans un présent interminable sans alternatives. Cela rejoint le célèbre “TINA” de Margaret Thatcher, there is no alternative : il n’y a pas d’alternative au capitalisme mondialisé. Il semble impossible de lutter avec succès contre le réchauffement climatique, contre l’épuisement des ressources et l’extinction des espèces. Impossible car, comme l’a écrit le philosophe Mark Fisher, le capitalisme récupère tout. Il est comparable “à la Chose dans le film éponyme de John Carpenter : une entité monstrueuse, infiniment malléable, capable de métaboliser et d’absorber tout ce qu’elle touche. (4)” 

Or ce présent sans alternatives assombrit notre rapport au futur. Celui-ci n’est plus perçu comme une promesse – vers autre chose de mieux – mais comme une menace incorporée au présent, une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Difficile de ne pas voir l’écho de cette image dans notre rapport au réchauffement climatique, pour ne citer qu’un exemple. Si l’on ose évoquer la réalité des catastrophes, on est qualifié de prophète de malheur. Toute idée un peu trop radicale est stigmatisée comme irréaliste, idéaliste. Tyrannie du pragmatisme, du juste milieu et de l’optimisme, qui sont l’esprit du temps présent. Les catastrophes n’ont pas voix au chapitre mais elles ne disparaissent pas pour autant : elles épaississent la menace ! Cette impasse du présent est perçue par de plus en plus de citoyens, gonflant les rangs bigarrés des déprimés, des désabusés, des nihilistes, des enragés. C’est une perception confuse mais tenace. Certains en arrivent à désirer l’embrasement, la catastrophe, l’effondrement : “tout mais pas ce piège du présent”, se disent-ils en quelque sorte, grisés par la possibilité “qu’il se passe quelque chose”. Version contemporaine de la vieille rengaine : “il nous faudrait une bonne guerre”.

On sait, dans la réalité, ce que ce “quelque chose” a de douloureux. Inondations, incendies, tornades, crash boursier, canicule, guerre civile… Quelle que soit la forme de ce “quelque chose” qui nous sortirait de la tyrannie du présent, il est cependant inhumain et immoral de le désirer. Que faire alors ? C’est ici que le pouvoir de la fiction et des récits peut aider. “Imaginer la catastrophe déjà réalisée, écrit Engélibert, se placer après, faire comme si le monde était déjà détruit, c’est faire tomber cette menace. Le présent, aboli, n’exerce plus sa tyrannie. On change d’horizon et on autorise le déploiement de possibles en envisageant autrement le temps. Car se placer à la fin des temps, c’est une manière de penser le temps de la fin – ce qui n’est pas la même chose. (5)”

Des questions techniques dans la fiction

Je ne suis pas fou. Je sais bien que tous les romans du monde ne sont d’aucun secours face à une sécheresse, une carence en azote, un défaut d’isolation ou une fissure dans un réacteur nucléaire. Les problèmes que nous avons à affronter exigent des réponses techniques. Mais il faut peut-être prendre le problème à l’envers. La plupart des grandes figures de l’écologie nous répètent depuis des années que les solutions techniques existent. Pour nourrir le monde grâce à l’agroécologie, pour isoler nos maisons en matériaux locaux et naturels, pour mieux redistribuer les richesses, pour se passer de l’énergie nucléaire, pour décarboner l’économie, etc. Dans tous les domaines, selon l’adage marketing, “des solutions existent”. Mais alors ? Il est peut-être temps d’accepter l’idée que l’existence de solutions techniques ne provoque pas, par elle-même, de changement de société global. Parce qu’une société, c’est tout autre chose que la somme des choix individuels. C’est une structure, une culture dominante, un complexe caractérisé aujourd’hui par son enfermement dans le “présentisme”, le “TINA” ou le “réalisme capitaliste”.

Lister les alternatives, rappeler qu’elles existent, montrer par l’exemple qu’elles fonctionnent, tout cela est essentiel. S’impliquer dans des luttes politiques pour les faire advenir, tout autant. Mais l’élément décisif se situe peut-être à un niveau plus profond, qui n’est pas seulement technique et politique. C’est ce dont témoigne l’initiative des ateliers de l’Antémonde, un collectif d’écriture qui a publié, en 2019, le recueil de nouvelles Bâtir aussi – voir encadré. Enthousiasmé par un article de Murray Bookchin – “Vers une technologie libératrice”, 1965, traduit en 2011 -, ce collectif a entrepris un travail d’écriture de plusieurs années. Leur méthode, en résumé, consiste à partir d’interrogations techniques. Des personnages fictifs, mais proches de nous, sont mis en situation de bâtir un monde sur les ruines du nôtre. “La première impulsion de Bookchin, dans son article « Vers une technologie libératrice », est de partager une énergie, une passion de la bidouille, des chantiers et des métiers manuels en général. C’est la recherche théorique et l’invention du concret : expérimenter, rencontrer de sérieux problèmes de résistance et d’équilibre et trouver des solutions pour que ça tienne. Cette manière de faire de la théorie politique en se frottant à la matérialité du quotidien, de nos besoins intimes et contradictoires, nous parle énormément. (6)”

Ce mélange des genres – la technique et la création littéraire – alimente par ailleurs l’engagement politique des participants à ces ateliers. Ils ont été l’occasion, écrivent-ils, “d’échapper par à-coups aux urgences militantes. Prendre le temps de penser des formes de révolutions victorieuses nous a nourriEs au-delà de toute attente.” L’écriture de fiction est un instrument pour libérer l’imaginaire de l’oppression du temps présent. “Nous sommes à la recherche de futurs désirables, mais notre réalité est verrouillée sous cette chape de plomb capitalisto-techno-mondialisée : tout est déjà lancé, on n’y peut rien, ça va trop vite…” Ce recueil de nouvelles nous place ainsi face à des questions à la fois étranges et familières. Comment laver son linge dans un monde sans réseau d’électricité centralisé ? Qui lave le linge ? Comment décider démocratiquement chaque choix technique sans s’épuiser ? Comment régler les conflits si la loi et la police ont disparu ? Etc.

Qu’il se passe quelque chose

Le lien entre écologie et littérature ne m’a pas toujours semblé évident. L’une semblait pencher du côté du concret, de la nature, des gestes pratiques. L’autre évoquait l’esprit, la culture, l’abstrait. Mais aujourd’hui, qui peut encore nier que les grands enjeux écologiques exigent des changements culturels profonds ? Il ne s’agit pas seulement de choisir entre tel ou tel procédé technique plus ou moins durable comme on l’a longtemps pensé – et comme beaucoup le pensent encore – mais de sortir d’un enfermement dans le statu quo, de rouvrir la possibilité de transformations radicales. On pourrait résumer notre situation, notre paralysie de société face à ces grands enjeux, par cette phrase évoquée plus haut : nous voulons “qu’il se passe quelque chose”, enfin, quelque chose qui soit assez puissant pour dynamiter notre présent et rouvrir la voie à de l’avenir, quelque chose qui nous transforme collectivement.

Or, justement, les fictions sont des laboratoires de la transformation. Dans la littérature, le théâtre, le cinéma, les histoires racontées mettent aux prises des personnages avec des situations problématiques. Le propre d’une histoire, au fond, c’est que toujours il “se passe quelque chose” – même quand apparemment il ne se passe rien. Et ces histoires, contrairement à la politique et à la technique, permettent le déploiement des contradictions, des émotions, des contretemps. Elles permettent au lecteur, au spectateur d’adopter un autre point de vue, elles lui font vivre une expérience de pensée, des questions qu’il ne se posait pas. Bref, elles l’entraînent dans un univers où “il se passe quelque chose”. Et, dans une certaine mesure, elles le transforment, souvent plus efficacement, plus profondément qu’un prospectus ou qu’une conférence.

La culture transpose les préoccupations profondes qui traversent les sociétés humaines. Christian Salmon, spécialiste du storytelling – l’art de raconter des histoires – aime à rappeler que les questions sans réponse produisent les histoires. Or n’est-ce pas ce que nous vivons aujourd’hui : une absence de réponse face à la perspective de catastrophes écologiques majeures, face au spectre de divers effondrements, face à l’inefficacité globale des alertes, des réformes et des luttes écologiques actuelles ? Ce n’est sans doute pas un hasard si la production de fictions du genre post-apocalyptique est si abondante aujourd’hui. Certaines d’entre elles ont peut-être beaucoup à nous apprendre, à condition qu’on se donne le temps d’une analyse critique, partagée. C’est ce que je vous propose de faire dans les pages de vos prochains numéros : explorer des œuvres et des récits en tous genres, qui sont directement liés aux grands enjeux écologiques de notre époque et qui peuvent nous aider à questionner, en vue de les dépasser, certaines impasses actuelles…

Notes

(1) Rob Hopkins, Manuel de transition, éditions Écosociété, 2010 (2008 pour l’édition originale anglaise)

(2) « Rob Hopkins : l’imagination au pouvoir ! », compte-rendu d’une conférence au Festival « Maintenant », 30.10.19, http://developpementdurable.wallonie.be

(3) Jean-Paul Engélibert, Fabuler la fin du monde. La puissance critique des fictions d’apocalypse, La Découverte, 2019.

(4) Mark Fisher, Le réalisme capitaliste, Entremonde, 2018 (2008 en édition originale anglaire).

(5) Jean-Paul Engélibert, Idem, p. 13.

(6) Bâtir aussi, éditions Cambourakis, 2018, postface « Construire sur les ruines du système : vers une technologie libératrice ? »

Un modèle coopératif qui rassemble

L’exemple du Flietermolen, à Tollembeek

Ainsi va notre Belgique fédérale : beaucoup de boulangers bio de l’ouest de Bruxelles se fournissent au Flietermolen, dans le Pajottenland, c’est-à-dire en Flandre. Mais le grain moulu au Flietermolen, lui, vient peut-être de Wallonie… Avis aux coupeurs de cheveux en quatre : cela n’a strictement aucune importance ! Ici, c’est un nouveau modèle de société, un nouveau modèle coopératif et qualitatif qui tente de se mettre en place…

Par Jürg Schuppisser et Christine Piron

Introduction

Au Heetveldemolen de Tollembeek, Richard Van Ongevalle et Judith Clerebaut se marient en 1954, reprenant officiellement à leur compte la mouture sur meules de pierre et le moulin à cylindre de type Midget. Albert Hugo maîtrise parfaitement cette « machine révolutionnaire » anglo-américaine mais doit faire place au jeune couple. Sait-il alors que le Flietermolen, à moins de trois kilomètres de là, possède la même machine ?

Entouré de champs, il est posé sur la douce colline du Flieterkouter, une butte artificielle abritant les fondations et les réserves de ce moulin à vent construit en pierre vers 1788. Il subit de lourds dégats, en 1940, et n’est plus exploité. Albert Hugo et son épouse, Elsa Darbé, le rachètent en août 1954, font blanchir les murs extérieurs à la chaux, enlever les ailes et la tête rotative et dégager les caves sous la butte. Un moteur diesel en devient la force motrice et tout refonctionne jusqu’en 1976 : un petit moulin à taille humaine, très moderne et adapté à la demande. Les héritiers le mettent en vente, en 1985, après le décès d’Albert Hugo. Il reste à vendre pendant trente ans !

Mais, en 2016, l’acheteur s’appelle Julian Still, fils d’agriculteur britannique, actif en Belgique depuis vingt ans dans la gestion de société et de filières économiques en crise.

Une nouvelle coopérative multiacteurs.trices

Julian ne veut absolument pas rester meunier, tout seul. Pour lui, toute activité a besoin d’un environnement, d’un cadre, d’un espace dans lequel on s’invite pour produire, ensemble, des merveilles, c’est-à-dire une coopérative qui regroupe acteurs et actrices d’un même projet de société. L’idée n’est pas encore bien comprise dans nos régions ; Julian le sait pour l’avoir déjà tenté dans sa carrière. Heureusement, Katrien Quisthoudt avait, elle, l’expérience d’un habitat groupé autogéré et avait déjà boulangé son pain. Ils se croisent par hasard puis, sur conseil du meunier Jespers, de Bierghes, Julian se rend à la Ferme Quenestine, à Rebecq, à la rencontre de Robert Lisart, agriculteur et boulanger.

« Nous sommes tous conditionnés par les filières industrielles tentaculaires, regrette Julian, qui pratiquent l’extraction de la plus-value. Une filière, c’est une chaîne de création de valeurs : la production d’abord, puis la ou les transformation(s), la distribution et, en toute fin, la consommation. Si, dans cette chaîne, un des maillons décrète l’appropriation de la plus-value, sans réinvestir et la répartir dans la filière, le résultat sera la pollution de la planète, la dépression et le burnout pour les acteurs, une perte de santé pour les consommateurs qui sont, quant à eux, conditionnés par la quête du bon marché. Dans ce contexte la boulangerie n’a plus le droit de dire que son pain est trop bon marché… » Elle finit par mettre la clef sous le paillasson. En Belgique, aujourd’hui, c’est une par semaine ! « Et, en plus, la moitié des pains sont jetés », ajoute Katrien…

« Nous voulons changer de modèle, affirme clairement Julian ! Notre modèle est la coopérative multi-acteurs.trices. Nous nous réunissons entre fermier.ères, meunier.ères, boulangeries bio, magasins bio, consommateur.trices. Nous nous mettons d’accord sur tous les prix d’achat des céréales et de vente des farines. Tout est transparent et ouvert. Nous voulons créer du fair-trade local, une filière, une chaîne durable où tout le monde a son mot à dire. Nous venons d’avoir notre réunion annuelle des seize fermiers de la région. Il y a deux ans, nous n’étions que quatre… »

« Le moulin tourne depuis deux ans, poursuit Katrien. Nous sommes en production et en apprentissage. Le premier bilan indique la répartition de la demande : 70% de farine de froment, 20% d’épeautre, 10% de seigle. La demande augmente. Les magasins et les boulangeries poussent comme des champignons, la majorité d’entre eux a moins de trois ans d’existence, souvent des reconversions de carrière et des jeunes… »

Les systèmes complexes, c'est du Belge !

« Je réfléchis beaucoup aux systèmes complexes, explique Julian, une notion qui intervient lors de la mise en place d’une chaîne. Au départ, aucun maillon ne maîtrise la totalité de la chaîne. Une fois noyé dans la complexité, on perd la notion du bon et du mauvais, du correct et de l’incorrect, du noir et du blanc. Tout devient gris. Au début, en rassemblant tout le monde autour de la table, chacun gardait sa perspective de départ et chacun avait raison. Tout le monde a raison ! Mais, à force de discuter, d’écouter les autres, le phénomène d’émergence intervient. Les systèmes complexes, c’est du Belge ! L’émergence arrive comme une voie séparée. L’ensemble produit autre chose que la somme des éléments apportés par chacun des participants. Concrètement : l’agriculteur ne voit pas la même chose que le boulanger. Le premier pense terre, semences, culture, climat, maladies, voisins en conventionnel… L’autre pense levée, fermentation, cuisson et demande des clients. Les clients, eux, veulent le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière, c’est-à-dire le bon pain naturel, bien nutritif et pas cher. Le meunier, lui, veut des céréales avec un bon taux d’humidité, les plus propres possible… Il faut mettre tout cela ensemble pour y arriver, et il y a matière à discussion comme sur les meilleures variétés de céréales… »

Robert Lisart, lui, est agriculteur de Rebecq. Il cultive des céréales, du froment et de l’orge brassicole mais aussi des légumes bio, pois, haricots, pommes de terre… Il complète sa rotation avec des prairies temporaires. Sans bétail, il échange, avec un éleveur de bovins, sa paille de céréales contre du fumier pour nourrir la terre. Il cultive les champs de la Ferme Quenestine – originellement appelée Ferme Storme – dont la construction remonte à 1824. Cette ferme est typique de l’agriculture pratiquée au XIXe siècle, avec sa cour carrée, ceinturée de grands bâtiments ayant chacun sa fonction propre. Robert a fait le pas du bio, en 2012, et ne le regrette pas car son travail a retrouvé du sens, grâce aux liens que le moulin a pu recréer entre tous les acteurs de la chaîne alimentaire. Robert salue aussi toutes les « petites » initiatives locales de Rebecq et de ses environs, qui vont dans le sens d’une réappropriation du « chapitre alimentaire ».

La coopérative, concrètement

Dans la coopérative, chaque membre dispose d’une voix, quel que soit le nombre d’actions qu’il possède. Les coopérants sont tenus au courant des enjeux liés au moulin par le biais d’un bulletin d’information et régulièrement invités à des réunions de coopération. Ils sont également les bienvenus lors des rencontres avec les différents « acteurs » à l’occasion desquelles sont, entre autres, décidés les différents prix : achat de grain, vente de farine, etc. Une évaluation de l’année écoulée se fait lors de l’Assemblée générale annuelle, après quoi est fixé le montant des dividendes versés aux membres. La direction générale à suivre, les priorités et les réalisations espérées pour l’année à venir sont également discutées à cette occasion.

S’asseoir autour de la table avec tous les maillons de la chaîne et se mettre, ensemble, d’accord sur les prix reste donc le meilleur mode de fonctionnement possible. Au cours de ces tables rondes, chacun doit apprendre à écouter l’autre, pour qu’une solution émerge, lentement mais sûrement, qui est ensuite réalisée. L’équipe du personnel, quant à elle, est auto-gérée La coopérative adopte ainsi une approche pragmatique qui aborde l’inconnu étape par étape, et qui permet aussi prendre le recul nécessaire si les choses ne vont pas comme prévu, ou si les idées n’ont pas de succès escompté. Au Flietermolen, la conviction commune est qu’il est possible d’ajouter de la valeur, en tant que coopérative, et un consensus se dessine sur la meilleure manière de la partager…

En guise de conclusion

Aux yeux de Nature & Progrès, le système de production de notre alimentation doit absolument changer ! Or le Flietermolen offre un exemple de coopération qui doit absolument être encouragé. Chacun s’y enrichit humainement, en œuvrant dans le sens du bien commun. Nous ignorons, par ailleurs, quelle sera l’avenir de l' »empreinte alimentaire » de Bruxelles, c’est-à-dire d’où viendra la nourriture des Bruxellois puisqu’il ne sera certainement pas possible de tout produire intra muros. Il est probable qu’à l’avenir cette problématique prenne un tour de plus en plus politique mais la solution passera-t-elle par l’achat de terres en dehors de la Capitale ? L’option de collaborations avec des agriculteurs et des transformateurs locaux, en Flandre, en Wallonie ou ailleurs, ne serait-elle pas, de très loin, préférable ? Une vaste question dont nous n’avons sans doute pas fini de débattre…

Adhésion et informations : http://flietermolen.be/home-fr/

Transition alimentaire

Comment se nourrir à Waremme demain ?

Dans le but de réfléchir à la relocalisation notre alimentation, Nature & Progrès table évidemment sur la collaboration avec les mouvements de transition : un partenariat s’est ainsi créé avec le groupe de Waremme en Transition. Voici donc quelques pistes de fonctionnement proposées par des acteurs du changement, et formulées par ces acteurs de changement eux-mêmes, qui œuvrent ensemble pour plus de résilience alimentaire. Une démarche ouverte qui ne peut pas s’arrêter de chercher à progresser…

Par Michaël Stassart et Valérie Stassen, membres de Waremme en Transition

Introduction

Waremme en Transition (WET) s’inscrit dans le mouvement international de la transition qui a démarré en Grande-Bretagne, en 2006, et qui regroupe aujourd’hui plus de quatre mille initiatives de transition dans cinquante pays. Ces initiatives forment un réseau mondial, nommé Transition Network. WET s’inscrit également dans le réseau belge de transition : https://www.reseautransition.be/.

Le mouvement est composé de citoyennes et citoyens qui ont décidé d’agir au niveau local pour répondre aux défis environnementaux. Il s’agit de réinventer nos façons de vivre ensemble, de produire et de consommer afin de participer à la restauration des écosystèmes, à la lutte contre le changement climatique et à la réduction de notre dépendance aux ressources non renouvelables. Les membres de WET veulent rendre leur ville, les villages, les quartiers et les rues plus durables et plus conviviales en répondant, positivement et localement, aux défis posés.

Une initiative citoyenne

WET a comme objectif de :

– développer une vision : imaginer un avenir positif qui fait la paix avec la terre, en créant une vision tangible, claire et concrète du territoire de Waremme régénéré ;

– sensibiliser les habitants de Waremme sur les enjeux environnementaux, sur leur empreinte écologique et sur les solutions possibles, au moyen de partages d’expériences et de la diffusion d’informations fiables, accessibles, articulées, ludiques et engageantes en respectant les capacités de chaque personne à trouver une réponse appropriée à sa situation ;

– faire naître, réaliser, promouvoir, soutenir à Waremme, toute initiative, individuelle ou collective, qui vise à relever les défis environnementaux, sociaux et économiques que traverse notre société…

Les alternatives locales et participatives sont favorisées. C’est donc tout naturellement que des liens ont été créés avec d’autres groupes partageant les mêmes valeurs, dont Nature & Progrès, qui est actif depuis quarante-quatre ans en Hesbaye, et le Passage 9, Centre culturel de Waremme. Ces partenariats permettent à l’association, portée par des bénévoles, de bénéficier d’un soutien et d’une expertise professionnelle dans l’accomplissement de leurs projets.

Pour les membres de WET, la question de l’accès à une alimentation de qualité, locale et, de préférence, issue de l’agriculture biologique est primordiale. Le groupe remet clairement en question un système agroalimentaire qui leur est imposé et que ne leur convient plus. Ils décident donc d’organiser une soirée d’échanges et de rencontres, en invitant les habitants de Waremme, les éleveurs et les agriculteurs locaux du secteur conventionnel et de l’agriculture biologique, le réseau associatif des environs et les élus politiques, à débattre ensemble sur l’actuel modèle alimentaire et son futur.

Se nourrir, à Waremme, demain

Notre système alimentaire est à bout de souffle ! La transition vers un autre modèle reconnectant les citoyens, les agriculteurs et la nature est l’affaire de tous.

Le 30 novembre 2019, un évènement fédérateur rassemble donc, à Waremme, une cinquantaine de personnes. Elles se réunissent dans la grande salle du Centre culturel, préparée avec soin par les membres de WET. Nous visionnons d’abord une vidéo, intitulée « Pourquoi devons-nous changer notre système alimentaire« , qui nous démontre les limites du système agroalimentaire actuel et nous renvoie vers notre responsabilité de consommateur. Après cette introduction, nous faisons connaissance les uns avec les autres, via un petit débat mouvant et nous nous asseyons en table de discussions. La lecture d’un texte nous projette dans un rêve : un autre monde est possible mais comment le voyez-vous ? C’est le sujet du premier tour d’échanges entre les participants. Afin d’ancrer nos rêves dans la réalité et sur le territoire de Waremme, nous procédons à un deuxième tour de discussions portant sur des pistes d’actions pour une transition saine et durable.

Une mise en commun démontre ensuite que l’intérêt général porte premièrement sur la nécessité de créer des liens et de renforcer la solidarité entre les habitants, mais aussi avec les producteurs, afin de se ré.approprier une manière saine de manger. Et cela passe par le soutient aux diverses filières alimentaires locales et le développement des potagers, collectifs ou individuels, sur toutes les surfaces vertes disponibles. Deuxièmement, de re.créer des espaces verts en ville. Et, en troisième lieu, de continuer à dialoguer avec les pouvoirs publics dans l’espoir de voir soutenues les différentes initiatives et demandes citoyennes… Un moment convivial clôture l’évènement, permettant aux uns et aux autres de faire d’avantage connaissance et de poursuivre leurs débats…

Six enjeux se dégagent des discussions

À la suite de cet évènement, il était important, pour l’équipe de WET, d’analyser les résultats des tables rondes et d’identifier les six enjeux les plus importants de la soirée :

– favoriser la production locale – comme créer une ceinture alimentaire en Hesbaye -, favoriser l’autoproduction, payer un prix juste au producteur, entretenir des espaces d’ »incroyables comestibles » ;

– structurer les filières locales : les participants souhaitent se nourrir « du champ à l’assiette », en fréquentant une halle des artisans et un marché des producteurs locaux, en se fournissant directement à la ferme et en achetant des produits locaux dans les commerces existants ;

– restaurer la nature : par exemple, créer des espaces verts et des forêts, restaurer les cours d’eau, planter des haies, régénérer des sols ;

– augmenter les savoirs : en créant un potager dans chaque école, en suivant des formations – potager, permaculture, compost, cuisine, écologie -, en diffusant une base de données des acteurs de la transition, en fréquentant des « journées fermes ouvertes » ;

– renforcer les solidarités : pour les participants, il est important de rendre la nourriture saine accessible à tous, de recourir à des échanges gratuits entre particuliers – SEL, mise à disposition des jardins non utilisés -, d’encourager le volontariat et le glanage, des caisses de solidarités ;

– aiguiller le soutien des pouvoirs publics : ceux-ci pourraient mettre à disposition des maraîchers les terres agricoles appartenant aux pouvoirs publics, réduire les taxes des produits sains, encourager l’installation des producteurs, réserver un emplacement gratuit au marché pour les producteurs, favoriser le passage vers l’agriculture biologique…

Ces pistes dactions identifiées par les citoyens serviront de guide pour l’élaboration des projets de WET dans les mois à venir.

Waremme en Transition : bilan de la première année d’existence

Une naissance réussie ! Le noyau de la transition – le groupe initiateur – s’est constitué grâce à la mobilisation d’une dizaine de citoyens. Une dynamique collective s’est ainsi mise en place autour de la transition écologique. Le groupe se réunit mensuellement.

Une intégration de l’initiative de transition au sein du tissu local ! WET a reçu un accueil très positif des acteurs locaux qui se concrétise par la mise en place de plusieurs collaborations : avec des associations telles que le Centre culturel de Waremme, Nature & Progrès, Natagora, le GAL et d’autres initiatives de transition qui ont permis de mettre en place les premières actions. Nous avons constaté que les acteurs publics locaux sont souvent à la recherche de relais citoyens pour coconstruire des projets ou pour faire vivre les projets qu’ils ont eux-mêmes initiés. Nous avons ainsi été sollicité par les services communaux dans le cadre d’un appel à projet lancé par la Région Wallonne, « Ma commune en transition« . Suite à cet appel, WET bénéficie d’un subside communal et régional.

Cette première année a encore été l’occasion de nouer des liens avec les entreprises : avec le monde de l’agriculture, tout d’abord, par l’organisation des activités autour de la transition alimentaire mais aussi par la rencontre des commerçants locaux. Enfin, la mise en place du jardin communautaire s’est faite en collaboration avec un promoteur immobilier. Nous espérons ainsi, au travers de ces multiples collaborations, faire progressivement percoler la transition dans l’ensemble du tissu local.

L’impulsion d’une vision positive de notre avenir ! Le mouvement de la transition considère que l’élaboration d’une vision de l’avenir attrayante mobilisera les citoyens qui auront le désir de la faire vivre : c’est le scénario dit « de l’espérance » de l’éco-philosophe Joanna Macy. Face à la crise écologique, Joanna Macy met en évidence trois scénarios possibles : le « déni », la « grande désagrégation » et le « changement de cap ». C’est le scénario de l’espérance, à savoir un engagement collectif et personnel pour la transition d’une société de croissance autodestructrice vers une société qui soutient la vie, orientée vers un bonheur reposant plus sur les liens que sur les biens. L’enjeu est de retrouver une harmonie entre l’espère humaine et la biosphère, afin de garantir un mode de vie qui ne détruise pas les écosystèmes dont il dépend (1). WET a réalisé, en 2019, une première tentative d’élaboration de cette vision d’avenir, principalement pour l’alimentation.

Les défis de 2020 : consolider et renforcer la dynamique collective

Il s’agit, avant toute chose, de consolider les acquis de notre première année d’existence. En premier lieu, permettre à notre groupe de base de s’épanouir au travers de la réalisation des projets qui tiennent à cœur les membres du groupe. Deuxièmement, nous avons l’intention de poursuivre notre intégration dans le tissu local et d’étendre le réseau de la transition à Waremme. Ce travail de rencontres et de sensibilisation est, pour nous, essentiel. C’est d’ailleurs très enrichissant et cela constitue, à nos yeux, le meilleur moyen de faire bouger les choses. En 2020, nous accorderons une attention particulière à la sensibilisation des acteurs politiques locaux et des agriculteurs. Troisièmement, les défis sont immenses et donc les projets potentiels d’envergure. Outre le travail en collaboration avec les acteurs existants, il nous faut réussir à élargir notre groupe de base, en mobilisant davantage de citoyens voulant jouer un rôle actif dans la transition à Waremme.

Enfin, nous souhaitons inscrire WET dans un réseau plus large de la transition en Hesbaye. Nous bénéficions, en effet, sur le plateau de la Hesbaye, d’une unité de production agricole qui pourrait constituer un bon point de départ pour une action commune concernant la transition alimentaire. Nous profitons donc de l’occasion pour faire appel aux autres initiatives de transition situées en Hesbaye et aux Hesbignons qui voudraient rejoindre le mouvement de la transition.

L’âge de faire…

Le premier projet concret – et déjà en cours de réalisation – est un jardin communautaire dédié à la culture maraîchère et fruitière, sur le site dun ancien verger mis à disposition par le promoteur dun projet immobilier situé sur les parcelles voisines. Il s’agit d’en faire un lieu de permaculture urbaine. Ce jardin, situé au centre-ville, sera destiné à devenir un lieu d’échanges sociaux, de transmission de savoirs, de détente et dentraide. L’équipe porteuse du projet fera bientôt appel aux volontaires pour effectuer les premiers travaux daménagement avant larrivée du printemps.

Par ailleurs, nous réfléchissons encore à dautres projets à réaliser, en 2020, comme par exemple la mise en place d’un cycle de conférences avec Nature & Progrès et – pourquoi pas ? – le lancement des bases d’une ceinture alimentaire pour Waremme. Il nous semble également primordial de jeter des ponts avec des initiatives issues de la transition, comme la ceinture alimentaire liégeoise. Les ambitions de ces acteurs, en termes d’approvisionnement local, ne pourront, en effet, être rencontrées qu’avec la contribution des agriculteurs hesbignons !

Note :

(1) M.M. Egger, Soigner l’esprit, guérir la terre, p.13

Davantage de céréales bio et locales sur notre table

Citoyens et professionnels se mobilisent !

Nature & Progrès rassemble, depuis deux ans, consommateurs, agriculteurs, meuniers, malteurs, boulangers, brasseurs, chercheurs et autres professionnels du milieu agricole autour de la filière céréalière. Mais peu de céréales locales se retrouvent encore actuellement dans les farines, pains et bières, même confectionnés en Belgique. A peine quelques pourcents… Comment améliorer cet état de fait ?

Par Sylvie La Spina

Introduction

Comment augmenter la part de céréales locales et bio dans nos assiettes et dans nos verres ? Un foisonnement de pistes a été rassemblé lors des rencontres du projet et présenté à l’occasion d’un colloque, organisé par Nature & Progrès, le 15 novembre 2019, à Namur. Une journée qui a rassemblé plus de cent trente personnes, c’est dire si le sujet est important et d’actualité.

Un intérêt multi-acteurs

Le colloque a rassemblé citoyens, agriculteurs, meuniers, boulangers, malteurs, brasseurs et autres transformateurs mais aussi des politiques, des chercheurs, des structures du monde agricole et des porteurs de projets. Tous nous ont fait part de leur intérêt pour le travail réalisé sur les céréales, par Nature & Progrès à travers son projet Echangeons sur notre agriculture, durant ces deux dernières années.

Charles-Edouard Jolly, agriculteur à la ferme bio du Val Notre Dame, à Antheit, développe des cultures de céréales panifiables et d’orge brassicole et recrée peu à peu des filières locales. Il témoigne : « C’est très amusant à faire, et ça revalorise encore plus notre travail. Le problème, c’est la mise en réseau. Cela demande beaucoup de temps de rencontrer les différents transformateurs et distributeurs pour arriver à une filière courte. Mais je pense que cela a beaucoup d’avenir…« 

C’est lors d’une activité, organisée en 2018 par Nature & Progrès, que Cécile Schalenbourg, agricultrice à Donceel, rencontra Georges Sinnaeve, chercheur du CRAw venu parler de la qualité des céréales panifiables. Elle réalisa alors le potentiel de valorisation de son blé en farines alimentaires. Le GAL « Je suis Hesbignon » aida alors Cécile et d’autres agriculteurs à mettre en place leur projet : recherche d’un moulin, informations et formations, outils de communication… Selon Cécile, « le projet Echangeons sur notre agriculture de Nature & Progrès fait un très bon lien entre la théorie et la pratique. Les porteurs d’initiatives qui viennent témoigner au colloque sont des gens qui ont déjà éprouvé leur projet et peuvent, en toute transparence, livrer leurs connaissances…« 

Gil Leclercq, porteur du projet de la micro-malterie du Hoyoux, insiste : « ce colloque est une source d’inspiration pour d’autres porteurs de projets, tant pour le secteur panifiable que pour le secteur brassicole ; c’est aussi l’occasion de rencontrer les agriculteurs et les brasseurs qui sont intéressés par une filière locale.« 

Catherine Marlier, porteuse d’un projet de hall-relais Cultivae, témoigne : « c’est intéressant de pouvoir se rencontrer car on ne prend pas le temps de le faire ; nous sommes tous isolés sur nos projets, avec nos problèmes, et le fait d’échanger et de pouvoir en parler, cela nous renforce. En plus, on sent une volonté citoyenne qui nous conforte dans ce dans quoi on croit. Quand on veut créer quelque chose qui va dans un sens différent, cela demande beaucoup d’énergie.« 

Enfin, un membre de Nature & Progrès travaillant activement sur le projet de la ceinture alimentaire namuroise, Michel Berhin, explique : « ce colloque est un temps fort parce qu’il aide à identifier les acteurs présents au niveau local. La conclusion des rencontres de Nature & Progrès ne s’appuie pas sur un regard théorique mais bien sur les acteurs de terrain.« 

Des pistes intéressantes

Tout au long de ces deux années de travail sur les céréales alimentaires, de nombreuses pistes sont ressorties au fil des rencontres entre les différents acteurs pour aider au développement de filières locales, du grain à la table.

– la production

Un enjeu de taille, pour les producteurs, est d’atteindre la qualité de céréales nécessaire pour la transformation. Pour les céréales panifiables, les normes de qualité sont strictes car définies pour une transformation industrielle des farines. Elles impliquent une standardisation des procédés de fabrication – la pâte ne doit pas coller à la machine ! – et une optimisation économique, notamment un temps de pétrissage et de repos les plus courts possibles qui se font au détriment de la digestibilité et de la qualité nutritive du pain. Quand les céréales sont récoltées, séchées et triées, elles sont analysées puis réparties en fonction des normes en céréales panifiables et en céréales « tout-venant », purement et simplement écartées de la consommation alimentaire !

Ces normes pourraient donc être revues et, surtout, être distinctes en fonction de la finalité de la filière : industrielle ou artisanale. En effet, un boulanger travaillant de manière artisanale pourra plus facilement s’adapter à des farines « hors-normes », sans même avoir recours à des additifs technologiques. Cela ne veut pas dire qu’il utilisera n’importe quels grains car il faut évidemment veiller à ce qu’ils soient, tout de même, de bonne qualité : absence de mycotoxines, bon stade de maturation… Mais cela permettrait d’éviter le déclassement de nombreux lots en céréales « tout venant ».

Par ailleurs, on oublie trop souvent les autres modes de transformation des céréales : le « floconnage », la fabrication de biscuits ou de gaufres, celle de pâtes alimentaires… Ces filières mériteraient à être développées en Wallonie. Il est donc important de définir les critères de qualité des grains pour ces transformateurs afin de récupérer encore un peu plus de céréales « tout venant » pour alimenter localement nos concitoyens.

La qualité des céréales peut être améliorée en poursuivant les recherches sur l’itinéraire cultural, notamment la fertilisation qui conditionne le taux de protéines du grain. Si des études ont déjà été menées sur la fertilisation – type, quantité, période d’apport – ou le précédent cultural, il reste encore de nombreuses pistes à explorer : notamment les associations de cultures de céréales et de légumineuses. Ces cultures conjointes permettent de fournir de l’azote à la céréale mais nécessitent un tri des graines à la récolte. Les recherches sur les variétés de froments, d’épeautres et d’orges doivent être poursuivies notamment avec une finalité alimentaire et une adaptation au mode de culture biologique.

Enfin, un dernier frein à la valorisation des céréales est la taille des lots. Le parcellaire wallon est très morcelé et il est nécessaire de rassembler les productions de plusieurs agriculteurs pour atteindre les volumes demandés par certains transformateurs. Mais, pour être rassemblés, ces lots doivent être de qualité relativement homogène ! En Wallonie, on compte une septantaine de variétés de froments en champs, qui ont toutes leurs spécificités. Pourquoi des groupes de producteurs ne se concerteraient-ils pas pour cultiver la même variété, dans des conditions relativement similaires, afin de se donner plus de chances de valorisation ?

Le prix du marché pour les céréales alimentaires est aujourd’hui très défavorable aux filières : il est plus rentable pour un agriculteur de semer des céréales destinées à l’alimentation animale ou à l’énergie, plus faciles à cultiver et présentant un meilleur rendement en grains. Voilà ce qui explique le déclin de nos céréales alimentaires ! Et pourtant, la valeur de la céréale ne compte que pour quelques pourcents dans le prix du pain – 5 à 8 % – ou de la bière – moins d’1 %… Qu’est-ce qu’on attend ?

– le conditionnement

Après la récolte, les céréales doivent être triées, parfois séchées, et stockées jusqu’à leur transformation par le meunier ou le malteur. Or il y a, aujourd’hui, un manque flagrant de structures de tri des céréales biologiques, lesquelles doivent évidemment être conditionnées à part des céréales conventionnelles. Il manque aussi des outils pour le décorticage des céréales comme l’épeautre. Il est donc important de développer ces outils, que ce soit pour un producteur individuellement – le conditionnement à la ferme – ou pour un groupement d’agriculteurs – un hall-relais agricole. La formation des agriculteurs est également nécessaire pour bien maîtriser ces étapes critiques pour la bonne conservation des grains.

– la transformation

Les moulins connaissent un renouveau en Wallonie. Il était grand temps car c’est l’acteur incontournable pour le développement de filières panifiables locales. La vingtaine de moulins wallons sont cependant encore loin de suffire, par rapport aux besoins des producteurs et des boulangers. Il est donc important de soutenir la mise en place de nouveaux moulins, notamment d’outils travaillant à façon pour d’autres acteurs et permettant ainsi le développement de nouvelles filières. Comme pour les autres outils de première transformation – les abattoirs dans la filière viande, par exemple -, la rentabilité de ces outils est difficile à atteindre. Il faut, par conséquent, envisager soit un soutien public – comme les abattoirs communaux vus comme un service offert par la commune aux éleveurs -, soit l’intégration avec le reste de la filière, amont et aval, permettant notamment de bénéficier de la plus-value de la seconde transformation. Dans ce dernier cas, c’est la forme de coopérative qui est la plus appropriée comme le montrent plusieurs initiatives : Flietermolen ou Agribio, par exemple.

Pour la malterie, il reste deux opérateurs travaillant à façon en Belgique, ce qui permet des filières du grain à la bière. Cependant, les volumes traités par ces malteries sont importants par rapport à la taille des lots d’orges produites en Wallonie et par rapport aux besoins en malt des microbrasseries. Des micro-malteries, traitant de petits volumes d’orges, permettraient donc une meilleure valorisation des céréales locales mais aussi une meilleure stimulation, l’innovation et la diversification de nos microbrasseries et le développement de bières de terroir. Une micro-malterie est d’ailleurs en projet dans la région de Havelange.

La boulangerie artisanale a du plomb dans l’aile ! De plus en plus de consommateurs achètent leur pain en grande surface, ne distinguant plus de différence de qualité, ou refont leur pain à la maison car ils recherchent le bon goût et la digestibilité du « pain d’antan ». Il faut dire que les pratiques des boulangers ont fort évolué ces dernières décennies : pétrissage mécanique, abandon du levain, utilisation des mêmes farines et procédés, finalement, que la boulangerie industrielle. Il reste quelques irréductibles « vrais » boulangers qui travaillent en direct avec les producteurs des farines, sans le moindre additif et avec un savoir-faire immense qui inspire aujourd’hui de nouvelles vocations. Revenons donc vers ces méthodes artisanales pour offrir localement aux consommateurs, dans des boulangeries de quartier, du vrai bon pain ! Redonnons-leur confiance dans ce produit noble, base de notre alimentation, en offrant plus de transparence sur le mode de fabrication, la qualité des farines et, bien entendu, leur origine…

– les filières

Les rencontres animées par Nature & Progrès l’ont démontré, tout au long de ces deux années d’étude des filières céréalières : les différents acteurs ne se connaissent pas ! Chacun nourrit son projet et ses idéaux dans un coin de sa ferme, de sa brasserie ou de sa boulangerie. Mais il n’existe aucun lieu pour échanger, partager et… décider de travailler ensemble. Une plateforme et des inventaires des acteurs sont donc nécessaires afin que le boulanger, qui cherche un producteur de céréales, rencontre les agriculteurs de sa région, qu’il puisse aussi identifier un moulin qui serait prêt à moudre le grain et lui fournir la farine. Ces plateformes et inventaires stimuleraient alors le développement de filières locales !

Encourageons également la diversification au sein des fermes wallonnes. Pour un producteur de céréales, il peut être intéressant d’investir dans un moulin et dans un atelier de fabrication de pâtes – comme à la Ferme Harnois, près de Virton -, un atelier de boulangerie – comme à la Ferme Dôrloû, à Wodecq – ou une brasserie – comme à la Ferme à l’Arbre de Liège, à Lantin ! Cette diversification ne signifie pas que le producteur doit ajouter une casquette sur sa tête. Elle peut lui permettre d’accueillir une personne sur la ferme, employée ou indépendante, pour prendre en charge cet atelier.

En résumé…

Que de pistes prometteuses proposés par Nature & Progrès et par ses membres, que d’idées judicieuses et, surtout, quelle émulation pour le développement de filières céréales alimentaires 100% locales ! Le consommateur est demandeur de produits bio et locaux, les producteurs ont envie de franchir le pas, des transformateurs veulent mettre en avant le terroir wallon, la recherche et l’encadrement des acteurs sont bien présents… Le terreau est là pour davantage d’autonomie de nos fermes et la valorisation de notre artisanat ! Qu’est-ce qu’on attend ? Qu’est-ce qui nous freine encore ?

De l’ogre brassicole au goût wallon

Nos bières belges, ne sont pas si belges que ça, tant elles ont souvent recours à des ingrédients venus d’ailleurs. Mais quels rôles les différents maillons de la filière de production céréalière ont-ils à jouer pour redorer le blason de l’orge brassicole en Wallonie ? Car, même si d’autres céréales peuvent être maltées, pour apporter des goûts et des arômes différents, l’orge brassicole est au cœur de la filière. Sans orge brassicole, pas de malt, et – oh tristesse infinie ! – : pas de bière !

Par Mathilde Roda

Introduction

Nature & Progrès propose quelques pistes pour redynamiser la filière afin d’accroître la qualité de nos produits brassicoles et d’amener plus de valeur ajoutée au travail des brasseurs. Plutôt que de destiner nos céréales à l’alimentation du bétail et à la fabrication de « biocarbutants », il nous paraîtrait, en effet, plus intéressants de les diversifier et de les développer en les adaptant aux débouchés des produits transformés qui font notre renommée. Et, au premier plan d’entre eux, nos bières. En fait, cela tombe sous le sens, non ?

Bruno Godin, du Centre wallon de Recherche Agronomique (CRAw) de Gembloux, nous apporte son éclairage technique sur le sujet, en recontextualisant la problématique brassicole wallonne.

La recherche : l’orge est sélectionnée pour répondre à certains critères

N’est pas brassicole n’importe quelle orge ! Pour que l’ogre soit apte à être maltée, elle doit répondre à un certain nombre de critères.

– Bruno Godin, pourquoi tant de critères pour l’orge brassicole ?

Pour répondre aux exigences de maltage, il faut une faible dormance afin de pouvoir malter l’orge le plus rapidement possible après la récolte. Un haut potentiel de germination est nécessaire au processus ainsi que de gros grains chargés d’amidon car c’est l’amidon qui va permettre la production d’alcool. Les variétés doivent, de plus, être résistantes à la fusariose – une maladie causée par des champignons produisant des mycotoxines – et à la verse. Autant dire que ça fait beaucoup de critères !

– Et justement, d’où viennent-ils ?

Dans chaque pays, les critères sont définis par la fédération des négoces. Ce sont classiquement des grosses filières d’exportation qui subissent les pressions du marché. En Belgique, c’est Synagra qui fixe les normes.

– Ces critères-là, ils se jouent déjà au moment de la sélection variétale ?

Oui tout à fait. On est passé de processus de maltage qui prenaient un mois, il y a cent ans, à une semaine aujourd’hui. La sélection a été faite pour optimiser ces critères avec, pour mots d’ordre, rapidité et homogénéité des processus. Donc, comme en panifiable, des lignées sont croisées et testées sur base de ces critères. Certains peuvent être rapidement évalués : calibre, pouvoir de germination, taux de protéine : on évalue facilement et rapidement la protéine et cela permet d’estimer l’amidon… On peut aussi réaliser des micro-maltages et des micro-brassins, en laboratoire et à partir de quelques dizaines de grammes d’orge, pour vérifier son comportement. Mais les normes correspondent aux exigences pour les bières de type « pils », produites à basse fermentation, alors que, pour une filière de bières spéciales, on doit s’intéresser aux besoins de la haute fermentation. Or même les experts brassicoles le disent : on ne connaît pas bien les normes pour la haute fermentation. Ce qui est dommage aussi, c’est qu’on oublie le goût dans tout ça. Le goût n’a jamais été un marqueur de sélection et c’est vrai pour toutes les céréales alimentaires…

La production : cultiver l’orge brassicole, c’est toute une technique !

– Outre la sélection variétale, qu’est-ce qui peut influencer la qualité de l’orge ?

Depuis vingt ans, nous nous sommes spécialisés vers le tout fourrager et nous avons oublié les risques à gérer en céréales alimentaires. Or la manière de cultiver a évidemment un impact non négligeable ! Toute une série d’autres bonnes pratiques doivent être respectées, comme de séparer la « bonne » récolte des zones versées. Une chose de primordiale en brassicole, c’est la propreté ! Il ne faut surtout pas retrouver d’autres céréales, ni plusieurs variétés d’orge. Il faut du monovariétal pour un maltage homogène, sinon le brasseur aura des problèmes de filtration et de gestion de sa recette…

– Alors pourquoi, malgré ces difficultés, certains pays voisins ne semblent-ils pas avoir de problèmes à produire de l’orge brassicole en grande quantité ?

En Belgique, la période des moissons est souvent pluvieuse, or l’humidité étant la bête noire du stockeur ! Lorsqu’on a cherché à se spécialiser en transformation alimentaire, ce sont les industries à plus haute valeur ajoutée que les céréales, et plus facile à gérer avec la chimie, qui ont pris le dessus : les pommes de terre et la betterave. En France, par exemple, où le climat est plus favorable, on retrouve de grandes plaines céréalières car c’est le meilleur moyen de rentabiliser ces terres. Dans d’autres contextes, comme au Danemark, l’orge brassicole est le seul moyen d’apporter de la valeur ajoutée à des terres peu productives. En Wallonie, on se situe entre ces deux situations et on a préféré se diriger vers des productions céréalières à haut rendement, pour l’alimentation du bétail ou l’amidonnerie. On a choisi la quantité plutôt que la qualité.

– Comment faire alors pour remotiver aujourd’hui nos producteurs à se lancer dans cette culture ?

Disons clairement que produire de l’orge brassicole n’est pas une commodité. Mais cette culture présente aussi des avantages : diversification, allongement des rotations, valeur ajoutée… Et puis, tout est une question d’habitude, c’est simplement un métier à réapprendre. De plus, l’orge brassicole étant rustique, bien résistante aux maladies, cela trouve évidemment tout son sens en bio ! Surtout qu’il y a un déficit de production en céréales alimentaires bio…

Le maltage : une première transformation peu rentable

– On parle souvent du manque de micro-malteries en Belgique. Cela peut-il être un levier pour redynamiser la production d’ogre brassicole ?

Il existe deux malteries familiales en Belgique – la malterie du Château et la malterie Dingemans – qui tournent déjà avec de bons volumes et un carnet de commande plein. Il n’est donc pas facile pour les brasseurs qui veulent de petits volumes – qui plus est d’une orge locale pas forcément formatée aux normes industrielles – de trouver une cellule de maltage disponible. Pour pouvoir transformer à petite et à moyenne échelle, il faut donc une malterie adaptée et qui travaille à façon, il faut donc clairement une demande du consommateur, qui influencera le brasseur et qui stimulera la demande en orge locale et donc sa production. La micro-malterie est l’élément central qui fait le lien entre tous ces maillons.

– Qu’est-ce qui freine leur développement à l’heure actuelle ?

Vu le prix de la bière en Belgique, il y a peu de valeur ajoutée à se partager et le maltage est très peu rentable à petite échelle. Une micro-malterie demande beaucoup d’investissement en matériel et il faut vraiment avoir des acteurs de la filière prêts à suivre pour être sûr d’amortir le projet et de le rendre viable à long terme. Il est donc nécessaire de fédérer des agriculteurs, des négoces et des brasseurs autour du projet, avant même de le lancer, une sorte de solidarité nord-nord au sein de la filière, un commerce équitable à la belge…

Le brassage : un haut potentiel de valorisation du terroir belge !

Mais je vois un autre intérêt au développement d’une micro-malterie wallonne. Les brasseries industrielles, non seulement dictent leurs normes en achetant de gros volumes à prix bas. Les micro-brasseurs, non seulement payent un prix plus fort, mais sont soumis aux critères de qualité du malt industriel. Avec une filière locale à petite échelle, certes il y aurait un surcoût pour le consommateur, de l’ordre d’un à deux centimes d’euro pour une trente-trois centilitres, mais il serait possible de produire des bières complètement ancrées dans leur terroir ! Et le bio est d’autant plus intéressant de ce point de vue… Et c’est bien pour cela que les micro-malteries qui veulent se mettre en place veulent souvent viser le 100% bio. Mais il faudrait, pour cela, que les volumes suivent…

– Il y aurait donc un haut potentiel de qualité différenciée en Wallonie, même dans le secteur brassicole ?

Bien sûr ! Finalement, en céréales alimentaires, si on veut mettre en avant le terroir et le goût, il ne faut pas trop produire. On peut faire le parallèle avec le vin et se dire qu’il faut peut-être une même approche : aller vers une offre en plus petits volumes mais avec plus de valeur ajoutée. Evidemment, cela implique d’avoir des consommateurs qui soient en phase avec cela…

Conclusion

Les marchés font-ils le goût ? Non ! Les marchés embrayent sur la demande de consommateurs qui ne connaissent rien aux produits et réagissent simplement à leur réputation et au « récit » qu’en fait la publicité. Laisser faire les marchés, c’est tout standardiser, à terme.

Comment, au contraire, retrouver une typicité, une qualité pour nos produits brassicoles ? Nature & Progrès pense que c’est en permettant le développement de filières courtes et en confiant à de véritables artisans spécialisés la transformation de produits agricoles de terroir, en stimulant le dialogue entre cet artisan et l’agriculteur qui le fournit. A l’évidence, les outils de transformation, comme les micro-malteries, doivent également se trouver au cœur de ces filières. Fabriquer massivement « à façon », et souvent à l’étranger, est une option quantitative qui n’a de sens qu’en visant la conquête de marchés lointains. Cette vision compromet, hélas, la nécessaire évolution du goût et du savoir-faire qui sont un placement dans le long terme…

« Bon pour la casse ? », l’obsolescence programmée !

Critique de l’imaginaire du progrès et des impasses auxquelles il nous conduit

Le texte qui suit illustre une démarche d’éducation permanente menée par les bénévoles de la locale bruxelloise de Nature & Progrès, en partant du constat que la durée de vie de nos objets quotidiens – en particulier les appareils électro-ménagers et électroniques – est de plus en plus réduite et que les possibilités de réparation sont généralement limitées et couteuses et que certains produits semblent même être spécifiquement conçus pour ne pas être réparables. Ceci entrainant des conséquences tant environnementales qu’économiques et sociales…

Par Valérie Van Laere

Introduction

Les bénévoles de la locale de Bruxelles se sont donc interrogés sur notre modèle de production et de consommation de biens matériaux et ont alors décidé de développer un cycle d’activités sur – et autour de – l’obsolescence programmée.

Voulons-nous vraiment d’un modèle de société basé sur la surconsommation et les inégalités ? Nos besoins sont-ils réels ou fabriqués par la publicité ? Voulons-nous d’une croissance économique sans limite et à n’importe quel prix ? Est-il possible d’envisager une (dé)croissance raisonnable et raisonnée dans ce domaine ? Telles ont été les questions clefs du projet qui ont guidé les bénévoles dans leurs réflexions, dans la construction du projet et dans les échanges avec les membres de Nature & Progrès et avec tout citoyen soucieux de réfléchir, d’avoir un regard critique et d’agir sur cette problématique sociétale.

Favoriser le partage des « savoirs », trouver les points qui font débat et les expériences qui suscitent un autre regard par rapport au modèle dominant, soulever des interrogations et réveiller l’esprit critique, débattre, se questionner, réfléchir et imaginer ensemble des pistes d’actions individuelles et collectives… Voilà les ingrédients d’une démarche d’éducation permanente afin que tous les citoyens impliqués dans le projet se fassent leur propre opinion et fassent leurs choix en conscience.

Un cycle d’activités diversifié

Afin d’aborder, dans ses multiples dimensions, la complexité de la question de l’obsolescence programmé, son importance dans notre vie quotidienne et notre responsabilité en tant que consommateur, afin d’être à même de devenir des (non-)consommateurs conscients et critiques, les approches ont été diversifiées. Elles ont également été élaborées pour créer un processus évolutif de réflexion à partir de chacune des activités.

Au menu : projection de documentaires et de capsules vidéo (1) mais aussi visites thématiques, rencontres et débats avec des intervenants du secteur (2), puis animations en sous-groupes de travail. Chaque étape a fait l’objet d’une évaluation avec les participant(e)s, ce qui permettait de faire évoluer, d’une part, les réflexions et les activités suivantes et, d’autre part, l’ensemble du processus.

Alors ? L’obsolescence programmée : quoi, pourquoi, comment ? Voici les grandes questions débattues :

– l’obsolescence programmée : qu’est-ce à dire ?

– principales causes et conséquences : environnementales, économiques, sociétales…

– obsolescence programmée et rapports Nord-Sud,

– législation, certifications, normes de qualité, etc… Où en est-on aux niveaux européen et belge ?

– sociologie de la consommation : l’imaginaire de la consommation et la fabrication des besoins, l’influence de la publicité…

– les alternatives et le pouvoir du citoyen.

Forts de toutes ces informations et réflexions, nous pouvons alors envisager des solutions. La dernière activité du cycle consistait donc à proposer aux participants de se répartir en petits groupes de réflexions pour rechercher collectivement comment remédier à l’obsolescence programmée, en proposant des solutions concrètes.

Quelques exemples de réflexions

Face à l’acte d’acheter, quelques questions à se poser : « en ai-je vraiment besoin ? », « dois-je vraiment acheter du neuf ? », « dois-je vraiment suivre la mode », « est-ce nécessaire d’avoir des machines si sophistiquées ? », « n’y a-t-il pas d’autres alternatives ? » Les alternatives peuvent être d’acheter en seconde main – ressourceries, brocantes… -, d’emprunter, d’échanger ou de faire réparer – repair café, tutoriel… -, d’entretenir, de collectiviser l’usage ou de partager – Tournevie, usittoo.be… -, de s’inscrire sur des sites de don – récup à Bruxelles -, de créer des gives box de quartier… Valoriser l’artisanat, remplacer la pièce défectueuse plutôt que de jeter tout l’appareil – via les FabLabs ou les micro-fabriques… -, préférer les entreprises dont la politique est de produire des objets durables et évolutifs – disponibilité des pièces détachées, Fairphone… – et soutenir des start-ups durables sont également des pistes évoquées… Sont également envisagées les questions du coût écologique des produits et des rapports Nord – Sud : quelles conditions de travail nos achats engendrent-ils pour les travailleurs du Sud ?

En tant que consommateurs, nous pouvons également rejoindre, ou même créer, un groupement de pression, faire du lobby citoyen pour influencer les politique et les industriels, pour faire évoluer la législation, en incitant les producteurs à vérifier le coût écologique des produits, à utiliser des matières premières de qualité, à améliorer sa réputation en termes de durabilité, à produire des objets durables et évolutifs… Nous pouvons également faire entendre notre voix aux fabricants afin d’augmenter la durée de vie des produits et d’améliorer leur étiquetage – indication du coût écologique, de la durée de vie, de la réparabilité, de l’existence de pièces détachées… -, de revendiquer la création d’un label « non-obsolescent », d’exiger des manuels de réparation, etc.

En tant que citoyens, nous pouvons enfin impliquer les syndicats dans notre réflexion car la non-obsolescence crée de l’emploi, nous pouvons inciter les pouvoirs publics à organiser des formations en recyclage et en réparation ou même en électronique, en partenariat avec des structures telles que Repair together, Micro-marché, Cf2D, etc.

D’une manière générale, le citoyen veut pouvoir s’exprimer et dire clairement qu’il ne veut pas de ces appareils qui ne fonctionnent pas, qui ne durent pas… « Non, nous ne voulons pas de cette société du tout jetable ! »

Les idées et réflexions ne manquent pas. Cependant, si les citoyens peuvent agir individuellement par rapport à leurs propres modes de consommation, agir collectivement face au lobbying industriel et porter un message politique est plus compliqué. Au-delà de la motivation première, cela demande du temps mais surtout d’acquérir de nouvelles compétences au vu de la technicité et de la difficulté politique du sujet. Une action légale nécessiterait, pour se concrétiser, une expertise juridique et un groupe de citoyens engagés sur le long terme…

Quelques échos des participants

« J’ai beaucoup apprécié ce cycle. Merci de l’avoir organisé. Les vidéos étaient plus qu’intéressantes pour dresser un tableau exhaustif de la problématique. Les échanges étaient très enrichissants et éclairants. J’aimerais me tenir au courant des évolutions en matière de lois et de réglementations. »

« J’ai beaucoup apprécié la sélection de vidéos proposée, abordant le sujet sous différents aspects. J’ai bien aimé le brainstorming en début d’activité permettant à chacun de s’exprimer sur le sujet. Cela permettait de savoir quelles étaient les représentations de chacun et de prendre connaissance de leur façon de se situer par rapport à cette problématique. C’était stimulant pour entamer les échanges et poursuivre la réflexion pendant tout le cycle. »

« J’aimerais maintenant pouvoir agir et me retrouver avec un groupe de travail en vue de créer ou de développer des liens entre diverses initiatives existantes. Peut-être faudrait-il en créer d’autres comme le mouvement HOP en France ? »

« Beaucoup de choses intéressantes ont été abordées et échangées. L’approche méthodologique est bonne selon moi. J’aimerais maintenant approfondir davantage certains aspects économiques et sociaux. »

« J’ai particulièrement apprécié la dernière activité sur la réflexion autour des solutions. C’était la plus intéressante, à mes yeux, car je m’intéressais déjà depuis longtemps au sujet. Nous avions, dans le groupe, des niveaux de connaissances et de compréhension différents. Les échanges entre nous et avec les personnalités du secteur furent donc très enrichissants. Peu de personnes sont encore conscientes du problème et j’ai encore pu m’en rendre compte, ce matin, au cours d’une conversation avec mon garagiste. Poursuivre de telles activités est donc très utile pour amener plus de monde à réfléchir sur le sujet. »

« Je me posais des questions sur toutes ces machines qui se cassaient rapidement. Je savais qu’il existait des repair café et je suis venue au cycle car je voulais en savoir plus, mieux comprendre. J’ai appris beaucoup de choses. »

« J’ai bien apprécié le cycle dans son ensemble : structuré et souple à la fois. L’organisation des réflexions sous forme de « table question » est très agréable et dynamique. Elle a permis à chacun de s’exprimer… »

Plusieurs participant-e-s nous ont aussi envoyé des réactions par rapport aux questions qu’ils se posaient encore et des sujets qu’ils souhaitaient approfondir. Ceux-ci avaient, pour la plupart, été abordées pendant le cycle, étant donné la dynamique participative et auto-constructiviste de la démarche. Bien entendu, tout n’a pu être développé, tant le sujet est vaste…

En conclusion, notre objectif d’éducation permanente est avant tout de mettre les citoyens en éveil et de leur permettre de poursuivre eux-mêmes leurs réflexions au-delà du cycle, de se situer dans une démarche d’autonomisation pour la suite de leur cheminement personnel, sur une thématique donnée mais aussi collectivement… Nous les encourageons donc à poursuivre des rencontres entre eux et les invitons à rejoindre d’autres structures plus spécialisées sur l’un ou l’autre aspect du sujet. Ou même à en créer…

L’évaluation des bénévoles

Les retours des participants ont amené les bénévoles de notre association à conclure que le cycle d’activités a clairement contribué à une meilleure prise de conscience de la problématique de l’obsolescence programmée qui est souvent sous-estimée.

« Au départ, nous avons pu constater un manque général d’appréhension globale du sujet. Donc un accroissement de la compréhension, grâce aux échanges permis par le cycle, est un résultat dont il faut se féliciter. »

« En revanche, si nous avons bien senti, lors des échanges au fur et à mesure du déroulement des activités, un réel développement de l’esprit critique, il reste difficile de mesurer l’impact du cycle en termes de réel changement de comportement des participants. Un nouveau questionnaire, envoyé six mois après l’activité environ, pourrait être utile en ce sens. »

« Au terme du cycle, certain-e-s ont pu se documenter, lire des articles sur le sujet, alors qu’ils ou elles ne le faisaient pas avant. Ils expriment maintenant des intentions en termes d’action individuelle… Le projet a donc eu un réel impact au niveau des individus, de leur façon de réfléchir et de leurs capacités de réaction. »

L’impact de ce cycle sur l’obsolescence programmée fut donc également important pour les bénévoles impliqués dans la réflexion et le développement du projet, en termes d’approfondissement d’une problématique et d’acquisitions de nouvelles connaissances mais aussi en termes de rencontres et d’échanges citoyens. Et, in fine, en termes de « capacité citoyenne » à participer à la co-conception d’activités et à la co-animation d’échanges sous différentes formes…

« Pour les prochaines années, nous pensons que la réflexion autour de cette thématique doit être maintenue et développée car nous constatons, dans notre quotidien, que peu de gens en ont réellement conscience. La surconsommation se généralise et les impacts sur la planète sont conséquents. Or tout autour de nous pousse à surconsommer et les implications de ces modes de consommations sont encore et toujours mal connues, mal comprises et largement sous estimées du grand public. C’est pourtant un des enjeux majeurs de nos sociétés. »

Les bénévoles souhaitent donc poursuivre la réflexion sur la société de (sur)consommation mais aimeraient l’aborder maintenant sous un autre angle que celui de l’obsolescence programmée…

« Nous aimerions poursuivre et augmenter le nombre de citoyens et de groupes de réflexions car, plus il y aura de groupes, plus les possibilités de réseaux, de réflexions, d’idées, de créativité et donc de potentiels levier d’actions seront nombreuses… »

Conclusion

Cette vaste réflexion – et les réaction suscitées – ne fait que conforter Nature & Progrès dans l’idée que l’effort doit évidemment continuer, qu’il faut encourager le citoyen consommateur à agir plus encore. Comment ? En informant son entourage, en l’amenant à s’intéresser à ces questions par le biais notamment d’activités d’éducation permanente, mais aussi en reconsidérant drastiquement sa propre façon de consommer et en indiquant à ses représentants dans quel sens la réglementation doit absolument évoluer… Reste à savoir si les conditions mêmes de la consommation ne vont pas radicalement se transformer sous l’effet des crises en cours. L’avenir nous l’apprendra…

Comment les communes accueillent-elles l’habitat léger ?

L’habitat léger apporte de nombreuses solutions originales, à condition bien sûr de bénéficier des précieux conseils qui permettent d’en éviter les pièges, c’est ce que nous vous indiquions dans la cadre de précédents articles… Mais où s’installer ?, demandions-nous aussi dans les pages de Valériane n°140 ? Nous apportons de nouveaux éclairages dans le cadre d’une conversation – par vidéoconférence, Covid-19 oblige – avec Thibault Céder, de l’Union des Villes et Communes, que nous avions déjà accueilli lors du salon Valériane 2019. Extraits.

Par Dominique Parizel et Hamadou Kandé

Introduction

Mention « grande distinction », tout d’abord, pour l’excellent dossier publié dans Le mouvement communal n°948, de mai 2020, que vous pouvez consulter aisément sur le site Internet de l’Union des Villes et Communes (1). Il s’intitule « L’habitat léger en dix questions« , comprend un récapitulatif de toutes les questions importantes en la matière et devrait rapidement devenir un outil essentiel d’information et de sensibilisation des mandataires et des agents communaux.

« La question de l’habitat léger est récente, précise Thibault Céder, et la façon dont elle est appréhendée est assez différente d’une commune à l’autre. Certaines connaissent bien les questions liées au gens du voyage, ou celles qui sont inhérentes au plan HP – pour habitat permanent -, qui concerne nos concitoyens domiciliés dans des parcs touristiques. Elles sont souvent spécifiques aux communes concernées alors que l’habitat léger – un tout nouveau mode d’habitat – posera des questions transversales à toutes les communes. Toutes devront donc les examiner pour déterminer comment elles vont s’y prendre pour l’intégrer. »

Des questions nouvelles liées à l’habitat

Une dizaine de communes, pas plus, ont déjà eu l’occasion d’entamer leur réflexion sur l’habitat léger. Nous ne vous présentons plus Benoît Piedboeuf, maïeur de Tintigny, que nous avons également eu le plaisir d’accueillir à Valériane ; nous n’évoquerons plus l’expérience du « légendaire » quartier de la baraque, à Louvain-la-Neuve… Nous citerons peut-être la commune de La Louvière qui a récemment accueilli un « festival de l’habitat léger »…

« La grande majorité des communes découvre la question dans le cadre nouvellement fixé, poursuit Thibault Céder, qui ne donne guère d’assurance spécifique sur le long terme. Or chaque commune a ses propres contraintes : contraintes de territoire, zones éventuellement compatibles avec l’habitat léger, questions plus spécifiques liées à Natura 2000, à des zones inondables, à des zones forestières, etc. Et, bien sûr, il y a les inévitables questions politiques : c’est neuf et ce type d’habitat véhicule encore beaucoup de stéréotypes. Je compare volontiers cette question à celle du parement en bois des habitations, dont peu de communes prévoyaient l’intégration. Or, à présent, l’architecture contemporaine en intègre dans pratiquement toutes les nouvelles maisons ; cela ne pose plus le moindre problème. Une large explication et une sensibilisation sont passées par là pour que l’intérêt de l’autoriser soit bien compris par tous. Quelques années seront donc encore nécessaires avant que la question de l’habitat léger et l’intérêt qu’il présente pour un certain type de population soit intégré par tous. Si les communes se posent les bonnes questions, il me paraît certain que les bonnes réponses arriveront petit à petit… Toutes constatent l’émergence de questions nouvelles liées au fait d’habiter, d’une manière générale : questions liées à la densité, questions liées à la dépendance des personnes âgées, etc. Est-ce que l’habitat léger ne pourrait pas rejoindre, par exemple, l’ »habitat kangourou » pour faciliter l’encadrement de personnes âgées, en se posant de manière temporaire au fond du jardin d’un plus jeune ? Ces jeunes, eux-mêmes, y auront peut-être recours qui ne souhaitent plus s’endetter sur le long, aspirent à un retour à la nature, au circuit court, à la permaculture, etc. Nous nous adressons aujourd’hui à un public déjà acquis à la philosophie de l’habitat léger mais de nouveaux publics sont potentiellement concernés. Je pense, par exemple, aux étudiants ; i faut maintenant sensibiliser ces publics tout autant qu’il faut adapter l’habitat léger à leurs besoins mais son principe de modularité leur conviendra très bien, tant pour des questions financières que pour des questions de dépendance, d’indépendance ou d’interdépendance. Il peut, par exemple, permettre très facilement le regroupement de services ; il offre peu d’espace mais ses coûts sont limités ; il permet le regroupement rapide de communautés dont les besoins sont comparables…

L’habitat léger doit évidemment s’efforcer de sortir de la caricature qui en fait encore l’apanage d’une certaine forme de marginalité. Il n’est évidemment pas question non plus de parquer les vieux dans des campings, alors qu’ils avaient une belle maison… L’habitat léger est une piste d’avenir pour certains pans de la population mais à condition de s’inscrire dans la mixité, dans la pluralité des habitats… Certains de ses avantages peuvent déjà être facilement montrés : il permet, par exemple, d’habiter là où l’on cultive quelques hectares de maraîchage bio ou de permaculture. Il permet de lancer sérieusement un projet de vie, d’associer décemment vie quotidienne et travail, même si on n’a que peu de moyens… Notons cependant qu’un problème de financement peut se poser car, au niveau des banques, très peu de prêts semblent envisageables pour ce type de biens. Les prêts hypothécaires ne fonctionnement pas et les prix des habitats légers sont quand même trop élevés pour de simples prêts à la consommation. Peut-être faudrait-il interpeller les banques éthiques sur cette question ? »

Une expérience encore parcellaire

« Mais à cette ouverture, avertit Thibault Céder, correspondent aussi des craintes qui sont autant de freins. Que devient, par exemple, l’habitat léger, une fois que les personnes qui l’ont installé ne sont plus là ? Qui le reprend et à quelles conditions ? Un nouvel occupant ne va-t-il pas le transformer en quelque chose qui n’était pas convenu avec le voisinage ? Bref, comment donner à la commune des assurances dans le temps au sujet d’un projet précis ? Les yourtes, par exemple, font beaucoup parler d’elles… Certaines s’intègrent idéalement puis, quand l’occupant initial part, la yourte est subitement transformée en crèche ou en RBNB (2) et la relation avec le voisinage s’en trouve évidemment considérablement modifiée… Une yourte est rarement pensée en fonction de son isolation phonique et ceux font ce choix de vie sont plus souvent à l’extérieur que la moyenne des gens. Cela peut poser problème, au niveau du « vivre ensemble », avec la résonnance liée aux façades arrière des maisons à l’intérieur d’un îlot urbain. Certaines questions qu’on ne s’était jamais posées appellent donc des solutions nouvelles : soit on modifiera les yourtes, soit elles ne seront plus autorisées dans de tels endroits… Toutefois, une fois le permis délivré, il l’est de manière définitive. Seule l’expérience acquise permet donc aux communes d’être attentives au devenir des projets… Je pense que la crainte d’éventuels « quartiers ghettos » n’est plus guère présente que dans celles qui avaient connu le plan HP. Mais là aussi seule l’expérience acquise permet d’éviter que l’octroi de permis pour des habitations légères soit finalement préjudiciable à l’ordre ou à la sécurité publique… L’habitat léger concernant toutefois une habitation éparse sur un terrain donné, cela semble aisément évitable ; il s’agit essentiellement d’un habitat ponctuel même s’il est imaginable que des familles se regroupent dans le cadre d’un habitat léger groupé mais je n’en connais pas encore d’exemple. D’importantes questions restent donc à régler : elles ont trait à l’intégration urbanistique et aux rapports avec le voisinage Des règles de salubrité adéquates, une fois qu’elles seront définies, devraient également éloigner le spectre du bidonville. »

Le code du logement reconnaît l’habitat léger et lui assigne des objectifs précis. Toutefois, le ministre de l’aménagement du territoire n’a pas encore pris en compte cette question de l’habitat léger et doit donc modifier son code pour permettre la délivrance de permis, dans certains endroits précis. Tout cela sera défini… dans les prochaines années !

« Pour le moment, dit Thibault Céder, avec le code CoDT – pour Code de développement territorial – qui n’aborde pas directement la question de l’habitat léger, eh bien, on bricole. La nouvelle notion doit encore être intégrée dans les législations existantes et cela laisse parfois un grand vide. C’était prévu pour cette année… avant la crise du Covid-19 ! »

De nouveaux atouts entre les mains des communes

« L’habitat léger peut-il se mettre au service du logement social ? Une expérience à été tentée à Walhain, explique Thibault Céder, où il est utilisé pour des logements d’urgence : plutôt que de construire un seul logement en dur, vu les subsides disponibles, il a semblé préférable de s’orienter vers plusieurs logements légers afin de venir en aide à davantage de personnes…Toutefois, si une telle solution s’étend à des logements plus pérennes, comme les logements sociaux, surgira le problème d’appréhension du logement par l’habitant, qui reste très différente de celle d’un logement classique. Il faut être prêt à partager une philosophie nouvelle or la législation sociale ne permet pas, à l’heure actuelle, le choix du logement ; on est juste prioritaire dans une liste et, si un logement se libère, il est proposé. Être subitement appelé à vivre dans une yourte pourrait donc surprendre… Mais apprendre à bien habiter est sans doute un problème très général, du logement social notamment.

Les communes, dans le cadre de l’habitat léger, pourraient être amenées à associer des métiers que nous connaissons bien – menuisiers, ferronniers… -, ce qui offrirait des possibilités de mise à l’emploi…

« Cette question se posera immanquablement avec la crise que nous traversons, confirm Thibault Céder. Les problèmes économiques vont se multiplier et beaucoup plus de personnes, qualifiées ou non, seront en attente d’un travail. Le circuit court, qu’il s’agisse d’agriculture, de construction ou d’autre chose, sera une opportunité intéressante pour relancer l’économie locale. La volonté politique me semble réelle, au niveau de la région en tout cas, d’avancer vers l’économie circulaire. La crise sera un accélérateur pour éviter d’aller chercher ailleurs ce que nous sommes capables de faire nous-mêmes. Mais il y a un an seulement que la sensibilisation et la vulgarisation sont à l’œuvre dans les communes, auprès des agents et des mandataires, à propos de l’habitat léger… Les réponses qu’ils donnent aux questions que les citoyens se posent sont donc en cours d’élaboration, notamment avec l’aide de l’Union des Villes et Communes. Un bourgmestre ou un agent bien informés seront, à n’en pas douter, de bon conseil en la matière… »

Notes :

(1) http://www.uvcw.be/no_index/files/2587-mouvement-communal-948—mai-2020.pdf

(2) A l’origine, Airbnb est le nom d’une plateforme Internet payante de location et de réservation de logements de particuliers, créée à San Francisco, en 2008.

La pandémie due au Covid-19 parmi d’autres épidémies

Il est venu bouleverser nos vies, par un beau matin de printemps… Aujourd’hui, les traces laissées par de longues semaines de confinement continuent à nous faire réfléchir, même si le modèle économique dominant fait l’impossible pour nous persuader que le « retour à la normale » est déjà là… Mais en quoi nos existences ont-elles changé ? Cet épisode que nous traversons est-il grave, en regard de ce que l’humanité a déjà connu ? Est-il inattendu ? Un spécialiste des microbes et des virus nous aide à y voir un peu plus clair…

Par Jean-Pierre Gratia

Introduction

Partout dans le monde, on s’active pour comprendre comment fonctionne ce nouveau virus et on écrit beaucoup à son sujet, probablement trop. Il y a de la part de plusieurs éditorialistes, commentateurs ou « apprentis experts » pas mal d’inexactitudes et de propos divergents peu rationnels. Je ne m’y étends pas ici, de même que je n’aborde pas les questions qui font polémique et qui n’ont d’ailleurs pas un appui inconditionnel des experts, comme l’immunisation collective, l’origine du virus ou le traitement à l’hydroxychloroquine (1).

Structure et mode d'action du virus

Un peu de science d’abord. Parmi les virus respiratoires, c’est le septième rétrovirus du type coronavirus identifié comme transmissible à l’homme. Parmi ces virus, il y en a trois qui sont à l’origine de maladies parfois mortelles :

– le syndrome respiratoire aigu (Sras), qui a fait des centaines de morts en 2002-2003,

– le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (Mers), qui a sévi en Arabie Saoudite en 2014,

Covid-19, à l’origine de la pandémie actuelle, qui a déjà tué plusieurs centaines de milliers de personnes dans le monde.

Le génome du Covid-19 consiste en une molécule d’ARN à une seule chaîne de près de trente mille nucléotides et comprend quinze gènes. Il dériverait du génome du Sras-CoV qui fait environ la même taille, à une centaine de nucléotides près. Dans les deux cas, le gène le plus important code pour une longue protéine, qui est ensuite coupée pour libérer des protéines structurelles et enzymatiques du virus. Le deuxième gène important est celui qui code la protéine S pour les spicules, qui sont les protéines ancrées dans la coquille lipido-protéique entourant la particule de virus (Fig. 1a) et qui permettent l’entrée du virus dans les cellules cibles du tractus respiratoire et gastrique. Les deux virus possèdent la même protéine S – 99% d’identité – et utilisent donc la même « porte d’entrée » pour infecter les cellules, le récepteur cellulaire qui est une autre protéine – l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2, ou ACE2 – qu’on retrouve à la surface de nombreuses cellules du corps humain (Fig. 1b). Mais, dans le cas de Covid-19, la force de cohésion de la protéine S au récepteur cellulaire est au moins dix fois supérieure à celle de la protéine S du Sras, ce qui rend le Covid-19 plus contagieux.

Infection, réponse à l'infection par le Covid-19 et prévention

La contagiosité du Covid-19 dépend de son taux de transmission (R0) qui désigne le nombre moyen de personnes saines qu’un malade peut contaminer. Quand R0 est inférieur à 1, la maladie ne se diffuse pas et n’atteint pas le stade de l’épidémie. Quand R0 est égal à 1, le nombre de contaminations reste stable, sans provoquer de pic épidémique, mais quand il est supérieur à 1, la maladie se propage de façon exponentielle et provoque une épidémie, voire une pandémie. Le R0 du Sras était compris entre 2 et 5, selon les stades de l’épidémie. Pour le Covid-19, il serait supérieur mais reste à préciser, au fur et à mesure de l’évolution du nombre de cas. Tous les deux se transmettent via des microgouttelettes expulsées lors de quintes de toux, d’éternuements ou de bavardages entre personnes rapprochées.

La charge virale d’un individu infecté, qui le rend contagieux, semble la même chez l’enfant que chez l’adulte, mais la réponse à l’infection n’est pas la même chez l’enfant infecté, où elle est non apparente, que chez l’adulte – surtout âgé – qui, très vulnérable, peut mourir. La distribution des cas sévères en fonction de l’âge est inhabituelle pour une pandémie. La grippe, surtout pendant la première vague d’une épidémie, entraîne presque toujours plus de décès chez les moins de soixante-cinq ans, surtout chez les jeunes enfants. La réponse résiderait dans la combinaison de deux effets : le vieillissement du système immunitaire et les particularités du Covid-19. Une autre question non résolue concerne le décès inattendu chez de rares enfants et, en revanche, la guérison d’une personne aussi âgée que notre compatriote Marie-Henriette qui a contracté la maladie… à cent six ans !

On ignore jusqu’à quand la pandémie va persister et sur quelle étendue dans le monde. Normalement, il devrait y avoir progressivement immunisation mais on ignore si elle sera suffisante et persistante. Pour certains virus, comme celui de la rubéole, de la rougeole ou de la variole, on procède à la vaccination qui protège, pendant à peu près toute la vie, mais ce n’est pas le cas d’autres virus dont le HIV du Sida – un autre rétrovirus. Pour que le vaccin soit efficace, il faut qu’il induise des anticorps neutralisants, c’est-à-dire des immunoglobulines qui bloquent l’antigène de surface de la particule virale. Quand cet antigène change, comme c’est le cas de la grippe saisonnière ou du Sida, l’immunité est nulle ou partielle. Le traitement par antiviraux n’est efficace que quand ils agissent synergiquement au niveau de différentes cibles pour bloquer les premières phases de l’infection et la réplication du génome. C’est pour cela qu’on recourt à la trithérapie pour les HIV- séropositifs.

Histoire des épidémies et pandémies

Des pandémies ont toujours existé et on doit s’attendre à ce qu’elles se répètent régulièrement avec un taux de mortalité élevé. Il y a d’importantes différences au niveau du nombre de morts selon ces maladies ; il serait vain de les comparer car elles ont eu lieu à des endroits et à des époques où l’assistance sanitaire était très inégale. On prétend, par exemple, que la pandémie à Covid-19 est moins importante que la grippe espagnole, en 1918. C’est possible puisque cette dernière a fait plusieurs millions de morts. Il faut toutefois noter qu’à cette époque l’assistance médicale était nettement insuffisante et que le Covid-19, à ce moment-là, aurait fait aussi de très nombreuses victimes.

Il y a eu probablement des pandémies avant notre ère, au temps des dinosaures ou peut-être de l’homme de Néandertal… La première pandémie connue, identifiée comme telle, est la Peste Antonine, qui eut lieu entre 165 et 180 de notre ère, appelée ainsi mais probablement due au virus de la variole. Après la Peste de Justinien, qui a fait plusieurs millions de morts en 541, est survenue une épidémie de variole, au Japon en 735. Le virus de la variole, de la famille des poxviridae à ADN bicaténaire, y a fait alors entre un et deux millions de morts mais en a fait cinquante fois plus, au Mexique en 1520.

Les XXe et XXIe siècles ont connu diverses grippes mortelles, à commencer par la fameuse grippe espagnole en 1918, qui est due au virus de l’influenza H1N1 – H1 pour hémagglutinine de type1 et N pour la neuraminidase-type 1, servant toutes deux à la fixation de la particule à la cellule à infecter. Après d’autres grippes – grippe asiatique en 1957, grippe de Hong-Kong en 1968, grippe porcine en 2009 – est venue l’épidémie Ebola, causant la fièvre hémorragique responsable de onze mille, morts essentiellement au centre de l’Afrique, de 2014 à 2016. Le virus, découvert par un médecin belge, Peter Piot de l’Institut tropical d’Anvers, présente un génome constitué d’ARN monocaténaire de polarité négative et d’environ dix-neuf mille bases, à l’intérieur d’une particule longue par concaténation de particules plus courtes. Cet ARN code sept protéines structurelles, l’ARN polymérase ARN-dépendante et des nucléoprotéines.

Les épidémies et pandémies concernent autant les microbes que les virus – ceux-ci se distinguant des premiers, seuls doués de vie. La peste bubonique au XIVe siècle était due à la bactérie Yersinia pestis, du nom de son découvreur Alexandre Yersin de l’Institut Pasteur de Hanoi, qui infectait les rats. Transmise à l’homme par des puces, elle a fait deux cents millions de morts. En janvier 1349, les habitants de Londres venaient d’être informés d’une dévastation ailleurs en Europe, à Florence notamment où 60 % de la population sont morts de la peste. Ils l’ont appelée la « mort noire » – Black Death – qui a finalement atteint les ports anglais accueillant les bateaux provenant du continent. La peste s’est alors étendue causant la mort de la moitié de la population londonienne, ainsi que celle de plus de 30 % de la population en Europe. Les symptômes étaient douloureux, dont la fièvre, des vomissements, des saignements, des pustules sur la peau et des nodules lymphatiques, d’où son nom de peste bubonique. La mort survenait en trois jours. Au XVIIe et XVIIIe siècles, les grandes pestes ont régulièrement ravagé l’Europe.

Parmi les autres épidémies d’origine microbienne, le choléra est dû à la bactérie Vibrio cholerae. Strictement limitée à l’espèce humaine, elle est caractérisée par des diarrhées brutales et très abondantes – gastro-entérite – menant à une sévère déshydratation. En l’absence de thérapie par réhydratation orale, la forme majeure classique peut causer la mort, dans plus de la moitié des cas, en l’espace de trois jours dès les premières heures. La contamination est d’origine fécale, par la consommation de boissons ou d’aliments souillés. Limitées initialement à l’Asie – Inde, Chine et Indonésie -, les épidémies de choléra se développent, au XIXe siècle, en véritables pandémies qui atteignent le Moyen-Orient, l’Europe et les Amériques. La puissance du choléra est démultipliée par le passage de la marine à voile à la vapeur, et par l’arrivée du chemin de fer. La France fut touchée par une épidémie au printemps 1832, après la Russie en 1828, la Pologne, l’Allemagne et la Hongrie en 1831, Londres début 1832. Puis l’épidémie revient en France, en 1854, et y fait cent quarante-trois mille morts…

Chronologie des épidémies connues, avant celles dues aux coronavirus (2)

Année(s)

Nom

Agent pathogène

Zone géographique

Nombre de victimes

 

165-180

Peste Antonine Peste

Virus de la variole

Empire romain

5 millions

 

541-542

Peste de Justinien

Yersinia pestis

Europe et Bassin méditerranéen

30 à 50 millions

 

735-737

Epidémie de variole

Virus de la variole

Japon

 

1 million

1347-1351

Peste noire

Yersinia pestis

Europe

25 millions

 

1520

Epidémie de variole

Virus de variole

Europe

56 millions

 

XVIIe siècle

Grande Peste

Yersinia pestis

Europe

3 millions

 

XVIIIe siècle

Epidémie de variole

Virus de variole

Amérique du Nord

90 % des Amérindiens

 

1817-1923

Pandémies de choléra

Vibrio cholerae

Monde

1 million

 

1855-1920

Pandémies de peste

Yersinia pestis Monde

12 millions

 

 

1889-1890

Grippe russe

Virus influenza H3N3

Monde

1 million

 

Fin XIXe siècle

Fièvre jaune

Flavivirus

Monde

moins de 100.000

 

1918-19

Grippe espagnole

Virus influenza H1N1

Monde

40 à 50 millions

 

1957-58

Grippe asiatique

Virus H2N2

Monde

1,1 million

 

1968-70

Grippe de Hong-Kong

Virus H3N2

Asie

1 million

 

1981-?

Sida

Rétrovirus HIV

Monde

35 millions

 

2009-10

Grippe porcine

Virus H1N1

Monde

moins de 200.000

 

2014-16

Ebola

Virus Ebola

Afrique centrale

moins de 11.000

 

Les interactions homme - animal

Il semblerait que le premier foyer de peste bovine signalé en Afrique de l’Est, en 1887, ait décimé 90 % du cheptel bovin et provoqué une famine généralisée. Les récentes épidémies de fièvre de West Nile et d’influenza aviaire et la hausse de la rage en Europe de l’Est et en Asie attestent de la vitalité des maladies émergentes dans le monde. Elles présentent une menace croissante pour la santé publique et, à peu près chaque année, une nouvelle maladie d’origine animale apparaît et présente un risque pour la population mondiale. Les souches de virus de la grippe apparaissent souvent par l’interaction de populations humaines, porcines et aviaires. C’est ainsi que le XXe siècle a été témoin de trois pandémies de grippe d’origine animale probable :

– la grippe espagnole, en 1918, dont le virus aurait dérivé d’une souche provenant d’une espèce animale, notamment aviaire, réservoir naturel de bon nombre de virus,

– la grippe porcine, en 1957,

– la grippe aviaire, en 1968.

Selon plusieurs équipes de chercheurs, certaines chauves-souris auraient été des réservoirs naturels du virus Ebola. La dernière épidémie survenue, en 2007 en République démocratique du Congo, a suggéré que le virus pouvait passer directement du chiroptère à l’Homme. Suite aux nombreuses épidémies de peste et de typhus qui ont perduré jusqu’au milieu des années cinquante, on a trouvé des anticorps dans le sang des animaux domestiques, d’où la conclusion d’une possible transmission de l’agent pathogène dans les deux sens.

Propagation et impact socio-économique des épidémies

Parmi les facteurs de propagation des épidémies, la circulation continue de personnes est évidemment importante. L’avion est donc aujourd’hui un facteur clé au niveau mondial car les lignes sur lesquelles il y a de gros flux de passagers créent des chemins préférentiels pour l’agent pathogène. Il est possible que si la Chine avait fermé ses aéroports très tôt, en novembre 2019, le Covid-19 n’aurait pas déclenché de pandémie. Corrélativement, chez les animaux, les épidémies sont notamment portées par les animaux migrateurs.

Aussi loin qu’on remonte dans le temps, les épidémies peuvent décider de l’issue d’une bataille. Qu’on pense à la guerre d’Éthiopie où l’on doit remercier le bacille de la typhoïde. Pendant la retraite de Russie de Napoléon, on a dénombré davantage de soldats français morts du typhus – maladie due à une bactérie du groupe des Rickettsies – que tués par l’armée russe. La peste, l’anthrax – ou charbon -, la dysenterie, le typhus, la typhoïde, le choléra, la gangrène gazeuse, le botulisme furent parmi les maladies étudiées comme vecteurs possibles de propagation d’épidémies, et aussi comme base de l’arme bactériologique. En Asie, le riz permettait d’attirer les rongeurs qui, une fois piqués par les puces, devenaient à leur tour porteurs de Y. pestis, découvert durant une épidémie de peste à Hong Kong. Cette épidémie a donné l’occasion au Japonais Shiro Ishii d’inoculer ce bacille à plusieurs prisonniers servant de cobayes, dès 1933, puis lors de la guerre contre les Etats-Unis où des prisonniers furent employés.

Les épidémies ont un impact socio-économique évident. La première constatation réside dans l’inégalité sociale dans la mort qu’elles causent (3). Ainsi le Covid-19 a-t-il fait beaucoup plus de victimes chez dans la population noire que dans la population blanche, à Washington notamment. Lors de la peste à Londres, en 1349, les autorités construisirent un très grand cimetière appelé Smithfields pour enterrer le plus grand nombre de victimes possible, ce qui aux yeux des croyants permettrait à Dieu « de reconnaître les siens », au jour du Jugement Dernier. Bien que le chroniqueur de l’époque ait écrit que les riches autant que les pauvres n’ont pas été épargnés, les recherches archéologiques, dans ces cimetières, ont révélé des inégalités sociales et économiques. La peste est revenue en Angleterre au XVIIe siècle, et là encore, se sont produits des affrontements socio-politiques.

Au XVIe siècle, en Amérique du Nord, la variole a affecté les communautés Cherokee, tuant 30% des personnes infectées. Les conditions sociales en cette période coloniale ont amplifié l’impact des facteurs biologiques. Plus tard au XVIIIe siècle, une épidémie de variole a encore eu lieu au Sud-Ouest des Etats-Unis. Elle a coïncidé avec les attaques contre les communautés Cherokee, où les britanniques ont brulé les fermes et forcé les habitants à fuir leur maison, causant la famine et l’expansion de la variole.

Quelles seront les conséquences politiques, sociales et économiques de la pandémie Covid-19 ? Interrogeons encore l’histoire, surtout au cours de cette Anthropocène (4). Les pandémies sont les inévitables compagnons de l’expansion économique. Sous l’Antiquité, des réseaux commerciaux interconnectés et des villes très peuplées avaient déjà rendu les cités plus riches mais aussi plus vulnérables, tout comme notre économie mondiale intégrée. Les effets du Covid-19 seront cependant très différents de ceux des virus du passé qui frappaient des populations bien plus pauvres et dotées de moins de connaissances sur les virus et les bactéries. Le nombre de victimes devrait être bien moindre que celui de la peste noire ou de la grippe espagnole mais, toutes proportions gardées, les catastrophes sanitaires d’antan peuvent donner des indications sur les changements que risque de connaître l’économie mondiale face au coronavirus.

Le coût humain des pandémies est terrible mais les effets à long terme sur l’économie ne le sont pas toujours. La peste noire a fait un nombre de victimes stupéfiant – entre un et deux tiers de la population de l’Europe d’alors ! – et elle a naturellement laissé des cicatrices durables. Cependant, au sortir de cette peste, les terres arables vacantes sont soudain devenues abondantes. Ce qui, ajouté à la pénurie brutale de main-d’œuvre, a renforcé le pouvoir de négociation des paysans face aux propriétaires terriens et a contribué à l’effondrement de l’économie féodale.

Vers une nouvelle Anthropocène

Le confinement nous a contraints à limiter notre genre de vie, devenu excessif dans certains cas, par exemple, au niveau voyages en avion avec à la clé des week-ends passés dans un aéroport inconfortable, attractions diverses, restaurants rassemblant un grand nombre de personnes dans des espaces restreints. Certes, cet épisode de confinement a été pénible pour les commerçants, les industriels, les viticulteurs, les chauffeurs de taxis, les professionnels de la culture, les artistes, les organisateurs des expositions, les étudiants, etc. Ainsi que pour tous ceux qui durent soigner les malades, évidemment…

Par contre, pour le consommateur pas trop exigent, cela a parfois été une expérience plutôt bénéfique, sur le plan économique comme sur le plan culturel. Il a fallu réinventer des loisirs at home avec la lecture et, à cette occasion, les enfants ont fait preuve de créativité, ce qui est manifestement positif. Le silence et le calme ont réapparu, l’air est redevenu normalement respirable et la production de gaz à effet de serre a été réduite de 7%, se rapprochant ainsi de la norme prévue par les Accords de Paris.

Quand tout redeviendra possible, il serait bon d’en tirer la leçon et de limiter les voyages en avion pour satisfaire les jeunes qui, dans les manifestations, arboraient des pancartes où on pouvait lire : « Moins de kérozène, plus de chaleur humaine« , réduire les déplacements qui ne sont pas indispensables et acheter localement. Il est souhaitable que des hommes politiques responsables fassent peser de tout leur poids des arguments en faveur d’une nouvelle Anthropocène où l’économie rejoint l’écologie…

Notes :

Le Covid-19 chez les malades hospitalisés, et augmentent même le risque de décès et d’arythmie cardiaque. The Lancet a cependant annoncé, le 4 juin, le retrait de cette étude, publiée le 22 mai. Elle avait été suivie, en France, d’une abrogation de la dérogation permettant l’utilisation de cette molécule contre le Covid-19 et la suspension d’essais cliniques destinés à tester son efficacité.

(2) D’après L’histoire des pandémies, dans Courrier International 1537 (16 avril 2020), 34-35.

(3) Blow Ch. (2020), Les Noirs en première ligne. Courrier International 1537 (16 avril 2020), 24; Wade L. (2020), An unequal blow. Science Weekly News, May15, pp. 700-703. DOI: 10.1126/science.368.6492.700

(4) Terme introduit par Paul Josef Crutzen pour désigner la période géologique qui a suivi la Révolution industrielle.

Manger sain, oui, mais quoi et pourquoi ?

Partage d’une expérience enrichissante et conviviale à Ottignies- Louvain-la-Neuve. Message des membres de la locale de Nature & Progrès du Brabant-Ouest

« Notre santé est trop précieuse pour la confier à l’industrie agro-alimentaire dont la préoccupation première n’est certainement pas la santé ni le bien de la planète. Prenons les choses en main nous-mêmes. On peut trouver, autour de nous, des gens et des associations qui nous aident. »

Dans le souci d’adopter une alimentation qui contribue à notre bonne santé, ces membres se sont questionnés : sur leurs habitudes alimentaires, sur la pratique d’un régime strict, sur l’impact de leur consommation… Sommes-nous vraiment maîtres de notre alimentation ou subissons-nous la marchandisation du système agro-alimentaire moderne ?

Par Elise Jacobs

Introduction

Est née alors la volonté d’organiser un « Cycle sur l’Alimentation Saine et Durable » qui a englobé plusieurs conférences participatives. Ce projet s’est développé dans le cadre des activités d’éducation permanente de Nature & Progrès afin d’entamer une réflexion collective sur le sujet mais aussi dans le but de rencontrer des personnes soucieuses de la qualité de leur alimentation.

« Je me sens consomm’actrice car je suis persuadée que c’est une bonne voie vers l’autonomie et la gestion de sa santé mais aussi un bon choix pour notre Terre Mère et les petits producteurs. »

Environ soixante personnes sont venues assister aux conférences. La plupart des participants étaient à la recherche d’une alimentation pouvant améliorer leur santé mais qui soit aussi en accord avec les valeurs que partage Nature & Progrès, comme l’écologie, le respect de la vie et de la terre.

« J’ai apprécié la possibilité de confronter pas mal de points de vue et d’avoir des discussions intéressantes sur des questions que je me pose depuis plus de vingt-cinq ans. »

Le cycle a englobé six conférences-débats et une balade à la découverte des plantes sauvages et comestibles. Elles avaient pour objectifs d’informer, de valider ou de remettre en question les idées préconçues sur le concept de l’alimentation saine et durable mais également de s’informer sur différentes pratiques alimentaires, telles que la naturopathie, l’alimentation ancestrale, le gluten, les légumineuses et le jeûne. Nous avons abordé notamment l’impact de nos habitudes alimentaire sur la santé, l’environnement et le climat.

In fine, tous les conférenciers ont transmis le même message : l’urgence de revenir à une alimentation raisonnée qui soit en accord avec nos besoins morphologiques, notre mode de vie, les aléas de l’existence et le lieu où l’on vit. Une bonne santé est inévitablement liée à une alimentation variée et locale qui passe par des produits frais issus de l’agriculture biologique.

Les six conférences du cycle

– 3 octobre 2019 « Existe-t-il un régime type pour toutes et tous ? », par Régis Close, naturopathe,

– 7 novembre 2019 « Alimentation ancestrale v/s moderne : quel impact sur la santé ? », par Yves Patte, coach en nutrition,

– 5 décembre 2019 « Le gluten, faut-il en avoir peur ? », par Myriam Francotte, naturopathe et thérapeute énergicienne,

– 16 janvier 2020 « L’urgence nutritionnelle en lien avec les enjeux environnementaux », par Lucie Bailleux, diététicienne – micronutritionniste,

– 13 février 2020 « Protéines vertes et légumineuses… Chiche ! », par Françoise Hendrickx, sciences psychopédagogiques et sciences de l’environnement,

– 12 mars 2020 « Le jeûne thérapeutique a-t-il une place dans notre alimentation ? », par Fatiha Aït Saïd, praticienne de santé, naturopathe, formatrice et fondatrice de l’ISNAT.

« Au bout de six conférences, je constate que c’est vraiment à nous de trouver ce qui convient le mieux à notre santé. Végétarisme ou pas ? Légumineuses ou pas ? Toujours en étant vigilants sur la qualité des produits. »

« Ces conférences ont consolidé mes arguments en faveur du temps que je dédie à mon potager ou à aller chez mes voisins producteurs. Aujourd’hui, encore plus qu’hier, je prends plaisir à cuisiner moi-même et à aller vers des nouvelles recettes en intégrant davantage de variétés locales dans mes menus. »

L’alimentation idéale existe-t-elle ?

Nous pouvons retenir qu’il y a une base commune à respecter : manger des fruits et légumes frais, issus de l’agriculture biologique, de saison, de proximité et le moins transformés possible. Manger de la viande, du poisson – pour ceux qui en mangent – issus de pratiques biologiques et si possible de proximité, ce qui, grâce au contact direct avec les producteurs, nous apporte un gage de qualité et de confiance. Il vaut mieux aussi éviter les excès, de sucre et d’alcool, par exemple.

L’alimentation idéale n’existe pas vraiment, pour preuve, on peut observer différentes intolérances liées à certaines pathologies. Les conférences nous ont montré qu’il faut adapter notre régime alimentaire aux spécificités de notre morphologie et de notre routine quotidienne. Et parce que, tout simplement, certaines personnes digèrent mieux certains aliments que d’autres… C’est à chacun, chacune d’entre nous, d’apprendre à se connaître, de faire preuve de bon sens. Voire de se faire accompagner par un nutritionniste et/ou naturopathe pour adapter au mieux son alimentation.

Nous avons aussi compris l’importance de revenir à des habitudes saines, comme de savoir cuisiner des aliments non transformés qui est la garantie de manger des produits non contaminés par des additifs alimentaires. Savoir bien gérer ses stocks permet d’éviter le gaspillage alimentaire.

« Je me considère comme consomm’actrice pour l’alimentation, en veillant à avoir des produits bio, de saison et de proximité, en refusant les produits issus de l’industrie agro-alimentaire. Et pour le reste, en essayant de privilégier le zéro déchet, le seconde-main, le recyclage et la sobriété. »

Des habitudes alimentaires renouvelées

Une autre évidence est mise en lumière : par rapport à notre enfance, nos habitudes alimentaires ont changé. Soit, nous mangeons plus de riz et de pâtes, et moins de viande et de graisses. Soit, après avoir connu des problèmes de santé ou parce que l’on est devenue maman, notre rapport à l’alimentation a changé. Nous comprenons qu’elle joue un rôle fondamental dans notre bonne santé. Nous commençons à lire, à nous renseigner, à nous former et à penser différemment. Nous remettons en question ce qu’on nous vend en promo ou par vague de mode alimentaire car nous comprenons que ce sont des inventions de marketing et de la société de consommation. Le choix va même, pour certaines, de ne plus se fournir en grande surface. Nous ne sommes, de cette manière, plus soumises ni influencées par le marketing.

« Je suis curieuse et j’aime tester ce que je ne connais pas mais cela reste toujours dans les limites de mon alimentation habituelle : bio, de saison et proximité. »

Un message aux jeunes générations

Privilégiez le bio : non seulement parce qu’il réhabilite les sols mais aussi parce que, dans la plupart des cas, ce choix permet aux producteurs de vivre plus décemment de leur labeur. Privilégiez les producteurs locaux car, ce faisant, ils privilégient, dans le même temps, l’emploi et diminuent l’empreinte carbone liée aux transports.

Essayez d’organiser le fait de cuisiner de manière ludique en vous débarrassant des vieux clichés « maman dans la cuisine et papa au salon devant la télé », c’est vraiment has been !

Privilégiez le « fait maison », plutôt que les plats cuisinés du commerce, afin d’améliorer l’équilibre alimentaire et ne pas encourager l’obésité.

Que le moment des repas redevienne un vrai moment privilégié, de partage, de dialogue et pas avec chacun dans sa bulle, prêt à réagir au moindre bip de son smartphone, trop souvent à portée de regard. Faites-en une bulle familiale plutôt que le prolongement de chaque bulle individuelle, individualiste…

Manger bio, local et de saison est-il accessible pour tous ?

Lorsque l’on commence à se questionner sur la manière d’améliorer la qualité de ses aliments, les alternatives surgissent rapidement. On commence à lire les étiquettes et on cherche des points de vente en accord avec ses valeurs. Et, si on continue d’aller en grandes surfaces, on priorise les marques labellisées bio.

Il y a de plus en plus de petits producteurs et de magasins bio partout en Wallonie. Les Groupes d’Achats Communs – GAC, GASAP -, nous donnent accès aux huiles, farines, fruits, etc. qui sont produits en bio et en Europe.

Si nous en avons le temps, la possibilité, la patience et l’envie, avoir son propre potager est un atout supplémentaire car il n’y a pas mieux pour être sûr de la qualité. En plus d’avoir un impact presque zéro en termes de pollution ou de produits nocifs, de déchets, de transports et d’emballages…

Comme nous aimons toutes le café et/ou le chocolat, notre solution est de nous diriger vers des produits du commerce équitable.

« Non, se nourrir en bio ne coûte pas forcément plus cher ! »

Cependant, nous devons reconnaître que ces nouveaux comportements impliquent que toute la famille doive suivre ce changement, ce qui n’est pas évident ! Et qu’il faut faire des efforts pour adapter notre budget ou comment nous choisissons de le dépenser. Des efforts sont aussi demandés pour sélectionner et prioriser nos achats, pour nous déplacer jusqu’à la ferme de notre région, pour prendre le temps de cultiver un potager et, surtout, pour prendre le temps de cuisiner. De beaux défis à relever !

« Ce n’est pas toujours facile. Mais c’est important pour la planète. »

Nous nous laissons évidemment encore tenter par des écarts. Mais lorsque qu’on oriente son engagement vers un autre type d’alimentation, la marche arrière est rare. Et les réflexions pour s’améliorer nombreuses.

« Mon potager contribue beaucoup à mon alimentation saine. Nous privilégions les légumes, les herbes aromatiques, les petits et les grands fruits du jardin. Et aussi les plantes sauvages du fond du jardin, ainsi que les récoltes lors de balades. »

Un message aux politiciens

Renforcez la lutte contre les pesticides et les OGM, écoutez les voix des scientifiques indépendants qui vous alertent sur le déclin de la biodiversité et la pollution émanant des mauvaises pratiques.

Donnez les moyens d’instaurer des vrais contrôles dans les abattoirs, pour le respect des animaux, l’interdiction de l’abattage sans étourdissement et l’obligation de mentionner les pratiques d’abatages sur les emballages de viande afin de rendre le consommateur conscient de son propre choix.

N’importez pas des aliments que l’on a ici !

De grâce, arrêtez de vous laisser mener par le bout du nez par l’industrie agroalimentaire pour des raisons soi-disant économiques ! C’est un leurre. L’économie peut prendre un autre chemin et la tendance s’inverse tout doucement…

Les gens sont de plus en plus conscients que c’est leur demande qui crée l’offre, et pas l’inverse.

Une agriculture locale pour nourrir correctement les gens

Bien sûr qu’il y aura toujours une économie. Passée la crise du Covid-19, nous n’allons pas tous nous transformer subitement en statues de sel. Bien sûr que les états la relanceront : ils sont là pour cela ! Mais quel cap vont-ils choisir ? Et d’ailleurs qu’est-ce qui germe déjà au cœur de nos sociétés et qui sera sans doute incontournable ? Toute la question est là. Voici quelques observations issues du « confinement », qui n’ont certes pas la prétention d’épuiser la question, et une proposition majeure, tout de même, pour transformer notre agriculture…

Par Marc Fichers

Introduction

Les débatteurs autorisés semblent considérer qu’il n’y aurait aujourd’hui que deux options défendables pour redémarrer l’activité :

– la plus simple, c’est le pansement : on sélectionne des secteurs en grandes difficultés et on déploie aides et accompagnements divers, en faisant allègrement tourner la planche à billets, dans l’espoir de redonner, à travers eux, un peu de souffle au mourant ;

– la plus compliquée est celle qui tient compte des réalités : on profite de la situation pour définir un cap audacieux mais qui paraît inévitable. C’est bien sûr l’option que nous soutenons et nous allons tenter d’étayer cette proposition en partant du secteur économique que nous vivons au quotidien, c’est-à-dire notre alimentation et notre agriculture…

Bien sûr, l’objection qu’on nous fera semble évidente : il s’agit justement du secteur économique qui n’a pas souffert de la crise. Beaucoup de gens n’ont sans doute jamais aussi bien mangé car ils n’avaient sans doute plus que cela à faire pour tromper leur angoisse… Mais, au-delà de cette apparence de prospérité, certains constats navrants n’ont pas fait la une de nos journaux. Et d’autres sont sans doute généralisables car la crise globale ne date évidemment pas d’hier. L’agriculture et l’alimentation non plus d’ailleurs…

Covid-19 : une loupe impitoyable sur nos erreurs

Avant le Covid 19, fait-on mine de prétendre aujourd’hui, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes… En réalité, l’agriculture wallonne produisait à profusion et on laissait croire aux Wallons qu’elle nourrissait la population locale. Quel incroyable mensonge ! Car que voit-on dans les champs et les fermes dont sommes entourés ? Le tableau est assez facile à brosser :

– de vastes étendues de céréales mais qui ne servent guère à nourrir ceux qui vivent à proximité : deux petits tiers sont donnés au bétail, un quart est volatilisé en biocarburant, et le reste produit, en effet, un peu de farine…

– des champs de patates à perte de vue : pourquoi la Wallonie a-t-elle à ce point développé cette culture ? Par goût de la frite ? Pas seulement car nous produisons à peu près dix fois ce que nous consommons… Notre région – enfin, quelques usines à chips – s’enorgueillit d’exporter un partout dans le monde, en « croquant » bien sûr elle-même les importantes nuisances dues aux pesticides ;

– des élevages de porcs et de poulets qui fournissent également les marchés d’exportation mais en petites quantités, heureusement, par rapport à nos voisins flamands et hollandais ;

– des vaches laitières dont la production se retrouve bien dans nos bouteilles – et un peu dans nos fromages et notre beurre – mais est surtout exportée sous la forme de poudre de lait…

En résumé : de gros bateaux arrivent chez nous remplis des céréales pour faire notre pain, avec du soja et du maïs pour nourrir notre bétail… Puis ils repartent comme ils sont venus mais pleins de frites surgelées ! Cherchez l’erreur !

Le bénéfice pour le Wallon est, en effet, des plus discutables : il subit la pollution de plus de trente mille hectares de culture de pommes de terre – une des plus pulvérisées qui soient – pour le seul et unique bonheur d’expédier sa frite légendaire à l’autre bout du monde. En production laitière, le bilan n’est guère plus rose puisque la poudre de lait que nous exportons jusque sur les marchés africains concurrence la production locale et met en grave péril les petits fermiers locaux. Cette peu glorieuse course à l’import-export pouvait encore durer longtemps si un petit virus, particulièrement vicieux, n’était pas venu enrayer la machine… La crise du Covid-19 a tout stoppé net, en quelques jours à peine ! Car, si le transport s’arrête, le flux des matières premières s’arrête avec lui. Terminés les marchés d’exportation, terminée l’arrivée massive du soja américain. La première conséquence fut un effondrement des marchés : la patate wallonne, aujourd’hui, ne vaut pas plus que le pétrole de l’oncle Trump ! Pareil pour les œufs, la viande de poulet et la viande de porc… Faut-il en rire ou en pleurer ?

Manger bio : la valeur refuge

Les consommateurs, eux, ont modifié leur comportement d’une façon que certains ont jugée étonnante : ne se sont-ils pas rués sur les produits simples, et notamment sur les paquets de farine ? Au point que certains petits conditionnements furent rapidement en rupture de stock ! Vous savez quoi ? Eux aussi venaient de Chine… Plus sérieusement, nos concitoyens ont fait la part belle aux produits bio, marquant une nette préférence pour les magasins de producteurs, à tel point que ceux-ci sont aujourd’hui dépassés par l’ampleur du travail à fournir, mais tellement heureux que leur choix soit une fois de plus plébiscité. Plus généralement encore, les gens semblent avoir redécouvert les joies de jardiner et de cuisiner : les rayons de semences potagères furent littéralement dévalisés, en commençant bien sûr par les semences bio… Nombreux sont enfin ceux qui se sont mis à faire leur propre pain, en poussant la recherche d’autonomie jusqu’au bout, puisque le mot qui sortit en tête dans les moteurs de recherche, au début du confinement, était le mot « levain »…

Comment comprendre pareils comportements ? Quand on achète du « prêt-à-porter », on s’offre surtout l’illusion « qu’il n’y a rien à faire », le sentiment de « gagner du temps ». Pareille illusion peut fonctionner pour des gens très occupés… Mais ce qui est tout-fait, hélas, on ne sait plus vraiment ce que c’est, on ne sait plus comment ça marche. Bref, cela perd vite son sens. Et quand le consommateur a de nouveau un peu de temps pour y penser, il s’interroge, il veut faire lui-même, pour mieux faire, pour remettre du sens dans sa consommation… Ceci étant dit, les fondateurs du l’agriculture biologique étaient déjà conscients que l’industrialisation de l’alimentation ne nourrirait pas la confiance. Et, depuis quarante ans, une association comme Nature & Progrès prône une relocation de l’agriculture car, à une consommation locale, doit correspondre une production locale. Plaider pour une agriculture biologique respectueuse de l’homme et de l’environnement, le consommateur l’a maintenant bien compris, c’est revendiquer la nature globale de sa mission qui ne se limite pas, loin s’en faut, à la seule valeur marchande de ce qu’elle produit. Une agriculture vraiment moderne n’est donc plus pensable que dans la proximité, au sein d’un marché local où le consommateur peut se rendre compte que « ses aliments ont un visage« .

La réalité d’aujourd’hui est celle-là et pas le mirage insensé de marchés mondiaux où les productions sont standardisées et interchangeables, où l’humain est méprisé au point de feindre s’en débarrasser par le recours aux pires méthodes industrielles… Construire un futur qui fonctionne suppose l’abandon de bien des chimères et doit, en matière agricole, avant tout s’inscrire dans un plan de transition pour l’alimentation qui s’appuie sur les valeurs de l’agriculture biologique ! C’est clairement le souhait manifesté par nos concitoyens durant cette crise.

Un basculement progressif et programmé

Nul ne laissera, bien entendu, tomber les entreprises agricoles conventionnelles. Il faut cependant les aider à surmonter la crise actuelle – et toutes les suivantes ! – en les orientant vers une agriculture d’avenir. Or le chimique et le tout à l’exportation ne sont plus des choix d’avenir, il faut avoir aujourd’hui la lucidité de l’admettre. Il n’y a plus de place, au sein d’une politique agricole raisonnable, pour des aides à l’exportation de pommes de terre. Au contraire, la priorité doit être donnée au développement d’autres cultures car la toute grande majorité des légumes consommés en Wallonie sont importés de Flandre, ou d’ailleurs. Et c’est pareil pour de nombreux autres produits : qu’on aille seulement vérifier dans les magasins le peu de produits « made in Wallonie » qui y sont vendus ! Le produit local y a la seule fonction de produit d’appel, ce qui revient en somme à prendre le Wallon pour un gogo, merci pour lui ! Mais la bonne nouvelle est que le marché est largement ouvert et tant qu’il y aura des fromages étrangers dans nos magasins – n’en déplaise à l’amateur de cheddar ou de gorgonzola -, eh bien, il y restera une place à prendre pour ceux que fabriquent, avec une compétence incontestée, nos producteurs de Wallonie…

Le basculement de notre agriculture – car il s’agira bien d’un basculement – ne se fera pas d’un simple claquement de doigts. Tout est à construire, du système de conseil aux agriculteurs aux structures performantes de commercialisation – il n’existe, par exemple, dans notre région rien qui ressemble à une criée. Nous ne serions donc capables que de produire mais totalement inaptes à vendre nous-mêmes ce que nous faisons ! Celui qui se lance dans la production légumière doit, par exemple, aller en Flandre s’il espère écouler sa récolte, ou se découvrir des talents insoupçonnés de commerçant alors que, la plupart du temps, il a déjà dû s’improviser transformateur. Nos agriculteurs doivent-ils devenir de véritables « couteaux suisses » ? C’est quand même beaucoup leur demander.

Nous avons exposé, au fil de nombreux articles parus dans les pages de Valériane, l’opportunité incroyable que constitue la filière céréalière dans un pays où les gens aiment le pain. Mais nous avons grand besoin de moulins et de meuniers, ainsi que de boulangers formés à travailler les farines locales. Nous avons grand besoin de variétés de céréales adaptées aux conditions pédoclimatiques de notre région. Nous posons une seule question : qu’est-ce qu’on attend ? Un autre virus ?

Des campagnes empoisonnées

Nos campagnes – et ce n’est pas nouveau – étouffent sous les pesticides ! A ceux qui en font encore un combat idéologique d’arrière-garde, nous disons simplement que ces technologies de la mort n’ont jamais rien résolu : les ravageurs pullulent, pire, ils se développent de façon exponentielle, la biodiversité étant, par leur faute, extrêmement mal en point. Les cultures biologiques démontrent pourtant, à chaque saison qui passe, que s’en passer pour cultiver est, non seulement possible mais constitue surtout un bienfait inestimable pour notre qualité de vie. Un bienfait malheureusement oublié, un peu comme dans un ciel de confinement, d’un bleu immaculé, que ne strient pas les trainées de condensation des avions…

Est-il encore normal, intellectuellement honnête et politiquement responsable, que des moyens publics soient toujours alloués à la recherche et à l’encadrement, dans le but d’optimaliser l’usage des pesticides ? Pourquoi ne pas les donner plutôt aux fabricants de tabac ? N’est-ce pas scier la branche sur laquelle nous tentons de nous asseoir, préparer le cancer qui nous emportera ? Il n’existe plus le moindre doute sur le fait que les agriculteurs de bonne volonté n’en ont absolument plus besoin. Quant à ceux qui persistent dans la voie du chimique, ils connaissent pertinemment, hélas, la meilleure façon de traiter. Plus besoin de les y former… Nous avons, par contre, un pressant besoin d’une recherche et d’un accompagnement performants sur la conduite des cultures sans pesticides. Persister à s’interroger sur la possibilité de telles cultures revient à nier ce que le bio démontre jour après jour. Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut entendre !

Des outils sont là qui doivent nous permettre de réaliser cette transition de notre agriculture et de notre alimentation : la Politique Agricole Commune (PAC) européenne indique, par ses subventions aux agriculteurs, quel sera l’avenir de nos campagnes. Ses aides doivent toutefois être orientées, en priorité, vers le soutien à l’agriculture biologique afin que l’objectif de la Déclaration de Politique Régionale – 30% de bio en 2030 – puisse être atteint. Un tel résultat, quoi qu’il arrive, sera positif pour notre santé, pour notre environnement et pour notre économie. Quel autre plan ambitieux peut en dire autant ? Les subventions pour l’élevage doivent également être modifiées en réorientant les moyens financiers vers des fermes visant l’autonomie et en développant la culture des protéagineux afin d’arrêter les importations de soja. Les prairies, si elles sont bien menées, permettent l’autonomie des fermes et apportent une plus-value importante en termes de biodiversité. Développer la biodiversité est désormais une évidence pour nos concitoyens. Ce ne peut plus être une simple option mais constituer le fondement même de toute culture.

Ces mesures indispensables, le secteur agricole ne peut les mettre en œuvre seul ! Sachons donc nous inspirer de ce qui, contre vents et marées, a construit l’agriculture biologique, portée depuis plus d’un demi-siècle par le rassemblement de producteurs et de consommateurs. Constatons que, si nos campagnes ne nous nourrissent plus, c’est avant tout parce qu’elles sont insuffisamment tournées vers celles et ceux qu’elles nourrissent. Qu’est-ce, dès lors, qu’un ministère de l’agriculture ? Celui qui administrera l’extrême-onction au dernier des fermiers wallons ? Ne serait-il pas beaucoup plus pertinent d’en faire un véritable ministère de l’agriculture et de l’alimentation dont la mission première serait de nourrir ceux qui l’entourent, et non de vendre des frites aux antipodes. La demande fondamentale du consommateur est de pouvoir acheter, en pleine confiance, un aliment sain, produit par une personne qu’il peut rencontrer et interroger. N’est-ce pas ce qu’il a prioritairement exprimé, pendant la crise que nous venons d’affronter, en prenant d’assaut les magasins de nos producteurs ?

L’état qui perd le contrôle…

Aujourd’hui, même la police fait appel à des bénévoles pour lui confectionner des masques. Les gens sont heureux de faire acte de civisme en donnant un peu de leur temps mais s’inquiètent que l’état, aux mains de gestionnaires acquis aux méthodes néo-libérales, ait clairement manqué à ses devoirs élémentaires. Veillons à ce qu’une telle faillite étatique ne gagne jamais notre approvisionnement alimentaire…

Pourtant, notre agriculture, quoi qu’on en pense, ne nous nourrit pas, et c’est là une volonté strictement politique ! Contre le gré du consommateur proche, soucieux de la denrée finement manufacturée, notre agriculture sert la grande exportation en produits bruts, ou fournit carrément de l’énergie. Or c’est exactement l’inverse qu’il faut faire aujourd’hui : la nouvelle économie agricole doit avant tout s’efforcer de nourrir une population locale exigeante, en intégrant éventuellement une marge d’exportation qui compense nos importations en café et en huile d’olive, par exemple… Mais si l’agriculture actuelle s’obstine à ignorer les besoins de la population environnante, c’est surtout parce que le peu de gros agriculteurs qui nous reste a perdu tout lien avec les consommateurs. Et que le consommateur abruti par des publicités idiotes ne connaît plus grand-chose aux réalités agricoles… Acquis à la logique absurde de ceux qui nous gouvernent, les choix des agriculteurs n’ont plus aucun rapport avec la qualité mais reposent uniquement sur des données macroéconomiques, sur la logique agroindustrielle qui transporte vers des marchés lointains de l’ingrédient sans grande valeur intrinsèque et sans intérêt pour le consommateur local. Mais, on le sait, les marchés ne sont jamais responsables de rien. Les marchés sont de grands irresponsables ! Quand ils vendent des armes, ils ignorent le doigt anonyme qui appuie sur la gâchette. Quand ils vendent de la nourriture, ils méconnaissent la bouche malnutrie qui est tout au bout d’un interminable circuit… Le denier public peut-il vraiment servir pareille obscénité ?

Incohérences…

Certes, il est bien difficile l’art de la cohérence. Et l’erreur étant humaine, la perfection n’étant pas de ce monde, nous aurions bien tort de nous tracasser outre mesure. Et pourtant… L’autocritique et la réflexion sont la substance même de la citoyenneté active, et s’amuser à réfléchir n’est certainement jamais une perte de temps. Le risque de perdre le fil de nos pensées n’est pourtant jamais bien loin. Voilà pourquoi l’ami François nous aide à en remettre quelques-unes sur leurs rails…

Par François Couplan

Introduction

Cela commence à faire quelque temps que j’observe le monde dans lequel j’évolue. J’avais douze ans lorsque j’ai vraiment pris conscience que ce que les gens disaient n’étaient pas ce qu’ils faisaient. Et aujourd’hui, je reste étonné par notre capacité à vivre en décalage avec les idées que nous professons. Oh, je ne fais pas mieux que les autres, certes, mais je voulais partager avec vous quelques réflexions qui nous concernent particulièrement.

L’attrait grisant de la permaculture

Pendant mon long séjour de dix années dans l’ouest des États-Unis, je vécus à plusieurs reprises dans des communautés établies à la campagne ou en ville. J’y apportai mes compétences, appréciées, en matière de plantes sauvages comestibles, mais ne manquai pas de m’intéresser aux méthodes culturales « nouvelles » qui commençaient à faire recette. C’est ainsi que je découvris, dès le milieu des années septante, l’agriculture naturelle de Masanobu Fukuoka, agronome japonais animé par une belle philosophie ou la French intensive method of gardening, dont je n’avais jamais entendu parler lorsque je vivais dans l’Hexagone, mais qui était basée sur les techniques des maraîchers parisiens du XIXe siècle. De toutes ces méthodes, c’est la permaculture qui me marqua le plus. Cet ensemble de pratiques concrètes avait été imaginé par deux écologistes australiens, Bill Mollison et David Holmgrem, dont je lus avidement les deux premiers ouvrages, Permaculture 1 et 2 – par la suite, je traduisis le second en français. Ce « système intégré et évoluant d’espèces d’animaux et de plantes pérennes utiles à l’homme », destiné à développer une « agriculture permanente », me paraissait intéressant, car il prenait en compte l’ensemble des êtres existant sur le terrain et prônait un travail avec la nature plutôt que contre elle, en commençant par l’observation approfondie des écosystèmes locaux. Ce que j’y appréciais particulièrement était la place accordée à des parcelles totalement livrées à elles-mêmes, qui servaient en quelque sorte de « réservoir de nature » – la fameuse « zone 5 ».

Ce concept me paraissait aller bien plus loin que celui de l’agriculture biologique, qui était alors en pleine éclosion en France avec l’association Nature & Progrès. Ses partisans prônaient l’abandon des pesticides et une utilisation massive du compost dont la préparation permettait de recycler tous les déchets végétaux, la couverture du sol pour limiter l’évaporation et contenir les adventices, le « complantage » de divers légumes et plantes aromatiques : toutes ces techniques me paraissaient certes très positives. Mais lorsque j’entendais les agriculteurs et les jardiniers bio se plaindre des « mauvaises herbes » qui « salissaient » leur terrain et qu’il fallait absolument éradiquer, je ne pouvais m’empêcher d’être choqué par cette haine à peine dissimulée. L’attitude des permaculteurs en cette matière me paraissait beaucoup plus ouverte et ils me consultaient souvent sur l’utilisation de telle ou telle plante qui poussait spontanément sur leur terrain. Mais nous étions à peine en 1980…

Nombril du monde ?

Le temps passa. L’agriculture biologique devint européenne et perdit grandement de sa substance. La réglementation devint de plus en plus laxiste, afin de donner aux producteurs une marge de manœuvre accrue. Le cahier des charges de Nature & Progrès, contraignant, garantissait non seulement la qualité des produits, mais aussi la sincérité des agriculteurs. Aujourd’hui en Europe, d’immenses exploitations « bio » produisent en monoculture des légumes ou des fruits vendus dans les grandes surfaces. On peut, c’est selon, se réjouir ou se désoler de cette évolution mais, connaissant l’être humain, elle me semble en tout cas bien normale…

De même, la permaculture a évolué : c’est bien souvent devenu une mode qui n’a plus grand-chose à voir avec la vision de ses concepteurs, et un ensemble de techniques plutôt qu’une conception du monde. Le principe, considérablement assoupli, peut s’adapter aussi bien à de petits jardins qu’à de grandes surfaces « permacoles » et inspire aussi bien les amateurs que les professionnels. La planification de l’exploitation, son découpage en plusieurs zones et l’intégration de différentes méthodes de culture pour obtenir une productivité maximale sont, il est vrai, toujours à l’ordre du jour. Mais sur les petites surfaces, ce qui est généralement le cas, il est devenu habituel de faire passer la « zone 5 » à l’as – vous savez, celle qui était laissée sauvage, que l’on ne travaillait pas. Évidemment, quand on a peu de terrain, une friche intouchée est considérée comme du gaspillage. Mais le souci est que l’on a toujours trop peu de terrain, même quand on en a beaucoup, comme dans le cas des cultures de marché. Et certains n’hésitent pas à faire appel au bulldozer pour modifier drastiquement leur terrain avec l’idée, sans doute justifiable, de créer des habitats variés, propices à la « biodiversité ». D’ailleurs, il faut le dire, Mollison et Holmgrem eux-mêmes y avaient parfois recours. Et en analysant bien leurs idées, on s’aperçoit que la « zone 5 » était là, non pas pour elle-même, mais pour répondre aux besoins éventuels de l’homme : une bonne rasade d’anthropocentrisme – l’homme est, en fait, au centre de la notion même de permaculture. Que dire, si ce n’est qu’il me semble y avoir tromperie sur le principe du « travail avec la nature » ? Peut-être simplement parce que le terme de « nature » n’a pas été bien défini au départ… : pour moi la « nature » est tout autre chose que la « campagne », mais où existe-t-elle encore dans nos régions ? Le débat mériterait d’être développé mais, quoiqu’il en soit, je constate une nette dilution de l’esprit de départ pour aller vers toujours davantage de mainmise de l’homme sur l’environnement qui lui a été confié, ou sur lequel il s’est arrogé des droits, comme vous voudrez. On analyse, on planifie, on optimise… On reste le nombril du monde !

Vers une "agriculture adaptée" ?

C’est pour cela que je pense maintenant que le « retour à la terre » qui fut à la mode dans les années septante n’aurait pas été, pour moi, la voie à suivre : j’ai préféré partir vivre au fond des bois… Je suis persuadé que ceux qui l’ont pratiqué en ont retiré de grandes satisfactions et surtout une meilleure compréhension d’eux-mêmes et de leur rapport à la vie. Sans doute, certains se sont-ils découragés et ont-ils décidé de réintégrer cette société qu’ils rejetaient. Je pense que c’est faire preuve d’honnêteté, même si l’on peut aussi le ressentir comme un échec. Mais je fais deux constats.

Le premier est que l’agriculture biologique et la permaculture me semblent des formes de production de nourriture indispensables et performantes. Mais tenter de sauver le monde par ces techniques seules ne me paraît pas réaliste. Je relève, en effet, une contradiction majeure à la base de ces démarches.

La raison matérielle principale du dysfonctionnement actuel n’est autre que l’emprise démesurée de l’homme. Au point que la planète entière est dans un état critique. Ceux qui sont conscients du danger de cette situation aimeraient, à juste titre, que les actions humaines soient empreintes de plus de respect, afin de changer les choses. Mais ce respect nécessiterait une autre mentalité que celle que nous avons développée depuis dix mille ans, qui consiste, pour commencer, à imposer notre loi en exigeant que pousse à tel endroit ce que nous avons décidé plutôt que ce qui vient spontanément. Que ce soit dans l’agriculture biologique, la permaculture ou même l’agriculture « naturelle » – un bel oxymore ! -, l’homme dicte sa volonté par la mise en place d’espèces sélectionnées et transformées par son « génie », par la modification du milieu, la « gestion » du terrain et l’éradication des « mauvaise herbes » – le terme lui-même s’avère suffisamment parlant : la guerre est déclarée ! Mais je crois possible de faire la paix et de vivre un équilibre – sinon une harmonie peut-être utopiste – en prenant conscience de ce qui existe par soi-même, en apprenant à connaître végétaux, insectes et autres animaux, et en reconnaissant leur droit à la vie. Par la suite, avec cette attitude, il devient possible de favoriser des plantes choisies pour leurs qualités gustatives, nutritionnelles, voire symboliques, donc de cultiver, mais sans négliger l’apport possible des cadeaux de la nature. J’ai développé en ce sens voici quarante ans une « agriculture adaptée » qui avait, en son heure, soulevé un certain intérêt, mais dont mon nomadisme constant ne m’a pas incité à me poser en prosélyte.

L’abandon du productivisme

Et surtout, surtout, il me semble impératif de réduire ses besoins – peut-être pas aussi drastiquement que je l’avais fait à vingt ans en allant vivre dans la nature, mais avec toute la rigueur et l’honnêteté possibles. Je pense qu’il serait bon, en quelque sorte, de vivre le néolithique avec l’esprit du paléolithique, sans faire de passéisme ni de mysticisme. Au contraire, cela me paraît extrêmement moderne et pragmatique !

Il faut certainement, toutefois, abandonner la vision productiviste qui nous mène. Et c’est là mon deuxième constat. C’est que l’homme a tendance à systématiquement dévoyer les plus belles choses. L’agriculture biologique partait d’excellentes intentions, mais les réalités de la productivité l’ont trop souvent rattrapée. Les règles se sont assouplies car il ne faut pas mettre trop de pression sur les agriculteurs pour leur permettre d’avoir des marges décentes. Il faut assurer une production suffisante pour nourrir la population – plutôt que de l’inciter à réduire ses besoins car le commerce, voire la publicité, s’en mêle. Les « mauvaises herbes » sont bien enquiquinantes, et les « ravageurs » ne méritent que d’être éliminés, mais on n’a plus le droit d’utiliser des « produits chimiques » dans cette vision nouvelle : alors il faudra imaginer d’autres moyens peut-être un peu moins délétères mais certainement défavorables à l’équilibre, sur long terme, de tous les êtres vivant en un lieu donné. Il faudra concevoir de nouveaux outils de lutte dont on s’apercevra un jour des problèmes qu’ils auront engendrés… Certes, on a le droit de penser que la gestion de l’espace agricole par ces méthodes « douces » ou par le développement de nouvelles technologies pourra permettre de résoudre la quadrature du cercle et de cultiver de manière respectueuse de la nature, mais j’estime qu’une profonde réflexion personnelle est un préalable nécessaire et que ce ne sont pas que des techniques particulières qui l’autoriseront. N’oublions pas que l’enfer est pavé des meilleures intentions !