Bienvenue aux Moulins de Ertvelde – 2018

A l’occasion du Oost-Vlaamse Molendag, activité provinciale annuelle (1), nous avons visité deux moulins des Ardennes Flamandes, situés dans le triangle Alost – Gand – Audenaerde. Le « MoulinTer Rijst », un moulin tour – un des quatre moulins de la Commune de Herzele -, et le Zwalmmolen, moulin à eau de Munkzwalm. Nous nous sommes fermement promis d’y retourner car on y trouve des moulins de différents types et des meuniers accueillants et bien sympa… Jeter un coup d’œil sur ce que nos compatriotes du nord font de leurs vieux moulins a sans doute de quoi nous inspirer. Mais est-il prudent, en matière agricole plus spécifiquement, de séparer aussi radicalement patrimoine et production ? Et si la maîtrise du vent, comme celle de l’eau au fond de nos vallons wallons, avait une place centrale à retrouver dans notre société afin de nous convaincre de la qualité de ce que mangeons ?

Par Christine Piron et Jürg Schuppisser

Le retour des moulins à meule de pierre

Déjà le temps nous presse de rejoindre le Meetjesland, dans le triangle Gand – Terneuzen – Maldegem, pratiquement le long du canal de mer, vers l’embouchure de l’Escaut, là où circulent des navires de haute-mer important notamment les minerais de fer, à raison de septante mille tonnes par bateau. Destination : Sidmar, l’aciérie maritime de Zelzate. Nous y rejoignons en plein Ertvelde, un couple de bijoux, un autre « moulin tour » – een Bovenkruier – le Stenen molen et son moulin-manège !

Quand tournent les ailes des moulins de Flandres, poussez la porte et soyez les bienvenus !

A Munkzwalm, imaginez, au détour d’un méandre de la verdoyante vallée du Zwalm, un petit bijou technique du patrimoine, avec un puits à rouages de transmission éclairé, de toute beauté, comparable à celui du moulin de Spontin (2), duquel jaillit toute la force du mouvement de la roue extérieure – deux mètres de large et trois mètres de diamètre -, alimentée par en-haut. L’existence du moulin est attestée dès 1040. C’est un moulin modèle, parfaitement restauré par la Province, capable de faire tourner les meules de pierre et une petite centrale électrique. Paul Verschelden, le maître-meunier du Schelderomolen – voir Valeriane n°124 – nous guide et nous montre même, dans une annexe, un moulin à cylindres, un Midget Maxima Roller Mill 184, Morristown, USA, en fonction durant l’entre-deux-guerres, alimenté par la force d’un moteur diesel. La différence de mouture entre ces types de moulin fera l’objet de notre attention dès que possible.

Johan Van Holle, propriétaire depuis 1980, nous accueille, fils de fermier, devenu laborantin chez Sidmar, aujourd’hui Arcelor-Mittal. Depuis sa pension, il est maître-meunier, vendeur de farines moulues sur pierre ; avec Sandra Blom, sa compagne, ce sont aussi des meuniers-guides passionnés, éleveurs de chevaux, aubergistes et amateurs de bière à l’épeautre, parfois collectionneurs de tracteurs ancêtres et cochers aux heures libres !

Acheter un moulin, une idée soudaine - een toeval ?

Johan raconte : « Du côté de ma famille maternelle, on était meunier à Assenede, au moulin Sint Hubertus. En 1944, en toute fin de guerre, les moulins servant de poste d’observation, Sint Hubertus fut d’abord âprement défendu par les occupants allemands contre les armées canadiennes et polonaises qui en furent délogés à leur tour. Il se retrouva troué de toutes parts. Le meunier, mon grand-oncle, pensait pouvoir le sauver en le proposant en donation à la commune qui refusa. Il dut lui scier les pieds, et le moulin est tombé en 1953. J’avais quatre ans. Heureusement mon grand-oncle avait déjà une meunerie à meule de pierre actionnée par un moteur diesel, à côté du moulin à vent. »

Il poursuit : « Mon père a regretté cet ancien moulin à pivot et il entreprit, en 1973, de le reproduire, chez nous, à la ferme, à l’échelle 50% avec des ailes de douze mètres. J’avais vingt-quatre ans. A la ferme familiale, mon frère cultive toujours mais ce nouveau moulin attend, pour le moment démonté, d’être reconstruit, en 2018si tout va bien, dans le domaine du Mola– le centre provincial de molinologie (3) – au Kasteel Puyenbrug, à Wachtebeke. Ce fut pour nous un bel écolage, à l’aide de matériaux de récupération et avec de nombreux amis… L’idée a germé petit à petit d’acquérir, moi aussi, un moulin ! »

L’achat et la rénovation des moulins

« En 1980, alors que personne ne s’intéresse plus à une quasi-ruine, j’acquiers les moulins de Ertvelde, se souvient Johan. Avec des amis, nous avons d’abord remis en état provisoirement le moulin à vent et introduit une demande d’aide à la restauration. De 1982 à 1985, nous avons réellement restauré le moulin avec l’aide de Walter Mariman de Zele, un rénovateur/constructeur de moulin bien connu et expérimenté. Nous avons enlevé les ailes, tout démonté, restauré la maçonnerie, replacé et remplacé des poutres, au sommet le « paternoster » : les poutres circulaires cerclées de l’extérieur sur lequel tournent des rouleaux de bois qui soutiennent et centrent toute la tête tournante du moulin. Cette « calotte tournante » sera placée in fine ; Elle comporte l’axe moteur, les rouets de transmission et de frein, et la tête de fonte à laquelle seront fixées, plus tard, les ailes ici élargies. Il s’agit d’un aileron type Fauël, du nom d’un ingénieur hollandais, un vrai foc copié sur un voilier. Il permet notamment de mieux profiter des vents, surtout dans les quartiers résidentiels où arbres et maisons se sont multipliés. Avant cela, nous avons rentré, par le toit ouvert, les lourdes meules, les rouages, etc. La restauration a été subsidiée à 80% par les autorités publiques, ce qui implique l’interdiction de revente avant cinq ans, l’acceptation de la qualification de « monument sans utilité économique » et l’obligation de le maintenir accessible au public. Les rentrées d’argent doivent donc servir exclusivement aux frais d’entretien du moulin et pas à entretenir le meunier ! »

L’aide de la Fondation Roi Baudouin permit, quant à elle, la reconstruction du moulin-manège qui sert de remplacement lorsque le vent vient à manquer. Abandonné depuis 1871, il était totalement en ruine : la majorité des moulins à vent de la région étaient, en effet, accompagnés d’un moulin-manège de réserve. Depuis l’introduction de la machine à vapeur, vers 1830, ils sont devenus totalement obsolètes. D’abord, il fallait élever des chevaux ; ensuite, ils tournent nettement moins vite. Un tour de cheval équivaut à vingt-et-un tours de meule.

« Après sa restauration, précise Johan, nous avons entrepris d’élever des chevaux norvégiens Fjord, très aptes et très volontaires au travail… »

Le retour des meules de pierre…

« Dès 1985, nous avons moulu du froment avec le moulin à vent ; il n’y avait encore aucun intérêt pour l’épeautre, se souvient Johan. Nous faisions une farine à grains, dont de l’épeautre en provenance des Ardennes… En 2009, le Plattelandscentrum Sint Laureins se proposa de lancer, au départ du moulin, un projet régional concernant l’épeautre, s’inscrivant dans un vaste plan de promotion des producteurs locaux et leurs nombreux produits régionaux, baptisé Meetjesland = Eetjesland.

Ce n’est pas une initiative isolée au sujet de l’épeautre. Au départ, il y eut les conceptions de la bénédictine Hildegard von Bingen (1098-1179) qui fit l’éloge des qualités nutritionnelles et médicinales de l’épeautre, dès le XIIe siècle. Des centres d’intérêt, de productions et de vente de semences de différentes variétés d’épeautre existent aujourd’hui, notamment dans le Limbourg néerlandais, avec le Kollenbergerspelt. Mais on en trouve aussi dans toutes les régions traditionnelles de l’épeautre, dans l’axe qui va de Munich au Palatinat rhénan, du pourtour du Lac de Constance, prolongé en Suisse, vers Schaffhouse, Zürich et Berne, jusque dans nos Ardennes…et d’autres régions du pays.

« Nous vivons ici dans la toute proximité des polders, des sols lourds voir humides certes, mais des zones pour lesquelles les autorités flamandes ont par ailleurs mis en œuvre des programmes de protection de la nature très variés pour la faune, la flore, la qualité des eaux, etc., en liaison avec des programmes européens de soutien aux agriculteurs qui acceptent, dès lors, de travailler sans produits chimiques, de désherber manuellement et de ne pas disperser l’azote de fumier… Et cela tombe bien car l’épeautre se plaît quand même dans ces conditions de culture. »

…et celui des variétés de céréales de nos aïeux !

« Dans les fermes, une des raisons de l’intérêt nouveau pour l’épeautre est la plainte des agriculteurs confrontés à la diarrhée des veaux qui consomment du froment. Le rendement actuel du froment – donc son prix plus modéré – a, en effet, progressivement détrôné le triticale qui s’était largement implanté après la Deuxième Guerre mondiale. Il s’agit d’un croisement de froment et de seigle, produisant beaucoup de kilos et de protéines. Le triticale n’est pas panifiable pour des raisons de goût ; je l’ai essayé. Il n’est donc pas comparable avec un mélange de farine de froment et de farine de seigle réalisé couramment en boulangerie. L’épeautre (Triticum spelta), parfois appelé « blé des Gaulois », est une des céréales protégées naturellement car vêtues : le grain reste couvert de sa balle de paille, même après la récolte, et serait digeste et nourrissant, moulu en l’état, pour de nombreuses espèces animales : volailles-cochons… Aplati, il serait stimulant pour le rumen des bovidés. »

Mais contrairement au froment, l’épeautre doit être décortiqué avant la mouture du grain pour la panification. C’est une opération qui a un coût, en temps et en travail. Le Meetjesland eut une grande expérience de culture de l’épeautre jusqu’en 1914, même si le froment cultivé, depuis les XVIIe et XVIIIe siècles, a été « amélioré » et manipulé par la sélection afin d’augmenter progressivement sa rentabilité jusqu’ à treize tonnes à l’hectare, les bonnes années ; il a, en même temps, été affaibli et rendu sensible aux maladies, ce qui nécessite, en conséquence, l’utilisation fréquente de produits phytosanitaires.

« Mon frère a donc pris connaissance des projets au sujet de l’épeautre, des nouvelles techniques de travail… Nous avons donc commencé à le semer, à le décortiquer, et avons opté pour des semences du grand épeautre ‘Zollernspelz’ (4), non hybridé avec du froment ! Les boulangers avisés souhaitent disposer de farines pures et la clientèle commence à comprendre pourquoi. Je recommande toujours aux boulangers d’être modérés avec la matière grasse mais surtout de ne pas rajouter du froment, ceci pour protéger les personnes sensibles au gluten de froment, car les structures des glutens de l’épeautre sont différentes de celles du froment… Certes, la farine d’épeautre que nous produisons est un produit de niche, commercialement parlant, mais c’est aussi surtout un produit artisanal, variant logiquement un peu de goût, de récolte en récolte. Mais le résultat de la mouture au moulin dépend aussi des variations de la vitesse du vent, du degré d’humidité, de l’écartement des meules… Malheureusement, tous les boulangers ne font pas, ou ne font plus de pain à base d’épeautre ; ils n’ont pas tous appris à travailler au levain… Et les consommateurs n’en sont pas tous friands, habitués aux farines standardisées par les additifs. Heureusement, la tendance s’inverse et les circuits-courts collaboratifs se développent. »

Co-pain et Den Tseut…

Johan Van Holle et le moulin de Ertvelde collaborent aujourd’hui avec la nouvelle boulangerie coopérative Co-pain, de Gand. « Toon, le boulanger – l’ancien fromager de la fromagerie coopérative Het Hinkel Spel -, et le boulanger Adriaan – un professeur de boulangerie à Gand – ont lancé une boulangerie bien transparente pour les clients. Dans le fond de la Halle du marché bio du Lousbergskaai (5), derrière de grandes baies vitrées, les pains lèvent bien à la vue de tous avant de rejoindre les paniers des clients de ce magnifique marché couvert. Nous avons rendu visite à Adriaan et lui avons demandé ce qu’il pensait de l’utilisation quotidienne des farines d’épeautre et de seigle de Johan.

« Comme le bon vin, ce sont des cuvées uniques, dit-il. Nous travaillons lentement, très lentement, notre boulange dure quinze heures. Ses farines sont particulièrement bien appropriées, car moins protéinées. C’est l’essentiel ! »

Johan travaille également avec la brasserie domestique Den Tseut, de Oost-Eeklo. « Nous avions eu l’idée d’une bière à l’épeautre, précise Johan, et je l’avais proposée à la grande brasserie de Ertvelde, mais c’est finalement la brasserie Den Tseut, récemment fondée à la demande des habitants au moment des kermesses locales, qui lança les brassins. » Johan fournit l’épeautre – 35% -, l’orge, le seigle et l’avoine qui sont pour moitié aplatis et en partie livrés à la malterie pour fabriquer une belle palette de près dix bières (6). Caractéristique locale : le houblon qui donnera l’amertume se dresse dans les potagers environnants. »

Merci à toi, Johan, et bon vent à tous !

Molens van Ertvelde
visites, farine, chambres d’hôte
Stenenmolenstraat, 21 – 9940 Ertvelde
0497/73.32.70 – http://www.molen-ertvelde.be/fr

Notes

(1) http://www.vlaamsemolens.com/

(2) https://www.facebook.com/Les-amis-du-moulin-de-Spontin – 1603890943164428/

(3) Voir : www.oost-vlaanderen.be/mola

(4) Hybridé ou non-hybridé, petit ou grand épeautre : voici des notions à éclaircir lors de nos prochaines rencontres avec des agriculteurs céréaliers, meuniers, boulangers. Affaire à suivre donc…

(5) http://www.lousbergmarkt.be/

(6) http://www.huisbrouwerijdentseut.be/onze-bieren.html

Ferme Champignol – 2018

L’agriculture peut être aussi une source d’énergie

Visiter des fermes est, plus que jamais, une nécessité essentielle afin de comprendre toujours plus finement le fonctionnement de notre agriculture. Ainsi, si l’on ne tarira pas d’éloges au sujet du lait et du beurre de la ferme Champignol, si l’on se réjouira de la magnifique diversité de son maraîchage, la plus grande surprise qu’elle réserve reste, sans nul doute, son étonnant équipement de biométhanisation ! Une vraie découverte…

Par Francis Giot

La ferme Champignol, située à Surice près de Philippeville

Elle est occupée par la famille Burniaux depuis huit générations, chacune d’elle l’ayant à tour de rôle améliorée et agrandie. Nous nous trouvons aujourd’hui face à une ferme biologique d’importance et surtout tournée vers l’avenir. Dimitri et Marie ont repris la ferme des parents de Dimitri en 1996 ; ils passèrent en reconversion bio en 2011 et reçurent le label en 2013. La ferme est depuis toujours en polyculture – élevage et principalement orientée vers la production laitière, et plus particulièrement le beurre et la boulette traditionnelle vendus en vente directe. Sans renier le passé, nous verrons que nos amis ne comptent pas en rester là…

Le beurre le moins cher de la région

La production laitière est assurée par des vaches de race Holstein, ce qui ne manque pas d’étonner en bio mais, comme l’explique Dimitri, cette race fait partie de la tradition familiale et changer tout un troupeau n’est ni simple, ni actuellement une priorité… Mais, s’ils devaient en changer, ils s’orienteraient probablement vers la Montbéliarde ou vers la Jersiaise, originaire de l’île anglo-normande de Jersey. Ils ont d’ailleurs introduit quatre de ces petites vaches au sein de leur troupeau. Le lait est écrémé et la matière grasse est transformée en beurre tandis qu’une partie du lait écrémé l’est en boulette traditionnelle ; une autre est vendue à laiterie, mais pas dans la filière bio, et le reste sert à l’alimentation des veaux.

La crise du beurre, on ne connaît pas à la ferme Champignol et, sans l’appel d’une journaliste, il est possible que Dimitri et Marie ne seraient même pas au courant que la France voisine manque de cette précieuse matière. Si quelques Français sont bien venu en acheter au magasin de la ferme, il n’est pas question pour autant d’augmenter le prix, ce qui fait maintenant du beurre de Champignol le moins cher de tous les magasins du coin.

La ferme est constituée de trente hectares de prairies permanentes, vingt hectares de prairies temporaires et trente hectares de céréales – triticale, avoine, pois en mélange et épeautre – ; deux tiers de la production de céréales alimentent la filière bio, tandis que le dernier tiers est destiné à l’alimentation des vaches de la ferme. 90 à 95 % de la ration est constituée d’herbe produite à la ferme, elle est complétée par les céréales aussi produites à la ferme et par l’achat d’un peu de maïs et de pois.

L’apport de la dernière génération

Dimitri et Marie Burniaux ont des idées plein la tête et ils n’hésitent pas à les concrétiser. Si la vente directe les intéresse très fortement, Marie a vite remarqué que son étal de beurre et de boulette manquait de diversité, et que la présence de légumes serait un plus… C’est ainsi que le maraîchage est arrivé à Champignol. Quarante ares lui sont consacrés et trois serres jouxtent maintenant les installations de la ferme. La biodiversité y est de mise : les potagers sont entourés de haies de plantes indigènes et des petits parterres de fleurs et d’aromatiques – origan, fenouil, agastache, thym… – séparent les parcelles, tandis que la culture des légumes sur buttes est aussi agrémentée de fleurs. La diversité des légumes est remarquable et la présence d’hybride anecdotique. Marie avoue qu’il est plus difficile de convaincre le consommateur de redécouvrir les légumes oubliés que de les cultiver. Elle ne compte cependant pas baisser les bras mais a, tout au contraire, des projets plein la tête pour en faciliter la découverte et l’utilisation. A Champignol, les jardiniers ne sont pas oubliés et la production de plans à repiquer devient, peu à peu, une spécialité de la ferme. Deux serres chauffées, dont une avec des tables de semis également chauffées, facilitent la production de plans et permettent un allongement de la saison de culture. Pourtant, pas de dépenses d’énergie fossiles supplémentaires à la ferme Champignol. Nous verrons pourquoi. En attendant, les légumes produits à la ferme ne suffisent pas à fournir l’étal et le magasin, comme le rêve Marie ; la revente de fromages produits par des confrères, alors que sa propre ferme produit beaucoup de lait, contribue aussi à exacerber sa frustration…

Marie ne peut pourtant pas tout faire : la vente à la ferme, les marchés, les livraisons aux magasins et aux groupements d’achats, le ménage et les six garçons à élever, tout cela suffit amplement à occuper son temps. Déjà, la ferme fonctionne avec quatre temps plein : Dimitri et Marie, bien sûr, les parents de Dimitri pour un troisième temps plein, et un maraîcher pour le dernier… Aussi Dimitri et Marie ont-ils trouvé un nouveau partenaire : Tristan transforme maintenant le lait de la ferme sous le nom Champignol. Ainsi le Louché de Champignol – un fromage frais -, le Petit Fleuri – un fromage type crottin affiné quelques jours -, le Guiottin – une pâte pressée – et l’Ami des salades – de type fêta – sont-ils venus enrichir une gamme qui n’a pas fini de grandir…

En plus de la ferme, le souci majeur de l’énergie

L’énergie est une préoccupation essentielle pour nos producteurs et jamais il ne leur serait venu à l’idée d’acquérir deux serres et une grande table de semis chauffante s’ils n’avaient eux-mêmes produit… de l’électricité et de la chaleur, sous forme d’eau chaude ! Deux imposants dômes, que l’on aperçoit à l’arrière des bâtiments de la ferme, servent en effet à la bio-méthanisation, et le gaz produit fait tourner un moteur qui chauffe l’eau… Pour une petite part, ce gaz est produit par les déchets de la ferme, mais surtout par des déchets de céréales, des sous-produits de la betterave et de pommes de terre et par des tontes de pelouses. Ces produits sont apportés par les professionnels des céréales, par les sucreries, par les agriculteurs qui produisent des pommes de terre, par les professionnels des parcs et jardins et par la commune. L’eau chaude produite sert, bien sûr, à alimenter les deux serres et la table de semis ; mais aussi seize logements – sept maisons et neuf appartements – aux alentours de la ferme. Si on ajoute que le logement de nos amis a été rénové en écobioconstruction, on peut conclure que la boucle est bouclée et qu’ils possèdent une ferme qui correspond bien à l’esprit de Nature & Progrès

D’ailleurs, Marie et Dimitri considèrent que faire partie de notre grande famille coule de source et, s’ils ne peuvent pas s’investir plus au sein de l’association, ils jugent indispensable d’être représentés et entendus au sein des instances qui décident. Ainsi, si l’accès à la terre ne les concerne plus directement puisqu’ils possèdent les trois quarts des terres qu’ils cultivent et l’entièreté des bâtiments, ils sont bien conscients d’être sans doute la dernière génération qui a pu tout acheter. La révision du bail à ferme est donc d’une grande importance à leurs yeux, au cas où un ou plusieurs de leurs garçons envisageraient d’offrir une neuvième génération de Burniaux à cette ferme si bien cultivée… Puis il y a, bien sûr, la réforme du cahier des charges bio européen qui ne laisse pas d’inquiéter : on n’aime pas ici l’idée qu’il soit toujours plus laxiste même si, à Champignol, fort d’une clientèle fidèle en vente directe, on pourrait quasiment aller jusqu’à se passer de toute certification.

Des projets en grand nombre

Déjà plus qu’un projet – même s’il n’y a pas encore vraiment de production -, la fruiticulture fera bientôt partie des productions de la ferme Champignol. Septante arbres fruitiers à hautes tiges d’anciennes variétés de prunes, de pommes, de poires et de noix ont été plantés le long des clôtures… en un début prometteur d’agroforesterie ! Bientôt donc, les beaux fruits de Champignol orneront l’étal et le magasin de Marie… De plus, une nouvelle coopérative est en train de naître, regroupant une quinzaine de producteurs – dont, bien sûr, Dimitri et Marie -, ainsi qu’une quinzaine de consommateurs. Elle fonctionne sur le mode de Paysan/artisan, avec commandes en ligne. Pour le printemps prochain, Dimitri et Marie transformeront et équiperont une ancienne étable afin de pouvoir y organiser des cours de cuisine, de faire découvrir – entres-autres – les légumes oubliés, d’y organiser des rencontres et des débats… Au vu de ce que nous connaissons maintenant de la ferme et de son fonctionnement, nous pouvons déjà rêver à la richesse des thèmes qui seront abordés…

Marie et Dimitri seront présents au prochain salon Valériane, en septembre 2018. Ne manquez pas de leur rendre visite, de les interroger sur leurs activités et de découvrir leurs spécialités. Nous leur souhaitons, plus que jamais, plein succès dans toutes leurs entreprises…

Ferme Champignol
Dimitri et Marie Burniaux – 20, rue de la brasserie à 5600 Surice (Philippeville)
082/67.77.05 – www.champignol.be  champignol@outlook.be

Quelle alimentation voulons-nous ? – 2018

Stratégies alimentaires et durabilité

Nos pratiques alimentaires modifient le monde dans lequel nous vivons. Il est grand temps d’enfin nous en rendre compte et de changer notre façon de faire les courses. Mais nous, qui avons conscience des enjeux qui se jouent aujourd’hui, avons-nous réellement la volonté de modifier vraiment nos habitudes ? Pour mieux le savoir, Nature & Progrès vous a invités autour de la table, en juin et en juillet dernier, et vous a posés cette question : quelle alimentation voulez-vous, aujourd’hui, pour demain ? Retour sur cette grande tournée régionale…

Par Delphine Franckson

Changements climatiques, contaminations aux pesticides, déclin de la paysannerie, chute de la biodiversité, gestion approximative des déchets et diverses autres sources de pollutions…

Nous le savons, les modes de production industriels et énergivores ont des répercussions dramatiques sur le monde qui nous entoure. L’idée n’est pas ici de refaire une énième et triste liste de liens de causalité ou d’attirer, une nouvelle fois, l’attention du grand public sur la nécessité de changer « avant qu’il ne soit trop tard ». Il semblerait, de toute façon, que nous n’aurons bientôt plus le choix…

Dans sa brillante analyse au sujet de l’immobilisme collectif – six articles publiés dans Valériane tout au long de l’année 2016 -, Guillaume Lohest évoquait la difficulté de convaincre par un discours ex cathedra et global, et la nécessité de recourir à des modèles de réflexion plus participatifs et mieux adaptés à une échelle d’action locale. Nous nous sommes donc donnés pour mission de rencontrer le citoyen sur son propre terrain, afin de mener avec lui une discussion de fond sur l’alimentation. Sur son alimentation.

Dans un premier temps, le cheminement s’est voulu individuel : « Décrivez-nous votre alimentation idéale et les aspects qui guident vos choix en la matière… A quoi faites-vous attention quand vous faites vos courses ou quand vous jardinez ? » L’objectif de la démarche était de définir le modèle alimentaire souhaité pour dresser ensuite la liste des freins qui empêchent d’y accéder. Nous nous sommes ensuite attachés à « détricoter » ces obstacles – des préjugés, pour la plupart – pour en dégager des pistes de réflexions et des leviers de solution.

A quoi faisons-nous attention en matière d’alimentation ?

Tels les numéros d’un tiercé, les facteurs qui influencent nos choix sont annoncés dans le désordre… Certains critères le sont du bout des dents, comme s’il s’agissait de tabous. Le sentiment de culpabilité – ou d’impuissance – que chacun tente d’assumer devant le drame qui est en train de se jouer, au niveau planétaire, semble presque palpable. Aujourd’hui, beaucoup ne savent plus comment gérer leur situation schizophrénique de citoyen-consommateur. Finalement, les langues se délient et le discours a même tendance à dévier : ne serait-il pas plus aisé de parler à la troisième personne, de critiquer les actions – ou l’inaction – de son voisin, de proposer des remèdes miracles mais réducteurs à grands coups de « il faut que » ou de « les gens doivent » ? Mais nous ne sommes pas là pour parler des autres ; reprenons donc le fil de notre auto-évaluation.

La plupart des critères évoqués, qui orientent nos choix, sont de nature subjective. Nous voulons tous une alimentation de qualité. Nous avons coutume d’évaluer ce facteur, en termes de valeur nutritionnelle et de saveur. Plus largement, l’importance de l’aspect santé est systématiquement soulevé : sucre, sel, acides gras, vitamines et autres nutriments, etc. Ce dernier point suscite d’autant plus d’intérêt qu’on peut le relier à l’impact environnemental de l’aliment : résidus de pesticides, autres pollutions chimiques, etc.

Toujours dans cette logique environnementale, l’empreinte carbone – soit une mesure de l’énergie nécessaire, en terme de consommation de ressources fossiles lors de la production des aliments (traitement des semences, carburant consommé par le tracteur, récolte, processus techniques de conditionnement, etc.) ou de leur transport (route, avion, bateau) – est un facteur qui prête également à réflexion. L’impact sur la biodiversité de certains types de cultures est aussi mentionné, de même que l’appauvrissement des sols et l’érosion.

L’impact social d’un aliment est un paramètre qui peut aussi être analysé avant l’achat. Qu’il s’agisse d’un bien produit au Nord ou au Sud, la condition de la paysannerie mondiale est directement un effet de nos choix. La notion de prix juste est généralement soulevée, tout comme celle de l’accès à la terre. L’aspect rémunérateur des cultures vivrières – destinées à une consommation locale – est mis en balance avec la production de matières premières industrielles – plutôt destinés à l’export.

Au vu de ces dernières exigences, beaucoup d’entre nous préfèrent donc de se tourner vers une alimentation biologique. D’autres, au contraire, choisissent de fuir ce label parce qu’ils l’estiment aujourd’hui galvaudé : entre le bio étranger acheminé par avion, les chasseurs de primes agricoles et le surcoût des contrôles, rares sont ceux qui peuvent encore se vanter de connaître le cahier des charges et toutes les conditions qui se cachent derrière un produit estampillé. Nous nous dirigeons naturellement vers les produits frais et de saison, distribués par des voies courtes de commercialisation. Pourtant ces systèmes sont loin d’être dominants et le consommateur fait régulièrement l’amalgame entre « local » et « biologique ». Pour la plupart, nous fréquentons encore les grandes surfaces et consommons régulièrement plats-préparés et aliments industriels.

Quels sont donc les raisons qui expliquent cette situation paradoxale ? Le facteur temps est systématiquement cité comme l’un des principaux freins qui nous empêchent de quitter le système conventionnel des grandes surfaces. En effet, aller au supermarché est plus simple et plus rapide que de multiplier les trajets pour se rendre d’un petit producteur à l’autre – et c’est parfois même plus écologique, en termes de kilomètres parcourus. De même, devoir aligner son horaire sur la tenue d’un marché local ou sur l’heure de distribution d’un panier n’est pas toujours possible quand on a de longues journées. Le temps nécessaire en cuisine est également un élément qui explique le succès des plats préparés. Finalement, le prix complète la liste des critères déterminants.

Freins ou leviers, forces ou obstacles … A bons prétextes, mauvaises excuses !

Pour beaucoup d’entre nous, une alimentation de qualité coûte cher. Plus cher, en tous cas, que la version bas-de-gamme proposée par les grandes surfaces, à grand renfort de slogans publicitaires, d’huile de palme et d’agents conservateurs. Qui ne veut pas se ruiner doit alors pouvoir faire preuve de débrouillardise et de savoir-faire, en cultivant lui-même ou en achetant directement auprès du petit producteur du coin, les aliments qu’il prendra ensuite soin de cuisiner. Le temps nécessaire à la recherche et à la préparation de ce précieux butin étant considérable, les épicuriens économes que nous sommes doivent sacrifier tous leurs autres hobbies sur l’autel d’une alimentation saine et éthique. Cette caricature simpliste prête à sourire.

Bien qu’intangibles, temps et argent sont pourtant deux paramètres finis. Ne s’agirait-il, ni plus ni moins, que d’une question de choix et de priorités ? Faudrait-il remettre en question les vacances à la mer pour l’achat d’un sac de pommes bio ? D’un côté, on nous dit que manger coûte cher, de l’autre, on constate que la part du budget des ménages allouée à l’alimentation n’a cessé de diminuer, sur les dernières décennies… Bien sûr, il faut prendre en compte la part du logement – qui n’a, elle, fait qu’augmenter – ainsi que l’arrivée des nouvelles technologies. Fondamentalement, cette impression de cherté est véhiculée par l’apparition d’une alimentation low-cost, de piètre qualité, sur les étals des grandes surfaces. Le contraste budgétaire entre le « bon » et le « beurk » n’en est que plus saisissant, et la tentation de succomber aux sirènes d’une alimentation bas-de-gamme grandit en conséquence.

Mais, à côté de ces freins, comme nous l’avons déjà évoqué, existe aussi une série de forces qui nous encouragent dans la quête de l’alimentation idéale. Ces facteurs de motivation sont liés à la possibilité que nous avons d’avoir une influence positive sur notre environnement direct et sur la marche du monde en général. Ceci, en recherchant en alimentation produite localement, selon des modalités de cultures biologiques et dans le respect des saisons. La question du prix et du temps sont liées à des préjugés faciles à balayer : passer par un GAC peut finalement s’avérer plus rapide que de faire ses courses en grandes surface. Par ailleurs, c’est aussi souvent moins cher puisque l’on évite les dépenses inutiles et les coups de têtes. Quant au potager, il ne nécessite pas forcément beaucoup de soins et, avec peu de connaissances, on peut déjà en faire pas mal…

Finalement, avec un regard plus sombre, nous pourrions ajouter qu’adapter nos manières de consommer n’est plus une question de choix. Le changement est inéluctable, quitte à être abrupte et radical. L’alimentation de demain ne sera plus celle d’aujourd’hui.

Des leviers à actionner et la force du collectif

Quelles seraient, dès lors, les incitatifs ou les leviers à actionner afin de rendre accessible à tous cette alimentation idéale – si tant est que cela soit possible – et d’amorcer un changement global dans nos habitudes alimentaires ? Nous devrions, tout d’abord, mieux nous organiser afin de réduire nos déplacements et de faciliter l’accès pour tous à une alimentation saine et locale, avec un minimum d’intermédiaire. En effet, l’allongement des chaînes de distribution entraîne l’augmentation du prix des aliments pour l’acheteur ou la diminution du prix payé au producteur. Regroupons-nous donc entre voisins, entre consommateurs sensibles aux mêmes causes, partageons notre liste de courses ou – pourquoi pas ? – un bout de jardin ! Des tas de possibilités s’offrent à nous ; il suffit souvent d’un peu de volonté et d’un brin de créativité…

Il faut ensuite continuer à « en parler » autour de nous afin de sensibiliser sur ces changements de pratiques qui nous apparaissent comme impératifs. Non sur l’air rébarbatif des habituelles rengaines destinées à culpabiliser l’autre mais en jouant la carte de la convivialité et des échanges. Cette étape de partage est nécessaire car, si la décision qui nous incombe de revoir nos modes de consommation résulte bien d’un cheminement individuel qui procède étape-par-étape, il est absolument impensable de laisser l’autre sur le carreau : question de cohérence par rapport à l’esprit même de l’initiative mais surtout condition essentielle de réussite finale. On ne reste pas cloisonnés entre bobos ; changer le système alimentaire, c’est pour tout le monde, ou c’est pour personne ! L’implication citoyenne et le bénévolat sont donc les clés de voûte de ce nouveau système basé sur les liens humains et sur l’intérêt collectif, plutôt que sur la volonté de profit et des critères individualistes. Le politique a également un rôle important à jouer, en termes de moyens mis dans l’éducation – dont celle des plus jeunes – et dans l’accompagnement de tous – dont les plus démunis d’entre nous. A ce titre, le travail admirable des associations et des acteurs de terrain doit être mis en avant et encouragé.

Une recette miracle à coup de "yak’à" ?

Cette série de rencontres s’achève donc sur une note positive d’espoir, chacun repartant chez lui galvanisé par les propos de l’autre, et un peu surpris d’être finalement sur la même longueur d’onde que lui… Cependant, ne soyons pas naïfs : si la recette était si simple à cuisiner, nous n’aurions plus besoin d’évoquer les dangers qui nous menacent et qui sont liés à nos irresponsables choix en matière d’alimentation. Pourtant, parmi ceux qui nous ont rejoints pour en parler, certains avaient déjà sauté le pas. Ils avaient, par exemple, fondé un potager collectif ou monté un groupement d’achat… De leurs propres aveux, ce qui semble se présenter comme une perpétuelle remise en question de nos envies n’est, en réalité, pas une source de frustrations. La réflexion initiale engendre un effet « boule de neige ». Les mécanismes s’acquièrent et, très vite, sans que l’on ait plus besoin d’y penser, il est possible d’alléger considérablement l’impact de son mode de vie sur le monde alentours…

Bien sûr, il y aura toujours quelque chose à faire, un geste ou une habitude à améliorer. Mais nous y viendrons naturellement, step-by-step

Transition alimentaire, une utopie de plus ?

Sommes-nous suffisamment conscients de l’impact de nos habitudes de consommation sur la planète où nous vivons ? Même si nous nous sentons parfois impuissants, nous savons parfaitement qu’il nous appartient de changer la donne. Un tel changement est-il réellement possible, ou ne serait-ce là que théorisations naïves, nés dans des esprits pourtant bienveillants, au sujet de principes, somme toute, inapplicables ? Voilà ce que nous avons cherché à découvrir à travers une seconde série de rencontres qui se sont tenues aux mois de septembre et d’octobre derniers…

Mais qu’est-ce que la transition ?

La transition – une notion qu’on entend si souvent à présent que nous en aurions bien les oreilles échauffées – définit une situation intermédiaire, de passage d’un état vers un autre. Il s’agit d’un terme utilisé tant dans des domaines aussi variés et divers que les sciences, les mathématiques, l’économie ou l’art. La transition est donc l’état de quelque chose qui, par définition, n’en a pas… puisqu’elle est tout le temps en train d’en changer ! Elle se définit, dès lors, non pas par ce qu’elle est, mais par ce vers quoi elle ambitionne de nous conduire.

Dans le cas qui nous occupe, lorsqu’on pense à un « mode de vie en transition », ou à des « quartiers ou villes en transition », il faut imaginer la série de décisions et d’initiatives, prises individuellement ou collectivement, qui ont comme objectif de conduire le système à un état plus résiliant – c’est-à-dire plus résistant aux futurs chocs civilisationnels, comme la fin du pétrole ou les dérèglements climatiques et leurs nombreuses conséquences – et dont l’impact sur le monde serait le plus modéré possible. Au-delà de la volonté de relativiser l’ampleur des scénarios catastrophiques qui nous menacent, cette Transition représente également la volonté d’opérer un changement en douceur – en nous préparant aux bouleversements tels que nous les imaginons – plutôt que de subir de plein fouet ce qui vient, au moment où cela vient, sans aucun moyen pour l’affronter.

Convaincre par l’exemple, plutôt que par le discours

« Nous pensions être les seuls dans notre quartier à accorder de l’importance à ces choses-là. Nous avions l’impression d’être perçus comme des gens bizarres. Pourtant, ce soir, on se rend compte que vous êtes dans la même situation que nous et que vous faisiez votre route parallèlement à la nôtre, à quelques kilomètres à peine… », dit Sandrine, consommatrice à Philippeville. Lors de nos différentes rencontres, bien que tout le monde soit convaincu par la nécessité de changer de système, certains n’en demeuraient pas moins dubitatifs devant l’impression qu’ils avaient d’être les seuls à faire des efforts. Ils se croyaient en décalage avec le reste d’une société qui ne leur emboîterait probablement jamais le pas, en raison des différents freins que nous avons cités précédemment.

La conviction exprimée par d’autres que des solutions existent déjà nous a ensuite motivés à aller voir cela « sur le terrain ». De nombreux citoyens, des consommateurs, des producteurs et même des acteurs politiques ont ainsi accepté de nous recevoir chez eux, ou de se joindre aux discussions. Suite à un événement déclencheur – l’arrivée d’un enfant, la maladie d’un proche, une prise de conscience devant un énième scandale alimentaire ou devant le sort des animaux dans les élevages industriels -, ils ont fait le choix de se créer un nouveau modèle. Ainsi, tous nous avons été obligés d’admettre que le changement est déjà une réalité.

Cette constatation a fait l’effet d’une bouffée d’air frais pour les plus sceptiques d’entre nous. Peut-être suffit-il donc de se réunir autour de cet objectif commun pour se rendre compte que nous sommes, en fait, beaucoup plus nombreux que nous ne le pensions. Et que ce que nous percevions naguère encore comme un frein n’est finalement qu’un obstacle mineur facilement franchissable mais alors tous ensemble…

Jardins partagés sur fond d’Incroyables comestibles…

De l’épanouissement personnel au bonheur d’être ensemble

« J’ai ouvert mon jardin à des personnes dites précarisées ; certaines sont venues par obligation, en lien avec les conditions d’obtention d’allocations, mais elles sont finalement restées pour le plaisir d’être ensemble et de découvrir de nouvelles choses. C’est par la reconstruction des liens humains que nous arriverons à faire changer les choses… Le lien à la terre est également important ; s’il y a tant de dépressions et de burn-out aujourd’hui, c’est parce qu’on nous a coupés nos racines… », dit Jessica, de l’asbl Champ Libre.

Jardiner, par exemple, n’est pas seulement une question d’argent. Certes, ces légumes que l’on fait pousser seront nettement moins chers que ceux qu’on achètera en magasin. Mais cela nous demandera également d’y consacrer une part de notre – précieux ! – temps. Les jardins collectifs sont précisément une manière de nous organiser collectivement et d’alléger le travail nécessaire à la récolte de légumes de qualité.

« Le temps que nous y passons ne nous semble pas être une contrainte car travailler ensemble génère un état de bien-être et de plénitude véritable », explique Jean-Marie des Jardins du Bout du Berquet, à Lessines.

Bien sûr, pour jardiner, il faut du terrain. Cependant, malgré les objections initiales de certains participants, nous avons dû nous rendre à l’évidence : il y a autour de nous un nombre étonnant de terrains qui pourraient être facilement mis à disposition des candidats-jardiniers, de la friche urbaine au terrain communal, en passant par les jardins délaissés par des propriétaires devenus trop âgés… Et pourquoi pas certains ronds-points ou d’autres bacs à fleurs qui agrémentent l’espace public et auxquels les communes consacrent par ailleurs des budgets conséquents ? Demander ne coûte rien et c’est encore la meilleure façon d’être étonné par la réponse reçue. Encore une fois, c’est une question d’oser « sauter le pas ».

« Nous avons trouvé ce terrain parce que le propriétaire n’avait pas le temps de s’en occuper et que notre projet lui plaisait. Nous voulons y lancer une activité de maraîchage en permaculture et il est vraisemblable que nos excédents soient distribués ou échangés. Ce qui compte, pour nous, c’est de rassembler les gens autour d’événements festifs et conviviaux et de créer ensemble un nouveau modèle de société », raconte Martyna, fondatrice d’un projet de maraîchage à Hastière.

Des ceintures alimentaires sous forme de coopératives

S’entraider et se comprendre pour une meilleure souveraineté alimentaire

Agricovert à Gembloux, la Ceinture Aliment-Terre à Liège, Cali-Terre à Ath, Bees Coop à Bruxelles – voir en page 38 -, Coopéco à Charleroi, CoopEsem à Florennes, Now à Waulsort… Les initiatives du genre ne manquent pas ! Mais comment en décrire les points communs ? L’idée est de regrouper des producteurs d’une même région autour d’une charte – dont les critères, à déterminer collectivement, sont notamment en lien avec la durabilité – et d’organiser la production pour satisfaire aux besoins de la ville toute proche et de ses habitants…

Des coopératives de ce type sont en train de fleurir sous l’impulsion mixte de producteurs et de citoyens. Ceux-ci y donnent un coup de main bénévolement et trouvent ainsi accès à une alimentation de qualité, diversifiée et dont le prix reste démocratique en assurant la subsistance de celui qui l’a produite. D’autres actions sont régulièrement mises en place autour de ce service de base : cantines sociales, intégration de personnes fragilisées, bibliothèque thématique, ateliers ou formations diverses… Cependant, le particulier qui choisit d’intégrer ou de monter ce genre de structure doit être attentif à certains aspects : les critères de production, codifiés sous forme charte, touchent à la notion, toujours incertaine, de « production locale », aux modes de production – biologique ou autre -, aux prix – accessibles pour le consommateur mais aussi rémunérateur pour le producteur -, etc. Il est donc facile de retomber dans les travers de la grande distribution en traquant le bon marché à tout prix, ou en n’acceptant que les gros volumes qui permettront un approvisionnement sans faille…

La clef de la réussite de tels projets réside, par conséquent, dans la communication et la compréhension réciproque des différents acteurs. Il faut que l’agriculteur puisse entendre les attentes du consommateur et que ce dernier comprenne les contraintes liées à la production. Il n’est donc guère question ici de négociation ou de compromis, mais plutôt d’entraide et de co-construction.

Groupements d’achats citoyens

S’organiser pour retrouver une alimentation à taille humaine

« Au départ, c’était pour rendre service à ceux qui, comme moi, recherchaient une alimentation saine et locale. J’avais le temps et je pouvais me déplacer pour aller d’un producteur à l’autre. Aujourd’hui, nous sommes une quarantaine de familles impliquées dans la distribution de paniers. Nous organisons également des conférences et des ateliers en lien avec le mouvement Slow-Food… », raconte Agnès de Slowly asbl.

Nombreux sont ceux qui, parmi nous, ont rejoint ou ont monté un groupement d’achat. Le rapprochement entre producteurs et consommateurs, cher à Nature & Progrès, permet de mieux comprendre les modalités d’une production et de ne pas rester avec nos questions à propos de ce qui nous nourrit. Mais, comme dans le cas des coopératives, cette relation doit au préalable s’entendre sur des objectifs communs, qui ne sont d’ailleurs pas forcément statiques et peuvent évoluer suite à des discussions régulières. Mais la prise en compte de la réalité du travail des producteurs est la condition sine qua non de la pérennité et de la pertinence de ce type de circuits d’approvisionnement.

« Les groupements d’achat partent de bonnes intentions mais certains consommateurs oublient l’intérêt du producteur. Exiger des portions calibrées et individualisées représente parfois un travail supplémentaire pour un bénéfice finalement assez maigre… Il faut pouvoir en parler et être à l’écoute des difficultés des uns et des autres », constate Bernard, après sa visite de la Petite Foire, à Semel.

Le collectif peut également devenir une force quand il permet au producteur d’investir et d’améliorer ses techniques ; cela peut se faire quand les consommateurs acceptent de s’impliquer dans une relation de longue durée. Différentes formes de contrats ou des systèmes d’abonnements sécurisent le revenu du producteur et lui permettent de mieux s’organiser par rapport aux volumes à fournir. Dans certains cas, la production est achetée par le groupement avant la récolte et, selon les conditions climatiques de l’année, les risques et les bénéfices sont ainsi partagés. Un autre avantage de cet investissement citoyen est qu’il peut amener l’agriculteur à modifier certains aspects de son itinéraire technique ; encouragé par la certitude qu’il trouvera acquéreur pour sa production, s’il se fait certifier, par exemple, ou s’il modifie, autre exemple, à la demande de sa clientèle le conditionnement de ses yaourts : des petits pots en verre plutôt que du plastique…

Des associations sur le terrain

Manger sain et moins cher, c’est possible !

« Le projet Manger sain et moins cher, cela vous tente ? Il existe déjà depuis deux ans et c’est le regroupement de plusieurs associations de terrain qui l’a rendu possible, chacune étant venue avec son public. Des relations de confiance existaient déjà entre les différents acteurs, ce qui a permis de co-construire ce projet multi-facettes », dit Nathalie, assistante sociale à Philippeville…

« Nous apprenons ensemble à nous réapproprier notre alimentation, à faire la distinction entre les bons et les mauvais aliments, à éviter les pièges… pour l’environnement et pour notre santé », témoigne Johnny, partenaire du projet…

C’est par le renforcement des liens humains et par notre ouverture à l’autre que nous rendons le changement possible ! Les gens viennent participer à des ateliers ou à des rencontres, tissent des relations et ont envie de revenir. Petit à petit, ils découvrent qu’une autre manière de se nourrir existe : que c’est bon, facile et pas cher. Des actions ciblées, mais multiples, font tache d’huile… jusqu’au « point de basculement » du système. C’est la seule manière efficace et durable de fonctionner car le discours trop professoral mène rarement à grand-chose…

Tout consommateur est un acteur du changement qui s’ignore !

Pour conclure sur cette série de rencontres citoyennes – les premières, nous l’espérons, d’une longue série -, nous pouvons dresser un bilan positif des actions menées. Il s’agit, bien entendu, d’initiatives localisées dans l’espace, et même dans le temps, et le chemin sera donc encore long avant d’arriver à un « changement de paradigme »… Mais, après tout, c’est justement ce cheminement qui est la Transition et nous avons tous un rôle à jouer dans ce processus. Plus ou moins impliqués, nous procédons étape par étape, à coup de questionnements individuels et d’expériences collectives…

Les initiatives qui réussiront seront celles qui sauront provoquer l’envie d’apprendre, de s’informer, sur l’impact de nos modes de consommation et sur les autres façons de cultiver, de cuisiner… Ce seront celles qui susciteront la motivation, par le plaisir, par le goût et la convivialité. Réussiront finalement celles qui façonneront de nouveaux modes d’appartenance, non plus basés sur l’image que nous voulons donner de nous-même – par le biais d’une consommation standardisée de grandes marques ou d’aliments vantés par la pub – mais sur la reconstruction des liens humains, avec nos voisins, entre coopérateurs ou au sein d’un groupement d’achat, par exemple… Nous penserons ainsi collectif et nous reverrons la notion d’appartenance sociale à l’aide de modes inclusifs et bienveillants, plutôt qu’exclusifs et basés sur la compétition avec autrui.

Conclusion

Oui, une transition alimentaire est possible !

Bien sûr, ce n’est qu’une ébauche et les solutions possibles sont innombrables. Changer de modèle alimentaire est un possible qui s’ouvre de plus en plus concrètement pour chacun d’entre nous. Sachons saisir cette opportunité, sautons dans ce train qui est déjà en marche. Nous ne savons pas jusqu’où il peut nous conduire !

Comités de quartier, groupements d’achat, coopératives, jardins communautaires, vie associative… C’est bien la réflexion individuelle qui nous motivera à changer nos habitudes mais c’est par les réseaux d’entraide que les difficultés existantes seront levées. L’intelligence collective nous permettra d’élargir le champ individuel des possibles et de revoir nos priorités. Et si changer la nourriture changeait aussi le monde ?