Au-delà du pacifisme ? Quand la désobéissance civile ne suffit plus…

L’écologie radicale, l’ »écoterrorisme » sont aujourd’hui souvent pointés du doigt dans le discours politique mais rarement définis ou contextualisés, alors que la réalité que ces mots éventuellement recouvrent, comme toute réalité sociale, est extrêmement complexe, variée, multiple (1)… Les actions coup de poing de militants et de militantes écologistes font ressurgir le débat sur les limites de la non-violence chez ceux qui luttent contre les dégradations environnementales. Tantôt qualifiées de vandalisme ou de saccage, tantôt rejetées par les associations pacifistes, elles drainent leur lot d’imaginaire, de questionnements et de préjugés…

Par Maylis Arnould

 

Les pratiques et les valeurs écologiques, à l’échelle individuelle ou collective (2), ont de plus en plus tendance à se voir inscrites sous l’étiquette de « radicales ». Même si ce phénomène n’est pas nouveau, un certain nombre d’actions, particulièrement en France ces derniers mois, ont amené l’écologie sur le devant de la scène du radicalisme. Mais alors, que veux-t-on dire par « écolo radical » et qui sont ceux et celles qui s’inscrivent, volontairement ou non, dans cette catégorie ?

 

Les différentes facettes du concept de radicalité

Beaucoup utilisée, depuis les attentats de 2001, pour définir des actions liées à des idéaux religieux, la question de la radicalité porte, dans l’imaginaire collectif, une connotation négative et c’est, le plus souvent, cette connotation sous-jacente qui est associée à l’écologie. À partir de 2015, lors des actions liées à la COP-21, puis encore dernièrement avec le rassemblement autour des méga-bassines de Sainte-Soline, en France… Pourtant, si l’on regarde la définition du mot radical que donne le dictionnaire Larousse, il est question « d’un genre d’action ou de moyen très énergique, très efficace, dont on use pour combattre quelque chose » ou de quelque chose « qui présente un caractère absolu, total ou définitif ». Le radicalisme quant à lui, selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, correspond à une « attitude qui refuse tout compromis en allant jusqu’au bout de la logique de ses convictions »

Ces trois définitions ne proposent donc pas de connotations positives ou négatives et ne définissent pas un type d’action plus ou moins violente. Elles font d’ailleurs fortement écho avec plusieurs explications de la notion de radicalité par les personnes mêmes qui en sont accusées. Comme on peut le lire, à plusieurs reprises, dans la revue française Socialter, de juin-juillet 2019, dont le dossier principal traite de la radicalité, il est plutôt question de trouver la racine des problèmes écologiques et de renforcer la lutte, dans ses idées et dans ses moyens. Pauline Porro rappelle d’ailleurs que « étymologiquement, radical provient du latin radix signifiant « qui s’attaque à la racine d’une chose ». Une posture radicale serait dès lors une posture conséquente, au sens d’une position qui s’intéresserait aux fondements même d’un phénomène et non à ses implications – aux causes plutôt qu’aux effets. (3) » La radicalité serait donc, avant toute autre chose, un changement de regard sur la problématique écologique en allant chercher l’origine et en posant la question des valeurs, en collectif ou individuellement.  C’est d’ailleurs dans cette lignée que se placent plusieurs militantes et militants écologistes, qu’ils soient en petits groupes ou en gros collectifs.

 

« Radicalité écologique » : un panel d’acteurs extrêmement diversifié

L’émergence d’une diversité de mouvements, au sein même des revendications écologiques, a fait couler beaucoup d’encre, ces derniers mois. À l’intérieur de ceux-ci, certains prônent une rupture avec la plupart des moyens d’action encadrés par l’institution, voire même avec l’institution elle-même. Parmi cette constellation écologiste, comme l’appellent Anthony Cortes et Sébastien Leurquin (4), voici les principales tendances qui sont apparues dans mes différentes recherches (5).

On citera, dans un premier temps, les organisations les plus anciennes et les plus connues qui se situent dans une idéologie pacifique mais utilisent également des actions comme le boycott. Nous pouvons citer, par exemple, le mouvement Alternatiba ou encore le réseau Action Non-Violente COP21 – ou ANV-COP21. Puis, en 2018, Extinction Rébellion – ou XR – arrive en France et ensuite en Belgique. Considéré, à l’époque, comme l’un des mouvements les plus radicaux des branches écologistes, il fait également de la désobéissance civile un de ses principaux outils de lutte. Venu de Grande-Bretagne, ce mouvement met en avant les actions directes et la résistance non-violente, en passant par des blocages – de banques, par exemple – ou par l’organisation de rassemblements dans lesquels se mêlent théâtre critique, danse et moments festifs…

Un des premiers mouvements qui apparaît aussi quand on s’intéresse à l’écologie radicale actuelle est le mouvement Deep Green Resistance, ou Deep ecology. Ce mouvement, aussi appelé écologie profonde ou écologie radicale, porte comme revendication de base le fait qu’il faut supprimer l’économie industrielle qui serait destructrice pour l’environnement. Même si ce n’est pas ici notre sujet, notons que ce mouvement a un lien très fort avec des croyances spirituelles et une forme de néopaganisme (6). Elle se démarque aussi, par son opposition complète au modèle sociétal actuel – rejet des technologies compris – et sa forte volonté d’y mettre fin, en parlant parfois même de guerre écologique. Ce mouvement peut trouver des points communs avec d’autres petits groupes pouvant être définis comme radicaux, mais qui sont peu médiatisés et dans lesquels la croyance prend une place non négligeable. C’est le cas par exemple de l’écofascisme (7), de la collapsologie, de réseaux à connotation spirituelle comme Solaris ou encore de l’écologie intégrale qui est la branche chrétienne de l’écologie.

D’autres mouvements, collectifs ou organisations prennent toutefois une place non négligeable dans cette vaste toile, sur le devant de la scène médiatique, et sont généralement ceux à qui on associe le plus rapidement la radicalité. C’est le cas des nombreux collectifs de luttes locales de « Zones À Défendre », ou ZAD. En Belgique, avec la Zablière d’Arlon entre 2019 et 2021, ou en France, avec celle de Notre-Dame-des-Landes entre 2009 et 2018, par exemple, les ZAD correspondent à des occupations de lieux où est prévu un projet jugé destructeur pour l’environnement. Une diversité d’idéologies, d’actions, de créations, de questionnements sociaux et de luttes s’y mélangent. Ces occupations questionnent les notions de légitimité, de propriétés privées et de pouvoir. Plusieurs collectifs locaux de ces ZAD font partie du réseau de lutte Les soulèvements de la terre (8), composé d’une pluralité d’individus, d’associations ou de collectifs, et qui a comme principal objectif la lutte contre l’agro-industrie et l’accaparement des terres. Comme ils l’ont eux-mêmes rappelé dans leur tribune, Les soulèvements de la terre se veulent être un mouvement pluriel, tant individuel que collectif, dans lequel sont invitées toutes les personnes souhaitant agir face aux problématiques agricoles et face aux institutions…

Tous les groupes cités ici, même s’ils prennent une importance non négligeable dans les luttes écologiques, ne représentent pas l’intégralité des individus qui sont, volontairement ou non, intégrés dans la radicalité. En effet, il est impossible définir précisément des cases dans lesquelles rentreraient un certain type d’individus, et c’est cela qui fait toute la beauté des dynamiques sociales. On observe également deux phénomènes qui sont difficilement saisissables : la convergence des luttes – qui regroupe les individus de plusieurs collectifs et/ou idéaux en faisant fluctuer les idées – et la volonté forte, dans les milieux militants, de modes d’action et de gouvernance qui vont au-delà des cases, des définitions institutionnelles et qui sont sans cesse en changement, à travers des questionnements autocritiques et une volonté d’évolution permanente.

 

Les actions radicales cataloguées comme violentes

Au-delà d’une définition générale d’une écologie radicale et de groupement d’individus considérés comme tel, ce sont également les moyens d’action qui servent, la plupart du temps, à définir le niveau de radicalité. Beaucoup d’actions peuvent être considérées comme radicales tout en n’utilisant jamais la force physique comme outil. Comme nous avons pu le montrer précédemment, la radicalité est souvent prônée à travers des actions non violentes et se trouverait plutôt dans une opposition avec certaines lois. C’est le cas notamment de la ZAD dont, comme l’explique Stéphane Tonnelat, « [l’opposition] correspond à un mode d’action considéré comme radical, car illégal, pourtant on observe dans de nombreuses ZAD une volonté de ne pas rompre avec l’opinion publique et donc un questionnement autour du type d’action « acceptable » ou non, donc la question de l’acceptabilité des actions » (9).

Dans les cas d’actes définissables comme violents, il est important de rappeler qu’aucune action volontairement écologique n’a jusqu’à présent porté atteinte à la vie humaine. Ce qui est alors défini comme de la violence est généralement du sabotage, de la destruction de matériel, ou encore du blocage de routes, d’usines, etc. Comme le rappelle Sébastien Leurquin, dans une interview donnée à la radio France Bleue (10) « certes, il y a un glissement de certains militants vers des méthodes plus dures : jets de peinture, blocages ou sabotage. Mais il n’y a pas de risque d’un écoterrorisme qui viendrait faire des morts. La vie humaine reste sacrée pour les militants. C’est une ligne rouge qu’ils ne veulent pas dépasser ».

En conclusion, il me paraît important de rappeler que les actions étiquetées comme radicales peuvent tout à fait être associées à quelque chose de positif et à des valeurs qui nous sont importantes. Cette notion est intéressante car elle pose la question des mots, de leurs définitions et de leurs utilisations. Elle nous amène à réfléchir à nos propres perceptions et à bien définir nos propres actions. Il n’existe pas de binarité d’un « bien » et d’un « mal » qui seraient prédéfinis. Entre blanc et noir, c’est toujours à nous qu’il appartient de concevoir et d’assumer notre propre gris, gris clair ou gris foncé, personnellement ou en groupe…

 

Violence versus non-violence

Il n’est évidemment pas question de prôner ou de valider ici un certain type d’action. En questionnant toutes formes de pratiques militantes, il est surtout de comprendre comment sont pensées, organisées et expliquées les actions auxquelles cette étiquette est attribuée. Tenter de comprendre dans quels contextes elles interviennent et quelles réflexions les précèdent. Le sujet est délicat ! Il est pourtant indispensable d’écouter ceux et celles qui déracinent, explosent, occupent et démontent. Les voix – et les voies ! – des personnes concernées sont importantes car il est presque impossible, sans elles, de se faire un avis cohérent sur le sujet. Je tiens aussi à rappeler, encore une fois, qu’aucune action écologique n’a tué ou n’a été directement dirigée contre des humain.es. Les actions définies comme violentes – et donc celles dont je parlerai ici – sont généralement des actions de destruction de matériels ou de biens privés, appartenant à des individus ou des groupes.

L’utilisation de pratiques à connotations violentes, bien que sujet de débat public actuellement, a toujours fait partie des révoltes. Notre imaginaire collectif autour des luttes historiques a tendance à nous laisser croire que bon nombre de droits humains importants ont été gagnés uniquement par le pacifisme. Or ce n’est pas le cas. Les suffragettes cassaient des vitrines de magasins et enflammaient des bâtiments publics, l’indépendance de l’Inde a comporté son lot de sabotages et Nelson Mandela – pourtant figure emblématique de la paix – en est arrivé à exprimer que « le temps de la résistance passive était terminé, que la non-violence était une stratégie vaine et qu’elle ne renverserait jamais une minorité blanche prête à maintenir son pouvoir à n’importe quel prix » (11). Hier comme aujourd’hui, aucun mouvement militant n’échappe au questionnement sur la violence, du féminisme à l’antiracisme en passant par l’écologie.

Cette violence ne s’exerce pas seule et n’est jamais, dans les faits, en opposition avec la non-violence. La perception de la non-violence, comme une idéologie et non comme une tactique, a engendré cette binarité très nette entre, d’un côté, le pacifisme et, de l’autre côté, tout ce qui n’est pas qualifié comme tel. Pourtant il n’est jamais question de se concentrer uniquement sur les affrontements ou le sabotage mais d’employer ces méthodes lorsqu’elles sont appropriées et font partie d’un tout, accompagnées d’autres stratégies (12). Comme l’explique très bien Andreas Malm, « maintenant, si l’on accepte l’idée que la destruction de bien relève de la violence et qu’elle est moins grave que la violence contre les êtres humains, cela ne condamne ni ne justifie en rien la pratique. Il semble qu’il faille l’éviter aussi longtemps que possible. […] Il faut des circonstances extrêmement impérieuses pour commencer à envisager des attaques contre les biens. » Le recours à la violence dans les actions militantes n’est donc pas impulsif et l’utiliser ne veut pas dire la prôner. C’est une tactique, pas un idéal. L’intention est donc un facteur primordial à prendre ne compte. Dans une perspective de détruire une chose pour en protéger une autre, par exemple endommager un bien matériel – une méga-bassine – pour préserver un bien commun – l’eau -, l’intention n’est pas la même que dans un cas ou seule la colère guide l’action et que celle-ci n’est pas encadrée, discutée ou préméditée.

 

Urgence climatique et contre-violence

L’argument principal du recours à des actions illégales dans les luttes environnementales, c’est l’urgence. L’urgence d’une biodiversité qui se dégrade à une vitesse folle, l’urgence d’un mode de consommation destructeur qui ne cesse de croître, l’urgence d’un climat qui change à une vitesse anormale… La liste peut continuer longtemps. On le sait, les voies institutionnelles prennent du temps, sans garantie de réussite. Face à des avertissements de scientifiques qui alertent sur les problématiques, presque tous les jours, plusieurs activistes écologiques ressentent cette urgence d’agir. D’agir vite.

Face à cette urgence, bon nombre de gens ont le sentiment que le recours politique est limité, voire impuissant, que les manifestions ou les pétitions ne suffisent plus. Comme nous l’explique cet extrait de communiqué de deux personnes ayant saboté un pipeline aux Etats-Unis : « après avoir examiné et épuisé toutes les formes d’action possibles, dont la participation à des réunions publiques, la collecte des signatures pour réclamer des études d’impact environnemental, la désobéissance civile, les grèves de la faim, les manifestations et les rassemblements, les boycotts et les campements, nous avons constaté l’incapacité évidente de notre gouvernement à entendre les revendications populaires. (13) »

Ne pas entendre les revendications et ne pas prendre en compte l’urgence ne sont pas les seuls faits qui sont aujourd’hui reprochés aux sociétés par de nombreux militants et militantes. Pour beaucoup, le système dans lequel nous vivons peut-être lui-même considéré comme violent, car « il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’Hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue », a affirmé Don Helder Camara (14). Dans le contexte écologique actuel, une forme de contre-violence pourrait donc apparaître comme légitime afin d’affronter des institutions, publiques ou privées, qui seraient perçues comme violentes pour le vivant. Aussi, cette violence s’exerce-t-elle également dans le quotidien de ceux et celles qui sont pacifistes car, rappelons-le, entre 2012 et 2021 plus de mille sept cents activistes écologistes ont été tués dans le monde (15) et l’association France Nature Environnement dénombre, cette année, plus d’une cinquante de menaces et d’actes de violences déplorés par ses membres : voitures abimées, maisons prises pour cibles, agressions (16)… Cette contre-violence est cependant loin de prendre la forme de guérilla que les mots laissent souvent entendre. Et elle passe particulièrement par une pratique bien connue qu’on appelle le sabotage…

 

Du sabotage au désarmement

La pratique du sabotage n’est d’ailleurs pas nouvelle. À partir des années septante, dans la même période où le pacifisme et le mouvement hippie battaient leur plein, nous pouvons trouver plusieurs exemples de pratiques plus intenses. En 1975, un groupe de personnes – dont Françoise d’Eaubonne – dynamitèrent la pompe d’un circuit hydraulique de la centrale de Fessenheim et, en 1990, un groupe de militants anglais pratiquèrent des blocages de routes et des occupations d’arbres…

Le mouvement qui fait actuellement renaître, dans l’opinion publique française, cette question de la destruction de biens matériels s’appelle Les soulèvements de la terre. Rassemblement de personnalités diverses, d’associations et de collectifs, Les soulèvements de la terre (17) sont multiples tant géographiquement qu’à travers leurs actions. Comme cela avait été le cas pour la centrale de Fessenheim, les actions sont assumées, relayées et défendues. Mais la particularité est qu’ici, elles sont, pour la plupart, officiellement déclarées préalablement, via toutes formes de réseaux. Parmi des pratiques diverses et joyeuses – organisation de courses de bolides pendant les manifestations, plantation de semences biologiques, mise en place de serres, défrichement, fêtes, etc. -, la destruction de biens matériels comme une bâche de méga-bassine ou une tractopelle sur un chantier perçu comme « écocidaire » (18) prennent une place non négligeable. Mais ici, pas question de sabotage, on parle plutôt de désarmement. Ce terme fut revendiqué à l’issue d’une occupation, fin juin 2021, et avait pour optique « d’expliciter directement la portée éthique du geste et la nature des cibles, de relier la fin et les moyens« . Tandis que le sabotage renvoie, dans le Code pénal, à « la destruction d’infrastructures vitales pour le pays« , le désarmement vise des infrastructures toxiques et destructrices. Il relève de la légitime défense, d’une nécessité vitale face à la catastrophe (19). Dans la lignée des arguments présentés précédemment, cette notion de désarmement renvoie directement au fait que du matériel dangereux est utilisé pour détruire des espaces naturels ou pour endommager des vies. Abîmer ce matériel participerait donc à ralentir ces destructions et donc à préserver le vivant. L’utilisation des mots prend donc un sens important car, chez Les soulèvements de la terre, ils ont toute leur place, même les policiers du service central du renseignement le reconnaissent : « en inscrivant les actions de sabotage dans une logique défensive des biens communs menacés, ils ont ingénieusement convaincu des militants habituellement adeptes d’actions de désobéissance civile à basculer vers la résistance civile« .

 

La violence et où elle se situe…

Alors, faut-il condamner la violence ? La prôner ? L’exclure ? Là n’est peut-être finalement pas vraiment le sujet du questionnement… Au-delà d’une binarité entre violence et pacifisme, l’important c’est peut-être d’abord de comprendre, de remettre en contexte, d’essayer d’écouter ceux et celles qui sont concernés. Se demander où situe-t-on la violence ? Cette question est vaste et complexe. Et la réponse dépendra de chacun et de chacune d’entre nous. Alors, tenter de dépasser les divergences dans les pratiques militantes en ne condamnant pas d’avance, sans connaître, celles qui nous sont moins familières pourrait être un moyen de sortir des conflits internes. Car finalement l’objectif est le même : vivre dans un monde plus juste, moins destructeur et plus respectueux du vivant et, comme le dit si bien Isabelle Cambourakis « loin de l’épouvantail médiatique construit autour du « militant d’ultra-gauche violent », loin du déni de la violence policière et de la violence d’État, loin d’une dichotomie fossilisée entre violence et non-violence, il y a une place pour une pratique contre-violente créatrice, efficace et non oppressive. »

 

Notes :

(1) Il est important de préciser qu’il n’est pas question ici de défendre une idéologie ou de justifier des valeurs personnelles – ou non – mais bien d’expliquer et de contextualiser des pratiques sociales.

(2) Par souci de clarté, nous ne traiterons pas du fait d’être stigmatisé comme radical ou extrémiste, à titre individuel, dans nos milieux sociaux. Cependant, je vous invite fortement, si le sujet vous intéresse, à vous tourner vers l’article de Julie Madon, intitulé « Tu peux être écolo sans être extrémiste. Les écologistes entre engagement par le mode de vie et évitement du stigmate », paru dans Politix, 2022/23 (n°139), pages 95 à 116.

(3) Pauline Porro, « Être ou ne pas être radical ? », Socialter,  n°35, 2019.

(4) Anthony Cortes et Sébastien Leurquin, L’affrontement qui vient – De l’écorésistance à l’écoterrorisme ?, édition du Rocher, 2023.

(5) Cette diversité des mouvements étant tellement importante, il est fort possible que j’en aie oubliés et, d’avance, je m’en excuse…

(6) Pour des informations plus détaillées sur ce sujet, consulter l’article de Stéphane François, « Antichristianisme et écologie radicale », dans Revue d’éthique et de théologie morale, vol. 272, no. 4, 2012, pp. 79-98, et écouter l’épisode 6 de la saison 1 du podcast Methadechoc, intitulé « L’écospiritualité ».

(7) Voir l’article de Juliette Grange, « Écofascisme et écologie intégrale ou l’utilisation de l’urgence écologiste par les extrémismes de droite », Cités, vol. 92, no. 4, 2022.

(8) Voir : https://lessoulevementsdelaterre.org/

(9) Stéphane Tonnelat. « Convergence des luttes et diversité des tactiques. La ZAD du Triangle de Gonesse dans l’agglomération parisienne », dans Politix, vol. 139, no. 3, 2022, pp. 65-93.

(10) Interview de Baptiste Guiet, « « L’écoterrorisme n’existe pas en France », estime le journaliste Sébastien Leurquin », France Bleue, 2023.

(11) Nelson Mandela, « Un long chemin vers la liberté », Paris, Fayard, 2013

(12) Cette réflexion est issue du livre « Comment la non-violence protège l’état », de Peter Gelderloos, éditions Libre, réédition de 2023

(13) Andreas Malm, « Comment saboter un pipeline », Paris, La Fabrique éditions, 2020

(14) Don Helder Camara (1909-1999), qui fut archevêque de Recife au Brésil, lutta toute sa vie contre la pauvreté.

(15) Élisabeth Schneiter, « En dix ans plus de 1700 activistes écolos ont été tués dans le monde », Reporterre, octobre 2022

(16) FranceInfo, « Politique : des militants écologistes victimes de violences », mai 2023

(17) Ce collectif français d’écologie politique apparut en janvier 2021. Un décret de dissolution fut présenté par le ministre de l’Intérieur, lors du Conseil des ministres du 21 juin 2023, s’appuyant notamment sur les violences autour des méga-bassines de Sainte-Soline.

(18) C’est-à-dire « qui détruit les écosystèmes »…

(19) Extrait d’un ouvrage collectif intitulé : « On ne dissout pas un soulèvement », Paris, éditions du Seuil, 2023

La Sécurité Sociale de l’alimentation (SSA) est-elle une solution de lutte contre la pauvreté ?

Le 10 décembre dernier, à l’occasion de l’anniversaire des dix ans d’existence de la locale d’ATD Quart Monde du Pays des Vallées, le Réseau RADiS a offert aux participants de la journée deux délicieuses soupes et du pain, réalisés avec les légumes et les farines bio des producteurs du Réseau. Une alimentation de qualité pour tous, le temps d’un repas… Nous avons également créé des liens avec une association où s’engagent, côte à côte, des personnes vivant la pauvreté au quotidien et d’autres qui leur sont solidaires…

Par Sandra Kirten

 

Pendant la préparation de cette journée festive, le Réseau RADiS a été invité par Monique Couillard-De Smedt, coordinatrice du groupe local Pays des Vallées, à l’Université Populaire Quart Monde, sur le thème du droit à une alimentation de qualité pour tous. Ce thème nous préoccupe tous, tant chez Nature & Progrès qu’au Réseau RADiS. C’est donc avec beaucoup d’intérêts que j’ai pu y participer, en tant que chargée de mission du volet solidaire pour le Réseau. Il nous paraissait intéressant et enrichissant d’entendre et de comprendre l’avis, sur ce thème précis, de personnes qui vivent la pauvreté au quotidien.

 

ATD Quart Monde et son Université Populaire

Le mouvement « Aide à Toute Détresse » fut créé par le père Joseph Wresinski, en 1957, afin de lutter contre la grande pauvreté et l’exclusion sociale. En 1969, il devint le mouvement « ATD Quart Monde », ATD signifiant « Agir Tous pour la Dignité » et « Quart Monde » représentant le rassemblement des pauvres et des non-pauvres engagés dans le refus de la misère.

Le mouvement ATD Quart Monde est présent et agit dans plus de trente pays, sur les cinq continents. En Belgique, le mouvement a trois priorités :

– l’accès à l’éducation et la construction des savoirs avec l’intelligence de tous,

– la promotion d’une économie respectueuse des personnes et de la Terre,

– la mobilisation pour la paix et les droits de l’homme.

Mais késako, l’Université Populaire Quart Monde ? Voilà comment ATD Quart Monde définit son Université Populaire sur son site Internet : « les Universités Populaires Quart Monde, créées en France en 1972, sont des lieux de dialogue et de formation réciproque entre des adultes vivant en grande pauvreté et d’autres citoyens qui s’engagent à leurs côtés. Tous viennent pour apprendre les uns des autres, en apportant leurs expériences et leurs savoirs propres. Dans ces rencontres on peut, chacun et ensemble, s’entraîner à exprimer une opinion ou une pensée, en les confrontant à celles d’autres personnes. De ce croisement des savoirs entre les participants peuvent naître une pensée neuve, riche des diversités de ceux qui la créent, indispensable à l’élaboration d’un projet de société vraiment démocratique. Certains participants, renforcés par les savoirs acquis avec d’autres aux Universités Populaires, agissent dans leur famille, leur quartier ou leur cité pour que les conditions de vie des personnes vivant dans la grande pauvreté changent. Ils reprennent confiance pour entreprendre des démarches visant à faire respecter leurs droits et ceux de plus pauvres qu’eux encore. »

Il existe depuis plusieurs années, en Belgique, une Université Populaire Quart Monde francophone et une autre, néerlandophone. La plupart des participants viennent des différents groupes locaux d’ATD Quart Monde, en Belgique.

 

L’alimentation quand on est pauvre…

Selon la Fédération des Services Sociaux, on estime aujourd’hui que vit dans la pauvreté une personne dont le revenu n’atteint pas 1.287 euros par mois pour une personne isolée, ou 2.703 euros par mois pour un ménage composé de deux adultes et deux enfants. En Belgique, cela concerne environ une personne sur cinq ! Ceux et celles qui vivent dans cette situation ont alors trop peu de moyens pour payer, à la fois, le logement, l’énergie, les soins de santé, les autres frais obligatoires et la nourriture. Certains se tournent ainsi vers l’aide alimentaire… Entre les distributions de colis, les restaurants sociaux ou les épiceries sociales, on estime que six cent mille personnes recourent à l’aide alimentaire, en Belgique, contre quatre cent cinquante mille, avant la crise sanitaire.

« Notre alimentation » fut au cœur des débats, dans les différents groupes locaux d’ATD Quart Monde, en septembre 2022. Voici ce qui s’est dit, à la locale du Pays des Vallées, la région de Dinant, Beauraing, Hastière, etc.

– Qu’est-ce que bien manger veut dire pour vous ?

Voilà la première question à laquelle devaient répondre les participants. Manger à sa faim, manger ce que l’on aime, manger des produits frais et de qualité mais aussi manger ce que nos parents nous ont transmis ont été les principales réponses.

– Plusieurs obstacles pour bien manger ont ensuite été pointés :

Le prix, bien sûr ! Il faut choisir entre acheter un aliment de qualité, ou quelque chose qui coûte moins cher mais qui est moins bon. Parfois aussi, il faut choisir entre manger ou payer ses factures…

La difficulté de cuisiner à la maison par manque de cuisine, de matériel de cuisine ou de connaissances…

Ne pas avoir de voiture, ou peu d’accès à des transports en commun, ne donne pas le choix du magasin où faire ses courses. C’est au plus proche. Mais ces magasins sont souvent plus chers et on n’y trouve pas beaucoup de choix.

Quant aux colis alimentaires, ils ne contiennent pas – ou peu – de produits frais de bonne qualité et souvent certains produits sont périmés.

Il faut manger ce qui est donné dans les restaurants sociaux ou dans les colis alimentaires. Ou manger ce qui est trouvé en fin de marché, ou dans les conteneurs des supermarchés…

– Le groupe s’est alors penché sur des solutions, des propositions pour que tout le monde puisse bien manger…

Et si on installait des fermes de quartier où l’on pourrait trouver des légumes, des fruits, du lait ? On pourrait également y apprendre un métier, et cette formation serait rémunérée. Cela déboucherait sur de vrais emplois, correctement payés…

Et si des épiciers ambulants sillonnaient les villages isolés ?

Et si on mettait en place des jardins partagés pour cultiver soi-même, ou en groupe, ce qu’on va manger ?

Et si on diminuait les prix dans les magasins ?

Et si on bloquait les prix de la nourriture ?

Et si on participait à des cours de cuisine pour apprendre à bien manger ?

Et si des repas équilibrés et gratuits étaient distribués dans les écoles ?

Et si chacun avait des revenus convenables pour pouvoir s’acheter une alimentation de qualité ?

 

La Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) peut-elle garantir une alimentation de qualité pour tous ?

Que faudrait-il faire pour que tout le monde puisse avoir accès à une alimentation de qualité ? La Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) est peut-être une des solutions. Jonathan Peuch, de FIAN Belgium, est venu présenter ce projet et en parler, lors de l’Université Populaire d’octobre 2022. Les participants ont ensuite réagi et donné leurs impressions sur ce projet.

En quoi consiste ce concept dont la réflexion est en cours en Belgique ? Portée par de nombreuses associations qui se sont réunies au sein du collectif CréaSSA – voir : www.collectif-ssa.be -, l’idée a émergé en France, en 2019, autour de la question de l’accès à l’alimentation pour chaque citoyen. Les objectifs ambitieux de ce projet sont de permettre à tout le monde de manger à sa faim, de se nourrir avec des aliments de bonne qualité, et de payer correctement les paysans, tout en respectant l’environnement. La SSA vise donc à financer la transition du système alimentaire vers plus de durabilité.

Inspirée de la sécurité sociale de la santé, la SSA serait une nouvelle branche de la sécurité sociale. Son principe est simple : chaque citoyen, quels que soient son âge ou sa situation financière, recevrait un montant situé autour de cent cinquante euros par mois qui serait réservé à l’achat d’aliments auprès de producteurs, de distributeurs ou de transformateurs conventionnés, selon des critères définis de manière démocratique. Cette somme se trouverait sur une carte spéciale, type carte de banque. Il s’agirait d’un système de caisse commune financée grâce aux cotisations proportionnées de chaque citoyen, à hauteur de l’ensemble de ses revenus.

 

La SSA au regard des plus pauvres…

Après avoir écouté et compris l’exposé présentant la SSA, la majorité des personnes présentes à l’Université Populaire de ATD Quart Monde, le 22 octobre à Bruxelles, n’était pas d’accord avec l’idée de cette carte spéciale de cent cinquante euros, avec laquelle on ne pourrait acheter que des produits locaux, durables et bio. Voici quelques-uns de leurs arguments :

– cent cinquante euros : trop pour les riches, suffisant pour certains mais pas assez pour d’autres…

Les personnes plus riches achètent davantage des produits plus chers mais pas forcément des produits locaux, éthiques, de qualité et bons pour l’environnement. La SSA les pousserait peut-être à le faire… Mais en ont-ils vraiment besoin ? Les personnes pauvres, elles, seraient obligées d’acheter de la nourriture… beaucoup plus chère que d’habitude ! Leur envie est d’avoir un revenu décent leur permettant d’acheter ce qui est indispensable et nécessaire, tout en étant libre de le choisir. La SSA ne semble pas répondre à ce besoin.

– le projet n’a pas intégré les différents aspects spécifiques de nos vies…

Il est indispensable de ne pas oublier ceux qui sont sous administration de biens, ceux dont les enfants sont placés, les sans-papiers, les sans-abris…

– tout le monde devrait cotiser pour financer cette caisse de solidarité ?

L’avis est unanime : « on va encore se faire mal voir si on reçoit sans cotiser. » Même si le montant est symbolique, les plus pauvres aussi voudraient participer à cette caisse de solidarité. Si ce n’est pas le cas, le risque de stigmatisation sera élevé. C’est déjà le cas pour les autres branches de la sécurité sociale : chômage, pension, maladies-invalidités…

– manger correctement est un droit. Pourquoi faut-il créer un système de solidarité pour y parvenir ?

Effectivement, le droit à l’alimentation est un droit humain fondamental et est aussi reconnu par le droit international. L’Etat a donc l’obligation de l’appliquer. Il le fait principalement via l’aide alimentaire. L’aide alimentaire, comme toute aide humanitaire, ne constitue pas une solution durable et n’offre aucune perspective à celles et ceux qui en bénéficient. Un nouveau système est donc à inventer !

– il n’y a actuellement pas assez de production de bons produits sur le marché belge pour ravitailler tout le monde…

Dans la Sécurité Sociale de la Santé, certains médicaments sont conventionnés – et donc remboursés – et d’autres ne le sont pas. La même logique s’appliquerait à la SSA : seuls des produits répondant à des critères de durabilité, de circuit court, de justice sociale et économique pourraient être achetés. Cependant, actuellement, ces produits sont minoritaires sur le marché, face aux produits de l’industrie agroalimentaire qui occupent une place prépondérante.

À ce stade de la réflexion sur la Sécurité Sociale Alimentaire, les membres d’ATD Quart Monde pensent que le projet de la SSA ne permettrait pas de lutter contre la pauvreté mais plutôt d’encourager les producteurs à produire davantage une alimentation de qualité, de mnière bonne pour l’environnement, tout en s’assurant de pouvoir les vendre à des prix corrects.

Pour que la SSA soit réellement au service de tous, les remarques faites par les membres d’ATD Quart Monde devront être intégrées à la suite de l’élaboration du modèle. Effectivement, pour être au plus près de la réalité, il est important d’entendre les différents avis et de coconstruire, ensemble.

 

En guise de conclusion

La Sécurité Sociale Alimentaire, ce n’est pas pour tout de suite ! L’idée commence à faire parler d’elle… À l’état de réflexion, elle suscite encore beaucoup d’interrogations et son éventuelle mise en place constitue un énorme défi. Elle a néanmoins déjà le mérite de remettre en question l’approche actuelle de la transition du système agricole et de l’aide alimentaire. Nature & Progrès ne s’est pas encore positionné sur ce projet. La Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA), est-ce une utopie ou une idée géniale ?

Le bio est-il en perte de vitesse ?

À peine le monde sort-il groggy de la crise sanitaire que le « maître du Kremlin » envahit son voisin, sans doute bien trop européen à son goût. L’Europe se rappelle soudain qu’une partie importante du gaz qu’elle consomme vient de là-bas. Une partie importante du blé et des engrais chimiques aussi… Et cela serait sans impact sur notre industrie agroalimentaire ? Quant aux acteurs bio, le moment est peut-être venu, pour eux, de se compter ? Il y a l’industriel. Et il y a l’autre surtout, le vrai…

Par Dominique Parizel

 

Reprenons l’histoire un peu plus en amont. Sans doute, dans leur grande débauche d’efforts pour soutenir, en temps de pandémie, la consommation et surtout les richesses qu’elle brasse, nos gouvernants firent-ils très généreusement tourner la « planche à billet » – c’est une image, bien sûr, qui signifie que la masse monétaire rendue disponible fut très – trop ? – élevée ? Sans doute la consommation s’est-elle, elle-même, « contractée » – ainsi s’expriment nos merveilleux économistes ! – parce que chacun préféra, légitimement, se constituer un « bas de laine », se garder une « poire pour la soif » – ce sont d’autres images qui signifient qu’on hésite aujourd’hui à dépenser, ou qu’on n’est tout simplement plus en mesure de le faire… Ou peut-être ce bouquet de crises, souvent réputées imprévisibles, a-t-il lui-même convaincu le quidam de mettre un frein à une hyperconsommation devenue délirante ? La crise sanitaire à peine terminée, l’invasion à la hussarde de l’Ukraine par la Russie engendra une importante remise en question énergétique et provoqua une hausse des prix spectaculaire, un peu partout en Europe. Tout le monde, malheureusement, s’en souvient…

L’inflation – c’est-à-dire une hausse brutale et incontrôlable des prix – bondit alors autour de 9,5%, pour la Belgique en 2022, et devrait se stabiliser autour de 3 ou 4% pour les années qui viennent, mais l’usage du conditionnel par le rédacteur de service reste évidemment de rigueur. Il est toutefois fort peu probable – ici, c’est un euphémisme ! – qu’une décrue s’amorce prochainement. Donc, mauvaise nouvelle, les prix vont continuer à grimper mais, fort heureusement, dans notre joli petit pays, les salaires grimpent aussi, sur base de l’évolution de notre cher « indice santé ». Et on irait se plaindre de ce magnifique petit coin d’Europe ?

 

Cela touche-t-il le bio ?

Même pour Nature & Progrès, c’est difficile à dire, bien sûr. Mais nous pensons que ce n’est sans doute pas spécialement le cas… Il n’y a pas de raison, sauf à considérer que le bio soit un luxe dont on peut aisément se passer, ce qui a toutefois pu concerner une partie des consommateurs occasionnels qui n’auraient pas vraiment compris le sens profond de sa démarche. Une telle consommation exceptionnelle eut bien lieu, en effet, au début de ce qu’on appelait encore le « confinement », quand il fallait absolument se faire plaisir pour supporter l’isolement… Aujourd’hui, l’élan consumériste s’est racrapoté. Chacun regarde soigneusement à la dépense. Constatons toutefois, de manière très empirique, que le prix moyen d’un pain standard de cinq cents grammes a soudain grimpé, dans la seconde partie de 2022, de 1,75 euro en moyenne, à plus de deux euros, voire plus, se rapprochant ainsi de celui d’un pain bio fabriqué localement qu’on peut situer, d’une manière très générale, autour des cinq euros le kilo. Ce constat fut fait incidemment par votre serviteur et il n’a absolument aucune prétention scientifique. Mais bon, on sait très bien pourquoi le premier a augmenté – matières premières, marketing, transport… -, alors que le second n’avait, quant à lui, guère de raisons de le faire, si l’on excepte le coût de l’énergie. Au contraire, son prix intégrait déjà plus équitablement la réalité locale de sa production dont, bien avant toute autre considération, le boulot des gens qui cultivent, moulent, pétrissent, etc. Mieux encore : Marc Fichers me rassure en me soufflant que son fournisseur de fromage n’a pas augmenté ses prix et vend toujours ses boules à dix-sept euros du kilo. Pas de changement non plus chez celui qui lui vend sa viande : onze euros du kilo. Le sac de farine d’épeautre, lui, a bien augmenté. De dix centimes… Il est maintenant à 2,80 euros du kilo. Marc a toujours l’air parfaitement nourri. Merci pour lui.

Dès le début de cette année, dans le numéro 68 de son excellente revue « Itinéraires Bio » (1), Biowallonie prenait grand soin de comparer les prix du bio et du conventionnel, en précisant d’emblée que cela ne concernait que le consommateur faisant ses courses dans la grande distribution. Lait, œufs, poulet, choux-fleurs, courgettes, pommes et poires étaient alors soigneusement passés au scanner. Avec des résultats extrêmement divers qui laissaient toutefois entrevoir une plus grande stabilité des prix payés aux producteurs, en agriculture biologique. Du reste, les grandes et moyennes surfaces (GMS) semblent jouer, avec leurs marges, d’une manière totalement illisible pour le consommateur qui s’intéresse, un tant soit peu, à la logique de production, de transformation et de distribution de l’aliment qu’il choisit de mettre dans son assiette. L’évidence d’un incroyable galimatias commercial pousse aujourd’hui le secteur à revendiquer, sous l’impulsion de Biowallonie et de la Cellule Manger demain de la SOCOPRO (2), un observatoire des prix du bio, en « magasins bio, vrac et circuit court ». Une drôle de formulation alors que tout ce qu’on y vend relève bien du même règlement bio… Ces mêmes représentants du secteur s’efforcent également de soutenir les divers circuits de distribution dont le chiffre d’affaires est en baisse – ben oui, mais c’est normal en pareil contexte, d’ailleurs ce n’est pas le nombre d’acheteurs qui a diminué mais juste le contenu de leurs caddies – par la mise en place de mécanismes d’incitation, de fidélisation et d’accessibilité plutôt sophistiqués. Est-ce bien utile ? L’avenir nous le dira… Pour Nature & Progrès, une seule conclusion déjà s’impose : vous êtes un.e consommateur.trice responsable ? Bienvenue dans le circuit court !

 

Bio en grandes surfaces : le caillou dans la godasse ?

Etrange attelage ! Différents acteurs commerciaux crurent déceler dans le bio, il y a de cela un quart de siècle et plus, un créneau porteur pour leurs juteux business. Les bobos en raffolaient ? On leur bâtirait une petite « niche », rien que pour eux, et on leur mettrait de jolis logos sur leurs emballages colorés. Comme, en règle générale, ces gens-là regardaient rarement à la dépense, on n’hésiterait jamais à grossir les marges de quelques pourcents supplémentaires, et ils n’y verraient que du feu. Ils seraient même ravis de payer un peu plus pour avoir le sentiment de rester au-dessus de la mêlée… La question – pour ou contre les produits bio certifiés en grandes surfaces ? – alimenta alors bien des débats : oui car cela ferait mieux connaître l’agriculture biologique, non car cela dénaturerait l’esprit et l’éthique de départ. À défaut évidemment de consensus et surtout de possibilités de compartimenter quoi que soit, certains cheminèrent vers le bio industriel, d’autres au contraire dans l’esprit qui anima les pionniers. Ce fut le cas de Nature & Progrès, avec sa charte éthique…

Le secteur se montra alors extrêmement créatif pour diversifier sa commercialisation : des simples paniers de légumes et colis de viande jusqu’aux groupements d’achats inspirés des AMAP françaises, en passant par les magasins de toutes espèces et de toutes tailles : à la ferme, en coopératives, en mini-chaînes, en grandes surfaces… Un véritable « inventaire à la Prévert » mais, on le sait, s’il n’y avait qu’un goût, il n’y aurait qu’une sauce. D’un point de vue strictement réglementaire, tout ce beau monde cohabita allègrement dans le même enclos exigu, tirant à hue et à dia, les uns vers le meilleur marché, les autres vers un optimal environnemental et relocalisé. Tous se réjouissaient cependant, d’une seule et même voix, d’un seul et même marché qui gagnait sans arrêt en notoriété auprès du consommateur. Et, surtout, dont le chiffre d’affaires s’envolait vers des cieux azurés…

Autrement dit, ce grand marché libéralisé du commerce bio est parti dans tous les sens, n’ayant en commun que l’obligation de se conformer au cahier des charges européen. Difficile donc de déceler là-dedans quelque effet unique qu’aurait pu exercer sur lui une conjoncture plus incertaine. Les solutions à apporter paraissent donc d’autant plus aléatoires qu’au-delà du prescrit européen, on n’est au fond d’accord sur rien. La première erreur, par conséquent, ne consiste-t-elle pas à réduire le bio à un marché ne concernant que des nantis qui ont le désir – et surtout les moyens ! – d’y mettre les pieds ? Aux yeux de Nature & Progrès, les choses sont parfaitement claires : la bio, c’est avant tout la forme d’agriculture qui a pour vocation de devenir la norme unique. La bio concerne ainsi tous ceux qui doivent manger, c’est-à-dire absolument tout le monde. Son prix doit donc être, à la fois, rémunérateur pour le producteur et modique pour le consommateur. En dehors de cela, point de salut ! C’est Soleil vert (3) !

 

Et pourtant, la « bio est chère » !

Voilà bien le hic ! Cette antienne est à peu près aussi vieille que la bio elle-même. Ni vraie, ni fausse, elle n’a de cesse de servir d’alibi aux mangeurs paresseux… Elle n’est pas totalement fausse parce que certains acteurs, nous l’avons évoqué, n’ont jamais répugné à s’octroyer sur son dos de confortables marges. Pour de bonnes et de mauvaises raisons, d’ailleurs, nous ne sommes pas ici pour instruire le procès de tel ou tel. Mais elle n’est certainement pas vraie non plus parce que, dans le rapport qualité-prix, la bio est forcément imbattable. Une telle certitude nous force toutefois à préciser la norme de qualité élevée que nous désirons, en ce qui la concerne, et à faire admettre au consommateur lambda qu’elle sera toujours la meilleure piste à suivre dans sa quête du plaisir et de la santé, au sein d’un écosystème sain et équilibré.

Mais de qui parle-t-on exactement ? Pas plus qu’on ne définit jamais la mission du revendeur d’aliments, on ignore totalement qui peut bien être ce consommateur trop longtemps réduit à « celui qui pousse le caddie dans les allées du supermarché » ? Celui à qui le supermarché, en somme, a toujours dit ce qu’il fallait choisir et à quel prix… Difficile donc de faire le tri entre celui qui veut se nourrir pour pas grand-chose parce s’alimenter est à ses yeux sans intérêt, celui qui aimerait mieux faire mais dont le budget est trop serré, celui qui est juste mal informé, celui qui doit absolument être assisté… Mais appartient-il à la bio de se mêler de sociologie alimentaire et de s’opposer aux marchands qui exploitent sans vergogne les différents créneaux commerciaux ? Notre seule ambition est de nourrir tout le monde, le mieux possible, dans le respect de sa condition, de ses croyances, de ses ressources… Est-ce vraiment si compliqué ?

L’expérience du Réseau RADiS montre à quel point nous sommes tombés bien bas ! Les campagnes, de nos jours, sont dans l’incapacité totale de se nourrir elles-mêmes : on ne cultive, dans les six communes concernées par le Réseau RADiS, que 8% environ des légumes qui y sont consommés – contre 17%, ce qui n’est guère plus glorieux, pour l’ensemble de la Région wallonne. Faute d’agriculture digne de ce nom, nos zones rurales sont en voie de tiers-mondisation rapide. La petite commune wallonne de Doische ne fait pas partie du Réseau RADiS mais lui est juste contiguë. La RTBF nous narra, fin mars, le désarroi de ses habitants (4) lorsque la dernière supérette du patelin ferma définitivement ses portes : Doische perdait ainsi son dernier commerce alimentaire. Dame ! Les légumes ont-ils soudain arrêté de pousser sur la bonne terre de la commune ? Les animaux n’y voient-ils plus le jour ? Ou ses habitants sont-ils tous soudain devenus manchots ? Il y a là de vraies raisons de s’inquiéter… Compétences, semences, terres et bras inoccupés sont pourtant présents en abondance un peu partout en Wallonie. Et pas besoin de supérette pour faire de la bonne soupe. Mais, à Doische comme ailleurs, la terre est basse et, bien sûr, on vous prétendra que la « bio est chère »…

A l’autre extrême, on entend Aldi promettre, à tous nos concitoyens, un magasin de proximité à quinze minutes de chez eux. Quinze minutes à pied ? Nenni valet, quinze minutes en voiture ! Une demi-heure de bagnole, deux fois la semaine, pour chaque client, juste pour faire les courses ? Vive l’écologie. La fin du monde est proche…

 

Pourquoi la bio est-elle une planche de salut ?

La bio est là pour rassembler producteurs et consommateurs dans le but salutaire de produire ensemble ce que nous mangeons tous, dans le respect du lieu où nous vivons, chose que l’agriculture, de nos jours, n’est plus en mesure de faire. Pour cette raison, il est absolument indispensable que la bio devienne rapidement la norme agricole ! L’affirmation que cette production doit absolument être locale et de saison n’a jamais été, pour nous, une découverte. Tant elle va absolument de soi … Mais bon, si l’assurance du local peut renforcer la motivation du consommateur, nous ne pouvons évidemment que nous en réjouir. Nous ne produisons ici ni thé ni café, nous aimons les agrumes, l’huile d’olive et le vin du sud. Et ce n’est pas un problème : organisons, pour ces denrées, le circuit le plus court possible afin qu’elles nous arrivent dans les conditions écologiques les meilleures. Et toujours en respectant le rythme des saisons… Pas de bœuf argentin, même pour ceux qui aiment danser le tango, nous avons ce qu’il faut chez nous, avec modération…

Et ensuite ? Par rapport à la production qui fait la base de notre alimentation, comment faire mieux qu’en produisant – puis, le cas échéant, en transformant – dans la proximité la plus étroite de ceux et de celles qui la mangeront, et en se conformant tout d’abord aux cahiers des charges de la bio européenne, puis surtout à d’autres recommandations telles que celles qui sont énoncées dans la charte éthique de Nature & Progrès ? Bio et local, évidemment, pas et, et/ou ou et/peut-être bien l’année prochaine, si tout va bien… Bio et local, impérativement, pour l’ensemble des raisons que nous expliquions déjà dans le n°160 de votre revue Valériane et que nous ne répéterons pas intégralement ici : satisfaire aux impératifs culturaux de base mais surtout en optimaliser le contexte, en quête d’une éthique écologique exemplaire. Pas du bio importé qui ne fait pas vivre les gens d’ici, et encore moins un local suspect qui se ficherait pas mal du tiers et du quart, juste pour faire plaisir à ceux et celles qui n’auraient pas vraiment pigé que mal produire – ou produire, peu ou prou, industriellement – pour être moins cher, cela dézingue immanquablement l’environnement, cela nuit à notre économie locale et, plus encore, à notre bien-être, à nos santés…

Plus que jamais, depuis la crise sanitaire, nous devons donc distinguer le bio – le commerce de la denrée strictement conforme à la norme européenne – de la bio – les produits de notre agriculture biologique locale qui font vivre nos producteurs, nos transformateurs et d’autres acteurs encore. Tout ce que la bio peut faire pour nous ne doit, à aucun prix, être supplanté par le bio. Il en va de la prospérité de nos campagnes et de la qualité de vie de nos concitoyens ! Dix euros qui font vivre une ferme bio wallonne valent infiniment plus que dix euros qui filent au diable vauvert, chauffer une serre en Hollande ou faire tourner un moulin en Pologne… Nul ostracisme là-dedans car le raisonnement vaut dans l’autre sens également. Rassurons simplement les braves gens de tous les Doische de Wallonie et d’Europe en leur répétant que leurs poireaux, leurs patates et leurs laitues doivent absolument pousser juste derrière leur porte ! Bien vivre, plus que jamais, est à ce prix.

 

Chiffres d’apothicaire ?

Alors, les chiffres du commerce bio ? Sans doute, un observatoire des prix serait-il un gage de transparence du secteur, sans doute mettrait-il certains revendeurs dans l’obligation de mieux justifier certaines marges… Et ensuite ? Le modèle de la grande distribution serait-il meilleur pour autant, offrirait-il de meilleurs gages sur le plan social, se soucierait-il davantage – au-delà d’un ridicule marketing d’image – de l’état réel de l’agriculture en Wallonie ? Ou, gouvernée depuis nul ne sait où, la grande distribution serait-elle désormais condamnée à importer tout ce qu’elle nous vend ? Quant au hard discount – au-delà de campagnes publicitaires purement et simplement scandaleuses qui ne sont qu’un leurre – a-t-il jamais eu la moindre crédibilité en termes de qualité ? Et les épiceries sociales, compte-t-on encore les voir désemplir un jour ? Que feront-elles le jour où la grande distribution aura enfin résolu ses problèmes de gaspillage ? Peut-être veut-on, au contraire, les pérenniser sur la gabegie ? Traiter la misère des uns par les poubelles des autres : signe des temps !

N’est-il pas grand temps, à l’aube des bouleversements qu’induira immanquablement le dérèglement du climat, de remettre enfin les choses à l’endroit ? Plutôt que d’entretenir en vain l’illusion du tout, partout, tout le temps, n’est-il pas grand temps de tabler – comme ce fut pourtant toujours le cas – sur des productions de proximité à destination des populations locales. De confier, à la main-d’œuvre locale peu qualifiée, les travaux des champs, les travaux quotidiens d’entretien, de transformation et de conservation… Car où trouver meilleur emploi rural que dans l’agriculture ? N’est-il pas grand temps de repenser radicalement la réalité de notre mode de production alimentaire, plutôt que d’additionner en vain des chiffres qui n’arrivent plus à en cacher l’incohérence, le peu d’humanité et l’insupportable dispersion ?

L’agriculture biologique, la bio, cela sert d’abord et avant tout à produire convenablement. Le commerce de la denrée bio, à tous les coups, est une chose secondaire. L’import et l’export doivent rester des raretés. Les temps approchent qui forceront une telle résilience…

 

Notes :

(1) www.biowallonie.com/wp-content/uploads/2023/01/Brochure_A4_Itineraires-BIO_68_Web.pdf

(2) www.mangerdemain.be

(3) Film américain – titre original : Soylent Green – réalisé par Richard Fleischer, en 1973. Nous n’en spoilerons évidemment pas la fin à ceux qui ne l’ont pas vu. Disons simplement que, dans un futur proche, le menu proposé laisse franchement à désirer…

(4) www.rtbf.be/article/la-derniere-superette-de-doische-ferme-ses-portes-les-habitants-nont-plus-de-reel-commerce-a-10km-a-la-ronde-11173183

Pesticides en Belgique : problèmes et solutions

Le 27 mars 2023, Nature & Progrès, Pesticide Action Network (PAN) Europe et Canopea tenaient un colloque, à la Chambre des représentants à Bruxelles, intitulé « Les pesticides en Belgique : problèmes et solutions« . Le but était notamment de faire la lumière sur un certain nombre de dysfonctionnements dans la procédure d’autorisation et les conditions d’utilisation des pesticides en Belgique, tout en mettant en avant des solutions pour une agriculture plus respectueuse de l’environnement et de la santé de la population et des agriculteurs.

Par Isabelle Klopstein

 

L’événement a rassemblé une cinquantaine de personnes, dont des députés, des journalistes et des membres et représentants d’ONG et associations environnementales. Les retours positifs de la part de participants ont souligné la qualité des interventions et le caractère éclairant et constructif des moments d’échange.

 

« Des pesticides hautement toxiques autorisés en Belgique »

En tant que chargée de campagne de sensibilisation chez Nature & Progrès, je suis la première intervenante à prendre la parole, rappelant qu’avec 6,3 kilos par hectare la Belgique est l’un des plus gros consommateurs de pesticides en Europe, qu’elle autorise aussi des substances particulièrement toxiques, parfois interdites au niveau européen. Chiffres à l’appui, je présente les grandes lignes du rapport, publié le jour même avec PAN Europe, intitulé « La Belgique : le royaume des pesticides« . Ce rapport peut également être consulté gratuitement sur le site Internet de Nature & Progrès : www.natpro.be/informations/brochures/

Pointant du doigt la responsabilité du SPF Santé qui, par ses pratiques, favorise le maintien de pesticides nocifs à long terme pour la santé et l’environnement, j’appelle à une révision de la procédure actuelle ainsi qu’à la prise en compte d’alternatives plus sûres. A ce titre, j’évoque un nouveau recours, déposé en janvier 2023, au Conseil d’Etat belge par PAN Europe, Bond Beter Leefmilieu (BBL) et Nature & Progrès pour demander l’annulation de deux autorisations d’insecticides à base de cyperméthrine, pour cause de non-évaluation par l’administration des alternatives disponibles.

 

« Interdits car toxiques mais quand même utilisés : les dérogations »

Martin Dermine, Directeur exécutif de PAN Europe, aborde ensuite la problématique des dérogations accordées par la Belgique dans le cadre de la législation européenne sur les pesticides. Si cette législation permet d’autoriser en urgence la mise sur le marché et l’utilisation de pesticides, il rappelle que la Belgique a été épinglée dès 2010 pour avoir abuser de ce système. Selon lui, le SPF Santé ne remplit pas son rôle en n’évaluant pas les demandes de dérogations de manière indépendante. Les dossiers sont souvent des « copier-coller » lacunaires et il qualifie, par conséquent, les décisions prises de politiques et d’arbitraires. A titre d’exemple, il mentionne le cas des insecticides néonicotinoïdes, interdits au niveau européen en 2018 mais réautorisés par dérogation en Belgique, pendant plusieurs années consécutives. Après une longue bataille judiciaire, la Cour de Justice de l’Union européenne a confirmé, en janvier 2023, que l’Etat belge ne pouvait pas fournir de dérogations à des pesticides interdits au niveau européen pour raisons sanitaires ou environnementales. Une décision judiciaire, dont le SPF Santé a tenté de minimiser la portée en usant de son influence dans les instances européennes.

En guise de conclusion, Martin Dermine évoque le Luxembourg comme un exemple à suivre. Les dérogations y sont limitées aux seuls biopesticides et l’émergence de réelles alternatives y est favorisées via la Politique Agricole Commune (PAC). Il évoque notamment la substitution des insecticides par des phéromones dans le vignoble luxembourgeois, et la mise en place d’alternatives au glyphosate, bien avant son interdiction en 2020.

 

« L’ »Affaire Pesticides » en Flandres et la situation en Wallonie »

Heleen de Smet, chargée de plaidoyer au Bond Beter Leefmilieu, présente l’ »affaire pesticides » en Flandres et la situation en Wallonie. Dans son introduction, elle rapporte que la Belgique est dans le top 4 des pays de l’OCDE – qui rassemble, rappelone-le, près d’une quarantaine de pays, les plus développés économiquement en Europe, en Asie et outre-Atlantique – où les enfants sont les plus exposés aux pesticides. Si, dans l’ »affaire pesticides », les tribunaux sont apparus comme un moyen d’obtenir des avancées, elle souligne la volonté de BBL de continuer à collaborer avec les politiques pour trouver des solutions. Elle précise que l’ »affaire pesticides » est une coalition d’associations – BBL, Natuurpunt, WWF, Velt et Dryade – ayant mis en demeure, en octobre 2022, le gouvernement flamand pour transposition incomplète des directives européennes sur la conservation des habitats naturels et l’utilisation durable des pesticides. L’affaire est devenue judiciaire, en janvier 2023, lorsque le gouvernement flamand a été assigné en justice. Une décision est attendue courant mars 2024.

Elle explique que plusieurs infractions ont été identifiées. Contrairement à ce que prévoit la législation européenne, il n’existe en Flandre aucune limitation à l’utilisation de pesticides dans ou autour des sites protégés, dont les zones Natura 2000 et les cours d’eau. De plus, les zones tampons, censées protéger, sur le long terme, les ressources naturelles et les personnes considérées comme les plus vulnérables – femmes enceintes et allaitantes, enfants à naître, nourrissons et enfants, personnes âgées, travailleurs et personnes habitant à proximité des zones d’épandage fortement exposés aux pesticides – d’une exposition environnementale aux pesticides, sont soit inexistantes soit insuffisantes.

Elle souligne que, malgré leur impact négatif avéré sur la biodiversité, l’utilisation des pesticides dans les zones les plus fragiles ne sont soumis à aucun contrôle, comme peuvent l’être d’autres activités polluantes. Concernant l’impact sur la biomasse, elle mentionne les résultats de l’étude de Hallmann – More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas”, Plos One, 2017 -, parue en 2017, qui fait le lien entre les pesticides et la diminution de 75 % des insectes, dans les réserves naturelles, sur une période de vingt-sept ans. Le fait que des résidus de pesticides aient été retrouvés jusqu’à deux kilomètres de leur lieu d’épandage alerte sur la nécessité d’élargir les zones tampons. Elle rappelle d’ailleurs qu’en France, le Conseil d’Etat a estimé que cinq ou dix mètres de zone tampon sont insuffisants. Enfin, concernant la situation en Wallonie, qu’elle connaît moins bien, il semblerait que la législation européenne ne soit pas non plus entièrement respectée et qu’il y ait des possibilités d’amélioration.

 

« Pesticides, quels impacts sur la santé ? »

L’intervenante suivante est Sarah de Munck, médecin et chargée de mission Santé chez Canopea, sur les enjeux de prévention de la santé via un environnement plus sain. Elle tient tout d’abord à préciser que, sous l’appellation « pesticides », se cachent en fait plusieurs types de produits, tels que les produits phytosanitaires – communément appelés pesticides – utilisées sur les plantes mais aussi les biocides et les produits vétérinaires.

Elle évoque ensuite les chiffres du projet de biomonitoring wallon qui a relevé la présence élevée de certains pesticides dans la population wallonne, jusqu’à 97 % pour les organophosphorés et 23 % pour le glyphosate. Elle précise que la présence de ces pesticides dans le corps humain découle de différents types d’exposition que sont notamment l’alimentation, l’environnement et le travail.

Elle explique que, si le système de régulation en place permet de détecter les effets à courts termes – nausées, maux de tête… – des pesticides, il reste très insuffisant, incapable par exemple de prendre en compte les expositions diffuses ou simultanées à plusieurs molécules, ou encore les effets transgénérationnels ou les vulnérabilités d’une partie de la population. De plus, certaines pathologies, comme celles liées à la perte de quotient intellectuel par exemple, sont impossibles à détecter sur les souris. La toxicité des pesticides sur l’être humain est donc finalement révélée par les études épidémiologiques, après plusieurs années, voire plusieurs décennies, d’utilisation.

Elle continue son exposé en abordant plus spécifiquement les effets des pesticides sur la santé. En 2013, une première expertise française faisait déjà des liens entre certains cancers – leucémies, cancer de la prostate – et maladies neurodégénératives – Parkinson, Alzheimer. En 2021, la liste des maladies possiblement associées aux pesticides s’est étendue à de nouveaux cancers – notamment du sein – et aux troubles du développement des enfants.

Concernant le lien entre pesticides et cancers, elle réfute l’argument souvent avancé par les pro-pesticides selon lequel les agriculteurs ont moins de cancers que le reste de la population. Cet argument ignore complètement certains cancers, comme ceux de la prostate ou de la thyroïde, qui sont fortement liés aux pesticides et qui prédominent dans le monde agricole, en ne tenant compte que des cancers liés au tabagisme et à la sédentarité, effectivement moins fréquents chez les agriculteurs.

Elle note que ce sont les enfants qui sont les plus touchés par les maladies neurologiques, lesquelles altèrent leurs capacités motrices, cognitives ou leurs fonctions sensorielles. Quant à la maladie de Parkinson, prédominante dans les milieux agricoles, elle a été classée comme maladie professionnelle en France. Elle ajoute que les leucémies chez l’enfant sont étroitement liées à l’exposition professionnelles des parents.

Elle conclut en résumant que les personnes exposées ayant le plus de problèmes de santé sont les professionnels, suivis par les femmes enceintes et les enfants. Elle ajoute que les riverains des zones agricoles forment la troisième catégorie la plus à risque.

 

« Cultiver sans pesticides : quelles sont les alternatives ? »

Le dernier intervenant est Charles-Albert de Grady, un agriculteur de Horion-Hozémont, en Province de Liège, et membre fondateur de la coopérative ORSO qui cultive de la betterave, en agriculture biologique, pour produire du sucre belge et bio. Il partage son expérience, en présentant les alternatives qu’il utilise pour cultiver sans pesticides, depuis les premières cultures de carottes bio, sur la ferme familiale en 2008.

Si le bio demande plus de mains-d’œuvre, il confirme que le désherbage sans pesticides est entièrement maîtrisé sur sa ferme, soit mécaniquement – avant le semis -, soit par brûlage thermique – après le semis. Il rappelle que c’est d’ailleurs une obligation, en bio, puisque les herbicides y sont interdits.

Pour lutter contre les maladies, il insiste sur le fait qu’il n’utilise pas non plus de fongicides de synthèse. Une alternative efficace, selon lui, consiste à choisir des variétés moins sensibles aux maladies et donc plus résistantes. Il explique avoir recours à des engrais foliaires pour renforcer cette résistance : « quand les feuilles de la plante sont saines, toute la plante va beaucoup mieux ; nous devons toujours agir préventivement, en agriculture biologique, car nous n’avons pas de moyen de guérir la plante quand elle est malade« . Une autre façon de prévenir les maladies est la rotation des cultures : « tous les cinq ans pour la pomme de terre, tous les sept ans pour la carotte, en veillant bien à alterner, sur une même parcelle, un légume puis une céréale« . Il déplore cependant devoir utiliser « un peu de cuivre en pommes de terre, mais à très petites doses« .

Quant aux insectes ravageurs, il évite les insecticides agréés en bio comme les pyrèthres qui tuent sans distinction tous les insectes, nuisibles ou non. A la place, il utilise des huiles essentielles qui dégagent une odeur qui fait fuir les insectes. Pour les cultures de carottes, il rappelle aussi que l’oignon est un répulsif naturel très efficace contre la mouche de la carotte. Contre les doryphores en pommes de terre, c’est malheureusement une autre histoire mais, en plus de dix ans, il n’a eu recours qu’à un insecticide, à base de spinosad.

Il évoque ensuite le projet et les défis de la coopérative d’agriculteurs ORSO, lancée en 2019, pour proposer une alternative au sucre de betteraves industriel. La commercialisation de leur sirop de betteraves est l’une des difficultés principales car le produit ne se vend pas bien en Belgique et en France. Un projet de micro-sucrerie 100% bio est à l’étude avec la France. Il confirmera ensuite, lors des échanges, que les rendements de betterave ont été aussi bons qu’en conventionnel, sans le moindre recours aux néonicotinoïdes !

Charles-Albert de Grady conclut son témoignage par une anecdote, racontant qu’un jour où il désherbait dans les champs avec son père, après quelques années en bio, ils ont pu observer un couple d’alouettes des champs : « il y avait très longtemps qu’on n’en voyait plus et je suis certain que la biodiversité revient car nous n’utilisons plus de pesticides… »

 

Les vidéos du colloque et certaines présentations des différents intervenants sont disponibles sur le site de Nature & Progrès : www.natpro.be/la-belgique-le-royaume-des-pesticides-rapport-et-colloque-a-la-chambre-des-representants/

 

 

Les pratiques écologiques sont-elles vraiment des « trucs de riche(s) » ?

Nous sommes nombreux et nombreuses à avoir déjà lu ou entendu dire que « l’écologie, c’est un truc de riches » ou que « consommer bio coute plus cher« . L’association entre pratiques écologiques et personnes aisées issues d’un milieu, généralement urbain – les bobos ! -, est régulièrement utilisée, dans certains médias, et s’est diluée parmi l’opinion publique. Mais alors, faut-il vraiment avoir un revenu conséquent pour être écolo ?

Par Maylis Arnould

 

Tendre vers des pratiques plus écologiques et/ou consommer des produits biologiques requiert parfois de modifier certaines habitudes et de bouleverser un peu son quotidien. Aller au marché, faire plusieurs magasins, s’inscrire à un principe de paniers de fruits et légumes, se déplacer plus loin que le supermarché pour faire ses courses, fabriquer ses produits soi-même etc., tout peut nécessiter un budget et un temps plus conséquent qu’avec des produits conventionnels. Même si, évidemment, chaque individu et chaque foyer comporte ses problèmes internes et s’il n’est pas toujours évident d’adapter son mode vie avec un petit salaire, un travail énergivore, des enfants… Pourtant, associer l’écologie aux classes moyennes voir élevées est un raccourci un peu trop simpliste. Voire carrément une idée reçue !

 

Les pratiques économiques sont des pratiques écologiques !

Bien avant que l’on parle de « sobriété heureuse » (1), que les mouvements écologiques mettent en évidence la nécessité de diminuer notre impact environnemental via des gestes du quotidien ou que les gouvernements appellent à la baisse de nos consommations d’eau ou d’énergie, beaucoup de foyers pratiquaient déjà des gestes écologiques plus ou moins inconsciemment. Nombreux et nombreuses d’entre nous ont grandi dans des foyers modestes au sien desquels on leur a enseigné, par soucis économiques, des pratiques décroissantes (2). Nous avons donc appris à fermer le robinet d’eau lorsqu’on se brosse les dents, à réutiliser l’eau froide du début de douche pour la vider dans les toilettes – et gagner ainsi une ou deux chasses d’eau -, nous avons tous entendu les fameux « on n’est pas actionnaires chez EDF » (3) ou « c’est pas Versailles ici » (4), rappelant d’éteindre les lumières en sortant d’une pièce…

Cependant, comme nous le rappelle Myriam Bahaffou dans son livre intitulé « Des paillettes sur le compost » (5), ces pratiques étaient principalement restrictives par souci de dépenses financières et pouvaient générer, chez l’enfant, une forme de honte. Celle-ci pourrait être une des raisons qui expliqueraient, chez cet enfant devenu adulte, quelque réticence à perdre un certain confort en ayant des gestes définis comme « écologiques ». Mais ces pratiques, plutôt que d’être source de honte, pourraient être aujourd’hui directement associées à un effort écologique, et donc valorisées en tant que telles. Pour Jean-Baptiste Comby et Hadrien Malier, ces pratiques « ne reçoivent pas non plus de reconnaissance de la part des programmes de responsabilisation environnementale, de même qu’elles correspondent rarement aux catégories administratives et savantes de « gestion des comptes » (Perrin-Heredia, 2014) ou de « maîtrise des consommations d’énergie » (Cacciari, 2017), elles sont rarement qualifiées d’écologiques et peuvent même entrer en concurrence, voire en contradiction, avec la rationalité « écoresponsable » promue (6) ».

Il y aurait donc un jugement de valeurs des pratiques qui seraient, d’un côté, mises en avant car volontairement écologiques et, de l’autre, dépréciées car porteuses d’une volonté de réduction des dépenses.

De plus, plusieurs études montrent qu’associer obligatoirement l’écologie aux riches est peu fondé lorsqu’on s’intéresse à la réalité des pratiques sociales. Bien que, selon l’étude de l’INRAE de 2018, ce sont les populations des classes moyennes à supérieures qui ont le plus de connaissances en matière de produits biologiques – et donc représentent la plus grande partie des consommateurs -, les classes populaires représentent tout de même 14% des consommateurs de ces mêmes produits (7). Aussi, la chaine de télévision franco-allemande Arte a-t-elle participé à l’élaboration d’une enquête nommée « Il est temps« , autour de l’écologie et des classes populaires. Ses résultats, analysés par plusieurs sociologues et journalistes, montrent que, parmi les personnes interrogées, 75% des ouvriers déclarent manger régulièrement des produits biologiques et 81% des classes populaires répondent non, à la question « l’écologie est-elle un truc de riches ?« .

 

Le vrai prix des choses

Que les classes populaires soient sensibles à la question environnementale paraît relativement logique, du moment ou l’on prend en compte le fait que les populations les plus pauvres sont généralement les premières à subir les conséquences des désastres écologiques. Elles habitent plus près des endroits pollués ou des zones industrielles, elles sont plus exposées à la consommation de produits nocifs pour la santé, elles ont des métiers dans lesquels les risques pour la santé sont extrêmement présents (8).

Si l’on regarde du côté de l’alimentation, les sociétés occidentales dans lesquelles nous évoluons ont fait face à un bouleversement du mode de consommation, dans l’après-guerre, avec l’introduction de produits phytosanitaires dans nos sols et avec la démocratisation des biens matériels technologiques, du robot de cuisine au téléphone dernier cri… Ces deux grands changements ont généré deux explications possibles au fait que l’alimentation transformée, non biologique et comportant des additifs ou des conservateurs, soit devenue peu coûteuse.

Premièrement, le budget alloué à la consommation alimentaire a radicalement baissé, en quelques années. En France, par exemple, le coefficient budgétaire alimentaire est passé de 29% en 1960 à 19% en 2019 – selon l’Institut National de la Statistiques et des Etudes Economiques, 2021 – et, en Belgique, nous sommes passés de 27,5%, en 1960, à moins de 12,5%, en 2018 – selon l’Institut pour un Développement Durable, 2020. Cette baisse peut être expliquée par l’augmentation des dépenses pour l’habitat ou la multiplication des biens de consommation technologiques devenus presque indispensables (9). Deuxièmement, des politiques et des décisions agricoles ont entraîné la baisse des prix de biens considérés comme luxueux, comme la viande ou les produits laitiers…

Les lois, les aides agricoles, industrielles et l’émergence des supermarchés ont complètement bouleversé le rapport économique aux produits alimentaires. Nous ne nous en rendons pas compte, lorsque nous faisons nos courses, mais parfois le prix indiqué sur l’étiquette ne représente finalement pas le prix réel de l’aliment. Le kilo de carottes issu d’une grosse entreprise de maraîchage est pris dans une boucle de différents partenaires économiques qui influence fortement son prix et qui ne représente pas le gain généré par la personne qui l’a produit (10). Par conséquent, le prix du kilo de carotte paraît élevé, lorsqu’il est issu d’une petite ferme maraichère, alors qu’il reflète réellement le prix vrai d’un kilo de carottes éthiquement produit et justement rémunéré. Notre rapport au coût des produits alimentaires est donc, en grande partie faussé, par la boucle industrielle dans laquelle ils sont pris.

 

Consommer respectueusement avec un budget limité

Acheter aux prix justes pour les personnes qui produisent et transforment, d’une part, et pour l’environnement, d’autre part, peut donc paraître plus coûteux, ou s’avérer un véritable un casse-tête. Nous sommes nombreux, par exemple, à connaître ce fameux dilemme entre bio et local… Il existe cependant de nombreuses astuces – et beaucoup d’efforts ! – faits dans le chef d’associations et d’espaces de production afin de rendre plus accessibles les produits écologiques et biologiques. Nature & Progrès est un acteur évident d’une telle volonté (11), nous ne détaillerons donc pas ici toutes les alternatives possibles. Pour se donner une idée, en voici cependant quelques exemples…

En ce qui concerne le préjugé qui veut qu’ »être écolo c’est se restreindre« , l’achat de vêtements d’occasion démontre qu’il est possible de s’habiller avec des vêtements de meilleure qualité – de la laine plutôt que du polyester, par exemple – à des prix défiants toute concurrence. Les produits ménagers d’entretien qu’on fabrique soit même sont également une des meilleures alternatives à la fois écologiques et économiques : c’est moins cher, il faut utiliser moins de composants et leur fabrication, à la maison, prend souvent moins de temps que d’utiliser un moyen de transport pour aller en acheter… Enfin, l’alimentation biologique et locale offre aussi son lot de possibilités nouvelles, véhiculant notamment une meilleure information – on apprend à cuisiner simplement avec des produits locaux et donc moins chers que des produits importés -, ainsi qu’un apport nutritionnel généralement plus élevé pour de plus petites quantités (12).

Vivre de manière plus écologique sera donc généralement plus économique, pourvu qu’on échappe aux supercheries du marketing qui empêchent le consommateur de comparer ce qui est véritablement comparable…

 

Notes :

(1) Terme utilisé par Pierre Rabhi et très apprécié dans les espaces écologiques, militants et résilients.

(2) La décroissance désigne ici une diminution économique des richesses, ayant comme principal objectif de baisser la consommation de biens ou de services dont la production est dangereuse pour l’environnement.

(3) EDF (Electricité de France) est le principal fournisseur d’énergie en France ; ayant grandi en France, j’ai cette référence en souvenir mais j’imagine qu’en Belgique cette expression existe également avec Engie, ou Electrabel.

(4) Expression française également qui fait référence au fait que le château de Versailles comporte une galerie composée d’une vingtaine d’énormes lustres…

(5) Myriam Bahaffou, Des paillettes sur le compost : écoféminisme au quotidien, Le passager clandestin, 2022.

(6) Jean-Baptiste Comby et Hadrien Malier. « Les classes populaires et l’enjeu écologique. Un rapport réaliste travaillé par des dynamiques statutaires diverses », Sociétés contemporaines, vol. 124, no. 4, 2021, pp. 37-66.

(7) Article de Bons plans écolos, « Quelles sont les catégories sociales qui consomment le plus de bio ? », 2019.

(8) Pour davantage de renseignements sur cette question, voir les études autour de la justice environnementale ou l’inégalité environnementale, particulièrement les travaux de Valérie Deldrève et, par exemple, l’article coécrit avec Jacqueline Candau : « Produire des inégalités environnementales justes ? », Sociologie, vol. 5, no. 3, 2014, pp. 255-269.

(9) Posséder un ordinateur, par exemple, pour faire ses déclarations officielles, pour consulter sa boîte mail ou encore pour les besoins d’enseignement des enfants est devenu un besoin presque essentiel.

(10) Que ce soit la rémunération, souvent injuste des producteurs et productrices, la répartition des gains via d’autres produits, les énormes quantités de production qui imposent parfois de brader ou encore les aides gouvernementales… Cette manière de vendre impacte et modifie énormément le prix des produits.

(11) Voir, par exemple, l’initiative du « réseau RADiS », en Belgique, ou le site des références des personnes labélisées – https://www.natureetprogres.org/lannuaire-des-professionnels/ -, en France.

(12) Par exemple, une tranche de pain de farine locale au levain, bien que plus chère lors de l’achat initial, sera nettement plus rassasiante. Le produit durera finalement plus longtemps dans le garde-manger…

Le score C’Durable ? : Transparence maximale dans les pratiques agricoles

Réservé pour l’heure à l’élevage, le score C’Durable ? est un indicateur tout neuf, mis en place par la Région Wallonne, afin d’évaluer objectivement les performances agri-environnementales de nos fermes. S’appuyant sur quatre indicateurs scientifiques, il entend apporter de la transparence dans les pratiques et séparer le bon grain environnemental du greenwashing. Mais, comme toujours, c’est en fin de compte toujours au consommateur que reviendra la lourde responsabilité de décider…

Par Julie Van Damme

 

Tout le monde veut aujourd’hui manger local et durable, même si personne ne sait, à vrai dire, exactement ce que cela signifie. Impossible pour le consommateur de savoir d’où vient le blé d’un pain local et qui l’a cultivé. Et, si l’on excepte le bio, qu’est-ce qui peut vraiment offrir des gages de durabilité (1) à celui et à celle qui se soucie de son assiette ? Le désir d’engagement pour une société plus durable est, en effet, constamment au cœur de leurs préoccupations mais rien ne peut malheureusement garantir que les modes d’élevage et de transformation soient vraiment ceux qu’il souhaite. Le « localwashing » est même, par les temps qui courent, une variante très usitée du trop célèbre « greenwashing » : il est permis de raconter un peu tout ce qu’on veut à propos du local, simplement parce qu’aucune règle précise n’existe le concernant, parce qu’aucune clé fiable ne permet au consommateur de départager les produits qu’on lui propose sous la promesse facile et tellement émotionnelle d’être bonne pour son « chez lui« , pour son « chez elle« , pour notre « chez nous« … Fiertés d’amon nos-ôtes vite récupérées au profit d’un marketing venu de nulle part.

 

Seules nos fermes produisent local !

La proximité promise est sans doute souvent réelle mais pour quels bénéfices sociaux et environnementaux ? Ne nous y trompons pas : le maintien de fermes à taille humaine, au cœur de nos villages et pas trop loin de nos villes, doit être aujourd’hui l’enjeu essentiel de notre consommation. Nos mauvais choix alimentaires et les errements de nos responsables politiques font le jeu de systèmes agroindustriels dont le seul but est de vider nos porte-monnaie et de remplir le compte en banque de leurs actionnaires. Mettons donc fin d’urgence à ce désastreux hold-up ! Hold-up sur nos terres et sur nos fermes, hold-up sur nos productions agricoles et sur le contenu de nos estomacs. N’accordons plus aucun crédit à ceux qui laissent agir leurs auteurs en toute impunité, en promouvant leurs OGM, leurs pesticides et leurs engrais. Leur soja d’importation et leurs déforestations irresponsables, leurs monopoles semenciers et leur addiction au pétrole… Cela fait trop, beaucoup trop, pour l’humble mangeur qui ne désire d’autre horizon alimentaire que celui qu’il a sous les yeux.

Si le score C’Durable ? se propose aujourd’hui d’évaluer nos fermes, en toute transparence, c’est donc, avant tout, pour les maintenir en vie. L’urgence, redisons-le, est de les laisser prospérer pour prendre soin de notre environnement et pas pour le détruire. Il s’agit d’un véritable projet politique qui ne pourra se réaliser sans le soutien actif de tous ceux qui approuvent ce qu’elles produisent. Mais encore faut-il, pour ce faire, leur dire toute la vérité sur leurs objectifs et leurs méthodes, le faire dans la plus totale transparence !

Mais la mise au point d’un bilan environnemental global, à l’échelle d’une ferme ou d’une denrée qu’elle produit, est évidemment beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord. De nombreux facteurs durent être pris en compte et il fut nécessaire, dans le souci de les objectiver le mieux possible, d’associer à la réflexion sur cet indicateur environnemental global, les acteurs wallons ayant des pièces du puzzle en question…

 

C’Durable ?, un outil crédible avant tout !

Tant de choses fâchent aujourd’hui et divisent le monde agricole ! Soutenu par la Région wallonne, C’Durable ? (2) se devait donc d’être l’indicateur indiscutable des performances agri-environnementales de nos fermes, de toutes nos fermes, en s’appuyant sur les meilleurs outils scientifiques d’évaluation disponibles à cet effet. Une telle volonté de mise au point d’un indicateur environnemental à l’échelle de nos systèmes productifs – de nos fermes, quoi – était dans l’air depuis longtemps, en Wallonie. Il pouvait s’inspirer de la Haute Valeur Environnementale (HVE) à la française, ou du système Planet-score, mis au point par l’ITAB (Institut de l’Agriculture et de l’Alimentation Biologiques) (3), en France également…

Dans un souci d’impartialité, Canopea – naguère Inter-Environnement Wallonie – voulut se montrer proactif en proposant, à l’actuel gouvernement wallon, d’adopter son propre projet, plutôt que celui, par exemple, d’une marque privée de la grande distribution, comme Colruyt (4). Répondant à l’appel wallon sur la relocalisation de l’alimentation, Saveurs paysannes et Canopea débroussaillèrent donc le terrain, avec l’ambition d’élaborer un « score de durabilité », destiné à être affiché aussi bien sur les emballages des produits qu’en magasins, comptoirs de vente ou même sur les réseaux sociaux respectifs des producteurs. L’objectif initial était bien de mieux informer le consommateur quant à l’impact environnemental de ce qu’il achète, en s’appuyant sur des indicateurs indiscutables. Et, plutôt que d’élucubrer un Xe projet onéreux, ces acteurs s’efforcèrent d’agréger ceux qui existaient déjà ou étaient encore en construction, en Wallonie.

Concrètement, la conception du score ne repose donc pas sur quelque cahier des charges particulièrement complexe et n’est donc aucunement un label de plus. Il se borne à refléter la volonté d’un producteur, d’une productrice d’adopter une démarche permettant à son projet de tendre vers un modèle agricole respectueux et pérenne. D’un point de vue strictement visuel, le score ainsi obtenu pourra ainsi être apposé sur tous les produits de la ferme.

 

Quatre préoccupations majeures

Quatre indicateurs ont donc retenu l’attention des concepteurs :

– l’impact de la ferme en matière de changements climatiques, à travers ses propres dégagements de gaz à effet de serre (GES),

– son rôle, particulièrement important, en termes de sauvegarde de la biodiversité ;

– le bien-être des animaux qui y sont élevés ;

– l’importance socio-économique de son action, en matière de bien-être au travail, d’équité dans les prix, de diversification, de rentabilité et de pérennité de son projet.

Fut choisi, en matière climatique, un outil baptisé DECIDE, mis au point par le Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W) (5), qui dresse les bilans d’émissions de gaz à effet de serre (GES), la consommation d’énergie et les émissions d’ammoniac des exploitations agricoles. Les émissions de GES sont mesurées par hectare ou par litre de lait produit, la consommation d’énergie et les achats d’aliments sont mesurés par hectare. DECIDE, quoi qu’en perpétuelle amélioration, est un outil parfois critiqué pour ne pas mettre suffisamment en avant les bonnes pratiques agricoles, ni prendre assez en compte la diffusion, en circuit court, des denrées produites. Il est donc a priori plutôt favorable aux exploitations conventionnelles et certainement pas aux producteurs labellisés par Nature & Progrès, par exemple. Au-delà du projet C’Durable ?, DECIDE, presqu’historique en Wallonie, s’est vu imposé par notre exécutif comme outil de référence pour les GES. L’outil est en perpétuelle amélioration et s’arrête aux portes de la ferme. Il ne prend donc pas en compte les circuits de diffusion des denrées produites.

Sur les questions de biodiversité, l’unique indicateur encore en cours d’élaboration par Natagriwal (6), au début du projet, fit l’unanimité. C’est, en effet, peut-être l’indicateur pour lequel les agriculteurs ont des pistes d’améliorations concrètes et incitatives. La FUGEA qui applique le score C’Durable ? sur le terrain – et connaît, par ailleurs, bien le système de MAEC (Mesures Agri-Environnementales et Climatiques), mesures de l’architecture verte de la PAC (Politique Agricole Commune) européenne – est ainsi en mesure de donner aux agriculteurs concernés les conseils utiles qu’ils peuvent mettre aussitôt en pratique, ou de les renvoyer vers les conseillers de Natagriwal. Le critère du bien-être animal s’inspire du concept hollandais Beter Leven (7), en l’adaptant toutefois au contexte de Wallonie. Enfin, le quatrième indicateur, celui de la résilience économique, vient de France et est fourni par la méthode Idea (8) qui analyse les indicateurs de durabilité des exploitations agricoles.

Grande absente : l’eau ! Il y avait bien eu, en Wallonie, l’initiative de l’UNAB (Union Nationale des Agrobiologistes Belges), avec « Je protège l’eau en Wallonie » – voir aussi en page 38. PROTECT’eau (9), en collaboration avec CRA-W, serait en train de travailler sur INDIC’eau, un nouvel outil pour une meilleurs qualité de l’eau (10). Peut-être de quoi intégrer un cinquième critère ?

 

Et que tout cela nous apprend-il ?

Collaborateur-clé de la création de C’Durable ?, la FUGEA mobilisa très largement les membres de son réseau ; plusieurs d’entre eux choisirent ainsi de passer l’épreuve du score C’Durable ?, qu’il s’agisse de producteurs laitiers dont les troupeaux justifient la traite robotisée ou de signataires de la charte de Nature & Progrès… Les scores obtenus permettent, en tout cas, de réintroduire un peu de transparence quant aux diverses pratiques. La promotion actuelle autour du local fit beaucoup d’ombre aux éleveurs qui pratiquent l’agriculture biologique et il était devenu indispensable de remettre l’église au milieu du village, en comparant ce qui pouvait l’être. Ceci rappelait que la bio avait permis de démontrer qu’une ferme est un organisme global reposant, avant tout, sur l’équilibre de quelques fondamentaux, qu’il est illusoire, par conséquent, de tendre vers l’excellence sur certains paramètres en négligeant malheureusement tous les autres… L’idée d’amener de la qualité à tous les niveaux sous-tendait donc l’ambition du score C’Durable ?. Il fallut admettre également, dans le même ordre d’idées, que toutes les vertus ne peuvent pas surgir comme par enchantement et qu’il est d’abord indispensable de retrouver de l’emprise sur les questions qui font problème afin d’évoluer vers un équilibre global de la ferme.

Certes, les agriculteurs dont le score sera négatif se garderont probablement de l’afficher à tous les vents… Gageons néanmoins qu’un tel constat éveillera, chez eux, une réflexion utile plutôt que du déni, qu’il les inscrira – plutôt que de les en exclure – dans un véritable projet d’amélioration localement profitable pour tous. Gageons surtout les vrais convaincus de la bio devraient se trouver confirmés dans leur démarche, par le biais de scores positifs.

Vouloir manger local, insistons là-dessus, c’est avant tout vouloir sauver nos fermes ! Mais voulons-nous vraiment d’une production locale qui ne soit pas environnementalement irréprochable ?

 

Notes :

(1) Traduction très imparfaite, rappelons-le, de l’anglais sustainability, qui concerne la pérennité des ressources, des capacités de production.

(2) Voir : www.c-durable.be

(3) Voir : http://itab.asso.fr/activites/planet-score.php.

(4) Pour l’Éco-score de Colruyt, voir : www.colruyt.be/fr/a-propos-de-colruyt/durabilite/eco-score/eco-score-explication.

(5) Voir : www.cra.wallonie.be/fr/decide-bilans-ges-energie-et-ammoniac-de-votre-exploitation?sso_verify=3yj8no2plbggw0kw0w88wkokgswo40s48ok8oc88owwcg4wko0

(6) Voir : www.natagriwal.be/fr/biodiversite-agriculture-forets/quelles-solutions

(7) Voir : https://beterleven.dierenbescherming.nl/

(8) Voir : https://methode-idea.org/

(9) Voir : www.protecteau.be/

(10) Voir : www.cra.wallonie.be/fr/indiceau?sso_verify=yaz5mhkb168o04scoc4o044cgw4wscos04080ok4g44gwwso

Le rêve d’Anne : le Potager des liens

Le Réseau Alimentaire Dinant Solidaire (RADiS), initiative portée par Nature & Progrès et la Fondation Cyrys, souhaite favoriser la transition de la région dinantaise vers une alimentation bio et locale. Pour remédier au manque de production de légumes sur le territoire, les animatrices du Réseau ont mis en place une démarche pro-active pour soutenir les installations de maraîchers. Découvrez ainsi le projet d’Anne, citoyenne du territoire, inspiré du Potager de la Hulle, à Profondeville, qui combine maraîchage et solidarité. Nous, on a envie d’y croire ! Et vous ?

Par Sylvie La Spina

 

En ces temps difficiles, où le climat nous interpelle par ses extrêmes, où la guerre fait rage en Ukraine, où la crise économique touche autant les ménages que les petits entrepreneurs et artisans, où nous nous remettons à peine d’une pandémie qui en appellera sans doute d’autres… Nous avons besoin d’imaginer et de construire ensemble un avenir différent, et de reprendre le contrôle sur cet avenir. Seuls, nous nous sentons parfois démunis. Ensemble, nous pouvons échanger, partager, construire, agir ! C’est en partant de ce constat et de l’envie d’aller de l’avant qu’Anne a imaginé un projet : le Potager des liens. Créer du lien, c’est l’axe central de son rêve. Créer un embryon de tiers-lieu dans lequel s’incarne la volonté d’une communauté de citoyens d’aller vers un monde meilleur.

Le lieu ? Une terre idéalement gérée par un pouvoir ou un opérateur public et mise à disposition du projet. Il est plus que symboliquement important que cette terre soit commune pour sortir de la responsabilité individuelle. Une parcelle d’un demi à un hectare permettant de tisser des liens avec les autres et avec la terre, de façonner ensemble un écosystème riche de biodiversité et de partage. Un projet tourné vers l’autonomie alimentaire locale, base d’un futur plus résilient. Un projet qui nous réapprendrait à redevenir terrien, pilier d’un demain plus heureux.

 

Anne, emmène-nous dans ton rêve !

Venez, venez, entrez dans le potager ! Attention, c’est fort, c’est un concentré de magie de la vie terrestre. Vous les voyez ces légumes ? Des petits, des gros, des qui rampent, des qui grimpent, des verts, des mauves, des rouges… Et ici, juste à côté, une mare, apaisante pour le cœur et l’esprit, animée par les balais des libellules, le coassement des grenouilles et les cancanements joyeux des canards coureurs indiens. Des haies mélangeant les essences indigènes, servant d’abri et de garde-manger aux insectes, oiseaux et petits mammifères. On entend déjà d’ici les pépiements, gazouillis et stridulations de ses habitants ! Dans le verger hautes-tiges, des fleurs bourdonnantes d’abeilles au printemps, un bar convivial proposant tisanes, jus de fruits et de légumes en été, et des fruits en automne, récoltés par les habitants du quartier qui partageront ensuite un atelier sur la conservation. Et dans le jardin des simples, un assortiment de plantes médicinales, aromatiques et sauvages, véritable vitrine de la biodiversité et de l’usage potentiel des plantes dans la vie de tous les jours. Un endroit dédié à la nature, où l’on se sent bien.

Anne aimerait continuer ses activités dans le maraîchage. Mais pas n’importe comment. La priorité, c’est le respect de la terre, en favorisant un travail superficiel et en nourrissant le sol. Les pesticides sont bannis et ce, sans grand regret vu leur inutilité dans un écosystème diversifié, riche d’auxiliaires naturels tels que les coccinelles, les petites guêpes, les carabes, les mésanges, les hérissons, etc. Les cultures seraient destinées à alimenter les cantines scolaires via les potages développés par le Réseau RADiS, mais aussi à la confection de paniers à destination du voisinage.

 

Maraichère… mais pas seule !

Le Potager des liens se veut être un endroit de partage accueillant des stagiaires en formation, des personnes en réinsertion socio-professionnelle, des citoyens volontaires… Idéalement, deux maraichers et un travailleur social seraient dédiés à la gestion du lieu et aux cultures.

Les ateliers du savoir-faire proposeraient des échanges favorisant l’autonomie de chacun : faire ses conserves et ses tisanes, cultiver son potager, connaitre et utiliser les plantes sauvages, accueillir et préserver la biodiversité… Des savoirs que l’on n’apprend – malheureusement ! – plus à l’école et qui sont pourtant les clés de la résilience.

Quand on imagine le projet d’Anne, on se sent… admiratif, revigoré, enthousiaste, serein pour l’avenir ! Oui, ce rêve, il faut le réaliser. Quels sont donc les ingrédients manquants ? D’abord, le lieu. Outre la rencontre des pouvoirs publics locaux de la région dinantaise, un projet de cartographie au service de la transition alimentaire, initié par le Bureau Economique Provincial (BEP) en collaboration avec Terre-en-Vue, pourrait apporter des solutions. Ensuite, le financement. Un tel projet nécessite beaucoup de temps et d’énergie pour être pensé et créé de manière participative avec les citoyens, structures sociales et autres acteurs du territoire. L’aménagement du site devrait également être soutenu, par des aides publiques ou privées. Un dossier a été introduit au futur GAL Haute-Meuse pour inclure le projet dans ses activités. Nous croisons les doigts !

 

Le potager de la Hulle à Profondeville, source d’inspiration

Le CPAS de Profondeville a mis en place le Potager de la Hulle, en 2006. A cette époque, c’est la confection de paniers de légumes à destination des citoyens qui était visée, avec une réduction de prix pour les bénéficiaires du revenu d’intégration sociale. Devant le faible succès de l’initiative malgré des tarifs dérisoires, les activités ont été réorientées, en 2014, vers un autre objectif : fournir les cantines scolaires communales. Le terrain cultivé – vingt ares -, un verger et une parcelle où sont élevés des animaux, sont mis à disposition par la commune.

Aujourd’hui, le potager de la Hulle dispose d’un agrément en économie sociale. Il est intégré au service d’insertion socio-professionnelle du CPAS et poursuit trois objectifs : la culture de légumes à destination des écoles, l’éducation grâce à des ateliers didactiques – notamment pour les élèves – et la réinsertion grâce à l’emploi, en continu, d’un ou de deux ouvriers sous statut Article 60. L’équipe du potager de la Hulle est constituée d’un maraîcher-éducateur et d’un maraîcher-animateur.

Les quatre-vingt-cinq mille euros annuels nécessaires – dont quatre-vingt mille euros de salaires et cinq mille de matériel – sont financés par le CPAS, en prenant en compte la plus-value de la fourniture des légumes. Ces derniers vont en priorité aux quatre écoles communales et alimentent les colis alimentaires du CPAS et de Saint-Vincent de Paul. Cette fourniture n’est pas chiffrée, les légumes n’étant pas vendus pour réduire la charge administrative. Le CPAS répond aussi régulièrement à des appels à projets.

« Nous sommes sûrs, nous disait-on à La Hulle il y a quelques années, que la différence, en termes de goût et de fraîcheur, entre nos légumes et ceux qu’on trouve habituellement sur le marché, est reconnue et appréciée. Le projet doit aussi permettre de profiter de la proximité du jardin pour ouvrir l’esprit des enfants et stimuler leurs papilles gustatives… Un simple exemple : ils apprécient nos tomates mais à condition qu’elles soient bien rouges, alors que nous pourrions planter des Green Zebra et des Noires de Crimée… Là où des couleurs, des formes et des goûts très différents pourraient éveiller la curiosité des enfants, surgit souvent la crainte qu’ils ne mangent pas ce qu’on leur prépare… Mais la solution n’est-elle pas dans le problème ? Au lieu de laisser naître une peur et de la transmettre aux enfants, ne faut-il pas justement valoriser ce que nous leur donnons à manger, notamment en leur permettant d' »apprivoiser » le vivant, de s’approprier le potager et son fonctionnement ? » Une vraie leçon de vie à méditer !

 

Des initiatives à soutenir !

Concilier maraîchage et lien social, c’est un idéal que Nature & Progrès et la Fondation Cyrys souhaitent défendre et développer en région dinantaise. Les besoins sont présents ! À peine quelques pourcents des besoins en légumes du territoire sont couverts par les producteurs locaux. Par ailleurs, la fourniture en potage des écoles, par le Réseau RADiS, prend son envol, avec une multiplication par cinq des volumes à produire, dès le mois de septembre prochain ! Et donc, cinq fois plus de légumes bio locaux nécessaires pour les préparer… Un magnifique défi pour notre Réseau et une opportunité pour le développement du maraichage ! Dans le cadre du Réseau RADiS, Sandra, notre chargée de mission « alimentation solidaire », engage une démarche auprès des communes pour leur présenter le modèle du maraîchage d’insertion et proposer un accompagnement à la mise en œuvre.

Comment la biodiversité peut contrer les épidémies

L’homme est-il toujours à la merci de ses virus ? La réponse à cette question est affirmative et l’émergence de la pandémie de Covid met bien en évidence le fait que l’érosion de la biodiversité, à laquelle nous assistons maintenant, porte atteinte au système qui soutient la vie humaine. En effet, plus un écosystème est riche en biodiversité, plus il est difficile pour un agent pathogène de se propager rapidement…

Par Jean-Pierre Gratia

 

Les changements dans l’environnement sont, en effet, un important facteur de 1’émergence des zoonoses et, en perturbant le délicat équilibre de la nature, l’homme a créé des conditions qui permettent à des agents pathogènes, comme les coronavirus, de se propager. Il faut se dire que l’activité humaine et la destruction de la biodiversité augmentent les migrations de la faune sauvage et la fréquence des contacts entre le monde sauvage et humain, ce qui favorise la transmission rapide du virus. L’élevage intensif, qui caractérise le mode actuel de l’agriculture et qui devrait être modifié, se révèle être un excellent incubateur du virus et une passerelle facile jusqu’à l’homme. C’est là, notamment, en quoi la Covid diffère des épidémies des siècles passés, quand la biodiversité était beaucoup moins affectée et pouvait protéger l’homme davantage que maintenant (2).

 

L’effondrement de la biodiversité

Depuis les trente dernières années, nous constatons un effondrement de la biodiversité. Notre culture semble constituer un handicap pour comprendre la biodiversité. On peut se demander comment la biomasse des insectes a pu diminuer de 80% en Europe sur une période aussi courte et pourquoi les colonies d’abeilles sont atteintes à ce point dans la même période. Les travaux scientifiques sont pléthoriques sur ces sujets mais ne dégagent pas de consensus. Les chercheurs et des organismes comme l’IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services) mettent en avant un processus multifactoriel fondé sur cinq points : changement d’usage des terres et des mers, exploitation directe, changement climatique, pollution et espèces invasives. Il est rarement mention des pesticides alors que, pour une partie des praticiens, le lien avec ces produits paraît primordial (3).

Les maladies infectieuses sont causées par des virus ou par des microorganismes pathogènes, tels que des bactéries, des protistes ou des levures. Elles peuvent se transmettre d’un individu à un autre, au sein d’une même espèce ou d’une espèce à une autre. Dans le cas d’une transmission d’un animal à un être humain, ces maladies sont appelées « zoonoses ». On dit des maladies infectieuses qu’elles sont « émergentes » lorsqu’elles émanent d’un nouvel agent infectieux ou que leur diagnostic et leur identification est récente. Si elles se propagent rapidement, au sein d’une population et que l’on constate un grand nombre de cas infectés, on parle d’épidémie, puis de pandémie quand la propagation atteint plusieurs pays et plusieurs continents (4).

Comment un virus peut-il passer d’une espèce à une autre, du monde sauvage à l’espèce humaine ? Il y a trois ans, le monde entier entama une période de confinement afin de ralentir la propagation du virus de la Covid-19. Causée par l’émergence du coronavirus, cette maladie infectieuse a soulevé de nombreuses interrogations, sur le plan médical, sanitaire ou environnemental. Les chercheurs ont rassemblé les connaissances existantes pour mettre en lumière les consensus et dissensus sur les zoonoses, au sein de la communauté scientifique, et identifier les lacunes de connaissances dans ce domaine. Plusieurs rapports ont été publiés par différentes instances, dont l’IPBES et la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB). Depuis cinquante ans, le nombre d’épidémies au niveau mondial a augmenté avec, en moyenne, environ deux à trois nouveaux agents infectieux émergents par an. Selon le rapport de l’IPBES, 70 % des maladies émergentes, telles que l’encéphalite, l’Ebola, les maladies dues au virus Zika ou Nipah, et presque toutes les pandémies connues – grippe, VIH/Sida, Covid-19 – sont des zoonoses. Bien que ces pandémies proviennent de divers pathogènes transportés par des réservoirs animaux, leur émergence est, en très grande partie, due aux activités humaines. L’IPBES se fonde sur les estimations de l’article de Dobson et al. (5) qui recouvrent les coûts associés à la surveillance du commerce d’espèces sauvages, aux programmes de détection précoce et de contrôle des maladies, à la recherche sur les virus des espèces sauvages et leur potentiel de transmissions aux espèces domestiques et aux humains, à la mise en place de mesures visant à diviser par deux la déforestation dans les zones tropicales, et à la fermeture du secteur de la production de viande sauvage en Chine. Dans le cas de la Covid-19, l’origine du virus est encore méconnue. Une proximité forte avec les virus présents chez certaines chauves-souris a été démontrée mais les mécanismes ayant mené à l’émergence, à l’évolution de la souche SARS-Cov2 et à sa transmission aux humains sont encore inconnues (6). Des recherches sont en cours pour acquérir de nouvelles connaissances et venir éclairer les décideurs sur les mesures de prévention à adopter.

 

Quelques exemples de zoonoses transmissibles à l’homme

La compréhension des liens entre la perte de biodiversité et les maladies zoonotiques est importante pour la santé publique et les programmes de conservation de la nature, ce qui a fait l’objet de nombreux débats et d’études scientifiques. Il est suggéré que les bruits dans les habitats peuvent affecter la diversité locale et la composition des hôtes réservoirs. En analysant plus de six mille assemblages écologiques et trois cent quarante-six espèces-hôtes à travers le monde, on a pu montrer que l’usage intensif d’un territoire a des effets systématiques sur les communautés locales zoonotiques. L’étendue des effets varie selon les espèces et est la plus forte chez les rongeurs, les chauves-souris et les passereaux. Les espèces de mammifères porteuses d’agents infectieux sont à même de se produire dans les écosystèmes gérés par l’homme, ce qui suggère que ces tendances peuvent dépendre de caractéristiques écologiques. Les changements globaux dans le mode d’utilisation d’un territoire peuvent créer des interfaces hasardeuses entre les peuples et les réservoirs de maladies zoonotiques (7).

Au travers de la pêche ou d’activités touristiques, les humains entretiennent également des liens étroits avec la biodiversité marine. L’ingestion d’un produit issu du milieu marin ou le contact avec une eau infectée peut engendrer une transmission d’agents responsables d’infections cutanées localisées ou de maladies systémiques – c’est-à-dire qui affectent tout le corps et non pas certains organes – potentiellement mortelles, et donc représenter des risques pour la santé publique. Des chercheurs américains ont révélé que les vertébrés marins, dans l’Atlantique Nord-Ouest, peuvent aisément transmettre des agents pathogènes aux baigneurs, aux pêcheurs et au personnel de santé de la faune. Ces maladies infectieuses peuvent ensuite se propager via le commerce et les mouvements transfrontaliers de produits marins liés à l’intensification de l’aquaculture et de la mondialisation des produits de la mer. Les mouvements de migration des espèces marines participent aussi à ce phénomène. Les agents pathogènes présents chez les vertébrés marins peuvent venir de la contamination des eaux côtières par les eaux usées, le ruissellement et les déchets agricoles et médicaux (8).

Un déclin de longue date et une dépression de la densité chez les petits rongeurs, comme le campagnol, est un phénomène récent très étendu. Les changements observés peuvent avoir des effets en cascade au niveau des écosystèmes. Dans les paysages boréaux changeants, il apparaît des relations entre des altérations de biodiversité dans des communautés de petits mammifères et des effets potentiels sur les risques de transmission du virus Puumala, causant une maladie néphritique d’origine zoonotique chez l’homme (9). Des chercheurs étudiant la maladie de Lyme, due à une bactérie (Borrelia burgdorfi) transmise à l’homme par la tique mais dont l’hôte originel est la souris à pattes blanches, démontrent qu’en morcelant les forêts et en supprimant les prédateurs de la souris, l’homme crée un vide et devient lui-même un hôte potentiel. La place est libre aussi pour ces souris vectrices de la bactérie, qui se mettent à proliférer. Ainsi, quand la biodiversité animale est pauvre, le risque qu’une tique soit infectée en se nourrissant est élevé (10). La perte d’espèces animales et végétales, en Amazonie, est une des nombreuses conséquences de la déforestation. Celle-ci affecte les communautés indigènes ainsi que les populations en dehors du fleuve et dans les villes. On a pu montrer que les mauvaises conditions climatiques qui en résultent favorisent l’émergence de maladies infectieuses et que les activités associées à la déforestation contribuent à la propagation des vecteurs des maladies (11).

 

Émergence de maladies infectieuses et érosion de la biodiversité

Les maladies infectieuses apparaissent globalement à une fréquence sans précédent, alors que la demande en nourriture est prévue d’accroître d’ici 2100. En tentant de faire la synthèse des chemins par lesquels l’expansion et l’intensification agricoles projetées influenceront les maladies infectieuses humaines et comment celles-ci pourraient affecter la production de nourriture et sa distribution, on se rend compte que onze milliards d’humains vont requérir un accroissement substantiel en céréales et en viande, et une fréquence accrue des contacts entre hommes et animaux domestiques et sauvages, avec toutes les conséquences en matière d’émergence et d’expansion des agents pathogènes. En effet, les chauffeurs agricoles risquent d’être atteints de maladies infectieuses d’origine zoonotique dans 50 % des cas (12).

Des changements dans l’usage d’un territoire, dans les populations animales et le climat, dus principalement à la surpopulation humaine, mènent à l’émergence des zoonoses. Le degré d’infection, par un agent pathogène, dans la population humaine, dépend des changements au niveau des zoonoses et du contexte. Dans les écosystèmes domestiques, péri-domestiques et forestiers, l’intervention humaine constitue un effet primordial dans l’émergence des zoonoses, ce qui nécessite la compréhension de l’écologie des maladies et des facteurs de pathogènes qui vraisemblablement interagissent différemment avec les contextes écologiques et culturels (13). Malgré des mesures de contrôle, de nombreuses maladies infectieuses ou parasitaires apparaissent ou causent des épidémies récurrentes, surtout en Asie et dans les régions de l’Océan Pacifique. En investiguant la façon dont la biodiversité affecte la distribution des maladies infectieuses et les épidémies dans ces régions et en tenant compte de la composition végétale et animale, on a pu montrer que le nombre d’épidémies zoonotiques est positivement lié au nombre d’espèces d’oiseaux et de mammifères menacées, mais est négativement lié à la couverture forestière (14).

Les maladies infectieuses, émergentes et non-émergentes, sont devenues un problème environnemental global, avec des conséquences importantes en matière de santé publique, d’économie et de politique. Et les changements anthropogéniques environnementaux qui affectent les communautés sauvages sont impliqués dans l’émergence et la diffusion d’une maladie. Bien que l’on sache que l‘incidence accrue d’une maladie est liée à la perte de biodiversité pour plusieurs zoonoses, les tests expérimentaux dans ces systèmes font défaut. En manipulant la biodiversité des petits mammifères par le déplacement d’espèces non-réservoir, dans des parcelles de terrain au Panama où les hantavirus zoonotiques sont endémiques, on a pu constater à la fois une prévalence d’infection par les hantavirus dans les populations de petits mammifères – comme les rongeurs – et une densité de population-réservoir accrue, là où la diversité des espèces de petits mammifères est réduite. Indépendamment des autres variables qui affectent la prévalence des infections transmises directement dans les communautés naturelles, la biodiversité est importante quand la transmission de pathogènes zoonotiques est réduite parmi les hôtes sauvages (15).

 

Préserver la biodiversité pour se préserver des pandémies

Le nombre de microbes et de virus confondus sur Terre peut atteindre 1030, dont un petit nombre peut infecter l’homme et causer des maladies. La diversité des organismes parasitaires dépend de leurs hôtes, et le nombre de mammifères hôtes pour les infections zoonotiques augmente en corrélation avec le nombre d’espèces, dans les différents ordres de mammifères. Donc, alors que la perte ou la fragmentation des habitats peut réduire la biodiversité, l’empiètement des habitats par l’homme, au niveau des aires riches en espèces, peut accroitre l’exposition à de nouveaux agents infectieux issus de la faune sauvage. En concevant des changements dans l’exposition de l’homme aux agents infectieux, au sein de classes définies de fragmentation d’habitat, on a tenté de prédire que la division accrue d’habitats accroît les risques d’infection. En appliquant les modèles conceptualisés aux forêts africaines, on a pu identifier les zones de haut risque pour l’atténuation et le contrôle de nouvelles maladies émergentes et prévoir que les mesures d’atténuation peuvent réduire ce risque tout en conservant la biodiversité (16).

Les populations de faune sauvage sont en train de décliner à des échelles locales et globales. Les impacts de défaunassions incluent des changements en cascade au niveau des petits animaux, en particulier les rongeurs, et une altération de beaucoup de processus écosystémiques entraînant des changements de prévalence et de transmission des maladies zoonotiques. Dans le cas de zoonoses impliquant des rongeurs, il y a une évidence en faveur de l’hypothèse que la perte importante d’une faune sauvage accroît le risque de maladie zoonotique, suite à un relâchement des contrôles de la fréquence des rongeurs. Cette hypothèse a été vérifiées expérimentalement, en excluant une grande partie de la faune sauvage d’un écosystème de savane, en Afrique de l’Est, et en examinant les changements de prévalence et d’abondance de l’infection par la bactérie Bartonella (17) chez les rongeurs et ses vecteurs. On n’a pas trouvé d’effet de ce retrait de faune sauvage sur la prévalence de l’infection par cette bactérie chez les rongeurs et les puces. Cependant, à cause de l’abondance doublée des puces et des rongeurs qui suit les défaunassions expérimentales, la densité des hôtes infectés était doublée dans les sites où une large partie de la faune était absente. Ces défaunassions représentent donc un risque de transmission de Bartonella à l’homme (18).

La préservation de la biodiversité apparaît donc comme un enjeu fort dans la lutte contre l’apparition de nouvelles zoonoses et pandémies (19). À ce stade, pour imaginer des solutions pertinentes, il est nécessaire de mieux comprendre le risque d’émergence d’une pandémie.

 

Comment limiter les effets de l’altération de la biodiversité ?

L’IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services) propose de classer les pistes de solutions en cinq catégories :

– lutter contre le changement d’usage des terres pour réduire le danger – les espèces sont plus résilientes aux maladies – et l’exposition – moins de contacts entre les humains et les espèces sauvages,

– réduire les risques liés au contact avec les animaux sauvages pour contribuer directement à réduire l’exposition,

– faire évoluer la gouvernance internationale,

– augmenter la sensibilisation et l’engagement de la société,

– renforcer la recherche.

La réduction de la vulnérabilité passe par les systèmes de santé : développement des infrastructures de santé, augmentation de leur capacité d’accueil, solutions sanitaires – traitements, vaccins… Cette approche – qui est celle habituellement mise en œuvre – repose principalement sur une réponse réactive, basée sur le contrôle d’une maladie après son émergence. Toutefois, la réduction des facteurs d’émergence des maladies, afin de prévenir leur apparition même, est plus efficace et devrait être privilégiée.

Selon l’IPBES, la prévention des épidémies, par la lutte contre les facteurs de perte de biodiversité, a un coût économique et social moins important que la réaction aux pandémies. Les mesures de contrôle, après l’apparition d’une maladie, causent un peu plus de mille milliards de dollars de dommages économiques par an, tandis que la prévention des pandémies par la préservation de la biodiversité est estimée aurait un coût compris entre vingt-deux et trente-et-un milliards de dollars par an…

 

Changement d’utilisation des terres et races locales

Les contacts entre les animaux domestiques et les animaux sauvages infectés, ou entre les animaux infectés et les humains, doivent être évités. La réduction des habitats naturels par les activités humaines augmente les contacts et donc l’exposition des humains et des animaux domestiques aux agents infectieux. Les changements d’usage des terres sont motivés par nos modes de consommation qui sont aujourd’hui intensifs et mondialisés. Par exemple, la consommation d’huile de palme, de plantes et de bois exotiques, de viande et d’autres produits animaux internationaux, de produits nécessitant l’extraction de métaux, d’infrastructures de transport… Cela crée un terreau très favorable aux pandémies, les systèmes étant moins résilients et plus connectés.

Une consommation sobre qui, pour l’alimentation favorise les produits issus de l’agroécologie et des circuits courts, est donc un moyen de prévenir l’émergence de zoonoses, via le changement d’usage des terres. Du côté de la production, l’IPBES identifie la possibilité de mettre en place des mécanismes incitatifs – subventions ou taxes – pour que les entreprises évitent les changements d’usage des terres, les produits agricoles ou d’élevage d’animaux sauvages présentant un risque particulier de zoonose. La surveillance et les mesures de biosécurité, autour des exploitations agricoles intensives, peuvent être renforcées afin de s’assurer de l’absence de contacts avec les animaux sauvages.

Les compromis à faire entre maintien des mesures de conservation et de restauration et changement d’utilisation des terres lorsque le risque de propagation de la maladie augmente, permettraient d’étendre et d’améliorer le degré de protection des aires protégées afin de limiter la multiplication des zoonoses, tant terrestres que marines. Ces points, soulignés par l’IPBES, peuvent être complétés par d’autres éléments mis en avant par la FRB (Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité) (20), dans son travail sur les liens entre zoonoses et biodiversité. Des aires sous protection forte devraient voir l’interdiction ou le strict encadrement des changements d’usage des terres, limitant ainsi l’interface entre la vie sauvage, les animaux d’élevage et les humains. Elles permettent également de préserver la richesse et la diversité des espèces hôtes et de diminuer la probabilité du passage d’un pathogène de l’animal à l’humain (21). Des mesures de conservation et d’utilisation de la diversité des races domestiques permettraient de renforcer la résilience des systèmes d’élevage face au risque zoonotique. Les races locales sont souvent plus adaptées aux conditions d’un milieu donné, contrairement aux espèces qui ont été sélectionnées pour leur performance de production, sans lien avec le milieu dans lequel elles vivent.

 

Les conditions de chasse et de commerce des espèces sauvages

Il peut être envisagé d’éliminer les agents infectieux ou les espèces hôtes de ces pathogènes mais cela va à l’encontre d’une logique de préservation de la biodiversité et, surtout, le succès de telles opérations n’est pas assuré. Par exemple, en 2012 au Royaume-Uni, un programme d’abattage des blaireaux a été lancé par le gouvernement afin de lutter contre la tuberculose bovine. Or, selon une étude de 2007 de « Independent Scientific Group on Cattle TB », le blaireau n’est pas la seule espèce vectrice de cette maladie et l’abattage de cette espèce ne contribue pas de manière positive, ou rentable, au contrôle de la tuberculose bovine en Grande-Bretagne (22).

Les espèces identifiées comme étant hôtes ou vectrices d’agents pathogènes ont des fonctions écologiques importantes et leur éradication est évidemment impossible. Par exemple, les chauves-souris Rhinolophes sont des réservoirs importants de virus potentiellement pathogènes pour l’homme mais sont aussi des animaux essentiels au bon fonctionnement des écosystèmes terrestres. Les populations humaines en retirent des services multiples et importants, notamment en matière de régulation des populations d’insectes, vecteurs ou ravageurs des cultures, de pollinisation et de régénération végétale (23). L’acquisition de matériel génétique en provenance de virus a fortement contribué à l’histoire évolutive des espèces, dont la nôtre. En effet, les transferts horizontaux d’ADN sont reconnus comme un phénomène important dans l’évolution des organismes pluricellulaires. Le maintien de la diversité génétique est donc important dans une perspective évolutive.

Les pistes principales d’action sont donc celles qui concernent les conditions de chasse et de commerce des espèces sauvages. Elles recouvrent des mesures prophylactiques – qui préviennent une maladie – pour sensibiliser, communiquer et éduquer les populations – chasseurs, vendeurs et consommateurs – à l’hygiène lors de la manipulation, du commerce et de la consommation de viande sauvage. Il faudrait tester l’efficacité de certaines mesures visant à prévenir les risques liés à une mauvaise utilisation des micro-organismes ou des toxines, comme l’instauration de journées de nettoyage des marchés de vente de viande sauvage, l’amélioration de la chaîne du froid et des protocoles de biosécurité et de biosûreté. Il est également important de surveiller les maladies des animaux sauvages, domestiques, ainsi que celles affectant les chasseurs, agriculteurs et négociants en contact avec des espèces sauvages, pour éviter qu’elles ne se transforment en épidémies, voire en pandémies. Cela implique également de renforcer, au niveau international, l’application de la réglementation en matière de commerce d’animaux sauvages et à un élargissement significatif de son champ d’action en matière d’espèces concernées. La convention, dite de Washington, sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) pourrait s’étendre au commerce d’espèces sauvages présentant un risque élevé d’émergence de maladies. Des contrôles renforcés sont nécessaires et nécessitent une collaboration entre les Etats (24).

 

La santé globale des humains, des animaux et de l’environnement

Il serait utile de développer l’approche Eco Health dans la gouvernance et les politiques. Eco Health – une organisation non-gouvernementale dont la mission déclarée est de protéger les personnes, les animaux et l’environnement contre les maladies infectieuses émergentes – est une approche qui reconnaît les interdépendances entre la santé des espèces humaines, domestiques et sauvages. Selon cette logique, les uns ne peuvent être en bonne santé si les autres ne le sont pas ! Au niveau des politiques, une approche Eco Health implique d’introduire les enjeux de santé publique comme enjeux des politiques de conservation, mais aussi d’introduire les enjeux de la conservation comme enjeu des politiques de santé publique humaines, animales et végétales.

Les systèmes agro-alimentaires et les modes de consommation ont donc un rôle important à jouer et doivent être pris en compte dans l’approche Eco Health, l’alimentation étant une composante importante de la santé humaine, tandis que l’agriculture et l’élevage se soucient directement de la santé des espèces domestiques. L’agriculture intensive étant, par ailleurs, le premier facteur de perte de biodiversité, elle joue un rôle important dans la santé des espèces sauvages et serait responsable de plus de d’un quart de toutes les maladies infectieuses et de plus de la moitié des zoonoses (25). L’IPBES note qu’à ce stade, il n’existe pas d’instance de gouvernance internationale – organe intergouvernemental ou convention internationale – dédiée à la prévention des pandémies ou à l’atteinte d’une santé globale pour les humains, les animaux et l’environnement. Etablir de telles instances peut permettre de faire avancer la prise en compte de l’approche Eco Health mais, comme la FRB le soulignait fin 2019, il y a déjà une multiplication des organes de gouvernance traitant de la biodiversité (26). Un partenariat intergouvernemental – via les organes en place tels que l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), la CITES, la Convention sur la diversité biologique (CDB), l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) – pourrait notamment permettre de réduire les risques de zoonoses via le commerce international d’espèces sauvages.

Le calendrier politique est dense, au niveau national et international, mais peut permettre l’intégration de ces enjeux de santé dans les politiques de biodiversité. Des mesures concourant à sa préservation peuvent également jouer le rôle d’assurance contre de futures épidémies. Au niveau des financements, l’IPBES identifie comme option la génération de nouvelles obligations vertes d’entreprises ou souveraines pour mobiliser des ressources pour la conservation de la biodiversité et la réduction du risque de pandémie. Il faut sensibiliser la société et engager les citoyens et les acteurs économiques dans les mesures de réduction des risques pandémiques. Chaque citoyen a un rôle à jouer dans la réduction des risques épidémiques, en tant que consommateur, en tant que voyageur… Afin de faire évoluer les comportements, des mesures d’éducation et de communication sont nécessaires, notamment chez les jeunes générations. Une réflexion sociétale peut être menée afin de classer les modes de consommation selon le niveau de risque qu’ils comportent de faire émerger une pandémie, afin de trouver collectivement des solutions alternatives. La transition vers des régimes alimentaires plus sains – avec une consommation responsable de viande – est un élément clé pour lutter contre le changement d’usage des terres – par exemple, la viande importée ou nourrie avec des produits d’importation comme le soja entraînant la déforestation – ou contre les risques sanitaires associés à la consommation de viande sauvage. Cette démarche doit s’inscrire dans une réflexion plus large sur la sécurité alimentaire, qui permettrait d’allier une réduction de la consommation d’animaux sauvages et une agriculture plus durable.

 

Continuer à chercher !

Il existe encore beaucoup d’inconnues pour mieux comprendre l’émergence des zoonoses. Voici, en guise de conclusion, les points identifiés, par la FRB et l’IPBES, comme prioritaires pour la recherche sur le sujet « biodiversité et santé » et qui ont déjà fait l’objet d’études poussées, ainsi qu’exposé précédemment :

– développer des méthodes et des modèles de prédiction des zoonoses, en étudiant la relation entre la dégradation et la restauration des écosystèmes et la structure du paysage, et le risque d’émergence des maladies ;

– conduire des analyses économiques du retour sur investissement pour les programmes qui réduisent les changements environnementaux qui conduisent aux pandémies ;

– mieux comprendre les principaux comportements à risque qui conduisent à des pandémies et le rôle joué par différents acteurs : communautés rurales, secteur privé, gouvernements nationaux ;

– recueillir des données sur l’importance relative du commerce illégal, non réglementé et légal et réglementé de la faune sauvage dans le risque d’épidémies ;

– mieux connaître la diversité microbienne en lien avec le potentiel d’émergence ou le développement de thérapies ou de vaccins ;

– mettre en place des observatoires dédiés au suivi des agents pathogènes et mieux comprendre les fondements évolutifs des changements d’hôtes impliqués dans la propagation des maladies zoonotiques et l’adaptation des agents pathogènes émergents à de nouvelles espèces.

 

Notes :

(1) Gratia J-P (2011), L’homme toujours à la merci de ses virus ?, L’Harmattan, Paris

(2) Aguirre A (2017), Changing Patterns of Emerging Zoonotic Diseases in Wildlife, Domestic, Animals, and Humans Linked to Biodiversity Loss and Globalization. ILAR J 58(3), 315–318.

(3) IPBES (2020), Workshop Report on Biodiversity and Pandemics of the Intergovernmental Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. Daszak et al. (Eds.), IPBES secretariat, Bonn, Germany – https://doi.org/10.5281/zenodo.4147317

(4) Jones KE et al. (2008), Global trends in emerging infectious diseases, Nature, 451, pages 990–993.

(5) Dobson AP et al. (2020), Ecology and economics for pandemic prevention, Science 369 (6502), 379-381.

(6) Wacharapluesadee S et al. (2021), Evidence for SARS-CoV-2 related coronaviruses circulating in bats and pangolins in Southeast Asia., Nature Comm12 (1),‎ 972.

(7) Gibb R et al. (2020), Zoonotic host diversity increases in human-dominated ecosystems. Nature, 584, 398-402.

(8) Pouget B (2019), La marine de guerre française et les grandes épidémies en Méditerranée. Quarantaines, réseau hospitalier et proto-impérialisme sanitaire (années 1820-années 1830), Histoire, économie et société, 2019/3, 69 – 82.

Bogomolni et al. (2008) , Victims or vectors: a survey of marine vertebrate zoonoses from coastal waters of the Northwest Atlantic, Dis Aquat Organ 81(1), 13-38.

(9) Ecke F et al. (2017), Dampening of population cycles in voles effects small mammal community structure, decreases diversity and increases prevalence of a zoonotic disease. Ecol Evo 7(14), 5331-5342

(10) Keesing F S et al. (2022), Effects of tick-control interventions on tick abundance, human encounters with ticks, and incidence of tick-borne diseases in residential neighborhood, Emerg Infect Dis 28(5), 957-966.

(11) Ellwanger JH et al. (2020), Beyond diversity loss and climate change: Impacts of Amazon deforestation on infectious diseases and public health, An Acad Bras Cienc 92(1), e20191375.

(12) Rohr JR et al. (2019), Emerging human infectious diseases and the links to global food production. Nat Sustain 2, 445–456.

(13) McMahon J et al. (2018), Ecosystem change and zoonoses in the Anthropocene, Zoonoses Public Health 65(7), 755-765.

(14) Morand S et al. (2014), Infectious Diseases and Their Outbreaks in Asia-Pacific: Biodiversity and Its Regulation Loss Matter, PLoS ONE 9(2), e90032

(15) Suzán G (2009), Experimental Evidence for Reduced Rodent Diversity Causing Increased Hantavirus Prevalence, PLoS ONE 4(5), e5461

(16) Wilkinson DA (2018), Habitat fragmentation, biodiversity loss and the risk of novel infectious disease emergence, J R Soc Interface 15, 20180403.

(17) Bactérie assez courante, répandue dans le monde entier, qui vit dans la paroi des vaisseaux sanguins et peut être présente chez l’être humain comme chez les animaux. Elle est généralement transmise par les tiques, les puces, les phlébotomes, les moustiques et les chats.

(18) Young HS et al. (2014), Declines in large wildlife increase landscape-level prevalence of rodent-borne disease in Africa, PNAS 111(19), 7036-7041.

(19) Keesing FS et al. (2010) Impacts of biodiversity on the emergence and transmission of infectious diseases, Nature 468, 647-652.

(20) Voir : www.fondationbiodiversite.fr/biodiversite-et-epidemies/

(21) Wilkinson DA et al (2018), Habitat fragmentation, biodiversity loss and the risk of novel infectious disease emergence, J R Soc Interface 15, 20180403. 20180403.

(22) Bourne, J. (2007), Bovine TB : The Scientific Evidence. A Science Base for a Sustainable Policy to Control TB in Cattle. An Epidemiological Investigation into Bovine Tuberculosis, Final Report of the Independent Scientific Group on Cattle TB. Presented to the Secretary of State for Environment, Food and Rural Affairs. The Rt Hon David Miliband MP, p 23.

(23) Moratelli R, Calisher CH (2015), Bats and zoonotic viruses : can we confidently link bats with emerging deadly viruses ?, Mem Inst Oswaldo Cruz 110(1), 1-22.

(24) Reeve R (2002), Policing International Trade in Endangered Species, The CITES treaty and compliance, Earthscan Publications, Londres

(25) Mayer N (2020), Urbanisation et agriculture intensive augmentent le risque de pandémies, World Economic Forum

(26) Voir : www.fondationbiodiversite.fr/plaidoyer-pour-une-cop-15-biodiversite-ambitieuse-et-pour-un-rapprochement-des-conventions-issues-de-rio/

 

 

La justice européenne a tranché : Nature & Progrès obtient la fin des néonicotinoïdes

Grande victoire pour les abeilles ! La bataille contre les insecticides néonicotinoïdes est gagnée ! Une bataille de très longue haleine que Nature & Progrès aura menée pendant près de vingt ans, sans jamais rien lâcher, jusqu’à ce jeudi 19 janvier 2023, où la justice européenne a tranché en faveur des abeilles et contre les autorisations abusives octroyées, par onze états – dont la Belgique ! -, à ces insecticides tueurs d’abeilles.

Par Isabelle Klopstein

 

Au-delà du cas emblématique des néonicotinoïdes et des semences de betteraves traitées, cette décision judiciaire confirme l’illégalité, en Belgique et dans chacun des vingt-six autres Etats membres de l’Union européenne, de toutes les dérogations d’urgence permettant l’utilisation temporaire d’un pesticide interdit au niveau européen, pour sa toxicité environnementale ou ses effets nocifs sur la santé humaine et animale.

 

Un grand jour pour la biodiversité !

Nous nous réjouissons que la portée de cet arrêt dépasse le cadre des recours que nous avons déposés, avec PAN Europe, devant le Conseil d’Etat, visant à faire prononcer l’illégalité des autorisations de néonicotinoïdes pour le traitement des semences, la vente des semences traitées et le semis des semences traitées. C’est donc un très grand jour pour la biodiversité, notre santé et celle des abeilles et de tous les polinisateurs dont la contribution à notre agriculture est inestimable. Les juges européens ont clairement fait primer l’objectif de protection de l’environnement sur celui du rendement agricole et du profit. Le thiaméthoxame, l’imidaclopride et la clothianidine, ainsi que tous les pesticides hautement toxiques et interdits sont définitivement bannis ! La Belgique est dorénavant contrainte de respecter une interprétation stricte de la législation européenne sur les pesticides, la seule à même de garantir un niveau élevé de protection.

Ces longues années de lutte contre les néonicotinoïdes furent menées sur tous les fronts possibles. Nature & Progrès n’a eu de cesse de réclamer l’application du principe de précaution et la suspension de ces insecticides dangereux. Au début des années 2000, les premières preuves scientifiques de la toxicité de l’imidaclopride puis les multiples alertes des apiculteurs ne suffirent pourtant pas à faire réagir les pouvoirs publics belges. En 2006, l’association prit alors les choses en main, en organisant un grand colloque à Namur, mais il faudra attendre 2012, et de nombreuses interpellations et actions de sensibilisation, pour que la non-toxicité des néonicotinoïdes soit remise en question au niveau européen et débouche sur une restriction de leur utilisation. Face à l’ampleur du péril, ces mesures furent cependant jugées largement insuffisantes, par Nature & Progrès, qui demanda leur interdiction pure et simple.

 

Devant la justice, contraints et forcés

Alors que toutes les autres associations avaient baissé les bras, Nature & Progrès fut rejointe par PAN Europe, en 2013. Mais ce fut en 2018 – alors que l’Europe venait de bannir enfin l’usage des néonicotinoïdes en plein champs mais que la Belgique avait recours aux premières dérogations abusives et scandaleuses des mêmes néonicotinoïdes – que les deux associations, rejointes par l’apiculteur indépendant Benoît Dupret, organisèrent leur riposte, cette fois dans l’arène judicaire. Si les juges européens n’ont pas jugé pertinent de préciser les circonstances permettant d’activer légalement le régime des dérogations d’urgence, la décision du 19 janvier ne laisse aucune marge d’interprétation possible : le Conseil d’Etat belge n’aura d’autre alternative que de prononcer l’illégalité des autorisations belges de néonicotinoïdes. Mais le combat n’est pas terminé pour autant…

Cette bataille judiciaire contre les insecticides tueurs d’abeilles a mis à jour de sérieuses défaillances dans la procédure d’octroi des dérogations d’urgence par l’administration fédérale. Dans bien des cas, la Belgique utilise le régime dérogatoire – prévu pour apporter des réponses rapides à de nouvelles menaces – pour « résoudre » les problèmes récurrents rencontrés en agriculture. C’est ainsi que des pesticides autorisés pour lutter contre les ravageurs de certaines cultures sont étendues à d’autres cultures non couvertes par l’autorisation initiale. Une telle « solution » n’est évidemment pas acceptable, a fortiori lorsque les pesticides autorisés en urgence sont toxiques pour la santé humaine ou l’environnement. La nouvelle bataille contre les dérogations de pesticides est donc, d’ores et déjà, en marche. Et, bien sûr, nous comptons sur votre soutien !

 

L’essentiel de l’arrêt du 19 janvier 2023

PAN Europe, Nature & Progrès c/ l’État belge

En Belgique :

– les dérogations belges du thiaméthoxame, de l’imidaclopride et de la clothianidine sont illégales,

– la Belgique ne peut plus contourner l’interdiction européenne des néonicotinoïdes.

Dorénavant, la Belgique ne pourra plus autoriser :

– le semis (en plein air) de semences traitées avec ces insecticides néonicotinoïdes,

– le traitement de semences avec ces insecticides néonicotinoïdes,

– la vente de ces insecticides néonicotinoïdes destinés au traitement des semences,

– la vente de semences traitée avec ces insecticides néonicotinoïdes.

En Belgique et dans toute l’Union européenne :

– l’objectif de protection de la santé humaine et animale ainsi que de l’environnement prime sur l’objectif d’amélioration du rendement agricole,

– les dérogations d’urgence prévues par la législation européenne sur les pesticides ne s’appliquent pas aux pesticides expressément interdits par l’Europe pour protéger la santé et l’environnement,

– les pesticides expressément interdits au niveau européen pour protéger la santé ou l’environnement ne peut être autorisés au niveau national, même en situations d’urgence,

– les restrictions imposées à certains pesticides au niveau européen doivent être respectées par les Etats membres, même en situations d’urgence.

En outre, les juges européens rappellent que :

– la législation européenne sur les pesticides (règlement (EC) n° 1107/2009) garantit un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement,

– les Etats membres ont l’obligation de privilégier les méthodes non chimiques (Directive 2009/128/CE).

 

Quelques réactions de grande satisfaction

Marc Fichers, Secrétaire Général de Nature & Progrès Belgique déclare : « ce succès aura un effet à l’échelle de l’Union européenne tout entière, pour protéger les abeilles et les insectes partout dans l’Union, ainsi que la santé des citoyens. Les dérogations pour les semences traitées aux néonicotinoïdes sont désormais définitivement interdites. Ce jugement est un soulagement et montre que l’environnement compte plus que les profits de certaines entreprises de sucre et de pesticides ! »

Martin Dermine, directeur exécutif de PAN Europe, ajoute : « au cours de la procédure, il a été très choquant de constater que la Commission européenne a continué à protéger les abus du système par les États membres. La Commission a soutenu l’octroi de dérogations pour des pesticides prétendument interdits par l’Union européenne et hautement toxiques pour la santé humaine et l’environnement. Il était évident que la Commission était du côté de l’agrobusiness, plutôt que de la santé des citoyens et de l’environnement ! Les avocats de la Commission européenne ont même affirmé devant les juges européens que les États membres n’accordent une dérogation que lorsqu’il n’existe aucune alternative, ce qui est contraire à la réalité ! »

PAN Europe a récemment publié un rapport sur les dérogations accordées par les États membres aux substances pesticides interdites par l’Union européenne : deux cent trente-six dérogations de ce type ont été accordées au cours des quatre dernières années ! Les néonicotinoïdes représentent près de la moitié de ces dérogations (47,5%). Le rapport souligne que les États membres n’évaluent pas la nécessité de ces dérogations et leur conformité avec le droit européen, favorisant ainsi l’agrobusiness au détriment de la protection de la santé des citoyens et de l’environnement.

Me Antoine Bailleux, notre avocat, conclut ainsi : « cet arrêt constitue un énorme pas en avant pour la préservation de la biodiversité en Europe. La Cour de Justice a clairement indiqué que les pesticides interdits au niveau de l’Union européenne, pour des raisons sanitaires ou environnementales, ne peuvent être réintroduits par des moyens détournés au niveau des États membres, ce qui était devenu une pratique courante. »

 

Annuler, à présent, les autorisations illégales pour la cyperméthrine

Nature & Progrès et PAN Europe interpellent, à nouveau le Conseil d’Etat, à propos d’autres substances extrêmement dangereuses pour les abeilles… Suite à cette demande de suspension immédiate, déposée en extrême urgence fin 2022, Nature & Progrès et PAN Europe, rejoints par Bond Beter Leefmilieu (BBL), ont déposé, le 15 janvier 2023, un recours en annulation au Conseil d’Etat contre les autorisations récentes de deux insecticides pyréthrinoïdes à base de cyperméthrine, une substance létale pour les abeilles et très toxique pour les espèces aquatiques.

La cyperméthrine est aussi un perturbateur endocrinien pour l’être humain qui réduit les niveaux d’hormones stéroïdiennes et cause des dommages à la reproduction. Identifiée, en 2021, comme particulièrement toxique par l’Union européenne, la cyperméthrine – et les produits à base de cyperméthrine – ne peut dorénavant plus être autorisée si des alternatives plus sûres pour la santé humaine et l’environnement sont disponibles. Or, contrairement à ce qu’exige la législation européenne sur les pesticides, les autorités belges n’ont ni recherché les alternatives à ce pesticide, ni démontré qu’il n’existe pas d’alternatives pour les utilisations concernées.

En Belgique, la cyperméthrine est notamment autorisée en pommes de terre contre le doryphore et contre le criocère des céréales. Pour Nature & Progrès, PAN Europe et Bond Beter Leefmilieu (BBL), ces autorisations sont illégales et doivent donc être retirées. La Belgique doit respecter ses obligations et limiter, dès que possible, l’exposition de la population à des substances identifiées comme très toxiques par l’Union européenne, et soutenir des pratiques de protection des cultures plus durables. Et lorsqu’une alternative est disponible, le pesticide ne peut tout simplement pas être autorisé.

Agriculture syntropique : Régénérer les écosystèmes, en produisant mieux nos aliments

Alors que les objectifs officiels prétendent toujours contenir le réchauffement global dans une fourchette comprise entre 1,5 et 2°C à la fin du siècle, le ministre français de la transition écologique a mis carrément les pieds dans le plat, fin février, en évoquant la nécessité de « préparer notre pays à une hausse de température moyenne de quatre degrés ! » Mais mesure-t-on vraiment les bouleversements qu’une telle trajectoire va représenter en termes d’agriculture ? Sans doute devrons-nous vite nous réfugier sous les arbres…

Par Antonio Fernandes Martins

 

Nous y préparer – y préparer simplement nos imaginations – nous force à mieux faire connaissance avec les pistes de résilience agricole déjà connues. « Syntropique », rien à voir avec Saint-Tropez évidemment… Il s’agit, en fait, du contraire d’ »entropique ». Attention ! Pas « anthropique », c’est-à-dire relatif à la présence et à l’action humaine, mais « entropique », relatif à l’entropie qui caractérise l’état, la tendance au désordre d’un système, la dispersion de l’énergie qu’il contient. L’objet de l’agriculture syntropique est donc tout simplement la régénération des écosystèmes, sur base de ce que fait la nature, dans les conditions de lumière et de fertilité qu’on y trouve…

Il y a une quinzaine d’années, engagé dans un programme de coopération au développement dans le Nordeste brésilien, je me suis d’abord aperçu que d’importantes ressources existaient, au sein de certaines associations et pôles de connaissance, en matière de cultures en milieu semi-aride (1). C’est en marquant mon intérêt pour ce savoir particulièrement précieux que j’ai pu, à l’occasion d’une formation, entrer en contact avec Ernst Götsch et l’agriculture syntropique. J’ai alors pris une grosse claque, même si je n’avais probablement d’emblée tout compris…

 

Götsch, le visionnaire

Ce Suisse alémanique a fait un extraordinaire travail de compréhension du vivant. Travaillant d’abord dans la sélection génétique afin d’adapter des plantes à des sols malmenés, il a rapidement préféré l’optique inverse, à savoir créer les conditions générales qui vont permettre à des plantes de se sentir bien là où elles poussent. Après avoir travaillé au Costa-Rica, il est venu reforester une vaste zone de cinq cents hectares, dans l’état de Bahia, au Brésil. En quarante ans, il a reconstitué une forêt luxuriante, au départ d’un endroit surexploité de la forêt atlantique (2). Bien sûr, en milieu tropical, tout va beaucoup plus vite… Néanmoins, cinq cents hectares suffisent à créer un véritable microclimat qui fit même réapparaître dix-sept sources… Götsch découvrit alors que ce territoire au sol dégradé s’était jadis appelé « Olhos de agua« , c’est-à-dire les « Yeux d’eau« , mais de mauvaises pratiques agricoles l’avaient totalement rendu infertile et inexploitable

Durant la formation, nous avons travaillé par cercles concentriques, l’idée étant de réinstaller de la forêt, au départ d’une clairière, en même temps que les graines des plantes annuelles. L’originalité du système est que tout commence en une seule fois : la canopée du futur et la forêt fruitière de moyen terme, comme les légumes de la nouvelle saison… Tout est mis en terre, en même temps, sous forme de boutures et de graines ! Ni plants, ni greffage mais, en milieu tropical, tout démarre évidemment beaucoup plus vite que chez nous. Cela ne fit que renforcer ma conviction initiale : on peut aisément cultiver en milieu semi-aride, même avec neuf mois de sécheresse par an, pour peu que les pratiques adoptées soient bonnes. Celles-ci sont essentiellement liées à une couverture du sol produite à partir d’arbres et de plantes adaptés à son état d’évolution, qui amènent de la matière mais participent aussi à la dynamique du système, notamment par la libération dans le sol d’exsudats en réaction à la taille.

De plus, rares sont les plantes – et même les arbres – qui tolèrent le plein soleil, celui-ci ne concernant que la canopée, les autres ayant besoin de la protection d’autres arbres. L’agriculture syntropique s’inspire donc du modèle stratifié de la forêt, la terre du reste étant extrêmement généreuse… J’ai longtemps médité cette expérience inspirante, à mon retour en Belgique, sans jamais avoir l’occasion, malheureusement, de mettre ces connaissances en pratique. Leur transposition dans un climat tempéré me paraissait, à vrai dire, des plus difficiles. Au Brésil, on travaille, le plus souvent, directement avec les graines, en levant au besoin les dormances par des méthodes appropriées. Tout est ensuite très rapide, la photosynthèse fonctionne à plein toute l’année. J’en suis longtemps resté là…

 

Le meilleur cacao au monde

Puis j’ai retrouvé cette forme d’agriculture quelques années plus tard, dans le cadre d’une rencontre sur la reforestation du Portugal qui avait lieu dans l’Alentejo, région au climat particulièrement sec du sud du pays. La Herdade do Freixo do Meio (3), une exploitation très extensive d’environ deux mille hectares, sur le modèle traditionnel – le montado – de cette région du Portugal, y exploite principalement le liège du chêne-liège et du chêne vert, avec les pata negra, les cochons noirs locaux, qui glandent – littéralement : ils mangent les glands – par-dessous. Ce système est présent là-bas depuis le moyen-âge et on n’en fait pas beaucoup plus depuis, sauf bien sûr qu’Ernst Götsch est évidemment venu y faire un tour et qu’une partie expérimentale, en syntropie, est installée sur la ferme… Je me suis alors souvenu que la zone qu’il avait investie au Brésil était considérée comme improductive car il n’y avait carrément plus d’eau. Or, aujourd’hui, ce territoire de forêts est extrêmement diversifié d’un point de vue agricole, productif au-delà de ce que les hommes et les femmes qui l’ont repeuplé sont capables de cueillir et de consommer. Il profite donc aussi aux animaux et à la biodiversité. Götsch produit, entre autres, un des meilleurs cacaos au monde : cinq tonnes annuelles sur cinq hectares nichés au cœur de son vaste système agroforestier (4), alors que, dans la vision traditionnelle, la région n’était pourtant pas une région à cacao… Il avait bien sûr commencé sa mise en place en utilisant de l’apport externe, mettant à décomposer tout ce qu’il pouvait trouver, accumulant jusqu’à un mètre de matière organique sur les zones initialement travaillées, en ce compris les livres de la bibliothèque de sa belle-mère décédée…

 

Sols dégradés, aridité

L’âme même de l’agriculture biologique, telle que nous la connaissons, est le soin qu’elle recommande d’apporter au sol. Or, si le bilan du conventionnel en la matière est clairement catastrophique, il faut également s’interroger sur les pistes d’amélioration de la fertilité en bio, du moins si l’on compare le volume de photosynthèse produite en regard du volume de décomposition, ce qui donne une idée assez exacte de la fertilité générée. On s’aperçoit alors que même la bio est source de dégradation de l’écosystème, dans la mesure où son système est insuffisamment auto-fertile. C’est une faiblesse, en maraîchage notamment, où des d’apports externes sont toujours indispensables – sous forme de compost – et s’avèrent d’ailleurs souvent largement insuffisants. Les maraîchers bio doivent-ils, pour autant, s’astreindre à une production supplémentaire de biomasse, dans le seul but de nourrir leur sol ? Il semble toujours préférable d’opter pour un « compostage de surface » – cinq centimètres sur tout ou partie du terrain – car on amène ainsi beaucoup plus de vie dans le sol. Le bilan est très différent lors d’une « mise en tas » qui occasionne de déperditions, des dispersions d’énergie, des « fuites » du système sous différentes formes indésirables : production de méthane, lessivages, chaleur dégagée… La différence est essentielle car le simple apport de nutriments reste une vision purement mécaniciste, tandis que l’optimalisation des processus de la vie, pour un même apport en matière, est le véritable gage d’une meilleure fertilité…

L’application du modèle syntropique en climat tempéré devra bien sûr tenir compte du fait que la grande majorité des plantes que nous utilisons sont domestiquées. Il nous est, par exemple, devenu difficile de reproduire des fruitiers à partir de leurs semences, raison pour laquelle nous devons greffer, ce qui n’est jamais indispensable sous les tropiques. Bien sûr, notre production maraîchère, en milieux tempérés, est contrainte de freiner l’évolution naturelle d’un sol qui est de tendre vers la forêt. Celui qui veut produire des légumes ne laisse jamais la forêt s’installer, c’est une chose qui nous paraît évidente. Mais est-il, malgré tout, inimaginable d’accompagner cette évolution, en travaillant à la fertilité du sol par la présence d’arbres ? Plusieurs pistes semblent envisageables à cet effet, à condition qu’un élargissement de l’espace soit possible pour introduire une dynamique très large de rotations de très long terme, incluant des cycles entiers combinant arbres fruitiers peu exigeants et maraîchage, puis arbres fruitiers et petit élevage, puis réinitialisation avec des fruitiers plus exigeants et de nouveau du maraîchage, etc. Avec l’objectif d’atteindre enfin un système d’abondance. L’équilibre du processus inclura d’autres espèces d’arbres occupant l’espace encore libre du système productif, en ayant pour caractéristique de très bien répondre à la taille et d’amener ainsi plus de fertilité. L’expérience de Götsch – certes en milieu tropical – en montre la possibilité, même si des clairières doivent être maintenues pour que des annuelles, surtout en production maraîchère, disposent d’une lumière suffisante pour pousser…

Si nous évoquons ici surtout le maraîchage qui doit encore faire l’objet de recherches dans les directions déjà suggérées, c’est certainement dans l’arboriculture et la production d’arbres fourragers que la transposition de l’agriculture syntropique en climat tempéré semble la plus évidente. Elle gagne ainsi du terrain, et de plus en plus près de chez nous. La participation à une formation qui eut lieu, en Bourgogne, à l’automne 2022, m’a relancé à fond sur le sujet, avec des propositions très concrètes relativement à sa possible adaptation.

 

Une voie d’avenir ?

La syntropie a actuellement une prétention à la professionnalisation ; elle se diffuse progressivement et quelques expériences sont menées, un peu partout dans le monde : en Asie, en Nouvelle-Zélande… Très spectaculaire en milieu tropical, par la rapidité de ses processus, elle produit des effets sans doute trois à quatre fois plus lents en milieux tempérés. Là où vingt-cinq ans suffisent à produire une canopée en zone tropicale, un siècle au moins est sans doute nécessaire, chez nous… Nous ne verrons pas apparaître immédiatement les espèces qui feront un jour la canopée, alors que là-bas, je l’ai dit, tout peut être semé en même temps…

Mais nous pouvons observer et imiter la nature – ce qu’ambitionne d’ailleurs la bio -, la stimuler et tenter d’optimaliser les processus qu’elle met en œuvre. Ajoutons à cela l’intérêt porté à la vie du sol – même si l’objectif, en syntropie, est de refaire du sol forestier ! – et on s’apercevra que les intuitions de l’agriculture biologique se trouvent confortées par le développement de l’agriculture syntropique, même s’il est indispensable de penser à présent beaucoup plus loin afin de pouvoir affronter les défis du futur… L’obsession de la syntropie est la vie et la régénération des écosystèmes, la nécessité d’alimenter sans cesse l’ensemble des processus vivants ! On ne sera jamais trop résilient face à ce que l’avenir nous promet… En France, l’agriculture syntropique, ou agroforesterie successionnelle, est promue par l’Association française d’agroforesterie (5). La syntropie bouleverse la plupart de nos représentations du vivant et, par conséquent, de nos pratiques ! Affirmant la possibilité de produire plus, tout en rendant les sols auto-fertiles, elle conçoit des systèmes en mesure de se passer d’arrosages et d’intrants externes, elle est capable également de stocker bien plus de carbone que la plupart des méthodes culturales ordinaires. La biodiversité végétale et animale s’en trouvera ainsi grandement enrichie, aussi bien hors du sol que dedans. Elle se dit surtout très adaptée pour restaurer des sols pauvres ou dégradés…

 

Les plantes, progressivement, créent le sol

Rappelons que la syntropie se définit par opposition à l’entropie (6), un terme de thermodynamique qui désigne le phénomène de dégradation de la qualité de l’énergie d’un système, sa dispersion, sa désorganisation, un processus tendant vers la simplification. La syntropie, au contraire, cherche la diversification, la complexification, la concentration de l’énergie, son organisation. Si les deux phénomènes bien sûr coexistent en agriculture syntropique, son objectif est d’obtenir un solde positif en faveur de la concentration de l’énergie.

Le « paradigme syntropique », fut développé par Götsch dans l’Etat de Bahia, au Brésil. Également appelé « agroforesterie de succession », il se fonde sur le modèle de la forêt et cherche à recréer des milieux productifs, similaires dans leurs formes, fonctions et dynamiques aux écosystèmes forestiers originaux. Au commencement, nous le savons, la planète n’était que roches. Vinrent ensuite les lichens, les mousses et les fougères qui préparèrent le sol pour l’arrivée des premiers arbres, et ainsi de suite jusqu’à la grande forêt « climaxique ». D’où la notion de succession : chaque plante, en se décomposant sur place, améliore les conditions du sol pour l’apparition d’autres plantes plus exigeantes qui lui succéderont, sur un chemin d’évolution passant par la colonisation, l’accumulation et enfin l’abondance. La photosynthèse joue ainsi un rôle absolument essentiel : via la matière organique qu’elle crée, elle transforme la lumière du soleil en fertilité qui nourrit les micro-organismes du sol – champignons, bactéries… -, lesquels fournissent, en échange, les minéraux et l’eau nécessaires à la croissance des plantes. Le sol est couvert en permanence de matières organiques en décomposition qui l’alimentent et le protègent.

Toute parcelle agricole livrée à elle-même, nous le savons, tendra finalement vers la forêt. Plutôt que de lutter contre ce processus, l’agriculture syntropique s’en inspire et tente de l’imiter. Elle veut simplement aller dans le même sens pour produire des aliments. Certes née sous les tropiques, cette forme agricole est applicable partout où a lieu une succession végétale qu’il s’agit de prendre en cours, plutôt que de la contrecarrer. Les grands principes, utilisés par Götsch dans la forêt atlantique brésilienne, restent donc valables, bien qu’à un rythme forcément différent, dans d’autres contextes, dont nos climats tempérés, C’est précisément ce que s’attellent à transmettre des expérimentateurs-formateurs comme Felipe Amato (7) et Steven Werner.

 

Des notions importantes

Quelles sont ces grands principes dont s’inspire la syntropie ? Stratification et perturbation, en ce compris celles que produit le « mammifère humain », apparaissent comme essentielles.

– la stratification

La notion de stratification regroupe, à la fois, celle d’ »étage » et celle d’exposition à la lumière du soleil. Pour bien réaliser la photosynthèse et créer ainsi les bons sucres, chaque plante, en plus de sa hauteur, a des besoins spécifiques en lumière. On considère schématiquement qu’il existe quatre grandes strates, chacune étant elle-même subdivisée : basse, moyenne, haute et émergente.

Chez nous, par exemple, si des lignes de fruitiers sont installées dans une prairie – pommiers et poiriers constituant la strate haute -, on veillera à les accompagner d’arbres émergents – des peupliers… -, d’arbustes moyens – des sureaux… – et d’éléments de la strate basse – de la consoude… La densité des fruitiers sera la même que dans un système classique auquel on ajoutera notamment des espèces à croissance rapide qui réagissent bien à la taille, de manière à créer le sol qui conviendra aux cultures cibles. On parlera aussi, dans ce cas, d’arbres « nourrices ». Des systèmes spécialement adaptés au maraîchage peuvent ainsi être conçus, en choisissant les espèces et les espacements adaptés, de même que de systèmes adaptés aux céréales, aux vignes, aux petits fruits… La densité est la base de l’auto-fertilité : plus il y a de photosynthèse, plus il y a d’énergie dans le système ! Le but est de produire un maximum de biomasse, en plus des cultures cibles, par une optimalisation de l’occupation de l’espace, dans ses trois dimensions. La diversité des différentes strates va attirer de nombreux auxiliaires.

– la perturbation

Des événements comme la foudre, les orages, les tempêtes, le gel, les incendies ou même la présence de gros mammifères – nous pensons ici au mammouth ou à l’éléphant, aux cervidés, aux ruminants… – perturbent le système forestier. Beaucoup de biomasse végétale se retrouve alors au sol, offrant une nourriture plus importante aux organismes qui y vivent car toute la matière organique reste sur place. La structure de ce sol s’améliore par conséquent, ce qui accélère la succession végétale, optimalise le potentiel de croissance et de photosynthèse. Le sol est prêt à accueillir des végétaux plus exigeants et la succession est alors enclenchée. Le vivant intègre donc la perturbation comme une stratégie d’évolution !

– le rôle du mammifère humain

Interpréter les phénomènes du vivant sous l’angle unique de la compétition est donc une vision totalement erronée. Le flux de la vie est essentiellement mu par la coopération entre les espèces qui toutes concourent à la réussite de l’évolution. Le sol, lui, se maintient et évolue par la diversité et la densité du végétal. Tous les organismes vivants participent à l’optimalisation des processus de la vie…

 

De stimulantes interventions…

Les oiseaux sèment énormément, les limaces et les champignons sélectionnent en éliminant les végétaux qui ne se trouvent pas dans les conditions requises… Les singes taillent les arbres pour se nourrir ou fabriquer un « nid », et ils plantent aussi, les castors favorisent l’installation d’arbres à proximité des cours d’eau. Écureuils, campagnols et pies disséminent les glands, les noisettes, les noix… En fonction de l’état du sol et du contexte géoclimatique, certaines graines vont germer et pousser… En tant que mammifères proches du singe, notre rôle est notamment de perturber le système forestier afin de stimuler et d’optimaliser son évolution, tout en favorisant les espèces qui nous nourrissent.

Dans un système syntropique, l’homme va, dès lors, intervenir sur les végétaux à croissance rapide – voir l’exemple plus haut -, en les taillant ou les « trognant » régulièrement. Une telle intervention permet de mieux doser la lumière que reçoit chaque espèce et de donner beaucoup de matière pour couvrir et nourrir le sol. Par la même occasion, les racines des arbres taillés vont libérer des exsudats qui nourrissent la vie du sol – bactéries et champignons etc. La taille du saule, par exemple, va rendre disponibles des hormones de croissance nécessaires aux cultures cibles : fruitiers, légumes, céréales, bois d’œuvre, etc. Tout le système sera ainsi stimulé pour mieux croître. Le but de la manœuvre est de produire, en plus des cultures cibles, suffisamment de matière pour que le sol reste couvert en permanence et que le système soit auto-fertile, c’est-à-dire qu’il produise, par la photosynthèse, plus de matières que le sol n’est en mesure d’en décomposer. Générant beaucoup plus de vie, cette pratique est très différente de celle qui consiste en une simple importation de matière. L’intervention humaine est ici, non seulement bienvenue, mais très attendue par le système qui s’en trouve amélioré, optimalisé.

L’autre fonction – qui est, en fait, la première – de l’intervention de notre espèce dans le macro-système Terre, est la dissémination par dispersion des graines ou par bouturages. Disséminer, c’est nourrir la diversité et l’abondance. Le macro-système Terre est riche d’une expérience de millions d’années, en ce qui concerne les processus du vivant. Le « paradigme syntropique » invite donc l’humain – comme toutes les autres espèces vivantes, d’ailleurs – à une simple collaboration. Ce faisant, l’humain assumera pleinement ses fonctions. Arrêtons donc de penser que nous serions le summum de l’intelligence, c’est le macro-système dont nous faisons partie qui est intelligent !

 

L’eau, ça se plante !

Autre aspect vital du système : densité et stratification ont un impact primordial sur le cycle de l’eau ! Dans un système syntropique, les sols ne sont pas lessivés, lors de pluies diluviennes, comme ils le sont en monoculture. La présence de végétaux, dans toutes ses strates, va ralentir l’écoulement de l’eau et favoriser son infiltration afin de recharger les nappes phréatiques. La couverture permanente du sol va nourrir les bactéries et les champignons, et maintenir l’humidité de surface, en périodes de sécheresse. La taille des arbres « nourrices » va libérer des racines qui seront décomposées par les champignons saprophytes, ces derniers retenant et redistribuant, en cas de besoin, l’eau pour les végétaux des alentours.

Rappelons ici – c’est important ! – que la photosynthèse est une réaction chimique endothermique, c’est-à-dire qu’elle absorbe de la chaleur pour se réaliser, elle rafraîchit l’environnement où elle a lieu. La fraîcheur qu’on ressent dans un sous-bois n’est donc pas seulement une question d’ombre : plus il y a de densité végétale, plus il y a de photosynthèse et plus il y a de photosynthèse, plus la « clim’ » atmosphérique fonctionne naturellement grâce aux arbres… Il y a mieux encore : dans les forêts monoculturales – où les végétaux ont tous la même taille -, les vents passent par-dessus sans déposer la moindre humidité, accentuant au contraire une tendance à l’assèchement. Dans la forêt diversifiée et stratifiée, par contre, l’air s’engouffre, sous forme de vortex, dans les irrégularités formées par les strates. Il descend, ce faisant, et se refroidit, puisque l’air est toujours plus frais dans les basses couches. Ce phénomène permet la condensation d’une partie de l’eau qu’il contient. Le système forêt est donc capable, avec juste un peu de vent, de capter une importante partie de l’humidité atmosphérique et de la conserver, un apport qui est bien sûr particulièrement précieux, en cas de canicule prolongée, et qui n’est jamais comptabilisé par aucun pluviomètre. De même, l’évaporation par le stomate refroidit la feuille qui peut, dès lors, mieux condenser l’eau. S’inspirer au maximum du modèle forestier permet donc de ralentir le cycle de l’eau, de la maintenir le plus longtemps possible à l’intérieur du système. L’avantage du modèle forestier n’est donc pas seulement de diminuer l’effet de serre, par une capture optimale du carbone, il est aussi de faire chuter directement la température, par l’accroissement de la photosynthèse, chacun de ces deux aspects étant favorisé par une forte densification végétale.

Bien sûr, un minimum d’eau est toujours indispensable lorsqu’on plante un arbre mais, dans le cadre d’un cycle, l’arbre est toujours indispensable pour que le cycle conserve un maximum d’eau. Conclusion : l’eau se plante !

 

Une complexité qui ne peut être réduite !

Implanter une production, en agriculture syntropique, demande évidemment de solides connaissances au sujet de chaque plante qu’on y introduit : sa place dans la ligne d’évolution du sol – la succession -, sa réaction à la taille, son port, ses besoins en lumière – sa strate. Ces connaissances sont nécessaires pour établir un design cohérent. Des interventions fréquentes – et au bon moment – seront également requises pour que le sol soit toujours couvert, au pied des cultures cibles, et pour doser la lumière, tout en stimulant la croissance d’ensemble. C’est beaucoup de travail et de savoir, et cela pose évidemment la question de la rentabilité pour l’agriculteur syntropique, d’autant plus que nous manquons encore d’expérience dans le long terme qui permettrait de la démontrer en milieu tempéré.

Toutefois, la prise en compte – à court et à long terme – des effets délétères – ou qui le deviendront – de méthodes culturales plus classiques permet de parier que l’amélioration constante de la fertilité des sols et la limitation des arrosages s’avéreront rapidement de sérieux avantages. Tout cela, bien sûr, en favorisant la biodiversité et l’autonomie de ceux qui cultivent. Démultiplier la biomasse végétale disponible, ainsi que la biomasse animale du sol – vers, collemboles, acariens… -, apparaît ainsi comme une suite logique du mouvement entamé par l’agriculture biologique. L’accroissement important d’une matière organique stable dans nos sols, ainsi que le développement d’un énorme potentiel de stockage du carbone, seront aussi de sérieux atouts qui plaideront en faveur de cette nouvelle piste agricole.

Ne faisons donc pas plus longtemps l’autruche : les conditions de culture sont susceptibles de beaucoup changer, et rapidement. Ce qui était rentable jusqu’ici ne le restera pas forcément demain. Mais comment produire notre nourriture dans un contexte où les régimes hydriques seront perturbés par des sécheresses persistantes ou des pluies diluviennes, où les sols agricoles sont déjà majoritairement appauvris et dégradés, où la biodiversité est en déclin massif et où le carbone est libéré plutôt que séquestré dans les sols agricoles ? Notre modèle agricole, quel qu’il soit, dépend d’intrants externes très énergivores – tant pour leur fabrication que pour leur transport – dont la fragilité d’approvisionnement et la concurrence entre les différentes utilisations est aujourd’hui mieux comprise mais dans la douleur. Pire encore : pour la plupart de nos végétaux cultivés – soit 85% d’entre eux -, la photosynthèse décline fortement au-delà des 35°C (8). C’est la nature que nous voyons « végéter », lors des épisodes de canicule… Comment assurerons-nous la croissance de nos plantes alimentaires, alors qu’on peut déjà s’attendre à une fréquence accrue de tels pics, et bien au-delà de cette température ? Pourrons-nous nous passer des enseignements de l’agriculture syntropique comme tentative de réponse globale à ces défis, par la restauration d’agroécosystèmes auto-fertiles ? Pourrons-nous simplement nous passer d’arbres autour et dans de nos cultures ? N’est-il pas déjà grand temps de les planter ?

Les quelques idées simples que nous venons d’énoncer, vous l’avez compris, nous projettent dans un futur agricole vivant, affranchi des énergies fossiles et dont la fertilité est alimentée par l’énergie lumineuse du soleil. Qui est aujourd’hui en mesure de proposer mieux ?

 

Notes :

(1) Voir, par exemple : www.asabrasil.org.br/

(2) Voir : https://agendagotsch.com/en/www.youtube.com/watch?v=stABAx82TbY

(3) Ferme en agriculture biologique depuis 1997 : https://freixodomeio.pt/ – Voir le documentaire intitulé Le ventre de Lisbonne, de Henri Fortes et Stefano Tealdi, 2017. https://www.youtube.com/watch?v=B31CRjhEbRI

(4) Voir : www.jdbn.fr/avec-le-pionnier-de-la-reforestation-au-bresil/

(5) Voir : – www.agroforesterie.fr/agriculture-syntropique/. Voir aussi : https://lesagronhommes.com/hub-agriculture-syntropique-france/

(6) Le dogme de l’entropie comme horizon inéluctable de tout système est cependant parfois remis en question : voir l’ingénieur Philippe Guillemant.

(7) LinkedIn : Felipe Amato, instagram : @felipeamatosyntropy, facebook : Steven We

(8) Prof. Gabriel Cornic, voir Encyclopédie de l’environnement : effet de la température sur la photosynthèse.

 

 

Bio et/ou local ? Des poires et/ou des pommes ?

Où l’on voudrait affirmer que consommer du bio qui vient de loin serait pire que consommer du local non bio… En fait, les comparaisons de ce type n’ont juste aucun sens. Prétendre trancher entre une bio trop – ou pas assez – cadrée et du local – dont nul ne peut dire où il commence, ni où il s’arrête – est un exercice indébrouillable. Choisissons donc, autant que faire se peut, des produits bio proches de nous…

Par Mathilde Roda et Marc Fichers

 

Nombre d’entre nous tiennent aujourd’hui pour évident que l’agriculture biologique devrait être considérée comme l’agriculture « normale ». Chez Nature & Progrès, nous sommes bien sûr de ceux-là. Tant que la chimie – avec ses promesses de rendements et de rentabilité fictives – dominera la « bien-pensance » agricole, l’agriculture biologique ne sera vue, par les grands acteurs économiques de notre alimentation, que comme un marché parmi d’autres. Il semble heureusement possible de remettre aujourd’hui en question l’agrobusiness bio, tout en plaidant la cause d’une bio projet de société. C’est une question existentielle : quelle route voulons-nous de suivre ? Répondre à cela ne veut pas forcément dire qu’il faille faire demi-tour sur l’autoroute ; emprunter la contre-allée serait déjà un bon début… Les fondements même de la bio montrent qu’il a toujours été question de construire collectivement le chemin et c’est pourquoi, chez Nature & Progrès, la bio est forcément participative. Parce qu’avec un cahier des charges techniques, il n’est pas possible de s’intéresser aux questions éthiques, sociales et écologiques que pose immanquablement le système agroalimentaire. Un modèle alimentaire en phase avec la société ne peut plus éviter de les inclure. Pour Nature & Progrès, chaque personne – même non issue du milieu agricole – a évidemment toute sa place dans une réflexion sur l’agriculture. Nous voulons une agriculture biologique, locale et solidaire, qui nourrisse tous les citoyens, sans la moindre exception, tout en garantissant aux agriculteurs et aux artisans de vivre décemment de leur métier.

 

Label public ou label privé ?

Nature & Progrès a toujours accompagné l’éclosion et l’évolution du label bio, en Wallonie. Toutefois, après la reconnaissance officielle de l’agriculture biologique, notre association eut à trancher : soit critiquer de l’extérieur le label bio officiel et développer son propre label privé, soit continuer de l’intérieur à faire évoluer dans le bon sens le label de tous ? La deuxième option fut choisie par Nature & Progrès, en Belgique, et ce choix historique pour notre association a toujours de fortes implications sur notre engagement.

Nous avons vu jusqu’ici que la législation bio européenne avait traduit les principes du bio en articles de loi contraignants et contrôlés. Les huit premières pages du règlement de base contiennent cent dix-neuf « considérants » qui rappellent à quel point l’agriculture biologique est un système global : une vision chère à Nature & Progrès. L’implication de notre association dans les différentes instances de consultation du secteur bio consiste donc à rappeler en permanence cette réalité, à « dézoomer » les regards portés sur l’agriculture biologique afin de rappeler, sans jamais se lasser, tout ce qu’il y a au-delà des seules techniques de production.

Il est également important de rappeler à quel point l’agriculture biologique répond à une demande du consommateur qui opte toujours plus résolument pour une alimentation basée sur des produits et des procédés naturels, qui respectent l’environnement et le bien-être animal, tout en participant au développement rural. Le cahier des charge bio répond-t-il entièrement à ces enjeux ? Chacun en jugera. Toutefois la charte de Nature & Progrès, qui sert de base à la réflexion lorsque notre association doit prendre position au sein du secteur, nous permet de porter avec force la voix des consommateurs et des producteurs signataires… De rendre plus concrète leur vision…

 

De la vision à la mise en pratique

Voici donc, pour terminer, quelques exemples concrets de ce que cette vision inspire. En ce qui concerne les productions végétales, Nature & Progrès a toujours réclamé que des moyens conséquents soient mobilisés pour orienter la recherche vers des variétés résistantes et des techniques culturales efficaces. Nous défendons aussi l’octroi des moyens de valoriser au mieux les productions bio, avec des techniques et des outils de transformation adaptés ; nous nous opposons fermement à toute entrée de produits d’origine chimique de synthèse dans la législation bio. Nous plaidons pour diriger les négociations de la PAC vers un soutien plus important aux pratiques bio, favorables à la biodiversité et à l’autonomie des agriculteurs…

En termes d’élevages, nous appuyons toutes les règles qui feront que les herbivores soient élevés à l’herbe. Et, pour que les cochons satisfassent leur besoin naturel de fouir, nous réclamons pour eux la garantie d’un accès suffisant à la terre ou, au minimum, une large épaisseur de paille… Nature & Progrès défend, dans les fermes, la place des monogastriques – cochons et volailles – au sein d’ateliers de diversification et non comme mono-élevages à grande échelle. Nous réclamons aussi une transparence totale des élevages, des coopératives agricoles et des firmes d’aliments. Pas d’ingrédients cachés en bio ! Et ceci vaut évidemment pour les OGM qui doivent restés en dehors du bio, quelle que soit la technique de manipulation du génome qui est considérée. Et nous exigeons de la transparence jusque dans les commerces, pour que les consommateurs trouvent aisément toutes les informations nécessaires pour faire leurs choix de la manière la plus éclairée…

Tout ce travail se fait en collaboration avec – et parfois à l’encontre ! – d’autres représentants du secteur bio et du secteur agricole. Si Nature & Progrès investit autant d’énergie dans ce travaille de l’ombre – hélas bien peu connu du grand public – qui ne génère aucun retour économique direct pour l’association, c’est parce qu’il est dans l’ADN de l’association de porter haut et fort les valeurs originelles de l’agriculture biologique. Nous sommes persuadés que le bio est toujours un facteur de changements, tant d’un point de vue strictement agricole que sur le fonctionnement de notre société dans son ensemble. Le bio, tant pour nos consommateurs que pour nos producteurs, c’est une sorte de « retour à la normale »…

 

Le consommateur est exigeant, il élève la voix !

Le secteur bio fait face à des enjeux nouveaux. Sa forte croissance des dernières années fait beaucoup réagir. Face à cette concurrence croissante, le secteur chimique veut prouver que, lui aussi, peut répondre aux enjeux de notre société. Il apprécie beaucoup le terme d’ »agroécologie » qui dorénavant n’appartient plus aux agriculteurs bio qui la pratiquent depuis plus de soixante ans. Il sert, à présent, de caution à une utilisation dite « raisonnée » de produits qui continuent pourtant de polluer notre environnement, notre santé et le portefeuille des producteurs. De même, le terme « durable » a-t-il explosé dans les grandes surfaces, détournant l’attention de la vraie pierre d’achoppement que représentent toujours les pesticides et les engrais chimiques de synthèse.

Toute cette vaine rhétorique est une poudre aux yeux qui cherche à mettre de côté les principes fondamentaux de la bio : des fermes rentables et cohérentes avec leur terroir, des élevages forts de leur éthique de production et écologiquement rationnels, des cultures résistantes aux maladies offrant le refuge à la biodiversité sauvage et reposant sur une vie du sol correctement stimulée, des produits transformés simples qui valorisent avec respect des matières premières de qualité, ainsi que la prospérité des agriculteurs et des artisans transformateurs. La bio, nous le disions, c’est bien plus qu’une simple combinaison de techniques de production… Dès lors, consommer bio et local est, plus que jamais, un authentique acte politique de soutien aux producteurs et aux transformateurs qui font vivre nos campagnes, qui œuvrent chaque jour au développement, près de chez nous, de filières véritablement durables. Pour notre santé et de celle de la Terre !

La bio, bien plus qu’une absence de pesticides…

Nul besoin de connaître parfaitement les rouages de la législation européenne pour comprendre ce qu’est vraiment l’agriculture biologique aujourd’hui. Voici donc un angle d’approche qui concerne les implications et applications concrètes du label européen, qui donnent toute sa légitimité à l’ »Eurofeuille« … Un petit détour par l’expérience locale du Réseau RADiS confirmera ensuite le rôle essentiel de la bio dans la transition vers une alimentation respectueuse et solidaire.

Par Mathilde Roda et Caroline Dehon

 

Les règles techniques de production de l’agriculture biologique découlent du rejet des engrais et pesticides chimiques de synthèse ; elles illustrent la volonté de favoriser la vie du sol, tout en rappelant la nécessité de placer l’animal au centre du cycle de production. Si de telles préoccupations n’apparaissent pas toujours explicitement dans les textes de loi, la bio se base cependant sur une série de pratiques dont la plupart étaient déjà bien présentes, dès les premières années du mouvement agrobiologique.

 

La quête de l’équilibre au sein des fermes

En culture, les alternatives aux pesticides doivent répondre à la nécessité de maîtrise des adventices, de lutte contre les maladies et les ravageurs. Le projet « Vers une Wallonie sans pesticides« , mené depuis 2018 par Nature & Progrès, ambitionne de diffuser les méthodes développées dans les fermes bio afin d’inspirer et d’inciter le monde agricole, dans son ensemble, à se passer de pesticides ! Ne pouvant compter sur la chimie pour « rattraper » une culture, les agriculteurs bio misent avant tout sur des méthodes préventives. Ils visent donc de longues rotations, idéalement de sept ans, et l’alternance des cultures en fonction des besoins et cycles de développement différents – culture d’hiver ou de printemps – afin de casser celui des adventices, des maladies et des ravageurs, et de maintenir ainsi la fertilité et l’activité biologique des sols, mais aussi de sécuriser les activités agricoles par la diversification. Installer une prairie temporaire – une prairie qui restera en place pendant trois ans et qui sera fauchée régulièrement – en tête de rotation est connu pour avoir un effet nettoyant sur la parcelle. L’agriculture biologique favorise donc le développement de prairies et également les associations de cultures, la couverture permanente du sol et les engrais verts en intercultures. Autres points d’attention importants : le choix de variétés adaptées au terroir et la réussite des semis dans les conditions adéquates, ce qui conditionnera grandement la vigueur des plants.

Les élevages bio misent également sur des animaux rustiques, à même d’être au maximum nourris à l’herbe et de se passer de traitements vétérinaires systématiques. Ce n’est pas la course à la production qui motive l’éleveur bio – une Holstein bio produit entre quatre et cinq mille litres de lait par an, contre six à neuf mille litres en conventionnel – mais bien plus l’autonomie et la résilience de la ferme. Si les animaux doivent sortir, c’est bien sûr pour des questions de respect de leurs comportements naturels mais aussi pour développer leur rusticité. Il en va de même concernant la faible densité d’élevage ou l’aménagement des espaces de vie qui, au-delà du bien-être animal, influencent les performances de production en réduisant les risques de maladies et de comportements déviants, tels que la caudophagie ou le picage. Des pratiques, encore investiguées par la recherche agronomique, sont utilisées depuis longtemps par des éleveurs bio, comme la plantation de haies fourragères ou l’incorporation de plantes aux propriétés médicinales dans les mélanges prairiaux…

On comprend donc bien que les pratiques bio, au-delà de remplacer la chimie par du désherbage mécanique – qui ne vient finalement qu’en curatif – ou les médicaments par des huiles essentielles, ont pour objectif de favoriser un équilibre au sein de l’exploitation agricole. Cet équilibre passe par une réflexion globale, de la préparation de la terre à la récolte, du choix du bétail à la gestion des prairies. Une telle réflexion intègre finalement tous les maillons de la chaîne car l’autonomie ne s’arrête évidemment pas à la porte de la ferme…

 

Des filières pas comme les autres

Le concept de filière représente l’ensemble des étapes qui s’échelonnent entre la production primaire et la distribution d’un produit. Il peut se décliner de nombreuses manières, dans le monde agricole, et impliquer bien des dimensions. En bio, une telle idée engage au minimum – ainsi que nous vous l’avons décrit en amont – le fait que chaque étape – production, transformation, distribution – respecte le cahier des charges bio. Mais au-delà de cela, au-delà de la plus-value purement économique du produit qui en résulte, de nombreuses filières biologiques s’attachent à intégrer d’autres dimensions : sociale, environnementale, éthique.

Nature & Progrès soutient le développement de ce type de filières bio, comme l’indique ci-après notre encart consacré au Réseau RADiS. Toutes impliquent un panel beaucoup plus large d’acteurs dans la distribution d’un produit local jusqu’au consommateur final. Ces acteurs sont davantage consultés et impliqués dans ces filières qu’ils coconstruisent aux côtés des représentants des différents maillons : producteurs, transformateurs, distributeurs, etc. Ce qui fait ainsi la richesse et contribue à la réussite de ces filières, c’est la proximité à la fois humaine et territoriale des acteurs. Les consommateurs apprennent à mieux connaître les producteurs et leurs réalités – par des visites en fermes, par exemple -, les producteurs ne se contentent plus de livrer simplement leurs productions mais s’impliquent davantage dans la vie locale et se soucient de savoir où, comment et par qui les denrées qu’ils ont travaillées seront transformées et valorisées. Ces filières, bio et locales, permettent ainsi de fédérer une communauté d’acteurs où chaque enjeu prend tout son sens puisque chacun sait parfaitement ce qu’il y a derrière ce qu’il mange et qu’il y a contribué à sa manière. Trouver des visages sur l’alimentation, refuser l’anonymat de l’assiette, est une chose qui nous tient à cœur chez Nature & Progrès. Certes, de telles initiatives prennent du temps, beaucoup plus de temps que les filières dites « classiques » ; elles impliquent la mise en place de processus participatifs et d’une meilleure gouvernance qui, eux-mêmes, sont chronophages. C’est néanmoins ce qui les rend plus « impactantes », plus durables, puisqu’elles sont à l’image de chacun des acteurs et de son territoire. À ce titre, elles ne changent pas seulement l’alimentation, elles changent la vie !

 

Le Réseau RADiS : des filières bio, locales et solidaires !

Voici deux années et demie que le Réseau RADiS – Réseau Alimentaire Dinant Solidaire, www.reseau-radis.be – a été lancé par la Fondation Cyrys et Nature & Progrès. Son objectif ? « Soutenir et développer la transition de la région dinantaise vers une alimentation bio et locale, respectueuse des Hommes et de la Terre, en favorisant la solidarité et l’implication de tous. » Pour accomplir cet objectif, le Réseau défend et représente quatre valeurs piliers : le bio, le local mais aussi les côtés solidaire et participatif. Les animatrices de Nature & Progrès travaillent sur le territoire dinantais :

– à la mise en place filières biologiques, en soutenant notamment la production primaire et la transformation,

– à rendre accessible au plus grand nombre les produits issus de ces filières,

– à sensibiliser les habitants du territoire à l’importance d’une alimentation de qualité : bio, locale, de saison.

Afin qu’il soit en cohérence avec les besoins du territoire et réellement porteur de sens, ce travail s’effectue quotidiennement en étroite collaboration avec l’ensemble de ses acteurs : citoyens-consommateurs, producteurs, transformateurs, commerçants, institutions territoriales… Et c’est ainsi que :

– les élèves des écoles primaires communales d’Onhaye dégustent chaque mardi un potage collation réalisé par les membres du Réseau avec les légumes des maraîchers bio du territoire,

– Laurie, jeune boulangère hastièroise, a animé auprès de citoyens un atelier de panification à partir des farines bio produites par Alessandro et Frédéric, producteurs cultivant leurs céréales à Dinant,

– Philippe a installé son activité de maraîchage bio sur les terres de Tanguy, simple citoyen, à Lisogne,

– boulangers, citoyens et producteurs du territoire se sont rencontrés autour du four à pain mobile d’Y Voir Transition,

– Fara, Béatrice, Claire et Samir, bénévoles-citoyens, se retrouvent toutes les deux semaines chez Jean pour éplucher ses légumes et ceux de Philippe…

Au fil de ces rencontres, chacun en apprend un peu plus sur l’autre, ses réalités, ses contraintes, ses besoins, ses envies… Au-delà de la création de simples filières, il y a la création de liens à travers des moments de partage, de sensibilisation, de réflexions. Cette démarche participative et inclusive permet de rendre plus pérenne l’initiative, en instaurant des collaborations qui n’auraient sans doute pas pu voir le jour autrement.

 

 

Le label bio européen : un outil de base indispensable

La règlementation européenne sur l’agriculture biologique a fait l’objet de plusieurs révisions, depuis sa première publication, en 1991. La dernière en date est d’application depuis le 1er janvier 2022 et des règlements nationaux sont toujours en cours d’élaboration pour en réguler l’application dans chaque Etat-membre. On entend ainsi souvent dire que « le bio d’ici et le bio de là-bas, ce n’est pas la même chose« . Remettons la ferme au milieu du village européen…

Par Mathilde Roda

 

La législation bio européenne repose sur le Règlement (UE) 2018/848. C’est le document de référence qui définit les grandes lignes et principes de l’agriculture biologique. Il est accompagné d’actes d’exécution, qui précisent certains articles, et d’actes délégués, qui en précisent ou en modifient le contenu non essentiel (1). Ces règlements ont un portée légale identique dans tous les pays de l’Union Européenne. Aucun gouvernement ne peut faire l’impasse sur ce qui y est explicitement noté. Un agriculteur bio d’Espagne doit donc respecter les mêmes règles qu’un agriculteur wallon ou un agriculteur polonais.

Ce qui peut varier est cependant de deux natures. Soit il s’agit de points laissés volontairement, par la Commission Européenne, à l’appréciation des gouvernements nationaux et qui concernent la gestion administrative ou certains champs d’application non encore couverts par la règlementation européenne comme, par exemple, la restauration collective ou l’élevage d’escargots. Soit il s’agit d’une liberté donnée aux Etats membres d’interpréter des termes qui ne sont pas explicitement définis. Par exemple, l’âge en dessous duquel on considère un « jeune bovin », ce qu’il faut entendre par « principalement couvert de végétation », le pourcentage à partir duquel « principalement » est atteint, etc. Il peut donc y avoir des divergences sur ces points précis mais elles resteront toujours limitées par le respect de la règlementation générale.

 

Mais comment ça se passe en Wallonie ?

En Wallonie, un Arrêté du Gouvernement Wallon régit l’application des règlements européens ; il est complété par un Guide de Lecture, plus pragmatique, permettant aux acteurs de terrain de clarifier les règles afin d’homogénéiser l’application de la législation bio sur le territoire wallon. Le secteur agricole wallon a été consulté lors de l’élaboration de ces documents ; Nature & Progrès a participé à ce d’un long processus de négociations.

L’agriculture étant une matière régionalisée, la Flandre possède aussi son propre arrêté et des différences d’interprétation subsistent ainsi entre les deux régions. Si cela peut paraître aberrant, il faut aussi se rendre compte que les réalités agricoles flamandes et wallonnes sont différentes. La communication interrégionale est cependant très active et ces différences sont sans doute vouées à être lissées, en espérant que la volonté d’autonomie et de valorisation du terroir de la Wallonie inspirera au Nord du pays. Cela risque de devenir incontournable, au vu du contexte agricole et de son évolution…

 

Des règles claires, applicables à tous

Socle de base, la législation bio européenne offre un cadre réglementaire cohérent qui marque les différences avec les agricultures conventionnelles. Ce cadre est contrôlé strictement. La législation bio ne se substitue pas aux règlementations agricoles et alimentaires générales mais vient s’inscrire en complément. Ce règlement de base « énonce les règles régissant la production biologique, la certification correspondante et l’utilisation, dans l’étiquetage et la publicité, d’indications faisant référence à la production biologique, ainsi que les règles applicables aux contrôles » (2). L’appellation « bio », concernant l’agriculture et l’alimentation, est réservée à ce qui entre dans le cadre de ce règlement. Les cosmétiques et produits d’entretien ne sont donc pas couverts et les labels faisant référence à l’appellation « bio », dans ces cadres-là, ont par conséquent leurs propres cahiers des charges – par exemple, Cosmebio. L’appellation « bio » peut alors ne pas avoir exactement la même signification.

Plus concrètement, le champ d’application du Règlement (UE) 2018/848 prévoit de couvrir les produits agricoles vivants – cultures, animaux, semences et autres matériels de reproduction des végétaux -, les produits agricoles transformés à destination de l’alimentation humaine, l’alimentation pour les animaux, ainsi que – et c’est une nouveauté – une douzaine de produits considérés comme liés à la production agricole : les huiles essentielles, la laine, le coton, les levures, la cire d’abeille, le sel…

 

La culture en bio

Le label bio européen encadre la production végétale en ce qui concerne le recours à des intrants et à des semences bio, mais il le fait aussi en recourant à des listes restrictives de produits autorisés pour la gestion des maladies et des ravageurs. Le règlement, en vigueur depuis 2022, apporte des éléments nouveaux, en ouvrant la porte à l’utilisation de semences plus « hétérogènes » afin de favoriser la sélection paysanne de semences bio. Il affiche aussi la volonté d’aller vers plus de « 100% bio », en limitant les possibilités de dérogations. En effet, vu le manque d’accès à des matières bio – semences, fumier, paille… – dans certains pays dont le nôtre, la Commission permet de déroger à la règle dans un certain cadre. Ce nouveau règlement cherche donc à limiter de telles exceptions afin de pousser au développement du secteur bio pour qu’il s’autonomise. Enfin, comme un retour aux fondamentaux, le R2018/848 prévoit que la rotation en cultures annuelles inclue obligatoirement des légumineuses et autres engrais verts.

Un point d’attention tout particulier doit être porté, dans l’évolution de la règlementation, à la multiplication des tentatives d’introduction de nouvelles substances ou de nouveaux produits dans la liste des intrants utilisables en agriculture biologique. Le secteur se montre généralement défavorable aux demandes concernant des produits issus de la chimie de synthèse ou des co-produits de l’industrie, se montrant par contre ouvert aux substances naturelles qui offrent des alternatives à certains produits autorisés qui sont controversés, comme le cuivre en pommes de terre, par exemple, ou les insecticides pyréthrinoïde en maraîchage. Un tel cap doit absolument être conservé !

 

L’élevage en bio

En bio, on ne pense seulement à la mise à mort « correcte » de l’animal mais aussi à sa « mise en vie » ! La règlementation européenne – qui revendique l’agriculture biologique comme « l’application de normes élevées en matière de bien-être animal » – définit la taille et l’aménagement des bâtiments d’élevage ainsi que du parcours extérieur, l’alimentation des animaux – bio, sans OGM – et les méthodes de gestion des maladies. Le bio base le soin aux animaux sur des pratiques préventives naturelles, les traitements médicamenteux faisant parfois l’objet d’une dérogation sur prescription vétérinaire. La règlementation européenne rappelle également que les animaux doivent être en lien avec le sol et qu’il faut absolument les traiter conformément à leur nature : une vache ou un mouton doivent brouter, un porc doit pouvoir fouiller le sol avec son groin et une volaille gratter la terre… Certains de ces principes, hélas, ne sont pas traduits dans le texte de loi en articles contraignants et ne sont donc pas toujours strictement appliqués sur le terrain. Parmi les nouveautés, on notera la volonté de favoriser l’autonomie alimentaire des éleveurs, en augmentant la proportion d’aliments pour animaux provenant de l’exploitation elle-même ou, si cela n’est pas possible, produits en coopération régionale. Encore faut-il voir comment chaque état définit la notion de « régional ». Wallonie et Flandre n’ont déjà pas la même approche, la première considérant la Belgique et les régions limitrophes alors que la deuxième pense à l’Europe, dans son entièreté…

La Commission a aussi réaffirmé le besoin qu’ont tous les animaux d’accéder à un espace de prairie, et pas seulement une cour extérieure, même si la formulation n’est à nouveau pas contraignante, en ce qui concerne les porcs. En volailles, les densités restent très faibles par rapports aux élevages conventionnels – elles sont deux fois moins élevées qu’en élevage standard intensif – et des règles sont ajoutées en ce qui concerne les bâtiments : plus de perchoirs, meilleur accès aux trappes menant à l’extérieur qui doivent aussi être plus grandes. Une évolution particulièrement décevante concerne la possibilité d’élevages de taille industrielle, puisque la limitation à trois mille poules pondeuses – ou quatre mille huit cents poulets de chair – se fait maintenant par « compartiment » et non plus par « bâtiment ». Heureusement, il est demandé d’aménager les espaces extérieurs avec une grande variété de végétaux, des arbres et des arbustes étant répartis sur toute la superficie pour permettre une utilisation équilibrée de tout l’espace mis à disposition pour les volailles. Notons enfin que des règles sont maintenant définies pour les élevages de lapins et de cervidés, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.

 

La transformation en bio

Les principes spécifiques à la transformation biologique ne peuvent être mieux résumés que par le règlement lui-même ! Il stipule que la production de denrées alimentaires biologiques transformées repose sur les principes suivants : produire à partir d’ingrédients agricoles biologiques, restreindre l’utilisation des additifs alimentaires et d’auxiliaires technologiques, exclure les substances et méthodes de transformation susceptibles d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable nature du produit, recourir à des méthodes de transformation biologiques, mécaniques et physiques, exclure les nanomatériaux manufacturés.

Un produit transformé pourra être étiqueté comme « biologique », à condition qu’au moins 95%, en poids, des ingrédients agricoles du produit soient biologiques. Les 5% d’ingrédients agricoles restants concernent une liste de cinq cas particuliers non disponibles en bio : algues, poisson sauvage, boyaux, gélatine… Seuls cinquante-six additifs alimentaires et quarante-deux auxiliaires technologiques sont actuellement autorisés car ils ont été jugés nécessaires à la production, à la conservation ou à la qualité organoleptique des produits transformés. Les colorants ne sont pas autorisés, sauf en estampillage ou en décoration des œufs de Pâques.

 

Un socle déjà bien solide

Si, aux yeux de certains, la législation bio européenne ne va pas assez loin dans ses exigences, et si elle va déjà trop loin pour d’autres, on peut au moins lui reconnaître le mérite de poser les bases d’une réflexion solide au sujet des méthodes de production de notre alimentation. Au-delà du simple respect de ces règles, les producteurs et les transformateurs bio – les vrais ! – sont poussés à mettre en place une batterie de pratiques toujours plus adéquates et plus ambitieuses afin qu’elles correspondent toujours mieux à la philosophie qu’ils défendent, garantissant ainsi au consommateur une alimentation toujours plus proche de ses exigences nutritionnelles et sociétales.

 

Notes :

(1) Certisys, nouvelle règlementation bio 2022. En ligne : www.certisys.eu/nouvelle-reglementation-bio-2022/

(2) Le Règlement (UE) 2018/848 est consultable en ligne, via une recherche sur https://eur-lex.europa.eu. Nous vous invitons fortement à lire les articles 4 et 5 qui rappellent les objectifs et principes généraux de l’agriculture biologique.

 

 

L’agriculture biologique, entre principes historiques et volonté d’innovation

Aux origines du mouvement de l’agriculture biologique, en France et en Belgique, on trouve un groupement de quelques dizaines de scientifiques qui se sont intéressés à l’importance de l’humus et de l’activité biologique des sols. Cette communauté, active, dès la fin des années quarante, a développé l’intérêt pour ce qu’on appelle communément la « vie du sol » qui est le point de départ, trop souvent négligé, de l’agriculture biologique telle qu’on la pratique toujours maintenant partout en Europe (1).

Par Mathilde Roda

 

Si l’aversion pour les externalités provoquées par les pesticides et les engrais chimiques fut un point de départ, les acteurs du mouvement agrobiologique élaborèrent aussitôt une pensée beaucoup plus large qui réunit leurs réflexions axées sur la santé des consommateurs et l’autonomie des agriculteurs. L’écologie vint, plus tard, prendre sa place dans l’équation… Le terme même d’ »agriculture biologique » fut popularisé, dès les années cinquante, par des médecins nutritionnistes qui furent rapidement rejoints par des agronomes et des producteurs en polyculture-élevage (2). Pour les médecins, il était urgent que la population retourne à une alimentation exempte de matières d’origine synthétique ; pour les agronomes, il n’était plus possible de promouvoir un système agrochimique qui éloignait de plus en plus les agriculteurs de leurs indépendances, technique et économique. Pour les agriculteurs surtout, il devenait impératif de trouver une alternative au courant modernisateur qui les poussait à l’endettement : mécanisation excessive, achats d’intrants, augmentation des frais vétérinaires…

Dès le départ, la bio reposa donc sur une réflexion globale et inclusive qui rendait indissociables l’agriculture et l’alimentation. La quête d’un modèle alimentaire sain poussa à la recherche d’un modèle agricole cohérent qui aurait, comme rouage central et indispensable, la vie du sol ! Car un sol sain donne des cultures saines qui sont la base d’une alimentation saine, tout en étant le facteur déterminant de la résilience des fermes agricoles.

 

Des principes fondateurs innovants !

Réaffirmons-le inlassablement : pour la bio, le sol est la base de tout ! Bien plus qu’un support de culture, il est la combinaison de milliards d’alliés, depuis la microscopique bactérie jusqu’à la macrofaune, ui est encore parfois considérée par certains comme des « ravageurs ». Voilà pourquoi on retrouve – dès l’origine de l’agriculture biologique, des principes de limitation de la perturbation du sol. Si la gestion des adventices passe par des méthodes mécaniques, une telle intervention ne peut pas être pas réalisée n’importe comment. Le labour n’est pas un recours systématique et les premiers conseillers techniques, dès 1959, faisaient déjà la promotion du sous-solage afin de le remplacer. Pratique encore présentée aujourd’hui comme innovante, les associations végétales sont également promues, dès le début des années soixante, par les pionniers de l’agriculture biologique. En plus de favoriser l’enrichissement des sols en azote, ces associations sont présentées comme un traitement préventif naturel pour garantir la santé des céréales, en favorisant la présence d’auxiliaires antagonistes.

Parmi les autres principes fondateurs de l’agriculture biologique, se retrouvent encore la polyculture, avec des rotations longues, l’insertion de légumineuses dans l’assolement, le compostage du fumier de ferme enrichi en pailles, la stimulation des micro-organismes du sol par l’apport d’amendements organiques adaptés, ou encore le recours à des cultures dérobées enfouies comme engrais vert. L’agriculture biologique se pense, depuis toujours, non pas comme un retour en arrière, mais bien plus comme une voie de progrès parallèle à celle qui est proposée par l’agrochimie.

« L’agriculture biologique a pour but de développer la véritable fertilité du sol, basée sur l’humus, et d’obtenir de hauts rendements en récoltes et en bétail, avec une qualité de produits et une résistance aux maladies que ne peuvent donner ni certaines pratiques négligentes d’autrefois, ni les méthodes couramment utilisées aujourd’hui. », expliquait déjà Jean Boucher, en 1959 (3)…

 

De « la bio » à « le bio »…

Au fil de son histoire, la bio a intéressé de plus en plus, tant les citoyens-consommateurs que les professionnels de l’agriculture. Il a donc fallu la normer pour éviter les débordements. C’est ce qu’ont permis, dès 1972, les premiers cahiers des charges élaborés par Nature & Progrès. Normer, cela veut dire cadrer les pratiques, en interdire certaines et donc contrôler le respect des règles édictées. Un tel cadre normatif amena de la confiance mais également un côté restrictif qui laissa souvent peu de place à la globalisation de la réflexion.

Cet engouement qui se structurait de plus en plus suscita inévitablement l’intérêt du monde politique. Mais c’était la volonté de ses défenseurs ! La reconnaissance officielle donna au mouvement son cadre légal et permit une promotion plus large de l’agriculture biologique. Si Nature & Progrès et les autres acteurs de l’agriculture biologique n’avaient pas attendu le législateur européen pour avancer (4), cette étape constitua néanmoins une victoire importante dans la légitimation des préceptes agrobiologiques.

Ce qui put – et peut encore – faire tiquer les adeptes de la bio, c’est que la création du label européen, en 1991, fut le théâtre d’une réduction spectaculaire de ses grands concepts à une série de critères purement techniques. Les principes fondateurs de l’agriculture biologique se retrouvent souvent relégués au rang de simples « considérants » introductifs, non traduits en articles de loi. La bio est ainsi devenue le bio : un marché de produits labellisés qui, pour la majorité des consommateurs, se réduisent à des produits sans pesticides (5). Or l’agriculture biologique a toujours été, à nos yeux, un gage essentiel de rapprochement du producteur et du consommateur. Il est donc indispensable d’aller beaucoup plus loin – et c’est ce que permet le label Nature & Progrès – même si, au travers du label bio « Eurofeuille » se traduisent déjà bon nombre des principes fondateurs du bio.

 

La rigueur du travail de l’historien

Telle est bien l’histoire de la bio que certains, aujourd’hui, seraient bien tentés d’ignorer, ou carrément de réécrire. Mais réécrire l’histoire, cela porte un nom. Réécrire l’histoire, c’est du révisionnisme ! Et la condamnation du révisionnisme ne doit pas concerner que l’horreur sans nom des chambres à gaz ! Le marketing de la grande distribution est chatouillé en permanence par les démons du révisionnisme, lui qui se laisse trop souvent aller à ne voir dans le « produit issu de l’agriculture biologique » qu’un simple, un vulgaire objet de mode dont le temps viendra à passer pour être remplacé par d’autres. De nouveaux acteurs de l’agroécologie – ce Canada Dry qui le goût et la couleur de l’agriculture biologique mais qui n’est évidemment pas l’agriculture biologique ! – rêvent aujourd’hui d’y réintroduire des pesticides ! « Nous ne pouvons pas faire sans« , clament-ils à qui veut bien les entendre. Mais réintroduire le ver dans le fruit ne serait-il pas le projet secret de l’industrie qui les manipule ?

Et que pouvons-nous faire d’autre, face à ce négationnisme intolérable qui prétend stimuler la vie du sol en recourant aux services du glyphosate, que d’en appeler à la vérité historique, celle de l’agriculture biologique et de tous ceux qui l’ont faite au fil des décennies ? Car la bio ne s’incarne pas seulement dans les principes du présent. La bio, c’est avant tout la vie et les espoirs de tout ceux qui l’ont rendue concrète. Pour notre santé et celle de la terre !

 

Notes :

(1) Pour connaître tous les détails de l’origine du mouvement biologique francophone, voir les articles de Florian Rouzioux parus dans les revues Valériane n°143, 144 et 145.

(2) Rouzioux Florian, « Les voix contestataires du Groupement d’Agriculture Biologique de l’Ouest (1958-1961) – Des Ligériens au service de l’indépendance des paysans et de la santé du sol« , Revue de l’Association des Jeunes Chercheurs de l’Ouest, n°2, 2022

https://ajco49.fr/2022/11/14/les-voix-contestataires-du-groupement-dagriculture-biologique-de-louest-1958-1961-des-ligeriens-au-service-de-lindependance-des-paysans-et-de-la-sante-du-sol

(3) Archives municipales d’Angers, 42 J 186, tract « Principes d’Agriculture Biologique », Jean Boucher, 1959. Lu dans (2).

(4) Pour en savoir plus, voir la revue Valériane n°134 et l’article intitulé « Regards sur l’évolution du label Nature & Progrès ».

(5) Sujet développé par Michel Besson dans « La bio et l’agroécologie sont des projets de transformation sociale« , revue Valériane n°98.

 

 

Les compteurs nouveaux sont là… ou presque ?

La rumeur est insistante : nos gestionnaires de réseau de distribution (GRD) installeraient de nouveaux compteurs électriques réputés « intelligents » chez les particuliers ! Le consommateur lambda peut-il vraiment s’y opposer ? En a-t-il réellement le droit, ou n’est-ce toujours qu’une simple promesse faite par nos politiciens et qui volera en éclats dès que l’installateur garanti IA (intelligence artificielle) sonnera à la porte ? A vrai dire, une fois de plus, rien n’est clair…

Par Dominique Parizel

 

Rappelons d’abord que tout ceci est de compétence régionale et est donc abordé très différemment en Wallonie et à Bruxelles. Précisons aussi que cette question concernera, à termes, l’ensemble des compteurs présents dans nos habitations – électricité, gaz, eau -, voire peut-être tout ce qui comptabilise – régule ? – les consommations dans les logements collectifs. Ces « modernisations » s’inscrivent dans le cadre de la Directive européenne 2018/2002, du 11 décembre 2018, dont il est très difficile pour le citoyen normalement intelligent de savoir si elle est déjà transposée – et surtout comment ? – dans les législations régionales…

 

Face aux géants des communications, que peut le simple citoyen ?

Disons-le tout net : ceci s’inscrit surtout dans le cadre du déploiement de la 5G, c’est-à-dire l’ »Internet de demain« , la connectivité ultra-invasive et ultra-rapide qu’aucun responsable politique ne semble aujourd’hui prêt à remettre en question. Au point que rien ne transpire, ou presque, des modalités de mise en œuvre des nouvelles infrastructures qui nous sont imposées, sans que nous n’ayons jamais rien demandé. Bonne ou mauvaise, la 5G ? A chacun son avis… Le droit élémentaire du citoyen, en tout cas, on s’en fout sans le moindre état d’âme ! Une nouvelle forme d’intelligence ? Bonjour, la transparence…

Or donc, le remplacement des vieux compteurs électromécaniques que nous connaissons depuis belle lurette semble avoir déjà commencé, même si pas mal de zones floues subsistent quant au cadre légal de cette vaste opération. Personne aujourd’hui ne semble, en tout cas, vouloir expliquer comment la Directive européenne est, ou pas, ou pas encore, transposée. On nous expliqua pourtant naguère – mais avec quelles garanties d’ordre légal ? – que la Déclaration de Politique Régionale Wallonne, du 9 septembre 2019, prévoyait d’accorder à chaque Wallon.ne le droit de refuser le placement, chez lui, chez elle, d’un compteur communicant, intelligent. Il semblerait cependant que nos GRD procèdent déjà à des remplacements de compteurs, diffusant – mais dans quel but ? – des messages incorrects à la population au sujet de législations qui n’existeraient peut-être même pas encore, se montrant même insistants ou, le cas échéant, menaçants, selon ce qui fut rapporté à Stop Compteurs Communicantswww.stopcompteurscommunicants.be/… La plus élémentaire « mise au courant » (!) du consommateur à propos de ses droits exacts en la matière serait, en tout état de cause, largement insuffisante… A Bruxelles, les choses sont plus catégoriques encore : un recours a été déposé contre l’ordonnance du 17 mars 2022 qui stipule que « nul ne peut refuser l’installation ou le maintien d’un compteur intelligent ni en demander la suppression« … On est à Bruxelles, à Téhéran ou bien à Pékin ?

Les GRD wallons, quant à eux, ne disposant évidemment plus de vieux compteurs électromécaniques – « faut bien vivre avec son temps, mon bon monsieur… » -, tiendraient la promesse gouvernementale, en cas de refus de particulier, en plaçant… ce dont ils disposent, c’est-à-dire des nouveaux compteurs « intelligents » mais désactivés, ou disons plutôt pas encore activés. Pour combien de temps ? Ces compteurs ne transfèreraient ainsi ni données, ni opérations à distance, mais émettraient malgré tout un signal, ce qui est très problématique pour les personnes électrosensibles. Témoignerait de cette émission le fait que de tels compteurs, branchés sur le réseau 4G, disposeraient – nous n’en avons jamais vu, d’où le conditionnel d’usage ! – de deux diodes, l’une indiquant que le compteur est dûment enregistré, l’autre l’intensité du signal émis. La possibilité de tout couper – et de garantir, par conséquent, l’effectivité d’un refus ainsi que le prévoit, sinon la loi, au moins la promesse gouvernementale – existe-t-elle donc vraiment ? Rien n’est moins sûr, semble-t-il. A Bruxelles, Sibelga est très clair : même coupé, le compteur continue d’émettre ! D’où les recours en justice introduits par Stop 5Ghttps://stop5g.be/fr/index.php.

 

Un problème ? Où ça, un problème ?

Les problèmes – nombreux ! – que soulève l’installation de compteurs communicants dans nos foyers furent longuement exposés dans une précédente analyse intitulée « Avons-nous besoin des compteurs « intelligents » pour réaliser une transition énergétique efficace ? » C’était en 2019, avant la Covid ! Pointons évidemment le respect élémentaire que nous devons témoigner à l’égard des personnes électrosensibles, à l’heure où la Wallonie s’enorgueillit d’éliminer, l’une après l’autre, l’ensemble des « zones blanches » du numérique. La question des pannes, ainsi que celle du coût élevé d’un matériel très sophistiqué – qui les prendra en charge ? -, semblent également sérieuses, alors que nos vieux compteurs électromécaniques fonctionnaient paisiblement et sans frais depuis plus d’un demi-siècle… Enfin, la grave question de ces « inconnus dans la maison », qui y laissent des portes numériquement entrouvertes, doit également être posée, à l’heure où les piratages informatiques de tous ordres foisonnent. Des réponses sérieuses doivent impérativement être apportées…

D’une manière plus large encore, nul n’ignore que la généralisation – espérée ou redoutée – de la 5G inquiète. La question de sa dangerosité intrinsèque n’est pas élucidée mais, plus encore, c’est l’ensemble des applications superflues qu’elle va permettre – et qui seront, pour la plupart, inutiles et très énergivores – qui interpelle en ces temps d’indispensable sobriété énergétique. Table-t-on, par exemple, sur la généralisation de la 5G et de son réseau de compteurs interconnectés – et donc réputés « intelligents » ! – pour écrêter les pics de consommation électrique ? Notre parc automobile est appelé à s’électrifier, à l’échéance 2035, mais rien n’est fait ni même prévu, semble-t-il, pour renforcer le réseau électrique. Cherche-t-on déjà à réguler les consommations de courant – en ce compris les recharges des batteries de véhicules – à l’aide de ces nouveaux compteurs communicants, en tarifant éventuellement la consommation « en temps réel » et non selon des profils, certes très approximatifs de consommation moyenne, comme c’est le cas actuellement ? Espère-t-on éviter ainsi les surcharges de réseau, et les risques de black-out, en menaçant le citoyen de payer très cher toute consommation imprévue ou intempestive ? Et de quoi seront faits les énigmatiques algorithmes qui décideront du droit de chacun au courant disponible ?

 

Où un minimum d’infos ne nuirait pas…

Nous dire si la transposition – ou pas ? – de la Directive européenne existe bel et bien permettrait déjà à l’humble quidam que nous sommes d’y voir un peu plus clair. Il existerait, paraît-il, une liberté laissée, dans la Directive européenne, aux Etats membres d’émettre ou de ne pas émettre… Pas besoin d’émettre en permanence, en effet, s’il s’agit juste de relever annuellement un compteur ! Une simple possibilité d’impulsion donnée à l’agent constateur suffirait, lorsqu’il passe à proximité… Faut-il craindre, au contraire, avec des interactions permanentes, qu’un Big Brother énergétique s’installe vraiment parmi nous ? Beaucoup de questions, beaucoup trop, et aucune réponse, alors qu’il semble que le « grand remplacement » ait déjà commencé, en Wallonie du moins. Et alors même que le Wallon aurait, paraît-il, un droit de refus… Mais de refuser quoi exactement, et selon quelles modalités ? Droit réel ou simple promesse ? Difficile à dire… Et on se fera encore gronder comme des garnements peu obéissants quand on parlera de défiance du citoyen à l’égard du politique…