Citoyens, nous devons choisir l’énergie citoyenne !

Le principe est le même qu’il s’agisse de notre habitat, de notre mobilité, de notre alimentation, ou de notre énergie ! Ne nous laissons pas désapproprier de ce que nous sommes toujours capables de faire nous-mêmes. Ne laissons pas les tiers, les intermédiaires de tous poils nous vendre des « services » dont nous n’avons aucun besoin. Exerçons sans hésiter le contrôle que nous sommes en mesure d’exercer. Exigeons les régulations que nous estimons devoir exiger. Pesons du poids que nous pesons vraiment ! Ce sera déjà pas mal pour vivre mieux les crises qui s’installent…

Par Dominique Parizel

Nous saurons surtout, ce faisant, ce que coûte vraiment ce dont nous avons prioritairement besoin – ni peu de choses, ni les yeux de la tête… – et nous verrons aussi beaucoup mieux les choix que sommes réellement en mesure de faire, en tant que citoyens actifs. Nous comprendrons mieux où et comment nous investir, nous discernerons mieux en qui nous pouvons réellement placer notre confiance. Des choix nouveaux s’imposent au seuil d’un hiver où sobriété rimera plus que probablement avec solidarité. Ils nous diront ce que vaut vraiment l’énergie dont nous avons besoin, et comment y avoir accès… A l’impérieuse condition qu’elle soit citoyenne. Car la proximité et le circuit-court, cela concerne tout autant votre énergie que votre alimentation, votre habitat ou votre mobilité… En doutiez-vous encore ?

Acheter son électricité en circuit court, c’est possible ?

Aller chercher ses œufs à la ferme ou ses légumes à la coopérative maraichère voisine, voilà l’image qu’on a généralement du circuit court. Mais le circuit court, ce n’est pas que des salades ! Le principe s’applique aussi, notamment, à l’énergie. Produire ensemble son électricité sur le modèle coopératif, vendre et consommer soi-même cette électricité, voilà la boucle du circuit court de l’électricité. C’est ce que font quinze coopératives citoyennes wallonnes productrices d’électricité verte, qui se sont associées pour créer le fournisseur citoyen baptisé COCITER, auquel elles vendent leur production.
Les coopérateurs de ces coopératives sont non seulement copropriétaires des outils de production de leur coopérative – éoliennes, centrales hydro ou photovoltaïque, unité de biométhanisation – mais, en plus, ils sont copropriétaires de leur fournisseur d’électricité. C’est un modèle économique unique dans le secteur de l’énergie en Wallonie. Le client de COCITER consomme l’électricité qu’il a contribué à produire grâce à son investissement dans sa coopérative.
Avec sa coopérative, le consommateur a ainsi le contrôle sur son électricité. Il sait d’où elle provient, comment elle a été produite, dans quelles conditions, à quel prix. Bref, voilà une électricité d’origine contrôlée. Il peut aussi, au travers de sa coopérative, participer aux décisions, influencer les choix et les orientations de son fournisseur. C’est la démocratie en action.
Le circuit court permet aussi de mieux maîtriser les prix, et dans le contexte actuel, c’est un atout indéniable. Quand les coopératives associées décident de vendre leur électricité à COCITER, en dessous des prix du marché, COCITER peut répercuter cette baisse dans ses tarifs et faire bénéficier le consommateur d’un prix plus raisonnable. C’est la magie du circuit court : puisque le consommateur final est aussi le coopérateur qui produit, leurs intérêts se rejoignent. Bien sûr, le marché de l’énergie est très régulé ; on ne peut pas faire ce qu’on veut. Et COCITER, comme toute autre entreprise, doit s’assurer une solidité financière suffisante pour pouvoir affronter les tempêtes présentes et futures. Mais comment ne pas être en colère quand on voit certaines grandes entreprises énergétiques se réjouir de l’envolée actuelle des prix et engranger de plantureux surprofits, sans que ce mécanisme pervers soit remis en question ?
Au-delà de la question du prix, c’est le modèle novateur des coopératives d’énergie qu’il faut retenir. Un modèle qui place le citoyen au centre des attentions, qui lui donne de la responsabilité et du pouvoir. Un modèle qui privilégie l’autonomie et la solidarité. Ce modèle vertueux pourrait se développer et se renforcer. Encore faudrait-il que le politique en prenne conscience et prenne les bonnes décisions. Toute crise offre des opportunités de progrès. Il faut s’en saisir.

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Construire l’Europe des citoyens autour des énergies renouvelables !

Electrotechnicien et économiste, Gérard Magnin avait rejoint l’ADEME – Agence Française pour la Maîtrise de l’Energie – en 1985, comme délégué régional de Franche-Comté. Il anima ensuite, pendant plus de vingt ans, l’association de villes européennes, Energy Cities. Nommé au Conseil d’Administration d’EDF (Electricité de France) en 2014, il en démissionna, dès juillet 2016, afin de manifester son désaccord avec l’investissement dans deux réacteurs nucléaires, à Hinkley Point en Angleterre, et plus généralement à propos d’une stratégie qui déplace toujours plus le curseur de l’entreprise dans la direction unique du nucléaire…
Depuis septembre 2016, Gérard Magnin préside Jurascic, une coopérative de financement citoyen d’énergies renouvelables, en Bourgogne Franche-Comté. Invité du Colloque interrégional sur le renouvelable, qui s’est tenu à Eupen, le 17 janvier 2017, les éclairages qu’il y prodigua demeurent particulièrement précieux dans le contexte actuel. En voici un bref aperçu…

La dimension culturelle de l’énergie

Question universelle, l’énergie nous concerne tous, dans toutes les fonctions de nos vies, personnelles, familiales, professionnelles ou associatives. Son organisation révèle des modèles civilisationnels très différents, voire opposés, tiraillés entre les pôles de l’appropriation et du partage. La question du renouvelable est souvent traitée sous un angle exclusivement technologique, opposant des technologies à d’autres technologies. Ses promoteurs surestiment généralement la portée réductionniste d’un tel argumentaire qui privilégie le technique, l’économique ou le financier. Les décideurs locaux sont ainsi les spectateurs passifs d’échanges dont les règles ne seraient connues que des spécialistes…
Les fausses cartes qui tentèrent de faire croire, à Noël 2016, que la pollution à Paris était le fait des centrales à charbon allemandes – et l’effet de l’abandon du nucléaire dans ce pays – nous font entrer dans l’ère des fake news. Aucun vent ne venait, en effet, de l’est…
Pour mieux s’y retrouver entre rationalité pure et subjectivité totale, le promoteur d’énergies renouvelables ne peut se dispenser d’analyser les aspects techniques, économiques et financiers de la question énergétique. Mais ce n’est pas suffisant car le monde de la rationalité pure n’existe pas. Sous-estimer la dimension culturelle – c’est à dire la représentation qu’on peut se faire de ces énergies – le handicape lorsqu’il est confronté à l’incrédulité de la population et des décideurs. Il se prive ainsi d’arguments percutants qui transcendent le sujet technique, en s’adressant à la pensée, voire à l’intimité du citoyen.
La question du sens est fondamentale ! Elle permet de s’interroger sur les raisons de faire ceci plutôt que cela, de savoir pourquoi il ne nous est pas indifférent de faire ceci plutôt que cela. Voici donc quelques exemples, à différents niveaux de notre société, de ce que les énergies renouvelables peuvent apporter de plus.

Nos choix énergétiques à l’épreuve de valeurs universelles

Nous sommes attachés à des valeurs, souvent universelles, qui motivent nos engagements. Il est généralement admis, par exemple, que ce qui provient de la nature fait partie des biens communs de l’Humanité et ne devrait donc pas pouvoir être approprié de façon privée. De plus, nous aspirons tous à la paix plutôt qu’à la guerre, nous attachons de l’importance à notre souveraineté afin de pouvoir maîtriser ce qui concerne notre quotidien et notre avenir. La demande de démocratie, d’équité et de justice, ou encore l’accessibilité pour tous aux commodités essentielles à la vie, nous semblent primordiales, tout comme l’avenir de nos enfants et la solidarité intergénérationnelle. Nous sommes attentifs à la responsabilisation dans nos prises de décisions ; sûreté et sécurité font partie de nos préoccupations de façon croissante, prévisibilité et stabilité nous semblent des nécessités dans un monde aussi incertain. Nous sommes très soucieux du développement économique, en tant que facteur de cohésion sociale, ainsi qu’à notre capacité à inventer le monde qui vient… Voyons dès lors, à la lumière de ces différents critères, ce que promettent les différentes formes d’énergie.

1. Vie sur terre

La combustion des énergies fossiles est largement responsable du dérèglement climatique qui remet en cause la vie telle que l’Humanité l’a organisée sur notre planète. Des centaines de millions de personnes seront ainsi contraintes de quitter leurs lieux de vie et d’abandonner une partie de leur histoire.
En ne ponctionnant pas de ressources carbonées au-delà de ce qui est nécessaire à la production des équipements, les énergies renouvelables sont quasi neutres en carbone. C’est une de leurs vertus les plus connues. Elles ne portent pas atteinte à la vie sur terre.

2. Biens communs

Les réserves en énergies fossiles et fissiles sont très concentrées dans le monde : 50% des ressources en pétrole viennent de quatre pays – et 80% de huit. Il en va de même pour le gaz. Les trois quarts de la production d’uranium proviennent de cinq pays, dont un seul – le Kazakhstan – en produit plus de 40% ! En théorie, ces ressources sont des biens communs de l’Humanité mais, dans les faits, elles sont la propriété des pays en-dessous desquels se situent les gisements ou confisquées par les compagnies qui les exploitent.
Le vent et le soleil sont disponibles librement partout. L’eau souvent. La chaleur du sol toujours. Ce sont, pour l’essentiel, des biens communs qui ne sont pas appropriables de façon privée, en tant que ressources.

3. Paix

Le contrôle de ces ressources est l’objet de tensions géopolitiques intenses souvent causes de guerres, de conflits larvés ou de rapports de domination. La prolifération des matières radioactives et leur utilisation militaire menace gravement la paix.
La dispersion des ressources renouvelables est un facteur de paix. Utiliser localement du vent ou du soleil ne se fait pas au détriment de leur utilisation en un autre endroit du globe. Elles sont disponibles. La prolifération des technologies renouvelables ne porte pas atteinte à la sécurité du monde.

4. Souveraineté

Les énergies fossiles et fissiles ont concentré le pouvoir dans un très petit nombre de compagnies multinationales dont les chiffres d’affaires dépassent, de loin, le PIB de nombreux pays. Leurs stratégies asservissent à leurs intérêts une grande partie de l’Humanité, et même des pays. Elles remettent en cause leur souveraineté, comme c’est le cas en Ukraine !
Contrôler ses sources d’approvisionnement énergétique est une des bases fondamentales de la souveraineté d’un pays ou d’un groupe de pays ; les énergies renouvelables – productibles, transformables et utilisables sur place – sont un facteur important de souveraineté énergétique, surtout pour un pays non-détenteur de ressources fossiles.

5. Démocratie

L’approvisionnement en énergie est une question stratégique pour un pays ou un groupe de pays consommateurs – l’Union européenne, par exemple -, au point que ceux-ci peuvent devenir moins exigeants quant au respect de valeurs universelles dans les pays producteurs. Il en va de même pour les compagnies multinationales dont la compromission avec des dictatures est consubstantielle de leur modèle ; elles sont une source de corruption à tous niveaux. La production nucléaire, centralisée par nature, requiert un sévère contrôle social et politique pour limiter les risques qu’elle génère.
Les énergies renouvelables ne permettent pas à fournisseur incontournable – russe par exemple – de « confisquer » un modèle démocratique. Sécurité énergétique et sécurité démocratique sont ainsi étroitement liées.

6. Equité, justice, accessibilité

La consommation – et surtout la surconsommation – d’énergies fossiles par ceux qui sont capables de payer, induit des augmentations de prix qui s’imposent à tous. Chaque choc pétrolier est d’abord un choc pour les pays émergents, non-producteurs. Pour la première fois dans l’Histoire, une activité industrielle – le nucléaire – se développe à coûts croissants : cent vingt euros le MWh nucléaire, à Hinkley Point à partir de 2025-2027 et jusqu’en 2060, soit plus du double du nucléaire existant. Les énergies fossiles et fissiles nécessitent des réseaux de transport inadaptés, trop coûteux pour desservir des pays à faible densité. Plus de deux milliards d’êtres humains ne disposent pas d’électricité, sans que des solutions alternatives viables soient proposées.
Plus on construit d’installations en énergies renouvelables, plus les progrès techniques et les effets d’échelle réduisent les coûts de production : vingt-six euros le MWh solaire au Chili, soixante euros le MWh pour l’éolien off-shore en Mer du Nord. Et cela va continuer… L’accessibilité à l’électricité renouvelable en fait la solution la plus économique ; l’électricité pour tous est à portée de main, ce qui lui confère une portée universelle. L’électricité renouvelable décentralisée ne nécessitera que de petits réseaux de distribution permettant optimisations et mutualisations locales.

7. Solidarité intergénérationnelle et responsabilité

Les activités industrielles pétrolières, charbonnières et surtout nucléaires laissent aux générations futures des factures énormes pour réparer leurs nuisances ou se prémunir contre leur dangerosité. Les énergies fossiles ne provisionnent pas pour leur renouvellement, comme si on exploitait une forêt sans la régénérer, comme si une entreprise ne provisionnait pas pour maintenir à niveau ses équipements et les renouveler. Se présentant souvent comme une économie de marché, les énergies fossiles sont une économie de prédation sur un stock produit par la nature. C’est pourquoi on les nomme « énergies de stock ».
Les énergies renouvelables ont un impact sur l’environnement, comme toute activité industrielle, mais il est connu, prévisible et limité. Elles ne produisent pas de déchets dangereux et les installations sont réversibles, à un coût modéré ; elles paient pour capter le vent et le soleil, les transformer en électricité, pour renouveler leurs équipements et financer la gestion de leurs déchets ; elles paient pour l’ensemble du cycle. « Énergies de flux », elles se nourrissent de ressources qui se renouvellent sans épuiser le stock, à l’exception de quelques métaux rares.

8. Sûreté et sécurité

Les technologies de grandes tailles ont souvent montré leurs avantages dans un monde révolu. Aujourd’hui, c’est le contraire qui est vrai : ce qui est gros et concentré est vulnérable et peut devenir une cible, y compris terroriste. La dangerosité intrinsèque des grosses installations énergétiques centralisées – et notamment nucléaires – renchérit leurs coûts de production afin de prévenir les accidents ou de réparer les dégâts d’accidents.
La dispersion des installations, leur taille ou leur concept rend les énergies renouvelables plus sûres, exemptes de risques majeurs. La mutualisation des petits risques est plus sûre qu’une concentration de gros risques. Le risque terroriste ne peut alors avoir qu’un impact limité, du fait même de la dispersion des installations et de leur nombre.

9. Prévisibilité

Les prix des énergies fossiles – en particulier pétrolières – surdéterminent notre développement. Erratiques, leurs variations chahutent nos économies depuis un demi-siècle. Ils ne sont pas prévisibles. Prévisible en principe, la production d’origine nucléaire peut s’avérer fragile quand survient un incident générique qui oblige de cesser immédiatement la production.
L’évolution des prix des énergies renouvelables est prévisible et orientée à la baisse, à l’abri des aléas géopolitiques. La production est soumise aux variations climatiques – et c’est un inconvénient – mais elle est prédictible d’un jour à l’autre. La multiplication et la dispersion des lieux de production mutualisent les risques ; la combinaison des formes de production renouvelable, la gestion de la demande, les synergies entre réseaux, le tout associé au stockage sous ses différentes formes, permettra de dépasser les inconvénients.

10. Développement

Une grande partie des pays producteurs d’énergie fossile vivent de leur rente de production et ne se développent pas ou peu. C’est le cas des producteurs du Moyen-Orient, du Venezuela, de la Russie ou de l’Algérie. L’existence d’une rente énergétique dissuade généralement d’investir dans le reste de l’économie.
Les énergies renouvelables sont produites de façon dispersée ; elles génèrent des travaux de construction et de maintenance. Fournissant de l’électricité là où l’on ne voyait pas de solution proche, elles permettent l’éducation des enfants, la satisfaction des besoins du quotidien, ainsi que l’émergence d’activités économiques nouvelles.

11. Innovation

Les choix énergétiques surdéterminent souvent l’organisation politique des pays, et réciproquement. Les pays les plus nucléarisés – comme la France – sont souvent les plus centralisés, ce qui handicape l’adaptabilité des initiatives locales et les expérimentations qui ouvrent des voies d’avenir. Les moyens mis en œuvre pour préserver un monde ancien ralentissent l’émergence du monde qui vient.
Les pays fédéraux et décentralisés offrent des espaces de liberté et de création à la société, aux autorités locales et aux citoyens. Les innovations essentielles de ces dernières décennies – renouvelables, adaptation des bâtiments, etc. – viennent de ces pays, notamment d’Allemagne. Il en va de même pour l’éclosion des communautés énergétiques locales.

Les énergies renouvelables n’échappent malheureusement pas à l’appropriation – par des grands groupes ou fonds d’investissement – du profit généré par la production et la vente d’électricité renouvelable. Toutefois, les volumes d’investissement nécessaires à la transition des « énergies de stock » vers les « énergies de flux » seront colossaux. Les avantages qui viennent d’être décrits ne doivent donc pas pâtir d’une appropriation des profits qui serait considérée, à tort ou à raison, comme non-éthique ou non-équitable : quels que soient les modes d’investissement et d’exploitation, les énergies renouvelables conservent leurs vertus intrinsèques. Quelques chiffres permettent de mieux cerner la situation :
– selon l’Agence Internationale de l’Energie, les investissements mondiaux dans le solaire et l’éolien dépasseront les trente-deux mille milliards de dollars, d’ici 2040. Les seuls investissements coopératifs ne suffiront donc pas – c’est un euphémisme ! – à faire face dans les délais impartis, mais ils seront invités à prendre leur place ;
– d’ici 2025, une puissance éolienne équivalente à celle de cent vingt réacteurs nucléaires sera installée en Europe. Une grande partie sera installée par des investisseurs et des opérateurs traditionnels mais les citoyens devront y prendre leur part ;
– le désinvestissement des énergies fossiles, de la part des grands fonds d’investissement, au bénéfice des énergies renouvelables est une des conséquences majeures de la COP21. Même si ce changement est encore beaucoup trop lent, il doit être encouragé…
Enfin, une étude – réalisée à la demande de Greenpeace, Friends of the Earth et RESCOOP – montre que la moitié des Européens pourraient produire, de façon individuelle ou collective, tout ou partie de l’électricité dont ils ont besoin pour atteindre 45% de la demande totale ! La production se rapprochera ainsi des lieux de consommation. Cette réalité est proche. Elle nous appartiendra, si nous le voulons.

Ce qui a du sens au quotidien dictera nos choix énergétiques !

Une partie croissante de la population affiche clairement ses préférences : prendre son destin en mains, construire de nouvelles formes de démocratie, mobiliser des communautés territoriales autour de projets concrets, garantir la traçabilité de ce qui est produit, tirer parti des ressources locales, gagner en autonomie… Or les énergies renouvelables offrent l’opportunité unique d’ouvrir un espace d’action pour des communautés énergétiques.

1. Reprendre son destin en mains

Les moyens de produire de l’électricité renouvelable sont d’une taille appropriable par des citoyens. Alors que le monde énergétique du passé était le fait d’acteurs spécialistes dans leurs domaines, la transition énergétique met chacun en situation d’être acteur. Même ceux qui ne connaissent rien à l’énergie peuvent intervenir, dans les économies d’énergie bien sûr, mais aussi dans la production décentralisée.

2. Démocratie pratique

Les démocraties occidentales sont en crise, contestées parce qu’une démocratie formelle – qui se borne au respect de critères juridiques – perd de vue la démocratie réelle – celle qui compte pour les citoyens. Or être partie prenante d’un projet collectif d’énergies renouvelables, c’est justement entrer dans un processus démocratique de discussion, de conviction, de décision, de confrontation aux contraintes et à la complexité, de construction avec d’autres… En résumé, c’est ce qui permet de « faire communauté » autour d’un projet, avec la certitude de voir le résultat d’une action dont on peut être fier.

3. Traçabilité

Les relations marchandes, dans un monde globalisé, rendent les circuits économiques anonymes et de moins en moins lisibles, ce qui crée du doute, voire de l’angoisse. D’où l’émergence de circuits courts alimentaires, de réparation d’équipements, d’épargne et de monnaies locales. Les circuits courts des énergies renouvelables sont donc une nouvelle étape à franchir, avec des liens directs entre producteurs et consommateurs, avec la possibilité d’investir soi-même dans des installations d’approvisionnement. Eux seuls permettent de rendre traçables les circuits énergétiques…

4. Tirer parti des ressources du territoire

Notre économie s’est largement déterritorialisée, les entreprises sont de plus en plus mobiles, détachées de leurs territoires originels. Mais une partie de l’économie, apte à satisfaire des besoins de la vie quotidienne, peut se relocaliser, avec l’intention de maîtriser à nouveau ce qui est à la portée de nos mains. Si les technologies renouvelables permettent une réappropriation territoriale, la crainte émerge cependant de se la voir confisquer par des fonds d’investissement. Des communautés énergétiques – qui affectent leur épargne à des projets d’énergies renouvelables – se forment donc afin de limiter ce risque.

5. Un meilleur équilibre rural-urbain

La fracture entre l’urbain et le rural s’élargit. Le rural se sent floué par l’urbain et l’urbain est souvent arrogant avec le rural. La faible densité de population rurale compromet la viabilité de services à la population mais lui permet aussi d’accueillir des installations d’énergies renouvelables. C’est alors le rural qui fournit l’urbain et l’urbain qui paie le rural, ce qui est de nature à rééquilibrer un peu les relations, ceci n’excluant évidemment pas que des citoyens, entrepreneurs, et autorités locales du milieu urbain viennent investir dans des projets développés en milieu rural…

6. Autonomie

Le numérique renforce la tendance culturelle à l’autonomie, qui devient un marqueur de nos sociétés. La recherche de l’autonomie énergétique s’inscrit donc dans cette tendance. Si ce mot peut connoter du « repli sur soi », il peut surtout être pensé comme un moyen de se responsabiliser à nouveau, de façon individuelle mais aussi collective, quant à l’approvisionnement énergétique, à l’impact écologique du développement local. Les réseaux toutefois sont synonymes de solidarité, de mutualisation des risques, d’ouverture aux autres, à l’inverse d’une attitude voulue comme autarcique qui ressemblerait à une fermeture vis-à-vis d’autrui. Les échanges d’électricité déterminent aussi la base fiscale qui fournit des services à la population. Si cette base devait se réduire et être remplacée par une autre, encore faudrait-il déterminer laquelle…

En route vers une Europe de l’énergie citoyenne ?

Il est indispensable de donner toute sa place à la dimension culturelle de l’énergie, celle qui forge les représentations de sa réalité. Ce sont elles, en définitive, qui déterminent la plupart de nos choix. Toute transition génère des angoisses car on préfère toujours ce qui est connu à ce qu’il faut encore imaginer. Or l’avenir de notre siècle nous est largement inconnu, sauf sur un point au moins : il sera très différent de celui que nous avons quitté !
Mais si l’on part des réalités quotidiennes, des besoins à satisfaire, des potentiels à exploiter, toutes les villes unanimes. Et pas seulement les villes. Les convergences sont presque totales, et pas seulement entre les villes françaises et les villes allemandes, mais dans l’ensemble de l’Europe et bien au-delà. La prééminence des approches « étatico-industrielles » cependant, qui tentent de préserver le monde ancien, handicapent lourdement la recherche de solutions communes.
La capacité des acteurs de terrain, des citoyens – des gens qui ne se connaissent pas et pourtant aspirent aux mêmes choses – est une grande source d’espoir. Le développement de communautés énergétiques locales, ainsi que le mentionne le Energy Package proposé par la Commission européenne, le 30 novembre 2016, et intitulé Clean Energy for Europeans, offre une opportunité unique de construire une véritable Europe des citoyens autour d’objectifs énergétiques communs.

La Ford Explorer d’Anthony Medeiros

Si La désobéissance civile, petit essai du philosophe Henry David Thoreau, se trouvait sur la table basse de votre salon, vous pourriez y lire cet encouragement : “On ne peut attendre d’un homme qu’il fasse tout ; on peut seulement attendre de lui qu’il fasse quelque chose.” Puisque vous n’avez pas ce livre à portée de main, voici une autre histoire. L’un de ses protagonistes, Joshua Gorman, a pris Thoreau au sérieux. Trop ? Jugez-en par vous-même.

Par Guillaume Lohest

Vous avez chaud, vous étouffez presque au milieu de ces boiseries d’un autre temps. Vous regardez les lambris de la salle d’audience et votre regard croise le pygargue à tête blanche qui orne l’emblème de la justice des États-Unis. Vous n’êtes sans doute pas juge de profession, ni américaine de nationalité, ce n’est pas grave car au fond nous sommes tous un peu juges, et tous un peu américains. Votre rôle est plus exactement celui d’une jurée. Vous remplissez votre mandat populaire depuis quelques mois. Une fois par semaine environ, vous empruntez la Cambridge Turnpike vers le Sud-Est et vous avalez les vingt miles qui vous séparent de Boston pour rejoindre la Cour de District du Massachusetts. Sans la climatisation de votre bonne vieille Chevrolet, vous n’auriez pas survécu aux trajets pour les audiences de juin. Il fait mourant en ce début d’été. La petite brise apportée par l’océan Atlantique vous a rafraîchie pendant les quelques pas qui vous ont menée du parking à la Cour. Ce vent tiède hélas ne franchit pas les murs de l’austère bâtiment en briques rouges logé à l’angle de la Courthouse Way et de la Northern Avenue.
Hormis la chaleur, vous vous accommodez plutôt bien de cette mission qu’un tirage au sort a mis en travers de vos habitudes. Au moins, votre voix compte pour quelque chose. Avec les autres jurés, vous partagez une activité exigeante très éloignée de la plupart de vos occupations de tous les jours. On ne vous demande pas d’avoir raison, seulement de vous mettre au service d’une vérité raisonnable. Vous vous découvrez des capacités d’écoute, de compréhension, d’analyse et de délibération. La justice est inaccessible, cela vous aide à mieux la rechercher. Ce devoir démocratique vous apaise en réalité, il vous repose de l’incessante nécessité de vaincre et de convaincre qui anime votre vie. Pour l’obtention d’un marché, d’un poste ou d’un peu d’attention, il faut toujours lutter. Ici non, pensez-vous en vous installant aux côtés des autres jurés. Vous transpirez, votre chemise vous colle à la peau mais votre esprit est tranquille. Ces longues journées d’audience vous plongent dans un état de contemplation active qui ressemble à ces heures d’enfance où vous réalisiez des puzzles interminables. Vous aimiez être égarée, mais libre, dans un univers un peu à part, seule avec des morceaux à assembler.
L’affaire du pneu explosé, comme on l’appelle, occupera la journée entière au moins. Le drame a fait la une des journaux et divise la population en trois sur les réseaux sociaux : les acharnés des deux camps et les incertains dont vous faites partie. Vous n’avez pas eu besoin de vous forcer à entrer dans votre rôle, vous non plus ne savez pas quoi penser de cette histoire. Accident malheureux ? Attitude irresponsable mettant en danger la vie d’autrui ? Concours de circonstance ?
S’il fallait résumer l’affaire en quelques mots, vous pourriez dire ceci. Le 20 septembre 2021 à 7h20, dans la petite ville de Dedham en banlieue sud de Boston, un jeune homme de trente-deux ans appelé Anthony Medeiros a quitté son domicile de la River Street pour se rendre à son travail. Après avoir roulé quelques miles, son pneu avant droit a explosé alors qu’il se trouvait sur une voie rapide à un peu plus de soixante miles à l’heure. Il a perdu le contrôle de son véhicule, une Ford Explorer, et a fini sa course en percutant un arbre. Il a été tué sur le coup.
Cette histoire ressemble à un banal et tragique accident, si on n’y ajoute pas cela : vers 5h du matin, un autre jeune homme répondant au nom de Joshua Gorman avait dégonflé le pneu avant droit de cette même Ford Explorer tandis qu’elle était stationnée dans la River Street.

***

L’avocate des parties civiles est une femme d’environ soixante ans, aux cheveux gris et courts. Elle s’exprime dans un langage châtié avec un fort accent de Pittsburgh, un mélange plutôt inhabituel.
“Les faits, et eux seuls, doivent conduire notre jugement. Or nous tous ici, nous avons été parasités par l’extraordinaire fourmillement de rumeurs et de considérations autour de cette affaire. Je vous demande de faire l’exercice d’une table rase. Nous avons le devoir de laisser de côté tous les aboiements idéologiques qui ont entouré cette affaire. Oubliez l’activisme climatique, bien qu’il y ait matière à nous aventurer sur ce terrain-là. Oubliez l’alibi du geste militant. La vérité toute nue est la suivante : Joshua Gorman a fait courir un danger mortel à Anthony Medeiros en dégonflant délibérément son pneu ce matin-là. Bien sûr qu’il n’avait pas l’intention de provoquer cet accident. Mais encore une fois, tenons-nous en aux faits : il l’a provoqué, lui et personne d’autre. Vous avez pris connaissance des conclusions du rapport scientifique, la pression des pneus était presque à zéro, tout juste suffisante pour ne pas donner l’impression d’un pneu à plat. Si Joshua Gorman avait voulu alerter sa victime sur l’urgence climatique sans mettre sa vie en danger, il aurait dégonflé le pneu jusqu’au bout ! En laissant un peu d’air, il a provoqué la mort d’Anthony.”
Vous vous jouez la scène intérieurement sans difficulté. Conduire une voiture est le geste le plus partagé d’Amérique, aussi n’avez-vous aucun mal à imaginer la perte de contrôle d’un gros véhicule lancé à pleine vitesse. Il paraît que, dans ces circonstances, on peut voir défiler sa vie en quelques secondes. C’est la vôtre qui vous apparaît. Mourrez-vous d’un accident, vous aussi ? Combien de victimes de la route avez-vous connues ? À quoi ressemble un corps broyé par de la ferraille, déchiqueté, inerte, coupé en deux ? On croit toujours que cela n’arrive qu’aux autres. Pourquoi Joshua Gorman n’avait-il pas dégonflé entièrement le pneu ?

***

L’avocat de la défense ne ressemble pas du tout à un avocat de la défense. Vous le verriez mieux en surfeur sur les côtes de l’ouest, avec sa grande taille et ses airs de Brad Pitt. Il n’a pourtant pas l’accent californien. Vous n’avez aucune idée du lieu où il a grandi, mais vous misez sur une grande ville. Chicago ? Atlanta ? Impossible à dire.
“Vous voulez des faits ? En voici. Joshua Gorman est membre d’un mouvement d’activistes climatiques depuis un an et demi. Il a participé à sept actions, toutes semblables à celle du 20 septembre. Lors de toutes ces actions, je dis bien TOUTES, les militants ont déposé un tract sur le pare-brise des véhicules, avertissant les conducteurs du dégonflage d’un ou plusieurs pneus et expliquant les raisons de leur action. Vous avez pu voir plusieurs exemplaires de ces tracts, dont celui utilisé le jour de l’accident. Vous entendrez tout à l’heure d’autres activistes qui confirmeront ce modus operandi. Mon client lui-même a répété à plusieurs reprises qu’il n’avait jamais dérogé à ce principe. La communication est même l’élément central de ce genre de militantisme. Alors je vous le demande : pourquoi M. Medeiros a-t-il démarré ce jour-là ? N’a-t-il pas vu le tract sur son pare-brise ? L’a-t-il pris pour une publicité ? Ce tract s’est-il envolé ? Les données météo du 20 septembre indiquent un vent modéré. Ce fait-là, nous ne pourrons pas le connaître. Nous n’avons plus accès à cette vérité. Est-ce bien l’essentiel ? M. Gorman n’avait aucune intention malveillante envers la victime. La pose de ce tract en est la preuve. Quant au pneu insuffisamment dégonflé, soyons de bon compte. Mon client l’a dit et redit : il a inséré un gravillon dans la valve du pneu puis a poursuivi son chemin. Cette technique a été utilisée sur plusieurs autres véhicules ensuite. Il n’est pas repassé devant la Ford Explorer pour vérifier, soit. Cela ne fait pas de lui un criminel. Il y a chaque année en Amérique des accidents mortels liés à l’explosion d’un pneu. Mon client regrette celui-ci, de toute son âme. Son unique intention était d’alerter l’opinion au sujet du dérèglement climatique qui, dès aujourd’hui et bien plus encore demain, tue et tuera des millions de personnes. Nous demandons au jury de considérer cela. Nous devons parler du climat, car c’est la pièce centrale de cette affaire.”

***

On appelle à la barre une dame aux cheveux très noirs. Elle ouvre une première fois la bouche, rien n’en sort, elle hésite. Dix, quinze secondes passent. Enfin, elle se met à parler, d’une voix lente et ferme. “J’ai perdu mon fils unique. Quel que soit le temps qu’il fera dans dix ans, rien ne me le ramènera. C’est tout ce que j’ai à dire.”
Son avocate semble un peu ennuyée. Elle lui demande si elle peut lui poser quelques questions. La mère accepte d’un hochement de tête.
– Mme Medeiros-Lopez, racontez-nous comment votre fils Anthony s’était procuré cette Ford Explorer.
– Eh bien, c’est-à-dire qu’il a économisé plusieurs années. Jusqu’au printemps de l’année dernière, il se débrouillait sans, ses collègues de la scierie passaient parfois le chercher, ou bien il empruntait ma vieille Toyota. Il a toujours rêvé d’avoir une voiture à lui. Moi je lui ai dit, c’est un trop gros modèle, tu n’as pas de famille, garde ton argent pour autre chose, mais il était résolu mon Anthony, quand il avait une idée en tête… Alors voilà, c’est comme ça qu’il a eu l’Explorer.
– Saviez-vous combien de miles elle avait au compteur ?
– La dernière fois qu’il m’en a parlé, il a dit 6000.
– Une dernière chose, Mme Medeiros-Lopez. Votre fils a-t-il déjà pris l’avion ?
– Ça non, jamais. Moi non plus d’ailleurs.

***

Alors l’avocate s’avance et vous regarde droit dans les yeux, vous et les autres jurés. Son accent de Pittsburgh sonne comme jamais.
“Vous voulez parler de climat, parlons-en. La victime de cette action militante, comme vous dites, et que j’appelle moi une action de vandalisme, a roulé 6000 miles en tout et pour tout, dans toute son existence. Anthony Medeiros n’avait jamais pris l’avion. C’était un simple citoyen américain qui se rendait à son travail en voiture parce qu’il n’avait pas d’autre solution. En quoi avait-il besoin d’être sensibilisé au dérèglement climatique, alors qu’il y contribue sans doute trois fois moins que ces jeunes anarchistes des beaux quartiers qui dégonflent les pneus des grosses voitures sans se soucier de leur propre empreinte carbone ? Je ne nie pas qu’il s’agit d’une cause essentielle. Je veux juste vous dire qu’il existe de mauvaises manières de défendre une cause juste. Sur les cinq dernières années, M. Gorman, lui, a pris trois vols transatlantiques. Je suppose qu’il n’a pas scié les ailes du Boeing avant de prendre place à l’intérieur. Veuillez m’excuser, je n’ai rien contre M. Gorman, mais vous avez parfaitement compris où je voulais en venir.”
Vous avez une pensée pour votre vieille Chevrolet qui vous attend au parking. Peut-être aussi pour votre fils ou votre fille, qui ne sont pas climatosceptiques, qui ont une voiture, des envies de vacances, un barbecue rangé dans l’abri de jardin. L’avocat de l’accusé, le type à l’air californien, reprend la parole.
“Que ferait chacun d’entre vous, s’il avait la certitude absolue que la seule manière d’espérer encore éviter des catastrophes était de désobéir, d’empêcher coûte que coûte ce système économique destructeur de se perpétuer ? Auriez-vous le pouvoir d’annuler votre passé, ce que vous avez fait et vécu, la pollution à laquelle vous avez déjà contribué ? Renonceriez-vous à agir sous prétexte que, jusqu’ici, vous n’agissiez pas ? L’accusation d’incohérence qui pèse sur mon client est injuste. À l’échelle mondiale, les émissions de CO2 n’ont jamais reculé, vous m’entendez, jamais, alors que la prise de conscience est chaque année plus massive. Aucune solution politique, aucune solution économique, aucune solution diplomatique. Que faut-il faire ? Rien, sous prétexte qu’on a déjà pris l’avion ? Ce raisonnement est absurde. La vérité, messieurs les jurés, c’est que le réchauffement climatique tue, les inondations tuent, les tornades, les sécheresses, les famines, les guerres tuent. Pardonnez-moi, mais la voiture aussi tue, directement, violemment. Joshua Gorman n’est pas coupable de vouloir arrêter cela en posant des tracts. Rappelez-vous que l’un des plus éminents Américains de notre histoire, le philosophe Henry David Thoreau, est le père de la désobéissance civile. Si vous envoyez Joshua Gorman en prison, c’est Thoreau lui-même que vous condamneriez une seconde fois. Nous serions de retour au dix-neuvième siècle.”

***

À présent, les heures passent et les témoins défilent, comme autant de morceaux de puzzle à assembler. Vous n’êtes pas au bout de vos peines. On annonce une nouvelle journée d’audience pour demain. Vous regardez vos voisins et voisines, ces onze autres jurés entre les mains desquels repose un verdict très attendu. Vos mains à vous sont moites. La chaleur s’est épaissie. En quittant la salle, vous songez au repas qui vous attend à la maison, le bruit de vos pas se mêle à celui de dizaines d’autres pas, silencieuse et incertaine procession qui devra pourtant rendre justice. Il vous vient peut-être à l’esprit que l’idée de justice est bien fragile, sur cette planète où tant de choses peuvent causer la mort, un pneu qui explose, une artère bouchée, ou encore une mauvaise récolte, un fusil d’assaut, une rivière en furie.
Vous n’êtes sans doute pas juge de profession, ni américaine de nationalité. Ce n’est pas grave car, au fond, nous sommes tous un peu juges, et tous un peu américains.

***

Des collectifs militants, notamment certaines sections d’Extinction Rébellion, en France et au Royaume-Uni, ont réalisé des actions de dégonflage de pneus de véhicules SUV, accompagnées de tracts explicatifs. Toutefois, à ma connaissance, aucune de ces actions n’a entraîné d’accident grave. Les collectifs militants ont par contre été menacés de représailles et de nombreuses plaintes ont été déposées.

NB : Cette histoire est une pure fiction !

Mieux saisir l’essence même de ce que nous faisons !

Sans aucun doute, notre groupe local de Marche compta-t-il toujours parmi les plus dynamiques et les plus imaginatifs… La pandémie semble pourtant avoir fait surgir un gros point de côté chez ce vaillant coureur de fond. Arrêté net en plein effort, le voilà qui récupère lentement son souffle et rassemble sereinement ses idées. Écoutons le bilan que nous fait pour nous Christian Thiry, son coordinateur…

Par Dominique Parizel

« La dame chez qui nous nous rassemblions à l’origine, se souvient Christian Thiry, est aujourd’hui décédée. C’était il y a une vingtaine d’années et c’est chez elle que j’ai notamment fait la connaissance de Jacques Gérard qui était, à l’époque, notre coordinateur. Il organisait surtout des conférences. J’étais arrivé là après l’interpellation d’une de mes collègues qui savait que je pratiquais le jardinage. Claude, mon épouse, et moi-même avons participé, pendant plusieurs années, aux réunions de la locale, sans connaître grand-chose, il est vrai, au fonctionnement global de Nature & Progrès… »

Une concurrence croissante sur les activités traditionnelles

« A cette époque, dit Christian, il s’agissait notamment de conférences sur le jardinage… Avant la pandémie de Covid-19, nous avions aussi accueilli Pablo Servigne, le fameux « collapsologue », puis le climatologue Jean-Pascal Van Yperseele… Mais, à présent, plusieurs autres groupes organisent des conférences, à Marche, et nous devons faire face à une forte concurrence. Pendant une dizaine d’années, nous avons relancé la saison, au mois de février, en organisant des petits déjeuners qui rassemblaient entre cent et cent vingt personnes, des membres de la locale, pour l’essentiel, mais qui pouvaient aussi convier des amis. Nous avons également accueilli les autorités locales à cette occasion ; c’était un peu notre réunion annuelle de relations publiques. Elle a été soudainement arrêtée, il y a deux ans… Nous en prévoyons une nouvelle pour l’automne mais je crains qu’elle ne suscite plus autant d’enthousiasme qu’avant. Nous ne le saurons évidemment qu’en le faisant…
Nous avons également organisé des « bourses aux plantes » et, de manière assez importante, pendant toute une époque, des journées « Portes ouvertes » chez nos membres. Mais, là aussi, une forte concurrence s’est développée depuis, tant au niveau des fermes que des jardins de particuliers… Plusieurs autres organisations sont apparues, même au niveau communal, qui font que nous rencontrons nettement moins de succès. On peut, certes, déceler là un signe que notre travail a été fructueux mais cela n’arrange pas nos affaires aujourd’hui… Même si nous avons toujours su évoluer et nous adapter en fonction des demandes et des époques… »

Un groupe de réflexion très prometteur

« La locale a également organisé des cours de jardinage, pendant cinq ou six ans, précise Christian Thiry. Et ce fut un succès important pour nous : ces cours rassemblaient environ vingt-cinq participants. Les dernières années, nous proposions même un cours, une fois par mois, pendant toute l’année, dans l’idée de tenir un discours de permanence au sujet du jardin. Une tout autre manière de concevoir les choses que « on fait quelques salades en été, puis on remise la bêche et la brouette dès qu’il fait un peu plus froid »… Cela allait à contre-courant de ce qui est encore à la mode pour le moment. Nous incitions aussi ce groupe à prolonger ses réunions, mais de manière autonome : il se réunissait une fois par mois, le dimanche matin, afin d’échanger au sujet de ses pratiques. Philippe Delwiche y fut même invité pour parler de la vie du sol et nous sommes allés visiter son jardin, avec ce groupe-là… Ce groupe aurait très bien pu constituer un groupe permanent de réflexion plus générale, sur le pain par exemple, même s’il n’a jamais évolué en tant que tel, ce qui est peut-être dommage. Chaque année, les « anciens » accueillaient ceux qui venaient d’achever une année de formation, créant ainsi une forme de pérennisation de son effort de réflexion sur le jardinage et l’alimentation. Nos champs d’intérêt s’élargissant même au-delà, nous avons, par exemple, construit des murs de pierres sèches dans le jardin d’un des membres, touchant ainsi davantage à la sauvegarde de la biodiversité et alliant une démarche pratique aux quatre grandes thématiques de réflexion chères à Nature & Progrès. Je regrette qu’en termes d’éducation permanente, cette dynamique n’ait probablement pas été suffisamment exploitée. Notons aussi que ce sont des membres de notre locale qui rédigèrent l’édition de Nature & Progrès relative à la serre en bio… Notre philosophie était alors axée autour de l’autoproduction et du jardinage, mais nous fûmes aussi à l’origine d’un GAC qui a une vingtaine d’années et qui existe toujours. Il fut initié par Jacques Gérard, mon épouse Claude, ainsi que Chantal Van Pevenage. Ce groupement d’achats, qui s’appelle La Capucine, contribua d’ailleurs à la création d’autres structures, comme le premier groupe local de Terre en Vue, et d’un marché fermier à Rochefort. Nous avons aussi participé au festival A travers champs, au groupe semences de Rochefort en Transition, etc. Ce n’est, au fond, qu’un cheminement associatif normal, dira-t-on ; on ne peut certainement pas déplorer que de bonnes idées se développent… »

Tant de questions encore trop rarement abordées…

« Sans doute, chez Nature & Progrès, n’arrivons-nous pas assez à saisir suffisamment l’essence même de ce que nous faisons, risque alors Christian. Avec notre groupe de réflexion, à Marche, nous dépassions de très loin la simple transmission de savoirs et nous efforcions davantage de faire (re)naître et de développer tout ce qui pouvait être mis au service de volontés nouvelles d’autonomie émergeant dans la société dans le domaine de la production et de la transformation des aliments. Ce n’est vraiment pas rien…
Les questions de dynamiques sociales ne sont-elles pas, avant tout, une question d’échelle ? Nous souhaiterions, Claude et moi, relancer au départ de la jolie salle de notre village de cent vingt habitants – Grimbiémont, près de Marche – une réflexion très générale sur l’alimentation. Ce serait bien sûr une démarche touchant au concret, sans quoi les gens ne se déplaceraient pas, de la manière dont Nature & Progrès l’a déjà fait maintes fois au sujet du pain. Seraient évidemment convié un cercle de personnes proches mais surtout les gens du village qui sont sensibles à ces questions-là. Il est important de faire le lien avec ses voisins immédiats, plutôt que de rester dans un « entre-soi » de gens déjà convaincus. Ceci rejoint l’interpellation qui émana de notre groupe au sujet de la participation de nouveaux publics et qui donna lieu à la constitution d’un panel citoyen, puis aux journées de réflexion des 12 et 19 mars. Lorsque plus de groupes locaux, pensons-nous, adhéreront à cette démarche, les questions qu’aujourd’hui tout le monde se pose trouveront alors immanquablement un écho différent. Par exemple, pourquoi ne pas favoriser le petit artisan boulanger ? Faire le pain, est-ce, au fond, un travail individuel ou un travail pour la collectivité ? Les « machines à pain » sont-elles finalement intéressantes ? Faut-il plutôt relancer des fours communautaires dans les villages ? Il y a là de vraies questions de société qui concernent tout un chacun et qui sont bien loin d’être tranchées. Et qui sont même encore trop rarement abordées… »

L’importance de l’échelon communal

« Au niveau de l’alimentation – avec le coût croissant des matières premières -, nous vivons un contexte très difficile, conclut Christian, mais sans doute extrêmement favorable pour Nature & Progrès car l’ensemble des démarches que nous prônons, depuis bien longtemps, ne peuvent plus être ignorées par qui que ce soit. Par rapport à ce qui fut déjà exprimé par deux autres groupes locaux, dans Valériane n°155, nous partageons bien sûr les difficultés liées à l’étendue même des locales, ainsi qu’à la volonté qui est aussi la nôtre de toucher des publics plus divers et moins acquis au niveau des convictions. Avec, bien sûr, l’envie de rajeunir le « noyau porteur » de la locale. Nous sommes un groupe vieillissant, en effet, et les jeunes – avec lesquels nous entretenons d’excellentes relations dans l’environnement direct de Marche – s’engagent avec des démarches très différentes. Il est cependant frappant que les communes trouvent une place très importante dans ces actions. Au risque de me répéter, je crois que l’échelon communal reste une référence importante qui doit être centrale dans notre réflexion sur la géographie du travail des locales. Toutes les communes veulent aujourd’hui un éco-conseiller, et toutes ces personnes lancent des programmes sur lesquels Nature & Progrès a développé, depuis bien longtemps, une expertise et un savoir-faire. Nous devons donc nous efforcer de répondre positivement à toute forme de sollicitation, à condition toutefois que prime l’expression citoyenne sur le « compte-à-rendre » à l’élu local et ses propres intérêts politiques. C’est là une vraie question.
Nous pensons aussi à relancer l’idée de « formations », dans le sens de journées de réflexion sur un sujet précis. Mais, pour l’heure, je ne vois pas qui, au sein du groupe local marchois, va se « mettre au fourneau ». Espérons qu’il s’agit là seulement d’un problème conjoncturel « post-covid » et pas d’une panne définitive d’envie et d’énergie. Cela, seul l’avenir nous le dira… »

Nature & Progrès
Locale de Marche
Christian Thiry
marchenatpro@gmail.com

Repenser l’agriculture à la lumière des outils de l’écoféminisme

L’idée qu’il n’y aurait pas de nouveau modèle agricole possible sans une profonde remise en question des rapports de genre mérite assurément d’être développée. Plus globalement, la libération de la nature peut-elle être pleinement atteinte sans la libération de la femme, des femmes ? Poser la question, c’est certainement y répondre…

Par Maylis Arnould

Tendre vers des techniques agricoles et des modèles de production nourricière plus respectueux de toutes formes de vivant va au-delà d’un simple suivi de la charte de l’agriculture biologique. S’ancrer dans une écologie plus globale, en modifiant également son énergie – provenance et quantité -, sa manière de vendre ou encore les outils utilisés est une première étape déjà largement approuvée et valorisée.
Mais les « relations de pouvoir patriarcales ne disparaissent pas simplement parce-que les gens pratiquent l’agriculture en utilisant des méthodes agroécologiques, et c’est dangereux de l’insinuer (1). » Alors si on allait plus loin ? Si on rajoutait la dimension humaine et sociale à l’écologie ? C’est le défi que se sont lancées de nombreuses personnes, dans le monde entier, qui s’auto-revendiquent ou que l’on peut inclure dans ce grand mouvement encore peu connu qu’est l’écoféminisme.

Un nouveau rapport au monde dont la terre a grandement besoin

On en perçoit l’ombre mais il n’a pas réellement de représentations toutes faites. Imaginatif, pluriel, diversifié, complémentaire, inventif… Perçue comme une force, dès le début, « cette pluralité, cette fragmentation, ces contradictions même, étaient tout le temps décrite comme un atout et revendiqué comme un gage d’inclusivité, de tolérance, de résistance à la tentation totalitaire (2). » Nous en entendons de plus en plus parler, depuis quelques années, dans les espaces féministes et écologiques. Ce terme, déjà utilisé par Françoise d’Eaubonne en 1974, était davantage exprimé à travers des actions qu’à travers des mots, particulièrement lors des manifestations et des occupations qui débutèrent probablement autour des années cinquante. Nous pouvons citer, comme exemples, le mouvement Chipko (3) en Inde, en 1986, ainsi que de nombreuses manifestations, aux États-Unis : Mothers for Peace, en 1973, The Abalone Alliance, entre 1976 et 1981, Women Pentagone Action, en 1980, le Seneca Women’s Peace Camp, entre 1983 et 1994, etc. Ou encore, en Angleterre, le camp de femmes de Greenham Commons, en 1981 (4).
Ce mouvement s’incarne autant dans la fabrication de masques, lors d’une manifestation antinucléaire, que dans un rituel non mixte, en pleine forêt, ou encore dans un bouquet de menthe qui sèche au-dessus d’un poêle à bois… L’écoféministe est, pour moi, une boîte à outils dans laquelle chacun et chacune peut mettre ses idées et piocher des ressources… Ces ressources pourront permettre d’appréhender les problématiques modernes d’une manière moins fataliste et de construire ce nouveau rapport au monde dont la terre aurait grandement besoin. Sa critique du capitalisme, de l’agriculture intensive, du colonialisme, du sexisme, du spécisme ou de toutes autres formes de domination, fait la force et la richesse de ce mouvement dans lequel chaque personne peut se retrouver, participer, aider. Comme nous l’explique si bien Jeanne Burgart-Goutal, « le point de départ du mouvement écoféministe fut la prise de conscience que la libération des femmes – but de tous les courants féministes – ne peut être pleinement atteinte sans libération de la nature ; et réciproquement que la libération de la nature, si ardemment désirée par les écologistes, ne peut être pleinement atteinte sans la libération des femmes. »

L’écologie, l’agriculture et le féminisme n’auraient pas de liens, vraiment ?

Certes, il faudrait bien davantage que trois pages pour poser la problématique du pourquoi et du comment nous en sommes arrivés à empoisonner le sol pour nous nourrir, à faire traverser le globe à nos aliments, ou encore à consacrer environ 70% des terres agricoles mondiales aux animaux des élevages intensifs… Pour certaines, le patriarcat n’est pas étranger à l’émergence de l’agriculture conventionnelle, basée sur le « pouvoir sur » (5) et accompagnée d’une volonté de dominer – grosses machines, produits chimiques, rendements excessifs -, dompter, rendre plus docile, s’assurer d’une surveillance permanente. De la même manière que le corps des femmes à été contrôlé – via la gestion de la reproduction notamment -, l’agriculture l’a été via la gestion de ses ressources. Comme l’a montré Carolyn Merchant, en 1980, dans son livre intitulé The Death of Nature, le monde est passé, dans le milieu des années 1900, d’un organisme vivant à une machine morte. Et c’est la fonction nourricière de cette machine qui a amené, dans nos paniers et dans nos champs, les produits phytosanitaires et les graines non reproductibles. Selon elle, nombreuses étaient les croyances en une terre-mère nourricière dont il fallait prendre soin, jusqu’à l’arrivée de la technologie et des outils basés sur l’extraction de minéraux et de métaux (6).
Les changements de pratiques agricoles ont été accompagnés d’une dévalorisation des savoirs assignés aux femmes. Ainsi, s’occuper de l’éducation des enfants, cueillir des plantes, gérer les repas – récoltes, stockage, cuisine – ou organiser les espaces intérieurs – rangements, ménages, etc. – sont des activités qui, de par leur confinement dans l’espace privé et leur caractère éphémère, ont été sous-considérées, voire pas considérées du tout. Comme nous l’avons écrit dans la revue précédente, les femmes se sont alors éloignées de ces fonctions pour aller vers des métiers plus urbains. Ces activités du quotidien sont devenues des professions – babysitter, femmes de ménages… – bien souvent exercées par des femmes issues de l’immigration. Le pouvoir réel de ces activités a été effacé et la transmission de certains savoirs, qui passaient d’une génération a une autre, a presque complètement disparu.
Parmi ces activités, discrètes mais essentielles, nous pouvons donner en exemple la gestion des semences. Vandana Shiva, physicienne et philosophe indienne très connue de l’écoféminisme, explique, dans un ouvrage intitulé « Ecoféminisme » et coécrit avec Maria Mies, que pour les paysan.ne.s du tiers monde – composé.e.s à environ 70% de femmes -, la question des semences est l’une des plus importantes ! Les droits de propriété intellectuelle, ainsi que l’interdiction de conserver et d’utiliser les semences reproductibles, ont eu des effets très négatifs sur ces populations : appauvrissement des sols et des ressources, dépendance des individus vis-à-vis de l’agro-industrie et perte de contrôle des ressources génétiques…

Manger « plus proche » et retrouver le pouvoir de produire

Retrouver un équilibre et une autonomie vis-à-vis de la production et de la consommation pourrait donc être une des solutions à ces problèmes qui impactent, non seulement la nature, mais également les femmes. Geneviève Pruvost, sociologue spécialisée dans des sujets comme le féminisme ou l’écologie, ou encore Maria Mies, évoquent la notion de « subsistance », c’est-à-dire le fait de produire soi-même – ou localement -, en réintégrant l’idée que le quotidien est politique. Au-delà de l’écologie, ou de l’autonomie vis-à-vis de l’agro-industrie, se réapproprier la production de la nourriture peut également être considéré comme un acte féministe. Le fait qu’il n’y ait pas de séparation entre l’espace privé – le lieu d’habitation – et l’espace de travail – le lieu de production – peut permettre de ne pas enfermer les femmes entre les murs du travail domestique et de tendre vers un partage des tâches de subsistances plus égalitaire. L’espace étant partagé, toutes formes d’activités sont valorisées à la même échelle et travailler la terre devient donc tout aussi important que transformer les aliments, par exemple. La terre et l’agriculture deviennent donc partie prenante de la vie quotidienne et de l’habitat, et vice-versa. Comme nous l’explique Maria Mies, « la vision nouvelle d’une société qui ne serait ni exploiteuse, ni coloniale, ni patriarcale n’émane pas d’Instituts de recherche, d’Organismes de l’ONU ou de gouvernements, mais de mouvements de la base, à la fois dans le Sud et dans le Nord, qui ont lutté et continuent à lutter pour leur survie. Et, dans ces mouvements, les femmes davantage que les hommes comprennent qu’une perspective de subsistance est la seule garantie d’une survie pour tous, même des plus pauvres, et non pas une intégration dans le système de croissance industrielle et sa poursuite. »
Cette société, c’est celle qu’essaient de créer beaucoup de personnes, à travers des espaces de vie collectifs, créatifs et écoféministes, particulièrement au-delà des frontières de l’Occident. Nous pouvons citer ici les nombreuses femmes rurales brésiliennes qui se sont appropriées les techniques agroécologiques pour lutter contre des projets d’agro-industrie, en affirmant leur autonomie et en produisant des aliments sains et locaux (7). Citons aussi le « Collectif des femmes du Tamil Nadu » qui a permis, aux femmes marginalisées de zones rurales, de créer de nouvelles exploitations et banques de semences collectives, et de remédier ainsi au problème du manque d’accès des femmes aux ressources productives, ou encore la Rural Women’s Upliftment Society de Manipur, qui a démontré le potentiel de l’agroécologie pour l’autonomisation des femmes, même dans les sociétés sous occupation militaire…

Pas d’agroécologie sans féminisme ?

Au Rwanda, la coopérative des petites agricultrices d’Abishyizehamwe a mis en place une alternative agroécologique pour aider les femmes à mieux s’intégrer dans la production agricole et la vie communautaire. Grâce à un large éventail d’actions, allant de la création de banques de semences communautaires, et d’un centre de développement de la petite enfance, à la collecte de l’eau de pluie, elles ont réussi à faire gagner du temps aux femmes, à prévenir l’érosion des sols, à assurer la résilience climatique, à améliorer leur productivité et à développer leurs capacités économiques et décisionnelles… Au Mali, les paysannes, qui travaillent en agroécologie et sont membres de la coopérative COFERSA (Convergence des femmes rurales pour la souveraineté alimentaire), ont mené à bien des actions de sensibilisation aux bienfaits nutritionnels des aliments locaux – par exemple, le fonio, le mil et le sorgho – et encouragé la population à remplacer leur consommation d’aliments importés, à valeur nutritionnelle faible comme le pain blanc, par leurs produits locaux ! Les femmes ont ainsi amélioré leur accès au marché (8).
Partout dans le monde des personnes se mettent en mouvement pour déconstruire, non seulement la vision dominante de l’agriculture mais également la vision conventionnelle des rapports entre les genres qui demeure trop souvent la nôtre… Nature & Progrès – à l’instar de tout ceux qui veulent à présent renouveler leur rapport avec la terre mère – doit jouer dans ce mouvement un rôle moteur. Sans quoi l’espoir d’une agriculture citoyenne s’éloignerait…

Notes :
(1) Jessica Merino, « Women speak : Ruth Nyambura insists on a feminist political ecology », Ms 15 novembre 2017
(2) Jeanne Burgart-Goutal, « Être écoféministe : théories et pratiques », L’échappée, 2020.
(3) Chipko signifie « embrasser les arbres » : les villageoises luttaient contre un projet d’exploitation commerciale des forêts en enlaçant les arbres pour éviter qu’ils soient abattus (Sidonie Sigrist).
(4) Pour davantage d’informations historiques sur ce mouvement, voir la chronologie figurant en annexe de « Rêver l’obscur », de Starhawk, paru aux éditions Cambourakis et traduit en 2015, ou encore l’article « Cartographie de l’écoféminisme », de Marie-Anne Casselot, dans « Faire partie du monde », paru aux éditions Remue-ménage, en 2018.
(5) Le « pouvoir sur » est une notion théorisée par Starhawk, qu’elle définit comme « le pouvoir du fusil et de la bombe, le pouvoir d’anéantissement qui soutient toutes les institutions de domination ».
(6) Carolyn Merchant, « Exploiter le ventre de la terre », article paru dans « Reclaim, recueil de textes écoféministes », Emilie Hache, 2016.
(7) Pour plus de détails, voir Héloïse Prévost, Gema Galgani Silveira Leite Esmeraldo et Hélène Guétat-Bernard. « Il n’y aura pas d’agroécologie sans féminisme : l’expérience brésilienne », Pour, vol. 222, no. 2, 2014.
(8) Iridiani Graciele Seibert, Azra Talat Sayeed, Zdravka Georgieva et Alberta Guerra, L’agroécologie n’existe pas sans le féminisme, sur https://viacampesina.org/fr/lagroecologie-nexiste-pas-sans-le-feminisme/

Élever les veaux laitiers au pis de leur mère

Produire du lait sans assumer le devenir des veaux, voilà qui tracassait Marc-André et Jean-Philippe Henin. Afin d’accroître l’autonomie de leur élevage, en pleine convergence avec ce que souhaite Nature & Progrès, ils ont cherché à estimer la viabilité de l’élevage des veaux laitiers sous leur mère, évaluant ainsi la possibilité de glisser progressivement vers ce qui est – aussi étrange que cela puisse paraître aux yeux du profane – un authentique système alternatif, en regard de ce que fait aujourd’hui l’agro-industrie. Ils remettent, en effet, en question l’approche classique de la production laitière, ils osent poser la question du bien-être de l’animal… Et même celle du bien-être de l’éleveur !

Par Mathilde Roda

Nos préoccupations sociétales nous poussent à nous intéresser à la provenance de notre alimentation et même à la manière dont elle est produite. Heureusement, le label bio apporte déjà des éléments de réponse. L’enjeu reste de taille pour les producteurs et productrices, les transformateurs et transformatrices qui souhaitent participer à la sauvegarde de l’environnement et du tissu social. Sans oublier d’autres facteurs d’importance, comme la qualité de vie de l’éleveur, la rentabilité de l’activité et la résilience de la ferme. Et c’est bien sur tous ces points d’attention que l’étude entamée par la famille Henin ambitionne de travailler ! Pour inspirer l’élevage de demain…

La Ferme d’Esclaye et la famille Henin

La famille Henin est installée à la Ferme d’Esclaye, depuis 1929, et y pratique l’élevage laitier. Après la reprise de la ferme, en 2007, Marc-André la convertit à l’agriculture biologique. Sa sœur Anne-Laure et son frère Jean-Philippe le rejoignent, en 2015. Alors que Jean-Philippe et Marc-André gèrent l’élevage avec leur père, Anne-Laure s’est spécialisée dans la production de fromage et de beurre au lait cru. La ferme comprend soixante vaches laitières de race Holstein, un atelier de fromagerie et cent dix hectares de prairies et de céréales pour assurer l’autonomie fourragère. La famille Henin cultive également des céréales panifiables. Marc-André et sa famille ont rejoint le label Nature & Progrès en 2018.

Mieux comprendre les enjeux

Si, lors de sa domestication, la vache était utilisée à différentes fins – viande, lait, cuir… -, l’industrialisation de l’élevage a mené à la spécialisation des animaux. La vache laitière, à force de sélection sur plusieurs générations, est devenue un animal optimisé pour la production de lait. De ce fait, le veau laitier est maigre et donc considéré comme difficile à valoriser en viande. Or, pour produire du lait, la vache doit mettre au monde un veau chaque année. La question se pose donc : quelle place pour les mâles en élevage laitier ? Et quel devenir pour les veaux en surplus, mâles et femelles ?
Le système laitier ne prend pas en charge les veaux laitiers, sauf pour quelques femelles afin de renouveler le troupeau. Si certains pratiquent l’élevage sous nourrice – une vache qui n’est pas traite et qui allaite plusieurs veaux -, classiquement les veaux sont séparés de leur mère au bout de vingt-quatre heures et sont nourris en étable avec du lait en poudre distribué dans des seaux, avant d’être vendus à un marchand de bétail. La suite de leur vie est peu enviable… Ils sont engraissés dans des centres spécialisés, sans voir un brin d’herbe. Ils sont nourris au lait en poudre appauvri en fer pour conserver la blancheur de la viande et sont abattus aux alentours de cinq à sept mois. C’est typiquement cette viande que l’on retrouve dans les hachés des fast-foods ou en grande surface.
Marc-André témoigne : « Pour nous, c’était un cas de conscience. Tous ces veaux qui ne sont pas élevés sur la ferme, qu’on oublie dans l’analyse de la durabilité du système. Ce n’était plus possible. Il y a certes la question du bien-être animal, qui compte beaucoup pour nous, mais aussi la volonté de faire évoluer notre système vers plus d’autonomie. »
De plus, la filière laitière traditionnelle pousse à des vêlages tout au long de l’année, afin de produire du lait de manière continue. En hiver, les vaches sont nourries en étable avec une alimentation qui contient généralement des co-produits de l’industrie agroalimentaire, par exemple de la pulpe de betterave, ou encore des aliments importés, comme le soja. Dans les fermes en autonomie fourragère, cela implique tout de même une gestion intensive des pâturages pour arriver à la qualité de fourrage nécessaire.
Dans sa réflexion agroécologique globale, la famille Henin souhaitait donc introduire un autre élément innovant : le groupement des vêlages au printemps. Le principe est de synchroniser les phases de lactation avec les périodes de production optimales des prairies. C’est ce qui se passe dans la nature : les herbivores sauvages mettent bas au printemps et profitent ainsi d’une herbe riche pendant l’allaitement. Comme l’explique Marc-André : « Dans ce système, les veaux sont sevrés à la fin de l’automne et le troupeau passe l’hiver avec un fourrage grossier, issu d’une gestion extensive des pâturages et d’un fauchage tardif. On a donc des prairies plus diversifiées, qui ont le temps de fleurir pour donner abri et nourriture à de nombreux insectes, oiseaux, petits rongeurs et leurs prédateurs respectifs. De plus, de telles pâtures présentent un meilleur bilan carbone que les prairies gérées intensivement. » Si les veaux mâles sont engraissés sur la ferme, cela implique alors une production de viande saisonnière, groupée à l’automne.

Un projet innovant de recherche en ferme

N’est-il pas temps d’assumer au mieux notre relation à l’animal que nous exploitons pour notre nourriture ? Au vu des enjeux abordés précédemment, il paraît incontournable de se pencher sur la question. A l’échelle européenne, peu de projets ont approfondi l’idée d’élever les veaux laitiers sous la mère. Si certains sortent du lot, la plupart se limitent souvent à l’élevage des femelles. Las d’attendre que la recherche agronomique s’empare du sujet, Marc-André et Jean-Philippe ont décidé de franchir le pas. Convaincus du bien-fondé de leur démarche, ils ont cherché du soutien auprès des citoyens, au travers d’un financement participatif, ce qui leur permit d’entrevoir l’intérêt du public et d’oser se lancer. « Ces personnes ont choisi de soutenir notre projet pour son principe même, sans contrepartie. On trouve ça incroyable ! On craignait que l’absence de retour nous démotive. Là, on est plus que boostés par cette confiance ! », confie Marc-André. Ils ont également été appuyés par la Fondation QiGreen. Grâce à ce soutien, en 2021, cinq veaux sont restés sur la ferme, au-delà des deux ou trois semaines habituelles, pour les engraisser au pis de leur mère tout en trayant ces dernières.

Objectiver et évaluer la viabilité du modèle

Jean-Philippe et Marc-André ont voulu tester un mode alternatif de conduite de leur troupeau sur un petit échantillon. La grande majorité du troupeau a suivi le schéma habituel de la ferme, soit des veaux sous nourrices pendant trois semaines, avant la vente à un marchand, et des vaches traites deux fois par jour, toute l’année. Les cinq veaux voués à être conservés jusqu’à maturité sont nés entre le 13 février et le 10 mars 2021 ; ils sont restés constamment avec leurs mères jusqu’au 13 mars avant d’être séparés en loge commune, pendant la nuit, afin de conserver le lait pour la traite du matin. Les mères ont continué à suivre le troupeau principal pour les traites du matin et du soir. Les veaux les rejoignaient, en prairie, après la traite du matin, puis étaient rentrés en loge commune au moment de la traite du soir et nourris au petit foin. Après le sevrage, aux alentours de huit mois, les trois veaux mâles furent abattus pour produire de la viande et les deux femelles intégrées au troupeau de génisses de renouvellement.
Durant les huit mois de l’expérience, les cinq couples veaux-mères ont ainsi côtoyé le reste du troupeau. Ils ont cependant demandé une gestion particulière pour produire des données permettant aux éleveurs d’évaluer la pertinence d’étendre le modèle au reste du troupeau. Avec l’objectif de diffuser les informations afin de stimuler la recherche et inspirer d’autres éleveurs, plusieurs paramètres ont donc été observés : production laitière des mères allaitantes, comportement à la traite, fertilité, croissance et santé des veaux, modification de l’organisation des éleveurs et bien-être animal.
Pour connaître les détails de ces résultats, nous vous invitons à lire la brochure disponible en ligne sur notre site Internet – www.natpro.be -, dans l’onglet « s’informer > brochures ». Si se baser sur cinq individus pour faire des statistiques n’est pas suffisant, nous pouvons tout de même observer des tendances. Et ce, grâce au suivi méthodique fait par les éleveurs de la Ferme d’Esclaye !

La viande comme co-produit du lait

Les performances des cinq vaches de l’étude montrent une perte de 35% de la production laitière et de 10% de taux de matière grasse en moyenne. Ce qui signifie moins de matière à transformer et donc moins de beurre et de fromage. On a donc une valeur marchande moins élevée pour moins de lait. Si l’on se concentre seulement sur ces résultats, les chiffres peuvent effrayer un éleveur qui compte sur le volume de lait produit pour rentabiliser son activité agricole. Mais le modèle développe une nouvelle source de revenus sur la ferme avec la production de viande comme co-produit de l’élevage laitier, tout en étant plus autonome sur l’alimentation des veaux, qui sont exclusivement nourris au lait de leur mère et à l’herbe.
Le circuit court permet de valoriser cette viande auprès d’un consommateur sensibilisé, qui acceptera une viande de veau plus rosée, plus « goûtue ». Cela requiert du temps pour informer, développer sa filière de vente, expliquer ce qui se cache derrière le prix au kilo. Le modèle conclut à une diminution du temps de traite et ce temps peut servir à travailler au contact avec le client. Mais il est également possible de travailler en filière longue, via le marchand, ce qui correspond à une plus grande frange d’éleveur. Pour cela, il faut peut-être améliorer le rendement carcasse, par exemple en travaillant avec un croisement viandeux-laitier. Au vu des résultats obtenus ici – où l’on obtient des rendements proches de ceux des veaux laitiers de centre d’engraissement -, cette dernière voie est prometteuse !

Une amélioration du comportement des animaux

S’il est difficile d’estimer le bien-être animal sur base d’indicateurs objectifs, il est indéniable que la vie d’un veau en prairie avec le troupeau est proche des conditions idéales. Jean-Philippe l’affirme : « Nous souhaitons aller vers un « laisser-vivre » de nos animaux qui nous permette de gagner notre vie en tant qu’éleveurs. » Et Marc-André de rajouter : « Oui, nous produisons de la viande et du lait, mais nous leur permettons au moins une vie au plus proche de la nature. Nous observons de nombreuses réactions qui montrent que, quand on en offre la possibilité à nos animaux, leur comportement naturel s’exprime. » Parmi les points relevés on peut citer la constante interaction entre la mère et son veau, les comportements de jeux et l’apprentissage plus rapide des veaux sur la vie en pâture, comme le fait de brouter et ruminer.
Du point de vue de la santé des animaux, l’expérience a été positive puisque les vaches n’ont pas requis plus de soin qu’habituellement, et les veaux n’ont eu besoin d’aucune intervention vétérinaire.

Sortir de la routine de la traite

La viabilité d’une activité réside aussi dans la capacité du travailleur à supporter la charge de travail sur le long terme. Et c’est un point fort, mis en avant par la famille Henin : une moindre charge et une meilleure répartition de l’horaire de travail. Le temps libéré permet d’approcher plus sereinement la multitude d’aspects de la fonction d’éleveur, notamment la gestion des fauches en fonction de la météo, ou encore l’observation de ses animaux pour permettre de repérer rapidement les maladies. Et pourquoi ne pas envisager plus de diversification ?
Mais la transition vers un élevage des veaux sous la mère requiert de mobiliser sa capacité d’adaptation. Pour conserver – ou aller vers – son autonomie fourragère, il faut accepter de revoir son modèle de production, en diminuant le troupeau de traite afin d’alléger la pression sur les pâturages. Il faut modifier son approche du travail d’éleveur, en revoyant aussi bien la répartition du temps de travail que la manière de travailler. C’est pourquoi il semble nécessaire de coupler l’élevage des veaux sous la mère à un groupement des vêlages qui permet de concentrer les périodes de traites séparées – le colostrum, produit par les vaches après mise bas, est impropre à la consommation humaine – et de ne pas du tout avoir de traite entre fin décembre et février – période de tarissement des vaches avant mise bas.

Innover et évoluer, producteur et consommateur

Il est indispensable aujourd’hui que la recherche s’empare du projet et que des éleveurs se lancent. Les paramètres évalués ici sur cinq veaux et cinq vaches doivent être testés sur de plus grands cheptels afin d’analyser plus scientifiquement les résultats. « Nous sommes persuadés du bien-fondé et de la rentabilité de notre démarche ! », affirme Marc-André. « Il ne reste plus qu’à approfondir quelques points techniques pour rassurer les éleveurs sur la prise de risque. J’attends beaucoup de la recherche. Ce n’est que le début… »
Cette expérience démontre la compatibilité de l’amélioration du bien-être animal avec la rentabilité de la ferme et le bien-être au travail de l’éleveur. En mobilisant sa capacité d’adaptation, le secteur de l’élevage pourrait montrer qu’il est possible d’évoluer vers des techniques plus en adéquation avec les attentes sociétales. Permettant ainsi au consommateur – s’il peut avoir la certitude que la qualité de vie des animaux est prise en compte tout au long de la filière – de faire le choix de consommer de façon responsable.
Mais il reste un enjeu de taille : la conscientisation à une autre consommation de viande de veau rosé et saisonnière. Jean-Philippe aimerait même aller plus loin : « Si les animaux étaient abattus directement sur la ferme, ils seraient assumés par l’éleveur du premier au dernier jour de leur vie. Le temps dégagé permettrait de les valoriser en circuit court. Ne serait-ce pas le cercle le plus vertueux imaginable dans une ferme laitière ? »
Une vie qui le satisfasse du premier au dernier jour, voilà ce que nous devons aujourd’hui exiger pour tout animal. Une tâche capitale à laquelle s’attèle Nature & Progrès dans son effort quotidien de sensibilisation et de conscientisation du consommateur…

Quelques références pour creuser le sujet :
– Hellec F., Coquil X., Brunet L., Pailler I, 2017. Conception d’une conduite de génisses laitières sous vaches nourrices : pour une intensification écologique des systèmes d’élevage herbager ? Fourrages, Association Française pour la Production Fourragère, 2017, pp.213-222.
– Hellec F., Belluz M., 2018. Grazy-Daizy – Confier des veaux à des nourrices : expériences des éleveurs laitiers biologiques, Core-Organic. Disponible en ligne.
– Weidmann G. et al., 2020. Elevage des veaux sous la mère ou avec une nourrice en production laitière, Fiche Technique n°20, FiBL édition Suisse. 28p. ISBN 978-3-03736-144-3.
– Jourdain G., 2021. Cow Calf Dairies, une initiative britannique pour mettre en avant l’élevage des veaux avec leur mère en élevage laitier, La Voix Biolactée n°102, pp.38-39.
– INRAe, 2021. CO-Concevoir avec les Citoyens un Nouvel ELevage Laitier Ecologique de montagne (COCCINELLE). Disponible en ligne.

Pratiquer l’auto-cueillette pour mettre des légumes de qualité à la portée de tous

L’auto-cueillette est une solution concrète et réaliste pour nourrir qualitativement ceux qui manquent d’argent, une question essentielle dans la quête de l’équité alimentaire que poursuit Nature & Progrès. Elle démontre a contrario du modèle dominant qu’il est possible de faire une agriculture de grande qualité sans exploiter ni l’agriculteur, ni le mangeur. Dans la banlieue liégeoise, sur les hauteurs de Jupille, François Sonnet nous accueille sur le Champ des possibles…

Par Dominique Parizel

François est un maraîcher qui vous parle d’abord musique et de BD ! Car le Champ des possibles, sous-titré Comment je suis devenu paysan, est d’abord un bouquin qui parle d’un virage radical qu’on peut négocier sans valser dans le décor. « Cette BD, dit François Sonnet, raconte mon parcours depuis mon licenciement, en tant que commercial chez AIB-Vinçotte, jusqu’à mon installation comme maraîcher. Beaucoup de gens se questionnent actuellement sur le sens de leur travail et je crois utile de montrer que des transitions inattendues font partie du possible. Je ne m’attendais sûrement pas à devenir paysan. M’y voilà, pour ma septième année déjà… »

Cent membres qui cotisent un euro par jour…

« J’apprends tout le temps, reconnaît humblement François, et je dois encore apprendre beaucoup. Je n’ai fait qu’un an d’études mais j’ai opté pour un système qui me permet d’apprendre encore et qui m’épargne la pression commerciale que subissent la plupart de mes collègues. Il s’inspire de la Community-supported agriculture (CSA), c’est-à-dire d’un système de production agricole soutenu par la communauté, et s’appuie sur l’auto-cueillette : chaque membre vient cueillir lui-même ce qu’il consomme ! Moi, je ne cueille pas pour les autres, sauf les racines pour faire des chicons, en fin de saison. Et rien ne doit rester sur le champ… Il y a également quelques récoltes qui se font en groupe, comme les courges et les pommes de terre.
Les gens paient un abonnement en début d’année ; je peux donc compter sur une bonne centaine de personnes qui constituent le capital sur base duquel je peux travailler. Mon propre revenu est fixe et je démarre donc tranquille… Mes amis de Het Open Veld à Louvain – www.boerencompagnie.be -, qui m’ont inspiré, arrivent à tourner avec un hectare et trois cents membres. Personnellement, je travaille sur six mille cinq cents mètres carrés et mon terrain n’est pas extensible ; plus de cent cinquante personnes, dans mon cas, seraient donc probablement difficiles à gérer… Mais si la demande se développe, cela fera de la place pour d’autres. J’ai participé au mouvement des objecteurs de croissance et ma réflexion s’est immédiatement orientée vers les limites que je voulais mettre à mon propre projet, pour éviter d’en faire de trop… Au Champ des Possibles, l’abonnement tourne donc, bon an mal an, autour des trois cent vingt euros… Le système prévoit un abonnement de base mais chacun est libre de mettre un peu plus afin de mieux soutenir mon travail. Cela permet aussi de contribuer au projet en fonction de ses moyens. Tout est transparent et ma comptabilité peut toujours être expliquée. Nous faisons le point, en fin de saison, sur ce qui a bien fonctionné et sur ce qui doit être amélioré. En fonction de la demande, je diminue ou j’augmente certaines productions dont le sort dépend également de ce que je constate, moi-même, sur le terrain. Le reste est extrêmement simple : quand une production est bonne à récolter, tous les membres sont aussitôt avertis par mail. Sur le terrain, ces productions sont marquées d’un drapeau jaune… »

Le système fonctionne sur la confiance, et fonctionne très bien

« Il n’est pas admissible, s’insurge François Sonnet, que la nourriture de qualité ne soit pas accessible à ceux qui n’ont pas les moyens de payer ou d’être correctement informés. Lors de la journée d’accueil au Champ des possibles, je prends le temps nécessaire pour m’adresser à chacun, pour leur expliquer ma démarche, pour leur dire comment je travaille et en quoi c’est important. Je montre comment bien récolter les légumes, je donne quelques conseils pour bien cuisiner ceux qui ne sont pas forcément familiers. Je sensibilise aussi à la disparition des agriculteurs, au fait que, sans eux, il ne resterait que de l’industriel à se mettre sous la dent…
Dans les villages où il y a peut-être davantage de potagers, ce genre de système ne sera peut-être pas utile mais, en bordure de ville, l’auto-cueillette marche très bien. Dès que les membres sont avertis qu’une production est disponible, ils sont entièrement libres de venir, même quand je ne suis pas là évidemment. Tout fonctionne sur la confiance et tout fonctionne très bien, ce n’est pas une folie de l’affirmer ! L’auto-cueilleur fait parfois une erreur mais jamais de vrai dégât, c’est surtout le producteur qui doit s’efforcer de lâcher prise… Le fait de venir sur le terrain avec les enfants, par exemple, est une forme rare de sensibilisation et de responsabilisation. Les gens prennent ce qu’ils choisissent et s’en contentent évidemment, à l’inverse de la grande surface qui les habitue au légume parfait en apparence, pour d’absurdes raisons de marketing. Ici, l’aspect n’effraie jamais personne : une bestiole dans la salade, c’est la nature, un chou-rave éclaté, ça ne se goûtera pas dans l’assiette… Et celui qui n’aime pas un légume, eh bien, il le laisse simplement sur le champ pour celui qui passera après lui. Au Champ des possibles, nous ne gaspillons quasiment rien. Quand je hisse le drapeau rouge, cela veut dire que les cueilleurs peuvent y aller : il y aura trop, prenez-en ! Notre projet, c’est de nourrir tous nos membres le mieux possible. Il n’y a pas de solution miracle, juste beaucoup de boulot à faire : nous ne sommes pas là pour sortir les plus belles salades ni les plus grosses carottes. C’est le Champ des possibles pour montrer qu’on peut faire différemment, que personne n’est obligé de rester dans un système agricole qui exploite les hommes et la terre. Nous connaissons tous les conditions inhumaines imposées aux ouvriers agricoles, en Espagne ou en Italie, sous des chaleurs intenables et dans des baraquements de fortune. Personnellement, je suis du genre à tout remettre en cause. Je ne comprends toujours pas pourquoi, en dépit de la qualité de leur travail, les avocats et les médecins sont payés dix fois plus que les agriculteurs. L’agriculture est pourtant essentielle. Et si je n’étais pas dans ce système-ci, basé sur l’auto-cueillette, je ne crains pas de dire que je ne serais pas maraîcher ! »

Beaucoup d’autres choses à faire…

« Je suis quelqu’un de très actif, avoue Francois, j’ai ma famille, je fais de la musique, de la BD et j’ai même tâté un peu de politique… Je veux surtout garder du temps pour recevoir correctement les gens qui viennent sur le terrain. Je veux les sensibiliser aux contraintes du métier que je fais, à la qualité des produits que je cultive pour eux, ainsi qu’aux enjeux climatiques, etc. Le maraîchage est très intensif en main-d’œuvre et le simple fait de venir cueillir soi-même les légumes qu’on va consommer soulage énormément le boulot du maraîcher. Le système permet donc de revenir à des rythmes de travail moins contraignants et de trouver un équilibre soutenable entre un approvisionnement régulier en légumes frais et de qualité, d’une part, et la sauvegarde de la vie familiale et sociale du producteur, d’autre part. Physiquement, le travail de maraîcher est très exigeant et il faut pouvoir considérer ces limites-là aussi. Or les agriculteurs, aujourd’hui, sont pressés comme des citrons et n’ont pas le droit de sortir de leur champ, ni de leur ferme. Moi, je veux garder mes week-ends pour les miens et éviter de travailler douze heures par jour, sauf quand c’est absolument indispensable.
Je ne suis « certifié » par personne, je n’en vois pas l’utilité puisque j’écoule ma production en direct. Je me suis souvent pris la tête avec des collègues qui me reprochent de ne pas renforcer le poids de la bio mais j’estime que mes produits n’ont rien de comparable avec d’autres, cultivés en grandes cultures ou venant de très loin… Je comprends les impératifs du bio mais, à mes yeux, il est totalement dévoyé et récupéré par la grande distribution. Il n’est pas admissible que mes collègues qui travaillent sur de petites surfaces, avec une haute valeur ajoutée, soient mis dans le même sac que des productions qui tendent vers l’industriel. Je pense donc, pour cette raison, que le bio est en train de s’essouffler. Bien sûr, l’intention reste bonne mais la valeur sociale, essentiellement, fait grandement défaut : si on ne respecte pas les travailleurs, il ne faut pas s’attendre à ce que ces travailleurs respectent la terre ! La certification sociale devrait donc passer avant la certification de technique agricole. L’environnement est une chose importante mais les conditions de travail des humains qui réalisent le travail agricole le sont bien plus encore… Bien sûr, je sais que Nature & Progrès va beaucoup plus loin et fait du bon boulot. Mais pour être chez Nature & Progrès, en Belgique, encore faut-il être certifié bio à la base… »

Entrer dans le Champ des possibles ?

« Les membres du Champ des possibles sont recrutés très localement bien sûr, explique encore François, via le bouche-à-oreille et via un « toutes-boîtes » du quartier, ainsi que par l’intermédiaire de mon réseau liégeois. J’ai travaillé, pendant quatre ans, pour la Ceinture Aliment-Terre Liégeoise où j’ai pu défendre l’idée que la qualité alimentaire doit passer prioritairement par les collectivités qui touchent la grande majorité des gens : crèches, écoles, hôpitaux, maison de repos, etc. Tout ce qui s’y mange doit être fourni par des producteurs engagés par elles, plutôt que par des privés qui font dans l’immangeable. C’est simple : on sort des marchés publics et on fait soi-même ce que les autres sont incapables de faire !
La nourriture de qualité ne peut pas être l’apanage d’une élite en mesure de se la payer. Ce serait absolument immoral. La responsabilité publique est donc écrasante en la matière. Les pouvoirs publics doivent rapidement reprendre la main en matière de qualité de l’alimentation. La main-d’œuvre est disponible ; il faut juste former les gens pour l’encadrer. Cela peut avoir un réel impact économique pour la Région – on n’est qu’à 17% d’autoconsommation de légumes en Wallonie ! -, à condition évidemment que nous ne bradions pas les dernières terres agricoles qui nous restent, que nous ne préférions pas les surgelés flamands subventionnés par la PAC…
Pourquoi faudrait-il subir les prix fixés sur un marché mondialisé ? Calcule-t-on assez les frais environnementaux générés par l’intensif, la dépollution des eaux et toutes les autres externalités qui permettent à l’intensif d’exister ? Sont-ils compris dans les « produits blancs » de la grande surface ? Le Champ des possibles a toujours ambitionné de nourrir les gens sans utiliser de produits phytosanitaires, et pas même les produits naturels qui sont autorisés en bio. Du point de vue de la mécanisation, j’ai bien un motoculteur mais si j’utilise cent litres d’essence par an, c’est beaucoup… Il est donc parfaitement possible de cultiver des légumes sans bousiller l’environnement. En choisissant plutôt de travailler avec la nature… »

« Allons bon, s’écrie soudain François ! J’ai des pucerons dans mes salades. Ce n’est pas grave, les coccinelles vont arriver. Mais, dans la logique d’une grande surface, ce serait totalement impossible à vendre… »

Tout auréolés de la démarche de qualité que nous revendiquons, nous repartons ébranlés par le pragmatisme de François. Car il ne suffit pas de se borner à prodiguer un bienfait, il faut encore rendre ce bienfait accessible à tous ceux qui doivent en profiter. Les privilégiés qui produisent et consomment bio, ou encore tous ceux qui s’épuisent à se vouloir vertueux, seraient bien inspirés de méditer cette question. Qu’est-ce qui peut œuvrer concrètement à rendre plus démocratique la qualité de l’alimentation ? N’est-ce pas dans cette voie que nous devons aujourd’hui prioritairement raisonner ?

Le Champ des possibles : www.champdespossibles.be

Les alternatives aux pesticides en betterave sucrière

En Belgique, l’enrobage des semences de betteraves sucrières par des néonicotinoïdes est chose courante, en agriculture conventionnelle. Elle permet – à coup de dérogations que nous pensions abusives – l’utilisation de ces poisons prohibés par l’Europe ! Quatre couches sont généralement enrobées autour de la semence, dont une couche de néonicotinoïdes – imidaclopride, clothianidine, thiamethoxam – et une couche d’un mélange de fongicide et d’autres insecticides, le tout enjolivé d’une magnifique pellicule de pigments colorés… Comment de telles pratiques sont-elles encore autorisées, alors même que – nous allons le montrer – des alternatives efficaces existent ?

Par Camille le Polain

Ce cocktail explosif se diffuse dans les parties aériennes et racinaires de la plante : on parle ainsi de protection systémique. La présence du néonicotinoïde dans le pollen et le nectar de la betterave et des plantes voisines intoxique alors les pollinisateurs, ne laissant aucune chance aux pauvres insectes butineurs attirés naturellement par les trop rares ressources alimentaires de leur environnement. Sans parler de la contamination des sols, des cours d’eau et des prochaines cultures, lorsque la substance mortelle se disperse…
Et le massacre ne s’arrête pas là : trois insecticides à appliquer en traitement aérien sont également homologués et utilisés en combinaison avec un herbicide ! Vous le sentez également, ce léger goût amer ? Pour faire passer ce désagréable ressenti, il me paraît capital de mettre en lumière les alternatives à ces substances. Et de vous présenter également une coopérative belge porteuse d’espoir qui produit, transforme et commercialise ses betteraves sucrières bio : Organic Sowers.

La jaunisse de la betterave : un complexe de quatre virus

Avant toute chose, il est important de clarifier ce qu’est la jaunisse, principale menace et principale raison de l’utilisation des néonicotinoïdes et insecticides en culture de betterave sucrière, et comment celle-ci se transmet. La jaunisse est, en réalité, un complexe de quatre virus qui sont transmis par des pucerons vecteurs – pucerons piqueurs-suceurs -, au moment où ils se nourrissent sur les feuilles de betterave. A partir du moment où la plante a été « contaminée » par le virus, il faudra entre deux et quatre semaines pour voir apparaître les premiers symptômes au champ. Parmi les quatre virus responsables de la jaunisse, deux sont nommés « virus de la jaunisse modérée », à côté du virus de la jaunisse grave et du virus de la mosaïque. Une même plante peut potentiellement être coinfectée par plusieurs virus.
Les pucerons sont donc les vecteurs de la jaunisse. Les principaux sont le puceron vert du pêcher (Myzus persicae) et le puceron noir de la fève (Aphis fabae). Le premier est une espèce dont les œufs d’hiver sont pondus sur les bourgeons de pêchers ou de cerisiers. En hiver, les adultes et les larves peuvent survivre sur une diversité d’espèces végétales-hôtes, aussi appelées leurs hôtes secondaires. Le puceron vert du pêcher est le vecteur le plus efficace des virus de la jaunisse, avec des niveaux de transmission importants. De plus, étant beaucoup plus mobiles que les pucerons ailés noirs, il serait le principal responsable de la dissémination virale au champ.
Le puceron noir, quant à lui, pond ses œufs sur les bourgeons d’arbustes buissonneux, comme le Fusain d’Europe et la Viorne obier. En termes de nuisibilité directe, alors que le puceron vert n’occasion que très rarement des dégâts directs, les colonies de pucerons noirs s’alimentent des feuilles de betterave, entrainant une perte de vigueur des plantes. Il existe d’autres espèces de pucerons vecteurs mais elles sont minoritaires et leur potentiel de transmission est négligeable par rapport à celles de Myzus persicae et Aphis Fabae.

Symptômes et impact sur la culture

A l’échelle de la parcelle, les manifestations de jaunisse apparaissent dès fin juin, avec des foyers jaune orangé qui se dessinent de manière irrégulière au sein des parcelles. A l’échelle de la plante, les symptômes diffèrent en fonction des virus contaminants, allant d’une coloration jaune diffuse de la feuille à un blanchiment et des taches marbrées vert clair pour un autre virus.
Les plantes contaminées par un de ces virus ne sont alors plus capables de réaliser la photosynthèse et, de ce fait, meurent progressivement. La vulnérabilité de la betterave sucrière est la plus forte entre le stade deux feuilles et le stade douze feuilles, avec une réduction progressive de la sensibilité à l’infection virale avec le temps. L’apparition des premiers pucerons dans les parcelles marque le début de la période à risque, soit entre fin avril et fin juin.

Les moyens de lutte alternatifs

Les alternatives sont diverses et le succès de la culture repose sur la combinaison de plusieurs méthodes préventives. Associé à des mesures bien connues en bio, telles que des rotations longues – sept ans entre deux cultures similaires – et une fertilisation raisonnée, le choix de variétés résistantes ou tolérantes à la jaunisse, développées par sélection variétale classique basée sur la reproduction naturelle – et donc adaptée au terroir -, semble être la solution la plus intéressante dans l’immédiat. Un autre levier de maîtrise efficace est la lutte biologique, stimulée par la création de structures végétales à proximité immédiate des cultures. Bandes fleuries, jachères florales, haies, bosquets, mares, prairies extensives sont autant de milieux qui accueillent les insectes auxiliaires prédateurs de pucerons, tels que les larves de coccinelle, syrphes, cantharides, certaines guêpes parasitoïdes, etc.
Par ailleurs, l’installation de cultures de bordures – méthode qui consiste à entourer la culture d’une large bordure d’une plante ou d’un mélange de plantes non sensibles à la jaunisse – peut servir de barrière à l’entrée des pucerons vecteurs. Les espèces, telles que la vesce et l’avoine, semblent particulièrement efficaces à cette fin. Ces plantes non-hôtes servent aussi de pièges à virus ; grâce à eux, les pucerons perdront progressivement leur charge virale après de multiples piqûres sur ces plantes.
Le principe des cultures associées semble également être particulièrement efficace en culture de betterave sucrière : des recherches ont montré que, là où la betterave est associée à la féverole, une réduction significative des populations de pucerons – jusqu’à 30% – sur les plants de betteraves a été relevée, grâce à une présence accrue d’insectes auxiliaires et avec un impact faible sur le rendement de la betterave sucrière.
Un autre moyen de lutte est l’utilisation d’extraits fermentés d’autres plantes – ou purins – qui éloignent les insectes ravageurs. Des huiles essentielles et des décoctions d’ail peuvent aussi être utilisés.
Enfin, des méthodes de biocontrôle sont en cours de développement par l’ITB (Institut Technique de la Betterave), en France, avec l’utilisation des plantes de service. Ainsi des plantes endophytes – en d’autres termes qui abritent sous forme de symbiose des micro-organismes – pourraient-elles être plantées durant l’interculture précédant le semis de la culture de betterave. Ces plantes endophytes, en l’occurrence des graminées, auront été préalablement inoculées avec des souches de champignons qui libèrent des toxines à effet insecticide ou insectifuge. Une fois la culture de graminées détruite, les composés sont libérés dans le sol et absorbés par le système racinaire des betteraves, leur conférent une protection contre les pucerons et autres insectes ravageurs.

Coopérative Orso : pionnière d’une filière sucrière de betterave bio en Belgique

Orso est une coopérative de quatorze producteurs qui se sont lancés, en 2021, dans la production, la transformation et la commercialisation de betteraves sucrières bio. Ils ont débuté avec un hectare-test, en 2019, pour atteindre trois hectares, en 2022. C’est aussi la deuxième année de production pour le groupement Organic Sowers qui commercialise le sirop de betteraves bio Orso.
Leur ambition est claire : atteindre cent cinquante à deux cents hectares et lancer leur propre sucrerie ! Actuellement, leur sirop de betteraves est vendu aux particuliers via une centaine des petits magasins et des grandes surfaces – sous forme d’un récipient de 500 ml – ou aux ateliers – brasseries, biscuiteries, granolas… sous forme de seaux de dix litres ou de cubis de mille litres. Et cela, aux quatre coins de la Belgique. Les nouveaux revendeurs ont accueilli, à bras ouvert, ce produit délicieux qui sublime vos desserts, yaourts, granolas, crêpes… Orso a relevé le pari de proposer un sucre 100% naturel, avec pour unique ingrédient la betterave sucrière. A bas les conservateurs, colorants et allergènes ! Et pour couronner le tout, il est rempli de vitamines, d’oligoéléments et de minéraux.

– Pourquoi se lancer dans la production de betteraves sucrières bio ?

Avec le lancement d’Orso, plusieurs objectifs sont déjà atteints : créer un sucre « non industriel », meilleur pour l’environnement et pour la santé, encourager les transformateurs et les consommateurs à utiliser un sucre bio local, avec l’espoir de créer, un jour, une sucrerie artisanale.
« Nous souhaitions introduire une nouvelle culture bio dans nos rotations, ajoute Gilles de Moffarts. La betterave est une culture historique de nos régions que nous maîtrisons techniquement. Nous voulions aussi maîtriser la commercialisation et ne plus être de simples fournisseurs de matière première. »
« A ce stade, le principal défi d’Orso, rappelle Cédric Dumont de Chassart, est de faire connaître ce nouveau produit aux consommateurs, comme alternative bio et locale au sucre de cannes ou autres sirops de type agave ou érable. »

– Comment s’y prendre concrètement pour cultiver de la betterave sucrière en bio ?

En culture biologique, la difficulté principale est liée à la gestion des adventices qui font concurrence à la production agricole et attirent des ravageurs, dont les pucerons qui peuvent transmettre le virus de la jaunisse. Les accidents climatiques représentent également une menace non négligeable. Pour préparer la culture à affronter ces menaces, les principales méthodes préventives utilisées par les producteurs d’Organic Sowers sont la technique du faux semis, l’allongement des rotations – de cinq à sept ans – et l’intégration de cultures de printemps et d’automne au sein de celles-ci. Autres astuces efficaces des producteurs, à mettre en place en amont : semer dans une terre bien réchauffée pour une levée rapide et retarder le semis pour essayer d’éviter les vols précoces de pucerons. Le choix d’une variété plus résistante aux maladies est fortement préconisé – même s’il n’y a pas encore de véritables variétés résistantes, comme on peut les trouver en pommes de terre avec les variétés robustes, par exemple. C’est donc un ensemble de méthodes préventives qui doivent être combinées afin d’éviter, autant que possible, les problèmes.
Concernant le virus de la jaunisse, le risque est diminué grâce aux méthodes décrites ci-haut. Heureusement, les producteurs d’Organic Sowers n’ont pas eu à déplorer d’attaque grave de jaunisse, lors des premières années de culture. Mais la vigilance reste de mise, connaissant les potentiels impacts d’une attaque sur la culture : les rendements peuvent diminuer de moitié, en cas d’attaque sévère ! Pour anticiper les attaques de pucerons, un système d’avertissement-pucerons est coordonné par l’IRBAB (Institut Royal Belge pour l’Amélioration de la Betterave) mais les producteurs sont unanimes pour dire que l’observation régulière au champ est le meilleur système d’avertissement.
« Comme pour toute culture bio, précise Gilles de Moffarts, l’absence de traitement chimique entraîne une grande variabilité dans les rendements. » Ce message important nous rappelle l’importance de soutenir de telles initiatives !

Conclusion

Les politiciens, sont la coupe des lobbies sucriers conventionnels, ne sont pas seuls en cause. Nous savons depuis bien longtemps, chez Nature & Progrès, que les consommateurs ont également une part énorme de responsabilité, à travers leurs achats, afin de voir se développer des cultures de betteraves locales et respectueuses de l’environnement.
Tous, nous devons encourager les producteurs qui relèvent le défi de ne pas utiliser de néonicotinoïdes, ou d’autres pesticides chimiques de synthèse, dans leurs cultures. Une raison largement suffisante pour faire toujours le choix de produits locaux et bio. La modernisation de nos pratiques agricoles – tant d’un point de vue économique qu’écologique – est à ce prix !

Sources :
– ITB (Institut technique de la betterave) (septembre 2020), Gestion intégrée des ravageurs – Les jaunisses virales et leurs pucerons vecteurs, consultable en ligne : https://www.itbfr.org/fileadmin/user_upload/PDF/Fiches_Bioagresseurs/Gestion_integree_-_jaunisse_2020_web_01.pdf
– Léa Dumont, Des champignons endophytes pour contrôler les pucerons, consultable en ligne : https://www.itbfr.org/tous-les-articles/article/news/pnri-des-champignons-endophytes-pour-controler-les-pucerons/
– Plus d’infos sur la coopérative Organic Sowers et son sirop de betterave bio et local : https://organicsowers.bio/

Procès néonicotinoïdes – Principe et dérogations d’urgence

Cela fait vingt ans que Nature & Progrès agit pour protéger les abeilles des dégâts occasionnés par l’utilisation des insecticides néonicotinoïdes, malgré l’entêtement du secteur betteravier et des autorités. Au terme de nombreuses actions, ces insecticides tueurs d’abeilles ont finalement été interdits par l’Europe. Mais la Belgique a honteusement dérogé à cette interdiction pendant trois années consécutives…

Par Isabelle Klopstein

Convaincus de l’importance de l’enjeu, avec le Pesticide Action Network Europe (PAN Europe) – réseau européen de promotion des alternatives durables aux pesticides – et un apiculteur liégeois, nous avons intenté trois actions en justice pour nous opposer à ces dérogations. Sur le fond, les affaires sont toujours en cours. Lors des plaidoiries, notre avocat a relevé des incohérences dans l’interprétation des dispositions encadrant les dérogations. C’est sur cette base que l’affaire a été portée devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJEU). Et si nous pouvons actuellement mener cette bataille judiciaire, c’est grâce aux soutiens de nos membres et donateurs.

Recours devant le Conseil d’Etat et audience à Luxembourg

Nos requêtes devant le Conseil d’Etat visent à obtenir l’annulation d’une dizaine d’autorisations d’urgence octroyées par la Belgique, en 2018, 2019 et 2020, permettant l’utilisation d’insecticides à base de substances actives néonicotinoïdes – thiaméthoxame, clothianidine et imidaclopride – pour le traitement et l’enrobage des semences, notamment de betteraves sucrières en agriculture conventionnelle. Pour Nature & Progrès, l’Etat belge use et abuse de la possibilité de dérogation ouverte par l’article 53 du règlement européen n°1107/2009 encadrant la mise sur le marché des pesticides – ci-après « Règlement Pesticides » ou « Règlement » – au point d’autoriser des insecticides expressément interdits en plein champ depuis 2018. Destinés à éradiquer les insectes dommageables pour les cultures, en l’occurrence les pucerons vecteurs de la jaunisse de la betterave sucrière, ces insecticides neurotoxiques ne font hélas pas la distinction entre les pucerons ciblés et les autres insectes – abeilles et autres butineurs – pour lesquels ils posent un risque avéré en mettant en péril leur survie. D’où leur interdiction européenne… Diverses études ont également prouvé la contamination de l’air, de l’eau, de la terre et des cultures non traitées, ainsi que la vulnérabilité de plusieurs espèces animales à cette catégorie de pesticides, dont la rémanence peut aller de quelques jours… à plusieurs années.
Devant la nécessité de clarifier certaines dispositions clés du Règlement Pesticides, le Conseil d’Etat s’est tourné, à notre demande, vers la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). Lors de l’audience de plaidoirie du 17 mars dernier, à Luxembourg, les juges européens se sont notamment penchés sur les arguments des deux camps – Belgique, Commission européenne, autres Etats membres et secteur betteravier vs Nature & Progrès et PAN Europe – concernant la possibilité d’autoriser des pesticides contenant des substances actives pour le traitement des semences, dont la mise en vente ou l’usage sont interdits sur le territoire de l’Union européenne et sur les conditions de dérogation liées aux notions de « circonstances particulières », « danger » et « autres moyens raisonnables » telles que prescrites par l’article 53.

Autorisations de pesticides en Europe : principe et dérogations

Le Règlement Pesticides régit l’octroi des autorisations des produits pesticides – insecticides, herbicides, fongicides – et de leurs composants dans l’Union européenne. Il vise à garantir un niveau élevé de protection environnementale et s’impose aux Etats membres, au même titre qu’une législation d’origine nationale. Le principe veut que le fabricant démontre que « les substances ou produits fabriqués ou mis sur le marché n’ont aucun effet nocif sur la santé humaine ou animale ni aucun effet inacceptable sur l’environnement ». Pour écarter tout effet inacceptable sur l’environnement, la législation européenne prévoit donc que chaque pesticide soit testé avant de pouvoir éventuellement être autorisé, puis utilisé en agriculture.
A la suite de leur évaluation, la législation européenne prévoit que ces substances peuvent être interdites purement et simplement, s’il n’existe aucune utilisation sûre de ces substances, ou bien autorisées mais sous certaines conditions – zone tampon, rotation des cultures, etc. – afin de gérer les risques environnementaux. C’est ainsi qu’avant d’être interdites à toutes les cultures en plein champ, le thiaméthoxame, la clothianidine et l’imidaclopride ont fait l’objet de mesures très restrictives. En 2003, l’imidaclopride fut le premier insecticide néonicotinoïde identifié comme toxique pour les abeilles…
Dès 2013, l’utilisation et la vente de semences traitées avec ces produits ont été interdites au niveau européen pour les cultures les plus attractives pour les abeilles. Les restrictions européennes liées à la commercialisation ou à l’utilisation d’une substance active contraignent les États membres à modifier ou à retirer les autorisations existantes pour les produits contenant ces substances actives. Mais bon, ça, c’est le principe…
Car, en effet, certains mécanismes juridiques du Règlement Pesticides permettent aux Etats membres de déroger à ces conditions d’évaluation et d’autorisation strictes. Ils peuvent, par exemple, fournir des dérogations pour accélérer la disponibilité de nouveaux pesticides, notamment ceux considérés comme moins toxiques, ou encore permettre la délivrance de dérogations pour d’autres substances et produits pesticides qu’ils jugent nécessaires à la « protection » des cultures.

Une interprétation incohérente et laxiste des conditions de dérogations

Nous avons donc estimé qu’il était nécessaire d’agir contre une interprétation abusive des conditions de dérogations d’urgence afin de protéger la biodiversité et les abeilles ! Le recours de plus en plus fréquent aux dérogations, grâce notamment à une interprétation très souple de l’article 53 du Règlement par les autorités nationales compétentes, se fait au détriment de la biodiversité, des pollinisateurs et des services écosystémiques qu’ils fournissent – gratuitement ! – à la production agricole bio ET conventionnelle, et donc in fine à notre sécurité alimentaire. Et c’est justement sur la légalité de ces dérogations, dites d’urgence phytosanitaire, que les juges européens devraient se prononcer à l’automne 2022. Et, comme nous l’espérons, en donner une interprétation stricte, cohérente et uniforme, laquelle s’imposera alors à la Belgique ainsi qu’aux autres Etats membres.
Les dérogations pour urgence phytosanitaire permettraient-elles aux Etats membres de contourner les normes environnementales, en autorisant des pesticides dont la substance active a été expressément interdites ou restreinte ? Concernant les substances interdites pour des raisons sanitaires ou environnementales, la réponse de notre avocat, Me Bailleux, est sans équivoque : il serait contraire à la philosophie du Règlement de permettre aux Etats membres de prolonger unilatéralement l’utilisation de substances, parfois pour de nombreuses années, sans considération des risques qu’ils font peser sur la santé humaine ou la biodiversité. A quoi bon décider d’interdire la vente et l’utilisation de certaines substances particulièrement à risque si les Etats membres peuvent aussi facilement les réautoriser sous forme de dérogation ?
Selon la position défendue par Nature & Progrès et PAN Europe, les dérogations d’urgence n’ont donc vocation à s’appliquer qu’aux produits pesticides dont la substance active n’a jamais été approuvée par l’Union européenne, soit parce que personne n’en a fait la demande soit parce que la procédure d’évaluation des risques est toujours en cours. Notons au passage que l’immense majorité – 90 % – des dérogations fondées sur l’article 53 concerne des substances actives approuvées au niveau européen, par exemple lorsque les Etats souhaitent déroger aux conditions ou restrictions de l’approbation initiale. Et dans la majorité des cas, les produits eux-mêmes sont déjà autorisés au niveau national, mais pour d’autres utilisations.

Conditions des dérogations pour « protéger » les cultures : le grand flou !

En pratique, ce type de dérogations est loin d’être limité aux cas réellement urgents comme le prévoit expressément l’article 53 dans son intitulé et les notions, trop vagues, de « circonstances particulières » et de « danger ». Ce sont ces deux hypothèses factuelles qu’il faut examiner en priorité. De plus, s’il est parfois effectivement justifié de pouvoir agir en urgence – en contournant exceptionnellement et temporairement la procédure d’autorisation ordinaire -, ce type d’autorisation doit être uniquement valable pour un usage limité et contrôlé, et si la production végétale menacée ne peut être protégée du danger par d’ »autres moyens raisonnables », c’est-à-dire d’autre méthodes ou produits alternatifs.
Le fait que les dérogations concernant les néonicotinoïdes soient fournies anticipativement en hiver – pour permettre le traitement des semences -, de manière systématique et en l’absence de preuve d’une réelle nécessité – attaque importante de pucerons, par exemple -, interroge. Le danger justifiant le recours à l’article 53 doit-il correspondre à une menace cyclique et répétitive ? Ou à un évènement irrégulier mais répétitif ? Doit-il forcément être imprévisible ?
La seule présence de ravageurs ne constitue qu’un danger hypothétique pour les cultures. Pour être réel, le danger doit être d’une certaine gravité puisqu’il doit « compromettre » la production végétale ou les écosystèmes. Et pas simplement l’affecter ou la gêner. C’est donc bien l’ampleur des dommages que les ravageurs sont susceptibles de causer sur les cultures qui devrait permettre d’évaluer un réel danger.
A ce titre, la Belgique pourrait s’inspirer de bonnes pratiques déjà mises en place chez certains de ses voisins. En Angleterre, par exemple, où la nécessité de recourir à des insecticides pour protéger les plants de betteraves sucrières est régulièrement réévaluée en fonction des dernières prévisions basées sur les observations météorologiques. Ainsi, une dérogation d’utilisation peut être préventivement accordée en automne et subordonnée à la probabilité qu’un certain pourcentage des parcelles de betteraves soit contaminé par le virus de la jaunisse. A l’approche de la saison, si les pronostics se situent en dessous de ce seuil, le produit n’est tout simplement pas autorisé.
Ainsi, les « circonstances particulières » exigées par l’article 53 devraient-elles couvrir les dangers prouvés scientifiquement, de manière indépendante – et donc pas uniquement sur les hypothèses alarmistes relayées par l’industrie – et avec un degré suffisant de certitude.

Les alternatives aux néonicotinoïdes existent !

C’est là que la notion de « moyens raisonnables » prescrite par l’article 53 prend tout son sens. Pour Nature & Progrès, l’existence de méthodes non chimiques de prévention ou de lutte est l’une des preuves flagrantes du caractère indûment favorable du régime dérogatoire tel qu’interprété par la Commission européenne et les Etats membres. D’autres méthodes existent et sont disponibles pour éviter une perte de rendement majeure de nature à compromettre la viabilité de la filière sucrière ! Les alternatives aux semences de betteraves sucrières traitées aux néonicotinoïdes sont diverses et leur efficacité sur les cultures repose sur la combinaison de plusieurs méthodes préventives. En 2018, 2019 et 2020, nos voisins français, anglais, néerlandais et allemands ont réussi à cultiver leurs betteraves sans déroger à l’interdiction européenne sur le thiaméthoxame, la clothianidine et l’imidaclopride. Le sucre bio de Tirlemont est d’ailleurs produit en Allemagne. La naissance d’une filière bio locale et belge en 2021 avec la coopérative Organic Sowers (ORSO) est également un indice qu’il est bel et bien possible de cultiver la betterave sucrière et de produire du sucre sans devoir traiter anticipativement les semences aux néonicotinoïdes.
La répétition des dérogations nationales à l’interdiction de néonicotinoïdes, et donc répondant a priori à un danger prévisible, devraient être conditionnées au développement d’alternatives aux pesticides chimiques de synthèse, au niveau des Etats membres. La justification d’un renouvellement ou d’une prolongation d’utilisation devrait être plus exigeante, et surtout conditionné à la mise en place de projets de recherches sur les alternatives. C’est du moins l’approche qu’a semblé défendre la Commission européenne devant les juges européens le 17 mars à Luxembourg. D’autant plus que la multiplication des recours aux dérogations sur base de l’article 53 s’inscrit dans un contexte de réduction du nombre de produits pesticides efficaces disponibles et de l’apparition accélérée de résistances aux produits existants. Pourtant, l’Etat belge se borne à nier l’existence d’alternatives efficaces pour le traitement des semences de betteraves sucrières aux néonicotinoïdes pour justifier l’octroi de dérogations en urgence à répétition. Selon le ministre belge de l’agriculture, il n’existe tout simplement aucun autre « moyen raisonnable » que le traitement des semences aux néonicotinoïdes pour lutter contre la jaunisse de la betterave. Mais les a-t-on vraiment bien cherchés ?

L’article 53 : un chèque en blanc donné aux Etats membres ?

Le recours des Etats membres à l’article 53 s’exerce actuellement sans réel contrôle des instances européennes. La CJUE pourrait donc également questionner l’effectivité de ce contrôle. La Commission européenne est restée bien passive face à la multiplication de ces dérogations d’urgence en Belgique et dans d’autres Etats membres. Le Règlement Pesticides l’autorise pourtant à interdire la prolongation ou le renouvellement d’une dérogation d’urgence ou ses conditions de prolongation ou de répétition ou encore à obliger un Etat membre de la retirer ou de la modifier.
Dans la pratique, si elle a quelques trop rares fois – et suite à un intense lobbying de la société civile -, interdit le renouvellement de certaines dérogations, la Commission européenne n’a jamais ordonné à aucun Etat, de retirer ou de modifier une dérogation d’urgence. Cette passivité de la part du principal gestionnaire de risque en charge des décisions d’approbation des substances actives est intrinsèquement liée à la procédure d’approbation impliquant les Etats membres. Celle-ci est finalement réduite à un simple compromis politique entre la Commission européenne et les Etats membres, permettant à la Commission de remplir son rôle en interdisant les substances les plus dangereuses, tout en fermant les yeux sur les dérogations nationales permettant la vente et l’utilisation de ces produits aux substances nocives qu’elle a elle-même interdites.
En conséquence, la procédure de dérogation d’urgence phytosanitaire, telle qu’interprétée par la Belgique et la Commission européenne, s‘apparente de facto à une espèce de chèque en blanc donné aux Etats membres. Pour Nature & Progrès, les conditions d’application se doivent d’être plus strictes pour assurer un niveau élevé de protection de l’environnement et de la santé humaine, comme le prévoit d’ailleurs le Règlement Pesticides.

Une graine enrobée de néonicotinoïdes : semence ou pesticide ?

Une semence enrobée de pesticides peut-elle être considérée comme un produit pesticide ? C’est en quelque sorte l’une des questions débattues devant la Cour de Justice de l’Union européenne. L’enjeu ici étant notamment de déterminer si la procédure d’autorisation d’urgence des produits pesticides s’étend ou non à la vente et à l’utilisation des semences enrobées avec ces mêmes pesticides. L’article 53 du Règlement Pesticides fait référence à la commercialisation de produits pesticides, et non aux semences traitées aux pesticides, sauf à considérer qu’une fois traitée, une semence deviendrait un produit pesticide. Cette disposition, qui encadre les dérogations d’urgence, n’a a priori pas été rédigée pour réglementer l’utilisation de semences traitées en agriculture. Bien que la législation européenne prévoie la libre circulation des semences traitées avec un pesticide autorisé, au même titre que les semences non traitées, la commercialisation des semences, d’une part, et l’autorisation de produits pesticides, d’autre part, relèvent de deux régimes juridiques distincts au niveau européen.
Si la procédure d’approbation ordinaire des pesticides peut aboutir à autoriser un produit destiné au traitement des semences, c’est bien ce produit qui est mis sur le marché et vendu à des entreprises qui vont, ensuite, traiter les semences pour, enfin, les commercialiser et les rendre accessibles aux agriculteurs. La procédure d’urgence – dérogeant à cette procédure ordinaire – ne devrait pas permettre, quant à elle, la vente et l’utilisation de semences traitées. La Belgique a d’ailleurs délivré des dérogations distinctes pour le traitement et l’enrobage des semences d’un côté, et le semis de ces semences traitées de l’autre.
Il est par ailleurs opportun de se demander si les dérogations d’urgence concernant les semences traitées, dont l’enrobage aux pesticides doit être anticipé plusieurs mois en amont, permet « un usage limité et contrôlé » de produits pesticides. Car contrairement à la pulvérisation – qui peut toujours être appliquée en dernier recours après observation directe des cultures et des premiers signes de maladie -, les semences traitées aux néonicotinoïdes ne peuvent être utilisées qu’en préventif. Les semenciers décident, plusieurs mois à l’avance, d’enrober les semences alors qu’il n’y a aucune information quant à la probabilité d’une invasion de pucerons : la fin de l’hiver peut être gélif, la présence d’insectes auxiliaires s’avérer suffisante, ou tout simplement les populations de pucerons être inexistantes. De même, l’utilisation de semences traitées empêche d’adapter le seuil de traitement à la présence d’auxiliaires prédateurs de pucerons : coccinelles, larves de syrphes, chrysopes, etc.

De nouveaux néonicotinoïdes…

Nature & Progrès continue et continuera de s’opposer ardemment à l’utilisation des nouveaux insecticides néonicotinoïdes. Le sulfoxaflor, homologué en 2015, présente, comme ses prédécesseurs, un grave danger pour les abeilles mellifères. Or il vient d’être autorisé, en urgence, par la Belgique pour une pulvérisation sur les cultures de betteraves sucrières au printemps et à l’été 2022. Le 28 mars, nous avons envoyé un courrier au ministre de l’Agriculture pour que la Belgique se positionne en faveur de l’interdiction du sulfoxaflor au niveau européen. Depuis, la Commission européenne a annoncé, en avril, qu’elle adopterait avant l’été une législation limitant l’utilisation de cette substance aux serres permanentes, comme ce fut le cas à l’époque pour le thiaméthoxame, la clothianidine et l’imidaclopride.

Je me souviens d’un fou

La honte est un sentiment redoutable. Elle vous donne rendez-vous avec vous-même, se glisse parmi vos souvenirs et y répercute des échos de ce que vous êtes devenu. Suivez-la, elle vous mènera ailleurs en disparaissant, comme un vêtement dont vous détricotez les mailles. La honte vous couvrait ? Il n’en reste qu’un fil, qui vous servira de guide.

Par Guillaume Lohest

Au printemps de mes quatorze ans, j’ai commis un vol. J’étais un adolescent plutôt timide, suiveur, passe-partout. Je gagnais l’estime de mes amis par des coups d’éclat occasionnels, des audaces verbales passagères dont je ne me montrais capable que dans certains moments d’euphorie. Je n’étais pas un imbécile, c’est donc sur ce terrain que je menais mes batailles en défiant les adultes dont l’autorité était dépourvue d’intelligence. C’était lâche, j’en conviens à présent, mais il me fallait bien quelque chose pour mériter le respect. C’était tout ce que j’avais à disposition, et à quatorze ans la jeunesse est un purgatoire cruel pour les garçons à la mue tardive et au visage quelconque. J’utilisais des mots compliqués à défaut de pouvoir sortir une voix d’homme. Mais cette fois-là, c’était différent, je n’ai pas à me chercher d’excuses.

Le village était situé dans une cuvette cernée d’innombrables vergers haute-tige et de vastes étendues boisées. C’était une région pauvre, désertée par l’industrie, le taux de chômage battait des records nationaux. L’alcoolisme n’y était pas en reste mais on ne le voyait pas comme tel, car il se fondait dans une consommation d’alcool sociale et joyeuse, intégrée à un folklore vigoureux. Quelques citadins, qui y avaient leurs maisons de campagne, affirmaient pourtant sans sourciller que c’était la plus belle région du pays. Des touristes flamands et hollandais s’y pressaient tous les week-ends de mars à octobre. Mon village était le centre du monde.

Au-delà du cimetière montait un chemin de pierre à peine carrossable qui conduisait à des parcelles de forêt et de vergers abandonnés. Un homme y vivait. On l’appelait « le Bourguignon » parce qu’il était originaire de France et qu’une grande gueule, à son arrivée, avait estimé dans sa géographie approximative que Lyon se situait en Bourgogne. On l’appelait aussi le « moutonneux » parce qu’il avait un petit troupeau de brebis. On l’appelait surtout le fou, parce qu’il vivait seul, reclus, portait une énorme barbe et de vieux lainages troués, et vivait en autarcie dans une caravane et quelques cabanons de bois. Il fabriquait son fromage, pressait son jus de pommes, conservait ses légumes. Les gens racontaient qu’il avait tout quitté d’une vie précédente dont on ne savait rien. Et puisqu’on ne savait rien, justement, on racontait toutes sortes de choses, qu’il avait été maire, qu’il était l’ancien patron d’une grande usine textile, qu’il avait eu une femme célèbre qui s’était tuée en voiture, qu’il avait revendu un domaine viticole au prix fort. Mon père lui avait parlé une ou deux fois et le trouvait plutôt sympathique. Il m’avait donné sa version des faits : selon lui, si le Bourguignon avait tout quitté, c’était à cause d’un livre. Il m’en avait dit quelques mots auxquels je n’avais pas prêté attention. « Mais cesse de l’appeler le moutonneux » avait-il ajouté, « il s’appelle Jérémie et Lyon n’est pas en Bourgogne. » Mon père ne supportait pas l’esprit de meute, ni qu’on se moquât des personnes fragiles ou marginales. Ma honte d’avoir volé cet homme n’en est que plus tenace.

J’avais donc quatorze ans ce printemps-là. C’était un après-midi de grand soleil à la mi-mai. Nous étions cinq ou six, en bande, à errer sans but précis dans les vergers en fleurs. Les autres fumaient, je les imitais. De quoi parlions-nous ? De football peut-être, de scooters, de filles, je ne sais plus. Nous sommes arrivés près de la caravane du Bourguignon et il était là, dehors, occupé à préparer des semis, accroupi dans la terre. Son tee-shirt était sale et mal ajusté. Sa barbe grisonnante semblait envahie de nœuds et couverte de poussière. L’un de nous a dû dire quelque chose, nous nous sommes mis à rire. Il a relevé la tête et, nous apercevant, nous a fait signe d’approcher.

— Une limonade maison ?
C’est sans doute moi qui me suis avancé le premier. Nous sommes entrés dans la parcelle. Il m’a invité à le suivre dans une cabane où étaient alignés des centaines de bocaux. « Ceci devrait faire l’affaire » a-t-il dit en me tendant une bouteille en verre qui contenait une boisson d’un brun poisseux. Nous nous sommes assis sur des rondins qui traînaient ici et là, ou à même le sol.

Tout ce que nous avons dit, je l’ai oublié. Ses paroles à lui, je m’en souviens un peu. J’avais à l’esprit ce que m’avait dit mon père et j’étais curieux d’en apprendre davantage. Il a été question ce jour-là de pétrole, de centrales nucléaires, de famines et de guerres. Le Bourguignon faisait passer toutes sortes de semences entre nos mains et répétait que ça valait de l’or. Il s’est aussi emporté contre les voitures, les routes, le plastique, la télévision, les supermarchés. Il voulait nous faire goûter des fleurs. Je ne comprenais pas ce que mon père lui trouvait de sympathique, il me semblait tout de même bien dérangé. Nous n’étions pas à notre aise. Aucun de nous n’osait répondre. Nous avons poliment terminé nos verres de limonade puis nous sommes repartis fumer et flâner ailleurs.

Le soir de ce même jour, mon père avait invité des vieux amis à dîner, un couple de Bruxellois qu’il avait rencontrés durant ses études et n’avait plus revu depuis vingt ans. Leur fille les accompagnait.
Leur fille. J’étais encore insensible aux décharges amoureuses, pas au trouble causé par un face-à-face avec quelqu’un comme elle. Déborah devait avoir un ou deux ans de plus que moi mais son corps, contrairement au mien qui s’accrochait à l’enfance, avait déjà atteint l’autre rive et il m’était impossible de ne pas le remarquer.
Très vite, nous nous sommes retrouvés dans le salon, à deux, isolés des souvenirs de jeunesse de ses parents et de mon père. Ils riaient fort et buvaient bien. Déborah parlait beaucoup, avait un avis sur tout, jugeait abondamment. Ses amies étaient si matérialistes ! Les garçons, tellement prévisibles, idiots, maladroits ! Et les gens, préoccupés par leur petit confort, lassants ! Ses yeux subtils glissaient sur tout ce qui bouge. Elle donnait l’impression que le monde n’était pas à sa hauteur. J’écoutais, intimidé mais pas désarçonné. J’en avais des choses à raconter, moi aussi, des choses imprévisibles, pas idiotes, alors quand Déborah s’est soudain arrêtée en disant « mais et toi, tu en penses quoi des gens autour de toi ? », je ne me suis pas démonté, je l’ai suivie dans ses jugements sévères et j’en ai même rajouté, si ma mémoire ne me trahit pas :
— Les gens, il n’y en a pas beaucoup qui sortent du lot, la plupart vivent comme tout le monde. C’est pas dingue cette histoire d’avoir une jolie maison, un bon travail, une voiture, des enfants qui réussissent et puis rebelote la génération d’après.
Je n’ai peut-être pas dit exactement cela. Mais c’est plausible, si les grandes idées qui allaient me pousser dans le dos quelques années plus tard étaient déjà là, prêtes à germer dans un petit recoin encore insoupçonné de moi-même.
— Petit anticonformiste, tu m’intrigues, a-t-elle dit.

Ensuite, je ne me souviens plus précisément, Déborah m’a peut-être demandé un autre verre de vin, j’ai sans doute hésité à outrepasser la limite fixée par mon père. Un projet s’est dessiné dans mon esprit qui faisait d’une pierre deux coups.
— J’ai mieux que ça. Je vais te montrer quelque chose. Tes parents seraient d’accord qu’on aille faire un tour ?

Quelques minutes plus tard nous étions dehors, sur le chemin de terre au-delà du cimetière. Nous marchions côte à côte, Déborah me pressait de questions, mais on va où, tu ne me dis rien, c’est pas trop loin au moins ? Je souriais probablement, heureux de cette éclaircie de hardiesse qui m’avait pris par surprise, comme chaque fois.
En approchant des vergers du Bourguignon, j’ai posé un doigt en travers de ma bouche.
— Restons ici un instant, ai-je murmuré, asseyons-nous derrière ce tas de rondins.
— Mais enfin explique-moi, on est chez qui là ? a demandé Déborah.
— Un type habite dans cette caravane, les gens disent qu’il est un peu cinglé mais j’ai parlé avec lui cet après-midi. Regarde.
Je lui ai montré, dans l’obscurité, le potager, les cabanons, les brebis endormies.
— Il est comme coupé de la société.
J’avais dû penser que ça lui plairait, quelqu’un d’imprévisible. Elle se taisait. J’ai poursuivi :
— Il mange même des fleurs et n’achète presque rien. Dans ce cabanon, là, tu vois, il garde des centaines de bocaux. Il fait son fromage aussi.
Déborah a fini par lâcher :
— Mais c’est génial.
Nous sommes restés plusieurs minutes en silence. On entendait le bruitage éternel d’une lisière de forêt la nuit, un hululement de chouette, des aboiements montant des habitations, les branchages agités par un vent calme. Je dirais aujourd’hui que le petit gars de la campagne en mettait plein la vue de la jolie citadine. Mais alors ce ne devait être qu’un sentiment confus et exaltant.
— Il n’a pas toujours vécu comme ça, mon père dit que c’est un livre qui l’a changé.
Avant que Déborah ait pu répondre, j’étais debout.
— Attends-moi ici.

Avec précaution, je me suis approché de la cabane où j’étais entré l’après-midi même. Je guettais le moindre bruit en provenance de la caravane qui n’était qu’à une dizaine de mètres. La porte de l’abri à conserves était maintenue fermée par un simple crochet. Après l’avoir délicatement soulevé, je me suis introduit dans le cabanon. La pénombre n’y était pas complète, une petite fenêtre rudimentaire laissait entrer la faible clarté de la lune. Assez pour que je repère le flacon que j’avais aperçu quelques heures plus tôt sur une étagère à hauteur d’épaule.
Déborah n’avait pas attendu. Je l’ai retrouvée juste derrière la porte du cabanon et l’effet de surprise a précipité mon geste, le bois a grincé puis heurté un bocal à l’intérieur. Nous avons entendu bouger dans la caravane, mais Déborah avait saisi ma main et nous étions bien plus haut, déjà à l’abri des buissons du chemin quand, peut-être, nous ne le saurons jamais, le Bourguignon a jeté un œil au-dehors pour constater que les alentours étaient calmes. La même chouette continuait de hululer de temps en temps. Les brebis dormaient.

J’avais quatorze ans. C’était une liqueur de mirabelle dont j’ai avalé quelques gorgées. Déborah en a bu bien davantage, elle qui riait en prenant des airs de procureur : tu as volé, tu es coupable, je te condamne. Nous ne sommes restés que quelques minutes sur un petit carré d’herbe que les ronces n’avaient pas encore envahi. Son genou, parfois, heurtait le mien. Puis elle s’est levée, a dissimulé le flacon dans sa veste en jean et nous sommes rentrés chez mon père.

En repartant, ses parents avaient promis de revenir en été. Ils n’en ont pas eu l’occasion. Mon père a reçu une promotion quelques semaines plus tard, nous avons déménagé dans un autre pays, un autre village, un autre centre du monde. Déborah est devenu un souvenir que je ne suis pas certain d’avoir gardé intact. Peut-être son visage était-il moins équilibré, son air moins hautain, sa voix plus rauque et son sourire plus fade. Avec les grands souvenirs, on n’est jamais sûr de ce qui se joue.

Par contre, le verger du Bourguignon est toujours bien en place. Je l’ai acquis pour une somme très avantageuse que jamais je n’aurais imaginé pouvoir posséder en intégralité sur mon compte en banque, du temps où je faisais le procès de la vie normale de monsieur tout-le-monde. J’ai signé l’acte de propriété chez un notaire de la région ce matin même, un petit homme efficace et poli qui flottait dans son costume à carreaux.
En arrivant sur les lieux, mon premier réflexe a été de pousser la porte du petit cabanon où le moutonneux entreposait ses bocaux. Ils sont toujours là. Certains ont pourri. J’en ai ouvert un qui a empesté l’air d’un parfum nauséabond de céleri vinaigré. D’autres, contenant des liqueurs, semblent récupérables.
C’est sur une étagère du fond que je l’ai trouvé. Sa couverture blanc cassé, où l’on distingue une planète enchaînée, a jauni avec le temps. Des pages en étaient décousues. À la vue des innombrables annotations dans les marges, des soulignements, de l’usure du papier, j’ai deviné qu’il devait s’agir du livre dont avait parlé mon père, celui qui avait changé la vie du Bourguignon. Certains mots étaient traduits dans l’interligne car il s’agissait d’une édition originale en anglais. Ce livre de 1972, tout le monde aujourd’hui en parle comme d’une évidence : The limits to growth (*). Qui le lit encore ? Personne. Est-il nécessaire de lire une prophétie quand sa réalisation est presque achevée ?Je ne sais pas si les lieux ont connu un propriétaire intermédiaire entre le Bourguignon et moi, après sa mort, avant que j’achète. C’est possible. Un investisseur lointain qui n’en aurait finalement rien fait, ou un parent éloigné. Tout semble avoir été abandonné en l’état, le livre comme le reste. Je ne sais pas ce que je vais en faire, maintenant que c’est mon tour de changer de vie.

(*) Ce titre a été initialement traduit en français par « Halte à la croissance ! ». On l’appelle aussi communément le « rapport Meadows », du nom de l’un de ses auteurs, ou le rapport du Club de Rome. On a – discrètement – fêté, cette année, son cinquantième anniversaire…

N.B. : Cette histoire est une pure fiction.

Une expérience de démocratie participative chez Nature & Progrès

Notre inscription dans le champ de l’éducation permanente nous amène à penser, en permanence, une participation optimale de nos concitoyens et de nos membres dans la définition des actions mises en œuvre par notre association. Un nouveau processus délibératif mis en œuvre pour la toute première fois, au sein de notre association, entendit donc clairement remédier, dans la mesure de ses moyens, aux critiques de ceux qui comprennent toujours plus mal les façons de procéder et d’agir de ceux qui nous représentent…

Par Dominique Parizel

A l’initiative de sa locale de Marche-en-Famenne, rappelons-le, Nature & Progrès a donc décidé d’expérimenter une première démarche de démocratie participative, sur le thème « As-tu besoin de ton voisin ? » Un panel citoyen, limité à trente personnes mais néanmoins le plus représentatif possible de notre population, fut donc sélectionné afin de débattre autour de ce thème, les samedis 12 et 19 mars 2022, à Naninne. Dans un souci maximal d’ouverture, il se composait de membres mais également de non-membres de notre association. Vingt-six de ces trente invités étaient finalement présents au moment d’entamer les débats… Tous sans doute pressentaient l’urgence de remettre au centre de nos préoccupations les relations de voisinage, au sein de nos villages et de nos quartiers. De leur qualité, nous le savons tous, dépend grandement celle de nos vies quotidiennes, à tous. Mais comment faire, comment s’y prendre ?

Deux groupes de travail pour déblayer le terrain

Après une séance plénière où furent exposées les principales motivations de Nature & Progrès, deux animateurs chevronnés – Daniel Cauchy et Delphes Dubray – se virent confier la tâche essentielle de proposer aux participants répartis en deux groupes la méthode de travail qui leur permettrait d’explorer fructueusement cette vaste et difficile question. Des problématiques très larges furent donc mises sur la table et discutées, durant la matinée du premier jour, qui permirent de faire surgir des points de tensions et de les dépasser. Dans le premier groupe, par exemple, on se posa notamment cette question évidente : mais qu’est-ce qu’un voisin ? Celui qui vit juste à côté de chez moi, qu’on ne choisit pas et qui ne partage sans doute pas toutes mes valeurs ? Ou, au contraire, celui ou celle avec qui j’ai quelque chose de fort en commun, même s’il ou elle habite à quinze kilomètres de chez moi ? Et, au fond, la petite mésange qui passe chaque jour dans mon jardin n’est-elle pas, elle aussi ma voisine ? Le second groupe se donna pour objectif de voir comment nous pouvons recréer du lien social entre gens qui se sentent proches. La discussion matinale porta ainsi sur les grands principes que nous souhaitons mettre en avant, les valeurs que nous désirons avoir en commun…
Après ce travail exploratoire, quelques grandes lignes de préoccupations se dégagèrent, dès le début de l’après-midi, sur lesquelles chaque groupe pu marquer un consensus. Mais que pouvons-nous faire, à présent, de manière concrète par rapport aux situations qui furent décrites le matin ? Voici la question nouvelle que chaque groupe se posa. En consultant longuement ses voisins de table, chacun des participants fut alors invité à formuler une série de propositions, en s’assurant par la discussion qu’elles soient suffisamment explicites et intelligibles pour être comprises par tous. Toutes ces propositions furent enfin exprimées et discutées au sein de chacun des groupes…

Une seconde journée pour affiner la matière brute

La nouvelle journée s’ouvrit par une séance plénière dont l’objectif fut de regrouper et de répartir l’ensemble des idées émises, lors de la première journée – la matière brute -, au sein des quatre « domaines » qui manifestement s’en dégageaient. Une meilleure articulation des idées dans ces différents domaines devrait ensuite permettre à des propositions concrètes d’émerger. Ces quatre domaines furent :
1- le réseautage
2- la formation
3- l’accompagnement
4- l’organisation des échanges
Chaque participant fut alors invité à se placer devant son thème, son domaine de prédilection, celui où il avait clairement le plus envie de s’investir encore. Deux nouveaux groupes de travail furent ainsi composés. Après une phase de remise en mémoire des idées exprimées la veille, un reclassement s’opéra en quatre nouveaux paquets devant correspondre à autant de propositions concrètes. Après affinage et clarification, chaque paquet, chaque thème fit l’objet d’une nouvelle discussion, par groupes de deux ou trois personnes, avec la mission très explicite de formuler un projet concret. En début d’après-midi, les groupes, dans leur totalité, discutèrent ensemble, une fois encore, de chacun des projets qui seraient ensuite proposés en séance plénière, dans un esprit de bonification et afin de parvenir à rendre les propositions toujours plus applicables dans la réalité.
Dix propositions furent ainsi mises en commun, en séance plénière, deux d’entre elles ayant finalement dû être splittées. Après une nouvelle phase d’explications par leurs concepteurs, elles furent proposées à la notation de l’ensemble des participants du panel citoyen, chaque votant disposant de cinq voix qu’il fut entièrement libre de répartir comme il le souhaitait…

Verdict final : les propositions citoyennes, telles qu’elles furent formulées !

Hors des dix propositions que nous vous livrons, ci-après, telles qu’elles ont été formulées par leurs concepteurs, les quatre propositions en lettres grasses sont celles qui émergèrent du scrutin et furent finalement retenues. On trouvera, entre parenthèses, le nombre de voix récoltées par chaque projet.

1- Créer un réseau interne des membres de Nature & Progrès où les acteurs peuvent se retrouver en fonction de leur localisation et de leurs compétences. Se connaître entre soi. Bottin, site Internet, carte interactive, les locales prennent le relais. (15)
2- Réseautage externe avec d’autres associations et échange de formations entre associations. (2)
3- Identifier les acteurs en lien avec les publics précarisés et créer des partenariats de diffusion de l’information avec les différentes instances. Ajouter un onglet : « retour d’expérience et suivi des événements » sur le site de Nature & Progrès et créer un groupe alimenté par les participants. (3)
4- Proposer de répondre davantage aux demandes de formation concrètes sur les thématiques de Nature & Progrès et sur les dynamiques de groupes. (0)
5- Créer un mallette pédagogique contenant un projet à long terme à destination du public jeune 12-18 ans (avec suivi par les jeunes). (17)
6- Créer un système de parrainage entre les agriculteurs signataires de la Charte de Nature & Progrès et les conventionnels en transition. (2)
7- Fournir un outil méthodologique pour identifier les besoins des particuliers / voisins dans une optique d’un projet commun. (6)
8- créer une carte interactive des jardins de particuliers dans un esprit d’échange de savoirs. (9)
9- Comment susciter l’intérêt des habitants sur la problématique du « vivre ensemble » ? Méthodologie d’approche d’une population (prise de contact). Création d’une mallette pédagogique permettant de débattre sur le « vivre ensemble ». (15)
10- Démarrage, soutien et suivi d’initiatives locales. Nature & Progrès propose des bonnes pratiques, son expertise et son label afin d’être une courroie de transmission entre les porteurs d’initiatives locales et les autorités.
Trois piliers : Méthodologie, soutien et ressources, communication.
Trois étapes : aide au démarrage, concrétisation, suivi et pérennisation.
Exemples d’initiatives locales : compost communautaire, réalisation de plans de plantation, boîtes à livres et à semences, jardins potagers (partagés), vergers collectifs, fours à pains, achats groupés, glanage, balades gourmandes, etc. (18)

Que faire à présent ?

Deux nouveaux champs de travail s’ouvrent maintenant chez Nature & Progrès.
Comme promis, d’une part, le Conseil d’administration de notre association va se pencher sur les propositions retenues et les analyser. Il lui appartiendra ainsi d’examiner dans quelle mesure la créativité citoyenne sera en mesure de dynamiser et d’apporter un supplément de légitimité à son action, mais surtout de déterminer quels moyens il pourra mobiliser afin de les mener à bien. Nous vous tiendrons évidemment informé des décisions qu’il prendra, dans les prochains numéros de votre revue.
D’autre part, le « comité de pilotage » chargé de suivre le projet sera évidemment appelé à évaluer la cohérence de l’action menée afin de mettre en évidence ses atouts et ses lacunes. Pareille tentative d’amélioration, de transformation du processus délibératif ne peut, en effet, se comprendre que dans la durée. D’autres projets semblables suivront donc celui-ci. Les intentions et les moyens mis en œuvre seront donc immanquablement appelés, eux aussi, à s’affiner mais une association comme la nôtre ne peut évidemment pas espérer améliorer ses pratiques démocratiques sans la participation active de ses membres. Le comité chargé du suivi de ces actions va donc prochainement se renouveler. Car critiquer la démocratie est une chose mais la faire vivre en est une autre…

Fédérer les acteurs de la transition en sensibilisant à l’alimentation bio et locale

En décembre 2021, grâce à un atelier participatif, le Réseau RADiS (Réseau Alimentaire Dinant Solidaire), mené par Nature & Progrès et la Fondation Cyrys FUP, a défini sa vision et ses missions. Avec le concours de citoyens, nous souhaitons soutenir et développer la transition de la région dinantaise vers une alimentation bio et locale, respectueuse des Hommes et de la Terre, en favorisant la solidarité et l’implication de tous…

Par Sylvie La Spina

Au cœur de nos missions, la sensibilisation des citoyens à l’alimentation bio et locale doit permettre de fédérer une communauté d’acteurs solidaires de la transition écologique et sociétale. Un petit groupe de citoyens, les Radicelles, s’est ainsi constitué pour se pencher sur ces questions. En amont de notre première réunion, nous avons tenté de rassembler un maximum d’idées : comment sensibiliser les citoyens au bio local ? Via quels arguments, quels outils, quelles activités ? Un sondage a été lancé auprès des membres du Réseau RADiS et de Nature & Progrès, et via les réseaux sociaux. Grâce aux trente-neuf participants et aux échanges qui ont eu lieu lors de notre réunion du 20 février, nous avons collecté une foule d’idées, source d’inspiration ! Nous vous en partageons les fruits dans cet article.

Le bio, meilleur pour la santé

Premier argument de nos participants : l’alimentation bio et locale est meilleure pour notre santé. Vu les effets délétères des OGM et des pesticides chimiques de synthèse, dont la plupart sont classés cancérigènes ou perturbateurs endocriniens, on ne peut aujourd’hui plus le nier ! Si l’on manque d’éléments scientifiques pour démontrer un effet du mode de culture sur la qualité nutritionnelle, il est évident qu’une alimentation locale permet d’assurer la fraicheur de nos fruits et légumes, avec une meilleure préservation des vitamines et des éléments essentiels. Les éleveurs témoignent souvent que, depuis qu’ils sont passés en bio, leurs vaches voient bien moins souvent le vétérinaire… Pourquoi n’en serait-il pas de même avec notre médecin ?
« Il faudrait donner davantage d’informations concernant la santé et la dangerosité des produits non bio » – Philippe P.
« Il serait intéressant de partager de données « scientifiques » illustrées sur la différence de valeur nutritive » – Diane O.

Protéger la planète

Les produits chimiques de synthèse sont des poisons pour notre environnement et pour la biodiversité, ce que ne manquent pas de rappeler les participants à notre sondage. Ils mettent aussi en avant l’intérêt écologique du circuit court local via la réduction des pollutions associées aux transports et, de manière générale, la moindre empreinte écologique et carbone de l’alimentation bio locale. Ces arguments liés à l’environnement sont aujourd’hui incontournables et puissants, quand on constate les conséquences des changements climatiques sur notre quotidien. Et si nous apportions aux citoyens des démonstrations, par l’information et… l’observation !
« La terre produit mieux si elle est respectée » – Ariane D.
« Nous pourrions montrer concrètement sur le terrain ce que ça change de produire bio » – Mathilde R.
« Il faudrait informer par la diffusion de films très courts montrant les effets des épandages sur les cultures de produits toxiques, tel que le glyphosate » – Naïma.

Soutenir nos producteurs bio locaux

La relocalisation de notre alimentation bio permet la création d’emplois non délocalisables et renforce l’autonomie alimentaire, l’économie locale et circulaire. De nombreux participants aux réflexions ont partagé leur fierté de contribuer à faire vivre des familles de producteurs, à valoriser leur travail et leur démarche. Le lien direct avec le producteur permet davantage de solidarité et des prix plus équitables. Il est donc important de (re)créer le lien entre les mangeurs et leurs voisins producteurs et artisans.
« Manger local, c’est aider des personnes que l’on connait à vivre de leur passion/travail. Allons visiter des maraichers, des artisans, des transformateurs de produits » – Marie-Christine H.

Et si nous sortions un peu de l’idéologie ?

Santé, environnement et société, nous venons de faire un tour des arguments idéologiques, des convictions qui poussent les personnes les plus sensibilisées à passer à l’action. Mais ces idéaux ne sont-ils pas perçus comme une contrainte par de nombreuses personnes ? « Il faudrait que je mange mieux pour ma santé, il faudrait que je participe à préserver la nature, il faudrait que j’arrête de fumer… Allez, demain, j’arrête ». Ce peut être culpabilisant, s’apparenter à une corvée pour des personnes déjà submergées par les tracas du quotidien et qui aspirent à plus de… plaisir. Parlons-en aussi !
« J’exprime l’importance de mon choix, la cohérence que cela m’apporte et qui m’est nécessaire, la joie que cela me procure. Essayer de convaincre ne marche pas : personne n’aime que quelqu’un d’autre lui dicte ce qu’il doit faire » – Philippe G.

Le plaisir du goût

Goûter, c’est adopter ! Parmi les activités recensées, les ateliers de dégustation sont une manière de mettre en avant le goût et la qualité, mais aussi de stimuler l’envie de cuisiner. La marche gourmande associe le plaisir de la bouche, la convivialité et la découverte du milieu environnant les fermes.
« Des dégustations pour goûter la différence, y compris par des actions de soutien et de promotion des restaurateurs locaux engagés dans le bio local » – Diane O.

Le plaisir de cuisiner

Choisir une alimentation bio et locale nous encourage à respecter les saisons et nous invite à davantage de créativité en cuisine. La qualité des produits donne envie de cuisiner et de partager les bons repas avec son entourage ! Le manque de savoir-faire est souvent un obstacle : de nombreuses personnes n’ont pas appris à cuisiner et sont assez démunies devant les légumes et les pièces de viande des producteurs locaux. Des ateliers culinaires sont une solution alliant partage et convivialité ; on peut même y donner des astuces pour économiser le temps en cuisine, lui aussi précieux.
« Il est essentiel d’amener les gens à retrouver du plaisir derrière les fourneaux ! » – Sandrine D.
« Manger bio local met des limites qui nous rendent le plaisir de varier davantage notre alimentation au fil des saisons et d’inventer de nouvelles recettes » – Benoit V.
« Des recettes simples à réaliser et à bas coût » – Joëlle R.

Le plaisir de retrouver le lien

L’alimentation bio locale est créatrice de liens entre les personnes, elle reconnecte les citoyens au milieu rural et naturel. Les maraîchers proposant de l’autocueillette permettent une activité conviviale en famille au milieu des légumes et des fleurs. Un petit tour à la boucherie de la ferme, c’est le rendez-vous avec les animaux qui paissent aux alentours. Les chantiers participatifs sont l’occasion de mettre la main à la pâte dans une ambiance conviviale. D’ailleurs, l’accueil social à la ferme et la zoothérapie prouvent combien la reconnexion avec le milieu rural fait du bien au moral !
« Ça reconnecte les gens à la nature, ça reconnecte les gens aux autres » – Céline B.

Et pourquoi ne pas manger bio local ?

Si beaucoup d’arguments nous poussent à choisir une alimentation bio locale, certains freins existent également. Nous les avions inventoriés dans le cadre de nos réflexions sur l’accessibilité de l’alimentation bio locale pour tous : le prix, le temps, la capacité physique, la mobilité, l’estime de soi, le savoir-faire, les infrastructures et l’information. Et si nous imaginions des actions permettant de démonter ces freins ?

Le bio, trop cher ?

C’est la principale pierre d’achoppement de l’alimentation bio locale : son prix ! Sans refaire ici tout le débat sur la question, on peut imaginer des actions sur ce thème. En premier lieu, pour informer sur les écarts de prix souvent exagérés dans l’imaginaire collectif. En second lieu, pour relativiser cette hausse du prix par rapport aux coûts cachés de l’alimentation industrielle, liés à l’environnement et à la santé. Et enfin, parce que le budget de certains reste malheureusement limité et limitant, pour donner des pistes afin de parvenir malgré tout à opter pour le bio local.
« Le prix rebute encore car les gens n’ont pas conscience que de l’argent investi localement leur revient indirectement au travers du développement local. Conscientiser au fait que les choix de consommation sont le meilleur moyen de créer le monde qu’ils veulent » – Audrey D.
« Donner des pistes pour que le coût reste raisonnable tout en sensibilisant au fait que c’est normal de dédier une bonne partie de son budget à l’alimentation qui est un besoin primaire ! » – Mathilde R.
« Le bio local permet de se nourrir sainement sans se ruiner pour autant que les familles acceptent de revenir à des recettes et en-cas simples, composés de produits de base qui ont toujours existé dans nos régions » – Philippe G.

Informer !

Manger bio local ? D’accord. Mais où se procurer ces bons produits, comment rencontrer les artisans de ma région ? Comment connaitre les fruits et légumes de saison ? Une information peut être un petit coup de pouce pour passer à l’action !
« Un livret recueil des producteurs et revendeurs bio locaux » – Caroline P.
« Nous pourrions mettre en place une formation sur le rythme des saisons. Il n’y a pas de fraises à Noël ni de tomates » – Jacqueline G.

Faire tache d’huile

Faites ce que je fais, pas ce que je dis ! Montrons à nos voisins, à nos amis, à notre famille, notre engagement dans le bio local. Non, non, ce n’est pas un mouvement marginal « de niche », nous sommes nombreux à nous inscrire dans cette démarche, faisons-le savoir ! Invitons notre entourage dans la bienveillance, en veillant à ne pas mettre de pression, ni à culpabiliser.
« Comme avec les enfants, ils copient ce qu’on fait, pas ce qu’on dit. Donc, je montre à mes voisins, à mes collègues, à mes amis, à mes enfants » – Laurence.
« Vente ou distribution d’autocollants « Je mange bio et local » à mettre sur ses fenêtres (maisons, voitures) pour montrer l’adhésion de certains et faire petit à petit tache d’huile » – Ariane D.

Diversifier pour toucher

A chacun ses affinités, ses préoccupations, ses envies, ses freins ! La diversité des actions et des activités mises en place pour sensibiliser les citoyens permet de toucher des personnes aux horizons très différents. N’oublions pas les activités ludiques sous forme de jeux : la convivialité est la pièce maîtresse pour attirer et fidéliser les personnes, leur donner goût à une autre manière de s’alimenter et de se relier aux autres.
« Vouloir sensibiliser tout le monde revient souvent à ne toucher personne (ou quasi !). Chaque groupe de personnes peut être sensibilisé par un aspect différent : par exemple, « nourriture saine » pour les parents ayant de jeunes enfants (il me semble que c’est une raison souvent avancée) » – Patricia G.

Et la suite ?

Les Radicelles se lancent maintenant dans l’action ! Nous élaborons ensemble un programme de visites de fermes, pendant toute la belle saison 2022, qui se clôturera par un événement convivial au mois de septembre. N’hésitez pas à nous rejoindre, en région dinantaise – www.reseau-radis.be -,

Femmes agricultrices

Longtemps invisibilisé bien qu’essentiel, le travail des femmes (1) dans l’agriculture commence petit à petit à être mis en avant et revalorisé. Mais, même si les savoirs assignés aux femmes sont mieux reconnus et que certaines tâches associées au masculin leur sont plus accessibles dans l’agriculture comme dans toutes les sphères de nos sociétés occidentales, les inégalités de genre sont encore nombreuses, quotidiennes, tenaces…

Par Maylis Arnould

Elles représentent 14% des chefs d’exploitations en Belgique – pour 25% en France – et 30% de la main-d’œuvre agricole – en France comme en Belgique. Pourtant, elles ne commencent à avoir de vrais droits qu’à partir de 2005, les branches féminines des anciens syndicats agricoles (AAB et UPA) s’étant regroupées, en 2001, en une Union des Agricultrices Wallonnes (UAW). Il est encore aujourd’hui plus compliqué pour une femme seule d’acheter des terres que pour un homme ; trouver sa place dans le monde agricole, quand on est une femme, n’est pas une chose simple.

Invisibilité du travail domestique, l’exemple du conjoint-aidant

« Au niveau valorisation, moi, qu’est-ce que j’ai été pendant des années ? Rien ! J’ai été l’épouse. Je n’avais pas de statut d’agricultrice, d’aide au côté de mon mari. […] Le statut d’épouse agricultrice n’a pas de place. » Ces mots ce sont ceux d’une agricultrice rencontrée lors d’entretiens réalisés pour mon mémoire, en 2019. Le sentiment d’injustice et la colère liés à l’absence de prise en considération des savoirs et du travail des « femmes de » commencent, petit à petit, à passer du cercle privé à la sphère publique. La parole s’ouvre et les injustices commencent à envahir la partie visible de l’iceberg.
Si l’on revient un peu en arrière et que l’on remonte avant l’arrivée de la mécanisation dans l’agriculture, « les femmes participaient aux tâches agricoles, notamment lors de pics d’activités comme les labours et semis, les moissons ou l’entretien des parcelles cultivées par le désherbage, ou encore, dans le contexte du vignoble beaujolais, le liage ou encore l’agrafage des vignes. Suite à la moto-mécanisation des techniques de production dans le but d’augmenter la productivité de leur travail, et en lien avec la politique de vulgarisation d’une agriculture rentable fondée sur une logique familiale de production, les exploitations familiales agricoles ont peu à peu transféré aux engins agricoles les tâches traditionnellement destinées aux enfants et aux femmes. Les épouses se sont alors souvent retrouvées reléguées exclusivement à l’environnement domestique. (2) » Avec la « révolution verte » et l’utilisation de la mécanisation et de produits pétrochimiques, on arrive à une « masculinisation des professions agricoles », les femmes qui ne quittent pas la ruralité mais ont plutôt tendance à se tourner vers des professions en dehors des fermes, et celles qui restent travailler sur les fermes on très peu, voire pas du tout, de reconnaissance. Elles sont bien souvent assignées aux tâches invisibles comme l’entretien de la maison et la garde des enfants, la gestion administrative ou encore l’organisation sociale.
Le meilleur exemple du manque de reconnaissance des « femmes d’agriculteurs », c’est l’histoire du statut de « conjoint-aidant ». En Belgique, en 2014, 96,6% des personnes enregistré.e.s comme « conjoint aidant », sous la thématique « agriculture » sont des femmes ! Ce statut, mis en place en 1990, devra attendre 2005 pour comporter de réels droits pour les personnes qu’il représente. Avant l’arrivée de ce statut au niveau « maxi statut », en 2005 (3), les agricultrices étaient sans rien : pas de droit social, pas de reconnaissance professionnelle. Or ce statut permet une reconnaissance partielle du travail des femmes sur les exploitations agricoles de leurs maris, comme l’accès à la retraite ou à la sécurité sociale. Pourtant l’intitulé même de ce statut est représentatif d’une partie du problème. Les tâches généralement assignées aux femmes sont considérées comme une « aide » aux travaux réalisés par les hommes, et non à valeur égale. A la même échelle que ce qui a été appelé « le travail domestique », tout ce qui est éphémère ou tout ce qui n’est pas réalisé par un homme dans les fermes à tendance à être invisible. C’est cette situation que les autrices de la BD « Il est où le patron ? » (4) réussissent à montrer avec humour : alors que l’exploitation est commune, la femme n’est jamais le patron ! Ce n’est jamais à elle qu’on s’adresse pour les matériaux ou les conversations mécaniques. Dans l’imagerie collective, elle travaille pour son conjoint…

S’installer comme agricultrice : la réalité à laquelle sont confrontées les femmes…

En parallèle, depuis plusieurs années, des femmes investissent le milieu agricole sans forcément être « la conjointe de » ou être nées à la ferme. Mais elles subissent, elles aussi, les effets néfastes du patriarcat au quotidien : difficulté à s’installer en tant que femme seule, ambiance machiste, faible présence de femmes dans l’espace public ou les réunions, sexisme ordinaire en milieu rural/agricole ou encore difficultés à faire entendre et accepter certaines notions féministes…
Pourtant leur présence est primordiale car, comme nous pouvons le voir dans diverses études et articles, elles ont davantage tendance à tendre vers une agriculture biologique et à se tourner vers des pratiques moins destructrices. « Ces travaux montrent qu’aujourd’hui les femmes sont plus souvent impliquées dans des démarches alternatives et innovantes (Jarosz 2011) ou apportent une nouvelle vision de l’agriculture et de nouvelles pratiques (Giraud, Rémy 2013). Recensements agricoles américains et français montrent d’ailleurs bien que les agricultrices sont plus souvent impliquées dans les circuits courts de distribution, l’agriculture biologique, les activités de loisirs à la ferme ou d’hébergements touristiques. Elles sont également plus à même d’être à l’initiative de marchés de proximité (Agreste 2012 ; USDA 2014). Globalement, elles sont plus souvent impliquées dans des activités de diversification agricole. (5) » La tendance à « prendre soin » (6), dans laquelle les femmes ont été poussées, les amène à une plus grande prise en compte de la chaîne du vivant et ainsi à vouloir davantage protéger leur environnement et les ses habitant.e.s, que ce soit la faune ou la flore. Aussi peuvent-elles valoriser ces liens, avec la diversification, et donc conserver une dynamique sociale qui leur permet de sortir de l’isolement et de valoriser des compétences comme la cuisine, l’accueil ou la vente…
Mais, même si elles peuvent être positives, ces tendances pourraient perpétuer l’enfermement des femmes dans des tâches « traditionnelles » et encourager, comme nous l’indique l’article « Agricultrices et diversification agricole » cité ci-avant, « la persistance d’une division traditionnelle du travail où les hommes exercent des activités d’extérieur et mécaniques, les femmes des tâches plus à même d’être réalisées à l’intérieur ou proche du foyer. Nos résultats montrent également que les femmes qui pratiquent l’agriculture seules (ou avec leur conjointe ou leur fille), ont tendance à être moins impliquées dans les travaux des champs ou mécaniques. »

Vers un nouveau modèle agricole ?

Tout cela nous amène à la conclusion qu’il n’y aura pas de nouveau modèle agricole sans une remise en question des rapports de genre. C’est-à-dire, entre autres, sans valorisation du travail dit « domestique », sans réappropriation des espaces de soin et d’éducation par les hommes, sans penser les dominations de manière globale.
Donner des outils d’action et de pensée pour transformer, en profondeur, nos rapports agricoles et humains, voilà la mission que se sont donnée des femmes, partout dans le monde, qui sont parfois qualifiées d’écoféministes. L’écoféminisme est un mouvement pluriel et mouvant qu’il est difficile de définir mais qui comporte une base commune : la mise en évidence du lien entre patriarcat, crise écologique et capitalisme. Il s’agit ici de regrouper toutes les formes de dominations et de montrer qu’une société nouvelle se fera sans domination ou ne se fera pas. Les idées et les pensées écoféministes sont multiples, là réside toute sa richesse. Cela passe par la réappropriation de ce qui a été considéré comme « inférieur » ou faible – soin, nature, corps -, au sein de la vision de l’agriculture dans sa globalité en y incluant l’espèce humaine, la bienveillance et la prise de soin au cœur des relations et des actions, le respect des émotions et non leur dévalorisation au profit de la rationalité, la revalorisation des savoirs assignés aux femmes comme des savoirs de pouvoir – cuisiner, cultiver et utiliser les plantes médicinales, soigner son environnement et ses proches, etc. – ou encore la réappropriation du domaine de l’intime – auto-gynécologie, sage-femme féministe , accouchement plus naturel, etc. (7)

Conclusion (temporaire)

Chez Nature & Progrès, la biodiversité est partout au cœur de nos réflexions. Nous savons que cloisonner la pensée agricole dans des cénacles de patriarches rassis nous mène à la catastrophe. Un Metoo paysan est-il cependant pour demain ? Faut-il l’appeler de nos vœux ? Cette question doit être sur la table en permanence afin que chacun et chacune trouve paisiblement sa meilleure place au sein du système alimentaire. Un souci de chaque instant, indispensable certainement pour évoluer vers de nouveaux modèles agricoles…

Notes :
(1) Nous choisirons d’utiliser ici le terme « femme » dans le sens de « toute personne qui se définit comme du genre féminin, que ce soit en accord avec son sexe attribué à la naissance ou non ».
(2) Mickaël Ramseyer et Hélène Guétat-Bernard. « Égalité de genre en agriculture et logiques familiales », Pour, vol. 222, no 2, 2014, pp. 101-106
(3) Son équivalent en France arrive en 2006, et porte l’appellation de « conjoint collaborateur ».
(4) Les Paysannes en polaire et Maud Bénézit, « Il est ou le patron ? Chronique de paysannes », Marabout, 2021
(5) Alexis Annes et Wynne Wright. « Agricultrices et diversification agricole : l’empowerment pour comprendre l’évolution des rapports de pouvoir sur les exploitations en France et aux États-Unis », Cahiers du Genre, vol. 63, no. 2, 2017, pp. 99-120.
(6) Tendance aussi appelée « éthique du care », c’est-à-dire du soin, et donc un souci, une attitude vis-à-vis d’autrui – se soucier de – et tout un ensemble d’activités du quotidien comme s’occuper des personnes vulnérables – petites et grandes -, se nourrir, faire le ménage, prendre soin de ses ainé.e.s…

La bio et les profiteurs de guerre

La surprise fut totale, ou presque. La guerre et son cortège de barbarie soudain nous écœure. Nous le savions pourtant pertinemment, depuis l’offensive Von Rundstedt, l’ex-Yougoslavie, le Rwanda, la guerre en Syrie… Et pourtant nous sommes encore surpris, non seulement par les cadavres mutilés qui jonchent les rues de villes qui ressemblent étrangement aux nôtres, mais plus encore par les manœuvres insensées de ceux qui, « n’écoutant que leur bon cœur », instrumentalisent déjà la situation…

Par Marc Fichers et Dominique Parizel

On ne saura jamais quelle mouche l’a piqué. Mais elle l’a piqué. Poutine l’a fait. Mû par un complexe de raisons que lui seul connaît. En Ukraine, les hommes s’arc-boutent et résistent. Femmes et enfants ont quitté le pays, par millions, cherchant refuge à l’Ouest. Les médias déversent sur nous leurs flots d’horreurs, cherchant à discerner l’info de l’intox, à comprendre s’il y a vraiment quelque chose à comprendre…

Contexte historique

L’Ukraine, pour ceux qui l’auraient oublié, fit jadis partie de l’Empire des Tsars, puis de l’URSS. Staline y « favorisa » un de ses pires crimes : Holodomor, la grande famine de 1932-33 qui fit – selon les sources ! – deux millions et demi de morts, ou peut-être même le double… Car l’Ukraine est un pays essentiellement agricole, un pays énorme, plus vaste que la France. Indépendant depuis 1991, il resta dans le giron russe jusqu’à une première révolution, dite « Révolution orange », en 2004, conséquence d’un affrontement électoral entre le pro-russe Viktor Ianoukovytch et Viktor Iouchtchenko, finalement élu. Suivit une longue période d’instabilité, marquée par les déboires de la célèbre première ministre Ioulia Tymochenko, puis l’arrivée à la présidence du susnommé Ianoukovytch qui relança le « dialogue » avec Moscou. L’Ukraine, avide de démocratie et d’Occident, se cabra à nouveau, ce fut la « Révolution du Maïdan », de février 2014, qui renvoya le régime pro-Russe. La guerre éclata alors en avril, à l’est, dans les régions industrielles de Donetsk et de Louhansk – le Donbass, vaste bassin houiller sur le fleuve Don – où les pro-Russes, majoritaires, furent soutenus militairement par le régime de Vladimir Poutine. La Crimée – presqu’île du sud de l’Ukraine – proclama sa souveraineté et fut de facto annexée par la Russie. Un nouveau président ukrainien, l’homme d’affaires Petro Porochenko, joua alors les bons offices mais l’antagonisme entre l’Ukraine et son grand voisin ne fit que s’accentuer. Volodymyr Zelensky lui succéda cinq ans plus tard, ne faisant que réaffirmer les volontés d’affranchissement du pays à l’égard du « grand frère » russe… dont les chars entrèrent en Ukraine le 24 février 2022. Ce fut aussi le début d’intenses bombardements qui rappelèrent étrangement le sort funeste d’Alep, en Syrie. Pour n’évoquer que cette seule ville martyre…

L’agriculture nourrit, le pétrole aussi…

L’Ukraine, nous l’avons dit, est une immense terre agricole. Dès le début de l’invasion russe, le lien parut limpide entre les denrées qui y sont produites – de même qu’en Russie qui seraient immanquablement soumises à embargo – et tous les malheureux qui n’en bénéficieraient plus. Vingt-cinq pays africains par exemple, expliqua-t-on alors, dépendent directement des importations russes et ukrainiennes pour leurs produits agricoles de base (1) et il faut les aider, de toute urgence, car la pénurie guette ! Ainsi le Sénégal importe-t-il les deux tiers de son blé des pays belligérants. Ses voisins, la Guinée et le Mali, rien du tout ! La famine, pour autant, guette-t-elle davantage au Sénégal qu’en Guinée ou au Mali ? C’est que là-bas, vous savez, on mange plutôt du mil, du sorgho ou du maïs produits localement (2), ce sont les nouvelles boulangeries industrielles qui importent le blé ! Mais de cela tout le monde apparemment s’est bien moqué, il fallait, le temps de la supercherie, que les Sénégalais eussent faim de blé !
La vérité est évidemment plus complexe. Mais hélas pas moins grave. La soudaine flambée des prix du gaz et du pétrole – par ailleurs éminemment prévisible vu l’attitude des membres de l’OPEP (3) – fait grimper ceux des engrais et, par conséquent, ceux des céréales produites par l’agro-industrie, en ce compris bien sûr celles qui sont destinées… aux animaux ! D’où le fait que la viande devient impayable mais aussi les fruits et les légumes produits sous serres, ainsi que les produits de la pêche industrielle ! Pour les pays en développement, c’est cette façon de produire des denrées de première nécessité qui, selon la FAO, mènera à la famine entre huit et treize millions de personnes supplémentaires. Seules solutions envisageables : sortir d’urgence l’agriculture des énergies fossiles et mettre en place une « exception agricole » en matière commerciale (4). Dans les pays les plus riches, c’est la spéculation sur les denrées qui ne fera qu’accroître encore l’inflation. D’où un bond soudain, de l’ordre de 3 à 4% de l’ensemble de nos denrées alimentaires… Car ce n’est pas avec une terre fertile que l’agro-industrie nourrit le monde. C’est avec du pétrole !
Pourtant, dès que le grincement des vieux chars russes se fit entendre, des positionnements politiques étranges surgirent visant à intensifier, en Europe, le modèle agricole productiviste dominant, sous le funeste prétexte qu’il fallait absolument nourrir d’urgence ceux que la guerre priverait des livraisons de céréales et d’huile de tournesol venues de Russie et d’Ukraine. Ceux qui portaient ce discours avaient alors des objectifs bien précis :
– réclamer la fin du Green Deal européen qui vise justement à rendre l’agriculture plus autonome, en l’affranchissant au maximum des pesticides chimiques grâce au développement de zones de biodiversité où se multiplient les prédateurs des insectes nuisibles,
– faire d’urgence marche arrière dans la stratégie « De la fourche à la fourchette » visant une diminution de 50% de l’utilisation et du risque des pesticides, une réduction de 20% des engrais chimiques et un objectif de 25% de terres en bio pour 2030…
Cherchez à qui le crime profite…

L’attitude insensée des Institutions européennes

Revoir les ambitions de la stratégie « De la fourche à la fourchette » pour garantir l’alimentation de tous ? Le contresens est total. Car le Green Deal est un projet qui donne un avenir à l’agriculture mais la guerre ne fait que de confirmer sa fragilité. Il faudrait donc augmenter d’urgence les pourcentages qu’impose plutôt que les réduire. Or il faudrait cultiver les jachères et laisser les pesticides « protéger » les plantes pour assurer les rendements, alors que l’augmentation du coût de l’énergie – et, corollairement, celui des engrais – provoquera inéluctablement celle du coût des productions agricoles intensives ! Voilà la fable gobée par le Commissaire européen à l’agriculture, le Polonais Janusz Wojciechowski, qui appela… au report des réformes environnementales prévues, tout en demandant que les agriculteurs européens ne soient pas « accablés » par de nouvelles obligations !
En plus de cela, en Europe, les associations professionnelles conventionnelles exploitent la situation politique (5) pour demander une dérogation aux limites maximales de résidus (LMR) imposées par l’Union européenne, en ce qui concerne les pesticides dans les produits alimentaires et les aliments pour animaux importés ! Cette dérogation permettrait aux produits de base, non conformes aux normes de sécurité européennes, d’accéder au marché intérieur européen pendant six mois ! Ces organisations omettent évidemment de préciser que, si des pesticides sont interdits d’usage en Europe, c’est justement en raison de leur dangerosité pour l’environnement et la santé. On tire allègrement profit de la situation, et sans scrupule aucun. Et, pendant ce temps, sur le sol ukrainien, les exactions commencent… Les lobbys industriels liées à l’agriculture intensive en profitent pour faire progresser leurs « idéaux », leur unique ambition de laisser prospérer les exploitants agricoles comme premiers fournisseurs d’ingrédients pour l’industrie agro-alimentaire. Et comme premier client des industries d’intrants chimiques, qu’ils soient de Russie ou d’ailleurs…
La réalité – mais l’avons-nous déjà rappelé ? – est qu’un quart des engrais azotés utilisés dans l’Union européenne viennent… de Russie ! La vérité est que l’Union européenne achète énormément de céréales ukrainiennes et russes – principalement du maïs – pour nourrir ses animaux de boucherie ! Les organisations agricoles productivistes, quant à elles, ne savent penser que le court terme : elles voient ce que les nouvelles normes environnementales pourraient les empêcher de produire. Elles ne voient jamais à ce que leurs propres méthodes vont engendrer comme dégâts qui, de toutes façons, les empêcheront bientôt de produire ! Elles ne voient pas que la réduction des intrants chimiques donne de l’autonomie à notre production alimentaire. Quelle dose de mauvaise foi leur faut-il, par exemple, pour ne pas admettre ce que coûte déjà la baisse d’activité des pollinisateurs dont les néonicotinoïdes sont indiscutablement la cause ?

Où sont passés les Européens de bonne foi ?

« Ne laissons pas la place au lobby vert, au lobby de la faim dans le monde », a déclaré – sans rire ! – Christiane Lambert, présidente du COPA-Cogeca, l’union des syndicats agricoles européens et des coopératives, lors du Congrès de la FNSEA, le syndicat majoritaire français, les 29 et 30 mars à Besançon !
L’Europe pourtant, avec sa stratégie « De la fourche à la fourchette », entendit sortir l’agriculture de l’impasse et lui donner la chance d’une transition. Où sont soudain passés ses défenseurs ? Sont-ils partis en vacances au pôle Nord ? Ou au fond d’une mine de charbon ? Pareille transition fut initiée, il y a cinquante ans, par les agriculteurs et les consommateurs biologiques. Les bio furent des visionnaires, eux qui développèrent un mode de production alimentaire basé sur le respect de l’homme et des écosystèmes. Le seul qui fonctionne ! Leur travail fut récompensé par l’engouement et le soutien sans faille des consommateurs envers les produits bio. Cette production agricole a développé des techniques de production très performantes qui font sans cesse augmenter la rentabilité des fermes mais en préservant notre idéal agricole : en développement leur autonomie, et sans engrais ni pesticides chimiques de synthèse ! Ce plébiscite public ébranle aujourd’hui les industries chimiques et agricoles prêtes à faire flèche de tout bois pour maintenir la production intensive ; elles veulent que l’agriculture demeure un client de l’industrie des engrais et des pesticides chimiques et un fournisseur d’ingrédients bon marchés pour les usines agroalimentaires qui vendront la nourriture aux quatre coins du monde. Elles oublient un peu vite que la stratégie « De la fourche à la fourchette » n’a finalement abouti qu’avec le constat flagrant que l’agriculture européenne est dans l’impasse ! Elle est dans l’impasse parce que son addiction absurde aux pesticides et aux engrais chimiques en a fait la première arme de destruction massive de la nature et de la biodiversité (7). Elle est dans l’impasse parce que sa dépendance aux énergies fossiles – à travers les engrais azotés, liés à l’utilisation du gaz naturel (8) et la mécanisation à outrance – compromettent gravement sa rentabilité. Il ne s’agit plus d’agriculture mais de la vulgaire fonction de fourniture d’ingrédients à l’agro-industrie, il ne s’agit plus de nourrir les humains mais d’alimenter un marché de produits toujours plus douteux. Une guerre commerciale où la seule loi est celle du profit ! Revendiquer le droit de cultiver les malheureux 4%, initialement prévus pour maintenir un peu de biodiversité dans les campagnes, ne traduit plus qu’un aveuglement qui empêche toute remise en question. Et pourtant, les experts parlent plutôt de 10%, si l’on veut espérer stopper l’augmentation effrénée des quantités de pesticides épandus sur nos champs (9).
Même constat là-bas : les agriculteurs ukrainiens – qui ont produit une récolte céréalière record l’année dernière – disent qu’ils manquent aujourd’hui d’engrais, ainsi que de pesticides et d’herbicides. Et même s’ils disposaient d’une quantité suffisante de ces matériaux, ils ne pourraient pas obtenir assez de carburant pour alimenter leurs équipements, ajoutent-ils… En Ukraine où la plus grande exploitation céréalière – 654.000 hectares ! – est détenue par l’oligarque Oleg Bakhmatiouk et le géant américain Cargill, et la seconde – 450.000 hectares ! – par le fonds de pension américain NCH Capital… Les mêmes qui font pression sur nos décideurs européens ? Ou juste leurs concurrents sur le marché inépuisable de la faim dans le monde ?

L’agriculture belge joue aussi à être exportatrice

Laisser croire que nos champs – et nos jachères ? (10) – belges sont indispensables pour nourrir l’humanité est une autre ineptie. En Belgique, les champs de céréales ne servent pas à faire notre pain ! Ils servent principalement à produire des agrocarburants et de la nourriture pour les animaux. Principalement pour les porcs et les volailles. En Wallonie, 9% des céréales seulement sont produites pour l’alimentation humaine. 32% pour l’énergie, 46% pour l’alimentation animale et 13% partent à l’exportation (11). Par conséquent, plutôt que de prétendre cultiver intensivement le moindre mètre carré disponible, il conviendrait peut-être de réorienter la destination des cultures. Quelle peut bien être l’utilité de consacrer un tiers de nos céréales à nourrir des animaux – principalement de la volaille et des porcs ? Le volume de nos exportations belges de viande de volaille dépasse de loin les cinq cent mille tonnes, principalement vers la France et les Pays-Bas. En troisième position, on trouve… le Ghana ! Soit 10% des exportations belges de volaille. On trouve encore la RDC, le Congo et le Gabon, autant de pays où l’exportation de notre viande de volaille déstabilise gravement l’agriculture locale (12).
D’autres de nos cultures sont principalement orientées vers l’exportation. C’est le cas des pommes de terre, par exemple, où seulement 10% des quarante mille hectares cultivés en Wallonie, à grands renforts de pesticides divers, servent à nourrir la population locale. Le reste part jusqu’aux confins du vaste monde, sous la forme de chips et de frites – ne parlons même pas ici du carburant nécessaire pour transporter tout cela ! Quelle serait donc la logique de vouloir stopper la volonté qu’affiche l’Europe de développer une agriculture moins dépendante des pesticides ? Pourquoi réclamer ces malheureux hectares dédiés à la biodiversité en prétendant nourrir le monde, alors qu’il est justement préférable de produire moins, mais mieux, en privilégiant les cultures vivrières ? Les céréales panifiables, par exemple, destinées à la population locale… Depuis un demi-siècle, la bio démontre l’utilité de maintenir des fermes en polyculture-élevage, où le bétail broute l’herbe et fournit les engrais qui amendent les cultures. Ces cultures sont diversifiées avec le recours à des rotations longues, incluant des légumineuses qui chargent le sol en azote. Or, justement, ces cultures de légumineuses favorisées par la stratégie « De la fourche à la fourchette ». Ce n’est donc pas un recul par des politiques agricoles visant une intensification qui permettra de nourrir le monde. Mais bien le développement d’une agriculture nourricière, respectueuse des écosystèmes, ainsi que le démontrent les producteurs bio depuis plus de cinquante ans… Osons le dire tout net : l’avenir agricole est dans une recherche de la sobriété. La sobriété énergétique, en tout cas.

Ras-le-bol de la « loi du plus fort »

Oui, vraiment, ras-le-bol de cette « loi du plus fort » des gros lobbies des industries agricoles mondiales qui prétendent détenir la vérité et dont la seule raison d’être est de faire du pognon. Pas de nourrir les humains. Marre de tous ces « hommes d’affaires » qui prétendent produire en sachant très bien qu’ils ruinent durablement l’agriculture. Marre de ces mégalos dont le système absurde appauvrit notre capital commun ! Il faut que nos politiques aient – une fois pour toutes ! – le courage de le reconnaître l’erreur historique de l’agriculture industrielle intensive et qu’ils y mettent le holà. Qu’ils les stoppent dans leurs prétentions absurdes ! C’est ce que tenta de faire le Green Deal…
Mais ceci ne doit pas opposer, entre eux, les agriculteurs – les vrais ! Ni les agricultrices – les vraies ! Tous-tes veulent une Wallonie agricole prospère et un métier passionnant et rémunérateur. Les plans de relance de Wallonie prévoient d’ailleurs de développer et de soutenir les structures – coopératives et autres – qui transforment la production agricole. Plutôt que de subventionner les engrais chimiques, consacrons ces montants pour doter notre Région wallonne de coopératives de transformation. Leur but : nourrir localement !
L’heure est à l’harmonisation des pratiques. Et, dans l’intérêt de tous, contre celles du lobby industriel qui, tel un bombardier russe, détruit tout sur son passage ! Evidemment que ce n’est pas de moins de biodiversité – ni de moins de bio – dont nous avons besoin. C’est juste le contraire. Contester cela, aujourd’hui, serait une forme vicieuse de révisionnisme agricole. Evidemment que nous n’avons aucun besoin réel de produits manufacturés à base d’huile de tournesol, même si c’est d’Ukraine qu’elle vient. Bien entendu qu’il sera nécessaire de changer nos habitudes de consommation et de tourner le dos aux biscuits dont les ingrédients ont fait le tour du monde avant d’aboutir dans notre estomac ulcéré… Bien sûr que l’Europe doit conserver ses objectifs généreux : 4% de biodiversité et 25% de bio en 2030 sont vraiment un minimum pour restaurer un environnement agricole fertile et sain ! Bien sûr que la terre est miséricordieuse et qu’elle oublie vite. En quelques années seulement, une terre polluée par les pesticides et les engrais chimiques redevient une source de vie pour des aliments bio.
Nous lançons donc ce défi : entendant la volonté de nourrir le monde les agriculteurs peuvent, dès cette saison, diminuer les doses d’engrais azotés sur les céréales en place afin de produire un blé plus panifiable. Et, dès cet automne, semez et semez encore des légumineuses pour nourrir le sol et le bétail, et des variétés panifiables pour les céréales. Libérez les sols des pesticides et des engrais chimiques ! Oubliez les rendements à l’hectare pour remplir les réservoirs des autobus – car c’est corrompre le métier d’agriculteur dans ce qu’il a de plus noble – mais comptez plutôt les sacs de farines pour les boulangers, les vrais. Nourrissez ceux qui vous sont chers, c’est la meilleure preuve de qualité de vos produits ! Ressemez des prairies pour élever du bétail, pour garnir nos tables – avec modération – de bonne viande faite localement et dont les effluents nourriront la terre.
Oui ! La transition est possible ! C’est chaque année que l’on sème !

Notes :
(1) https://fr.statista.com/infographie/27093/les-pays-africains-qui-dependent-le-plus-du-ble-russe-et-ukrainien/
(2) https://www.iedafrique.org/Fabrication-de-pain-au-Senegal-substituer-les-cereales-locales-seches-au-ble.html
(3) Tant que la demande en pétrole reste forte, l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP+) n’a aucun intérêt à augmenter substantiellement sa production, ce qui ferait automatiquement baisser le prix du baril de pétrole. Précisons que l’organisation entretient toujours des liens étroits avec la Russie.
(4) https://www.rtbf.be/article/guerre-en-ukraine-une-menace-pour-la-securite-alimentaire-une-de-plus-10957883
(5) https://www.pan-europe.info/sites/pan-europe.info/files/css/Press%20Release/Letter_shameless%20instrumentalisation%20by%20indutry%20de%20the%20Ukrainian%20conflict%20to%20maintain%20double%20standards_M[60932].pdf
(6) https://www.zonebourse.com/amp/cours/action/YARA-INTERNATIONAL-ASA-1413319/actualite/Les-agriculteurs-ukrainiens-sont-au-point-mort-alimentant-les-craintes-de-penuries-alimentaires-mon-39732074/
(7) Engrais et pesticides chimiques ont favorisés le développement de parcelles sans limites, ce qui apparaît comme la cause de perte d’habitats pour notre faune. Voir : https://spw.wallonie.be/sites/default/files/faune-des-plaines-2019-3.pdf
(8) L’engrais azoté représente 80% du coût d’une production céréalière basée sur son utilisation ; celle-ci est donc quasiment devenue impraticable d’un point de vue économique. Voir : https://fertilisation-edu.fr/production-ressources/engrais-azotes.html
(9) Rappelons ici la campagne « Vers une Wallonie sans pesticides » menée par Nature & Progrès. Lire : https://www.natpro.be/archives/pdf/brochure_wasap.pdf
(10) Car il n’y a pas de jachères en Belgique ! Et pas davantage de jachères obligatoires en Europe mais bien une subvention PAC pour les agriculteurs qui accueillent 5% de « surfaces d’intérêt écologique » (SIE) sur leur ferme. En général, les agriculteurs lui préfèrent des solutions plus productives, comme les intercultures d’automne et certaines cultures de printemps. Ces jachères, sujettes à la PAC, représentent 1% de la surface agricole de l’Union européenne et non 4% à 6% comme on le lit ici ou là…
(11) https://sytra.be/wp-content/uploads/2020/05/UCL-brochure-cereales-web.pdf
(12) https://www.belgianmeat.com/fr/news/l%E2%80%99agroalimentaire-belge-est-prêt-pour-anuga-2019

De la farine et du pain : développer des filières alimentaires bio et solidaires

Moissons, mouture et panification furent au rendez-vous de cette année 2021 pour la filière des « céréales alimentaires » du Réseau RADiS (Réseau Alimentaire Dinant Solidaire), mené par Nature & Progrès et la Fondation Cyrys FUP, a pour objectif de développer des filières alimentaires bio et solidaires dans la région dinantaise. Chacune de ces étapes aura permis d’en apprendre davantage sur la mise en place de cette filière sur le territoire régional et sur ses défis propres…

Par Caroline Dehon

Sur le territoire agricole dinantais, plus d’un hectare sur trois est consacré à la culture de céréales. Cette production, si elle était consacrée à l’alimentation humaine dans les mêmes proportions que ce qui se fait en moyenne en Wallonie – soit à peu près 11% -, permettrait de couvrir, en théorie, 96% des besoins des habitants de ce territoire (1). Ce constat théorique n’est malheureusement pas le reflet de la réalité car la majorité des céréales consommées provient d’importations – concurrence du marché international -, et les céréales alimentaires produites localement sont malheureusement souvent déclassées en alimentation animale car elles ne répondent pas aux « critères standards » de panification ou parce que, par manque d’outils, elles sont exportées vers d’autres territoires pour être transformées en farine.
Dès février 2021, rassemblés au sein du Groupe Thématique « céréales alimentaires » du Réseau RADiS, plusieurs agriculteurs bio et citoyens dinantais ont eu l’opportunité de réfléchir ensemble à ce potentiel. Ces acteurs ont exprimé l’envie de développer prioritairement des farines 100% bio et locales, puis du pain et des pâtes en second lieu. Priorités assez sensées me direz-vous : on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ou, en l’occurrence, du pain sans farine…

2021 : une année d’expérimentation pour la filière des céréales alimentaires

Voyant que plusieurs producteurs du territoire avaient l’envie de sortir du schéma classique de valorisation de leurs céréales – vente à des négociants en commerce de gros -, l’idée d’expérimenter une première mouture a germé. Les semis étant déjà réalisés – les emblavements ayant été faits à l’automne 2020 -, l’expérience avait surtout pour but d’éprouver les étapes de transformation des grains succédant aux moissons. Cinq producteurs bio du réseau – Alessandro, Frédéric, Olivier, Laurent et Hervé – ont alors marqué leur intérêt, dès le mois de juin, pour tenter l’aventure.

– des parcelles plutôt prometteuses

Avec les cultures de nos cinq producteurs, une belle diversité de céréales était déjà représentée : grand épeautre, froment – ou blé tendre -, petit-épeautre – ou engrain – et seigle. Nous avons eu l’occasion de visiter quelques-unes de ces parcelles, avant les moissons, en compagnie de producteurs, de citoyens mais également de techniciens agricoles.
Chez Frédéric, agriculteur à Thynes, nous avons découvert deux cultures : une de froment, l’autre d’épeautre. Le froment était cultivé en association avec du pois servant à alimenter une filière de petits pots pour nourrissons. Dès la moisson terminée, ces cultures doivent être dissociées et bien triées pour éviter que la verdure potentiellement restante induise une augmentation de l’humidité, ce qui peut alors entraîner un risque de développement de moisissures au sein du lot de céréales. Au moment de notre visite, alors que le vent et les intempéries n’avaient pas épargné la Wallonie, les céréales de Frédéric n’étaient que peu impactées par le phénomène de la verse. Ce dernier entraîne généralement une perte de rendement et de qualité du grain récolté.
Chez Olivier, à Houyet, nous en apprenions davantage sur les intérêts, notamment nutritionnels, du petit épeautre : pauvre en gluten et de nature plus facilement assimilable, il est, de ce fait, plus digeste pour l’homme. Même si les rendements à l’hectare sont nettement moindres que pour le froment – en moyenne, en bio, deux tonnes à l’hectare contre cinq -, l’avenir du petit épeautre semble prometteur avec une population qui devient malheureusement de plus en plus intolérante au gluten.
Alessandro quant à lui nous a présenté sa parcelle d’épeautre sur les hauteurs de Falmagne, tout à côté de Dinant. Son nom ne vous est peut-être pas inconnu puisqu’il est également l’un des producteurs impliqués dans la filière maraîchage du Réseau RADiS. Au cours de cette visite, nous en avons profité pour aborder les rotations réalisées sur ses parcelles. Pouvant aller jusque six années, il alterne prairies temporaires – fourrage -, céréales à plus forte demande en éléments nutritifs, succession de céréales moins exigeantes et légumineuses, sources d’azote.

– Des moissons compliquées impactant la qualité des céréales

Si les cultures semblaient encore prometteuses, au tout début de l’été, l’issue des moissons n’a pas été glorieuse. En cause, comme vous vous en doutez : le climat extrêmement humide et venteux des mois de juillet et août 2021.
Constats amers :
a- plusieurs parcelles de céréales ont été touchées par le phénomène de la verse, rendant techniquement plus compliqué le moment des moissons mais affectant également directement le rendement des parcelles céréalières ;
b- les moissons n’ont pas pu se réaliser de manière continue : interrompues régulièrement par de nouvelles intempéries, il n’était pas toujours possible, pour nos agriculteurs, de récolter l’ensemble de leurs céréales arrivées à maturité, ce retard ayant entraîné, pour certaines cultures, une germination sur pied des céréales ;
c- enfin, les averses quasi continues ont engendré un taux d’humidité également plus important des céréales, entraînant un risque de moisissures si elles n’étaient pas directement séchées et stockées dans des conditions optimales.
En conséquence, Alessandro et Hervé durent acheminer leurs lots de céréales – froment et épeautre – auprès de grosses unités de séchage, ces lots furent mélangés avec d’autres et n’ont plus pu plus être récupérés pour notre test de mouture. Néanmoins, cette action leur a permis de ne pas perdre l’ensemble de leurs récoltes puisque ces céréales purent au moins être valorisées dans l’alimentation animale.
Le seigle que Laurent espérait récolter a, quant à lui, germé sur pied de manière importante. La germination induit une activité enzymatique considérable au niveau des grains malheureusement préjudiciable à son utilisation en boulangerie.
Frédéric et Olivier purent, quant à eux, récolter et stocker leurs céréales à la ferme. Nous nous sommes donc rendus chez eux afin de prélever quelques échantillons.

– L’analyse de l’aptitude à la panification des céréales : une étape particulièrement importante cette année

Depuis l’ère de l’industrialisation – au cours de laquelle le secteur de la boulangerie n’a pas été épargné -, on évalue l’aptitude à la panification via le taux de protéines présent dans le grain. Il faut, avant tout, obtenir en quantité des céréales qui permettent de produire du pain en nombre et de supporter une activité de pétrissage importante, avec une fermentation courte. Les critères et les techniques de mesure appliqués aujourd’hui ont évolué, en bien, fort heureusement ! En effet, même si les déclassements de céréales panifiables en non-panifiables en industrie restent encore majoritairement axés sur quelques critères technologiques – comme le taux de protéines -, le redéveloppement de filières locales et artisanales poussent à reconsidérer ce qui était autrefois automatiquement déclassé.
Concernant notre Réseau RADiS, étant donné qu’il s’agissait d’une première expérience, nous avons tout d’abord souhaité soumettre les échantillons de grains prélevés à l’expertise du Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W), à Gembloux. A partir des résultats chiffrés des analyses effectuées – ne se limitant donc pas à la mesure du taux de protéines -, le centre de recherche permet d’éclairer l’interprétation des résultats au regard du type de filière visée. En l’occurrence, nous concernant : une filière de type court – locale – et bio, ayant à cœur de travailler avec des meuniers et boulangers artisanaux pouvant valoriser des variétés céréalières diverses.
Les conditions météo désastreuses de cette année nous ont, par ailleurs, poussés à ne prendre aucun risque sanitaire et les échantillons ont été soumis à l’analyse de mycotoxines – des substances potentiellement présentes et toxiques produites par certaines moisissures. Ces analyses ont été réalisées au CER de Marloie. A l’issue des résultats, notre souhait était d’identifier un premier lot que nous pouvions alors faire passer entre les pierres du moulin. Du petit épeautre, de l’épeautre et du froment : c’est ce dernier qui semblait présenter les caractéristiques les plus favorables pour réaliser une première mouture.

– Un premier essai de mouture

C’est à Anhée, à la Ferme de Grange, qu’est donc arrivé le lot de froment d’Olivier. Sur place, le lot a d’abord subi un ultime triage afin de passer entre les mains de Guirec, le meunier des lieux. L’outil, fraîchement certifié bio, est un moulin sur pierres de type Astrié, un type de moulin qui a la particularité de dérouler le grain à travers ses pierres et de séparer ainsi entièrement le son de l’amande, du germe et de l’assise protéique entourant l’amande du grain. Cette technique permet d’enrichir naturellement la farine de tous les nutriments présents dans les enveloppes du grain. On obtient, en sortie, une farine brute intégrale riche en fibres, minéraux et vitamines. Pour notre test, nous avons choisi d’obtenir une farine de type « semi-complète ». Pour ce faire, Guirec a ajusté le tamis de la bluterie et les premiers kilos de farine du Réseau RADiS ont ainsi été collectés.
En mettant notre nez à hauteur du premier sac de farine, il est apparu qu’elle présentait une odeur assez forte d’humidité. Cette odeur n’était en rien la conséquence du procédé de mouture, lui-même, mais plutôt celle des conditions humides apparues aux moments de la moisson et du stockage des grains chez notre producteur. Ce résultat a généré une certaine frustration, étant donné les précautions qui avaient été prises dans la sélection du lot à moudre. L’essai a néanmoins eu le mérite de nous faire prendre encore davantage conscience de l’importance d’un suivi strict, notamment des conditions de stockage, des lots de grains en amont de la mouture, et particulièrement dans une année extrêmement humide comme 2021. Après un constat relevé à l’échelle de la production wallonne, nous étions malheureusement loin d’être les seuls à déplorer une année aux conditions déplorables pour la qualité des récoltes.

– Une journée autour de la panification

Malgré un résultat mitigé, nous avons souhaité poursuivre la démarche initiée en la clôturant par une activité de panification. Organisée dans le courant du mois de novembre, quelques jours après la mouture, cette journée fut réalisée au sein de l’atelier de boulangerie du Comptoir Paysan, à Beauraing. Nous avons eu la chance de bénéficier de l’animation de deux boulangers artisanaux passionnés, Caroline Baltus, de la boulangerie Painprenelle, à Erezée, et Axel Colin, membre fondateur de l’asbl Li Mestère, qui milite pour la préservation et le redéploiement des semences paysannes.
Nous nous sommes ainsi retrouvés à une dizaine de personnes, des citoyens du territoire en majeure partie, autour d’une grande tablée, pour réaliser le pétrissage et le façonnage de la pâte. Le travail de panification fut réalisé au levain et, après cuisson des pâtons, nous avons pu passer enfin à la dégustation. L’odeur désagréable mise en évidence dans la farine s’est malheureusement retrouvée également en bouche avec le pain…
Qu’à cela ne tienne ! Cette expérience nous a permis d’aborder de nombreux sujets avec les participants, au cours de l’atelier : importance des conditions de stockage, enjeux liés à la mouture, intérêts des variétés anciennes de céréales, problématique actuelle du gluten, intérêts d’une panification au levain, etc. Autant de sujets qui mettent en évidence l’importance du soin à apporter à chacune des étapes qui compose la mise en place d’une filière, pour en obtenir et garantir une cohérence globale.

Et pour la suite ?

Avec un potentiel de production de céréales – et donc de farine – important, l’action prioritaire mise en place pour 2022 est de réaliser une étude de marché et de développer les débouchés commerciaux, tels que les – futurs – boulangers du territoire. Cette démarche est primordiale pour avancer sereinement dans la création de la filière locale et envisager progressivement les installations communes nécessaires à son bon fonctionnement. Nous poursuivrons également, en parallèle, les démarches de sensibilisation du consommateur : au recours à de la farine bio et locale, aux techniques de panification artisanales et ses intérêts nutritionnels notamment. Pour ce faire, nous souhaiterions notamment pouvoir remobiliser un four à pain mobile qui constituerait un merveilleux outil en la matière.

Note :
(1) Sylvie La Spina, Contribution théorique de l’agriculture locale à l’alimentation locale. Disponible via : https://www.reseau-radis.be/wp-content/uploads/2021/09/Autonomie-alimentaire-region-dinantaise-L.pdf

Producteurs et transformateurs céréaliers chez Nature & Progrès à la lueur de la sociologie

Nature & Progrès Belgique s’est lancé, en 2018, dans différents questionnements autour des productions, transformations et consommations céréalières bio afin de voir quelles seraient les solutions pour valoriser les céréales locales tout au long de la chaîne, du champ à l’assiette. Pour comprendre les manières de voir et de faire des producteurs et des transformateurs de cette filière bien spécifique, l’association s’est munie d’un outil peu courant, en ce qui la concerne : la sociologie.

Par Maylis Arnould

C’est comme cela que, durant la première moitié de l’année 2019 avec l’aide de toute l’équipe de Nature & Progrès, j’ai réalisé mon mémoire de fin d’études en sociologie qui concernait la capacité d’initiation d’un rapprochement entre production, transformation et commercialisation en céréales en Wallonie au sein des producteurs du label Nature & Progrès. Ou, plus précisément, quelles étaient les perceptions et les actions des producteurs et des transformateurs, dans le label ainsi que dans la filière. Les résultats dans leur intégralité étant trop complexes pour être résumés en quelques lignes, je vous présente ici les deux chapitres que je considère comme les plus importants : « Qu’est-ce que l’agriculture biologique pour les producteurs et transformateurs que j’ai rencontrés », ainsi que « Par quels moyens ils réussissent à s’autonomiser »…

Ce la bio que signifie pour les producteurs et transformateurs de Nature & Progrès

Être reconnu comme producteur et/ou transformateur biologique par ses pairs et par la société apparaît, chez plusieurs d’entre eux, comme une dimension identitaire forte qui permet de se rattacher à un groupe d’appartenance. Ici, les agriculteurs bio. Plusieurs raisons peuvent amener une personne à choisir de produire de façon biologique : tout d’abord, la transmission des techniques déjà utilisées sur la ferme avant d’en être le propriétaire, c’est-à-dire la continuité d’une méthode d’agriculture et/ou de transformation héritée des parents, ou encore la rencontre d’une personne – un agronome, par exemple – qui arrive à transmettre de nouvelles techniques de culture.
Parmi les douze producteurs et transformateurs avec qui je me suis entretenue, cinq ont commencé directement en agriculture biologique et sept sont passés par le biais de la reconversion. Cette bifurcation, que l’on définira ici comme « un changement important et brutal dans l’orientation de la trajectoire, dont à la fois le moment et l’issue étaient imprévisibles, pour l’acteur comme pour le sociologue » (1), peut prendre différentes formes. Elle peut découler du constat de l’inefficacité des produits phytosanitaires qui amène à essayer d’autres techniques agricoles, passer par la découverte d’une agriculture différente – par des lectures notamment – ou encore intervenir par un évènement marquant, tel que la venue d’un enfant, par exemple. Ce passage d’un système conventionnel à un système biologique provoque des changements qui peuvent être liés au fonctionnement intégral de la ferme – incluant également la transformation et la commercialisation, par exemple -, aux pratiques de production – la suppression de l’utilisation de produits phytosanitaires, l’utilisation du labour, la transformation de cultures en prairies temporaires, etc. -, voire parfois à la construction d’un nouveau regard sur sa propre activité. Ces nouvelles pratiques agricoles induisent un rapport au métier qui intègre le changement comme une norme d’identité professionnelle : le parcours est désormais marqué par la mobilité, des choix ont été faits pour tendre vers un modèle qui correspond davantage aux personnes et à leurs convictions.
Le bio n’est donc pas simplement une liste de pratiques agricoles, ni une transposition de méthodes conventionnelles sans l’utilisation de produits pesticides chimiques. Elle pourrait aller jusqu’à être un raisonnement ou une philosophie de vie, pour citer un des interrogés. Cette « pensée bio » pourrait donc trouver des définitions multiples et être liée, selon les individus, à d’autres sphères de leur vie personnelle. Nombreuses sont les définitions que les entretenus donnent de ce qu’ils pensent être le bio. Mais, pour plusieurs, il réside avant tout dans une connaissance particulière de la terre qui peut passer par une écoute, une observation ou un toucher. Pour eux, cette écoute particulière de la terre et du sol n’a pas pour but de les maitriser. L’agriculture biologique est, depuis le début de son existence, l’objet d’une « controverse qui oppose deux visions de la qualité bio avec d’un côté les tenants d’un « bio-label » strictement délimité par des contraintes réglementaires et les partisans d’un bio souvent décrit comme une « philosophie » ou un « état d’esprit » et qui échappe dès lors durablement à toute objectivation par des critères » (2). La « qualité bio », définie par le dispositif de jugement du label biologique européen, est ainsi souvent réduite au respect des règles de son cahier des charges.
Parmi les producteurs et transformateurs, une constatation est souvent faite : cette « qualité bio » serait en diminution ! A leurs yeux, l’irruption de l’agro-industrie sur le marché de l’agriculture biologique amène non seulement une diminution de la dimension protectrice de la nature mais également une concurrence parfois jugée déloyale, tant les moyens économiques et matériels ne sont pas les mêmes. Tout ce qui engendre une baisse des prix des produits bio et une concurrence par rapport à des petits producteurs qui ne peuvent donner au consommateur des prix aussi faibles doit donc être combattu.
Se considérer comme « agriculteur bio » peut avoir, comme nous l’avons vu, une pluralité de définition et de pratiques, certaines étant parfois même en opposition. Tous les producteurs et transformateurs bio ne sont pas considérés comme des pairs et toutes les techniques ne sont pas perçues de la même façon. Cette différenciation est présente également dans l’utilisation du terme « biologique » : ainsi, les individus interrogés ont-ils davantage tendance à utiliser « la bio », plutôt que « le bio », afin de se démarquer d’un bio industriel, ainsi eu nous l’avons expliqué précédemment.

L’autonomisation comme ligne directrice de la filière céréalière

« La bio » représente donc une diversité de techniques et de pratiques agricoles, ainsi que de valeurs, allant bien au-delà d’un simple respect de normes techniques, ce qui introduit une certaine liberté dans le fonctionnement des fermes et des ateliers de production dans lesquels je me suis rendue. Parmi ces valeurs, il en est une apparaît comme particulièrement forte : l’autonomie ! Certains la considèrent même comme une sorte de finalité. Cette autonomisation – bien que défendue et valorisée dans la charte de Nature & Progrès – amène quelques tensions entre recherche d’autonomie, collectivité et individualisation des pratiques. Elle nous permet également de voir dans quelles mesures les producteurs et transformateurs veulent se démarquer officiellement – ou pas – de ce qu’ils considèrent être « le bio » pour faire naître un « nouveau bio », et comment cette autonomie se traduit dans les prises de décision.
Chez les producteurs, c’est à travers la diversification et la gestion de leur filière qu’apparaît le plus fortement la recherche, ou l’acquisition, de l’autonomie, notamment en transformant ou en commercialisant à la ferme. Il y a même certaines fermes où strictement « rien – les céréales – ne part ailleurs ! C’est semé, récolté, stocké, nettoyé, moulu, vendu. Et si c’est la pomme de terre, c’est planté, récolté, stocké, trié, empaqueté, vendu ! », ainsi que l’affirme franchement une des personnes rencontrées. Pour d’autres, cela peut passer par le seul fait de faire moudre ses céréales chez un tiers, aux alentours, pour les vendre ensuite à la ferme, ou encore d’acquérir un petit moulin, plutôt que de passer par une vente en gros – à des boulangers, par exemple. L’autonomisation peut être aussi une indépendance revendiquée à même champ, par la maîtrise et la liberté des techniques utilisées et des choix de production qui sont opérés, comme opter pour la polyculture-élevage ou l’utilisation de la charrue…
Parmi les formes d’autonomie qui apparaissent chez les producteurs et les transformateurs, il sera également parfois question de matériel mais, cette fois-ci, pas pour aller dans les champs. Ces achats leur éviteront de dépendre de tiers pour le stockage, le séchage ou la mouture, par exemple. Ils pourront être motivés par différentes raisons, la certitude de récupérer finalement son propre produit, notamment. En plus de la qualité, l’argument économique se retrouve également dans l’acquisition de matériel ; posséder son propre atelier ou son propre matériel de transformation peut être une manière de se garantir un revenu lorsqu’on ne pourra plus travailler, via une revente ou une location, par exemple.
Comme nous venons de le voir, producteurs et transformateurs se rejoignent sur des facteurs d’autonomisation. Si l’autonomisation est moins mise en avant dans les objectifs de l’atelier, elle reste visible sur certains aspects propres aux activités de transformation en amont, pendant la fabrication, et en aval. Elle se traduit, en amont, par la maîtrise de la provenance des ingrédients utilisés qui est, pour la plupart des transformateurs interrogés, une particularité importante dans leur métier. Certains vont acheter leurs propres céréales pour les emmener ensuite chez leur meunier afin de pouvoir choisir la qualité de la farine qu’ils vont utiliser, d’autres vont mettre beaucoup d’énergie à tendre vers une liste d’ingrédient la plus locale possible, même si cela coûte un peu plus cher. Là où « la bio » passe, chez les producteurs, par une connaissance particulière de la terre, elle passe ici par une connaissance particulière de son produit et de ses techniques de transformation. La liberté dans ses propres recettes, l’utilisation d’un ingrédient particulier ou encore la fabrication d’un produit qui n’a que très peu de concurrence sur le marché permettent d’atteindre une marge d’action plus grande.
Passées les étapes de l’approvisionnement et de la transformation, vient alors la toute dernière étape : la vente ! Ici aussi, la liberté de choisir comment, où et à qui vendre – ou pas – prend une part importante dans le cheminement de fabrication. Pour certains, le choix a été fait de vendre directement dans leur atelier, de collaborer avec des Groupements d’Achats ou d’approvisionner des magasins biologiques et/ou locaux, dans une volonté d’avoir des acheteurs pluriels, alors que d’autres préfèrent passer par des grossistes, pour des raisons économiques notamment. Contrôler la finalité de sa production peut également passer par un regard sur les endroits où va se trouver sa marque, pour des raisons de valeur, d’indépendance vis-à-vis des prix ou encore de différenciation sur le marché.

Conclusion

Ces quelques fragments de mon analyse, plus vaste, montrent qu’il existe une multitude de façons de définir ce qu’est l’agriculture biologique, ainsi que d’appréhender l’autonomie au quotidien. De nouvelles démarches de relocalisation et de valorisation des céréales biologiques ont émergé, depuis la réalisation de cette étude, montrant que, chaque jour qui passe, de nouvelles personnes œuvrent à rendre nos céréales plus locales et de meilleure qualité. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de voir que des producteurs de Nature & Progrès font partie, ou même sont à l’initiative, de ces dynamiques !

Notes :
(1) Claire Bidart, « Crises, décisions et temporalités : autour des bifurcations biographiques », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 120, no. 1, 2006, pp. 29-57.
(2) Geneviève Teil, « Le bio s’use-t-il ? Analyse du débat autour de la conventionnalisation du label bio », Économie rurale, 332 | 2012, 102-118