Les quatre planètes de Bruno Latour

Les propos de Bruno Latour, philosophe et sociologue, semblent indispensables pour décrypter notre époque mais ils sont difficiles à partager, parfois abstraits, souvent polémiques, toujours détonants. Début janvier, j’ai donc sauté sur l’occasion de visiter une exposition issue de ses réflexions sur l’anthropocène et la situation écologique…

Par Guillaume Lohest

Si on ne veut pas louper le train, il faut partir tout de suite. Au démarrage, le moteur hoquète un peu, à peine. Il fait glacial. Durant les quinze minutes de voiture vers la gare de Ciney, j’écoute la dernière interview de Bruno Latour sur France Inter, qui remonte au 7 janvier. Le philosophe vient de publier, avec Nicolas Schultz, un petit Mémo sur la nouvelle classe écologique. Il en profite pour évoquer Don’t look up, le film dont tout le monde parle…
“Je n’aime pas la comète parce que la menace dans laquelle nous sommes, ce n’est pas une comète justement, ce n’est pas si simple”. Pour le reste, il estime que le film est efficace et montre très bien ce qui nous arrive. Il pointe un aspect que peu de critiques ont relevé : la critique ne cible pas uniquement le monde politique ! “Ce qui est très intéressant, c’est la critique générale de tous les membres, les politiques, les journalistes et les scientifiques. La beauté du film, c’est que ce n’est pas simplement les bons contre les méchants.” Quand on lui demande pourquoi il pense que c’est un film utile, il répond “parce qu’il ne fait pas rire”. Tout le monde y est caricaturé, y compris les scientifiques et les écologistes qui parviennent juste à “faire paniquer et à faire bâiller”. Une situation d’impuissance qui justifie la publication du petit Mémo. “C’est au fond une manière d’aimer les écologistes, précise Bruno Latour, mais qui leur dit, attention, il faut d’abord réfléchir.” Réfléchir à la manière de “faire émerger une classe écologique consciente et fière d’elle-même”, “capable d’organiser la politique autour d’elle”.

Visite de l’exposition « Toi et moi, on ne vit pas sur la même planète »
(Centre Pompidou, à Metz, du 6 novembre 2021 au 4 avril 2022)

Dans le train direction Luxembourg, puis Metz, je me donne pour consigne de parcourir le Mémo et d’y souligner quelques passages marquants à rapatrier dans cet article. Dans ce livre, Bruno Latour répond, d’une certaine manière, à ses détracteurs qui lui reprochent de ne pas être assez clair sur les luttes à mener parce qu’il ne parle pas assez du capitalisme qui constitue, à leurs yeux, la source des catastrophes écologiques et sociales. Il leur répond mais sans se renier. Il persiste et signe, voire contre-attaque. “Même s’il est tentant de faire rentrer une situation nouvelle dans un cadre reconnu, il est prudent de ne pas se précipiter pour affirmer que la classe écologique prolonge simplement les luttes anticapitalistes. L’écologie a raison de ne pas se laisser dicter ses valeurs par ce qui est devenu, en grande partie, une sorte de réflexe conditionné. Il est donc important de vider cette querelle et de comprendre pourquoi sur ce point il n’y a pas forcément de continuité. (1)”
En résumé, pour Bruno Latour, il y a bien un conflit de classes, mais pas le même qu’autrefois quand il portait sur les rapports de production. Car aujourd’hui, “le point de clivage qui dresse la nouvelle classe écologique contre toutes les autres, c’est qu’elle veut restreindre la place des rapports de production, et que les autres veulent l’étendre.” Cette nouvelle classe écologique, qui n’a donc pas encore conscience d’elle-même, qui se cherche sans se trouver, prend en charge la question du “maintien des conditions d’habitabilité de la planète” et non plus la question de la seule production. Je m’égare. Si j’ai pris ce train, ce n’est pas pour arbitrer la querelle entre Bruno Latour et ses critiques marxistes. Toute passionnante soit-elle, cette dispute nous mènerait trop loin. Allez donc voir par vous-même si votre curiosité est piquée (2) ! Pour le moins, une pensée qui dérange les grilles de lecture installées et force ses adversaires à examiner leurs propres arguments, est une pensée féconde. L’exposition « Toi et moi, on ne vit pas sur la même planète », dont Bruno Latour est l’un des commissaires, mérite donc le détour. Son passage par Metz est une occasion rêvée. Nous y voilà. Le Centre Pompidou dresse son imposante carcasse hexagonale recouverte de toitures incurvées. Voyons voir ce que l’art contemporain peut apporter à la réflexion sur l’écologie.

Planète Globalisation

On entre. On se retrouve face à des créatures mécaniques, sortes de chiens-robots dont le squelette est fait de matériaux de construction, de circuits électriques et de matières organiques. Une brève introduction nous avertit : “Si nous vous demandions, à vous le visiteur, sur quelle planète vous vivez, vous trouveriez probablement la question bizarre et la réponse évidente : la Terre ! (3)” Le projet de cette exposition est justement de briser cette évidence factuelle pour faire sentir que ce qui mobilise les humains se situe au niveau de leurs représentations. Ce n’est pas la même chose de vivre sur une planète au ressources qu’on croit infinies que de vivre dans le rêve d’un retour au passé. On ne vit pas dans le même monde, selon qu’on se représente l’humanité comme capable de s’exporter dans l’espace ou comme une espèce fragile dépendant d’une fine couche organique menacée de déséquilibres catastrophiques.
Le premier des quatre espaces est donc appelé la planète Globalisation. Dans la pensée de Bruno Latour, cela correspond au grand projet de la modernité qui prend la forme du “Globe” et “qui a enthousiasmé des générations parce qu’il était synonyme de richesse, d’émancipation, de connaissance et d’accès à une vie confortable” et qui “emportait avec lui une certaine définition universelle de l’humain” (4). Les œuvres exposées nous renvoient des questionnements déstabilisants. Comme cette “Rivière des petits plaisirs” – cf. photo – qui montre une société d’abondance, d’indifférence, d’amusement mêlés de violence et d’aveuglement. Un peu plus loin, après avoir traversé une composition étrange qui expose les preuves juridiques d’un massacre en RDC, on se trouve face à des immeubles modernistes inspirés de bâtiments existants, imaginés “comme un flux, traversés par des routes, connectés dans un tourbillon de constructions et d’infrastructures”. Cette planète Globalisation est un projet périmé, hors-sol. Car “l’idée ne semble plus si idéale. Ce rêve de modernisation est miné par le changement climatique et les inégalités. De plus, il offre un sens trop étroit de ce que peut signifier un monde commun.”

Planète Sécurité

Puisque l’horizon moderne de la globalisation est devenu impossible, certains imaginent un repli à l’intérieur des frontières nationales, un retour à l’ancien sol de la patrie, de la foi, de la famille, de la tradition. Bienvenue dans la planète Sécurité, occupée par un travail d’analyse de l’artiste néerlandais Jonas Staal, qui a décortiqué la vision du monde de Steve Bannon, l’inspirateur et stratège des populismes d’extrême-droite contemporains. Une dizaine de petits écrans présentent les différents aspects de cette propagande nationaliste, qui dépeint une situation de guerre civilisationnelle et exhorte “l’homme blanc occidental chrétien” à entrer en guerre culturelle contre la mondialisation, la finance, l’immigration et l’islam. En France, Eric Zemmour est un pur produit de ce fantasme d’une planète Sécurité.

Planète Gaïa

Le nom de Gaïa, en référence à la mythologie, peut déranger. Peut-être parce qu’il évoque, pour les uns une déesse, pour les autres une association de défense animale ? Dans la pensée de Bruno Latour, il ne s’agit pas du tout de cela. Le commentaire d’une œuvre dissipe cette confusion : “Gaïa ne signifie pas que notre Terre est vivante, mais plutôt que la surface de la Terre a été façonnée par le vivant.” On peut lui préférer l’appellation voisine de « Zone critique ». “Si la terre était une orange, alors la Zone critique serait son écorce. Il s’agit d’une fine couche, où l’eau, le sol, les plantes, les roches, les conditions météorologiques ou la vie animale interagissent tous ensemble pour créer les conditions nécessaires à la vie telle que nous la connaissons.”
Cet espace de l’exposition est de loin le plus important. Et pour cause, les artistes tentent ici de faire ressentir cet équilibre du vivant créé par des bactéries, des végétaux, des animaux en interaction entre eux ainsi qu’avec l’atmosphère et les minéraux. C’est pour désigner notre dépendance à cette Terre-là que Bruno Latour nomme ses habitants les “Terrestres”, marquant une différence avec les adjectifs “humains” ou “terriens” qui évoquent une espèce séparée des autres, une culture distincte d’une nature qui ne serait qu’une sorte de décor. Face à un film déroutant, projeté dans un format tellement large qu’il est impossible d’embrasser tout l’écran d’un seul regard, je me laisse emporter par une musique polyphonique qui accompagne des images saisissantes de technologies de communication, d’extraction de minerai, dialoguant avec des immensités désertes et une fresque animée où les animaux se transforment en morceaux de paysage : branches, buisson, rocher… Je suis certain de n’avoir rien compris à cette œuvre. Par contre, j’ai approché une perception de la fragilité de cette planète nommée Gaïa.
À l’occasion de la sortie de son livre précédent, Où suis-je ? Bruno Latour avait utilisé l’image de la métamorphose, celle du héros de Kafka, transformé du jour en lendemain en cancrelat. Il répétait à qui voulait l’entendre que le confinement et le “virus” étaient une occasion d’apprendre à vivre à l’intérieur de l’enveloppe terrestre. Légèrement provocant, il avançait que le confinement serait définitif, qu’à ce “petit” confinement succéderait le véritable apprentissage, celui de vivre à l’intérieur de notre carapace de cancrelat. Une “carapace de conséquences”, au sens où l’activité humaine interagit et modifie la Zone critique, Gaïa, qui en retour nous renvoie des réponses – pandémies, inondations, pénuries. Le grand confinement, définitif, signifie que nous sommes confinés dans cette “carapace de conséquences”. Pour Bruno Latour, ce changement de regard peut être positif car “nous nous libérons enfin de l’infini” (5), de cette idée illusoire et typiquement moderne que nous n’aurions aucune limite.

Planète Exit

Et la quatrième planète ? Placée en sortie d’exposition, une sorte de chambre froide nous montre à quoi pourrait ressembler un bunker de survie, destiné à transférer l’humanité sur une autre planète. Un rêve insensé, évidemment, alimenté par les délires technologiques de quelques investisseurs comme Elon Musk et par notre imaginaire de science-fiction et de progrès sans fin.
Mais, hors de cette caricature, ne sommes-nous pas tous tentés par cette planète Exit chaque fois que nous nous réfugions dans l’impression réconfortante que ça finira par s’arranger, qu’il y a quelque part des gens qui savent et qui vont gérer tout ce bazar ? On sort de cette exposition avec un certain vertige, à la fois ému et perplexe, à la fois enthousiaste et désarçonné, convaincu mais sans savoir par où commencer. Demain, de retour de Metz, je rouvrirai le petit Mémo. Je reprendrai mes lectures, nous poursuivrons nos réflexions et nos engagements…
On nous promet la Lune et certains même la planète Mars. On nous promet beaucoup de choses pour nous flatter l’égo… Mais sans doute plutôt l’égo de ceux qui ont les moyens de payer. Chez Nature & Progrès, nous avons toujours défendu l’idée que pour vivre en harmonie, il fallait réhabiter – réhabiliter – notre bonne vieille Terre. Car le juste partage de ses ressources demeure le seul gage d’équité entre les hommes. C’est sur cette planète-là que nous voulons vivre…

Notes :
(1) Bruno Latour et Nikolaj Schultz, Mémo sur la nouvelle classe écologique, La Découverte, 2022, p. 31.
(2) Voir, entre autres : Frédéric Lordon, « Pleurnicher le Vivant » sur le blog du Monde diplomatique, La pompe à phynance, 29 septembre 2021 ; Daniel Tanuro, « Face au désastre. Pourquoi Bruno Latour a tort et pourquoi il faut le prendre au sérieux », Revue Contretemps, 18 mai 2021 ; Paul Guillibert, « C’est vrai qu’il est agaçant Bruno Latour, mais… », L’Obs, 25 octobre 2021.
(3) Sauf mention contraire, les extraits entre guillemets sont issus du livret de l’exposition.
(4) Bruno Latour, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, La Découverte, 2017, p. 39.
(5) Bruno Latour, Où suis-je ? Leçons du confinement à l’usage des terrestres, La Découverte, 2021, p. 58.

Qu’est-ce que bien « bêcher » ? Quels outils choisir ?

Les outils n’ont jamais cessé d’évoluer depuis les premiers pas de l’Homme en agriculture. De nouveaux outils, mieux adaptés pour ameublir et aérer la terre, apparaissent donc encore régulièrement de nos jours. Mais quel est le véritable plus qu’offrent ces « nouvelles bêches » dans le cadre du jardinage biologique ? Pourquoi voir là un véritable « progrès » ?

Par Philippe Delwiche

Voyageons dans le temps. Nous voilà à l’aube du Néolithique, quelques milliers d’années avant notre ère : là où nourriture est abondante, des groupes de chasseurs-cueilleurs se sédentarisent, pendant quelques semaines ou quelques mois, et accumulent des déchets organiques près de leurs habitats. L’année suivante, lorsqu’ils repassent au même endroit, ils constatent que certaines plantes sauvages qu’ils consomment régulièrement poussent là où ils ont jeté leurs déchets. Surprise ! Elles sont bien plus vigoureuses que celles qu’ils cueillent habituellement. Parmi les nombreux scénarios imaginés pour décrire les débuts de l’agriculture, celui-ci est sans doute plausible. Et ce phénomène s’est probablement produit indépendamment, simultanément ou presque, dans différentes parties du monde…

Ameublir pour semer

Au commencement, les premiers travaux d’ameublissement servirent sans doute uniquement à pouvoir déposer les graines dans un milieu travaillé superficiellement. Les premiers outils furent donc des houes et des bâtons fouisseurs qui apparaissent dès le Néolithique. Le bâton fouisseur est l’ancêtre de notre bêche : malgré son bout durci par le feu, il ne peut travailler le sol qu’en surface, parfois lesté d’une pierre trouée qui augmente sa force de travail, lui permettant de pénétrer plus profondément dans le sol, sans qu’il puisse toutefois le défoncer et l’émotter. Cet instrument est toujours utilisé en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud par les paysans les plus pauvres. De nos jours encore, des paysans péruviens utilisent la taklla, un outil en bois plus large à la base, parfaitement adapté à leur terroir, intermédiaire entre le bâton fouisseur et la bêche. La base élargie permet de découper, de soulever et enfin d’émietter une portion de terre…
Les Romains connaissaient la bêche et possédaient une telle maîtrise de la métallurgie qu’ils pouvaient même façonner des outils à dents réservés aux terres rocailleuses de leurs vignobles. Les invasions barbares marquèrent cependant un brusque arrêt de l’expansion romaine avec « chute démographique, perte de trésors d’art, ruine des routes, des ateliers, des entrepôts, des systèmes d’irrigation, des cultures » (J. Le Goff, La civilisation de l’Occident médiéval, Arthaud, 1967). La bêche, apportée par les Romains, se maintiendra pourtant comme outil, mais c’est la bêche monoxyle asymétrique qui sera d’abord utilisée pendant plusieurs siècles. Taillée d’un seul tenant dans un morceau de bois, épaisse pour être solide, elle est lourde et pénètre difficilement le sol malgré son extrémité amincie et durcie par le feu. Le pied du bêcheur se pose cependant dans l’axe de l’outil et renforce donc son efficacité. Cette bêche sera très longtemps le seul outil aratoire permettant de travailler en profondeur la terre du potager.
Le bord d’attaque sera ensuite progressivement renforcé à l’aide de fer lorsque le coût de celui-ci va diminuer. Enfin, l’entièreté de l’outil sera faite d’acier. Aujourd’hui, la bêche trouve encore son utilité dans le travail d’un sol très argileux et, particulièrement, pour le bêchage hivernal. La bêche à dents est idéale pour le labour de printemps des terres lourdes et pour les terres rocailleuses, sa pénétration dans le sol étant plus aisée. Ces deux outils, également valables pour les terres légères, présentent cependant l’immense désavantage de retourner la terre. Or inverser les couches du sol, pour un jardinier biologique, c’est une chose inacceptable !

Un sol vivant est le garant de belles récoltes

En agriculture conventionnelle, le sol est considéré comme un simple support pour les plantes, celles-ci absorbent dès lors, pour s’alimenter, des engrais chimiques directement assimilables. En agriculture biologique, le compostage des matières organiques, et éventuellement le fumier, fournissent au sol un humus de qualité. Ceci ne constitue cependant qu’une « prédigestion » qui diminue seulement le temps nécessaire à la libération des éléments nutritifs qui ne pourront être assimilables qu’après une lente transformation par les organismes vivants du sol. Cloportes, iules, vers de terre ou limaces, par exemple, vont les réduire en petites particules, alors que les microorganismes, comme les bactéries, les champignons ou les algues, les transformeront en éléments assimilables.
On comprend ainsi pourquoi le jardinier bio met autant de zèle à préserver l’écosystème de son sol grâce à des pratiques culturales appropriées comme le « mulch ». Le travail du sol doit donc s’effectuer sans inverser les couches de terre car chacune possède sa flore et sa faune spécifiques : en surface vivent les microorganismes aérobies qui ont besoin d’air alors qu’en profondeur vivent les anaérobies qui n’en ont pas besoin. Mélanger les couches d’un sol détruit donc une grande partie des organismes vivants qui l’habitent. Ils doivent ensuite se régénérer au départ des survivants. Pour les potagers, ce désastre intervient souvent au printemps, au démarrage de la végétation, alors que celle-ci a besoin d’énormément d’élément nutritifs. Ameublir le sol sans en bouleverser les couches suppose donc l’utilisation d’outils adaptés.

Les bêches biologiques

– la grelinette

La première bêche biologique date de 1948 : en jardinant, André Grelin redresse un croc placé horizontalement et enfoncé dans le sol. Il constate alors que la terre s’émiette sans effort grâce au point d’appui constitué par l’arrondi des dents et au bras de levier du manche. Il crée alors un nouvel outil en redressant le manche de 90°, en le dédoublant et en ajoutant quelques dents. Le travail se fait alors debout en tirant et non plus en soulevant. Initialement conçue pour épargner le dos, la grelinette fait rapidement des adeptes parmi les amateurs de jardinage biologique car elle a également l’immense avantage d’ameublir la terre sans la retourner, et donc en respectant davantage la vie du sol.
Ses avantages sont :
– les manches en bois qui offrent un contact et une prise en main agréable,
– l’écartement entre les deux manches qui permet d’abaisser l’outil afin de travailler la terre sans pour autant devoir reculer,
– sa robustesse et sa légèreté,
– la possibilité de travailler le sol en restant toujours dans la position debout,
– les dents rondes et non tranchantes qui ne participent pas à la prolifération des adventices vivaces – liseron, chiendent… – par morcellement des racines.
Son seul inconvénient apparaît uniquement en terre lourde : la grelinette y peine ! Même en ne bêchant que de fines bandes de terre de sept à huit centimètres, elle manque alors de rigidité au niveau des manches et l’arrondi des dents a tendance à s’enfoncer dans la terre et à ne plus assurer un bon levier.

– la guérilu

L’adoption de la grelinette par les jardiniers biologiques fit des envieux et cet excellent outil fut bien vite copié. On trouva alors, sur le marché, de nombreux outils similaires : aérabêche, actibêche, bio-fourche… Tous ces outils reprennent l’idée originale de M. Grelin mais sans maintenir celle de l’écartement des manches. Résultat : chaque cycle demande un mouvement supplémentaire de recul du corps lorsqu’on abaisse l’outil pour émietter le sol.
La guérilu mérite cependant une place à part : réalisée en tubes d’acier galvanisé, elle propose des dents droites et c’est une lame métallique cintrée qui assure le levier lorsqu’on abaisse l’outil après l’avoir enfoncé.
Ses avantages sont :
– les mêmes que ceux offerts par la grelinette : écartement des manches, robustesse, dents arrondies, travail en position debout…
– une structure en tubes d’acier qui offre une rigidité que n’a pas la grelinette et qui permet de travailler en terrain plus lourd,
– un levier fait d’une lame cintrée qui facilite l’émiettement de la terre grâce à un pivotement plus aisé, caractéristique qui permet également un travail en sol plus lourd.
Le seul inconvénient de la guérilu réside dans le contact des mains avec le métal froid, lorsqu’on travail tôt ou tard dans la saison.

Grelinette et guérilu sont donc deux outils exceptionnels qui permettent un travail respectueux de la terre. Grâce à eux, les jardiniers qui souffrent du dos peuvent continuer sans problème le bêchage du potager. Ces outils permettent même un travail deux à trois fois plus rapide que la bêche ou à la bêche à dents. Il est possible, sur une bonne terre, de cultiver jusqu’à cinq à six ares sans envisager de motorisation, alors que la bêche ou la bêche à dents limitent la culture à deux à trois ares, avant qu’elle ne devienne une corvée…

– la griffe de jardin

Il s’agit d’un outil muni de trois dents hélicoïdales qui s’enfoncent dans la terre grâce à un mouvement de rotation. Il permet également de travailler la terre sans la retourner mais convient sans doute moins pour de grands jardins car la surface travaillée à chaque mouvement est beaucoup moins importante.
Ses avantages sont :
– la surface travaillée offre moins de résistance et permet donc son utilisation à une personne moins vigoureuse,
– sa conception permet d’ameublir profondément la terre entre les lignes de légumes, sans pour autant les déranger,
– il permet un bon travail d’ameublissement dans les parterres de vivaces ou d’arbustes sans trop blesser les racines, un travail est particulièrement bénéfique en été, avant un arrosage, afin de permettre à l’eau de pénétrer le sol et d’assurer ainsi des réserves d’eau en profondeur. L’inconvénient de cet outil est également de ne pas fonctionner efficacement en terre lourde.

Conclusion

Mélanger les couches du sol qui possèdent une faune spécifique détruit donc une grande partie de la vie qui l’habite et qui doit ensuite se régénérer au départ des survivants. Se borner à ameublir à l’aide d’outil adaptés permet de limiter le saccage. Mais, nous l’avons dit : les outils qui travaillent le sol sans le retourner ont une limite d’efficacité lorsque celui-ci est lourd et argileux. Toutefois, les pratiques culturales du jardinage et de l’agriculture biologique – apports de compost, de fumiers pailleux, pratique du « mulch »… – améliorent rapidement la structure d’un sol et il n’est donc pas possible de faire sans elles. Cinq à six années de soins attentifs suffisent souvent pour constater une évolution durablement positive…

Note :
(1) Le Goff, J., La civilisation de l’Occident médiéval, Paris : Arthaud, 1967.

Des légumes bio et locaux dans les cantines scolaires

En participant activement au Réseau RADiS (Réseau Alimentaire Dinant Solidaire), Nature & Progrès a l’opportunité de tester ses idéaux, de concrétiser les nombreuses idées émises par ses membres et sympathisants sur ce que devrait être notre système alimentaire, avec une agriculture biologique autonome, au service d’une consommation locale et responsable.

Par Sylvie La Spina (Réseau RADiS) et Laurence Leduc (Influences-végétales)

Aujourd’hui, c’est avec beaucoup d’enthousiasme et de fierté que nous partageons avec vous la première victoire de notre Réseau RADiS. Depuis octobre 2021, les légumes biolocaux des producteurs du Réseau alimentent deux cantines scolaires de la région dinantaise !
Rappelons que le Réseau RADiS (Réseau Alimentaire Dinant Solidaire), mené par Nature & Progrès et la Fondation Cyrys FUP, a pour objectif de développer des filières alimentaires bio et solidaires dans la région dinantaise. A travers ce Réseau, nous souhaitons créer du lien entre consommateurs, producteurs, transformateurs et commerçants, et remettre sur pied les outils nécessaires à une relocalisation alimentaire bio. Les actions mises en place, définies de manière participative, sont également pensées en vue d’optimiser leur impact social.

Un manque de légumes bio en région dinantaise

Dès le lancement du Réseau RADiS, fin 2020, la faible part de cultures de légumes en région dinantaise a attiré notre attention. D’après nos calculs, tous modes de production confondus, les fruits et légumes cultivés sur les six communes du territoire couvraient à peine 4% des besoins des citoyens. On était donc bien loin de l’auto-approvisionnement alimentaire, ce qui semblait très interpellant dans un milieu principalement rural. A l’époque, une seule maraichère bio, Florence, était active dans la région. Par ailleurs, au moment de définir les priorités du Réseau RADiS, deux écoles locales – accompagnées par Influences-végétales asbl – ont manifesté leur envie de se fournir en légumes biolocaux, dans le cadre de leur transition vers une cantine durable.
Bien ancré dans la philosophie de Nature & Progrès, le Réseau RADiS rassemble citoyens et producteurs bio dans une démarche participative. Lors des rencontres, on se rassemble, on s’informe, on réfléchit, on développe des idées… et on les met en place ! Une première réunion du groupe thématique « fruits et légumes », début 2021, eut pour objectif de définir nos priorités de développement et actions dans cette filière. La demande des cantines scolaires pour des légumes biolocaux a rencontré un enthousiasme généralisé : nourrir plus sainement et avec des produits locaux les enfants de tous horizons, et sensibiliser à travers eux leurs parents, que peut-on rêver de mieux ? L’engouement a également touché deux autres producteurs du territoire, Jean et Alessandro, qui ont rejoint le Réseau en passant le cap de la conversion bio. Fournir les cantines scolaires devint ainsi notre premier objectif fédérateur.

Coopérer, s’organiser

Devant les volumes de légumes à fournir aux écoles, une collaboration entre les maraîchers est indispensable, et force est de constater que « la sauce a bien pris » entre les producteurs qui, au départ, ne se connaissaient pas. Les contacts ont été nombreux pour tester du matériel de semis et de plantation, pour échanger sur l’état des cultures et pour évaluer les futures récoltes. Avec l’été particulier que nous avons vécu, les productions de 2021 seront évidemment insuffisantes pour couvrir tous les besoins mais les légumes manquants seront achetés à des maraîchers bio des environs. En parallèle, plusieurs porteurs de projet en maraîchage ont trouvé une terre grâce à notre action « Des terres pour nos RADiS » – voir Valériane n°148 – et préparent leur installation dès 2022. Un renfort bienvenu !
Certaines écoles n’étant pas équipées de cuisines – comme les écoles primaires communales d’Onhaye -, elles souhaitent être approvisionnées en potages-collations. Grâce à la petite cuisine aux normes AFSCA de Jean, un de nos maraîchers, le Réseau peut répondre à cette demande et « tester » la transformation. Faire de la soupe pour une collectivité, ça ne s’improvise pas : il faut travailler à de bonnes pratiques, s’organiser, effectuer des démarches administratives, trouver de la main-d’œuvre rémunérée… A terme, lorsque les volumes à fournir seront plus importants, la transformation aura lieu dans des locaux propres au Réseau RADiS. Par ailleurs, les légumes nécessitent un stockage à l’abri des gelées hivernales ou des redoux printaniers : un outil de stockage mutualisé est donc également en réflexion.

Nos producteurs : Florence, Alessandro et Jean

Florence Hautot cultive des légumes à Mesnil-Saint-Blaise, dans la commune d’Houyet, à côté de son emploi d’aide-cuisinière dans une école de Beauraing. Elle écoule la plus grande partie de sa production en vente directe et via la nouvelle coopérative « Comptoir paysan », à Beauraing.
Alessandro Maury développe la culture de légumes dans la ferme familiale de Falmagne, dans la commune de Dinant, principalement tournée vers les grandes cultures et l’élevage de bovins Blonde d’Aquitaine bio. Son truc à lui, ce sont les légumes de conservation à cultiver en champ, comme les pommes de terre, les carottes, les oignons et les poireaux. Ces cultures ne demandent pas trop de temps, ce qui est compatible avec son emploi à temps plein.
Jean Baivy a développé une petite ferme dans le village d’Awagne, sur la commune de Dinant. D’abord destinés à l’approvisionnement de sa famille, son grand potager et ses élevages alimentent aussi une clientèle en vente directe. Motivé par le Réseau RADiS, Jean souhaite consacrer davantage de temps et d’espace au maraîchage pour répondre, entre autres, aux besoins des écoles. C’est Jean qui assure actuellement la transformation et les livraisons du Réseau pour les cantines.

Deux écoles locales dans le processus cantines durables

Grâce au soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles, deux écoles de la région de Dinant se sont lancées dans l’aventure de la cantine durable, avec le soutien d’Influences-végétales asbl et du Collectif Développement Cantines durables (CDCD).

– les écoles communales d’Onhaye

Les quatre implantations communales d’Onhaye ont démarré le processus de cantine durable, à la fin de l’année 2020. Malgré la crise sanitaire et l’arrêt de la livraison des repas chauds, toutes les actions prévues dans le programme d’accompagnement ont pu être menées : ateliers de sensibilisation dans toutes les classes, visite de maraîchage, conférence à destination des parents, sensibilisation des enseignants… Le partenariat développé avec le Réseau RADIS a abouti à la mise en place d’une collaboration entre la commune et les maraîchers locaux, ainsi qu’au développement d’une première filière de transformation des légumes en potage. La première phase de l’accompagnement s’est clôturée par le lancement du potage-collation une fois par semaine pour les trois cent quarante élèves. Un beau challenge pour les maraîchers locaux qui doivent fournir environ seize kilos de légumes par semaine, pour la préparation des quarante litres de soupe ! L’école aimerait poursuivre sa réflexion au niveau des collations et proposer, entre autres, l’année prochaine des bâtonnets de légumes issus de la production d’un producteur local. Affaire à suivre…

– le collège de Godinne

Le petit collège de Godinne – maternel et primaire – et le collège de Godinne-Burnot – secondaire – sont regroupés sur un seul site, au sein d’un parc verdoyant. Initié par le côté fondamental, le projet de cantine durable a rapidement « contaminé » l’équipe éducative du secondaire. C’est donc ensemble, et puisqu’ils partagent la même cuisine, que les deux écoles se sont lancées dans ce projet ambitieux. L’accompagnement pas à pas prodigué par Influences-végétales a permis d’embarquer les différentes parties prenantes dans l’aventure. Les élèves du maternel et du primaire ont notamment pu bénéficier d’ateliers de découverte et de dégustation végétale, ainsi que d’une visite chez Jean Baivy, un des maraîchers qui fournit désormais les légumes de leur potage-collation. La synergie développée entre les deux directions a permis la mise en place d’une distribution collective de potage-collation, deux fois par semaine, depuis début octobre, pour les trois cent cinquante élèves des deux écoles. Cela représente environ quarante kilos de légumes frais à livrer, chaque semaine, par le Réseau RADiS. Mais bien sûr, l’aventure ne s’arrête pas là ! Cette deuxième année d’accompagnement permettra la mise en place progressive d’une nouvelle offre alimentaire pour la cantine et l’internat !

Comment se passe la transition vers une cantine durable ?

La méthodologie développée par Influences-végétales et le CDCD prévoit un accompagnement complet, sur deux années, visant à la mise en place d’un nouveau modèle de cantine durable, au sein de l’école, et sa pérennisation. L’accompagnement, en première année, comprend toute une série d’actions mises en place pour et avec l’ensemble des acteurs de l’école : élèves, parents, équipe éducative, direction et pouvoir organisateur, cuisiniers et personnel de service, producteurs biolocaux…
L’approche est systémique et inclusive, et les actions travaillent sur le changement de culture alimentaire – informer, sensibiliser, faire tester – et préparent les changements de pratiques en cuisine – informer, mettre en place les premières alternatives.
Le Collectif Développement Cantines Durables (CDCD), actif en Régions wallonne et bruxelloise, a été créé pour accompagner les écoles qui veulent mettre en place un nouveau modèle d’offre alimentaire pour leurs élèves : une alimentation durable, biolocale, simple, savoureuse et accessible à tous. Il est composé de neuf associations réparties sur tout le territoire de la Wallonie, dont Influences-végétales sur la Province de Namur.
L’accompagnement proposé est structuré par une méthode et adapté à la réalité spécifique de chaque école. Le CDCD forme les cuisiniers et cuisinières à différents concepts de potages et de repas durables, et travaille sur deux axes de changements avec l’ensemble des personnes concernées par la cantine :
– une nouvelle culture alimentaire via des ateliers, des dégustations, des visites de maraîchages bio, etc.
– de nouvelles pratiques via un soutien plus technique, de la cuisine à la logistique en passant par les fournisseurs et la formation du personnel.
Le CDCD prend en charge une grosse partie du travail, ce qui le rend possible même dans un contexte scolaire fortement sollicité. La détermination de la direction soutenue par son équipe éducative est décisive. Les familles ont également l’occasion de jouer pleinement leur rôle de soutien au projet.

Pour plus d’infos :
– www.reseau-radis.be
– www.collectifcantinesdurables.be/
– www.influences-vegetales.eu

La bataille des crises : quand la pandémie l’emporte sur l’écologie

Les forêts s’enflamment, les profondeurs marines déclinent, les poubelles débordent de nourritures encore comestibles, les poissons et les crustacés s’ébouillantent, la grêle et la neige tombent en juillet, des populations entières sont privées d’eau et de nourritures, des récoltes sont détruites, la biodiversité est remplacée par des zones de déchets nucléaires et des agriculteurs et des agricultrices tombent malades…

Par Maylis Arnould

Et partout, on ne parle quasiment que de vaccins et de virus. Dans la to do list des crises à résoudre, toutes ne sont pas logées à la même enseigne ! Le terme de « crise » est dans toutes les bouches, tous les papiers et tous les écrans depuis maintenant deux ans. Non pas qu’il ne soit pas utilisé par les scientifiques, les lanceurs d’alertes, les écologistes et les travailleurs de la terre depuis les années soixante – septante (1)… Concernant la question écologique – entre autres -, il est apparu sous sa forme sanitaire de manière beaucoup plus importante avec l’arrivée de la Covid-19. Pas la peine de rappeler à quel point cette « crise sanitaire » a généré des bouleversements importants dans le quotidien des citoyens du monde entier, nous en portons encore les traces aujourd’hui.

Une crise ? Quelle crise ?

Ce virus « dont on ne doit pas prononcer le nom » a permis de mettre en lumière l’importance accordée à l’immédiateté et au présent dans nos sociétés contemporaines, au détriment du lendemain. Sur le plan politique, en quelques mois voire quelques semaines, presque tous les pays – majoritairement occidentaux – prirent des décisions radicales, allant du confinement au couvre-feu, en passant par la fermeture de certains magasins. Sur le plan social, les règles imposées pour lutter contre le virus furent respectées et acceptées par une grande majorité des individus en un temps record. Par exemple, selon les chiffres des sondages du projet « the big Corona study », en Belgique 77 % des répondants souhaitaient, en 2020, l’obligation du port du masque dans les supermarchés et 83 % le souhaitaient pour le personnel.
La peur de la Covid-19 a donc montré qu’il était possible, rapidement, d’imposer des habitudes quotidiennes – port du masque, utilisation du gel hydroalcoolique, possession du pass sanitaire, etc. – ainsi que de changer le fonctionnement d’une machine industrielle bien rodée – diminution de productions, fermetures temporaires ou limitations d’accès à certaines grandes enseignes, comme Decathlon ou Primark par exemple, etc.
Cette réaction face à la « crise » de la Covid-19 a engendré la stupéfaction de nombreux citoyens qui demandent, depuis maintenant plusieurs dizaines d’années, des changements rapides et radicaux pour pallier les problématiques environnementales. Pour faire une petite comparaison, la crise écologique est gérée politiquement de manière relativement instable. La plupart des décisions concernant les pesticides, les déchets plastiques ou encore l’émission de CO2 ont des délais de mise en place extrêmement longs après leurs votes, et sont même parfois annulées ou repoussées en cours de route – l’interdiction du glyphosate, par exemple. Les COP – Conférences of Parties – en sont désormais à leur 26e édition et aucun gros changement n’a été observé jusqu’à présent. Si l’on prend l’exemple de la déforestation, nous pouvons même dire que les décisions prises lors de ces rassemblements tournent en rond : la mise en place d’une « interdiction de déforester » pour 2030 alors que cette même décision avait déjà été prise en 2014 et que, depuis, la déforestation a augmenté…
Sur le plan social, ici aussi, les changements sont compliqués et difficiles. Le contexte politique et économique tend à voir la transition écologique sous l’angle de la technologie et de la croissance : toujours plus de biens de consommations mais cette fois-ci colorés en vert. Les scientifiques et les mouvements citoyens – qu’ils soient associatifs ou non – peinent à se faire entendre et sont même parfois volontairement passés sous silence (2). Les décisions politiques qui visent à améliorer les comportements face aux problématiques environnementales sont généralement très peu éducatives et concernent des points qui sont de l’ordre du détail – par exemple, l’interdiction d’utiliser des pailles en plastique. De plus, dans ce type de société, les personnes qui se tournent vers des alternatives sont généralement stigmatisées et considérées comme déviantes.

L’action individuelle et la conscience collective

L’arrivée des vaccins contre la Covid-19 n’a pas arrangé les divergences de réactions face à ces deux crises, particulièrement sur la manière dont sont perçues les personnes qui ne souhaitent pas se faire vacciner. Si l’on prend l’exemple de la France, les publicités gouvernementales, les affiches dans les rues, les gares ou les autoroutes, les discours politiques ou les discussions de comptoirs sont emplis d’un drôle de terme : la « conscience collective ». Cette idée de conscience commune et d’action collective est généralement mise en opposition avec l’idée de « liberté individuelle » prônée par les personnes non-vaccinées, celle-ci étant largement critiquée dans la plupart des médias. Ces deux idées sont particulièrement intéressantes et font ressortir de nombreux questionnements dès lors que nous nous penchons sur les différences entre pandémie et écologie. Quand il est question d’écologie ou d’agriculture, « chacun fait ce qu’il veut », « on ne doit pas imposer un choix de vie à quelqu’un ». Mais du moment où l’on parle d’un virus on oppose soudain l’égoïsme à l’altruisme. Pourquoi ? N’y aurait-il pas un peu de contradiction là-dedans ?
Dès qu’on exprime la crise écologique ou le désastre climatique, il faut faire attention, ne pas trop en dire, être bienveillant, prendre en compte le contexte et l’histoire de chacun. En effet, se tourner vers des alternatives de vie plus respectueuses du vivant – humain compris – n’est pas simple et il est important de laisser le temps à chacun de faire son chemin. Mais on se fait rapidement traiter d’extrémiste lorsqu’on aborde la question des comportements écologiques et il est tout à fait normal d’entendre un « je souhaite à certains de mourir aux urgences » ou encore « si des personnes décèdent, c’est de la faute de ceux qui font qui ne sont pas vaccinés ». Si de tels propos étaient tenus envers ceux qui ont des modes de vie destructeurs, qui consomment des poissons provenant de la surpêche destructrice et qui mangent des aliments qui abiment les sols, cela serait qualifié d’aberrant, voire d’inhumain. La question du choix personnel est pourtant régulièrement mise en avant face aux personnes qui consomment de la nourriture biologique ou qui utilisent des énergies renouvelables – pour ne citer que ces deux exemples – et il est très difficile de faire entendre que ces modes de vie sont généralement motivés par le bien commun, alors que pour la question sanitaire c’est l’inverse qui est observé. Comme énoncé précédemment, ces oppositions peuvent s’expliquer par l’importance du présent par rapport au futur, du maintenant plutôt que du demain. Les problèmes liés à la dégradation des ressources naturelles commencent doucement à être visibles mais ne sont pas palpables pour la plupart des individus – notamment dans une ville occidentale -, alors que l’impact sur la santé d’un virus se fait ressentir immédiatement, quotidiennement. Pourtant la mondialisation et le capitalisme sont également mortels, le nombre de décès de ce système a déjà été estimé, selon certaines sources, à environ vingt millions d’individus depuis le début de l’ère industrielle (3).
La crise écologique est mondiale et les alertes ne cessent d’augmenter, que ce soit via le dernier rapport du GIEC ou par des documentaires poignants : le climat, les océans, la terre, les forêts et quasiment l’intégralité de la biodiversité sont en train de décliner. Personne ne peut dire exactement ce qui va nous tomber dessus en premier mais beaucoup de scientifiques s’entendent pour dire que quelque chose va nous tomber dessus, c’est certain. Alors peut-être qu’essayer de se comprendre, se remettre en question avant de juger, de discuter, de respecter nos choix respectifs et de s’unir plutôt que de créer davantage de haine, ça apporterait des solutions, non ? Nous sommes capables de faire des choses incroyables et de développer le respect et la joie. Et de plus en plus d’individus le prouvent.

Quand les individus décident de dépasser leurs différences pour avancer ensemble…

À l’heure où beaucoup de citoyens et de citoyennes s’angoissent de la crise sanitaire, d’autres portent le stress de la dégradation de notre espace naturel, depuis bien plus longtemps. Mais la conscience des problèmes n’est pas forcément synonyme de déprime et les différences de points de vue n’empêchent pas nécessairement l’unité. Depuis plusieurs dizaines d’années, des espaces créant des modes de vie nouveaux et respectueux fleurissent partout dans le monde, avec la bienveillance comme actrice principale. Les exemples ne manquent pas : que ce soient des agriculteurs biologiques qui aident des agriculteurs « conventionnels » à faire leur conversion, des locaux qui nourrissent des zadistes, des étudiants toulousains qui cuisinent avec des personnes issues de quartiers défavorisés pendant un blocage, et j’en passe…
Sur la question sociale, les possibilités de passer outre nos différences sont également très nombreuses. En France par exemple, que ce soient les « gilets jaunes » ou certains rassemblements « anti-vax », le désaccord est remplacé par la compréhension. Pour reprendre l’exemple du vaccin, de nombreuses manifestations françaises ont mis un point d’honneur à afficher quelles étaient contre le pass sanitaire et non contre le vaccin, ce qui a créé un rassemblement hétérogène d’individus, vaccinés ou non. Plusieurs personnes vaccinées ont même exprimé le fait que c’était leur choix et qu’elles trouvaient anormal de l’imposer aux autres…
Il est donc tout à fait possible de dépasser nos divergences, à partir du moment où l’on se rassemble, où l’on se parle et surtout… qu’on éteint notre télévision ! Car même si l’on entend partout parler du covid et du vaccin dans l’espace public, dans les espaces privés ça parle bien plus souvent de résilience et de retour à la terre qu’on veut bien nous le faire croire !

Notes :
(1) Pour des informations plus détaillées à ce sujet voir : Patrick Matagne, Aux origines de l’écologie. Innovations, 2003/2 (no18), p. 27-42.
(2) Par exemple, l’affaire Love Canal aux États-Unis.
(3) Jean-Marc B, Victimes du capitalisme : un devoir de mémoire. Médiapart, 2018.

Quand luttes écologiques et sociales convergent

Certains livres nous éblouissent, d’autres nous troublent, nous éveillent, nous surprennent. Celui dont il sera question dans cet article m’a plutôt encouragé à voir plus loin que le bout de mon nez. Au lendemain d’une COP26 si prévisible et si désespérante, il m’a rappelé que, partout dans le monde, des communautés, des collectifs, des organisations sont au cœur de combats bien réels. Voici, brièvement présentées, quelques réflexions à partir d’extraits de l’ouvrage de Michael Löwy et Daniel Tanuro, Luttes écologiques et sociales dans le monde. Allier le rouge et le vert.

Par Guillaume Lohest

L’écologie, un truc de citadins occidentaux qui ont le luxe de se soucier des « générations futures » ? Ce cliché ne résiste pas à la lecture de l’ouvrage dirigé par Michael Löwy et Daniel Tanuro, compilation d’articles écrits par des témoins de luttes sociales et écologiques dans le monde entier : au Moyen-Orient, au Canada, au Japon, en Syrie, en Angleterre, aux Philippines, etc. Premier mérite d’une telle synthèse : nous ouvrons le regard et les questions écologiques prennent une autre dimension. Ce ne sont plus seulement les chiffres du GIEC, les négociations des COP, les panais bio de la coopérative et les pistes cyclables de la région. Ce sont aussi les expropriations, les assassinats politiques – comme celui de Chico Mendes, en 1988, ou de Berta Cáceres, en 2016 -, les communautés indigènes privées de leur espace vital, les maladies industrielles, le manque d’eau, les pollutions par les hydrocarbures…

Des catastrophes ici et maintenant

Une honte saine nous saisit. Car c’est vrai, en comparaison de ces combats vitaux, la préoccupation écologique des Occidentaux est encore en grande partie une inquiétude mentale, trop abstraite. Un « sujet » disent les journalistes, un « enjeu » comme on dit dans le monde associatif. On débat de scénarios et de mesures politiques à prendre. On se morfond d’angoisse « collapsologique » mais au chaud, le ventre plein, parfois en sirotant un petit pinard biodynamique. Autoflagellation, culpabilité ? Pas forcément. La honte est bien plus subtile que cela. Selon Frédéric Gros (1), citant Marx lui-même, la honte est « un sentiment révolutionnaire ». Car loin de se réduire uniquement à « un sentiment de tristesse et de souffrance morale, à ce poison de l’âme qui tue au petit feu de la dévalorisation de soi », elle peut être aussi « une forme de colère qui déploie l’horizon d’un programme politique ». Le livre de Löwy et Tanuro, deux militants écosocialistes et anticapitalistes, nous invite à suivre ce chemin-là. En nous mettant le nez dans les luttes concrètes de communautés locales et de travailleurs sur tous les continents, ils nous éloignent de toute vision trop lisse, trop consensuelle de l’écologie. C’est de luttes dont il est question.
Un autre rappel inaugure la lecture : « La catastrophe écologique ne se décline pas au futur, nous y sommes plongé.e.s et elle grandit de jour en jour (2) »». Les personnes qui ont subi de plein fouet les inondations de l’été 2021 en savent quelque chose. Le réchauffement climatique, ce n’est pas une affaire de température dans quelques décennies, ce sont d’innombrables catastrophes, dès aujourd’hui. L’introduction du livre en recense quelques-unes, dramatiques, au Bangladesh, dans la Corne de l’Afrique, au Mozambique, en Amérique Centrale, en Sibérie… qui ont des conséquences sur tous les aspects de la vie : santé, logement, revenus, énergie, relations sociales… Michael Löwy et Daniel Tanuro sont à juste titre irrités par la façon dont on continue de nommer ces événements : « Pourquoi persister alors, comme par habitude, à parler de catastrophes naturelles ? », écrivent-ils, dès lors qu’on sait pertinemment que ce bouleversement du climat est lié aux émissions de gaz à effet de serre. Avec, en outre, une tendance très nette à l’injustice climatique, dans l’état actuel des inégalités. « Cette autre réalité devrait crever les yeux également : la catastrophe est sociale autant qu’environnementale. Conformément aux avertissements des scientifiques, les pauvres – particulièrement dans les pays pauvres – sont frappés de plein fouet. Ils et elles émettent peu de gaz à effet de serre (parfois extrêmement peu) mais ont le tort d’habiter de mauvais logements, sur des terrains inondables, ou sur des pentes exposées aux glissements de terrain, ou dans les zones les plus sèches, ou dans les quartiers les plus chauds des villes (où ils et elles exercent, soit dit en passant, des métiers aussi essentiels que pénibles et mal payés)… »

Un ouvrage de conviction assumée

Les auteurs de ce livre ne s’en cachent pas : ils plaident pour un écosocialisme qui se construit à partir de réalités militantes concrètes. « Nous appelons « écosociales » les luttes dont les objectifs sont à la fois sociaux et écologiques. » On ne peut pas les réduire à une simple défense d’intérêts locaux, car « enracinées dans les territoires, ces luttes politisent parce qu’elles impliquent d’articuler les efforts, les savoirs et les demandes de divers mouvements (syndicalistes, féministes, écologistes) et de divers groupes sociaux (peuples indigènes, paysan.ne.s, ouvrier.e.s, intelleectuel.le.s). Ainsi commence à se construire un commun anticapitaliste, démocratique et pluraliste qui contient en germe la possibilité d’un autre pouvoir et d’une autre société : l’écosocialisme. »
Le mot est aujourd’hui galvaudé. Paul Magnette ou Jean-Luc Mélenchon, par exemple, s’en revendiquent. On préférera s’en tenir à la définition, plus radicale, qu’en donnent les auteurs. Michael Löwy est d’ailleurs à l’origine de cette notion. « Nous comprenons comme écosocialisme une nouvelle conception du socialisme qui met l’écologie au centre de la réflexion et de l’action. C’est un projet révolutionnaire, qui rompt avec les fondements de la civilisation industrielle capitaliste, en soumettant la production et la consommation à une gestion collective, écosociale et démocratique. » Il ne s’agit donc pas uniquement d’un projet socio-économique, c’est aussi une nouvelle vision du monde, un « nouveau projet de civilisation, fondé non sur les critères du profit et du marché, mais sur les besoins sociaux, démocratiquement définis, et le respect pour notre maison commune, la Nature, la planète Terre. Il est aussi une stratégie de transformation radicale, dont l’axe central est la convergence anticapitaliste entre luttes sociales et écologiques. »
Ainsi défini, l’écosocialisme n’est pas une légère adaptation du socialisme. Il est incompatible avec les gouvernements actuels – même ceux qui comprennent des partis socialistes – qui sont prisonniers du cadre économique dominant. « Il n’y a rien à attendre des gouvernements néolibéraux. Cela fait plus de trente ans qu’ils prétendent avoir compris la menace écologique, mais ils n’ont quasiment rien fait. Ou plutôt si, ils ont fait beaucoup : leur politique d’austérité, de privatisations, d’aide à la maximisation des profits des multinationales fossiles et de soutien à l’agrobusiness a détruit des milliers d’espèces vivantes et défiguré les écosystèmes tout en nous poussant au bord du gouffre climatique. »

Ce pétrole qui aurait pu rester sous terre

Qu’on partage ou pas les convictions militantes écosocialistes des directeurs de cet ouvrage, on sort bousculé de certains récits. En particulier celui qui concerne l’Équateur (3), emblématique des tensions entre les visions du monde des communautés indigènes et le modèle de développement importé par l’Occident dans toutes les Amériques et en partie intériorisé par les populations. Ces communautés, en effet, « se retrouvent au cœur de la lutte pour la préservation du milieu. Et ce par des mobilisations locales de défense des rivières ou des forêts contre les multinationales pétrolières et minières, mais aussi en défendant un mode de vie alternatif à celui du capitalisme néolibéral mondialisé. »
À partir des années 2000, trois pays ont tenté de rompre avec les politiques néolibérales bien implantées sur le continent : le Venezuela, la Bolivie et l’Équateur. « Mais ils sont restés totalement dépendants des revenus de l’exploitation des énergies fossiles (gaz et pétrole) largement responsables du changement climatique. » En Équateur, pourtant, un projet gouvernemental aussi original que salutaire fut tenté. « L’initiative Yasuní-ITT était un projet lancé par le gouvernement équatorien en 2007, sous la présidence de Rafael Correa. Il visait à laisser sous terre 20% des réserves de pétrole du pays dans une zone de mégabiodiversité – le parc national Yasuní (…) – en échange d’une contribution internationale de 3,6 milliards de dollars, soit la moitié des ressources financières que l’État aurait pu obtenir en vendant la ressource aux prix de 2007. »
Cette initiative n’a malheureusement pas abouti, notamment à cause d’un manque flagrant de réponses internationales à la proposition. Le gouvernement équatorien l’a abandonnée en 2013. Mais il s’agit néanmoins d’une tentative remarquable dont il faut tirer des leçons, selon Matthieu Le Quang. La première tient à la méconnaissance du contenu de l’initiative sur la scène intérieure, causée par un « manque de diffusion populaire de sa politique par le gouvernement mais aussi de l’absence de campagne de soutien de la part de la société civile, notamment les ONG à l’origine du projet. » Il faut dire qu’à côté de ce projet, le gouvernement équatorien était divisé et menait, en même temps, des politiques contradictoires, centrées sur l’extraction de ressources fossiles ailleurs, au détriment des communautés indigènes.
De façon générale, Matthieu Le Quang explique l’enlisement de l’initiative par « la présence d’un sens commun développementiste au sein de la population équatorienne, qui voit dans le pétrole la ressource permettant à l’Équateur de sortir de la pauvreté et d’arriver à un certain niveau de développement. » Mais, plus encore, le facteur décisif est, selon lui, que les autorités équatoriennes, portées au pouvoir dans l’enthousiasme d’une « révolution citoyenne », avaient une manière de gouverner qui ne s’appuyait pas sur la société civile ou sur les organisations sociales. Or, quand les tensions politiques apparaissent et que des arbitrages doivent se faire, « la mobilisation sociale peut seule permettre d’éviter que ces arbitrages se fassent en faveur d’autres intérêts que ceux de la société et de l’environnement. » Une manière de dire, entre les lignes, cette banalité insupportable : les intérêts des grandes compagnies multinationales l’emportent toujours !

« Deux phénomènes clairement liés »

Dans les milieux environnementalistes et décroissants, on entend souvent cet amer refrain antisyndical : « de toute façon, tant qu’ils défendent l’emploi, on ne sortira jamais de la croissance ». Le livre de Löwy et Tanuro fait place à ce conflit important sans tenter de le minimiser. Il est remarquable que la parole y soit donnée à la Fédération Internationale des Transports (ITF) dont on aurait pu penser qu’elle allait simplement confirmer cette contradiction entre le maintien de l’emploi et l’abandon indispensable de la logique productiviste. Or non. Les réflexions menées au sein de cette fédération témoignent d’une conscience écologique et sociale aigüe et appellent à un renouveau du rôle des syndicats. « Les syndicats devraient adopter une approche globale de l’économie face au changement climatique et à la réduction des émissions, et les différents secteurs devraient donc être considérés comme faisant partie d’un tout et non isolés les uns des autres. En particulier, les syndicats, quel que soit leur secteur, devraient se préoccuper de la manière dont l’énergie est produite et distribuée », selon Asbjørn Wahl, représentant syndical au sein de l’ITF (4).
La Fédération Internationale des Transports ne témoigne pas dans l’ouvrage d’une lutte massive mais livre plutôt une analyse percutante du lien entre les dégâts sociaux et les émissions de CO2. L’évolution du secteur des transports dans le cadre de la mondialisation néolibérale a été marquée par deux conséquences directes : la dégradation des conditions de travail des routiers et une forte augmentation des émissions de gaz à effet de serre du secteur. « Les deux phénomènes sont clairement liés », écrit Asbjørn Wahl.
Très critique sur la stratégie de dialogue social qui continue de prévaloir aujourd’hui au sein de la plupart des syndicats, l’ITF est consciente que seule une mobilisation populaire massive peut permettre de renverser le rapport de force actuel. Parmi les pistes de solution envisagées, une convergence écologique et sociale : « Le secteur des transports entraîne des coûts sociaux et environnementaux considérables qui sont actuellement supportés par la société. Ces coûts dits externes doivent être internalisés, en commençant par des salaires et des conditions de travail décentes, afin que les prix reflètent davantage les coûts réels de transport. » La défense des intérêts des travailleurs, même quand ils conduisent des camions qui émettent du CO2, peut donc aller dans la même direction que la lutte contre le dérèglement climatique !

La CGT à la ZAD

La critique globale du modèle de société, c’est précisément ce qui s’est développé au sein de la CGT Vinci (5) au fil des années, dans le cadre particulier du projet de transfert de l’aéroport de Nantes Atlantique sur le site de Notre-Dame-des-Landes. Francis Lemasson raconte, dans l’article de clôture du livre (6), comment les positions des uns et des autres, celles des divers groupes de syndicalistes et celles des militants de la ZAD, se sont progressivement rencontrées. Ainsi, au lendemain d’une réunion : « nous partons arpenter le territoire avec les Naturalistes en lutte. La zone parcourue est décidément très humide : les échanges portent cette fois sur les enjeux écologiques, mais aussi sur les piètres qualités géologiques du terrain, au regard des nécessités d’un aéroport… Nous découvrons d’autres lieux (comme la Chat-Teigne, une des hauts lieux de l’opération César de 2012), avant d’être accueillis par Marcel et Sylvie Thébault, éleveurs au Liminbout. L’un et l’autre soulignent l’importance d’une parole syndicale sur la question des emplois liés à ce projet de transfert de l’aéroport Nantes-Atlantique à Notre-Dame-des-Landes. »
Laissons-nous aller à une pensée paresseuse, à un cliché : avouons-le, nous pourrions penser que les travailleurs de chez Vinci allaient forcément défendre le projet de nouvel aéroport : plus grand, donc plus d’emplois ! Eh bien… non. L’accumulation de rencontres, de débats et de réunion font cheminer les différentes composantes de la CGT-Vinci vers une déclaration contre le projet d’aéroport, « mettant en avant nos propres motifs de syndiqué.e.s et de salarié.e.s, ainsi que notre volonté de travailler sur des projets socialement utiles. »
Quand les salariés de Vinci définissent eux-mêmes leur responsabilité sociale : « Telle est notre propre responsabilité sociale de salarié.e.s, face à la prétendue RSE de Vinci : donner du sens à notre travail en plaçant notre fierté dans son utilité sociale, avec le désir d’en finir avec le chantage à l’emploi qui nous humilie en nous faisant accepter l’inacceptable. Voici quelques années qu’en réponse à tous ces grands projets qui ne visent qu’à enrichir d’invisibles actionnaires, nous exprimons le souhait de satisfaire des besoins plus vitaux : réhabilitation de l’habitat et des routes secondaires ou équipement des zones rurales et périurbaines, ce ne sont pas les choses à faire qui manquent ! »
Les syndicalistes, reconnaît Francis Lemasson, se sont surpris eux-mêmes en rejoignant les mobilisations contre le nouvel aéroport, en convergeant avec la lutte des zadistes. « En 2016, nous sommes mûr.e.s pour nous opposer à un projet comme celui de Notre-Dame-des-Landes. Notre principal obstacle, c’était notre crainte de sortir du cadre syndical ou d’en compromettre l’indépendance. Nous étions d’accord et nous ne le savions pas. » Une belle leçon contre les « prêts-à-penser » de toutes sortes, du côté syndical comme du côté des écolos. Jamais écrites d’avance, jamais automatiques, des convergences sont possibles même là où on ne les soupçonne pas…

Notes :
1. Frédéric Gros, La honte est un sentiment révolutionnaire, Albin Michel, 2021.
2. Sauf mention contraire, toutes les citations de cet article sont issues de l’ouvrage suivant : Michael Löwy et Daniel Tanuro (dir.), Luttes écologiques et sociales dans le monde. Allier le rouge et le vert, Textuel, 2021.
3. Matthieu Le Quang, « Équateur. Lutte écosociale et institutionnalisation politique : quelques enseignements de l’initiative Yasuní-ITT », pp. 63-76.
4. Asbjørn Wahl, « Dix ans d’activisme climatique dans le syndicat des transports. Le grand défi : transformer une politique progressiste en action », pp. 215-235.
5. La CGT (Confédération Générale du Travail) est un syndicat français. Le groupe Vinci est une multinationale – leader mondial dans les secteurs de la concession, de l’énergie et de la construction – capitalisée en bourse à environ ciqnaunte milliards de dollars, qui emploie plus de deux cent mille personnes dans près de cent vingt pays.
6. Francis Lemasson, « Notre-Dame-des-Landes : comment la CGT Vinci a choisi le camp de la lutte contre l’aéroport », pp. 279-296.

Le sulfoxaflor et ses alternatives

Concernant les néonicotinoïdes, la Belgique « déroge »… Vive la rhétorique et mort aux abeilles ! Tel semble être désormais le message de ceux qui nous gouvernent ! Mais voici, à présent, le sulfoxaflor. Pas exactement un nouveau venu : Nature & Progrès en parlait déjà… il y a six ans exactement ! Et pas pour en dire beaucoup de bien…

Par Camille le Polain

Le sulfoxaflor est un insecticide systémique agissant en tant que neurotoxine et ciblant principalement les insectes piqueurs-suceurs, dont les pucerons. Neurotoxique de type néonicotinoïde, le sulfoxaflor agit à très faible dose et se diffuse dans tous les organes des plantes traitées. Cette molécule insecticide appartient à une nouvelle famille chimique – les sulfomixines, créée de toutes pièces pour ne pas faire un « néonic » de plus – et est utilisée pour exterminer tout type d’insectes susceptibles de s’attaquer à différentes cultures, dont certaines sont mellifères, comme les agrumes, les fruits à noyaux et à pépins, une grande variété de légumes etc. Loin d’être spécifique, il présente des impacts désastreux sur les insectes auxiliaires : abeilles mellifères, abeilles solitaires, bourdons, syrphes… sont autant d’insectes bénéfiques au bon fonctionnement des écosystèmes et, malheureusement, également la première cible de ce neurotoxique puissant.
Il est important de le répéter : l’heure est grave ! Depuis les années nonante, 75% de la biomasse des insectes a disparu ! En cause : l’utilisation massive des néonicotinoïdes dont le sulfoxaflor. Si l’argument naturaliste ne suffit pas pour vous convaincre, il est bon de rappeler également que plus des deux tiers de ce que nous mangeons est issu, directement ou indirectement, de plantes ayant besoin d’une pollinisation par un insecte. Dans le même ordre d’idées, on prête souvent à Einstein la phrase qui suit : « si les abeilles disparaissaient de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que quelques années à vivre. Plus de pollinisation, plus de plantes, plus d’animaux, plus d’hommes… »

Depuis 2015, de nombreuses voix s’élèvent…

Nature & Progrès agit depuis longtemps contre l’application dévastatrice du sulfoxaflor pour les écosystèmes et l’humain. En 2015, année de sa première autorisation en Europe, Nature & Progrès avait déjà sollicité nos politiciens pour leur demander de prendre les mesures nécessaires afin que le sulfoxaflor ne soit pas autorisé en Belgique. En dépit de nombreuses voix opposées à son autorisation sur le sol belge, des produits pharmaceutiques à base de sulfoxaflor furent autorisés ces dernières années. Une première autorisation fut octroyée, en 2020, pour lutter contre les pucerons en betterave sucrière, pour une durée de cent vingt jours, suivie d’une nouvelle autorisation, fin 2020, étendue cette fois à un nombre important de cultures : pommes de terre, fèves, féveroles, choux. En mars 2021, Nature & Progrès et PAN-Europe interpellèrent notre ministre fédéral de l’agriculture, au sujet de l’autorisation du sulfoxaflor dans ces cultures de plein champ. Il est grand temps, en effet, de libérer ces cultures légumières et légumineuses de ce puissant neurotoxique, sachant qu’elles représentent un nombre d’hectares conséquent, en Belgique, et qu’elles sont parmi les plus traitées. La Belgique, incapable de parler d’une seule voix, s’abstiendrait aux dernières nouvelles dans le débat européen sur son interdiction.
Il semble urgent, par conséquent, de rappeler que les alternatives à ce puissant neurotoxique existent ! Et que leur efficacité n’est plus à démontrer !
L’initiative citoyenne européenne « Save Bees and Farmers » est portée par un réseau de cent quarante ONG environnementales, d’organisations d’agriculteurs et d’apiculteurs, de fondations caritatives et d’institutions scientifiques distribuées à travers l’Union Européenne. Leur but est de réconcilier agriculture, santé et biodiversité. Et cela passe par un arrêt complet de l’utilisation des pesticides ! Plus de 1,2 millions de citoyens européens ont signé leur initiative…

Mettre en lumière les alternatives existantes

Chez Nature & Progrès, loin de chercher à dénoncer un système, nous mettons un point d’honneur à mettre en avant les alternatives aux pesticides chimiques de synthèse qui sont mises en pratique sur le terrain. C’est la méthodologie de notre campagne « Vers une Wallonie sans pesticides, nous y croyons » : rencontrer les agriculteurs au sein de leurs fermes et sur leurs parcelles de cultures, et se baser sur leurs témoignages de terrain pour apporter des solutions réalistes et réalisables.

1. Mieux vaut prévenir que guérir : tel est notre leitmotiv !

Nous prônons des pratiques agricoles préventives pour prévenir l’apparition d’insectes ravageurs. Ces méthodes sont variées et leur réussite tient en leur intégration combinée dans un même système de culture. En effet, l’objectif est d’atteindre des synergies entre les effets associés de différentes méthodes alternatives. Individuellement, ces alternatives pourraient être moins efficaces ou moins adaptées…

– une pratique préventive familière en agriculture bio : la rotation des cultures

La diversification spatiale et temporelle est la clef pour minimiser la pression des insectes ravageurs et pour prévenir efficacement leur installation. En agriculture bio, la rotation des cultures et l’alternance de cultures d’été et de cultures d’hiver est l’alternative agronomique la plus efficace aux pesticides synthétiques. La rotation permet de casser le cycle de vie des ravageurs.
A titre d’exemple, en cultures de légumes, réaliser une rotation entre cultures de légumes-feuilles et de légumes-racines prévient l’installation d’insectes ravageurs. Dans le même ordre d’idées, il est essentiel d’éviter de cultiver, de manière trop fréquente, des cultures de la même famille botanique sur une même parcelle.

2. La prévention passe également par des pratiques agroécologiques qui tendent à améliorer l’efficacité d’ennemis naturels pour réduire la pression des ravageurs :

– la mise en place de « cultures mixtes » et de « cultures intercalaires »

Ce principe se base sur l’association spatiale de deux – ou plusieurs – espèces culturales. Alors que la première technique – « culture mixte » – consiste à planter simultanément deux ou plusieurs plantes sur un même terrain, la deuxième – « culture intercalaire » – consiste à semer deux ou plusieurs cultures, en même temps, sur une parcelle donnée, dans des rangées séparées. A côté de leur efficacité dans la lutte biologique, les cultures mixtes et les cultures intercalaires favorisent également le maintien de la fertilité du sol et des rendements culturaux plus élevés.
Ainsi, certaines espèces végétales peuvent agir comme « cultures-pièges » ou comme ressources pour les ennemis naturels des ravageurs. Par un contrôle « top-down », les prédateurs naturels régulent ainsi l’abondance d’une population de ravageurs. Les cultures pièges fournissent un habitat aux insectes bénéfiques ou auxiliaires, comme les coccinelles, les araignées et les syrphes.
Une autre approche de lutte biologique, via les cultures-pièges, est la stratégie d’ »attraction-répulsion » qui consiste à « chasser » les insectes ravageurs d’une culture principale et à les « charmer » vers la lisière du champ. Un exemple – parmi de nombreux autres ! – est l’implantation de bandes de moutarde comme cultures-pièges pour contrôler la punaise arlequin, un insecte perceur-suceur qui se nourrit des feuilles de crucifères. L’introduction de cultures-pièges permet de limiter fortement les dommages liés aux attaques de ce ravageur sur le chou, le brocoli, les choux de Bruxelles et le chou-fleur.

– l’implantation de bandes fleuries et enherbées

Créer des habitats propices aux prédateurs et aux parasitoïdes (1) naturels des ravageurs peut également être réalisé par l’intermédiaire de bandes fleuries et de bandes enherbées. A grande échelle au sein de cultures plein champ, à plus petite échelle dans des cultures maraîchères ou simplement dans votre jardin, les bandes fleuries favorisent la lutte biologique contre les ravageurs en accueillant les insectes auxiliaires. Ces structures participent grandement à la biodiversité fonctionnelle, en apportant des fonctions de protection, des refuges d’hivernation, des ressources alimentaires pour les insectes auxiliaires et d’autres organismes bénéfiques. Entourer les parcelles de haies brise-vent, de bons refuges pour les insectes auxiliaires, permet également de diminuer la dispersion des ailés entre les différentes cultures.
Une réflexion en amont de l’implantation des bandes est conseillée : favorisez une diversité d’espèces à floraison précoce et étalée dans le temps, veillez à ce que les espèces choisies soient adaptées aux conditions pédoclimatiques de la parcelle, donnez la priorité à la durabilité et à la facilité de gestion des espèces, et finalement à la capacité à accueillir des pucerons spécifiques.
Des bandes mixtes – enherbées et fleuries – peuvent également être établies. Ces structures sont composées de graminées – par exemple, de la fétuque des prés, de la houlque laineuse, du ray-grass, etc. – qui, par leur structuration en touffes, offrent un site d’hivernation aux carabes, aux staphylins et aux araignées – des prédateurs qui raffolent des pucerons ! Les légumineuses ajoutées au mélange, telles que des espèces de trèfles, représentent également des sites d’hivernation pour les insectes auxiliaires. Finalement, à ce mélange de graminées et de légumineuses, sera ajoutée une composition d’espèces végétales qui bénéficient aux insectes adultes floricoles, comme sources de nourriture et sites d’hivernation, telles que l’achillée millefeuille, la carotte sauvage, la consoude officinale, le lotier corniculé ou encore le bouton d’or…

3. « Mulcher », une méthode aux nombreux atouts

« Mulcher » consiste à placer au pied des plantes du paillage, des branches issues de la taille d’arbres, etc. En plus de freiner le développement des mauvaises herbes à proximité de la culture, le « mulch » enrichit le sol en humus, conserve son humidité, limite son érosion par le vent ainsi que sa compaction par la pluie. Sous cette couverture, le sol est également moins soumis aux températures extrêmes, ce qui préserve ses constituants. A côté de ces atouts bien connus des maraîchers et des potagistes, l’application de « mulch » de paille permettrait d’interférer avec le comportement de recherche d’hôte des pucerons, et représenterait une barrière protectrice pour la culture ainsi « mulchée » face aux attaques d’insectes piqueurs-suceurs.

– couvrir le sol dans les vergers

Les pucerons comptent parmi les ravageurs qui causent le plus de dégâts en horticulture, en agriculture, en sylviculture et dans les jardins. Couvrir le sol d’espèces végétales-refuges de la faune auxiliaire est une autre méthode de lutte préventive. A titre d’exemple, l’implantation d’une couverture de Trifolium repens – le trèfle rampant – à la base des vergers de pêchers a pour conséquence une diminution des populations de pucerons qui est due à l’augmentation de ses prédateurs – syrphes, larves de chrysope…

Des réflexions en amont, avant même le semis !

Les choix, avant plantation, des parcelles de cultures adjacentes doivent être bien réfléchis car des migrations de pucerons, d’une parcelle de culture à une autre, peuvent créer énormément de dommages aux cultures. Sélectionner soigneusement l’habitat d’une culture avant la plantation permet, par exemple, d’éviter les dispersions du puceron du pois, dans des cultures de légumineuses qui auraient été implantées à proximité.
Par ailleurs, la période de semis doit être également mûrement réfléchie au préalable : il faut privilégier un calendrier cultural dissociant les périodes de vol des périodes de sensibilité des plantes.
A titre d’exemple, une étude a montré qu’un semis précoce a permis à une variété de lentille d’étendre sa période de croissance et de donner plus de temps à la culture de se développer avant l’apparition des populations de pucerons, la rendant donc plus robuste face à l’attaque.
En tant que « consomm’acteur », comment agir contre le sulfoxaflor ? Une chose est claire : les alternatives pour s’en passer sont nombreuses ! Privilégions avant tout, dans nos assiettes, une alimentation issue de l’agriculture biologique et locale. Mobilisons-nous ensuite pour ouvrir les yeux à nos politiciens afin qu’ils fassent le pari d’une agriculture exempte de poisons. Il en va de notre santé, de celle de nos enfants et de la nature qui nous entoure !

Note :
(1) Un parasitoïde est un organisme qui se développe au détriment d’un autre organisme – principalement un insecte appelé « hôte » – qu’il tue lors de ce développement.

Exportations massives de pesticides vers le « poumon vert »

Trois cent dix tonnes de thiaméthoxame, telle est bien la quantité astronomique de ce pesticide néonicotinoïde qui a été exportée depuis la Belgique, vers le Brésil et le « poumon vert » de la planète, dans le dernier quadrimestre de 2020 ! En pleine deuxième vague de la crise sanitaire… Mais la Belgique n’a peut-être été qu’une « porte de sortie » de l’Union européenne pour un produit qu’elle-même s’interdit, même si ses Etats-membres, trop souvent, « dérogent » par habitude…

Par Dominique Parizel

Fin novembre 2021, l’ONG suisse Public Eye révèle que l’Union européenne a exporté, durant les quatre derniers mois de l’année 2020, des milliers de tonnes des pesticides « tueurs d’abeilles » – les fameux néonicotinoïdes – qu’elle-même interdit sur son propre sol (1). Public Eye rappelle que « trois cultures sur quatre dans le monde dépendent des abeilles et autres insectes pollinisateurs ainsi qu’un tiers de la production alimentaire mondiale ». L’effondrement de ces populations, très vulnérables aux pesticides et à d’autres facteurs environnementaux, représente donc une « sérieuse menace pour la sécurité alimentaire et la nutrition dans le monde », ainsi que nous en avait averti la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture).
Dès 2018 et sur cette base, l’Europe avait donc interdit les trois principaux néonicotinoïdes – imidaclopride, thiaméthoxame et clothianidine – pour toutes les cultures de plein air, en raison de risques « inacceptables » pour les abeilles et ce, en dépit de la guérilla juridique opposée par les fabricants, Bayer et Syngenta essentiellement, qui furent déboutés par la Cour de Justice de l’Union européenne.

Où l’on mesure que l’intérêt des multinationales « fait loi »…

Il nous en coûte de resasser pareil poncif, croyez-le, mais hélas les faits sont là… L’Union, tout d’abord, permit à ses Etats-membres de « déroger » pour des raisons – et selon une procédure – obscures à propos de laquelle nous attendons toujours les précisions que doit apporter la Cour de Justice de l’Union européenne, suite aux recours intentés par Nature & Progrès Belgique, Pesticide Action Network Europe et un apiculteur indépendant. Nous vous avons parlé, à maintes reprises, des « dérogations » – arbitraires selon nous -, accordées par la Belgique, auxquelles s’ajoute maintenant une autre « dérogation » pour le sulfoxaflor. Nous revenons, dans l’article qui suit, sur les alternatives possibles pour ce produit dangereux. Plus fondamentalement, nous nous demandons surtout à quoi sert de légiférer si les puissants de ce monde – rien de neuf sous le soleil – sont ensuite autorisés à s’asseoir aussi facilement sur tout ce qui les embête. Et tout cela, dans le cadre de ce que l’Europe s’efforce encore de nous présenter comme un Green Deal…
A tous ceux qui laissaient encore quelques crédits à sa bonne foi, elle démontre à présent qu’elle-même se fiche éperdument de l’esprit même de ses propres lois, autorisant les géants de l’agrochimie à produire, sur le territoire européen, les pesticides qu’elle-même répute dangereux, puis à les exporter vers des pays où les réglementations sont – mais oserait-on encore en mettre sa main à couper – « plus faibles ». Quoi qu’il en soit, le grand commerce toxique mondialisé a encore de beaux jours devant lui. Et les « parrains de la drogue » ne sont pas forcément ceux qu’on croit !
L’ONG Public Eye et la cellule d’enquête de Greenpeace en Grande-Bretagne, baptisée Unearthed, réussirent, en effet, à mettre la main sur des données d’exportation obtenues, en vertu du droit à l’information, auprès de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA). Car même les multinationales sont tenues d’informer les autorités européennes de leurs exportations de produits chimiques interdits… Pour un résultat anodin ? Vous ne rêvez pas : plus de trois cents exportations en à peine quatre mois ! Et Bayer et Syngenta, qui disposent d’un vaste réseau d’usines en Europe, sont responsables de près des neuf dixièmes de ces exportations. De plus, le quotidien Le Monde relève (2) qu’avec « 310 tonnes de substances actives – le thiaméthoxame de Syngenta -, la Belgique est de loin le plus gros exportateur, devant la France. » L’analyse des données publiées par Public Eye permet même de constater qu’un seul envoi massif fut réalisé par Syngenta depuis notre pays ! La chose qui le compose, une fois formulée, s’appelle Engeo Pleno S et il y en avait très exactement deux millions deux cent mille litres ! Bien sûr, officiellement, la Belgique et la France soutiennent, à présent, une interdiction d’exportation car « il n’est pas acceptable d’exposer l’environnement et la santé dans d’autres pays » à ces substances, dit-on dans l’Hexagone où l’on ne manque décidément pas d’humour. Car tant la France que la Belgique « dérogent » toujours… Et nous aimerions vraiment bien savoir quelle partie du poison fut fabriquée dans notre rutilante usine de Seneffe, dans notre belle Wallonie, ce qu’indiquent clairement les document mis en ligne par Syngenta-Brésil…

Engea Pleno S, oui mais pour quoi faire ?

Donc, trois cent dix tonnes de thiaméthoxame furent fabriquées puis exportées depuis la Belgique en direction du Brésil, envoyés par les bons soins de Syngenta. Soit deux millions deux cent mille litres d’un produit formulé nommé Engea Pleno S, un merveilleux produit autorisé pour un nombre impressionnant de cultures, de la canne à sucre au soja. Si l’acte d’autorisation « conseille » de ne pas traiter en période de floraison, il permet, notamment pour les cultures de soja et de blé, d’effectuer des traitements aériens… via des avions. ! Une honte sans nom par conséquent – disons-le tout net – de voir notre pays « déroger » – décidément, ce n’est plus une habitude mais un vrai tic nerveux – aux interdictions en vigueur et à l’esprit de nos propres lois, pour laisser des industries transnationales exporter de vrais poisons qui vont polluer – et partant anéantir – le « poumon vert » de notre planète. Jouer les bonnes âmes conscientisées quand vient la COP, c’est une chose, mais agir, c’est en décidément une autre…
On sait bien sûr que, d’une manière générale, les écolos brésiliens ont la vie dure. Pourtant, des bonnes âmes, il y en a (4). Ne parlons donc pas des Brésiliens eux-mêmes mais de la responsabilité écrasante de leur état dans la destruction de sa forêt, avec le dessein – stupide et coupable – de devenir la « ferme du monde ». Une ferme agroindustrielle, cela va sans dire. Collaborer à un tel projet revient donc objectivement à agir contre la biodiversité et contre le climat ! Ainsi la quantité de terres consacrées aux palmiers à huile, par exemple, avait déjà doublé, au Brésil, entre 2004 et 2010, sou l’impulsion de président Lula. La volonté de concurrencer la Malaisie et l’Indonésie, dans cette production très controversée, n’a pas cessé depuis, les producteurs prévoyant de doubler encore le volume pour 2025 (5). Le Brésil est donc loin d’être un pays vertueux en matière écologique. Et Bolsonaro n’est pas seul en cause… L’impossibilité de signer un accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur est là pour nous le rappeler.
Du reste, c’est bien l’ensemble de l’agriculture brésilienne qui est une véritable tare pour la planète entière, et c’est bien cette agriculture, dans la plupart de ses spéculations principales – coton, riz, arachides, pommes de terre, cannes à sucre, oignons, citrons, fèves, tournesols, maïs, palmiers fourragers, pâturages, concombres, soja, sorgho, tomates, blé – qui est grande consommatrice de poisons tels que l’Engea Pleno S. Alors, pourquoi, décidément, lui en envoyer en si grandes quantités ? Et de quelle terrible infestation « contre laquelle il n’y a pas d’alternative », le Brésil a-t-il bien pu être la victime, en cette saison 2020 ?

Syngenta chinois

A moins que… A moins que le grand jeu géopolitique ne soit encore bien plus « subtil » que cela… Car oui, en mai 2017 – cela n’a pas fait les gros titres ! -, le géant ChemChina – une « propriété » de l’Etat chinois – a trouvé un soutien suffisant parmi les actionnaires de Syngenta pour boucler une offre mirobolante de quarante-trois milliards de dollars – trente-neuf milliards d’euros et des poussières… – sur le géant suisse des pesticides et des semences… Cette « fusion » – ah, l’amour fusionnel ! – revêtait un caractère stratégique pour la Chine, premier marché mondial en agriculture, qui cherchait alors à assurer la sécurité d’approvisionnement de sa gigantesque population.
L’Europe, toujours pleine de bienveillance et de bonnes intentions, veut-elle s’abstenir de contrarier la Chine dans ses relations avec le Brésil ? Pareille « diplomatie du pesticide » serait sans doute particulièrement risible s’il n’y avait d’autres enjeux de taille mondiale : le climat, la biodiversité… Quant à l’Europe, si elle veut montrer la voie en matière climatique, qu’elle le fasse peut-être avec un peu plus de fermeté… Qu’enfin nos pathétiques défenseurs locaux des intérêts industriels venus d’ailleurs daignent arrêter de se poser en arrogants libérateurs de l’agrochimie et qu’ils admettent, une fois pour toutes, ce que veut, chez lui, le consommateur lambda : du bio et du local en circuit court ! Tout profit pour nos agriculteurs. Nos agriculteurs à nous, ceux qui cultivent chez nous, c’est-à-dire en Wallonie… Pour ceux qui décidément mettent du temps à comprendre !

Notes :
(1) Voir : https://www.publiceye.ch/fr/thematiques/pesticides/lue-exporte-des-milliers-de-tonnes-de-tueurs-dabeilles-interdits-sur-son-sol/
(2) Voir : Stéphane Mandard, « L’UE exporte les néonicotinoïdes interdits sur son sol », dans Le Monde du 19 novembre 2021, page 10
(3) Voir : https://www.syngenta.com.br/sites/g/files/zhg256/f/engeo_pleno_2.pdf?token=1562182806
(4) Voir : https://www.secours-catholique.org/actualites/au-bresil-des-fossoyeurs-de-lamazonie-deviennent-ses-defenseurs
(5) Voir : www.greenpeace.fr/deforestation-huile-de-palme-compte-a-rebours-final/
(6) Voir : https://unearthed.greenpeace.org/2020/02/20/brazil-pesticides-soya-corn-cotton-hazardous-croplife/

Banalisation des pesticides : une menace majeure pour la planète !

L’agriculture biologique se développe. Rien ne semble – et c’est heureux – pouvoir stopper sa marche en avant ni freiner l’adoption de ses produits par un nombre croissant de consommatrices et de consommateurs (1). Mais les méthodes chimiques continuent pourtant d’empoisonner nos vies et de tuer les pollinisateurs. Qui peut expliquer pareil paradoxe ? Voici quelques tentatives d’explication…

Par Marc Fichers

Plus d’un quart de siècle d’actions et de revendications, dans les milieux apicoles et environnementalistes, en vue de voir interdits ces dangereux tueurs d’abeilles n’auront pas suffi ! Tout avait été dit, semblait-il, lors d’un colloque organisé, par nos soins, il y a plus de quinze ans, décrivant l’effet terrible des insecticides néonicotinoïdes sur les pollinisateurs. Et pourtant…

Triste saga

Nous savons, depuis tout ce temps, que les néonicotinoïdes agissent à très faible dose et déstructurent les ruchers, qu’ils « travaillent » à dose « sublétales » et sont ainsi la menace majeure qui guette nos abeilles, et nos pollinisateurs d’une manière général. Pour les autres insectes, on ne sait pas exactement. Personne ne les a encore étudiés !
Un quart de siècle d’un combat désespéré dans le monde apicole pour arriver enfin à une interdiction, par l’Europe, des trois principales matières actives – imidaclopride, clothianidine et thiaméthoxame -, une interdiction liée aux risques graves qu’elles font courir aux abeilles. Qu’à cela ne tienne : la Belgique a courageusement « dérogé », par quatre fois déjà, à cette interdiction européenne. Cela sans raison précise, si ce n’est de sauvegarder un secteur agroindustriel, entre autres sucrier, qui continue de laisser croire aux agriculteurs que l’avenir est dans la lutte chimique et qui refuse obstinément, depuis plus de vingt ans, de développer les alternatives aux pesticides (2). Et elle persiste dans son erreur funeste : un nouveau dossier s’ajoute aujourd’hui à la pile, celui du sulfoxaflor, encore un néonicotinoïde tueur d’abeilles – comme s’il n’y en avait déjà pas assez ! – autorisé uniquement en milieu confiné. Le ministre fédéral belge de l’agriculture n’a pas hésité à « déroger » à nouveau, en autorisant ce pesticide pour la culture de la betterave, en 2021. La Belgique, apparemment, ne connaît rien d’autre, en la matière, que des « situations d’urgence » (3), le ministre fédéral belge de l’agriculture considérant, en l’occurrence, que « la production végétale menacée ne peut être protégée du danger par d’autres moyens raisonnables ». Nous montrons pourtant, dans la suite de ce dossier, que des alternatives à ce pesticides existent et sont efficaces !
De telles dérogations salissent l’image de la Belgique ! Elles laissent également planer l’espoir que de tels poisons sont encore une voie d’avenir, en dépit des interdictions européennes. Plutôt que d’explorer et de proposer des alternatives au secteur agricole, ainsi que le propose Nature & Progrès, plutôt que de travailler à l’amélioration de ces alternatives en mettant des moyens pour une telle recherche, notre pays se complait à entretenir l’illusion que l’avenir se trouve encore dans le chimique. Il s’engage dans une impasse et il le sait ! Nous le lui répétons depuis de nombreuses années : le citoyen ne s’y retrouve plus ! D’un côté, on prétend vouloir développer la biodiversité et, de l’autre, on « déroge » à qui mieux mieux à l’interdiction de dangereux pesticides. De qui se moque-t-on ? Nos abeilles, chers élus, dépérissent ! Les populations d’insectes et d’oiseaux périclitent ! Le rapport sur l’état de l’environnement publié par la Région wallonne est particulièrement clair :
« Les effectifs des espèces associées aux milieux agricoles sont en déclin continu depuis 1990 et présentent la diminution la plus flagrante : ces espèces ont perdu plus de la moitié de leurs effectifs (- 60 %), au rythme moyen de 3,0 % par an. Ce déclin concerne tout autant les espèces liées aux grandes cultures que les espèces associées aux prairies (4). »
Or, par la faute de « dérogations » ineptes, la Belgique tord toutes les règlementations acquises de haute lutte pour permettre aux pesticides chimiques – et non des moindres ! – d’être répandus sur nos champs… mais aussi dans nos habitations puisque ces funestes molécules sont également utilisées pour lutter contre les puces de nos chiens et de nos chats !

Un élève modèle

La Belgique est totalement imprégnée par l’idéologie « chimique », la plupart de nos scientifiques sont toujours formattés dans ce moule. Mais la Belgique est aussi littéralement imprégnée de chimie, chaque Belge individuellement contenant en lui un grand nombre de ces molécules… Tout notre environnement est pollué par ces poisons, ainsi que l’ont montré les études Expopesten et PROPULLP, menées par l’ISSeP (5). Les pesticides se retrouvent finalement dans nos lieux de vie ! La ministre wallonne de l’Environnement l’a encore récemment mis en évidence (6), grâce à l’analyse de la présence de pesticides dans le sang et dans l’urine de 828 de nos concitoyens wallons. 90% des échantillons contenaient des métabolites d’insecticides pyréthrinoïdes et organophosphorés. Un quart contenaient du glyphosate, et 20 % des pesticides interdits depuis des dizaines d’années… Preuve que nous n’avons certainement pas fini de déguster ! Nature & Progrès avait d’ailleurs interpellé la ministre, dès son arrivée au gouvernement wallon, sur la nécessité de revoir la législation concernant les modalités d’utilisation des pesticides. Nous sommes donc dans l’attente de règles claires qui empêchent la dispersion de pesticides dans l’environnement. Car qu’est-ce qui peut justifier, en fin de compte, le fait que des produits dont la dangerosité est avérée puissent être ainsi disséminés en dehors des lieux traités ? Or il ne suffit manifestement pas que les conditions d’épandage soient normalisées et les pulvérisateurs régulièrement contrôlés… Cela s’apparente à une contamination, pure et simple, qu’aucune forme de nécessité ne peut plus aujourd’hui justifier : un pesticide est autorisé pour un lieu donné et contre un ravageur donné, rien ne justifie sa dissémination, d’autant plus que – répétons-le ! -des alternatives non chimiques existent et ont démontré leur efficacité.
Et nous n’incriminons pas ici les seuls agriculteurs : ce sont les fabricants qui devraient être poursuivis pour pollution de l’environnement. Quand le scandale de l’amiante a éclaté, personne n’a imaginé poursuivre les couvreurs ! Ce sont bien les firmes qui fabriquaient les matériaux de recouvrement à base d’amiante qui ont été d’emblée montrées du doigt. Comment se fait-il qu’en matière de pesticides, les seuls incriminés soient les utilisateurs ? D’autant que le coût environnemental et de santé est à charge de la collectivité alors que les bénéfices sont pour les fabricants (7) !
A l’heure qu’il est, la Belgique fait toujours partie du trio de tête des pays européens gros utilisateurs de pesticides (8). La Wallonie, quant à elle, a récemment octroyé une dérogation – une de plus ! – à Infrabel pour l’utilisation de glyphosate, et les justifications avancées ne laissent en rien supposer qu’il n’y aura pas de reconduction l’an prochain, alors que cet herbicide est, de plus en plus souvent, mis sur la sellette et qu’aucun moyen n’a été mis en œuvre pour rechercher et développer des alternatives. Le rendement économique, comme le rappelle fort à propos la ministre, ne peut cependant prévaloir sur les dégâts occasionnés à l’environnement et à la santé (9)… Mais alors, pourquoi pareille dérogation ?
Non content d’être un « gros consommateur » de pesticides, de « déroger » à tour de bras, de polluer l’environnement et nos maisons – via les colliers antipuces, notamment -, la Belgique est maintenant connue comme le plus gros exportateur – une « plaque tournante » du trafic – de pesticides interdits vers les pays du Sud, ainsi que nous le verrons dans l’article qui suit. Bravo, la Belgique !

Travailler à une meilleure réglementation

Depuis cinquante ans, Nature & Progrès tourne le dos à l’utilisation des pesticides en développant l’agriculture biologique. Les précurseurs de la bio, on le sait maintenant, ont raison, non pas de suivre les élucubrations de nos élites scientifiques de l’époque, mais simplement de répondre aux attentes quotidiennes de nos concitoyens ! A chacun son domaine : le labo et la bibliothèque aux uns, la vie de tous les jours aux autres…
L’Europe vise à présent 25% de bio en 2030 et le gouvernement wallon actuel s’est engagé pour 30%, la même année. C’est parfait ! Quelle magnifique reconnaissance pour la vision qu’ont eue les précurseurs. Depuis une dizaine d’années pourtant, Nature & Progrès Belgique s’investit aussi pour diminuer la pression chimique dans l’agriculture conventionnelle. Nous avons ainsi développé le projet « Wallonie sans pesticides » qui vise à les remplacer par des alternatives, et à investir dans des moyens de recherche afin de développer les alternatives toujours cruellement manquantes. Nature & Progrès consacre même ses maigres moyens dans cette recherche, via entre autres le Plan Bee. La situation actuelle montre toutefois que c’est évidemment loin d’être suffisant et qu’il faut également s’investir dans le combat politique pour mieux réglementer :
– l’autorisation, tout d’abord : nous ne pouvons évidemment plus tolérer que des « dérogations » soient données arbitrairement pour des produits interdits en raison de leur dangerosité ;
– d’utilisation, ensuite, car des produits aussi problématiques ne devraient plus jamais atterrir dans nos lieux de vie, dans nos maisons et dans notre environnement. Un principe simple doit être adopté : un pesticide ne peut être appliqué dans un endroit donné que si sa non-dispersion peut être garantie ! Si ce n’est pas le cas, eh bien qu’il soit interdit – et qu’il n’y ait évidemment aucune possibilité de « déroger »…
Nature & Progrès portera, cette année, une attention accrue sur ces différents points. Et ce n’est pas de gaîté de cœur ! Nous préférerions sincèrement concentrer toute notre énergie au développement de l’agriculture biologique. Malheureusement, au terme de vingt-cinq années d’actions citoyennes positives pour le monde où nous vivons, nous devons encore supporter que nos responsables « dérogent » à l’interdiction formelle de produits pourtant clairement réputés dangereux. Nous devons encore supporter que des législations inadaptées ou obsolètes sur l’utilisation des pesticides ne garantissent pas leur non-dispersion et que d’authentiques poisons soient retrouvés dans les lieux de vie de nos concitoyens. Face à de tels scandales, non, nous ne parvenons pas à rester les bras croisés…
Mais à qui la faute ? Dans l’étrange concert mondial de l’agrochimie, il est aujourd’hui bien difficile de comprendre exactement qui peut quoi et qui veut quoi (10). Ainsi que le montre l’article qui suit… Une manière habile pour ceux qui nous gouvernent de laisser faire, en déclinant toute forme de responsabilité ? L’état de la planète et du climat ne peut cependant plus souffrir la moindre approximation en matière agricole…

En 2022, Nature & Progrès concentrera ses efforts sur :
– le développement de l’agriculture biologique pour atteindre au plus vite les 30% promis ;
– des actions, entre autres en justice, pour faire cesser les « dérogations » sur les produits interdits en raison de leur dangerosité avérée ;
– des actions afin de faire évoluer les règlementations en matière d’autorisation des pesticides et concernant leurs conditions d’utilisation ;
– la réorientation des moyens toujours dévolus à la recherche et au développement en matière de pesticides vers le développement des alternatives manquantes ;
– la recherche et l’information concernant les alternatives aux pesticides via notamment notre campagne « Une Wallonie sans pesticides, nous y croyons ! ».

Notes :
(1) Les dépenses ménages belges en produits bio ne cessent d’augmenter depuis plus de dix ans : 890 millions d’euros en 2020, soit une augmentation de 13% par rapport à l’année précédente ! En 2020, 96% des Belges ont consommé au moins une fois un produit bio. Voir : https://www.biowallonie/chiffres-du-bio/
(2) Ce qui, pourtant, vient d’être fait par treize fermes qui ont expérimenté la culture de la betterave en agriculture biologique, pendant deux ans, et se sont réunies pour commercialiser un sirop bio. Voir : http://organicsowers.bio
(3) Voir : https://fytoweb.be/fr/legislation/phytoprotection/autorisations-120-jours-pour-situations-durgence
(4) Voir : http://etat.environnement.wallonie.be/contents/indicatorsheets/FFH%208.html
(5) Voir : https://www.issep.be/expopesten-2/ et https://www.issep.be/wp-content/uploads/PROPULPPP_R%C3%A9sum%C3%A9.pdf
(6) Voir : https://tellier.wallonie.be/home/presse–actualites/communiques-de-presse/presses/des-polluants-interdits-depuis-40-ans-se-retrouvent-dans-lurine-ou-le-sang-des-wallons.html
(7) Pour en savoir plus, voir : https://lebasic.com/wp-content/uploads/2021/11/BASIC_Etude-Creation-de-Valeur-et-Couts-Societaux-Pesticides_20211125.pdf
(8) Voir : https://fr.statista.com/infographie/15061/consommation-pesticides-en-europe-par-pays/
(9) Voir : https://www.parlement-wallonie.be/pwpages?p=interp-questions-voir&type=28&iddoc=98246
(10) Lire : Cécile Boutelet et Nathalie Guibert, « Pesticides : la nouvelle hégémonie chinoise », dans Le Monde, du 1/12/2021

Avons-nous besoin de nos voisins ?

Nature & Progrès organise, durant deux samedis du mois de mars 2022, son premier processus délibératif sur le thème « As-tu besoin de ton voisin ? ». Trente citoyens vont discuter du (re)développement des tissus sociaux et des réseaux de consommation et de production locaux, en vue d’alimenter les positions de l’association sur cette thématique.

Par Dominique Parizel

Bien sûr, il appartiendra au groupe représentatif invité à discuter de préciser ses objectifs et de définir plus avant les méthodes de travail qu’il adopte. Il semble toutefois nécessaire d’imaginer, de préciser un cadre de départ, sans quoi il serait difficile de mobiliser qui ce soit. Ce cadre initial a trait – nous l’avons dit – aux relations de voisinage, au sein de nos villages et de nos quartiers. Leur qualité, nous le savons tous, améliore grandement le quotidien. Voici donc une première esquisse, la petite graine appelée à devenir un bel arbre plein de fruits vitaminés…

Nous retrouver, échanger, collaborer…

Les faits démontrent que les replis, individuels ou collectifs, sont souvent des attitudes bien illusoires. Les ressources de la planète sont limitées et nous les consommons aujourd’hui plus rapidement qu’elles ne peuvent se renouveler. Les mauvais traitements que nous infligeons aux écosystèmes dans lesquels nous vivons constituent une menace croissante pour l’espèce humaine elle-même. Et tout indique que le vivant – c’est-à-dire aussi nous-mêmes ! – souffrira terriblement des dérèglements dont nous sommes collectivement – mais certaines collectivités beaucoup plus que d’autres – les responsables.
Les logiques locales, collaboratives et participatives, sont sans doute désormais les seules qui soient à même d’amener plus de justice sociale, en ce compris la sauvegarde du patrimoine environnemental au sein duquel nous coulons nos existences. Comme les beaux jardins que nous cultivons avec amour et passion, sans doute avons-nous le devoir de restituer ces écosystèmes où nous vivons plus beaux que nous les avons trouvés ? Sans doute les modus vivendi qui nous permettront de le faire, peuvent-ils être à même de mieux nous auto-réguler, par l’adoption, au sein de nos communautés, de pratiques communes qui nous paraissent justes et soient admissibles pour chacun. La crise des « gilets jaunes » a montré que le monde politique est désormais incapable d’imaginer de telles règles équitables et de les mettre en place. Son seul horizon paraît être de préserver l’activité – quel qu’en soit l’objectif et les conséquences – et les flux monétaires – qui ne profitent qu’au dixième de pourcent les plus riches ! Très loin des besoins réels de la population et de l’amélioration possible de son sort : qualité alimentaire, confort de l’habitat, facilités de mobilité, qualité des loisirs et amélioration des liens sociaux…
Sans doute appartient-il désormais aux citoyens de pallier ces manquements par leurs propres initiatives et d’utiliser le pouvoir qu’ils détiennent – collectivement et directement – pour imposer la mise en place de solutions adéquates dont le « mouvement social » aura démontré l’efficacité. L’émergence de circuits courts de distribution est, par exemple, une flagrante démonstration d’une telle volonté citoyenne. Le circuit court apparaît même aujourd’hui comme la meilleure planche de salut pour le monde agricole. Entendez le monde agricole à taille humaine, le seul qui soit à même de sauvegarder le caractère local et traditionnel de nos productions. Nous ne parlons pas ici de l’agro-industrie qui est, de plus en plus, une plaie, une réelle nuisance pour notre population. Mais les « gros capitaux », par l’entremise de la grande distribution notamment, déploient une énergie dantesque pour contrecarrer cette réappropriation populaire. Ils ont, en effet, gros à perdre. Et, avec eux, leurs affidés au sein du landerneau politicien…

Le développement du « capital social »

Qu’entendons-nous exactement par « capital social » ? C’est très simple. Tout se passe comme si nous étions chacun les neurones d’un même cerveau. Mais la capacité d’un cerveau repose moins sur le nombre de ses neurones – et sur ce qu’ils « savent » en leur for intérieur – que sur le nombre des connexions qui les relient et sur la capacité de ces connexions à échanger rapidement toutes sortes de données utilisables… Une grosse masse de neurones peut donc être en état de mort cérébrale si on l’arrose quotidiennement, par exemple, de publicités débiles qui la poussent à se comporter machinalement contre son propre intérêt. Un peu de matière grise dûment stimulée peut au contraire être très active si elle se décide à réfléchir. Ainsi en va-t-il de nos groupes humains : il y a les grosses villes socialement inertes qui glissent lentement dans la pauvreté et les hameaux minuscules au bouillonnement intense où l’on cultive proximité avec la nature et douceur de vivre…
L' »intelligence » d’un tel cerveau ne prend pas toujours la forme qu’on croit. Point ne trouverons donc ici d’élucubration savante « à la Elon Musk » : ni rutilantes berlines électriques, ni exploration martienne… On trouvera en revanche dans les villages et les quartiers aux voisins très connectés, la volonté de partager, par exemple, les récoltes avant qu’elles ne périssent, lorsque celles-ci sont importantes : donner aux voisins pour éviter que tout cela ne « tourne à rien » est un acte de civilité et de cohésion sociale, avant même qu’on ne songe au remplissage de l’un ou l’autre estomac… La capacité à autoproduire, une partie de l’alimentation notamment, reste une ressource importante, surtout pour la frange la moins favorisée de nos concitoyens. Pour autant bien sûr que la transmission des savoir-faire essentiels ait lieu, par le biais de potagers collectifs essentiellement qui ne peuvent se mettre en place que dans le cadre de relations de « bon voisinage ». Tout cela n’est pas bien neuf, nous le savons pertinemment, et ne relève, pour ainsi dire, que d’une saine tradition qui gagnerait sans doute à s’étendre à beaucoup d’autres domaines de la vie publique. Des telles pratiques intelligentes en ont toutefois déjà inspiré – ou revigoré – beaucoup d’autres :
– celle du don, par exemple, car ce qui ne sert plus à l’un peut certainement être utile à d’autres, et ce qui redevient utile à l’autre évite bien sûr d’en faire trop rapidement un vulgaire « déchet ». Cela tombe sous le sens mais il n’est jamais inutile de le rappeler…
– les services spontanés aux personnes – âgées ou handicapées, par exemple – peuvent être peu de choses pour ceux qui les rendent, mais s’avérer d’un réconfort insoupçonné pour ceux qui les reçoivent. Et sauver la vie, le cas échéant, d’une vieille personne isolée, par exemple, toujours susceptible d’avoir fait une simple chute, sans plus pouvoir se redresser…
– le partage d’équipements aussi car nous n’avons pas tous besoin, tout le temps, de notre défonceuse ou de notre perceuse à percussion, par exemple, à moins d’être des bricoleurs quotidiens, obsessionnels et patentés… Dans le même ordre d’idée, peut-être n’avons-nous pas besoin non plus, en permanence, de notre voiture, et peut-être est-il possible d’imaginer un moyen de mettre en partage – et en mouvement – ce gros tas de ferraille qui encombre le trottoir ? Aucune industrie n’imaginerait d’immobiliser une machine aussi chère pendant… 95% de son existence. Plus largement encore, la mise en commun d’un matériel de type professionnel – agricole, par exemple – peut être envisagée par le biais, par exemple, de coopératives créées à cet effet…
– les groupements d’achats en tous genres et de toute nature, enfin, pour l’alimentation ou pour l’énergie par exemple, ont suffisamment montré qu’elles ont un rôle à jouer dans la diffusion d’une information de qualité et dans la responsabilisation du consommateur par rapport à ses achats. Mais, certes, nous nous éloignons peut-être là un peu trop du voisinage…

Voisin, voisine, j’ai besoin de toi ! Mais comment nous organiser ?

Oui. Quels modes d’organisation adopter, une fois que nous avons compris combien nous avons besoins les uns des autres ? Et à l’initiative de qui ? Dons, services et partages ne font pas tourner l’économie ! Les actes gratuits n’ont aucune valeur dans notre univers capitaliste ; ils ne constituent pas non plus de potentiels « gisements d’emplois ». Et qui va rouspéter si trop d’échanges citoyens venaient à faire chuter les ventes d’appareillages électriques ou de voitures ? Fabricants et détaillants en équipements en tous genres n’auraient-ils pas tôt fait de dénoncer un important « manque à gagner », peut-être crieraient-ils même aux possibles pertes d’emplois et au travail au noir ? Mais le marketing qui individualise la clientèle ne crée-t-il pas, par simple opportunité, l’achat inutile qui tôt ou tard fait les montagnes de déchets ? Et la pléthore de services publics en tous genres – peu efficaces et peu connus – ne tue-t-elle pas le don et le service spontanés entre voisins, qui créent le véritable lien social ? Comment mesurer l’inintérêt sociétal et la pollution induite par la masse de bibelots idiots qu’on nous vend à vils prix, comment évaluer la qualité très inégale de ce qui est mis en place avec l’argent public, comment stimuler la démarche positive, gratuite et généreuse vis-à-vis de ceux qu’un seul mur sépare parfois de l’endroit où s’écoulent paisiblement nos jours ? Comment faire entendre la voix des acteurs indépendants qui font – ou devraient faire ? – ce salutaire travail d’évaluation ?
Le renforcement des liens de voisinage et le développement du « capital social » peuvent-il être envisagés comme un véritable objectif politique ? La mise en œuvre d’un tel projet dans le long terme n’entrera-t-il pas forcément en concurrence avec les infrastructures et les actions soutenues ou mises en place au bénéfice de tel ou tel mandataire local ? Comment envisager la conception et l’éclosion d’authentiques initiatives citoyennes, indemnes de toutes formes de récupération ? Comment les rendre pérennes ? Comment en évaluer exactement les effets ? Qui solliciter pour les initier et les piloter ? Où trouver l’argent nécessaire pour qu’elles existent et se développent ? Et qu’est-ce qui contribue, en définitive, à la qualité de nos vies ? Avoir, autour de nous, des gens « sur qui compter » plutôt qu’un fatras d’appareillages intrusifs et froids ? Ou peut-être être nous-mêmes ces gens sur qui peuvent compter ceux qui vivent h-juste à côté de nous ? Être là, l’un pour l’autre, tous bienveillants et chacun selon ses compétences : certains jardinent, d’autres cuisinent, certains font la conversation, d’autres sont plus doués écouter sans rien dire… Restent aussi les moyens divers qu’une véritable entraide locale permet de mobiliser, et les dépenses inutiles qu’elle permet d’éviter : une véritable « économie locale » et collective, pour s’épauler dans la proximité, qui permet sans doute de faire face discrètement à de nombreuses situations de précarité, en évitant surtout l’humiliation d’exposer au grand jour les cruelles difficultés de l’existence ? Mais rien qui excite vraiment le politicien local à la générosité ostentatoire, rien qui excite beaucoup le média encensoir des belles et grandes solidarités. Rien qui concerne non plus le grand Monopoly libre-échangiste mondialisé dont on ne sait trop s’il est devenu un atout ou une menace pour la vie des villages et des quartiers ?
Dans le temps, les soirs d’été – quand ne bourdonnaient pas encore les TV -, les gens sortaient s’asseoir sur leur banc ou sous leur arbre et parlaient, de tout et de rien, en compagnie de leurs voisins. Jusqu’à ce qu’il fasse assez frais et assez sombre pour aller enfin se coucher…

L’objectif de Nature & Progrès ?

Réunir un panel citoyen et parler voisinage. D’accord mais pour quoi faire exactement ? Partager le constat que le voisin et la voisine sont des gens uniques dont avons absolument besoin et s’interroger sur les moyens de resserrer le tissu social de proximité. C’est sans doute, à présent, une affaire entendue. Mais encore ?
Nature & Progrès proposera au panel citoyen d’explorer, à l’échelle de nos villages et de nos quartiers, ses thématiques principales – accès à une alimentation bio et locale de qualité, jardinage et autoproduction, éco-bioconstruction – afin d’y déceler et d’imaginer les actions ou les mécanismes qui permettraient une réactualisation – peut-être une simple « mise à jour » – des liens de voisinage. Nous rêvons à de nouveaux outils, un nouvel état d’esprit, un nouveau regard que le simple fait de mieux manger et de mieux habiter – le fait de mieux savoir ce que l’on mange et ce que l’on habite – nous permettrait peut-être de poser enfin sur ces gens étranges que nous n’avons pas choisis et qui nous semblent, à la fois, si loin et si proches : nos voisins ! Ceux et celles de mon village, de mon quartier…

La biométhanisation est-elle compatible avec la ferme biologique ?

La (bio)méthanisation est souvent présentée comme une source d’énergie durable, contribuant à la transition énergétique. Qu’en est-il vraiment ? Voici donc quelques pistes de réflexion qui doivent vous permettre de mieux connaître les enjeux liés à cette technique…

Par Sam Ligot

À l’heure d’un dérèglement climatique plus prononcé que jamais, la transition énergétique est un enjeu central. Cela implique de décarboner nos sociétés – ne plus utiliser d’énergie fossile – afin de réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES) et ainsi préserver le fragile équilibre climatique. Qui dit transition énergétique dit énergies renouvelables dont les plus connues sont sans doute le photovoltaïque et l’éolien. Mais il en existe d’autres, dont celle qui nous intéresse ici : la biomasse.
La biomasse – c’est-à-dire, littéralement, la « masse vivante » – est toute matière organique pouvant servir de source d’énergie. Elle est utilisée depuis l’aube de l’humanité pour se chauffer – grâce au feu de bois – mais les défis actuels poussent à trouver de nouvelles méthodes de production énergétique dans ce domaine. C’est précisément ce qu’est la méthanisation ou biométhanisation : une « nouvelle » méthode de production d’énergie.

Biométhanisation : principes généraux

La (bio)méthanisation consiste à produire du biogaz, composé majoritairement de méthane (CH4) et de dioxyde de carbone (CO2), à partir de biomasse. Cette transformation du carbone organique, contenu dans la biomasse, en méthane est rendue possible grâce à des micro-organismes qui réalisent une digestion anaérobie. L’intérêt de ce biogaz réside précisément dans le méthane qui peut être brûlé afin de produire de la chaleur ou de l’électricité. Certains d’entre vous en utilisent peut-être même sans le savoir car le gaz naturel, lui aussi, est principalement composé de méthane. Mais la différence entre le méthane du gaz naturel et le méthane du biogaz réside dans leur origine : le biogaz est produit à partir de biomasse alors que le gaz naturel est issu de gisements fossiles. Le biogaz peut également être transformé en biométhane en éliminant le CO2 afin d’obtenir un gaz quasi uniquement composé de méthane. Ce qui peut s’avérer plus pratique pour, par exemple, réinjecter ce gaz sur le réseau…
Bien que de nombreuses matières premières puissent être utilisées pour la (bio)méthanisation, le potentiel de rendement de chacune est différent. Ainsi les matières premières contenant beaucoup de carbone accessible aux micro-organisme – c’est-à-dire le carbone labile – seront à même de produire beaucoup plus de biogaz que les matières premières en contenant peu. De fortes différences de rendement sont donc possibles. Les conditions de traitement appliquées aux matières premières dans le méthaniseur – tels que le temps de séjour ou la température – auront également une influence sur les rendements.
Le digestat, quant à lui, est un co-produit de la (bio)méthanisation ; il se compose de la matière première qui n’a pas été transformé en biogaz. Le digestat conserve ainsi l’ensemble des nutriments de la matière première – azote, phosphore, potassium, etc. -, ce qui en fait un fertilisant potentiellement intéressant pour l’agriculture. Son utilisation fait cependant débat, notamment au niveau de la vie du sol qui, en l’absence de carbone labile nécessaire à de nombreux organismes du sol, verrait son fonctionnement perturbé…

Quelques nuances…

La (bio)méthanisation est popularisée depuis une dizaine d’année, notamment au niveau européen. La méthode est mise en avant, en Belgique également, par les pouvoirs publics soucieux d’assurer une partie de la transition énergétique. La première station d’injection de biométhane dans le réseau de distribution wallon, inaugurée fin 2020 à Fleurus, démontre cet intérêt. La (bio)méthanisation est présentée comme une source d’énergie durable contribuant à la transition énergétique, dont voici quelques points fondamentaux. À première vue, la (bio)méthanisation ne présenterait que des avantages : valorisation des déchets en énergie, source d’énergie renouvelable, digestat utilisable comme fertilisant minéral… Bref, elle serait une recette miracle. Il est cependant important de nuancer quelques points essentiels.
Tout d’abord, en fonction des matières premières utilisées, l’impact environnemental peut être totalement différent d’un cas à l’autre. Une pratique, souvent pointée du doigt, est l’utilisation de cultures exclusivement dédiées à la production d’énergie. Ainsi, une concurrence pourrait-elle apparaître entre alimentation et énergie… De plus, la notion même de « déchet », utilisée par les défenseurs de la (bio)méthanisation, est subjective. Un fumier, par exemple, sera souvent considéré comme un déchet agricole, dans un cadre de (bio)méthanisation, alors que celui-ci joue un rôle fondamental dans le maintien de la fertilité des sols. D’un point de vue agronomique, il semble donc beaucoup plus judicieux d’utiliser du fumier composté plutôt que de l’envoyer au « biométhaniseur ».
Ensuite, au niveau du digestat, certaines matières premières sont impropres à être utilisées en agriculture étant donné la présence de contaminants : par exemple, le digestat de boues d’épuration. La valeur agronomique du digestat est également discutée puisque son impact sur les sols est encore mal connu, d’autant plus que chaque sol peut réagir différemment au digestat et que les digestats, eux-mêmes, peuvent varier dans leur composition.
Enfin, la forme de l’énergie produite, à partir du biogaz ou du biométhane, influencera également la performance d’un tel système. La transformation de biogaz en chaleur est bien plus efficiente que sa transformation en électricité. La production de chaleur à partir de biogaz a, en effet, un rendement environ deux fois plus important par rapport à sa transformation en électricité. Cependant, la chaleur ne peut être utilisée que localement et instantanément, à l’inverse de l’électricité qui peut être exportée sur le réseau, voire stockée dans des batteries. Dans la pratique, beaucoup d’exploitations agricoles utilisant la biométhanisation ont recours à un système intermédiaire de cogénération qui produit, à la fois, chaleur et électricité.
Pour se faire un avis précis sur la production d’énergie via la biométhanisation, il est donc important d’adopter une approche globale de la situation car rien n’est jamais simple et, en fonction des choix qui sont faits – matière première, gestion du digestat, forme d’énergie produite -, l’appréciation qui est faite peut radicalement changer.

Dimitri Burniaux, producteur labellisé Nature & Progrès, défend une biométhanisation raisonnée…

Pour mieux appréhender le sujet, dans le cadre du travail préliminaire, j’ai conversé avec Dimitri Burniaux qui gère une unité de biométhanisation à la Ferme Champignol, à Surice, près de Philippeville.

– Dimitri, qu’est ce qui t’as amené à la biométhanisation ?

Le projet a débuté en 2003, suite à un appel à projets du gouvernement wallon portant sur les énergies renouvelables. L’association du village, la « Surizée », a répondu à l’appel, proposant un projet de biométhanisation, et a été retenu. Le projet, initialement prévu sur un autre site, a failli ne pas voir le jour à cause de problèmes de voisinage. Nous avons donc décidé de l’accueillir sur notre exploitation après l’avoir remanié pour convenir à cette nouvelle organisation. L’unité de biométhanisation a finalement été construite, en 2006, et a été rénovée, pour doubler sa capacité de production, en 2015. Il s’agit d’un biométhaniseur infiniment mélangé – où les intrants sont solubilisés – qui est le type de méthaniseur le plus répandu en Wallonie.

– Quelles matières premières utilises-tu ?

J’en utilise plusieurs dont les principales sont les sous-produits de betteraves, les tontes de pelouses, les déchets de céréales, l’amidon de pommes de terre – qui est un déchet de l’industrie -, du fumier et du lisier. L’ensemble de ces intrants représente cinq mille tonnes par an. La plupart d’entre eux sont externes à la ferme. J’arrive à travailler avec de « bons déchets » qui permettent de se passer de cultures énergétiques. Je constate cependant qu’avec le temps et le développement de la filière biométhanisation, ces sous-produits sont de plus en plus chers et de moins en moins disponibles.

– Que penses-tu des cultures énergétiques ?

Je ne suis pas spécialement pour. Mais force est de constater qu’elles peuvent avoir leur intérêt. D’une part, la production d’énergie peut permettre de mieux valoriser une culture dont le prix de vente est faible. L’énergie – qui reste un besoin central de nos sociétés – peut donc être considérée comme un nouveau débouché pour les agriculteurs, sans pour autant remplacer l’alimentaire. C’est un équilibre à trouver : ce n’est pas parce qu’on utilise des cultures énergétiques qu’on va abandonner la production alimentaire. On pourrait même imaginer intégrer une culture énergétique dans une rotation, par exemple. D’autre part, il faut bien se rendre compte que les cultures énergétiques existent déjà depuis plus de dix ans, en Belgique. Par exemple, BioWanze, producteur de bioéthanol utilisé comme carburant, est un gros consommateur de céréales – Ndlr : 750.000 tonnes par an ! – et de betteraves – Ndlr : 450.000 tonnes par an ! Il est curieux de constater que le sujet des cultures énergétiques fait débat pour la biométhanisation, pourtant peu répandue, alors que ce n’est pas le cas pour d’autres secteurs de valorisation énergétique. Selon moi, il faudrait baliser la pratique mais ne pas l’interdire, d’autant plus que la Belgique est en situation de dépendance énergétique.

– Quelle utilisation fais-tu du biogaz produit ?

Je le valorise en cogénération. Environ 90% de l’électricité produite – soit un million et demi de kW par an – est exportée sur le réseau et le reste est utilisé pour faire tourner le biométhaniseur et couvrir les besoins de la ferme. La chaleur – soit un million de kW par an – est valorisée à la ferme et dans seize maisons aux alentours. Ce qui est intéressant avec ce système, c’est que l’énergie produite sur place ouvre la porte à de nouvelles opportunités sur la ferme. Ainsi le chauffage de serres pour les plants de légumes, en début de printemps, et le séchage du foin ont-ils été rendu possibles grâce à la chaleur produite par le biométhaniseur.

– Comment gères-tu ton digestat ?

Je l’utilise comme source d’azote minéral rapide ; il est particulièrement utile pour le tallage des céréales, au mois de mars, et d’autant plus en bio où il peut être difficile de trouver des sources d’azote rapidement assimilé par les plantes. J’utilise 80% du digestat, à ce moment-là, et il me permet de fertiliser deux cent cinquante hectares de céréales et un peu de prairies. Le digestat n’a d’ailleurs aucune odeur, ce qui n’est pas pour déplaire au voisinage, en comparaison avec le lisier. L’important, c’est de bien équilibrer son utilisation. Un excès de digestat pourrait devenir problématique mais c’est loin d’être le cas dans ma ferme. J’en manquerai presque…

– Digestat et bio font bon ménage, alors ?

Etant donné que les matières premières que j’utilise ne sont pas bio, le digestat fait l’objet d’une dérogation pour son utilisation en agriculture biologique. C’est possible car toutes les matières premières utilisées sont des matières premières qui sont utilisables en bio. Une dérogation ne serait pas possible si les matières premières étaient des boues d’épuration ou des fientes de poules industrielles, par exemple. Tout ce qui rentre dans mon méthaniseur pourrait aussi bien passer par le rumen d’une vache. De plus, le digestat est légalement considéré comme un déchet, ce qui rend obligatoire de réaliser régulièrement des analyses complètes, afin de s’assurer du respect des normes en termes de pathogènes, de métaux lourds et autres pollutions…

– Que penses-tu des critiques qui sont parfois faites au digestat : déclin de la vie du sol, risques de pollution… ?

Il est vrai, en ce qui concerne la vie du sol, que le digestat est un produit « inutilisable » pour la faune du sol, de par sa faible teneur en carbone labile. Néanmoins, encore une fois, tout est une question d’équilibre et de réflexion : ce n’est pas parce qu’on utilise du digestat que la vie du sol va dépérir. Il suffit d’assurer par d’autres moyens l’apport de matière organique afin de préserver cet équilibre ; ce n’est pas parce qu’on utilise du digestat qu’on arrête d’épandre du fumier pailleux. En bref : ce n’est pas le rôle du digestat de nourrir le sol ! Bien sûr qu’il nourrit la plante mais, s’il est bien utilisé et intégré dans une approche globale, je n’y vois pas de problème. Depuis quinze ans que j’utilise ce produit, j’ai conservé des teneurs stables en humus dans mes sols. Et, au niveau des pollutions, ce n’est pas vraiment un souci puisque les analyses réalisées garantissent un digestat qui en est exempt.

– En tant que membre de Nature & Progrès, que penses-tu de la biométhanisation, d’une manière générale ?

Trois choses doivent absolument être prises en compte : les matières premières, l’énergie et la gestion du digestat. Comme je l’ai dit, je ne suis un partisan à outrance des cultures énergétiques mais je pense qu’il ne faut pas les interdire, dans un souci d’autonomie. Il faut toutefois bien en encadrer la pratique. Il ne faut pas oublier non plus que la biométhanisation permet la production d’une énergie verte à partir de déchets, ce qui est plutôt intéressant. La pratique a donc tout son intérêt dans une démarche d’économie circulaire.
Enfin, les cycles de la matière sont fermés, de par le retour au sol du digestat, tout en permettant une fertilisation intéressante pour les cultures. Nous sommes très loin d’être en surproduction de digestat, que ce soit ici ou à plus large échelle. Le principal est de bien équilibrer les apports au sol, en lui amenant aussi de la matière organique.

Conclusion

La biométhanisation, sujet d’actualité, est un procédé plus complexe qu’il n’y paraît et qui demande de prendre en compte de nombreux aspects pour être évalué correctement. Loin d’en être arrivé à l’étape de la conclusion, Nature & Progrès Belgique ouvre le débat et commence – notamment grâce à ce travail d’investigation – à réfléchir à la question.
La biométhanisation est-elle compatible avec le fonctionnement d’une ferme biologique ? Favorise-t-elle l’autonomie des fermes en polyculture-élevage ? Peut-elle être pratiquée dans le cadre des valeurs de la charte de Nature & Progrès ? Comme c’est l’habitude de notre association, consommateurs et producteurs, ensemble, devront en discuter lors de commissions dédiées. Et c’est seulement après ce processus que nous pourrons entrevoir une position sur le sujet. Affaire à suivre donc…

La collaboration associations – entreprises au banc d’essai

Sans discontinuer, Nature & Progrès cherche à s’associer les compétences lui permettant de lever les barrières psychologiques et idéologiques qui pourraient entraver son cheminement dans la transition écologique. Le conseil d’administration de notre association s’étoffe donc en permanence, avec la volonté d’éviter l’entre-soi et de s’enrichir dans la diversité. Nous donnons, dans cette optique, la parole à Dominique Clerbois, nouvelle administratrice dont le parcours peut-être en surprendra – ou en ravira – plus d’un-e…

Propos recueillis par Dominique Parizel

nouveaux ogm non à la déréglementation
Introduction

« Je suis ingénieure commerciale, annonce d’emblée Dominique Clerbois, formée à l’UCL. Je suis également analyste financier à l’ULB et j’ai passé une année d’étude aux Etats-Unis. J’ai aussi une formation de l’INSEAD, l’Institut européen d’administration des affaireswww.insead.edu -, qui offre un complément très utile dans le cadre d’une carrière orientée vers le management, très intéressante pour former des administrateurs indépendants… Mon expérience professionnelle, je l’ai acquise essentiellement, pendant trente-cinq ans au sein du groupe Solvay, en travaillant surtout « à l’international », à partir de la Belgique pour des activités localisées à travers le monde mais aussi, durant quatre ans, en Thaïlande. Il s’agissait là d’une joint-venture avec des partenaires locaux qui m’a ouverte à l’expérience de conseils d’administrations très diversifiés, où Solvay n’était d’ailleurs pas toujours majoritaire. Collaborer à des partenariats de ce type, je l’ai fait pendant plus de quinze ans, dans des groupes différents et pour des activités extrêmement diverses, un peu partout en Europe et dans le monde… Ce contact avec des partenaires de cultures diversifiées m’a toujours beaucoup plu. »

BoardCompanion'Speed dating à la Fondation Roi Baudouin

« Je suis membre de différentes associations, poursuit Dominique Clerbois. La plus intéressante, vu les matières qui nous intéressent, est sans doute BoardCompanionswww.boardcompanions.org – dont les membres ont suivi, comme moi, une formation d’administrateur indépendant. Tous cherchent – dans l’esprit du compagnonnage qui forme les artisans – à valoriser expérience et compétences, en proposant leurs services à des associations belges en quête d’administrateurs, tout cela dans une optique où chacun pourra apprendre de l’autre. La Fondation Roi Baudouin, riche de tous ses contacts associatifs, a permis les rencontres et c’est ainsi que j’ai découvert Nature & Progrès. Je suis également membre de Gubernawww.guberna.be -, de Women on boardhttps://womenonboard.be -, une association qui s’efforce de promouvoir la parité au sein des conseils d’administration, et de Chapter Zero Brussels qui est liée à la gestion du changement climatique…

Mes premiers contacts avec Nature & Progrès eurent lieu lors d’une journée de rencontres de style speed dating, organisée par BoardCompanions à la Fondation Roi Baudouin, entre des responsables associatifs et des candidats administrateurs. Nature & Progrès souhaitait trouver une personne à même de l’aider dans la révision de son plan stratégique et financier. Cette mission m’intéressait énormément ! J’ai d’abord été invitée, à titre d’observatrice, par le conseil d’administration de Nature & Progrès, à partir de septembre 2019. J’ai ensuite, comme membre effectif, présenté ma candidature pour en faire partie et me voilà officiellement nommée depuis août dernier ! J’apprécie particulièrement l’engagement sociétal de l’association, sa capacité à s’appuyer sur des faits étayés scientifiquement, son engagement sans concession en faveur du bio et de la diversité. Les valeurs d’éthique et d’honnêteté que je retrouve dans l’association sont très importantes à mes yeux. J’aime également beaucoup sa capacité à affronter de nouveaux défis, environnementaux et autres, sa résilience et sa volonté de faire circuler, parmi ses membres, de nouvelles connaissances agricoles, sur la base de son Système Participatif de Garantie, par exemple… Les compétences qui existent, au sein de Nature & Progrès, me paraissent extrêmement diverses. La complexité du métier de producteur agricole n’arrête pas de me surprendre. Et la difficulté de transiter vers le bio me préoccupe également beaucoup…

Je suis convaincue par la vision et les objectifs de Nature & Progrès et considère que les entreprises doivent intégrer elles aussi, dans leurs stratégies, toute cette responsabilité sociétale et environnementale. J’aimerais personnellement leur apporter quelque chose de cet ordre-là, indépendamment même de mon action chez Nature & Progrès, car je pense qu’elles doivent mieux se préparer à affronter le futur, notamment en matière de changement climatique. Celui-ci ne se résumera d’ailleurs pas à une menace qu’il est nécessaire d’anticiper, des opportunités se présenteront également qui seront liées aux capacités d’innovation, aux relations avec les clients, etc. Chez Nature & Progrès, je souhaite apporter ma contribution en matière de transformation du financement et d’amélioration de la gouvernance mais aussi, si c’est possible, en établissant des contacts avec des entreprises convaincues par l’approche dite ESG, c’est-à-dire basée sur des critères Environnementaux, Sociétaux et de Gouvernance. J’ai rencontré beaucoup de gens dans ma carrière, le plus souvent dans des business locaux. La qualité des gens et des projets, c’est toujours localement qu’on l’aperçoit le mieux. C’est sur le terrain, au contact des personnes concernées, qu’il est vraiment possible de construire quelque chose… »

Une collaboration accrue entre associations et entreprises ?

« En matière de gestion des associations, précise Dominique Clerbois, je voudrais mentionner une enquête réalisée, en Belgique en 2019 par l’INSEAD dont j’ai déjà fait mention, et qui compare le fonctionnement des sociétés à but lucratif à ce qui, au contraire, est sans but lucratif. Il en ressort que les associations excellent à défendre leurs missions et leurs valeurs, alors que les entreprises n’en poussent pas assez loin la définition. Cependant, les sociétés à but lucratif se concentrent davantage sur l’exécution de leurs stratégies et sur l’évaluation de leurs performances. Il me semble donc qu’on pourrait aider les associations à évoluer vers une traduction plus concrète de leurs missions et de leurs valeurs en stratégies. Il devrait être également possible de veiller ensuite à la mise en place du monitoring des résultats de leur action. Nous pouvons certainement travailler sur ces aspects qui étaient spécifiquement ceux qu’évoquaient les responsables de Nature & Progrès que j’ai rencontrés en 2019… La crise de la Covid-19 a évidemment imposé des révisions de nos priorités stratégiques et nos modes de financement…

Le bénévolat est également un des aspects qui distinguent les associations des entreprises à but lucratif. L’apport bénévole de personnes soucieuses des valeurs qu’elles défendent renforce évidemment la pérennité et la légitimité des associations. La grande liberté d’investissement qui est le propre de ces personnes bénévoles peut cependant rendre plus complexe la capacité des associations à concrétiser exactement leurs stratégies et à mesurer les résultats de leurs actions. Des étalons, des critères spécifiques doivent être clairement définis à cet effet : nombre de signataires de pétitions, nombre de donateurs, nombre de projets, etc. De tels indicateurs ne sont pas nécessairement liés au résultat financier. Les entreprises – la plupart de celles qui mettent en place une approche ESG – utilisent énormément, et de plus en plus, d’indicateurs non-financiers.

Les entreprises qui affichent, de manière volontariste, leur engagement en matière d’ESG – une exigence pour beaucoup d’entre elles qui sont soucieuses de leur avenir – sont certainement des partenaires privilégiés pour Nature & Progrès. L’ESG permet notamment de motiver un personnel de qualité, principalement parmi les plus jeunes ; quant aux investisseurs et aux bailleurs de fonds, ils sont également de plus en plus attentifs à choisir des sociétés qui s’orientent vers ce type d’engagements. Ceux-ci sont de plus en plus réglementés, ce qui doit permettre d’éviter le greenwashing. Beaucoup d’entreprises se réfèrent aujourd’hui aux objectifs de développement durable des Nations-Unies, en indiquant de quelle manière elles pensent être en mesure de contribuer aux différents objectifs poursuivis et en précisant ce qu’elles mettent en place à cet effet. Cette nécessité de transparence est encore renforcée depuis que les entreprises belges cotées en bourse – les plus grandes en taille – sont tenues à un code de bonne gouvernance qui recommande de définir des priorités à long terme, mais aussi des objectifs de durabilité clairs, et d’auditer tout cela sur base de critères précis, comme les émissions de CO2, la production de déchets, l’impact sur les écosystèmes, la gestion de l’eau, etc. Un rapport transparent des performances non-financières devient ainsi une nécessité pour elles. Leur conseil d’administration doit partager et soutenir pleinement cette approche qui ne peut donc se limiter à être le fait d’une initiative marginale. Le mouvement doit être global au sein de l’entreprise ! Or les indicateurs montrent que cette dynamique ne fut pas freinée par la crise de la Covid-19. Elle ne pourra être que renforcée par la mise en place du Green Deal européen qui prévoit la mise en place d’indicateurs mesurant si les entreprises sont réellement engagées dans la voie du développement durable, évaluant quelles sont leurs contributions positives ou leurs éventuels impacts négatifs…

Nos premiers partenaires potentiels sont donc à trouver parmi le nombre croissant d’entreprises qui souscrivent à de tels engagements. Elles ont besoin de conseils afin de mieux les guider et de leur permettre d’apprécier quels types d’efforts elles sont en mesure d’accomplir sur le terrain. Nature & Progrès a donc certainement un rôle important à jouer : que faire de plus, par exemple, en matière de biodiversité ? Dans le cadre de ses objectifs de développement durable, Solvay par exemple espère montrer la voie aux entreprises industrielles en fixant des objectifs pour réduire les pressions sur la biodiversité. Le personnel d’un nombre croissant d’entreprises est également sollicité pour participer, chaque année, à des projets environnementaux ; du temps de travail est ainsi libéré pour lui permettre de participer à ces projets. Différents types de collaborations avec Nature & Progrès me semblent donc envisageables : services, échanges, formations, conseils… Les possibilités ne se limitent pas, bien au contraire, au mécénat ou au sponsoring… »

Le capitalisme est en train de changer !

« De telles ouvertures, insiste Dominique Clerbois, doivent permettre de dépasser l’opposition, trop souvent frontale, entre le monde environnemental et certains grands groupes industriels ou agroalimentaires, par exemple… Le capitalisme est en train de changer, ainsi que le cadre au sein duquel les entreprises sont désormais appelées à évoluer. L’objectif financier n’est plus le seul qui leur soit demandé. Elles sont également évaluées sur un ensemble de facteurs – c’est l’approche ESG dont j’ai parlé – qui incluent environnement, engagement sociétal et bonne gouvernance. Les préoccupations financières, bien sûr, sont inévitables car toute entreprise se doit d’assurer avant tout sa propre survie. Mais les actionnaires, quant à eux, ne souhaitent plus investir leur argent dans n’importe quel type d’entreprise…

L’INSEAD a également publié, en septembre dernier, une enquête relative à la place de l’ESG dans les entreprises. Cette enquête montre que le besoin de collaboration – avec des associations, par exemple – est important afin d’aboutir à des réalisations concrètes. L’ESG est une vague qui monte de plus en plus, en Belgique, et bon nombre de PME, par exemple, pourraient être mieux épaulées sur le terrain environnemental. A l’heure où une inquiétude croissante émerge chez bon nombre de nos concitoyens, peut-être les outils et réflexions mis en place par Nature & Progrès dans le champ de l’éducation permanente pourraient-ils constituer une base utile en la matière ? Il me semble en tout cas que c’est sur des projets concrets qu’il est possible de dépassionner les débats… Dans le domaine alimentaire cher à Nature & Progrès, il est certainement possible de travailler à une amélioration qualitative et de ramener un peu de sérénité. Dans les assiettes, en tout cas… Il serait cependant intéressant d’analyser comment les sociétés agro-industrielles et agroalimentaires – qui sont sous le feu des critiques de Nature & Progrès – se positionnent vis-à-vis de leur personnel, de leurs bailleurs de fonds, de leurs actionnaires… Une transparence en matière de stratégie environnementale discutable et de qualité, surtout en matière alimentaire, sera de plus en plus requise par les parties prenantes des entreprises. Et si un dialogue peut s’ouvrir, ce sera certainement bénéfique pour tout le monde ! Je suis personnellement d’une nature plutôt optimiste… Mais peut-être vaut-il mieux commencer à travailler avec ceux qui ne sont pas en complète opposition avec les valeurs que nous défendons ? »

Différents niveaux d'engagement

« J’ai cru percevoir, risque alors Dominique Clerbois, qu’il n’y avait peut-être pas, chez Nature & Progrès, une grande sensibilité à l’évolution de ces courants au sein des entreprises. Certaines d’entre elles persistent évidemment encore dans le greenwashing. Mais c’est de moins en moins possible avec toutes les mesures de contrôle qui se sont progressivement mises en place. Les preuves de transparence sont régulièrement « auditées » et doivent absolument être fournies ! Le monde de l’entreprise reste, je l’ai dit, un milieu très concurrentiel, avec des objectifs financiers qui doivent absolument être assurés, juste pour rester dans le business l’année suivante… Différents niveaux d’engagement existent cependant qui vont de la philanthropie pure – pour ceux qui acceptent de consacrer des moyens à une œuvre sans rendement financier – jusqu’à la combinaison étroite, avec les objectifs économiques, d’actions en quête d’un réel impact environnemental et sociétal positif. Une profonde cohérence avec la stratégie business doit alors être trouvée car il serait évidemment trop aléatoire de greffer artificiellement des visées sans rapport suffisant. Certaines entreprises sont déjà très avancées dans des démarches qui marient harmonieusement business et impact positif pour la société et l’environnement. Les possibilités d’action sont nombreuses. Je pense, par exemple, à cette entreprise américaine de vêtements qui encourage ses clients à ne plus lui acheter de vêtements neufs mais plutôt des vêtements recyclés. Ce qui est renvoyé par les clients est simplement réparé, recyclé et revendu par l’entreprise… Je citerai également un fabricant de lunettes qui, chaque fois qu’il vend une paire, en envoie une seconde en Malaisie où les travailleurs, dans les plantations de thé, lorsque l’âge leur faire prendre leur acuité visuelle, ne parviennent plus à travailler et perdent prématurément leur emploi. L’adhésion du public à ce genre de démarche est importante ; ce « buy one give one » est un exemple de modèle, pas tout-à-fait nouveau, pour des entreprises soucieuses de créer un impact positif.

Chaque producteur ou transformateur soutenu par Nature & Progrès est une entreprise ! J’ai déjà eu l’occasion d’en visiter plusieurs qui sont en quête notamment de compétences commerciales accrues afin de pouvoir mieux négocier, par exemple, avec leurs distributeurs. Sans doute les étudiants en commerce ne voient-ils toujours pas suffisamment, dans les entreprises agricoles, un terrain où ils pourraient contribuer efficacement ? »

« Si seulement je pouvais percevoir la crise planétaire comme un appel de mon enfant endormi »

Lecture de Jonathan Safran Foer, L’avenir de la planète commence dans notre assiette.

Certaines phrases, certains textes, certains livres ont le pouvoir de modifier notre regard sur les choses. Ils produisent un déclic, nous font entrer dans un territoire inexploré ou éclairent soudainement une partie de nos pensées ou de nos émotions qu’on imaginait impossibles à mettre en mots. Dans nos engagements et questionnements sur l’écologie, l’alimentation, l’agriculture, l’écoconstruction, le changement climatique, la biodiversité, il n’en va pas autrement. Certaines lectures sont impossibles à garder pour soi. Voici, très sommairement exprimés, trop brièvement présentés, quelques fragments du livre du Jonathan Safran Foer, L’avenir de la planète commence dans notre assiette.

Par Guillaume Lohest

nouveaux ogm non à la déréglementation
Introduction

Que peut-on écrire à propos du dérèglement climatique qui n’ait déjà été écrit ? Des milliers de livres sur le sujet ont transité par les librairies du monde entier, depuis trente ans. Pourtant, Jonathan Safran Foer réussit la prouesse d’en parler d’une façon nouvelle. Écrivain surdoué – ses trois romans sont des purs chefs-d’œuvre foisonnant de trouvailles littéraires -, il parvient à réaliser ce que les ouvrages de vulgarisation scientifique ou de plaidoyer écologique ne parviennent pas à faire : raconter le dérèglement climatique depuis l’intérieur des émotions humaines qu’il engendre. Tandis que les démonstrations rationnelles et les exhortations militantes décrivent un monde souvent statistique, factuel et binaire, le récit de Jonathan Safran Foer est vivant, torturé, vertigineux, humoristique. Il convoque le passé, les grands mythes bibliques et sa vie familiale pour tenter de montrer à quel point notre degré de compréhension du réchauffement climatique est primaire. L’effort principal de Foer est de nous mettre dans un état de perception réelle de la menace existentielle qui plane sur nos vies et celles de nos enfants. Ensuite, il ne lâche pas son lecteur, ne l’abandonne pas à l’énormité des constats mais lui plonge le nez dans l’impératif d’agir au départ de son alimentation quotidienne. L’avenir de la planète commence dans notre assiette n’est pourtant pas un livre sur l’agriculture ni sur l’alimentation. C’est un livre sur l’urgence écologique, proposant un angle d’action accessible à tout être humain qui peut se permettre de choisir ses repas.

Nous sommes tous climato-mollassons

Ce que Foer commence par affirmer, en se prenant lui-même comme exemple, c’est que le fait d’être informé, conscient du réchauffement climatique n’a quasiment aucune valeur en soi. Il estime que le clivage entre ceux qui acceptent la science et ceux qui la refusent est réel, mais insignifiant. Pour lui, en effet, « la seule dichotomie qui compte est celle qui sépare ceux qui agissent de ceux qui ne font rien (1). » Nos descendants ne se demanderont pas qui était conscientisé et qui ne l’était pas, mais pourquoi nous ne faisions rien – même quand nous savions. « Nous exagérons dramatiquement le rôle de ceux qui refusent les conclusions de la science parce que cela permet à ceux qui les acceptent de se sentir en paix avec eux-mêmes, sans pour autant nous mettre au défi d’agir en utilisant le savoir que nous avons intégré. » Autrement dit, stigmatiser les climato-négationnistes nous réconforte mentalement, mais cela ne nous fait pas agir plus radicalement pour autant. C’est en ce sens que le philosophe australien Clive Hamilton considère que « nous sommes tous climatosceptiques » : au fond, nous continuons de nous comporter comme si le caractère dramatique du dérèglement climatique – dont nous avons pourtant conscience – ne changeait rien à notre vie. Ou presque rien. Nous achetons sans doute des ampoules différentes, diminuons nos trajets en voiture et en avion, choisissons un magasin plutôt qu’un autre mais cela ne correspond pas à la modification rapide, radicale et inédite de tous les aspects de société à laquelle exhortait le GIEC dans un communiqué de presse à l’automne 2018.

Cerveau et cœur inadaptés

Nous savons, sans y croire vraiment. Safran Foer s’attaque à ce nœud central qui constitue, pour lui, le cœur du problème. Pour nous le faire percevoir dramatiquement, il tisse un parallèle historique avec la figure de Jan Karski, un résistant polonais qui fut chargé d’alerter les gouvernements alliés, dès 1942, sur l’extermination des Juifs d’Europe. Après avoir accumulé les témoignages en Pologne, il est parvenu à se rendre à Washington où il a été reçu par un juge à la Cour suprême, Felix Frankfurter, lui-même juif. « Après avoir entendu le récit de Karski sur l’évacuation du ghetto de Varsovie et sur l’extermination dans les camps de la mort, après lui avoir posé une série de questions de plus en plus précises (« quelle est la hauteur du mur qui sépare le ghetto du reste de la ville ? »), Frankfurter arpenta le bureau en silence, s’assit dans son fauteuil et déclara : « Monsieur Karski, un homme comme moi, quand il s’adresse à un homme comme vous, doit être totalement franc. Il me faut donc vous dire que je ne crois pas à ce que vous m’avez raconté. » »

Mais attention, les mots utilisés par le juge avaient toute leur importance. Car il ne refusa pas la version de Karski. Il dit précisément ceci : « Je n’ai pas dit que ce jeune homme mentait. J’ai dit que je ne parvenais pas à le croire. Mon cerveau, mon cœur sont faits de telle façon que je ne peux pas l’accepter. » Notre relation au réchauffement climatique est, selon Safran Foer, du même ordre. Nous écoutons les alertes du GIEC, nous les considérons comme graves et sérieuses, mais « nos cerveaux et nos cœurs sont façonnés de manière à pouvoir accomplir certaines tâches, mais peu préparés à en réaliser d’autres. » Nous nous montrons incapables de faire tout ce qui est possible pour modifier radicalement de façon inédite tous les aspects de la société, bien que le dérèglement climatique relève, selon le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, d’une « menace existentielle pour la planète et nos vies mêmes ».

L’écrivain cependant n’accuse pas son lecteur. Ce dialogue entre deux personnages, l’un qui veut alerter et l’autre qui ne parvient pas à accepter la gravité des faits, se joue surtout à l’échelle intérieure. Safran Foer nous montre le dialogue incessant qui se produit en lui entre le « résistant » résolu et la tendance de son cœur et de son cerveau à fonctionner de la façon dont ils sont construits, autrement dit à continuer de vivre comme il l’a toujours fait.

Si seulement…

Ce constat conduit Jonathan Safran Foer à analyser le rôle capital des émotions dans notre rapport au changement climatique. Observant comment, dans d’autres situations d’urgence, les êtres humains sont capables de réagir avec urgence et détermination, individuellement ou collectivement, il accumule les comparaisons pour tenter de nous faire sentir que la situation écologique mondiale exigerait le même genre d’attitudes. « Je me précipite pour apaiser mon fils qui fait un cauchemar, écrit-il, mais je ne fais quasiment rien pour éviter un cauchemar au monde. Si seulement je pouvais percevoir la crise planétaire comme un appel de mon enfant endormi. Si seulement je pouvais percevoir cette crise exactement pour ce qu’elle est.« 

Cette incapacité à percevoir la nature réelle du danger implique, pour nos sociétés, la nécessité de mobiliser l’action autrement que par la seule spontanéité individuelle. « Les événements virtuels – les nazis qui approchent de votre village, une célébration nationale de gratitude, une guerre loin de nos côtes, une élection présidentielle, le dérèglement climatique – exigent des structures facilitant les actions qui provoquent des émotions.

Et la contrainte ? « Dans les moments de menace sans précédent, nous pouvons faire appel à l’histoire pour y trouver de l’aide. » Toujours inspiré par l’histoire du XXe siècle, Safran Foer s’intéresse par exemple à la possibilité pour les citoyen.ne.s d’accepter des contraintes d’État. Il rappelle que celles-ci furent drastiques pour les Américains durant la Seconde Guerre mondiale. « Le gouvernement a décidé, et les Américains ont accepté, que les prix du nylon, des bicyclettes, des chaussures, du bois de chauffe, de la soie et du charbon soient contrôlés. L’essence fut strictement régulée, et la vitesse limitée à cinquante kilomètres heure dans tout le pays pour réduire les dépenses de carburant et la consommation de caoutchouc. Des affiches commanditées par l’État recommandaient le covoiturage en annonçant : « SEUL dans votre voiture, vous roulez pour Hitler ! » » Cette mobilisation générale, justifiée par la nécessité de gagner la guerre, n’a pas suffi par elle-même mais y a contribué, note-t-il. Aujourd’hui, ce type de mesures semble impensable, tant nos habitudes de consommation et de mobilité sont assimilées par les gens à des libertés non-négociables. Mais le débat ne mérite-t-il pas d’être ouvert ?

La chose la plus difficile à changer

Ce n’est pourtant pas par cet angle de la contrainte collective que l’écrivain choisit d’encourager son lecteur à agir. Comme l’indique le titre de son livre, c’est par l’assiette qu’il incite à passer à l’action. Il ne s’agit évidemment que d’un levier parmi d’autres. Alors pourquoi Jonathan Safran Foer pointe-t-il précisément nos habitudes alimentaires, en insistant sur la réduction drastique de la consommation de viande ? Parce qu’il serait un militant végan extrémiste ? Cela nous arrangerait peut-être de le stigmatiser comme tel, afin d’éviter de nous remettre en question nous-mêmes. Mais non, il aime les hamburgers et avoue ne pas parvenir à s’empêcher tout à fait de manger de la viande. S’il interpelle notre passage à l’action par ce biais, c’est parce qu’il s’agit de la chose la plus difficile à modifier, pour lui comme pour la plupart des gens. « Je connais trop de gens intelligents et concernés – je ne parle pas de ceux qui défendent des causes par narcissisme, mais de gens respectables, qui donnent de leur temps, de leur argent, et de leur énergie pour améliorer le monde – qui jamais ne modifieraient leur régime alimentaire, aussi persuadés qu’ils soient du bien-fondé de ce changement. » S’identifiant à nos difficultés, ne donnant aucune leçon si ce n’est à lui-même, il va donc directement au cœur du problème. Il reconnaît, évidemment, que la question de l’alimentation carnée n’en est qu’un aspect – mais un aspect incontournable. « Les efforts consentis par les civils aux États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale n’étaient pas suffisants, à eux seuls, pour assurer la victoire, mais la guerre n’aurait pas pu être gagnée sans eux. Un changement de nos habitudes alimentaires ne suffira pas, à lui seul, pour sauver la planète, mais nous ne pourrons pas la sauver sans procéder à ce changement.« 

L’un des chapitres les plus passionnants de ce livre est l’appendice qui suit la conclusion. Il s’agit d’un examen détaillé de la controverse scientifique concernant la part de responsabilité du secteur de l’élevage industriel dans les émissions de gaz à effet de serre. Deux chiffres sont en concurrence, selon la manière dont on calcule, on non, les effets indirects liés à l’élevage industriel, et sa croissance exponentielle : 14,5%, ou 51% des émissions mondiales. Cette controverse est intéressante, non pas dans le but de donner raison à l’une ou l’autre des approches, mais parce qu’en tentant d’en comprendre les tenants et aboutissants, on voit à quel point l’élevage industriel n’est pas un « secteur » isolé du reste de nos sociétés. Il est inextricablement lié au transport, à l’affectation des terres, à la déforestation, à la destruction des habitats. Par le détour de cette controverse, on perçoit immédiatement que l’élevage industriel est un facteur, si pas majoritaire en tout cas central, des enjeux écologiques mondiaux. Faire reculer drastiquement la consommation et la production de produits industriels d’origine animale aurait ainsi des effets bénéfiques en cascade.

Pas avant le souper

Pour avoir déjà écrit un essai sur la question – Faut-il manger les animaux ? en 2011, l’auteur connaît parfaitement les caricatures qui peuvent être faites et les réactions viscérales qui peuvent surgir autour de ce débat. Dans un chapitre qui se présente comme une discussion intérieure entre son âme et lui, il déculotte cette opposition stérile entre « viandeux » et « végans » d’une simple réplique.

  • Quel est le contraire d’un type qui mange de la viande, des produits laitiers et des œufs ?
  • Un Végan.
  • Non. Le contraire d’une personne qui mange beaucoup de produits d’origine animale, c’est quelqu’un qui fait attention à la fréquence à laquelle il en consomme. La meilleure façon d’éviter de se confronter à un défi, c’est de prétendre qu’il n’y a qu’une seule solution de rechange.

Ainsi, sa proposition n’est pas de supprimer totalement les produits d’origine animale de nos repas. Loin du dogmatisme, l’auteur cherche un compromis. Il invite, pour la viande, les œufs et les produits laitiers, à attendre le repas du soir. « Le rapport scientifique le plus intéressant publié l’an dernier disait qu’en Occident on devrait manger 90 % de viande et 70 % de laitages en moins si l’on voulait avoir un impact sur le réchauffement. Je voulais juste trouver un compromis entre ce qu’il faut faire et ce qu’on peut faire. Et comme le dîner est le moment le plus convivial de la journée, je me dis que changer notre mode d’alimentation au petit-déjeuner et au déjeuner n’altérera pas nos modes de vie (2). » On notera, chez Nature & Progrès, que cette proposition est compatible avec le maintien d’élevages domestiques, paysans et locaux, permettant une consommation (très) modérée, réfléchie, ainsi qu’un bien-être animal accru.

Vulnérable comme ma grand-mère

Même s’il affirme ponctuellement que son livre concerne l’impact de l’élevage industriel sur le réchauffement climatique, Jonathan Safran Foer s’attarde bien davantage sur notre compréhension du dérèglement climatique lui-même – ce qu’il reconnaîtra dans des interviews après la publication. Il accumule les images pour tenter de décrire, aussi souvent que nécessaire, le lien vital qui nous unit à notre planète. Ainsi évoque-t-il l' »effet de surplomb », ce sentiment intense ressenti par les astronautes lorsqu’ils voient la terre de loin, dans toute sa fragilité et sa beauté, au point parfois d’inspirer des changements radicaux dans leur existence. Il établit encore un parallélisme entre notre planète et sa propre grand-mère en fin de vie. « À regarder ma grand-mère à cette distance, je ressens quelque chose qui ressemble à l’effet de surplomb : mon « chez-moi » me paraît soudain vulnérable, singulièrement beau. Et soudain je la vois tout entière – dans le contexte de ma vie, de ma famille, de l’histoire. Entourée par un néant de ténèbres apparemment infinies, ma grand-mère a besoin de protection, et elle la mérite.« 

Allant un pas plus loin, il invite même à demi-mot ses lecteurs à accepter le destin irrémédiable des formes actuelles de vie sur la terre, quand il décrit sa grand-mère à ses côtés. « D’une certaine façon, elle est déjà morte – malgré ce qu’il m’en coûte d’écrire ces mots – et accepter son absence n’est pas seulement la seule démarche honnête, c’est celle qui nous permettra de mesurer pleinement l’importance de sa présence. » Je ne connais pas de description plus puissante et plus efficace du lien qui peut unir le deuil et l’action dans un même mouvement – en apparence paradoxal, mais en apparence seulement.

Pourquoi encore agir ?

Deux questions importantes restent à évoquer. D’abord, celle du sens. Pourquoi continuer à agir si l’ampleur des catastrophes est telle qu’on ne peut pas les solutionner ? Ce questionnement théorique, légitime, est cependant un piège. « Je ne pense pas que le plus grand défi posé par le dérèglement climatique soit d’ordre philosophique. Et je suis tout à fait convaincu qu’un habitant de l’Afrique subsaharienne, ou de l’Asie du Sud-Est, ou encore de l’Amérique latine – là où le dérèglement climatique est ressenti de la façon la plus douloureuse – serait d’accord avec moi. Le plus grand défi est de sauver tout ce qui peut l’être : autant d’arbres, autant d’icebergs, autant de degrés de température, autant d’espèces, autant de vies – bientôt, rapidement, et sans délai.« 

Nous sommes faits de telle manière que nous cherchons un engagement parfait, qui garantisse que les problèmes seront solutionnés par notre action. Ne s’agit-il pas d’une fausse excuse, d’un prétexte pour ne pas changer ? « La mesure essentielle n’est pas la distance qui nous sépare d’une perfection inaccessible mais d’une inaction impardonnable. » Quand le Titanic coulait, savoir qu’il n’y aurait pas de place pour tout le monde dans les canots de sauvetage n’empêchait pas de tout mettre en œuvre pour sauver un maximum de vies.

L’individu et le système

Après le discours mielleux des gestes individuels pour ‘sauver le climat », dans lequel la publicité commerciale continue de se vautrer pitoyablement, on a assisté ces dernières années à un salutaire retour en force des critiques systémiques. Les structures doivent changer. Pour autant, Jonathan Safran Foer refuse que cette évidence puisse conduire les individus à se dédouaner de leur part de liberté. « Certes, il existe des systèmes à la force indéniable – capitalisme, élevage industriel, complexes industriels des énergies fossiles – qui sont difficiles à démanteler. Aucun conducteur ne peut créer un embouteillage tout seul. Mais aucun embouteillage ne peut exister sans conducteurs individuels. Nous sommes pris dans la circulation parce que nous sommes la circulation« . Autrement dit, malgré la force des contraintes et du système dans lequel nous sommes pris, nous demeurons libres de choisir parmi des options possibles, il y a une marge de manœuvre que nous devons utiliser. Parce qu’il faut faire tout ce qu’il est possible de faire. Il ajoute : « même si c’est sans doute un mythe néolibéral d’affirmer que les choix individuels emportent la décision ultime, ajoute-t-il, c’est un mythe défaitiste qui voudrait que les décisions individuelles n’aient aucun pouvoir du tout. Les plus grandes actions comme les plus petites ont leur efficacité, et quand il s’agit de freiner la destruction de notre planète, il serait contraire à l’éthique de rejeter les unes ou les autres, ou de proclamer que parce que les plus grandes ne peuvent pas être menées à bien, il serait inutile de tenter d’envisager les plus petites. » Sans nier la nécessité de changements structurels énormes, voire d’une révolution politique, Safran Foer affirme que « nous n’avons aucune chance d’atteindre notre objectif de limiter la destruction environnementale si nous ne prenons pas la décision hautement individuelle de manger différemment. » Cela revient à dire, et c’est le titre original de l’ouvrage en anglais, que « nous sommes le climat ».

Affrontant, encore et encore, le vertige ressenti face à l’ampleur des catastrophes, l’écrivain nous livre une énième introspection sous forme de dialogue intérieur. « Les vrais choix auxquels nous sommes confrontés, ce n’est pas ce que nous achetons, les avions que nous prenons ou les enfants que nous avons, c’est plutôt de savoir si nous sommes prêts à nous engager à vivre éthiquement dans un monde brisé, un monde duquel les humains dépendent pour leur survie collective dans une sorte de grâce écologique. »

Safran Foer, à ce moment, semble en train de réfléchir en même temps qu’il écrit. Car la suite du paragraphe réconcilie les deux aspects – choix quotidiens et positionnement philosophique – qu’il avait pourtant commencé par opposer : « que signifie vivre éthiquement si ce n’est pas faire des choix éthiques ? Au nombre de ces derniers, se trouvent précisément ce que nous achetons, les avions que nous prenons, le nombre d’enfants que nous mettons au monde. Que signifie la grâce écologique, si ce n’est la somme des décisions prises au fil des jours, au fil des heures, de consommer moins que ce qui tient entre nos mains, de manger autre chose que ce que nos estomacs réclament, de créer des limites pour nous-mêmes, pour que nous puissions partager ce qu’il reste ?« 

Notes

(1) Sauf mention contraire, toutes les citations de cet article sont tirées de Jonathan Safran Foer, L’avenir de la planète commence dans notre assiette, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Amfreville, Éditions de l’Olivier, 2019.

(2) Jonathan Safran Foer : « On doit inscrire en nous qu’on ne vole pas la planète« , propos recueillis par Alexandra Schwartzbrod, Libération, le 23 octobre 2019.

Un nouveau processus délibératif chez Nature & Progrès

Nature & Progrès met en place un panel citoyen appelé à réfléchir sur le thème : « As-tu besoin de ton voisin ?« . Notre inscription dans le champ de l’éducation permanente nous amène, en effet, à envisager une participation optimale de nos concitoyens et de nos membres dans la définition des actions mises en œuvre par notre association. D’une manière plus générale, ce nouveau mode d’action entend remédier aux critiques émergeant de notre corps social qui comprend toujours plus mal les processus décisionnels de nos représentants politiques. Il est grand temps de se mobiliser face à cette crise de la représentativité !

Par Sophie Devillers

Processus délibératif projet panel citoyen
Introduction

Mais, plus concrètement, comment de telles délibérations citoyennes peuvent-elle nous permettre de voler au secours de nos démocraties en souffrance ? C’est ce que nous explique une jeune doctorante de l’Institut de Sciences politiques de l’UCLouvain…

Les symptômes d’une démocratie malade

Depuis ces dernières années, scandales et crises politiques en tous genre ne cessent de rythmer l’actualité. Entre Publifin, les formations gouvernementales interminables voire incompréhensibles et l’urgence de la situation climatique, nos systèmes politiques semblent bien impuissants. En conséquence, de plus en plus de citoyens manifestent leur mécontentement et leur perte de confiance en les institutions et les personnes qu’ils ont pourtant élues pour décider en leur nom. Jamais, en effet, la confiance des citoyens en ces structures n’a été si faible (1).

Ainsi, bien que le vote soit obligatoire en Belgique, de plus en plus de citoyens s’abstiennent de voter – ne se rendent pas à l’isoloir – ou encore votent blanc – ne remplissent aucune case sur le bulletin – ou nul – en exprimant, par exemple, leur colère par le biais d’annotations sur le bulletin. Aussi, on remarque que les familles politiques traditionnelles – libéraux, socialistes et chrétiens démocrates – voient leur succès électoral s’essouffler au profit de formations plus « antisystème » telles de que le PTB en Wallonie ou le Vlaams Belang en Flandre, dont un des leitmotivs est le rejet des structures politiques actuelles. Et ce sont peut-être d’ailleurs ces mêmes structures qui sont à l’origine du manque d’efficacité et du déficit de confiance que l’on observe aujourd’hui. Certains s’interrogent, en effet, sur la capacité d’un système plus que bicentenaire à affronter les crises qui traversent les sociétés actuelles en pleins bouleversements à tous niveaux – technique, climatique, géopolitique… – et proposent des innovations – qui sont exposées ci-dessous – avec l’espoir de donner un coup de jeune à nos démocraties.

A l’origine du mal : les élections ?

Avant d’aborder ces innovations, attardons-nous quelques instants sur une notion fondamentale : la démocratie. Finalement, c’est quoi une démocratie ? Un système qui permet à tous de vivre pleinement sa liberté de parole ? Un régime où tous les citoyens ont droit à un niveau de vie digne ? Ou encore un État où la vie privée est protégée contre les éléments pouvant y porter atteinte ? Il semble y avoir autant de manière de vivre la démocratie que d’États démocratiques…

Mais avant tout, l’élément fondamental qui semble les rassembler tous aujourd’hui est leur fonctionnement sur base d’élections. De nos jours, tous les États considérés comme « démocratiques » présentent un système de gouvernance « du peuple par le peuple et pour le peuple » (2) organisé par l’intermédiaire de représentants élus à l’issue d’élections libres et périodiques. Et c’est bien ce système qui semble être à l’origine des maux dont souffre actuellement notre démocratie. D’une part, passer par des élections structurées par des partis politiques afin de choisir les représentants du peuple qui décideront en son nom, a tendance à produire une certaine élite. Ainsi, la composition de nos assemblées est biaisée et offre une surreprésentation à certaines catégories de personnes. Plus précisément – et si on regarde, par exemple, le Parlement de Wallonie -, on remarque entre autres que l’âge moyen des septante-cinq parlementaires est de quarante-sept ans, contre quarante pour l’ensemble de la population wallonne. La proportion d’hommes y est aussi plus élevée que dans l’ensemble du territoire wallon : 59% contre 49% (3). Enfin, le niveau d’éducation des élus est bien plus élevé que le niveau moyen de la population : 64% des parlementaires disposent d’un diplôme universitaire contre 14% pour la population wallonne. Par conséquent, les citoyens ont parfois du mal à se sentir véritablement représentés par leurs élus, qui semblent distants de leur réalité quotidienne et ne seraient ainsi pas en mesure de prendre des décisions représentant véritablement les intérêts de leur électorat, si différent.

Les cycles électoraux, quant à eux – on vote une fois tous les cinq ans au niveau fédéral et régional, et une fois tous les six ans au niveau provincial et communal -, engendrent des dynamiques de court terme où les élus ont peu de temps pour mettre en place des projets qui viendront embellir leur bilan et leur donner une meilleure image lors des élections suivantes… On remarque souvent, par conséquent, une certaine frilosité à investir dans des politiques de long terme, coûteuses en investissements et donc peu populaires, et dont les bénéfices ne se voient parfois que sur plusieurs décennies. Les enjeux climatiques, par exemple, en sont une victime collatérale.

La démocratie délibérative : remède universel ?

Toutefois, il existe aujourd’hui des modèles permettant de combler ces problèmes engendrés par un fonctionnement par élections. Et si on imaginait que démocratie et élections ne soient plus des synonymes ? Si cela nous semble compliqué aujourd’hui, des peuples ont tenté, il y a plusieurs siècles, d’autres systèmes pour gouverner leurs territoires et leurs populations, comme la Grèce antique, qui comptait des organes composés de citoyens tirés au sort pour s’occuper de la gestion quotidienne de la cité (4).

Aujourd’hui, académiques, experts, activistes, associations et même politiques s’inspirent de ces modèles alternatifs pour tenter de combler les failles de notre système 100% électif. S’il ne s’agit évidemment pas d’abolir purement et simplement les élections, il s’agit de répondre par contre à leurs principaux défauts – manque de représentativité des institutions et vision de court-terme – par des processus adjacents impliquant plus directement les citoyens, sans l’intermédiaire de leurs représentants. La démocratie délibérative, entre autres, commence à faire son chemin en Belgique. Derrière ce concept général, se cachent en réalité les « panels citoyens », les « assemblées consultatives », les « parlements citoyens » et bien d’autres formules. De manière générale, ces processus rassemblent un petit groupe de citoyens – de quelques dizaines à plusieurs centaines – aux opinions et profils divers dans le but de discuter, pendant un ou plusieurs jours, d’un sujet particulier, allant de la mobilité à la fiscalité, en passant par l’urbanisme ou l’intelligence artificielle… Pendant leurs rencontres, accompagnés d’experts du sujet et de modérateurs, ils ont pour tâche de produire des recommandations, des solutions, des points d’attention par rapport à la thématique qui leur est soumise, à l’attention des décideurs politiques. Ces processus imposent, par ailleurs, aux participants de se confronter à des points de vue différents à propos de sujets de société parfois clivants, leur permettant ainsi de mieux comprendre le point de vue de parties adverses et de s’ouvrir à d’autres perspectives. Aussi, si ces processus sont exigeants en termes de temps et d’investissement, cet investissement n’est pas perdu, dans la mesure où les participants en ressortent souvent avec une meilleure compréhension des sujets qui les concernent et du système politique en général. Enfin, leur participation sert parfois de tremplin pour continuer leur engagement par d’autres canaux.

En Belgique, le plus célèbre de ces processus est sans doute le G1000 qui a rassemblé plus de sept cents citoyens belges tirés au sort (5), le 11 novembre 2011, pour parler de sujets tels que l’immigration, la sécurité sociale et l’emploi. Ce processus est né de l’esprit de quelques académiques et activistes, dont David Van Reybrouck, auteur d’un livre intitulé « Contre les élections » (6) et précurseur des réflexions sur le sujet, en Belgique, face à la crise gouvernementale – ou plutôt d’absence de gouvernement – qui a secoué la Belgique, cette année-là. Pendant que certains belges se laissaient pousser la barbe, ce petit groupe a mis en place un processus délibératif « 100% citoyen ». Si les politiques, en effet, ne parviennent pas à gouverner, pourquoi pas demander aux citoyens d’essayer ?

Fonctionnement et influence du G1000

Cette idée anima les organisateurs de l’évènement qui mirent un point d’honneur à intégrer les citoyens dans tout le déroulement du processus. Ainsi, les thèmes à l’ordre du jour furent choisis suite à une consultation en ligne à laquelle tous les Belges purent participer. Les thèmes qui revenaient le plus souvent furent ensuite soumis au groupe des sept cent quatre participants, ainsi qu’à l’ensemble des citoyens qui pouvaient participer à distance, soit depuis chez eux en ligne, soit dans une salle de leur commune. A l’issue des discussions, les recommandations furent transmises aux présidents des parlements du pays mais n’eurent pas, pour autant, un quelconque impact sur les politiques liées à ces sujets…

Toutefois, si l’impact du G1000 demeura plus que modeste en termes de contenu des politiques, il permit incontestablement de lancer la dynamique délibérative en Belgique. Ainsi, notre pays compta, en 2018, trente-huit processus délibératifs utilisant le tirage au sort ! Ces processus se déroulèrent à tous les niveaux de pouvoir – du local au fédéral en passant par le régional – et couvrirent une très large variété de sujets.

A l’aune de la multiplication de ces processus, il faut toutefois relever un écueil majeur auquel ils se heurtent aujourd’hui : celui de leur impact sur les politiques publiques. Si ces processus permettent, en effet, de créer du dialogue entre les citoyens – qui en sortent souvent avec l’impression d’une expérience humaine enrichissante -, ceux-ci risquent malheureusement d’être très frustrés par le peu d’impact de leur investissement sur les politiques. Souvent, les rapports contenant les recommandations des citoyens ne parviennent pas à intégrer les processus de prise de décisions et ne sont donc pas utilisés pour nourrir les réflexions du personnel politique qu’ils sont censés éclairer par le point de vue des citoyens. Ainsi, au lieu de rapprocher le citoyen du politique, ils pourraient donc l’en éloigner encore davantage par la frustration qu’engendre le sentiment d’avoir participé « pour rien » à un tel processus, chronophage et intensif.

Face à ce risque de retour de flamme, deux institutions belges ont décidé d’entériner un processus délibératif directement dans leurs structures politiques officielles. Dès 2019, la Communauté germanophone a ainsi instauré son Dialogue citoyen permanent, véritable premier Parlement « citoyen » à l’échelle mondiale, disposant d’une existence dans les textes de lois. Son Conseil citoyen se compose de vingt-quatre citoyens et se renouvèle tous les dix-huit mois. Cet organe a le pouvoir de soumettre des thématiques à la discussion d’assemblées citoyennes, composées de vingt-cinq à cinquante participants tirés au sort, en vue d’adresser des recommandations au Parlement. Les sujets soumis à ces assemblées peuvent provenir du Parlement, du Gouvernement, d’une pétition signée par cent citoyens de la Communauté, ou du Conseil citoyen lui-même, ce dernier étant souverain pour décider quel thème sera finalement soumis aux assemblées. A l’heure actuelle, le Dialogue citoyen permanent a traité de l’organisation des soins de santé et de l’éducation. Une fois les recommandations adressées au politique, ce dernier est contraint d’en effectuer un suivi : à la fois de rendre des comptes aux citoyens quant aux recommandations qui seront effectivement mises en œuvre et à celles qui sont rejetées en explicitant les raisons motivant ce rejet.

Le second Parlement à avoir sauté le pas de l’institutionnalisation est le Parlement bruxellois qui a voté, en 2020, une législation permettant d’intégrer des citoyens tirés au sort dans les commissions parlementaires. Ainsi, à la demande de mille citoyens bruxellois – par la signature d’une pétition – ou d’un groupe ou député individuel du Parlement, un sujet peut être soumis à une commission délibérative, composée de quinze élus – les membres de la commission parlementaire possédant la thématique dans ses attributions – et de quarante-cinq citoyens bruxellois, tirés au sort, âgés d’au moins seize ans. La commission de l’Environnement et de l’Énergie, à laquelle se sont ajoutés quarante-cinq Bruxellois, ont par exemple, délibéré pendant quatre journées des balises encadrant l’installation du réseau 5G à Bruxelles. Leur rapport a été transmis au Parlement qui, comme en Communauté germanophone, se doit de motiver la manière dont il compte effectuer le suivi des recommandations. Ici, la présence des élus renforce encore davantage le lien entre le processus et les instances politiques, dans la mesure où les élus participent dès le départ à coconstruire les politiques, et seront donc plus enclins à les défendre au sein de l’assemblée parlementaire, de jouer les porte-parole du processus en installant ainsi une courroie de transmission entre les recommandations des citoyens et le pouvoir en charge de les mettre en œuvre.

Une inspiration pour Nature & Progrès ?

En s’inspirant de ces expériences innovantes, Nature & Progrès a aussi voulu tenter l’aventure de la délibération en faisant participer directement ses publics – producteurs, membres et public proche de l’association – à la définition des grandes orientations de l’association, répondant ainsi notamment à l’interpellation de son groupe local de Marche qui cherche une réponse innovante à l’immobilisme du « Conseil des Locales » de l’association. L’ensemble des groupes locaux de Nature & Progrès sont donc appelés à s’associer à cette démarche ou à réfléchir à d’autres questions qui pourraient faire l’objet d’un même traitement, la volonté étant de dynamiser la participation des publics de Nature & Progrès pour qu’ils contribuent effectivement à définir les orientations de l’association.

En l’occurrence, notre association, soutenue par son Conseil d’administration, organisera, durant deux samedis du mois de mars 2022, son premier processus délibératif sur le thème « As-tu besoin de ton voisin ?« . Pendant ces deux journées, trente citoyens pourront ainsi discuter du (re)développement des tissus sociaux et des réseaux de consommation et de production locaux, en vue d’alimenter les positions de l’association sur cette thématique. Le comité de pilotage à la manœuvre de ce processus veillera à composer le panel de participants le plus divers possible, lui permettra d’échanger avec des professionnels de terrain et des experts du sujet afin d’alimenter la réflexion et les échanges.

Notes

(1) Selon des études récentes, voir notamment : Goovaerts, I., Kern, A., Marien, S., van Dijk, L., van Haute, E., Deschouwer, K. (2019). Vote protestataire ou idéologique. Les déterminants des choix électoraux au 26 mai 2019. Note sur base des données du projet EoS RepResent, Communiqué de presse.

(2) Selon la célèbre formule du président Lincoln prononcée lors du discours de Gettysburg en 1863.

(3) Sources : RTBF Info (11 juin 2019) : « Âge, salaire, niveau d’étude… Qui sont les députés qui vont siéger en Wallonie et à Bruxelles » et IWEPS

(4) Ce modèle est évidemment loin d’être idéal dans la mesure où, à l’époque, tout le monde ne jouissait pas du statut de citoyen. Ainsi, les femmes et les esclaves étaient d’office exclus du tirage au sort et ne participaient donc pas à la gestion de leur cité.

(5) Ce tirage au sort a été effectué par un « Random Digit Dialing« , c’est-à-dire une composition aléatoire de numéros de téléphone, permettant ainsi de joindre des personnes au hasard dans l’ensemble de la population.

(6) David Van Reybrouck, Contre les élections, éditions Actes Sud (Babel), 2014 – existe en version téléchargeable.

Tourner le dos aux pesticides, il y a urgence !

Rendus publics le 4 octobre dernier, les résultats du Biomonitoring humain wallon, réalisé par l’Institut Scientifique de Service Public (ISSeP) – voir : https://www.issep.be/biomonitoring/ – ne sauraient être accueillis avec indifférence. On nous démontrera, certes, que certaines valeurs sont en baisse – métaux lourds, bisphénols, etc. – et que, dans l’ensemble, tout cela n’est pas pire qu’ailleurs en Europe… L’imprégnation de nos corps par d’innombrables substances potentiellement toxiques n’en reste pas moins extrêmement préoccupante.

Par Marc Fichers

nouveaux ogm non à la déréglementation
Introduction

Nous n’y pouvons rien ou à peu près, sauf peut-être en ce qui concerne les fumeurs… Ces innombrables substances sont largement présentes dans notre environnement, intérieur et extérieur – eau, air, sol -, mais aussi dans notre alimentation et dans bon nombre de produits que nous utilisons dans notre vie quotidienne – des matériaux divers, des produits de nettoyage, des jouets, etc. Le Biomonitoring, réalisé par l’ISSep à la demande de la Région Wallonne – dans sa première phase concernant nouveau-nés, adolescents et adultes âgés de vingt à trente-neuf ans -, nous livre une estimation réelle et globale de l’exposition de ces catégories de personnes à une cinquantaine de substances chimiques, toutes sources et voies d’exposition confondues. Il sera donc particulièrement utile pour effectuer un suivi de ces expositions. 828 Wallons et Wallonnes – 284 nouveau-nés, 283 adolescents et 261 adultes de vingt à trente-neuf ans – se sont donc portés volontaires afin de mesurer, en toute confidentialité, leurs niveaux d’imprégnation. Des analyses complémentaires seront réalisées par la suite, afin de déterminer l’origine précise de certains polluants, autour des broyeurs à métaux par exemple…

Les pesticides nous empoisonnent toujours la vie !

Pour ce qui concerne Nature & Progrès et son action : rien d’étonnant, hélas ! Le glyphosate – pourtant interdit en Belgique, depuis 2017, pour l’usage privé et dans les espaces publics – est présent dans presque un quart des échantillons d’urine. Nous avons maintes fois expliqué que cette molécule active ne voyage jamais seule. Le produit commercial, qui est effectivement utilisé et impunément répandu dans notre environnement et jusqu’à l’intérieur de nos corps, se compose également de toute une série de co-formulants dont nous savons finalement fort peu de choses, mais qui ne sont jamais visés par les études de toxicité. Ces substances mystérieuses, considérées à tort comme sans effet biologique, se drapent, en effet, dans le secret industriel pour échapper à tout contrôle. Mais de plus en plus d’études montrent que le « produit formulé », c’est-à-dire la substance active + ses co-formulants, est souvent beaucoup plus toxique que la seule substance active !

D’une manière plus générale, nos craintes semblent, malheureusement, se vérifier en ce qui concerne les plus jeunes d’entre nous : les concentrations mesurées chez les adolescents sont, en effet, significativement supérieures à celles des adultes, pour la grande majorité des pesticides actuellement utilisés. De quoi s’inquiéter pour les générations futures ?

La croyance dans la nécessité des pesticides est une forme d’obscurantisme ! Il y plus d’un demi-siècle déjà, les industriels des pesticides distribuaient, entre autres, le Chloropyrifos, un insecticide organophosphoré qui a des effets génotoxiques et neurotoxiques. Des études démontrèrent également un retard mental chez les enfants exposés à ces poisons. Les industriels l’ignoraient-ils ? Sans doute pas plus que les industriels du tabac n’ignoraient les effets cancérogènes des cigarettes. Leo Burnett, le Marlboro Man n’est plus là pour en témoigner. Les fondateurs de Nature & Progrès, quant à eux, étaient déjà conscients que ces poisons n’apporteraient rien de bon à l’agriculture et à l’alimentation humaine. Ils firent le choix de tabler sur la bonne gestion des sols pour produire une alimentation saine, dans le respect des lois de la nature et en refusant l’usage des pesticides chimiques de synthèse. Depuis tous ce temps, les agriculteurs bio perfectionnent leurs techniques de production. Ils l’ont fait seuls car les centres de recherche publics ont toujours choisi la voie chimique qui leur semblait un gage de modernité. Ces procédés chimiques sont aujourd’hui totalement dépassés mais le mythe moderniste subsiste.

Les techniques de l’agriculture biologique sont performantes et la production bio est plébiscitée par les consommateurs. Un agriculteur wallon sur sept travaille en bio. Sans la moindre gouttelette de pesticide chimique de synthèse ! A telle enseigne que la Wallonie a choisi de se doter d’un plan ambitieux qui vise 30% de bio en 2030. Fort de ce constat, fort de l’efficacité des techniques de la bio, Nature & Progrès a lancé, il y a près de cinq ans sa campagne Une Wallonie sans pesticides, nous y croyons ! dont le but est de libérer notre région des pesticides, puisqu’il est communément admis que leur usage – et c’est un prudent euphémisme – « n’est pas sans danger ». Le remplacement pur et simple des pesticides chimiques de synthèse par des alternatives non chimiques est possible. Absolument possible. Les alternatives existent, nous les avons répertoriées et testées : en prairies, en maïs, en céréales, en pommes de terre… Et nous ne demandons qu’à poursuivre notre démarche. A cet effet, Nature & Progrès organise des rencontres entre agriculteurs, bio et non bio, pour en faire la démonstration… Nous ne craignons donc plus de dire qu’un changement radical est non seulement possible, mais totalement nécessaire, car la biodiversité est, par ailleurs, dans un état lamentable. Or ceci est dû, principalement, à l’emploi, insupportable car totalement inutile, de pesticides dans nos campagnes. D’une manière très générale, la pollution de notre environnement appelle également un changement radical de paradigme.

L'approche toxicologique, seule, ne suffit pas…

Les toxicologues ont donc sans doute raison de dire que les particules fines, dans nos villes, font statistiquement plus de dégâts que les pesticides. Ce sont leurs chiffres et ils les connaissent mieux que nous… Mais qu’est-ce que cela change ? Changer d’agriculture est une nécessité globale qui s’articule autour de plusieurs nécessités vitales : la fertilité d’un sol vivant, le maintien de la biodiversité et le respect de l’environnement qui nous entoure, pour n’évoquer que ces trois-là, sont le fondement de toute forme d’agriculture durable.

Pourtant… Pourtant, chaque année, les Centres de recherches et d’encadrement publics – financés avec l’argent du contribuable – n’ont de cesse promotionner l’usage des pesticides. Chaque année, au printemps, ils publient des pages entières dans les journaux agricoles pour faire l’apologie du désherbage chimique, en maïs par exemple. Pas la moindre fichue petite ligne mentionnant l’usage du désherbage mécanique alors que cette alternative fonctionne à la perfection.

Pourtant… Quand l’Europe bannit les dangereux néonicotinoïdes, la Belgique croit malin d’y déroger. Car il arrive, malgré tout, que des pesticides soient interdits lorsque leur nocivité est à ce point patente que les firmes n’ont plus aucun moyen pour les défendre. Le Chloropyrifos, lui, fut finalement interdit… mi-2019 ! Après cinquante-cinq années de « bons et loyaux services » pour la cause de la destruction de la biodiversité ! Une perte de la biodiversité telle que des insectes ravageurs ne rencontrent plus leurs prédateurs et se développent de manière exponentielle : mouches de la cerise, drosophiles « suzuki », pyrale du buis…

Les résultats du grand travail de l’ISSeP ne peuvent donc, en aucun cas, être analysés au microscope, fut-ce ceux d’éminents toxicologues. Ils ne peuvent prendre leur sens qu’avec le recul macroscopique, la vision globale qu’impose l’écologie. Qu’il demeure des traces de Chloropyrifos dans 90% des échantillons d’urine des ados et des adultes de l’étude n’est donc pas un fait anecdotique qui nous remet en mémoire le « bon vieux temps ». C’est une source historique, gravée dans nos chairs, qui doit à tout moment nous rappeler les douloureux errements du passé ! Voulons-nous « travailler avec la nature » ou définitivement « en finir avec le mythe de la nature saine » et nous défendre contre ce qu’elle nous apporte, en optant pour la fuite en avant dans les produits létaux ? En oubliant que la nature ne fait, le plus souvent, que réagir à des déséquilibres de nature anthropique, c’est-à-dire causés par l’action de l’homme – et dont le réchauffement du climat n’est pas le moindre. Se réconcilier ou se combattre. Il n’y a plus de moyen terme. Et nous ne sommes pas en position de force !

Notre environnement est pollué par les pesticides

Le Biomonitoring humain wallon confirme ce qu’annonçaient les études Expopesten et PROPULLP, déjà dues au même ISSeP. Des mesures doivent, à présent, être prises et Nature & Progrès a déjà interpellé les autorités compétentes afin que les choses changent.

En direction du grand public et des agriculteurs, nous allons :

  • développer notre campagne Une Wallonie sans pesticides, nous y croyons ! qui a mis en évidence les opportunités qu’offrent les alternatives aux pesticides ; de nombreuses rencontres entre agriculteurs bio et non bio, en présence de consommateurs, l’ont démontré ;
  • intensifier ces rencontres et diffuser plus largement encore l’information sur les alternatives qui ressort de ces rencontres ;
  • continuer notre travail de sensibilisation en direction des consommateurs. Car il s’agit bien d’être informé, plus que de subir la propagande de grands groupes agroindustriels.

 En direction de l’autorité fédérale, nous allons :

  • continuer les actions en justice entamées avec le Pesticide Action Network et l’apiculteur indépendant membre de Nature & Progrès, Benoît Dupret, contre les dérogations belges à l’interdiction des néonicotinoïdes en Europe. Ce dossier est porté devant la Cour européenne de Justice. Nous ne pouvons plus tolérer que la Belgique déroge à tout-va. Quand l’Europe interdit une molécule, c’est qu’elle est vraiment nocive pour la santé ! La dernière dérogation accordée au Mancozeb est une honte : ce fongicide, utilisé entre autres en betteraves, a été interdit, au niveau européen, car c’est un perturbateur endocrinien toxique pour la reproduction ! Encore un fongicide autorisé depuis 1960 !
  • interpeller à nouveau le ministre Clarinval au sujet des « co-formulants » des pesticides. Nous avons, là aussi, de graves inquiétudes car une étude récente a montré qu’ils sont loin d’être d’anodins compléments des substances actives. Une première demande adressée au ministre a, malheureusement, essuyé une fin de non-recevoir. Nous devons donc intervenir par d’autres moyens.

En direction de l’autorité régionale, nous allons :

  • nous appuyer sur les études Expopesten et PROPULLP, de l’ISSeP, ainsi que sur le récent Biomonitoring humain wallon, qui ont montré une inquiétante dispersion des pesticides dans l’environnement wallon, afin de comprendre comment il se fait que les techniques de pulvérisation – que ce soit en agriculture ou pour l’application des traitements herbicides sur les voies de chemins de fer, ou encore pour d’autres usages – ne garantissent jamais la non-dérive des produits utilisés ;
  • interpeller la Ministre wallonne de l’environnement, au sujet de l’arrêté du gouvernement qui prévoit les conditions à respecter lors de traitements à l’aide de pesticides ; nous lui demanderons que ces conditions soient revues afin d’empêcher toute dérive car rien ne justifie, à nos yeux, que des riverains aient à en supporter les conséquences ;
  • réclamer que les moyens alloués à la recherche et à l’encadrement pour l’optimalisation de l’usage des pesticides soient réorientés vers la recherche et le développement des alternatives à leur usage. Les utilisateurs n’ont plus besoin de conseils pour utiliser les pesticides, ils ont plutôt besoin de conseils pour en sortir ! Il faut donc les accompagner dans le développement d’alternatives et, en ce sens, les centres de recherche et les structures d’encadrement auront l’opportunité idéale pour construire, avec eux, l’agriculture et l’alimentation de demain.

Les pesticides sont le reflet d’une vision du passé ! Osons leur tourner le dos et œuvrons, tous ensemble, au développement de leurs alternatives. Et au développement de l’agriculture biologique. Une Wallonie sans pesticides, nous y croyons !

Déréglementation des nouveaux OGM

Le document de la Commission sur les nouvelles technologies génomiques est biaisé, dès le départ !

Le 29 avril 2021, la DG Santé de la Commission européenne a publié, à la demande du Conseil européen composé des chefs des Etats membres, un document de travail relatif au statut des nouvelles techniques génomiques au regard du droit de l’Union et à la lumière de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne de juillet 2018. Au terme de ce travail, la Commission estime, à l’instar de l’industrie, que la réglementation actuelle sur les OGM est inadaptée pour les nouvelles techniques génomiques dont celles dites d’ »édition du génome ». Elle propose ainsi d’exempter des exigences de la Directive 2001/18, les organismes manipulés selon certaines nouvelles techniques génomiques.

Par Catherine Wattiez, Dr. Sc. Biologiques,
campagne OGM de Nature & Progrès

Logo nouveaux OGM
Introduction

Une telle déréglementation va à l’encontre de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne ! Aux yeux de la Cour, les nouveaux OGM sont des OGM à part entière et relèvent donc de la Directive 2001/18. Une déréglementation signifierait qu’il n’y aurait plus, afin d’autoriser ou non les nouveaux OGM, d’analyse de risques pour la santé et l’environnement, d’exigence de traçabilité et d’étiquetage. De plus, le suivi des problèmes occasionnés par ces nouveaux OGM, après la mise sur le marché, deviendrait totalement impossible. Ceci engendrerait des risques inacceptables pour la santé et pour l’environnement, empêcherait le consommateur de choisir ses aliments et entraverait encore d’avantage la liberté de l’agriculteur – lire notre dossier dans les pages de Valériane n°148.

En vue de l’élaboration de la position politique de la Belgique relative à ce travail, une vingtaine d’ONG et d’organisations paysannes, en Belgique, ont co-signé un document de critiques du travail de la Commission, dûment référencé, et réalisé en collaboration avec un réseau européen de groupements pairs. Quels problèmes ce document soulève-t-il ?

Comme toujours : on minimise l'impact des pesticides !

La Commission s’appuie sur les promesses invérifiables de l’industrie des OGM ! Les parties prenantes à la consultation qui a alimenté le document de travail de la Commission ont été choisies par la Commission elle-même. Elles comptaient seulement 14% de représentants de groupes de la société civile contre 74% de représentants de l’industrie ! C’est totalement inacceptable en ce qui nous concerne !

La Commission affirme que les nouveaux OGM pourraient contribuer aux objectifs de durabilité de l’agriculture. Une telle opinion, basée sur les dires invérifiables des développeurs et des groupes de pression associés, n’est absolument pas étayée. De plus, la grande majorité des nouveaux produits OGM potentiels sont encore au stade de recherche et développement et pourraient aussi bien ne jamais voir le jour.

La Commission minimise, à tort, la tolérance aux herbicides visée par les développeurs des nouveaux OGM. En effet, le Centre Commun de Recherche (CCR) remet en question la possibilité, pour les nouveaux OGM, d’améliorer la durabilité de l’agriculture et montre que la principale caractéristique des plantes génétiquement modifiées et au stade pré-commercial est la tolérance aux herbicides qui ne contribue pas à réduire les besoins en ces pesticides. Les adventices deviennent, à terme, elles-mêmes tolérantes aux herbicides tolérés par l’OGM et il s’ensuit in fine une utilisation d’autres herbicides. Les insecticides intégrés dans la plante OGM deviennent, quant à eux, rapidement résistants et l’agriculteur se sent alors obligé de recourir à d’autres insecticides. La première génération d’OGM a été promue, il y a plus de vingt ans, sur la base d’affirmations de réduction de l’utilisation de pesticides et ces promesses ne sont jamais concrétisées. Que du contraire : elles ont augmenté la dépendance aux pesticides !

La résistance aux effets des changements climatiques : de la poudre aux yeux !

Le développement de nouveaux OGM résistants aux stress abiotiques est promu par le lobby biotechnologique, dans le cadre de la lutte contre les effets des changements climatiques. Ces caractères – dont la résistance à la sécheresse, par exemple – sont souvent déterminés par une interaction complexe entre plusieurs gènes – caractères polygéniques -, des mécanismes cellulaires et l’environnement. Les techniques de sélection conventionnelles se sont avérées efficaces pour produire des plantes présentant des caractéristiques aussi complexes. Ainsi, nombre de plantes sélectionnées conventionnellement et résistantes à la sécheresse sont préférées pour la mise en culture, aux USA, et n’interfèrent pas avec la régulation et l’organisation des gènes. Cela fait aussi plus de vingt ans que des OGM résistants à la sécheresse ont été promis, mais non développés, par les chercheurs liés à l’industrie.

La Commission ne tient aucun compte d’un grand nombre d’analyses et de preuves de la littérature scientifique indépendante et récente soulignant les risques de nouvelles techniques de manipulations génétiques.

La Commission reprend à tort les arguments du lobby des biotechnologies. Elle affirme qu’il ne devrait pas y avoir de « discrimination » entre les produits de la sélection conventionnelle et ceux issus de l’ »édition des gènes » car les erreurs génétiques induites par celle-ci pourraient également survenir dans la nature ou lors de la sélection conventionnelle.

Cette affirmation est fausse.

Les techniques d’édition du génome peuvent induire des mutations d’une seule base azotée, dans l’ADN, qui peuvent aussi se produire dans la nature. Cela est exact. Mais elles peuvent également induire des erreurs génétiques – hors cible ou sur cible d’insertion -, même indépendamment de l’insertion ou non d’ADN étranger dans le génome hôte. Ces erreurs-là, chez les OGM fruits de l’ »édition du génome », ne se produisent pas dans la nature ou lors de la sélection conventionnelle. Une des raisons en est que les techniques dites de l’ »édition des gènes » peuvent accéder à des zones du génome qui sont « naturellement » protégées des mutations. Ces erreurs génétiques peuvent occasionner toxicités, allergénicités, modifications métaboliques, impacts sur les écosystèmes…

Contrairement aux opinions de l’European Food Safety Agency (EFSA), l’identification et les caractéristiques des modifications hors cible dans le produit final sont pertinentes pour l’évaluation des effets non-intentionnels. Toutefois, il est montré que la grande majorité des études sur les nouveaux OGM utilisent des méthodes biaisées pour rechercher les effets hors cible. La plupart de ces effets pourraient donc être manqués. L’approche de précaution de la réglementation européenne actuelle sur les OGM ne devrait pas être affaiblie en excluant de son champ d’application des groupes entiers de technologies nouvelles, sans effectuer une évaluation des risques spécifiques, au cas par cas, dans le cadre réglementaire actuel !

La fédération européenne des associations et industries pharmaceutiques (EPFIA) affirme, quant à elle, que pour les mêmes nouvelles techniques à applications médicales que celles à applications agricoles, ces technologies ne sont pas sans risques et que les produits devraient faire l’objet d’une évaluation des risques.

Indétectables, les nouveaux OGM ?

La Commission, à l’instar du lobby des biotechnologies, affirme à tort que les nouveaux OGM considérés ne peuvent être détectés ! Elle invoque cette raison afin d’affirmer que la législation actuelle sur les OGM – qui exige la fourniture par le développeur d’une méthode de détection spécifique – ne peut être appliquée à ces produits. Toutefois, depuis 2013, la Commission a opposé un refus répété à ses propres laboratoires de détection des OGM qui demandaient des budgets pour travailler à la mise au point de méthodes de détection de ces nouveaux OGM.

Pourtant, le secteur de la sélection végétale conventionnelle a prouvé que l’identification de ses variétés végétales se fait déjà à l’aide de techniques biochimiques et moléculaires. Il n’y a donc aucune raison pour qu’il en aille différemment pour les nouveaux OGM. Par ailleurs, la mise en évidence de la présence d’OGM repose aussi sur la documentation et la traçabilité tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Cette traçabilité doit continuer à être assurée.

Enfin, la Commission ne prend aucun engagement net en faveur de l’étiquetage des aliments : elle laisse la porte ouverte à la disparition du droit actuel au choix des sélectionneurs, agriculteurs, transformateurs, négoce alimentaire et consommateurs. Elle se borne à souligner le désaccord généralisé des parties prenantes consultées quant à la nécessité de cet étiquetage.

Demandes pressantes à nos politiques !

Nature & Progrès demande, de manière pressante, au monde politique belge de tout mettre en œuvre pour que la Belgique se positionne pour le maintien des nouveaux OGM dans la directive 2001/18 qui sert actuellement de cadre à tous les OGM !

Ce maintien n’empêchera en rien la poursuite de la recherche et du développement dans le domaine des OGM mais garantira aux citoyens que la dissémination volontaire de ces nouveaux OGM dans l’environnement sera précédée d’une évaluation de leur impact sur la santé et l’environnement, et règlementera l’étiquetage des produits contenant des OGM. Les consommateurs auront alors toujours la liberté de choix de leurs aliments.

Le soutien financier et politique accordé jusqu’à présent à la recherche associée aux nouvelles applications des OGM doit être réorienté dans la recherche et la promotion de l’agriculture biologique et de l’agroécologie qui bénéficient déjà de preuves de durabilité.

La Commission et les Etats membres devraient rendre obligatoire l’application des techniques de détection déjà disponibles pour l’identification des variétés végétales, faisant appels à des méthodes biochimiques et moléculaires. Nature & Progrès médiatise ce dossier afin de permettre à tous les citoyens, belges et européens, de se forger une opinion et de disposer des moyens de la défendre. Nature & Progrès s’engage à rencontrer l’ensemble de nos responsables politiques, régionaux et fédéraux, et de continuer ses actions pour que notre environnement et notre alimentation restent indemnes d’OGM !

Nous demandons enfin à la Commission de bien vouloir s’interroger, en toute bonne foi, sur cette question cardinale : quel serait encore l’intérêt de développer l’agriculture biologique si les OGM venaient à être dispersés dans l’environnement ? Vous avez dit 25% de bio, en Europe, en 2030 ? Il n’y aurait pas comme une petite « dissonance » quelque part ?

La volonté des parties prenantes était, une fois de plus, de légiférer sans en faire le moindre écho ! Il est intolérable qu’une décision de cette importance, pour notre vie de tous les jours, puisse échapper à l’avis des gens ! En tant que citoyens engagés, Nature & Progrès vous propose donc d’écrire, à ce sujet, au Ministre de votre choix afin de lui faire part de vos préoccupations.

Téléchargez, pour ce faire, le courrier prérempli figurant sur notre site Internet – https://www.natpro.be/nouveauxogm-non-aux-ogm-caches/. Ou demandez-le-nous. Il résume la question des nouveaux OGM et affirme la nécessité les garder dans le giron de la Directive 2001/18.

Postez ce courrier ou déposez-le dans les bureaux de Nature & Progrès. Tenez-nous informés de la réponse éventuellement reçue.

Le rapport intégral de la critique des ONG et des groupes de paysans est accessible sur le site www.natpro.be, à l’onglet « nouveaux OGM ».