Hors du lit !

Les effets du réchauffement climatique à l’usage de ceux qui n’y croyaient toujours pas…

Si, à l’avenir, nos « draches nationales » sont amenées à s’intensifier et à devenir plus régulières, comme le prévoit le GIEC, les solutions pour en limiter les dégâts sont en revanche connues depuis belle lurette. Voici donc quelques pistes pour contrer inondations, coulées de boue et, de manière générale, adapter radicalement notre territoire aux nouveaux aléas climatiques…

Par Marc Fasol

nouveaux ogm non à la déréglementation
Introduction

Hasard de calendrier ? Peu après les crues apocalyptiques qui ont frappé notre région à la mi-juillet, tombe le rapport d’évaluation du GIEC. Il est sans appel. Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat publie ses conclusions, les sixièmes déjà depuis 1990. Elles confirment ce que tout le monde redoutait depuis quelques temps : un peu partout dans le monde, incendies, pluies diluviennes, pics de chaleur extrêmes, sécheresses et autres aléas climatiques vont désormais s’enchaîner et se déchaîner sur notre continent à un rythme et à un niveau sans précédent !

  1. Plus de doute, ces dérèglements climatiques sont bien imputables à l’activité humaine, voilà qui n’excuse plus l’inaction ;
  2. Ces catastrophes n’épargnent plus personne, ni les pays pauvres, ni les pays riches. Elles nous concernent donc tous, petits et grands ;
  3. La crise climatique que nous connaissons est, hélas, irréversible : il n’y a plus de retour en arrière possible, faudra faire avec !

A l’avenir, ces phénomènes météorologiques – que certains qualifient encore volontiers d’ »exceptionnels », « du siècle », voire même « du millénaire » – deviendront la norme. Et ce qui était jusqu’ici inimaginable devient réalité. Le tableau brossé s’assombrit tellement pour notre futur qu’il plonge de plus en plus de citoyens dans l’éco-dépression. Un phénomène nouveau, ressenti surtout chez les jeunes – la « génération Greta »-, lié aux échecs répétés, voire à l’inaction des Pouvoirs publics, le plus souvent aux mains de Boomers (1) qui peinent à prendre les mesures adéquates pour y faire face !

Faire peur ne sert à rien !

Les professionnels de la communication le confirmeront : surfer sur les superlatifs, comme le fait la presse, en ressassant pour la Xe fois les records de chaleur, le débordement invraisemblable des pluviomètres ou encore les courbes affolantes des graphiques climatiques, ne sert pas à grand-chose. Agiter le « spectre de la fin du monde » pousse les gens à se cabrer, à se résigner ou à s’enfermer dans le déni. Ce n’est hélas pas comme cela qu’ils changeront fondamentalement de comportement. La plupart, persuadés qu’ils ne peuvent de toute façon rien y changer, attendent de voir ce qu’il adviendra avant de se décider enfin à réagir. Qui sait ? Peut-être que la technologie va nous sauver ? Malgré l’extrême urgence officialisée par le GIEC, les activités humaines continuent donc, encore et toujours, à fonctionner comme avant, poussées par les diktats de la sacro-sainte croissance économique.

Inutile de s’étendre davantage sur la manière de désamorcer la bombe climatique, la solution en amont est connue de tous depuis belle lurette : pour limiter le réchauffement à +1,5°C – réchauffement qui augmente les risques d’inondations -, il nous faut limiter drastiquement les émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone. A cet égard, tous les espoirs seront reportés une nouvelle fois sur la prochaine COP 26, programmée pour ce mois de novembre, à Glasgow. En aval, il faudra désormais faire avec… et donc s’adapter. Eh oui, vous lisez bien : s’adapter !

Pour les sinistrés interrogés sur place juste après les événements tragiques de cet été, passé l’effroi et la consternation, la colère se mêle à l’incompréhension. Aux micros des journalistes, les mêmes rengaines ressortent en boucles : « Ah, tout ça à cause du barrage d’Eupen qui, saturé, n’a pas joué son rôle d’écrêteur de crues« . Moïse, le barragiste, n’aurait donc pas rempli son devoir de retenue des eaux. A moins que ce ne soient les barrages de castors (sic !) qui auraient cédé avec la « vague »… En attendant le verdict de la Commission d’enquête parlementaire qui doit faire toute la lumière sur les responsabilités, manquements et/ou dysfonctionnements de l’administration en matière de prévention et de coordination des secours, il est de bon ton de désigner le lampiste de service. Jusqu’ici, il n’était pas rare de pointer du doigt l’entretien – le curage – défaillant des cours d’eau, voire les amas de branchages, responsables de ces débordements récurrents. A Dinant, ce serait carrément le bassin d’orage qui, lui, n’aurait pas été nettoyé convenablement…

Un territoire bien plus résilient

Parmi les nombreuses personnalités politiques à avoir visité les lieux après la catastrophe, seule Céline Tellier, Ministre de l’environnement pour la Région wallonne, semble être suffisamment clairvoyante pour saisir l’ampleur du problème de manière holistique : « il est grand temps d’intégrer les risques climatiques dans toutes les politiques publiques… et pas seulement pour ce qui concerne les inondations. Par ailleurs, on ne peut se contenter de modeler la nature à coup de béton, comme on le fait généralement. Dorénavant, les autorités ont un rôle clé à jouer dans la gestion de tout le territoire face aux nouvelles réalités du changement climatique.« 

Eléments de solution n°1. Un territoire résilient aux pluies diluviennes se doit, dorénavant, d’être le plus perméable possible. Or la Belgique compte parmi les pays les plus imperméabilisés d’Europe : 7,2% du territoire wallon sont aujourd’hui étanchéisés – pour 12,9% en Flandre ! Grignotés sur les précieuses terres agricoles et naturelles, ils le sont hélas de manière irréversible (2). Mieux : hors contrôle, le phénomène se poursuit encore et toujours… à raison de trois hectares par jour, soit douze kilomètres carrés par ! Il est donc grand temps d’apaiser cette boulimie consommatrice d’espace, particulièrement forte en zone périurbaine et autour des villages, les fameux étalements « en pattes d’araignée ». Le problème ? Les « zones d’habitat », au Plan de secteur, ont été définies in tempore non suspecto, c’est à dire du temps de bon-papa, à une époque où l’imperméabilité des sols ne constituait pas une préoccupation majeure.

Par ailleurs, comme les événements météorologiques extrêmes – à savoir de longues périodes de sécheresse alternant avec des précipitations record, telles que nous les avons connues récemment – ont tendance à se multiplier avec le réchauffement global de la planète, ils auront forcément, à terme, un effet sur la vitesse de recharge – le réapprovisionnement – de nos nappes phréatiques. Or il faut savoir que cette recharge se fait en hiver et très peu en été, période propice aux écoulements de surface. Et donc aux glissements de terrain, comme vécus de manière apocalyptique, cet été, en Allemagne…

Par ordre de décroissance, ce sont les forêts qui jouent le mieux le rôle de percolateur pour les eaux pluviales… Pour peu qu’elles soient naturelles, avec différentes strates de végétation – arborescente, buissonnante, herbacée et muscinale. Et qu’il ne s’agisse pas de simples plantations d’arbres sans aucune végétation de couverture au sol, à l’image des mornes et lugubres étendues d’épicéas, cultivés en monoculture, souvent balafrées de drains qui accélèrent plus encore l’évacuation des eaux. D’après le WWF (3), celles-ci devraient tout simplement être proscrites !

"La faute aux cultos" ?

Si les prairies régulent l’infiltration des eaux de pluie et assurent leur rétention, il faut savoir que ces terres, une fois mises en culture, en absorbent deux à trois fois moins. Or, avec la fermeture des petites exploitations et la diminution du nombre d’agriculteurs au profit des grandes exploitations industrielles dont la superficie n’arrête pas de s’étendre, on assiste progressivement à la disparition de nos prairies : en trente-cinq ans, la Wallonie a perdu 23% de ses prairies permanentes !

Avec des sillons de plus en plus longs, certains champs de maïs font jusqu’à huit cents mètres de long. Lors d’orages violents, l’eau qui s’écoule entre les rangées de maïs, de betteraves ou de pommes de terre, y acquiert rapidement de la vitesse, se charge de sédiments pour former des coulées boueuses qui s’épandent alors sur nos routes, traversent les villages pour s’engouffrer dans les avaloirs… Les stations d’épuration, vite débordées, se déversent à leur tour directement dans nos rivières. Le désastre est total !

Pas étonnant qu’après le déluge, les agriculteurs soient régulièrement pris pour cibles de leurs riverains exaspérés. Or de nombreux cultivateurs se disent de plus en plus préoccupés par le problème des dérèglements climatiques. Avec des pertes de rendement dues aux sécheresses, aux canicules, aux grêles tardives et autres inondations, ils se retrouvent souvent en première ligne. Ils savent également que les indemnisations dans le cadre des « calamités agricoles » seront de plus en plus soumises à conditions, tandis que, pour leur part, les sociétés d’assurance se montrent de plus en plus réticentes à couvrir des risques étroitement liés aux changements climatiques.

Pour que les surfaces agricoles retiennent un minimum terres et eau, il serait plus sage de restaurer le bocage. Il faut donc replanter des haies autour de parcelles dont l’étendue devrait aussi être revue à la baisse. Le bocage qui étoffe le maillage écologique du paysage est bien connu pour ses propriétés anti-écoulements et antiérosives. Le projet « Yes, we plant » visant à replanter quatre mille kilomètres de haies champêtres – environs cinq cent mille arbres ont déjà été plantés sur mille kilomètres – va évidemment dans ce sens et sert d’exemple, même si l’opération semble dérisoire par rapport aux centaines de milliers de kilomètres perdus lors des opérations de remembrement agricole des années cinquante. Parmi les autres mesures agri-environnementales favorables, notons encore les couvertures hivernales du sol, les tournières enherbées, les chemins agricoles bi-bandes, etc.

"Zones d’Immersion Temporaire" (ZIT)

Eléments de solution n°2. L’idée ici n’est plus d’appliquer un carcan de béton au caractère rebelle des rivières mais bien de composer avec la nature. Le principe des « ZIT » est justement de laisser déborder un cours d’eau tout en cadrant ses débordements. La rivière entre en crue comme elle l’a toujours fait, mais uniquement dans des zones prévues où les dégâts sont moindres, le plus en amont possible des zones habitées. Un type de bassin d’orage 2.0, en quelque sorte, mais beaucoup plus eco-friendly.

Le petit village frontalier de Willemeau, au sud de Tournai, par exemple, était fréquemment touché par d’importantes inondations. Récemment, deux ouvrages de rétention des eaux y ont été réalisés. Après étude hydrologique, le Service Public de Wallonie n’a donc pas opté pour le classique bassin d’orage en béton. Dans le « ZIT », l’eau s’étale sur de grandes superficies végétalisées et dissipe son énergie lors des fortes précipitations, épargnant ainsi les zones urbanisées. Ces aménagements s’inscrivent dans une démarche de développement durable. Hors crues, le site devenu biologiquement très intéressant, est ouvert au public pour l’observation des oiseaux d’eau et du milieu aquatique…

Contrairement à Louvain qui a été épargnée grâce à ce genre de réalisation, la ville de Wavre a été dramatiquement impactée par les inondations de juillet dernier. Au cours des années septante, le fond de vallée humide, occupé par de vastes marécages, a été asséché pour permettre l’implantation d’un vaste zoning commercial. Avec l’augmentation des pics de pluviosité, l’erreur écologique se paie cash aujourd’hui. Plusieurs grandes entreprises dont un célèbre parc récréatif bien connu en ont fait les frais…

Le reméandrage des rivières

Une analyse des cartes de Ferraris – qui datent de 1770 – montre qu’à l’époque, la plupart de nos rivières méandraient paresseusement au fond des vallées. Les crues étaient même attendues par les paysans qui se félicitaient de pouvoir ainsi engraisser leurs prairies. Mais, pour accélérer l’évacuation des eaux, optimiser l’agriculture, on a cru bon, dans les années septante, de les rendre rectilignes, en corsetant les cours d’eau. Le problème des débordements, apparemment résolu en tête de bassin, aggravait en réalité inévitablement les inondations plus brutales en plaine, fragilisant au passage les digues qui y avaient été construites et laminant le lit majeur. On essaie aujourd’hui de faire marche arrière… Tout est fait pour ralentir au maximum l’écoulement des eaux en amont, histoire de réduire l’impact sur les zones urbanisées en aval.

Divers travaux réalisés sur la Haute-Sûre ou encore sur l’Eau blanche à Nismes – le projet Walphy – sont particulièrement démonstratifs. La végétation des bords de rives y régule les crues et en atténue les pics. Tandis que la végétation herbacée ralentit la vitesse du courant, la plus rigide, comme les saules et les aulnes qui retiennent les berges, joue le rôle de « peigne », en arrêtant les bois-morts responsables des embâcles à hauteur des arches de pont.

De manière générale, les milieux aquatiques en bordure de rivière, comme les prairies marécageuses, les bras morts et les méandres avec leurs zones plus profondes, possèdent naturellement de nombreux atouts pour réduire le risque d’inondation. Mettre à profit leurs caractéristiques hydrologiques, tout en limitant le recours du génie civil aux seuls secteurs urbanisés, permet à la fois d’apporter une réponse judicieuse en matière de prévention, sans en altérer le bon fonctionnement.

Malgré tous les efforts qui seront fournis à l’avenir, il n’y a cependant guère de miracle à attendre. Le but ici est d’abord de réduire le bilan humain et matériel. Les solutions d’ingénierie écologique, comme le recul des digues, les travaux de « renaturalisation » du milieu « rivière », la reconnexion des cours d’eau avec les zones humides adjacentes, dès lors qu’elles subsistent encore – car 80% d’entre elles ont disparu ! -, restent des outils complémentaires. Plus coûteux, les travaux du génie civil devraient se limiter dorénavant aux seuls secteurs urbanisés. De plus, comme ils dégradent souvent le paysage, ils ne devraient être vraiment réalisés qu’en dernier recours…

Des villes plus "poreuses" !

Eléments de solution n°3. En zone urbaine, l’imperméabilisation des surfaces loties reste un sacré problème. Hormis le maillage vert et bleu développé dans la capitale, certaines mesures devraient pouvoir se développer davantage au coeur des autres villes. Comme le recours systématique aux matériaux perméables – dalles à trous – pour l’aménagement des aires de parking, l’aménagement de toitures végétalisées pour les grandes surfaces commerciales, etc. Hélas, ces mesures demeurent relativement peu, voire pas du tout appliquées en Wallonie. Ailleurs, certains sites industriels désaffectés – le long de la Meuse liégeoise par exemple – ne pourraient-ils pas être reconvertis en zones d’immersion ?

Dans les zones sinistrées, les constructions déjà existantes situées en « zone inondable » posent aussi problèmes. Pas question de reconstruire les maisons détruites de Pepinster aux mêmes endroits. Sauf que relocaliser les habitants dans les zones à moindre risque ne se fait pas du jour au lendemain, surtout lorsque les personnes concernées y sont parfois elles-mêmes réticentes. Il n’y a qu’à voir avec quelle obstination, les vacanciers réinvestissent, d’année en année, les mêmes emplacements de « camping sur pilotis », le long de l’Ourthe. Une fois que les assurances ont remboursé, finalement, on oublie vite…

Beaucoup ne sont pas non plus conscients du danger. Ne leur répète-t-on pas, encore et toujours, que ces crues sont « exceptionnelles » ? Déclarations rassurantes de la part de nos politiciens qui, entre nous, détestent aborder tout sujet anxiogène, mais qui pourraient à terme s’avérer mortifères car mensongers. La notion du risque climatique est encore loin d’être bien ancrée chez tout le monde. Et le coup de semonce vaut autant pour les bureaux d’architectes, les études notariales que pour les décideurs en charge de la délivrance des permis. Combien de logements encore récemment construits et vendus en zone d’aléa d’inondation ? Combien de garages souterrains conçus et planifiés en dépit du bon sens, condamnés à être inondés chaque été ? Gageons que les événements tragiques de ce mois de juillet servent de piqûre de rappel pour une réforme en profondeur de l’aménagement du territoire, axée davantage sur la résilience.

Les questions qui font débat… ou qui fâchent !

En agriculture, deux facteurs essentiels aggravent la problématique actuelle. Le premier est l’extension de la culture de la pomme de terre pour laquelle le risque érosif est extrême. Or, en vingt ans, la superficie consacrée à cette culture a doublé, passant de vingt à quarante mille hectares. Ces cultures étant « sous contrat » avec le transformateur, l’opération n’est vraiment profitable, pour le producteur, que si la parcelle est vaste. Il n’est donc pas rare de voir plusieurs voisins s’associer pour former de gigantesques monocultures couvrant jusqu’à vingt-cinq hectares ! Le second est la perte des prairies : le secteur de l’élevage étant en crise, de nombreux éleveurs se sont tournés vers les grandes cultures, même dans les régions herbagères. La perte de quinze mille hectares en quelques années pose d’important problèmes climatiques – avec d’énormes émissions de CO2 -mais aussi d’érosion et de qualité de l’eau potable dans les nappes phréatiques, due au lessivage des nitrates. Des règles ont été imposées au niveau européen mais la Wallonie a toujours opté pour la solution minimaliste, en refusant de protéger de nouvelles zones où le risque érosif est pourtant élevé.

Concernant le secteur forestier, le WWF, dans un communiqué récent, a pointé LA cause aggravante dans le bassin de la Vesdre : la gestion déplorable des pessières – les monocultures d’épicéas – en amont de la zone sinistrée. D’où levée de boucliers de la filière forêt-bois ! Info, intox ? Analysons leur « droit de réponse » tenant lieu de réquisitoire contre l’association écologiste… Selon les forestiers, le drainage en forêt serait totalement interdit depuis 2008 par l’article 43 du code forestier. Si les erreurs – choix sylvicoles inappropriés, plantations intensives d’épicéas, drainages – sont reconnues et assumées, elles auraient surtout été commises au cours des deux siècles précédents. Quelques rapides questions posées à des entrepreneurs forestiers suffisent cependant pour comprendre que l’entretien des fameux drains – voir photo – représente, aujourd’hui encore, une activité forestière non négligeable dans l’Hertogenwald, mais surtout… qu’ils sont régulièrement recreusés ! Ces travaux ne sont pas interdits mais seulement « soumis à notification » – article 5 de l’AGW.

La fédération des entreprises signataires fait également remarquer que le Plan de gestion des risques d’inondation (PGRI) 2022-2027 de la Wallonie, actuellement soumis à enquête publique, ne reprend aucun élément qui permette d’identifier une quelconque pratique sylvicole, ou des cultures spécifiques, comme un facteur favorisant les inondations. Les PGRI, en effet, se sont concentrés sur l’imperméabilisation des sols, voire un peu sur les zones agricoles, mais pas du tout sur les forêts. Décentrées des zones densément peuplées, elles furent considérées, à tort, comme non-problématiques. Dans la vallée de la Vesdre toutefois, où les surfaces agricoles sont marginales, les forêts constituent bien la principale superficie contributive de la crue. Or elles n’ont pas retenu l’attention du PGRI, ce qui est regrettable, d’autant plus que les voiries forestières y jouent un rôle majeur, accélérant le flux d’écoulement des eaux de ruissellement. Pire : ces dernières font toujours l’objet d’importantes demandes de soutien financier pour la nouvelle PAC, prévue en 2023.

A propos du choix de l’essence épicéa, c’est bien connu : plantée en milieu trop humide, cette essence de montagne pousse mal et ne doit sa survie qu’aux drainages réalisés jadis. Mais le pire est à venir : les scientifiques prédisent que ces arbres ont très peu de chance d’arriver à leur terme d’exploitabilité, dans soixante ans, à cause… de l’évolution du climat ! L’adaptation de nos modes de gestion forestière aux effets de la crise climatique est donc une urgence. Fallait-il un drame de cette ampleur pour que la classe politique s’en soucie enfin et prenne le problème à bras le corps ?

Notes

(1) « OK boomers » est une expression péjorative employée pour tourner en dérision les jugements dépassés des baby boomers, nés durant les « trente glorieuses », c’est-à-dire les années cinquante à septante.

(2) « Etat de l’Environnement wallon ». Janvier 2018. ULB – IGEAT – ANAGEO, 2015. Cartographie des surfaces imperméables en Wallonie (CASIM). Rapport final. Etude réalisée pour le compte du SPW-DG03 – DRCE.

(3) Voir : Monocultures d’épicéas favorisant le ruissellement : « leur suppression est une vraie solution pour faire face aux inondations futures » (rtbf.be)

Les animaux et nous, les animaux en nous

Introduction à quelques réflexions de Baptiste Morizot

Certaines phrases, certains textes, certains livres ont le pouvoir de modifier notre regard sur les choses. Ils produisent un déclic, nous font entrer dans un territoire inexploré ou éclairent soudainement une partie de nos pensées ou de nos émotions qu’on imaginait impossibles à mettre en mots. Dans nos engagements et questionnements sur l’écologie, l’alimentation, l’agriculture, l’écobioconstruction, le changement climatique, la biodiversité, il n’en va pas autrement. Certaines lectures sont impossibles à garder pour soi. Voici, très sommairement exprimés, trop brièvement présentés, quelques fragments du livre du Baptiste Morizot, Manières d’être vivant.

Par Guillaume Lohest

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Introduction

Je me revois, enfant, terrorisé sur les quelques dizaines de mètres qui séparaient la maison de mes parents de celle de mes grands-parents, dans la campagne d’Entre-Sambre-et-Meuse. La cause de cette épouvante ? Un chien en liberté. Un être vivant avec lequel je n’étais pas du tout habitué à interagir. Cette peur du chien, du loup, de l’ours, des forces sauvages du vivant, l’Occident s’en est occupé avec des laisses, des grilles, des fusils… Pas seulement. Aujourd’hui, l’animal est aussi considéré comme thérapeutique : on soigne son âme au contact des chevaux, des rongeurs, des perruches… Qu’est-ce que cela dit de nous ?

Les pionniers de l’agriculture biologique ont perçu ce problème très tôt dans leur critique des techniques agricoles classiques développées au XXe siècle : notre rapport au vivant est un rapport de contrôle, de domination, de domestication. La pensée occidentale est centrée sur la raison et sur la force de la volonté. Nous avons construit nos « exploitations agricoles » de la même façon que nos villes, nos maisons, nos économies et nos politiques : en nous appuyant sur des modèles de contrôle des éléments naturels. Enclos, barrières, délimitations, élimination, sélection…

N’y a-t-il que du négatif là-dedans ? Sûrement pas. Mais ce schéma dominant de rapport au monde influence l’ensemble de nos imaginaires, de nos idées, de nos projections dans l’avenir. Il nous fait supposer que c’est l’être humain qui rend la terre habitable alors que, comme le résumait le philosophe Baptiste Morizot dans l’émission La grande librairie, c’est tout l’inverse : c’est l’ensemble du vivant qui rend la terre habitable, les millions d’espèces animales et végétales qui dépendent les unes des autres et fournissent les conditions de la vie sur cette planète.

La morale du cocher

Dans un livre d’une rare intensité, Manières d’être vivant, Baptiste Morizot s’attarde, le temps d’un chapitre, sur les liens entre nos rapports au monde animal et notre rapport aux passions, aux émotions, aux désirs. Il rappelle que la morale occidentale s’est construite sur l’idée que le vivant à l’intérieur de nous – désirs, passions, intuitions – devrait être combattu et maté par la force de la volonté, guidée par la raison. Morizot appelle cela la « morale du cocher » : nos passions, nos désirs sont comparés à des chevaux qu’un cocher – la raison – doit fouetter pour les commander et les faire aller dans la direction souhaitée. Plus largement, rappelle-t-il encore, c’est toute la palette de la vie intérieure des humains, leur vie passionnelle, qui est figurée par « des métaphores animales : les pulsions sont figurées comme des fauves, la docilité comme de paisibles animaux domestiques, le courage comme un lion, la voracité prend le visage du porc (2). » Les fables de La Fontaine fournissent un exemple parfait de cette analogie entre le monde animal et les questions morales qui se posent à l’humain. Ce qui est bon ou mauvais, sage ou dangereux, vertueux ou méprisable, est identifié à des comportements d’animaux. Cette « ménagerie intérieure », omniprésente dans notre imaginaire, est intimement liée à la « morale » occidentale classique.

Mais, selon Baptiste Morizot, notre tradition s’est énormément trompée sur ce qu’est un animal. Nous sommes devenus incapables de décrire finement le monde animal et de percevoir tout ce qui nous lie aux autres espèces, ce qui nous empêche d’avoir des attitudes – et des politiques – ajustées, notamment en ce qui concerne les grands enjeux écologiques de notre temps. Et c’est en connaissance de cause que le philosophe énonce cette critique car ses recherches universitaires reposent sur une autre activité de terrain : il piste des loups dans le Vercors, les observe des heures durant, revient sur les lieux, observe à nouveau, en lien avec une équipe de chercheurs et les bergers du coin. Il s’agit donc d’une véritable recherche-action philosophique, totalement imbriquée dans le monde animal, aux lisières entre le sauvage – les loups – et le domestique – les troupeaux de brebis et leurs éleveurs. L’ouvrage Manières d’être vivant rend bien compte de l’origine concrète des réflexions philosophiques proposées. À des chapitres racontant des expéditions de pistage succèdent des développements philosophiques et politiques.

Impossible, évidemment, de résumer en quelques paragraphes des réflexions si puissantes et si originales. Je ne m’attarde donc ici que sur quelques aspects. En particulier sur le nouveau rapport au monde proposé par l’auteur à la place de cette « morale du cocher », qu’il soupçonne d’être fondamentalement trompeuse et incapable de produire de la puissance d’agir dans la situation qui est la nôtre aujourd’hui. Plutôt que des relations de contrôle et de domination de nos « animaux intérieurs », Morizot invite à ce qu’il appelle une « diplomatie de soi ». Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Voici deux exemples concrets.

Le loup noir et le loup blanc

Dans un récit amérindien, un sachem présente la personne humaine comme constituée de deux loups : un noir et un blanc. En résumé, le loup noir est « sûr de son dû, effrayé de tout, donc colérique, plein de ressentiment, égoïste et cupide, parce qu’il n’a plus rien à donner. Le blanc est fort et tranquille, lucide et juste, disponible, donc généreux, car il est assez solide pour ne pas se sentir agressé par les événements. » Un enfant dans l’assistance pose alors la question : mais lequel des deux loups suis-je alors ? Réponse du sachem : « celui que tu nourris ».

Cette admirable petite fable repose, elle aussi, sur un parallélisme entre un animal et notre monde intérieur fait d’émotions et de passions. Toutefois, contrairement à la morale du cocher, elle ne dit pas que l’être humain doit dompter ou dominer son animalité mais plutôt en nourrir certains aspects positifs. Cette façon de voir les choses est mise en parallèle par l’auteur avec l’éthique du célèbre philosophe Baruch Spinoza (1632 – 1677). Celui-ci a, en effet, développé une conception de la vie intérieure comme agitée par des désirs qu’on peut classer en deux catégories : les passions tristes – le loup noir en gros – et les passions joyeuses – le loup blanc. Pour Baptiste Morizot, il s’agit d’une façon beaucoup plus pertinente de se représenter les choix éthiques : il ne s’agit pas alors de considérer l’âme humaine comme une bataille entre la raison – bonne – et les passions – mauvaises – mais comme une articulation entre deux types d’affects, la joie et la tristesse. La « diplomatie de soi », c’est nourrir en soi les désirs qui augmentent la joie et la puissance d’agir.

Le paradoxe du chimpanzé

Oui mais concrètement ? En quoi cette histoire de loup blanc et Spinoza nous aident-ils dans notre vie quotidienne ? Prenons un nouvel exemple. Imaginons que vous traversez une mauvaise passe : rien ne vous sourit, vous éprouvez des difficultés au boulot, vous cherchez un nouveau logement et vous ne trouvez rien… La morale classique dirait : il faut « vous faire une raison » ou bien « avoir de la volonté » pour persévérer. Dans une approche inspirée de Spinoza, on se posera plutôt la question de l’affect qu’on nourrit : s’enfonce-t-on dans le ressentiment, la jalousie, la colère ou alimente-t-on tout ce qui favorise la joie malgré les difficultés ? Se poser la question sous cette forme n’empêche en rien de persévérer ni même de s’indigner des éventuelles injustices rencontrées sur son chemin, ni même de lutter contre celles-ci. Au contraire même mais l’objectif éthique est déplacé, il ne s’agit pas de faire triompher la raison ou la force de la volonté mais d’augmenter la joie et la puissance d’agir.

Baptiste Morizot éclaire encore son propos en reprenant l’image du chimpanzé, développée par le psychiatre Steve Peters : vivre, dit-il, consiste à « cohabiter avec un chimpanzé en soi ». Ce chimpanzé est une force qui nous incite, par exemple, à succomber à des désirs immédiats, comme manger compulsivement, fumer une cigarette, râler, agir ou parler dans le feu de l’action, etc. Comme ce chimpanzé est beaucoup plus puissant que nous, comme notre volonté n’a quasiment aucune prise sur lui, Steve Peters propose d’établir une relation apaisée et coopérative avec lui, de le nourrir avant de tenter de l’influencer. « Pour que ce soit plus concret, disons que vous vous inquiétez de façon obsessionnelle du fait que vous êtes en retard pour une réunion. Vous pourriez vous demander : « Est-ce que je veux être inquiet à ce sujet ? » Si vous dites non, vous pouvez être sûr que vous avez un problème de chimpanzé intérieur qui doit être géré. Une fois que vous avez déterminé cela, vous pouvez régner sur ce côté émotionnel de vous-même en lui donnant un petit exercice (2). » Nourrir ce chimpanzé consiste à le laisser s’exprimer d’abord, dire tout ce qui nous vient à l’esprit, sans filtre. Peters préconise de faire cet exercice seul ou avec des personnes de confiance…

Comment résumer, alors, cette éthique diplomatique décrite par Baptiste Morizot ? Pour prendre une image bien connue des lecteurs de Valériane, « L’éthique diplomatique relève d’une permaculture de soi – et non pas d’une agriculture intensive et interventionniste sur soi : elle repose sur une compréhension de l’écologie des passions, une canalisation, une irrigation et une potentialisation des désirs. « Je » suis une jardin-forêt permacole, là où les morales classiques voulaient que je sois un impeccable jardin à la française, là où le romantisme me fantasmait en jardin à l’anglaise, là où la morale néolibérale exige que je sois une parcelle de monoculture à haut rendement. »

Incorporer des bonnes habitudes

Si j’applique, à présent, cette vision éthique à un domaine qui touche de près aux enjeux alimentaires et agricoles, je comprends beaucoup mieux certains de mes échecs passés et comment fonctionnent les ressorts du changement de comportement. Combien de fois, en effet, ne me suis-je pas convaincu, par la raison, que je devais absolument éviter les produits suremballés, les plats préparés, la nourriture industrielle ? Combien de fois ai-je malgré tout craqué ? Si je reste englué dans une morale classique, je ne peux que m’accuser de manquer de volonté, d’être faible, incohérent. Baptiste Morizot aide à changer d’approche en écartant cette illusion de la force de volonté et en proposant une autre piste. « Mais comment continuer à agir s’il n’y a pas de volonté souveraine ? En incorporant des bonnes habitudes qui infléchissent le déploiement même des passions les plus ardentes. Non pas en se donnant des ordres, fouet en main, mais en mettant en place dans le milieu qui nous entoure de petits dispositifs susceptibles de faire émerger spontanément les désirs joyeux et de faire perdre aux désirs tristes leur vitalité : organiser les rencontres. »

Comment puis-je parvenir à me passer totalement de produits industriels, par exemple ? Pas en me « privant » mais en multipliant les habitudes joyeuses associées à des consommations plus responsables. « Le secret de la volonté, ajoute Morizot, c’est qu’elle existe bien, mais pas en nous. Personne n’a de volonté. La « volonté » est le mot que les gens invoquent quand ils voient de l’extérieur, chez un autre, les flots d’énergie d’une vie intérieure converger, et couler superbement dans une même direction ascendante, alors même que la pente est rude – « quelle force de volonté elle a, celle-là ! » La volonté en fait n’est que le nom a posteriori qu’on donne au système d’irrigation des désirs, dans les moments bénis où ils se composent de manière à converger dans une même direction, plutôt choisie. »

Vers une politique des interdépendances

Ceci étant dit, on pourrait penser à ce stade que les propositions avancées par Baptiste Morizot concernent la sphère du développement personnel. C’est mal connaître le philosophe. Car les réflexions de son ouvrage – et de plusieurs autres – vont bien plus loin et appellent à une véritable politique des interdépendances. Il s’agit, selon lui, de « multiplier les approches, les pratiques, les discours, les œuvres, les dispositifs, les expériences qui sont capables de nous faire sentir et vivre depuis le point de vue des interdépendances. Nous faire sentir et vivre comme vivant parmi les vivants, comme eux pris dans la trame, partageant des ascendances et des manières d’être vivant, un destin commun, et une vulnérabilité mutuelle. » Une politique des interdépendances, cela signifie donc, en très résumé, un changement de perception du champ politique lui-même, qui ne concerne pas seulement les humains, leurs habitats, leurs routes, leurs « ressources » mais qui s’élargirait à l’ensemble du vivant.

En moi-même, par curiosité, je me suis demandé à la lecture si Baptiste Morizot se considérait comme « collapsologue », s’il faisait partie des optimistes ou des pessimistes… C’est dans une interview qu’il a donné à Libération que j’ai trouvé une réponse de sa part. « Ne perdons pas trop de temps à nous demander si c’est déjà cuit, si on ferait mieux d’aller siroter des mojitos, parce que de toute façon il n’y a rien d’autre à faire. Je crois vraiment à la capacité des humains à ouvrir leur gamme de sensibilité, à élargir politiquement la gamme de ce à quoi ils font attention, à apprendre un nouveau sens de la justice à l’égard de formes de vie qui actuellement sont complètement en-dehors… Les puissances sont là. Est-ce qu’elles seront à la hauteur de la crise, je ne sais pas. Mais imaginez les premières suffragettes qui ont commencé à militer : elles ont bien fait de ne pas se dire «il est trop tard, de toute façon les hommes sont trop bêtes, ils ne vont jamais comprendre…» Soyons des suffragettes ! (3) »

Notes

(1) Sauf mention contraire, tous les extraits mentionnés dans cet article sont tirés du livre de Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, Actes Sud, 2020. En particulier du chapitre intitulé « Cohabiter avec ses fauves, L’éthique diplomatique de Spinoza », pp. 175-206

(2) Olivier Charles, « Le paradoxe du chimpanzé ou comment gérer nos émotions irrationnelles », résumé de livre sur www.motive-toi.com

(3) Baptiste Morizot : « Sur la piste du loup, l’homme, dépourvu de nez, doit éveiller l’œil qui voit l’invisible, l’œil de l’esprit », interview dans Libération par Coralie Schaub, 25 décembre 2018

L’arbre mort donne la vie !

Conversation avec Cécile Bolly

Après l’immense secousse qui fut celle de la Covid-19, il nous a semblé primordial de parler de la vie et de la mort – et de tout ce qui a vraiment de l’importance à nos yeux – à l’aide des innombrables symboles et images que nous offre la nature. Une simple rencontre avec Cécile Bolly, médecin et guide-nature, photographe et auteure de nombreux livres sur les arbres (1), nous ouvre un champ de ressources insoupçonnées. Juste pour vivre, mieux…

Propos recueillis par Dominique Parizel

Introduction

« J’ai fondé, il y a bien longtemps, l’association Collines, raconte Cécile Bolly, afin d’animer des stages dans la nature, pour les enfants à ce moment-là : nous partions dans la nature avec un âne et une aquarelliste… Ces stages sont actuellement destinés aux adultes. Depuis lors, j’ai eu l’occasion de participer à la création de Ressort, centre de formation continue de la Haute école Robert Schuman (HERS), qui ne veut pas faire simplement un « commerce » de la formation continue mais propose des choses plus nouvelles et plus créatives pour participer à la transformation de la société. Dans le pôle « Être et devenir », nous proposons aujourd’hui une formation en pleine nature, destinées à des soignants… entre autres de soins palliatifs ! Comme j’anime aussi des formations « Arbre et conscience » au CRIE du Fourneau-Saint-Michel, nous poursuivons le partenariat en louant leurs locaux, précaution utile en Belgique, même lorsqu’on a l’ambition de travailler en pleine nature. »

Mieux appréhender ce qu'est mourir au contact de la nature

« La philosophie de la formation que nous proposons aux soignants, précise Cécile Bolly, est simplement d’être dans la nature, en contact avec le vivant et avec tout ce que la nature offre comme métaphores et comme symboles. La nature invite ou même oblige à être entièrement présent pour profiter pleinement de ce qu’elle nous offre, ce qui nécessite une attitude particulière d’écoute et de disponibilité. En étant accompagné dans ce qu’il perçoit dans la nature grâce à sa sensibilité, chacun développe alors une attitude de présence qui peut être transférée à la relation avec les patients. Cet apprentissage se fait dans une ambiance de grand respect mutuel, où chacun s’engage à participer aux exercices, à apprivoiser le silence dans des temps de méditation assise ou marchée, à se remettre en question, à partager ce qu’il découvre. La démarche d’ouverture nécessaire se fait par exemple par un atelier d’écriture, par une cérémonie du thé ou encore en utilisant des liens végétaux : m’appuyant sur mes connaissances en vannerie, j’aime que les soignants tissent des liens pour se relier les uns aux autres… Quand on travaille la ronce, par exemple, il faut d’abord la fendre et avant cela, enlever les épines, en utilisant le dos d’un couteau et en étant délicat. Si certains participants prennent la lame pour aller plus vite, il ne leur reste alors, quand ils ont terminé, que des lambeaux de ronce… Au contraire, le travail à l’aide du dos du couteau laisse l’écorce de la ronce entière de la ronce et elle devient ainsi un lien très solide. Les paniers en paille de seigle et ronce, utilisés pour faire lever le pain, sont ainsi d’une très grande solidité. Et ainsi en va-t-il aussi de l’être humain : attaquer, symboliquement parlant, ses défauts avec la lame ne donnera que des lambeaux alors que l’aider délicatement à se transformer permettra de créer des liens solides… La nature est très riche d’images et de symboles qui permettent de comprendre des choses qu’on n’aurait pas comprises autrement. Elle permet ainsi de guérir les humains en les inspirant dans leur cheminement intérieur. Nous ne souhaitons pas réserver l’apprentissage d’une telle écoute profonde à des soignants en soins palliatifs, parce que dans tous les services, les soignants peuvent être amenés à côtoyer des gens en fin de vie qu’ils voudront accompagner… Nous accueillons donc les soignants et bénévoles, qui souhaitent développer cette attitude d’ouverture et de sérénité qui permet d’aider les patients à traverser les moments difficiles. Toute la symbolique présente dans la nature permet aussi aux soignants d’apprendre à apprivoiser le silence. Car ce qui  aide un patient qui est en fin de vie ou qui souhaite parler de sa fin de vie, ce n’est pas qu’on lui parle sans cesse d’une chose et l’autre ou qu’on essaie de le rassurer.  C’est au contraire qu’il puisse ressentir une présence paisible et bienveillante, à ses côtés, qui témoigne encore de sa valeur d’humain. Même s’il est en fin de vie…

Dans la formation (qui est soutenue par la Fondation Roi Baudouin),  des temps particuliers sont prévus afin d’aider les soignants à transférer ce qu’ils ont appris dans leur pratique professionnelle. Et un peu de temps sépare chaque journée pour qu’ils puissent le mettre en ?uvre, la journée suivante incluant un retour sur ce qui s’est passé pour eux, avant de repartir dans de nouveaux exercices et de nouveaux apprentissages… »

Ce qu'on nomme la "fin de vie"…

« La Belgique, explique Cécile Bolly, qui a été pionnière en Europe pour les soins palliatifs, à domicile en particulier, donne à un patient en fin de vie qui désire rester chez lui la possibilité de différentes aides : une équipe de « seconde ligne » – comprenant infirmière, psychologue, etc. – peut venir à domicile et un matériel très spécifique peut être prêté, des visites de médecins, infirmiers et kinésithérapeutes sont également prévues… Tout cela gratuitement ! Dans les équipes de seconde ligne, les soignants sont spécialisés en matière de soins palliatifs, ce qui n’est pas toujours le cas des médecins généralistes, des infirmiers et infirmières de première ligne qui manquent parfois d’habitude de la fin de vie. D’où l’intérêt de travailler ensemble mais aussi de continuer à former tous ceux qui seront en présence de patients qui vont mourir, en leur apprenant à ne pas « se sauver » y compris par des phrases qui clôtureraient davantage le dialogue qu’elles ne l’ouvriraient… L’idée de notre formation est donc de les aider à dialoguer, à oser parler avec les patients de la vie et de la mort. Car là où l’on croit parler de la mort, c’est en fait de la vie qu’il s’agit !

C’est une vérité que nous mettons souvent en évidence : quand un patient envisage qu’il va bientôt mourir, c’est toujours sa propre vie qu’il désire raconter, toutes les valeurs qu’il a incarnées, tout ce qu’il a vécu de marquant. Il en parle avec d’autant plus d’urgence qu’il en sent l’échéance prochaine. Mais ce qu’il vit génère aussi beaucoup d’émotions, que craignent parfois les soignants. A l’occasion de cours à des étudiants en médecine à l’université de Louvain, je leur propose d’aller chez des patients en fin de vie en étant accompagnés d’un professionnel, pour qu’ils vivent par eux-mêmes cette expérience. Ils redoutent évidemment l’intensité des émotions qu’ils imaginent devoir affronter, mais reviennent toujours avec le sentiment d’avoir vécu une des plus belles expériences de leur formation ! Car c’est bien de la profondeur et de l’intensité de la vie qu’il s’agit, plutôt que d’un dialogue centré sur la tristesse ou le désespoir. La difficulté est évidemment d’oser être là et d’y rester, car la présence d’un patient en fin de vie nous renvoie immanquablement à notre propre mort, à notre propre histoire… C’est bien cela que chaque soignant peut travailler – j’ai envie de dire « doit » travailler – afin d’être complètement disponible à l’autre. Sans quoi il est encombré par ses propres difficultés, projette des attentes ou des peurs sur l’autre, réagit comme il voudrait que d’autres réagissent pour lui-même et oublie que le patient est forcément quelqu’un de différent. Par l’espace qu’ouvre la nature et par la dimension très particulière du temps et de la temporalité en forêt, il est très intéressant d’oser y aborder la question de la mort. Elle est omniprésente dans la forêt et au fil des saisons, elle donne naissance à la vie ! Et l’intitulé de notre formation est bien « l’arbre mort donne la vie » car quand un arbre meurt en forêt, il est source de vie pour de nombreux animaux, comme dans n’importe lequel de nos jardins d’ailleurs… »

Admettre la mort pour préserver la vie

« L’idée de conserver un arbre mort en forêt est très récente, admet Cécile Bolly. Naguère, on les coupait pour les évacuer. Or une faune spécifique ne vit que sur le bois mort. L’enlever, c’est donc diminuer la biodiversité… On peut faire un parallèle avec l’être humain : refuser de parler de sa mort, l’évacuer, c’est empêcher de donner vie à de nombreux éléments de son histoire, à la diversité de ses expériences, de ses désirs, de ses projets. C’est se priver d’une profonde richesse humaine que de ne pas accepter de parler de la mort. Et souvent, malheureusement, les patients aimeraient en parler mais ne trouvent personne qui accepte de le faire avec eux. On leur promet de nouveaux traitements, on leur fait de vaines promesses de survie et ils se retrouvent isolés face à leur mort plutôt que d’être accompagnés, jusqu’au moment du passage. C’est très souvent la difficulté d’accueillir les émotions qui empêche les soignants de proposer un accompagnement adéquat. C’est également ce qu’on a fait très longtemps (et parfois encore maintenant) avec les enfants, en leur disant « ne pleure pas » ou « ne te mets pas en colère, ce n’est pas beau !« , ce qui revient à les priver et à nous priver de ce que leur émotion cherche à exprimer, à faire comprendre.

Je pense profondément que toute une part de l’apprentissage dont les soignants ont besoin n’est pas seulement d’ordre technique, mais surtout d’ordre psychique et relationnel, d’ordre intérieur et spirituel. C’est une présence qui doit être travaillée, et cette présence-là gagne à être expérimentée dans la nature où, même immobile et silencieux, on reçoit en permanence d’innombrables signes auxquels nous pouvons nous rendre attentifs, nous rendre présents ; une sorte d’apprivoisement, dans le non-faire, qui nous rend témoins, qui nous force à écouter. Même s’il n’y a que le silence à écouter, au moins l’aurons-nous entendu ensemble. La profondeur de ce qui nous est donné à vivre dans la nature n’est évidemment pas l’apanage de la mort. Je pense en particulier aux rituels qu’on peut proposer à toutes sortes d’occasion, y compris la préparation à la naissance, comme le fait une de mes filles, qui s’est formée aux éco-rituels. Cela nous aide d’ailleurs à comprendre que nous sommes nous-mêmes la nature, que nous n’en sommes pas séparés. Nous pourrions donc très bien installer notre formation dans un grand jardin, ou dans un coin de verger… L’essentiel est que nous retrouvions une vraie collaboration avec la nature plutôt que de chercher à la maîtriser. Et que nous découvrions qu’elle peut nous guérir, en profondeur.  Nous sentir tenus de sauver la nature, du réchauffement climatique notamment, c’est avant tout admettre l’idée que la nature nous sauve. A la condition que nous soyons disponibles, évidemment.

« Il faut sauver les condors, a dit l’ornithologue Ian MacMillan, non pas seulement parce que nous avons besoin des condors, mais parce que nous avons besoin de développer les qualités humaines nécessaires pour les sauver, car ce sont ces qualités-là dont nous aurons besoin pour nous sauver nous-mêmes.« 

Mourir n'est pas un échec !

« Lors de nos activités, poursuit Cécile Bolly, nous sommes également attentifs à favoriser ce qui nous aide à prendre soin de nous. C’est par exemple le cas de notre nutrition (dont la médecine s’occupe jusqu’à présent très peu). Il peut par exemple s’agir de proposer une nourriture végétarienne lors d’une journée, afin que chacun réfléchisse au contenu de son assiette. Ou bien aborder la dimension symbolique de la nourriture. J’aime commencer un repas par un rituel zen qui consiste à manger les trois premières bouchées en se reliant à une dimension chaque fois particulière de la nourriture. On mastique la première bouchée dans la gratitude à témoigner envers ceux qui nous ont nourris. Depuis nos parents et nos éducateurs jusqu’aux agriculteurs qui ont cultivé pour nous, en passant par ceux qui ont construit les routes pour que les camions puissent arriver à nous, ceux qui ont construit les moteurs pour que les camions puissent rouler, etc. La deuxième bouchée est mangée avec la conscience que c’est à nous maintenant qu’il incombe d’être nourriture pour le monde – pas juste donner à manger, mais être nourriture par notre manière de vivre, de partager, d’être soucieux des autres. La troisième bouchée, enfin, doit nous rappeler qu’elle est peut-être la dernière et que, si c’est le cas, ce que nous avons encore à vivre doit être vécu pleinement. Il peut paraître bizarre de penser, chaque jour, que nous allons mourir mais c’est justement ce qui nous met du côté de la vie. Cela n’a absolument rien de morbide… Se rappeler que nous allons mourir, c’est se rappeler de vivre l’essentiel.

La crise de la Covid-19 nous a montré à quel point nous avons cherché à maintenir, à tout prix, la vie biologique de personnes très âgées, en oubliant leur vie psychique. Si la mort est encore parfois vécue comme un échec par la médecine, elle reste aussi un tabou pour l’ensemble de la société, qui intime en permanence à ses membres d’être performants. Si quelqu’un de votre famille vient à mourir, vous disposez de trois jours d’arrêt pour le deuil, puis vous êtes priés de redevenir performant et d’arrêter d’embêter les autres avec le chagrin qui est le vôtre. Notre vie sociale nous force à repousser la mort au lieu de nous rappeler qu’elle est bien là, que nous mourrons un jour, et que, dans le temps qui nous est donné, nous pouvons accomplir ce qui est essentiel à nos yeux, rendre la terre de plus en plus belle… Se rappeler que c’est peut-être la dernière bouchée que nous avalons est donc un acte symbolique qui nous amène à penser aux choses qui ont vraiment de l’importance et à ne pas perdre notre journée… »

Souffrance éthique

« Je ne travaille pratiquement plus en tant que médecin généraliste, dit encore Cécile Bolly, mais davantage comme psychothérapeute, d’une part, et comme formatrice en éthique, de l’autre. De nombreux soignants, durant cette longue épidémie, ont été placés dans l’obligation de transgresser, de piétiner leurs propres valeurs. C’est ce qu’on appelle la « souffrance éthique », c’est-à-dire le fait de ne pas pouvoir agir en cohérence avec les valeurs fondamentales qu’ils veulent défendre. Les soignants qui travaillent en maisons de repos aiment les personnes âgées, veulent les soigner dans la proximité et leur donner de la chaleur humaine. Or, d’un seul coup, ils n’ont plus pu les toucher et les prendre dans leurs bras ! Sous la contrainte de nouvelles règles, ils ont subitement dû travailler en complète opposition avec leurs propres valeurs et faire l’inverse de ce qu’ils aiment faire, ce qui a généré énormément de souffrances… Avec le centre Ressort, nous sommes les témoins de nombreuses situations dramatiques, au sein des maisons de repos, que nous cherchons à apaiser. Cette épidémie est l’occasion de mieux comprendre et mettre en ?uvre une démarche éthique dans le soin. Parfois, elle nécessite d’ailleurs de dire non, de désobéir par exemple pour rappeler que la vie biologique n’est pas seule en cause. Autre chose se joue à chaque instant : la déshérence par rapport à un idéal, par rapport au choix d’une profession, par rapport à celui ou celle qu’on devient. S’il n’est pas possible de garder un lien fort avec les valeurs qui nous animent, cela induit une perte totale de sens et ce constat est sans doute valable pour l’ensemble de nos concitoyens. C’est sans doute pour cela qu’il y a tant de burn-out actuellement… Mais je pense que ceux qui passent par un burn-out sont encore suffisamment bien pour dire stop : je n’irai pas plus loin, sinon je meurs ! Ce qui parle ainsi en eux, c’est leur être profond, qui a la clairvoyance, la sensibilité pour leur dire de ne pas aller plus loin dans cette voie-là. Beaucoup d’autres, hélas, paraissent encore vivants mais sont morts à l’intérieur pour être toujours à même d’accepter la loi que dictent aujourd’hui certaines entreprises…

Il y a déjà un certain nombre d’années, j’ai eu la chance de rencontrer un pédagogue médical canadien nomme George Bordage qui, à la fin de sa carrière, résumait à ceci ce qu’il avait encore à nous dire : « creusez un sillon, choisissez-en un et creusez-le, vous découvrirez le monde entier ! » Moi, j’ai choisi l’éthique, surtout pour les soignants, même si beaucoup de demandes ont également émané du monde enseignant. Et dans l’éthique, ce qui me passionne, c’est entre autres de réaliser des outils que les soignants peuvent utiliser pour éveiller l’éthicien qui dort en eux… Il est sûr que les outils que nous mettons au point au centre Ressort pourraient convenir à l’ensemble de la société. Et une profession particulièrement méprisée, Nature & Progrès ne me contredira pas, dans l’éthique qui est la sienne, est sans doute celle d’agriculteur. Comment travailler encore pour l’agro-industrie en prétendant défendre une éthique ? Qui comprend aujourd’hui l’immense détresse que cela génère ? »

Plus d’informations sur les formations : www.ressort.hers.be

(1) Dans les pages de Valériane n°72, Benjamin Stassen attirait déjà notre attention sur La Magie des Arbres, paru aux éditions Weyrich, en 2008. Plus récemment, on citera également L’arbre qui est en moi, également paru aux éditions Weyrich, en 2018…

Réseau RADiS, de la solidarité au cœur de la construction de filières bio et locales

Voici tout juste un an que le Réseau RADiS a vu le jour. Cette initiative portée par Nature & Progrès et la Fondation Cyrys a pour objectif d’encourager le développement de l’agriculture biologique et solidaire en région dinantaise. La participation est au cœur de ce projet très ambitieux. Levons le voile sur les premiers travaux du groupe « alimentation solidaire ».

Par Sylvie La Spina

Introduction

Le groupe thématique « alimentation solidaire » est constitué d’une trentaine de personnes : citoyens, producteurs et structures sociales actives dans la région dinantaise. Son ambition ? Assurer le caractère solidaire des filières mises en place dans le cadre du Réseau RADiS. La construction des filières alimentaires repose en général sur des critères techniques et économiques. La volonté de notre Réseau est d’assurer également la prise en compte sociale, pour une alimentation bio et locale accessible pour tous.

Dès début de cette année, afin de co-construire des bases de travail solides, le groupe « alimentation solidaire » s’est lancé dans la définition de ses bases de travail. Ces travaux préliminaires indispensables visent à s’accorder sur ce que les participants entendent par alimentation de qualité, solidarité, et à définir ce qu’ils souhaitent mettre en place, et comment. Voici le fruit de ces échanges.

Une alimentation de qualité accessible pour tous

Qu’est-ce qu’une alimentation de qualité ? Grâce à la construction participative d’un nuage de mots, nous avons souligné les besoins fondamentaux auxquels l’alimentation devrait répondre : des besoins nutritionnels – santé -, sociaux – partager un repas -, hédoniques – le plaisir de manger -, idéologiques – exprimer ses convictions, le bio et le local, par exemple – et culturels. Les facteurs qui peuvent limiter l’accès à cette alimentation ont aussi été identifiés. On pense en premier à l’argent – le prix – mais il s’agit aussi de tout ce qui est nécessaire pour faire ses courses, cuisiner, jardiner… Par exemple, le temps disponible, la capacité physique – santé -, l’estime de soi – motivation -, le savoir-faire – compétences, connaissances -, les infrastructures – cuisine, espaces de stockage, jardin… -, la mobilité ou encore l’accès à l’information – où trouver les produits bio et locaux que je recherche.

A travers un jeu de rôle, les participants du groupe se sont mis dans la peau de différents profils de personnes en situation fragile – famille monoparentale, pensionné isolé, étudiant, chômeur de longue durée… – et ont testé différents types de solutions – colis alimentaires, épicerie sociale, jardins partagés, création d’emploi… La conclusion de cet exercice fut la suivante : il existe une diversité de situations et aucune solution n’est universelle ! Cette complexité doit être prise en compte dans les travaux du groupe.

Mais qu’est-ce que la précarité ? Définie comme l’incertitude, pour une personne, de conserver ou de récupérer une situation acceptable dans un avenir proche, cette précarité peut prendre différentes formes : financière, sociale – isolement, exclusion… -, médicale – difficulté d’accès aux soins de santé… -, technologique – zones blanches… -, énergétique, liée à la mobilité… Pour la définition du terme « solidarité », par contre, le nuage de mots fut très explicite, avec une mise en avant de l’entraide, du soutien, de la coopération, du partage, de l’égalité, ensemble… La solidarité va donc bien plus loin que la question financière, il s’agit aussi de donner de la confiance et de l’estime de soi à des personnes vivant des moments de vie difficiles.

Des critères pour des actions solidaires

Une fois ces concepts posés, le groupe a travaillé sur la définition de critères permettant d’évaluer des pistes d’actions solidaires. Grâce à ces critères, il est alors possible de se positionner ensemble sur les idées d’actions, grâce à des valeurs communes. Sept critères ont ainsi été définis.

Les trois premiers permettent de qualifier la qualité sociale de l’action. Le caractère participatif – par opposition à une action paternaliste et « infantilisante » – assure l’implication des personnes dans la définition même et la mise en place des actions. Ne travaillons pas hors-sol ! A travers cette participation, on peut augmenter les chances d’obtenir une cohérence des actions et leur utilisation par les personnes fragiles. Le caractère inclusif – par opposition à tout ce qui est discriminant et stigmatisant – assure l’accès pour tous aux actions, assure que tous les publics puissent préalablement se sentir concernés. Enfin, le critère « renforcer l’autonomie » – par opposition à assistanat et palliatif – propose que les actions donnent toutes les clés pour retrouver confiance et estime de soi, et se sentir capable de se reprendre en mains.

Les critères suivants sont relatifs à l’impact – notamment en termes de nombre de personnes impliquées et de leurs diversités de situations -, à la pérennité de l’initiative et de ses actions – par opposition aux accès à durée limitée – et, enfin, à la durabilité écologique, économique et sociale de l’action. Le septième critère enfin balise les idées, dans le cadre du Réseau RADiS, soit la construction de filières bio et solidaires sur le territoire d’action défini. Voici maintenant le groupe armé pour évaluer, nuancer et valider des idées d’actions solidaires.

Quelle participation des personnes fragiles ?

Lors de cette même réunion, la question de la participation des publics fragiles a été soulevée. Allons-nous les inviter aux travaux de notre groupe thématique, à nos réunions ? Pourrons-nous assurer cette mixité, sommes-nous capables de travailler en direct avec des personnes en situation précaire ? Ne se sentant pas compétents pour gérer une telle mixité et ses difficultés potentielles, les participants du groupe ont opté pour une représentation indirecte des publics-cibles, notamment via les acteurs sociaux du territoire. Ces derniers travaillent au quotidien avec les personnes concernées, et peuvent donner un avis éclairé sur les idées d’action et, en parallèle, impliquer leurs publics dans le Réseau RADiS. Certains de ces acteurs ont même rejoint le groupe, dès son démarrage, avec une motivation enthousiasmante.

Mais qui est donc notre public-cible ? Allons-nous nous focaliser sur certaines formes de précarité ? Le groupe préfère rester très ouvert et agir avec le plus grand nombre, tout en ayant une attention particulière pour différents publics. En fonction de leurs affinités, les citoyens et les producteurs ont identifié des publics pour lesquels ils peuvent porter une attention particulière. Béatrice, productrice de fraises, choisit entre autres les personnes handicapées, ayant une expérience familiale, Jean, maraîcher, choisit également les personnes pensionnées, étant souvent en contact avec elles, Olivier, représentant les Îles de Paix, choisit aussi entre autres les personnes réfugiées et les jeunes…

Le témoignage d’Aliz, notre stagiaire

Aliz, stagiaire du Réseau RADiS entre avril et juillet, a identifié et contacté les quelques deux cent cinquante acteurs sociaux actifs sur le territoire dinantais. Grâce à de nombreux contacts et à des interviews, elle a pu réaliser un diagnostic social du territoire, et motiver de nombreux acteurs à rejoindre la dynamique du Réseau.

« Les entretiens que j’ai eu l’occasion de réaliser m’ont permis de mieux comprendre le contexte territorial et social dans lequel s’inscrit le réseau RADiS et de me rendre compte de certaines réalités sur un territoire assez contrasté.

Pour commencer, les acteurs et actrices semblent s’accorder sur le fait qu’il est essentiel de travailler sur l’alimentation car « […] c’est la base, tout le monde mange et cela a beaucoup d’implications dans tous les aspects de la vie (travail, environnement, …) » – Delphine Claes, directrice du CPAS de Dinant. L’alimentation est donc une thématique qui revient dans beaucoup de projets. Mais c’est également un sujet à traiter avec beaucoup de délicatesse car « Le rapport à la nourriture c’est de l’intime […] » – Virginie Want directrice de l’AMO Globul’in, service d’Action aux jeunes en Milieu Ouvert. S’intéresser à l’alimentation d’une personne c’est donc toucher à sa vie intime, c’est rentrer chez elle.

Tous les entretiens se rejoignent également sur le fait que la mobilité est un enjeu important pour le territoire rural sur lequel est implanté le réseau RADiS. Un enjeu qui, lui aussi, influencera de nombreux aspects de la vie quotidienne en limitant l’accès à de nombreux services pour certaines personnes : «[…] pour tous les projets c’est vraiment quelque chose de très important, on ne peut pas penser un projet sans penser mobilité sinon forcément on exclut toute une partie de la population » – Monique Couillard-De Smedt, membre du groupe local Pays des Vallées d’ATD Quart Monde Wallonie-Bruxelles. Bien conscientes de ce problème, les communes ont développé des solutions pour renforcer la mobilité, en se reposant notamment sur des services d’aides bénévoles. Cependant, des difficultés persistent : « Il faut se préparer 48h à l’avance, il faut pouvoir sortir les sous, il faut qu’il y ait un bénévole disponible et puis pas le soir, pas le week-end, et puis pour certains, les raisons sont bien définies » – Monique Couillard-De Smedt.

Plusieurs structures ont également souligné l’intérêt de créer des lieux conviviaux d’échange et de partage « […] ils viennent surtout pour la compagnie, il s’agit surtout d’un lieu de rencontre, ce sont beaucoup des gens qui souffrent de la solitude » – Thérèse de Biourge, bénévole au Bar à Soupe de Dinant. Mais ils ont également fait remarquer l’importance de redonner confiance aux personnes en montrant qu’elles sont capables : « […] quand tu vis la honte dans tout ton milieu depuis l’enfance, tu as intégré que t’es nul et coupable. Donc il faut que les personnes exclues puissent changer leur propre vision des choses et il faut faire changer la vision des autres. Parce qu’à partir du moment où ceux-ci se disent « ce ne sont pas des nuls, ce sont des gens intéressants qui peuvent donner beaucoup à la société », il y a plein de possibilités qui s’ouvrent » – Monique Couillard-De Smedt.

Pour finir, la solidarité concerne tout un chacun et elle devrait, dans l’idéal, aller dans les deux sens : « […] que tout le monde soit sur le même pied. On le fait ensemble pour tout le monde, par tous pour tous » – Sandrine De Vreese, coordinatrice de la cellule de Dinant de l’asbl Article 27. Le réseau a donc choisi de travailler avec le plus grand nombre de personnes et de réalités différentes tout en portant une attention particulière aux plus fragiles car comme le souligne Monique Couillard-De Smedt : « Quand tu veilles à ce que ceux qui ont le plus de difficultés aient leur place, c’est tout à fait possible que les autres l’aient aussi, tandis que le contraire n’est pas vrai. »

Néanmoins, le travail en direct avec certaines personnes en difficulté n’est pas toujours facile et demande certaines compétences spécifiques en termes de techniques d’animation : « l’animation ça va, mais pas de trop, il y a plein de mots qu’il ne faut pas dire, leur demander leur avis ça ils aiment bien, ça fonctionne… » – Christine Longrée, administratrice déléguée et responsable pédagogique de l’asbl Dominos LA FONTAINE. C’est pourquoi le réseau a opté dans un premier temps pour une participation indirecte en passant par les structures sociales sur les six communes. »

Tous ces éléments sont – ou devront – être pris en compte lors de la définition des actions par le groupe thématique « alimentation solidaire » afin que ces dernières correspondent au maximum aux situations vécues au sein du territoire. Et comme l’explique Christine Longrée, « C’est peut-être l’occasion, c’est une innovation ce réseau RADiS qui se met en place, de trouver des moyens pour pouvoir créer du plaisir dans le travail et d’avoir une approche différente. »

Première définition des actions du groupe

Les idées d’actions furent définies lors de la troisième réunion du groupe « alimentation solidaire », début juin. Elles sont pour le moment au nombre de trois. Dans le cadre du développement de la filière fruits et légumes bio, le groupe a choisi de travailler sur l’accueil social à la ferme. Ce concept vise à permettre à des personnes en situation difficile de passer du temps en ferme, en compagnie d’un producteur, pour changer d’air, découvrir autre chose, se ressourcer au contact des cultures et des animaux, découvrir et partager le quotidien et les travaux du producteur, échanger avec lui… Une structure sociale partenaire est impliquée pour assurer le bon fonctionnement de cet accueil.

Pour la filière céréales alimentaire bio, l’idée d’un four à pain mobile a soulevé l’enthousiasme de chacun. En plus d’être un outil de sensibilisation à la bonne farine – notamment notre future farine bio et locale des producteurs du Réseau RADiS, dès cet automne – et à la fabrication du pain, le four à pain mobile va à la rencontre des personnes et joue le rôle de créateur de liens. Un outil similaire, mis en place par le GAL Jesuishesbignon, est source d’inspiration… Et nous avons appris également qu’un four à pain mobile en dormance est présent sur le territoire !

Enfin, afin de renforcer les liens entre producteurs et citoyens, il a été décidé d’améliorer le référencement des producteurs bio du territoire et d’en assurer une bonne diffusion, afin que chacun puisse rentrer en contact avec eux et échanger sur leur travail et leurs productions… A suivre !

Pour aller plus loin…
https://www.reseau-radis.be/accueil/les-groupes-thematiques/alimentation-solidaire/

Citoyenneté alimentaire : un monde meilleur !

Bien sûr, il est toujours loisible, même en bio, de manger en dépit du bon sens, d’outre-manger, de « mal manger » dans le mépris total de ce que recommande la faculté… Cependant, même si le consommateur intègre à son assiette les équilibres et l’hygiène indispensables à sa bonne santé, rien ne lui garantit que son alimentation remplisse tous les critères de la qualité optimale qu’il souhaite. En cause : des méthodes industrielles mues davantage par la logique du profit que par le souci de nourrir, au mieux de leurs possibilités, l’humain qui a placé en elles sa confiance…

Par Dominique Parizel

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Introduction

Mais pourquoi les normes savamment mises en place pour l’agro-industrie ne servent-elles jamais de manière prioritaire à la fabrication de denrées de qualité ? Tout simplement parce que l’usine à bouffe est avant tout une machine à fabriquer de l’argent. Toute forme de qualité, tout coût excédentaire au-delà de ce qu’exige simplement la norme en vigueur correspond forcément, à ses yeux, à une dépense inutile. La norme qui la guide n’a donc aucune utilité d’ordre qualitatif ou sanitaire ; elle fixe seulement le niveau de qualité suffisant pour que le consommateur rassuré par la publicité continue d’acheter massivement. Et pour que se remplissent ainsi les coffres-forts des mastodontes transnationaux qui sont à la manœuvre…

Que sait encore le consommateur de la qualité de ce qu'il mange ?

Toute publicité autour d’un produit alimentaire d’origine industrielle trompe délibérément le consommateur dans la mesure où elle cherche systématiquement à en faire une sorte d’ambroisie destinée à une clientèle d’exception, le parant pour ce faire de valeurs affectives et symboliques qui lui épargnent tout simplement d’évoquer sa véritable nature, sa véritable identité. Et d’avoir à risquer, par conséquent, des mensonges encore plus graves à son sujet… Aussi énorme soit la ficelle, elle marche interminablement, incroyablement. La publicité se mue ainsi en une providentielle mine d’or pour tous les annonceurs du monde et peu importe finalement la matérialité, la réalité de ce qu’on donne à ingérer aux clients : l’impact colossal du discours publicitaire – consommer plus pour être plus heureux ! – supplante, et de très loin, la médiocrité nutritionnelle du produit. Ainsi la « marque de soda la plus célèbre au monde » prétend-elle faire sortir le Père Noël de sa manufacture à jouets dès que circulent de grands camions rouges garnis de guirlandes colorées. Sous d’autres cieux et en d’autres saisons, elle sublime la goutte de fraîcheur providentielle perlant sur ses petites bouteilles à taille de guêpe et qui serait tout aussi attirante que à la sueur tombant du muscle ambré d’un beau livreur… Elle nous fait aujourd’hui danser cocassement ou nous destine, en un seul clip, tout l’art du monde pourvu qu’on y repère sa marque d’universelle panacée, à l’image du Sirop Typhon de l’ancien et prophétique succès de Richard Anthony, quelque part autour de 1969… Elle évite ainsi tout questionnement superflu sur la composition du liquide noirâtre dont elle pollue le monde et fait passer pour un sommet de qualité gustative ce qui n’est au fond qu’un vieux remède archi-édulcoré de rebouteux d’arrière-boutique. Le monde entier prend des vessies pour des lanternes mais c’est exactement le but recherché dès lors que l’idéologie publicitaire relègue aux oubliettes tout souci d’ordre alimentaire. Qu’une pandémie d’obésité soit à la clé, cet universel pourvoyeur de bonheur et de respect n’en a cure : le marchand d’armes n’est jamais responsable des carnages que provoquent ses fusils mais seuls ceux et celles qui en pressent la gâchette… Ou qui dégoupillent la canette !

Parfois conscient qu’on le manipule à outrance, le consommateur certes s’organise mais ses « organisations de consommateurs », ne pouvant agir qu’à la marge d’un système globalement vicieux, n’en corrigent jamais que l’un ou l’autre os qu’on leur laisse fort opportunément à ronger…

Nos repas quotidiens ne peuvent plus nous mentir

La grande distribution n’est pas épargnée par cette logique. Sa puissance logistique et l’omniprésence de sa communication semblent d’insurpassables promesses de notoriété pour n’importe quel produit qu’elle consent à diffuser. Son organisation complexe s’applique principalement à des denrées « chosifiées » dont on emplit à ras bord les caddies : emballages en tous genres dont on peut comparer la taille, le prix et la durée de vie, voire un certain niveau qualitatif à condition qu’ils se plient à une batterie de critères que personne ne comprend et dont tout le monde, d’ailleurs, se fiche éperdument… La confiance qu’on fait à la grande distribution est à la mesure de l’esbrouffe qu’elle jette à la tête du chaland mais, plus le temps passe, plus le maquillage du vieux clown se fissure et plus ce qui semblait magique se banalise. L’artifice – et même une certaine mocheté du quotidien – sautent soudain aux yeux de tous…

Que s’est-il passé ? Être touché par la grâce de la grande distribution a un coût qui se répercute souvent sur la production, qu’elle écrase sous son incurable obsession d’écraser les prix ! Son organisation, complexe et onéreuse, requiert volumes, délais et marges budgétaires non négligeables… Comme le « noir soda du bonheur » que nous évoquions ci-avant, elle exhibe toujours plus d’images de marques et toujours moins de qualités intrinsèques. Quand le consommateur se soucie de fraîcheur et de proximité, elle ne répond que conservation et centrales d’achats. Et il devient trop évident qu’une grande mécanique aussi sophistiquée est inadaptée à nos besoins nouveaux. D’une universelle promesse de bonheur par l’outre-consommation, le consommateur moderne n’en veut plus. Il désire juste un peu de la confiance perdue. En parlant tranquillement avec le fermier et l’artisan de son coin…

Nos emplettes quotidiennes sont devenues incroyablement fastidieuses. Les paradis de la consommation, naguère si riants, se sont mués en traquenards pour notre portefeuille car, si les coûts restent modiques, les sollicitations y sont sans limites. Notre intégrité mentale y est à tout instant menacée par une ingénierie commerciale dont nous ne tolérons plus d’être les dupes. Nous éprouvons un irrépressible besoin de vérité et les insupportables tours de passe-passe d’un marketing abuseur nous sautent aux yeux et nous harcèlent. Bien sûr, tous les produits n’y ont pas les mêmes budgets promotionnels pharaoniques que la boisson noire ci-devant évoquée. Mais tous cultivent la même et invraisemblable ambition de n’être qu’une référence standardisée, dûment formattée, individualisée puis exposée au regard d’un maximum d’acheteurs potentiels. Il faut être vu, être connu, être vendu ; il faut qu’à ce lot succède un autre lot, que gonfle inlassablement le chiffre d’affaires et qu’on produise ainsi à l’infini pour que ruissèlent des cascades d’or fin sur le consommateur grisé par ce tourbillon de boîtes, de canettes et de bidons… On l’aura compris : ce modèle consumériste ne nous correspond plus. Face à la succession des crises et aux limites physiques de notre monde, le vertige et l’ivresse ont vécu ! Nous voulons passer à autre chose. Revenir dans la réalité…

La qualité, et rien d'autre

Nous sommes ce que nous mangeons ! Nous exigeons donc logiquement de pouvoir disposer de la certitude que ce que nous mangeons est bon, selon des critères qui nous appartiennent et qui ne peuvent nous être imposés contre notre gré. Rien de plus, rien de moins. Il s’agit, à nos yeux, d’un droit inaliénable de la personne et nul ne doit disposer du pouvoir de nous ôter ce droit ou de le rendre inapplicable. Mais un besoin, un désir si puissant est également contraignant car il impose à chacun d’entre nous, pour continuer de le revendiquer, de se comporter en citoyen responsable plutôt qu’en consommateur passif qui accepte sans ciller les pratiques contestables de ses fournisseurs industriels. Mais sans doute nombre d’entre nous le font-ils parce qu’ils sont objectivement forcés de se fournir, près de chez eux, à très bas prix, les inégalités croissantes constituant un levier toujours plus important dont joue habilement une partie en développement constant de la grande distribution ? Les « épiceries sociales » elles-mêmes – dont chacun s’accorde évidemment à louer l’action généreuse – ne peuvent d’ailleurs exister que par les surplus abondants de denrées industrielles. Mais peut-on s’accommoder aussi aisément d’un système alimentaire générant la charité pour les dépossédés, en même temps que l’iniquité qui les dépossède ? Sans qu’il s’agisse d’une question foncièrement différente de celle que nous traitons ici, ce grave problème est trop vaste pour être développé plus avant. Précisons toutefois que Nature & Progrès s’efforce – notamment grâce à la mise en place du Réseau RADiS – d’ébaucher des réponses à cette terrible question, en tablant davantage sur une redynamisation locale du « capital social »…

La capacité du citoyen à revendiquer une alimentation de qualité passe immanquablement par un « retour aux sources », une redécouverte du monde de la production et de la transformation, une considération nouvelle à l’égard du monde agricole qui dépasse de très loin l’agro-tourisme ou la ferme didactique… Il ne s’agit pas seulement, non plus, d’une simple « revalorisation » de pratiques professionnelles mais, bien plus, qu’une compréhension profonde et partagée, entre producteurs et consommateurs, des réalités incontournables qui permettent l’obtention et la transformation adéquate de produits agricoles optimaux : respect de la terre et des animaux, conditions de fonctionnement des fermes, transparence des méthodes, etc. Mais cette compréhension touche surtout au respect humain que se doivent les uns et les autres, rien n’étant jamais envisageable sans ouverture et sans confiance, sans acceptation surtout d’un « juste prix » qui ne leurre pas le consommateur mais qui rémunère aussi le producteur de manière équitable, à l’égal de n’importe quel travailleur au sein de notre société. Ce cadre général de reconnaissance est le sens même de la « charte éthique », mise en place par Nature & Progrès, qui intervient en complément de la certification bio classique. Elle s’appuie sur un Système Participatif de Garantie (SPG) – qui associe producteurs, consommateurs et professionnels de l’association – dont le but est d’offrir, aux producteurs, un encadrement dans les domaines où une marge de progression est identifiée d’un commun accord…

Enfin, le couplage, au sein même de l’association, de cette charte éthique avec une démarche globale de « Citoyenneté active » – on dit plus usuellement d' »Education permanente » – est de nature à renforcer la prise de conscience – et de confiance ! – des différents publics concernés avec le contenu de leurs assiettes. Si certaines formes de « citoyenneté passive » peuvent sans doute être déplorées dans d’autres matières qu’investit l' »Education permanente », gageons que la rupture, dans le cadre du système alimentaire qui est le nôtre, avec l’agriculture industrielle productiviste et la grande distribution classique est déjà, à l’heure qu’il est, un gage important d’activité citoyenne. Le cadre global d’approvisionnement que Nature & Progrès s’efforce de définir et de mettre en place rencontre ainsi pleinement la demande croissante de ceux que nous éviterons désormais de qualifier de simples « consommateurs » d’une nouvelle forme de citoyenneté alimentaire.

Citoyenneté alimentaire ?

La pleine conscience de ce que nous ingérons quotidiennement fait de nous des gens meilleurs, moins inquiets et certainement, par conséquent, moins malades et plus heureux. Cette pleine conscience ne peut cependant s’envisager que par le plein exercice de nos droits et devoirs de citoyens à l’égard des processus complexes qui nous nourrissent et des gens qui, dans ce cadre, travaillent à nous satisfaire. Rien à voir avec l’accumulation de « produits » dans un caddie, toujours suivie d’un passage à la caisse…

Au système traditionnel « produits standardisés + marketing », nous cherchons aujourd’hui à substituer un système « producteurs (et transformateurs) responsables + citoyenneté active ». La connaissance approfondie de la réalité agricole et du travail de ses produits, couplée à une démarche citoyenne sur les dérives du système alimentaire actuel, permettra l’émergence de la citoyenneté alimentaire que nous appelons de nos vœux. Ce ne sera pas une révolution sanglante mais seulement la reprise en main du contenu des assiettes par celles et ceux qui finalement les mangent ! Quoi de plus simple et quoi de plus normal ? Quoi de plus élémentaire que d’exercer le droit de manger ce qui nous épanouit, plutôt que ce qui torture les corps et les inféodent à la grande finance transnationale ? Ce qui nous avilit, au fond, faute de nous convenir vraiment et qui nous empêche finalement d’être vraiment heureux… Evidemment, il y aurait, à cela, quelques menues conséquences « collatérales » car la citoyenneté alimentaire n’a aucun besoin de publicité, aucun besoin de marketing, aucun besoin des vaines promesses d’un monde meilleur… Car la citoyenneté alimentaire serait un monde meilleur !

Lutter contre la richesse et apprendre des situations de pauvreté

« Sensibiliser à des changements de comportement. » Pour enclencher la transition écologique, on continue majoritairement de penser qu’il faut transformer l’économie, consommer autrement, habiter autrement, produire autrement, manger autrement, s’habiller autrement… Bref, remplacer nos pratiques par d’autres pratiques moins émettrices de CO2. Mais la manière de consommer est-elle vraiment la question centrale ? Ne serait-ce pas plutôt le niveau de richesse ? Prenons la question par les deux bouts.

Par Guillaume Lohest

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Introduction

L’an passé, préparant une conférence-spectacle avec un ami, j’ai pris conscience d’une incroyable évidence. Une évidence parce qu’au fond nous l’avions toujours su, comme la plupart des gens sans doute. Mais incroyable tout de même : en observant les implacables graphiques que nous avions sous les yeux, nous avons eu envie de le hurler autour de nous…

Le seul critère déterminant

Hurler quoi ? Qu’être sensibilisé… ne réduit pas notre empreinte carbone. Qu’il n’y a qu’un seul critère vraiment décisif : le niveau de richesse. Plus on est riche, plus on émet. C’est aussi simple que cela. Les tonnes et les tonnes de discours, de réflexions, de prises de conscience, toute cette écologie ostentatoire bute sur une réalité implacable : j’ai beau avoir la conscience aussi verte qu’un feuillage de forêt tropicale, dans le monde tel qu’il fonctionne c’est la contenance de mon portefeuille ou de mon patrimoine qui préserve ou détériore le climat et la biodiversité. Point barre.

C’est ce qu’écrivait déjà Grégoire Wallenborn en 2007 à propos des consommations énergétiques des ménages : « généralement, les ménages les plus riches sont à la fois les plus sensibilisés aux problèmes environnementaux et ceux qui, globalement, entraînent le plus d’impacts négatifs sur l’environnement. Ce constat est cependant nuancé dans le cas où un investissement financier a pour conséquence une diminution des pressions environnementales. Nous pensons qu’une analyse d’autres secteurs de la consommation déboucherait sur des résultats analogues. Songeons au tourisme et aux loisirs, mais aussi à l’alimentation, à l’eau et aux déchets ménagers. (1) »

Même constat implacable chez Paul Ariès, en préambule à un ouvrage sur l’écologie et les milieux populaires : « Les centres de recherche, qu’ils soient publics ou privés, ne donnent pas exactement les mêmes chiffres, mais ils s’accordent tous cependant pour reconnaître que « ceux d’en bas » sont plus écolos que ceux d’en haut. Cette vérité est connue de tous les spécialistes, que ce soit ceux de l’ADEME, du ministère de l’écologie et du Développement durable, des ONG ou même ceux de l’OBCM (Observatoire du Bilan carbone des ménages), tous bien obligés d’admettre que « Les revenus les plus élevés affichent des bilans carbone globalement plus mauvais que la moyenne » et que les milieux populaires font donc mieux. (2) »

Petits gestes mais grands voyages

Jusqu’ici, on suit. La logique semble respectée : plus on a d’argent, plus on le dépense ou plus on l’investit, or rares sont les activités totalement neutres en émissions carbone ou en dégâts environnementaux. Pourtant, on continue d’avoir envie d’y croire. La consommation alternative, locale, de seconde main, tout cela existe, cela permet de réduire l’empreinte carbone, tout de même ! Oui mais, les données sont claires : dans l’extrême majorité des cas, cette consommation alternative, saine en soi, s’accompagne d’autres attitudes de consommation qui en relativisent l’impact, voire la rendent anodine. Une enquête du CREDOC, en 2018, détaille ce phénomène. « Si 88 % de la population estime que les consommateurs doivent prendre en charge les problèmes environnementaux, est-ce que les plus sensibles à l’écologie mettent le plus en pratique des gestes efficaces pour l’avenir de la planète ? Pour répondre à cette question, le CREDOC a confronté les représentations de la consommation durable par le biais d’une question ouverte, « Si je vous dis, consommation durable à quoi pensez-vous ?« , aux pratiques de consommation durable, de l’habitat à l’alimentation en passant par les transports. Les résultats sont sans appel : la richesse conduit les plus sensibles à l’écologie à des pratiques de mobilité qui ne peuvent pas être compensées, en termes d’empreinte écologique, par de « petits gestes » comme la consommation de produits bio, la réduction ou la suppression de la viande et l’achat de produits d’occasion. (3) »

Dit autrement : les personnes qui se disent sensibilisées à l’écologie sont, en moyenne, plus riches que les autres, prennent davantage l’avion, se déplacent plus loin, ont un style de vie beaucoup plus énergivore que les personnes aux revenus plus modestes, qui n’embrassent pas forcément un discours écolo mais dont l’empreinte carbone est inférieure. Chaque sensibilisé pourra certainement trouver, autour de lui, l’un ou l’autre contre-exemple pour se rassurer, il n’empêche que les constats sont là. La réalité n’a que faire de nos petits contre-exemples ou de notre désir d’être vertueux. Comme le dit, en substance, l’écrivain Jonathan Safran Foer, nos descendants ne se soucieront pas de savoir qui voulait lutter contre le changement climatique ou qui l’écrivait sur son compte Twitter – ou dans Valériane ! – mais qui l’a réellement fait ! L’ostentation écologique n’a donc aucun intérêt, et il est même vraisemblable qu’elle soit contre-productive quand elle s’érige, inconsciemment, en signe de distinction sociale. La seule chose qui compte, c’est si ça change quelque chose, ou pas. Et Foer met le doigt pile où ça peut nous faire très mal, nous les amateurs de seconde main et de cultures du monde : « le problème principal, c’est que ce qui serait bon pour le climat correspond souvent à ce qu’on aime faire. Ce n’est pas comme si on devait mettre moins de t-shirts rayés ou manger moins de brocolis. Si c’était tout ce qu’on avait à faire (il rit), le problème serait résolu depuis longtemps ! On doit manger moins de la nourriture qu’on aime. On doit voyager moins, ce qui pour les gens qui ont la chance de pouvoir voyager est vraiment une activité qui a de la valeur. Et à raison car voyager, ce n’est pas un plaisir vide et égoïste. C’est précieux d’avoir la possibilité de voir le monde et d’enrichir sa vision du monde. (4) »

Si nous étions des autruches, nous oserions affirmer qu’il est possible de voyager en bateau ! Qu’un autre tourisme est possible ! Soyons de bon compte : ils existent mais ils sont rares, ceux qui rejoignent Buenos Aires en bateau-stop ou Jérusalem à pied. La plupart de ceux qui y ont mis les pieds, écolos consciencieux compris, ont cherché le vol le moins cher possible. Le CREDOC est donc crédible quand il enfonce le clou : « Le cas du recours à l’avion est parlant. Si environ un tiers des Français a pris l’avion en 2018, ce sont ceux qui ont fait au moins un trajet en avion qui ont le plus déclaré limiter leur consommation de viande – 48% contre 41% – et qui ont le plus acheté de produits issus de l’agriculture biologique – 78% contre 67%. Même une action demandant plus d’investissement, comme la production d’électricité verte ou la souscription à un contrat d’électricité garantissant une part d’électricité verte, ne va pas de pair avec une réduction de l’impact de la mobilité. Ces contradictions peuvent en partie s’expliquer par un plus grand recours des plus diplômés à la voiture et à l’avion pour les loisirs, ce qui montre les limites de la conscience et de l’action individuelles. (5) »

Vers un seuil de richesse à ne pas dépasser ?

Avançons. Comment expliquer, si cela fait quinze ans au moins qu’on sait que ce qui pollue, c’est la richesse, qu’on continue à faire de la « sensibilisation » aux « changements de comportements » la pierre angulaire de la transition sociétale ? Nul complot là-dedans ! Cette écologie basée sur la substitution – le remplacement de consommations par des consommations similaires mais plus propres – est simplement celle dont s’accommodent le mieux toutes les structures et représentations qui tiennent notre société en place : non seulement l’économie capitaliste avec ses impératifs de croissance, bien sûr, mais aussi plus foncièrement notre attachement à la propriété privée, notre conception des libertés individuelles, nos habitudes, etc.

Comment faire autrement ? Quelle conclusion tirer de cette vérité implacable : la richesse pollue ? Cela tombe sous le sens, il faut lutter contre la richesse. C’est évident mais c’est dur à écrire et dur à penser car on craint alors de sembler prôner la pauvreté. Or ce n’est ni envisageable ni souhaitable. L’hypothèse simple qu’il nous faut plutôt faire, c’est que richesse et pauvreté, dans un monde fini, dans une société capitaliste, vont de pair. La lutte contre la pauvreté ne devrait-elle pas se doubler d’une lutte contre la richesse ? Qui osera proposer de fixer un seuil de richesse inacceptable ? Plusieurs politiciens s’y sont déjà cassé les dents car notre imaginaire culturel, depuis des siècles, reste ancré dans cette étrange idée que seule la perspective d’être plus riche fait progresser le monde et les gens. C’est ce fameux argument du « PDG » ou du chirurgien : pour attirer les meilleurs, il faudrait pouvoir offrir des salaires astronomiques. Et si on ne le fait pas, alors voici qu’on agite le spectre de la fuite des cerveaux. Peu importe au fond que cette croyance soit vraie ou fausse : on n’a pas le choix ! Si l’on veut être efficace en matière de lutte contre le changement climatique, il faut lutter contre la richesse. Fixer des limites, au-delà de la satisfaction des besoins essentiels évidemment, mais des limites tout de même. Un immense STOP qui aiderait la société à déployer des possibles en-dehors de ce corridor monétaire qui relie l’extrême pauvreté à l’extrême richesse.

Comment ? Les deux leviers collectifs classiques à notre disposition sont la fiscalité et la loi. Pour les actionner, pour en déterminer les modalités, il n’y a pas d’autre chemin que celui de la discussion et de la délibération démocratique.

Une écologie des milieux populaires ?

À côté de ce débat essentiel sur les limites à la richesse, on peut aussi se demander si les personnes en situation de pauvreté n’ont pas, de leur côté, des savoirs à diffuser, une culture à partager. Car si les milieux aisés « sensibilisés » n’enclenchent aucune transition de société, une autre mobilisation est peut-être possible. Non pas descendante, à partir du degré de sensibilisation, mais ascendante, à partir des pratiques culturelles des milieux populaires. Paul Ariès, par exemple, reste ainsi « convaincu que seule la mise en branle de toute la société peut éviter une catastrophe planétaire majeure, mais aucun bouleversement de cette ampleur n’est jamais possible sans faire du neuf avec du vieux, c’est-à-dire sans prendre appui sur un « déjà-là » que l’on ne perçoit même plus. Ce « déjà-là » à même de sauver la planète de la catastrophe, c’est la façon dont les milieux populaires ont appris à vivre avec peu ; et ceci, non pas depuis les politiques d’austérité qui frappent aujourd’hui l’Europe du Sud après avoir anéanti les pays du Sud, mais depuis des siècles et des siècles. (6) »

Le regard de Paul Ariès est enthousiasmant : il consiste à faire remarquer, comme il le dit d’une formule-choc, que « les pauvres ne sont pas des riches à qui il manque de l’argent« . Cela revient à dire qu’il y a de l’intelligence collective, des savoirs sociaux, des exemples à suivre dans la manière dont les populations les plus pauvres, dans le monde entier, s’adaptent, survivent et vivent avec une empreinte environnementale bien plus soutenable que celle de populations plus favorisées. Qu’il s’agit donc, plutôt que de prescrire des bons comportements à adopter, de se mettre à l’écoute de cette expertise des milieux précaires et populaires. Pour Paul Ariès, il y a une part de provocation dans cette invitation à changer de regard, mais une « provocation à penser dans la direction de ce qu’on nomme aujourd’hui l’écologisme des pauvres, laquelle soutient que les milieux populaires (principalement du Sud) n’ont même pas besoin du mot « écologie » pour être beaucoup plus écolos que les riches, mais aussi que beaucoup d’écolos des pays opulents. (7) » Il existerait donc, selon les mots entendus dans la bouche d’un animateur d’ATD Quart-Monde, une « écologie invisible » qui peut être une source d’inspiration.

Mange d’abord, tu feras de l’écologie plus tard

À ce stade, j’ai un aveu à vous faire. Je ne sais comment conclure ces réflexions. Je regarde en face et je vous livre, sans paraphraser, les deux propositions relayées dans cet article : lutter contre la richesse et s’inspirer de l’ »écologie invisible » des populations pauvres. J’ai bien conscience de leur énormité, de leur manque de sérieux aux yeux des standards du débat public actuel sur l’écologie, et des sujets brûlants et délicats qu’ils traînent aux entournures. Par ailleurs, j’ai lu des critiques appuyées de l’ouvrage de Paul Ariès, lui reprochant une idéalisation, une essentialisation des milieux populaires. Du coup, après avoir fait résonner ces deux idées puissantes mais incertaines, je m’en vais clôturer ces paragraphes par un retour à la parole brute, avec des propos tenus lors d’un atelier « Pauvreté et écologie » à Rimouski, au Québec, animé par Bruno Tardieu (ATD-Quart Monde), en juillet 2018. Dans le fil des échanges, après des mots assez directs décrivant le fait que « les pauvres ne polluent pas » mais que « l’écologie, ce n’est pas leur sujet », une sorte de synthèse est proposée aux participants, sous la forme d’une question : « les pauvres n’ont-ils pas d’autres préoccupations, leur souffrance n’est-elle pas trop grande pour que l’écologie soit, pour eux, une priorité ? » Des participants, universitaires, évoquent alors la pyramide de Maslow. La réaction ne se fait pas attendre. « Les gens en situation de pauvreté ont osé dire qu’ils ne savaient pas ce que c’était que cette pyramide dont ils n’avaient jamais entendu parler dans leurs études. Les universitaires ont alors expliqué la hiérarchie des besoins. Les personnes en situation de pauvreté ont été très choquées, et ont réagi vivement : c’est comme si on nous disait, il faut d’abord manger avant de s’intéresser à la culture. Mange d’abord, tu feras de la politique plus tard. C’est complètement faux ! Les humains ont besoin de tout. C’est nous réduire. Parfois c’est la culture qui va te réveiller, parfois la spiritualité, parfois c’est une relation, parfois c’est un repas. Ce n’est pas une mécanique.« 

Finalement, conclut Bruno Tardieu, la hiérarchie des besoins qui justifierait l’hypothèse que les plus pauvres ne s’intéressent pas à l’écologie ne tient pas. (8)

Notes

(1) Joël Dozzi et Grégoire Wallenborn, « Du point de vue environnemental, ne vaut-il pas mieux être pauvre et mal informé que riche et conscientisé ? » dans Environnement et inégalités sociales, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2007, pp. 47-59.

(2) – (6) Paul Ariès, Écologie et milieux populaires, Utopia, 2015.

(3) – (5) Victoire Sessego et Pascale Hébel, « Consommation durable : l’engagement de façade des classes supérieures » dans Consommation et modes de vie, enquête du CREDOC, mars 2019.

(4) Jonathan Safran Foer, « On n’a pas besoin que tout le monde soit vegan, mais que les gens mangent beaucoup moins de viande », propos recueillis par Lila Meghraoua dans Usbek & Rica, 27 octobre 2019.

(7) Paul Ariès, « L’écologie des milieux populaires », Agir par la culture, Hiver 2018.

(8) Bruno Tardieu, « Pauvreté et écologie », Extrait du compte-rendu de l’atelier « Pauvreté et écologie », animé par l’auteur et Isabelle Fortier pendant le Séminaire annuel de philosophie à l’initiative de Jean Bédard, paysan-philosophe, à Rimouski (Québec, Canada), en juillet 2018, sur le thème Lutter contre la pauvreté, la misogynie, la destruction de la planète, même combat ?

La certification : un enjeu essentiel pour le bio

Depuis le 28 avril, Certisys, leader belge de la certification bio, a rejoint le groupe Ecocert, présent dans cent trente pays à travers le monde… La direction de Certisys est désormais confiée à Franck Brasseur qui avait intégré l’équipe en 2018. Il sera accompagné, pendant une période de transition de quelques mois, par Blaise Hommelen qui fut à l’origine du mouvement bio belge. Et le fondateur historique de l’entreprise, en 1991 ! Une occasion unique de rendre hommage à ce vieux militant de la cause biologique…

Propos recueillis par Dominique Parizel et Marc Fichers

Logo Certisys
Introduction

Lui rendre hommage bien sûr, pour sa brillante carrière qui passa jadis par Nature & Progrès, mais surtout brosser avec lui un rapide aperçu des nouvelles réalités qui questionnent, au présent, la certification bio. De nouveaux acteurs arrivent dans le bio, sans connaître nécessairement les valeurs qui le fondent et qu’il défend avec vigueur, depuis plusieurs décennies déjà. A l’image de Certisys dont l’intégration au groupe Ecocert lui permet une expansion nouvelle, tout en gardant son identité propre, c’est tout un secteur qui passe progressivement le flambeau à la génération montante. Même si, aux yeux du consommateur, rien ne change évidemment… L’occasion rêvée pour demander l’avis de Blaise Hommelen à ce sujet, et faire le point sur les principaux points d’attention, les nouveaux défis que devra relever le secteur tout entier. Chut, écoutons-le parler…

« Personne n’est éternel, constate lucidement Blaise Hommelen, et il faut pouvoir envisager de nouveaux relais. Mon entreprise fut toujours très liée au local, tout en développant une envergure internationale. Certisys, dans ce contexte, fait face à de gros groupes et doit pouvoir être suffisant fort pour mener à bien sa mission. Fort d’un point de vue technique, juridique, financier et tout cela en toute indépendance, en toute impartialité, en se gardant de tout greenwashing. Travailler avec le groupe Ecocert, c’est donc se renforcer et se mettre en capacité d’offrir un meilleur service… Il faut bien sûr distinguer clairement la réglementation du bio et ce qu’est réellement le bio. IFOAM – l’association internationale de l’agriculture biologique – se définit comme un mouvement : d’une part, cela concerne des personnes et, d’autre part, cela n’arrête pas d’évoluer. Il y a, d’une part, les agriculteurs, les producteurs, ceux qui pratiquent effectivement l’agriculture biologique sur le terrain et, d’autre part, il y a les consommateurs. Ces deux courants ont déterminé conjointement l’évolution historique du secteur… »

S'adapter à une demande toujours plus forte du consommateur

« La bio est née de la rencontre de ces deux courants, poursuit Blaise Hommelen, celui des producteurs et celui des consommateurs. Etant agronome de formation, je suis rentré dans le système par une approche agronomique, par la rencontre d’agriculteurs qui pratiquaient l’agriculture biologique. Le consommateur, quant à lui, exprime une attente et cette attente évolue dans le temps. Le producteur et les techniques qu’il met en œuvre évoluent également mais en restant toujours fidèles au concept d’agriculture durable de départ, qui est vraiment un excellent concept. J’ai donc pu observer l’évolution de l’attente du consommateur par rapport à ce qui se passait au niveau de l’agriculture conventionnelle en général, mais aussi par rapport à sa propre demande qui est progressivement devenue très importante. Avec les différents scandales alimentaires, ce poids croissant de la demande du consommateur – qui correspondait à une prise de conscience nouvelle – est apparue comme un fait tout-à-fait nouveau. En plus de l’intérêt que je portais déjà à l’agriculture biologique, en tant qu’agronome, est apparu le défi de la garantie du produit biologique destiné à ce consommateur nouveau. Au-delà des aspects purement techniques inhérents à la pratique de l’agriculture biologique, la mission qui nous était assignée de garantir la qualité biologique au consommateur prenait, elle aussi, une importance nouvelle. Mais comment s’y prendre pour rencontrer son attente, toujours plus forte, en donnant au consommateur la certitude que le produit bio acheté est bien celui qu’il avait espéré ? Un produit sans résidus, sans OGM… Le consommateur demande – en se le formulant à lui-même de manière parfois assez floue – un produit parfaitement naturel et absolument sans danger.

Or, au début, nous avions tout simplement affaire à quelques producteurs bio qui voulaient juste écouler leur production biologique, et nous partions uniquement de leurs pratiques agricoles. Eux cherchaient uniquement à se différencier sur le marché et à valoriser leur dénomination, par rapport à la spécificité de leur démarche d’agriculteurs. Le courant des consommateurs est alors venu se joindre à cette démarche mais en y plaçant une exigence toujours plus forte. En tant que certificateurs, nous nous focalisions, quant à nous, sur la façon dont les agriculteurs désherbent, fertilisent ou alimentent les animaux, comment ils s’y prennent pour que les vaches ne soient pas malades… Tout cela, en fonction des bases agronomiques de l’agriculture biologique. Mais aujourd’hui, les enjeux des OGM, des pesticides, des additifs, des nanotechnologies, etc. mettent toujours une pression plus intense sur la responsabilité de garantie que le consommateur attend de notre part. »

Obligation de résultat, ou obligation de moyens ?

« Une autre évolution capitale à mes yeux, explique Blaise Hommelen, réside dans le fait que l’agriculture biologique a été étendue à la transformation des produits biologiques. Cette évolution n’avait rien d’une évidence, vers 1980, lorsqu’on parlait encore d’agriculture « dite biologique ». Il ne s’agissait que d’agriculture stricto sensu – le règlement ne parlait alors que de cela – et nous avons dû batailler afin d’obtenir également la couverture sur les produits transformés. Il faut aujourd’hui rester extrêmement vigilants sur les normes de transformation car rien ne définit spécifiquement une transformation de produits biologiques. Quelles sont les méthodes ? Quels sont les critères ? Qu’est-ce qui nous guide ? Qu’est-ce qui nous motive ? Personne ne sait exactement : les techniques de transformation sont une chose, la composition des produits utilisés en est une autre. L’industrie agroalimentaire veut des produits raffinés, des produits purifiés aptes à être travaillés, par elle, techniquement. Ceci est totalement antagoniste avec nos idées bio, puisque nous voulons des produits bruts qui conservent et respectent le mieux possible la matière première. Au niveau des huiles, nous travaillons, par exemple, avec des huiles de pression mais pas d’extraction, ni d’hydrogénation, etc. Nous nous battons donc pour éviter que des techniques telles que les systèmes à échangeur d’ions soient refusés en transformation biologique. Le règlement définit, plus ou moins, une certaine approche. Et on peut légitimement se demander à quoi servirait de mettre en place une garantie stricte chez l’agriculteur, si cette garantie n’existe pas jusqu’à l’assiette du consommateur final ? Raison pour laquelle tout produit bio doit également être garanti sur l’ensemble de la filière, en incluant toute la chaîne distribution. Pour les distributeurs, c’est une chose nouvelle et ils ne comprennent pas toujours pourquoi il est indispensable qu’ils soient également sous contrôle. S’ajoutent à cela les questions relatives à la restauration collective, au catering, etc.

Redisons-le : au niveau de notre mission, nous étions simplement partis de la production, des producteurs qui sont au commencement de la filière… Pour englober maintenant l’ensemble de la filière jusqu’à l’assiette du consommateur dont les exigences n’ont cessé de se renforcer, en mettant toujours plus de pression sur le contrôle. Nous avons toujours été bien conscients de cela, au niveau belge, et le secteur a toujours demandé aux organismes de contrôle d’avoir des fréquences suffisantes de présence sur le terrain mais également d’assurer une obligation de résultat, alors que l’agriculture biologique ne se définit que par les pratiques qu’elle met en œuvre et n’a donc qu’une obligation de moyens. Mais le fait est pourtant que nous ne considérons pas comme possible que nos produits soient pollués, par des pesticides ou par autre chose. Voilà encore un nouvel enjeu, et il est de taille… »

Fidélité aux principes de base

« Le Règlement européen pour lequel nous nous sommes longuement battus, se souvient Blaise Hommelen, avait pour but d’obtenir une reconnaissance officielle et de protéger ainsi l’appellation biologique. Il n’est aucunement une fin en soi ! L’agriculture biologique doit être très attentive à ses racines, tant au niveau des producteurs et des transformateurs qu’au niveau des consommateurs. Les différents acteurs du bio se sont professionnalisés, avec l’adoption de ce Règlement européen, mais il ne s’agit nullement, pour nous organisme de contrôle – comme certains aiment parfois le prétendre -, de nous borner à réglementer l’achat de fraises bio en Espagne… Il s’agit, avant tout, de travailler à la pérennité d’une agriculture durable qui participe de l’agroécologie. Nous devons absolument conserver cet objectif, cette ambition… Or la réglementation évolue sans cesse et c’est pourquoi les organisations citoyennes sont très importantes, au sein du monde bio, afin de garder le cap que nous nous sommes fixés, de garder les pieds sur terre, de conserver nos racines. Une certaine dilution du bio semble, bien sûr, inévitable dès lors qu’on veut en développer le marché ; un pôle associatif fort doit donc absolument veiller à la sauvegarde des principes de base qui lui ont permis d’exister. Ainsi certains producteurs, arrivés par le seul attrait des primes bio, deviennent-ils parfois d’authentiques puristes. Et la très grande majorité des agriculteurs qui ont fait le pas vers le bio sont, à présent, très heureux de l’avoir fait et regrettent même souvent de ne pas l’avoir fait plus rapidement. Les opportunistes du bio le sont rarement de père en fils, et le fils fera, le cas échéant, la prise de conscience que n’avait jamais pu faire le père…

En tant qu’organisme de contrôle, nous devons bien connaître les règles du bio, bien les expliquer et bien les appliquer. Je suis donc partisan d’un contrôle préventif, je suis pour une présence continue. Il ne s’agit pas de tomber n’importe comment sur le dos de n’importe qui. Il faut bien sûr être suffisamment costaud pour lutter contre les fraudes possibles. Mais rester étroitement relié au secteur bio me tient énormément à cœur. Or il est aujourd’hui possible qu’un organisme de contrôle se borne à contrôler un cahier de charges, en étant en déconnexion totale par rapport au secteur concerné. Nous donnons donc, chez Certisys, un rôle très important à notre comité consultatif – l’évolution de l’ancienne COMAC (Commission mixte d’Agrément et de contrôle) – qui est un lieu de rencontre et d’échanges entre les professionnels, les consommateurs et les autorités, dans le cadre d’une garantie participative. Nous constatons que, bien qu’il y ait toujours davantage de bio, le secteur associatif y est, à certains égards, moins actif. Alors que le politique a démantelé la plateforme Bioforum Wallonie, il n’existe plus de véritable coordination du secteur. Or, en bio, c’est tout le monde qui discute, tout le temps, c’est un vrai mouvement de société qui est à l’œuvre où tout le monde a voix au chapitre en permanence. Et c’est peut-être ce qui fait toute la différence ! Cette importante dimension citoyenne doit rester à l’initiative des évolutions du secteur, qui ne doivent pas venir seulement de l’administration ou de l’Europe. Certisys estime donc que la bonne application des règles dépend aussi de la capacité de pouvoir consulter facilement le secteur. La problématique des élevages de volailles montre bien que nous sommes constamment aux prises avec des limites ; il est donc stratégiquement indispensable de savoir ce que veulent, dans leur ensemble, les gens qui font le bio au quotidien… »

Toujours davantage de missions

« Depuis une dizaine d’années, dit Blaise Hommelen, les organismes de contrôle sont également considérés comme des collecteurs de données. Or notre premier métier est de voir comment les règles bio évoluent, de bien les communiquer en direction des opérateurs et de veiller à leur bonne application. Maintenant, on nous oblige à collecter et à organiser toutes ces données, que ce soit pour la problématique des primes bio ou pour les statistiques qui sont certes nécessaires, tant au niveau belge qu’européen, pour le développement des filières ou la localisation des matières premières… Nous avons donc été obligés d’investir énormément dans les systèmes informatiques pour encoder, exploiter, stocker et transférer ces données. Mais nous devons veiller, d’autre part, à leur fiabilité et il nous incombe donc de tout vérifier dans le détail, ce qui est un authentique travail de fourmis. Ce boulot colossal occupe cinq personnes, à plein temps, chez Certisys et nous met une pression importante… Bien sûr, ces connaissances aident aussi le secteur à mieux se connaître lui-même mais peut-être des relais devraient-ils être pris par d’autres, au-delà de la simple collecte d’informations, afin d’en penser plus adéquatement le développement global ?

Certisys est avant tout une entreprise de service, répétons-le. Nous engageons de nombreuses personnes, en nous rendant compte à quel point il est indispensable de les former adéquatement aux spécificités du bio. Le plan de formation que nous appliquons est donc fondamental, à nos yeux. Je regrette vraiment de ne pas emmener suffisamment ces nouveaux engagés à la rencontre de pionniers du bio, afin de leur poser simplement ces deux questions : qu’est-ce que le bio à leurs yeux, et qu’est-ce qu’ils attendent vraiment de Certisys ? Tout notre personnel doit absolument se confronter à ces deux questions. On n’apprend malheureusement pas ce qu’est le vrai bio à l’école d’agriculture… »
Plus d’infos : www.certisys.eu

La faux : un outil moderne

Le fauchage qui existe aujourd’hui, en Wallonie, est généralement mécanique mais un net regain d’intérêt pour la faux est apparu ces dernières années. Trop d’utilisateurs ignorent pourtant la grande technicité de cet outil, très simple d’apparence, qui permet sa bonne utilisation. Un réel apprentissage est donc indispensable pour que son intérêt réel puisse être comparé à celui des outils à moteur. Pour en savoir plus, écoutons Peter De Schepper, responsable du Pic Vert, à Heyd-Durbuy…

Propos recueillis par Dominique Parizel

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Introduction

Le secret d’un fauchage efficace réside dans le tranchant de la faux ! S’il est optimal, le bon usage de l’outil viendra rapidement avec la pratique, là où la seule puissance d’une machine corrige toujours ses mauvaises utilisations…

« Mais tout ce qui demande un apprentissage invite toujours l’utilisateur à vouloir être plus habile, complète Peter De Schepper. C’est un constat qui, je crois, gagne toujours à être fait. Et à être généralisé, autant que possible, à l’ensemble de nos activités… »

Ne sommes-nous pas tous tributaires de notre idée préconçue d’un jardin ordonné ? N’avons-nous pas tous l’impression que plus vite le travail sera accompli, plus vite le bon ordre sera de retour ?

« La faux, d’une manière générale, ajoute Peter, est au moins aussi rapide que la débroussailleuse mais la vitesse n’est probablement pas la première raison de la choisir. Un retour au manuel offre surtout une meilleure précision, donnant à celui qui travaille davantage de satisfactions car le jardinage tient aussi au plaisir d’accomplir chaque geste avec justesse, bien plus sans doute qu’à un résultat à atteindre le plus rapidement possible. A l’échelle où travaillent la plupart des jardiniers, la faux est, en réalité, bien moins fatigante que la débroussailleuse et permet donc de « tenir le coup » plus longtemps. Le travail effectué avec une débroussailleuse ou avec une tondeuse peut être aisément accompli avec une faux : tondre une pelouse ou même faire du foin, par exemple, afin de nourrir quelques moutons… Il est évidemment possible de faire beaucoup plus, comme jadis, si on s’en donne le temps et si on est en mesure de s’organiser en conséquence. Toutefois, le savoir-faire concernant la bonne utilisation de ce précieux outil fait aujourd’hui particulièrement défaut. Peu de gens savent encore comment utiliser correctement une faux, une perte de connaissances qui s’est progressivement accentuée tout au long du XXe siècle… »

Apprendre à battre est indispensable !

« Je me suis mis à la faux dans les années nonante, poursuit Peter De Schepper, un peu comme je pouvais. Je trouvais cela lent et un peu dur mais j’étais encore jeune et je me disais que nos anciens devaient avoir une robuste constitution. Puis j’ai rencontré un cantonnier à la retraite, sur une « scène des vieux métiers ». Il m’a dit qu’il fallait « battre la faux », alors que je me demandais ce qu’il faisait. Personne ne m’avait jamais dit cela ! Quand il était encore en activité, ce monsieur fauchait manuellement le bord des chemins… J’ai ensuite trouvé, sur une brocante, l’enclumette et le marteau servant au battage et j’ai commencé, tant bien que mal, mais je trouvais que cela allait déjà beaucoup mieux, même si c’était loin d’être parfait. Je suis retourné voir ce monsieur, chez lui un an plus tard, et il m’a appris tout ce que j’ignorais encore…

Les bons gestes s’acquièrent aisément quand l’outil coupe bien mais la plupart des utilisateurs de faux ignorent malheureusement en quoi consiste ce bon entretien du tranchant. Battre consiste à aplatir, à amincir l’acier sur une zone du tranchant d’un à trois millimètres de large. On étire le métal pour en entretenir la géométrie. Ce geste s’effectue traditionnellement à l’aide d’un petit marteau et d’une enclumette portative qu’on fiche dans le sol, certains modèles pouvant même être montés dans un banc, ou sur une bûche… La même opération se fait à l’aide d’une meule pour la plupart des autres outils, comme les haches ou les ciseaux à bois. Quand on aiguise à la pierre fine, la géométrie, petit à petit, devient moins idéale ; on retrouve donc le bon angle grâce au passage sur la meule. Avec la faux, plutôt que de retirer de la matière, on retrouve la bonne géométrie et la bonne forme à l’aide de l’enclumette et du marteau : la lame est étirée, légèrement élargie, et l’acier devient plus dur sur la zone battue. Ce travail est nécessaire toutes les quatre à six heures de fauche en moyenne, en fonction des conditions rencontrées. Il prend entre vingt minutes et une demi-heure, en fonction de la longueur de la lame. L’aiguisage à la pierre, emportée à la ceinture dans un étui appelé coffin – où elle trempe en permanence dans de l’eau et éventuellement un peu de vinaigre -, se fait régulièrement après quelques minutes de fauche et ne doit prendre que quelques secondes. Juste un ou deux passages sur le tranchant afin de l’aviver à nouveau…Ce laps de temps varie évidemment en fonction des conditions de travail : le tranchant tient parfois cinq minutes, parfois dix. Quand j’aiguise, ma lame coupe encore bien ; après l’aiguisage elle coupe très bien…

Je conserve un article sur le battage de la faux en Wallonie, qui date des années septante. On disait déjà, à l’époque, qu’il n’était pas facile de trouver des « témoins » en mesure de battre la faux correctement. L’outil était encore là mais on ne savait déjà plus s’en servir adéquatement s’il ne restait pas un vieux paysan pour battre les faux des autres… Se borner à aiguiser avec une pierre artificielle, en carbure de silicium – carborundum en anglais -, rendra le tranchant plus épais et le travail sera alors nettement moins efficace. Une lame bien battue, puis aiguisée à l’aide d’une pierre plus fine – une pierre naturelle qui enlève beaucoup moins de matière – donne de bien meilleurs résultats. »

Un geste qui devient alors naturel…

« Un tranchant bien entretenu, insiste Peter De Schepper, permet d’adopter un geste qui sera nettement moins fatigant, et même pas fatigant du tout dans la plupart des situations. Bien sûr, l’exercice sera beaucoup plus sportif si on fauche pendant toute une journée, mais il ne requiert pourtant aucune aptitude physique particulière. Si l’outil coupe mal, au contraire, on se met alors à hacher et on s’épuise inutilement alors que le geste optimal du faucheur est un geste complet où tout le corps travaille, en évitant de mobiliser trop de force et de solliciter inutilement les épaules et les bras. Il faut donc apprendre, avant tout, à bien se tenir et, quand on fauche large, on peut même compléter par un mouvement de balancement qui fait travailler les jambes, dans un geste très ample qui évoque le tai chi. Il rajoute un peu d’inertie et réduit l’effort des bras et des épaules. Celui qui n’apprend pas cela d’emblée finira inévitablement par abandonner sa faux et par reprendre les machines…

J’ai personnellement travaillé, pendant une dizaine d’années, à l’entretien d’espaces verts et j’ai presque toujours tout fait à la faux. Ce travail a toujours été réalisé dans les mêmes délais qu’avec le fauchage mécanique. Mon employeur ne s’est jamais plaint car celui qui maîtrise bien la technique va aussi vite manuellement que mécaniquement. La fréquence des fauchages dépend évidemment de ce qu’on veut obtenir ; il est même possible de garder une pelouse très courte simplement à l’aide d’une faux ! Cela ne pose aucun problème de la maintenir au ras du sol, en passant chaque semaine… A condition que la faux soit parfaitement affûtée. Les pelouses sont une invention de riches qu’on ne trouvait pratiquement qu’autour des châteaux ; elles étaient entretenues, avant la mécanisation, par des jardiniers qui utilisaient des faux. Les gazons anglais n’ont évidemment pas attendu les tondeuses pour exister… Tout cela ne pose donc pas de difficultés, une fois qu’on a compris la nécessité de bien battre le tranchant. La faux passe alors sur l’herbe comme un rasoir et un tel travail permet sans doute d’être plus attentif à ce qu’on fait, de mieux repérer pour l’éviter la belle orchidée qui pousse dans un coin. La faux permet sans doute aussi d’épargner plus de grenouilles et d’orvets que le travail à la débroussailleuse. Mais si de tels drames sont plus rares, cela tient peut-être surtout à l’état d’esprit de celui qui manie l’outil… Ne reproche-t-on pas aux « robots » qui vont et viennent en continu de causer de gros dégâts à la faune des pelouses, même s’il n’y a sans doute plus grand monde qui habite encore ces vastes étendues ultra-raccourcies ? Mais est-il vraiment nécessaire d’avoir une pelouse qui ressemble à de la moquette, même si on désire conserver un endroit pour permettre aux enfants de jouer, ou pour s’asseoir au soleil ? Une telle réflexion bien sûr, d’ordre plus culturel, n’est évidemment pas directement liée à l’outil et on doit l’avoir aussi si on opte pour l’entretien mécanique. Mais que le jardin idéal soit celui où rien ne vit est évidemment une conception des plus critiquables. N’est-il pas préférable de multiplier les lieux de vie et les habitats au jardin, surtout dès le moment où on choisit d’y implanter également un potager ? »

Le souci de l'écologie

« Au début de ma vie professionnelle, avoue Peter, je travaillais alternativement à la faux et à la débroussailleuse car j’estimais que celle-ci convenait mieux à certains endroits, par exemple, qui n’avaient plus été entretenus depuis plusieurs années. On y trouvait parfois des ronces aussi grosses que mon pouce… Petit à petit, j’en suis venu à ne plus la démarrer que très rarement. Je travaille maintenant à un rythme tout-à-fait acceptable, au fauchon pour le débroussaillage des tiges dures, des ronces, etc. En s’approchant progressivement du sol, la plupart des obstacles sont faciles à repérer. Et le fauchon étant assez épais, même un petit coup accidentel sur un obstacle n’est pas trop grave pour l’outil… La pratique développe la sensibilité de celui qui le manie, ce qui réduit les dégâts à peu de choses. Beaucoup de force et d’enthousiasme, mais trop peu de technique, augmentent au contraire le risque d’abimer le matériel… Pour les zones herbeuses, il faut choisir la faux car l’approche est différente pour le fauchage de l’herbe. La lame se pose alors directement sur le sol et reste en contact avec lui pendant tout le mouvement.

Le jardinier est ainsi incité à un entretien beaucoup plus différencié en fonction des endroits : il en fauchera une partie et laissera une herbe haute ailleurs, il évitera de tout raser au même moment afin qu’il reste toujours des fleurs sauvages quelque part, etc. Et s’il souhaite laisser pousser l’herbe pour faire du foin, il ne fauchera pas avant juin, ou juste un peu après… Il peut aussi combiner le fauchage et le passage d’animaux, ou encore veiller à raccourcir l’herbe avant l’hiver pour que le travail soit moins dur au printemps, quand arrivera la nouvelle pousse… Il peut aussi privilégier certains endroits en fonction de choix environnementaux et du respect de la biodiversité, créer des coins protégés pour la faune et la flore. Une telle gestion peut bien sûr se faire également à la machine mais le simple fait, pour un jardinier, de s’intéresser à la faux témoigne souvent de son souci de l’écologie et de son intérêt pour une autre façon de gérer le terrain. La faux est d’ailleurs l’outil par excellence pour la gestion des réserves naturelles ; en Flandre, elle est de plus en plus utilisée dans ce contexte. Certaines communes l’utilisent aussi pour la gestion des espaces verts. »

Trouver des outils de qualité

« De nombreuses personnes m’ont sollicité, il y a une bonne quinzaine d’années, afin de savoir où il était possible d’acquérir du bon matériel, explique Peter De Schepper. Mon propre outil avait lui-même quelques dizaines d’années déjà, et je me suis alors rendu compte qu’une telle qualité se trouvait difficilement dans le commerce courant. Je me suis alors livré à quelques recherches – à une époque où l’on ne trouvait pas aussi facilement les informations utiles sur Internet – et la nécessité d’importer des faux s’est rapidement imposée à moi. Il ne reste plus que trois fabricants en Europe occidentale ; ce sont les derniers dépositaires d’un savoir-faire vieux de plusieurs siècles. L’un d’eux se trouve dans le nord de l’Italie, les deux autres en Autriche, un pays où il y en existait encore une vingtaine dans les années cinquante. Au milieu du XIXe siècle, ils étaient environ… cent septante ! Nous n’avons jamais eu de grande industrie de la faux en Belgique et le dernier fabricant français a stoppé son activité, il y a une vingtaine d’années. Les Forges de Ciney, fondées en 1920, ont bien fabriqué des faux mais la plupart de celles que j’ai vues, estampillées avec la marque Ciney, étaient fabriquées par le fabriquant autrichien Krenhof qui a arrêté sa production vers 1975 : il avait simplement repris le style et le nom de Ciney pour les lames exportées vers la Belgique. Notons aussi qu’on trouve encore une usine de faux en Russie, et une autre en Turquie… Avec la crise de la Covid-19, l’importation depuis l’Italie pose quelques problèmes et il y a eu des ruptures de stocks car beaucoup de gens qui songeaient déjà à faucher leurs parcelles se sont peut-être dit que le moment était enfin venu de le faire.

Je propose différents types de faux et recommande un manche ajustable, fabriqué en Autriche. Je travaille également le bois et je réalise ainsi moi-même le simple manche droit, de type ardennais, mais en petites séries, que je taille sur place et sur mesure en présence du client. Mes lames sont toutes importées et il existe des longueurs différentes, selon les usages qu’on veut en faire. Les fauchons, pour débroussailler, ont des lames plus courtes et plus épaisses. Rares sont encore les faucheurs de céréales mais les lames qu’ils utilisent sont traditionnellement assez longues, soit septante-cinq à nonante centimètres. Pour le foin, quand la prairie est bien entretenue, on peut également travailler avec une longue lame. Pour le jardin et pour les vergers, où l’on peut trouver davantage d’obstacles, on fauche généralement l’herbe avec des lames de soixante à septante centimètres. La lame de soixante-cinq centimètres et le fauchon de quarante-cinq ou de cinquante centimètres étaient d’ailleurs les dernières qu’on trouvait en jardineries. Ce sont sans doute aussi les longueurs qui restent les plus utilisées pour l’entretien autour de la maison, pour couper l’herbe ou pour maîtriser les ronces…

Pour battre le tranchant enfin, il existe un petit gabarit – que j’appelle « outil à battre » – qui autorise moins de précision afin d’arriver à un battage correct. Il s’utilise également avec un marteau mais on tape sur une douille qui se glisse sur l’axe central au lieu de marteler directement sur le tranchant de la lame, le profil du dessous de la douille définissant la zone à aplatir. C’est une facilité que peuvent s’autoriser les débutants ou ceux qui, n’ayant pas de grandes superficies à faucher, ne doivent battre leur lame qu’une fois par an, par exemple… »

Gagner en convivialité !

Afin de permettre aux candidats faucheurs de réapprendre les bonnes pratiques, le Pic Vert s’est également lancé dans l’organisation de stages.

« Nous sommes déjà dans notre douzième année, constate Peter De Schepper ! La saison des stages commence en mai, si la météo s’y prête, mais le gros de l’activité trouve surtout place en été, puis en septembre et parfois même en octobre, pour accueillir ceux qui étaient partis en vacances. Mais c’est alors plus aléatoire, en fonction du temps qu’il fait…

La plupart des stages se déroulent en une seule journée : j’apporte tout le matériel utile et toutes les lames sont battues à l’avance. Il est d’abord nécessaire d’apprendre à régler les poignées à la bonne hauteur ; on se munit ensuite d’une pierre et on profite de la matinée – et de la rosée – car la lame glisse mieux quand l’herbe est plus tendre et encore humide. Nous restons à l’ombre, s’il fait chaud après la pause, afin de travailler le battage. Une heure ou deux sont nécessaires pour bien expliquer en quoi l’apprentissage des gestes corrects est absolument indispensable. Nous fauchons encore un peu pour terminer la journée et les participants peuvent ainsi prendre conscience de la différence entre la fauche du matin et celle de la fin d’après-midi, l’idéal étant évidemment de se mettre au travail dès qu’il fait clair ! Lorsqu’il fait aussi beaucoup moins chaud…

Utiliser la faux, même occasionnellement, est un travail très agréable qui évite le gros inconvénient du bruit et des gaz d’échappement. Si on le souhaite, il est même possible de travailler le dimanche matin, dès l’aube. Les voisins n’en sauront jamais rien ! Sans compter les économies d’entretien et de carburant… Et les gains importants de convivialité ! »

On mesure, une fois de plus, le dommage qu’il y a à expulser, au nom de la modernité, les savoirs anciens de la gamme des solutions qui doivent rester à notre disposition. Les solutions low-tech et peu consommatrices d’énergie seront, à n’en pas douter, de plus en plus sollicitées. Encore faut-il poutant que le bagage technique dont leur usage rend l’acquisition nécessaire soit parvenu jusqu’à nous. Or la génération qui a totalement abandonné ces pratiques « d’un autre temps » a également cru bon d’expurger la culture populaire des connaissances qui leur sont liées. Nous devons aujourd’hui absolument nous en convaincre : les savoirs traditionnels et ancestraux – même si parfois ils nous paraissent encore totalement dépassés – sont au cœur même de nos capacités de résilience. Sachons donc en conserver entièrement la mémoire…

« Mes aliments ont un visage », vingt ans de campagne, cinquante ans de convictions

Au-delà de simples consommateurs de produits sur des étalages, les partisans et partisanes de Nature & Progrès sont surtout de réels soutiens aux femmes et hommes artisan.ne.s de leur alimentation. En 2001, la campagne « Mes aliments ont un visage » de Nature & Progrès concrétisait l’intention de mettre ce lien au centre de la réflexion. Vingt ans après, la nécessité de nous connecter aux maillons de notre alimentation est toujours bien présente…

Par Mathilde Roda

Est-il encore nécessaire de rappeler que Nature & Progrès puise son origine dans le rassemblement de citoyens, d’agriculteurs, d’agronomes, liés par une vision commune de ce que devrait être l’agriculture productrice de leur alimentation ? Depuis près de cinquante ans, cette interconnexion, ce lien privilégié entre consommateurs et producteurs, anime toutes les actions de l’association.

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A chaque crise sa solution

C’est à la suite d’une ennième crise du secteur alimentaire industriel – voir l’encadré ci-dessous – qu’est née l’idée de ce message : « Mes aliments ont un visage » ! Cinq mots qui résument notre philosophie, qui ramènent à l’essentiel : derrière chaque aliment, il y a une productrice, un producteur, une transformatrice, un transformateur. Du moins, il devrait y en avoir ! Et c’est ce que nous prônons, chez Nature & Progrès. « Nul n’a le droit, pensons-nous, de limiter l’aliment à un simple bien commercial. Le producteur ne saurait être vu comme un simple fournisseur d’ingrédients ; le consommateur n’est pas davantage un vulgaire acteur économique, un acheteur d’aliments« , indiquait la campagne de 2001. Et aujourd’hui, nous tenons à réitérer cet appel !

Car trop nombreuses sont les crises alimentaires qui nous pendent encore au nez ! Le secteur industriel a de plus en plus la mainmise sur notre alimentation, même en bio. Les débats sont rudes pour tenir le cap. Quand on parle de valeurs, on nous répond « loi du marché ». Comment faire valoir la parole des agriculteurs quand ceux-ci sont réduits à de simples fournisseurs de matières premières ? Comment aider au développement des transformateurs qui veulent valoriser les productions wallonnes quand on les met en concurrence avec des industries peu regardantes sur la provenance des denrées utilisées ? Sous couvert de développement de filières, on continue finalement de soutenir le même modèle agricole productiviste. Au pays du bas prix, le rendement est roi ! Et le risque pour le consommateur reste le même…

Pour nous, c’est un fait : nombres des dérives dans le secteur agroalimentaire seraient évitables si nos aliments transitaient le plus directement possible du lieu de production vers nos cuisines. Et s’il ne fallait qu’un seul geste pour qu’ils passent de la main du producteur ou du transformateur vers celle du consommateur ? Et si, ainsi, nous pouvions nous réapproprier notre droit de manger sainement, en soutenant ceux qui travaillent en ce sens ?

Bien plus qu’une campagne de communication

Il y a vingt ans, nous vous interpellions. « Acheter bio, c’est une chose. Mais, pour faire de votre aliment un outil formidable de développement humain, économique et environnemental, il convient que cet achat concerne des produits locaux, des produits proches des hommes, dont la culture aura un impact positif sur leur lieu et leurs conditions de vie. » Et vingt après, notre position n’a pas changé. C’est dans l’ADN de Nature & Progrès de revendiquer que nos aliments aient un visage ! Les initiatives de regroupement en circuit-court qui essaiment, ces dernières années, soufflent un vent d’espoir et montrent que notre message est porteur. Il est d’ailleurs marquant de voir que ce sont toujours des producteurs bio de Nature & Progrès qui en sont les figures de proue.

Mais finalement, notre modèle alimentaire a peu évolué depuis l’après-guerre. Il suffit de déambuler dans les allées des grandes surfaces, qui restent le canal principal d’achat du bio – 39% des parts de marché en 2019 -, pour voir que le changement tant attendu ne s’est pas réellement opéré. Si les productions bio wallonnes gagnent du terrain dans les étalages, celles-ci restent anonymes. Certes, des visages, on nous en sert : ceux des mannequins qui posent en salopette, fourche à la main, sur des affichages publicitaires trompeurs. Qu’on se le dise, dans les grandes surfaces, les aliments n’ont pas de visage.  La situation reste donc majoritairement la même : le maillon central de l’alimentation, c’est le distributeur – ou la structure de transformation qui le fournit. Le consommateur et le producteur sont réduits au rang d’outils financiers. L’aliment, un objet de spéculation comme un autre ? Pour Nature & Progrès, c’est non. Un grand non !

À la suite de la crise du lait, des producteurs bio belges se sont regroupés pour valoriser les productions locales, auprès des grandes surfaces. Comme la coopérative Biomilk, dont on retrouve le lait dans les rayons de Delhaize. Au départ, la brique mettait clairement en avant la présence de la coopérative. Lors de la révision du packaging bio, Delhaize en a profité pour lisser le visuel, et le logo « Bioptimist » a supplanté celui de Biomilk – saurez-vous repérer la marque Biomilk sur l’emballage ci-dessus ? -, permettant ainsi au distributeur de garder la main mise sur le packaging. Le producteur est déshumanisé et son produit vendu sous une marque de l’enseigne, qui reste maître de la commercialisation, du marketing, et surtout de la négociation des prix. Biomilk devient ainsi plus facilement interchangeable avec un autre groupement, déséquilibrant les négociations à la défaveur de la coopérative.

Un œil dans le rétroviseur : 1999 et la crise de la dioxine en Belgique

Les dioxines, ce sont des molécules organochlorées, des polluants organiques persistants dans l’environnement et qui ont la réputation d’être dangereuses pour la santé. Pourquoi ? Déjà parce que l’Homme est un bio-accumulateur de ces molécules car il est en bout de chaîne alimentaire et incapable de les éliminer de son organisme. Ensuite parce que ces molécules se transmettent de la mère au fœtus ou, via l’allaitement, au jeune enfant. Nous vous laissons ouvrir vos encyclopédies pour en savoir plus sur leurs origines dans notre environnement. Sachez seulement que des études considèrent que certains types de dioxines sont hautement toxiques, en agissant au niveau du développement, du système immunitaire, des hormones… Et qu’elles peuvent également causer des cancers…

On constate, début 1999, que des aliments pour animaux – monogastriques en l’occurrence, donc poulets et porcs -, produits en Belgique, sont contaminés à des doses hors normes de dioxines, via des graisses minérales qui n’auraient pas dû se retrouver là où elles se trouvent. Ces dioxines sont détectées dans les œufs et la viande conventionnelles qui sont consommés. Mais voilà, dans un monde où les filières alimentaires sont de plus en plus compliquées, remonter à la source de la fraude devient un incroyable casse-tête !  Pour en savoir plus, nous vous conseillons de lire l’article du journal Le Soir : La crise qui empoisonna la Belgique, disponible en ligne.

La déconnexion des différents maillons de la chaîne fait qu’au final le producteur n’est plus maître de l’alimentation qu’il donne à ses animaux. Un cas isolé ? Pas vraiment ! La mondialisation et la capitalisation de notre alimentation rend les contrôles toujours plus ardus. La responsabilité de chacun est diluée au nom de la productivité et de la libre concurrence. Pour preuve : on voit revenir la manipulation de l’alimentation par des acteurs industriels qui, à coups de lobbying puissant au niveau européen, tentent de libéraliser la diffusion des OGM dans l’agriculture et donc dans notre alimentation. Pour plus d’information, voir notre brochure intitulée La problématique des nouveaux OGM – disponible sur www.natpro.be – ou relire le dossier de votre précédent numéro de Valériane.

Au-delà du scandale politique et économique que la crise de la dioxine provoqua, c’est la confiance des consommateurs dans le système alimentaire qui fut durablement mise à mal. Heureusement pour l’industrie, l’humain a la mémoire courte. C’est pourquoi Nature & Progrès est là pour vous rappeler que consommer est un acte politique ! Et si nous accordions plus d’importance aux artisans de notre alimentation ?

Réaffirmons que nos aliments ont un visage !

En rapprochant producteurs et consommateurs, nous sommes en mesure de garantir une bio locale et éthique, qui repose sur une relation de confiance. Connaître l’humain qui se cache derrière ce que nous consommons en est l’essence même. L’aliment fait le lien, tel un contrat tacite mais essentiel, entre celui qui le produit et celui qui le consomme. Il est l’engagement du producteur à procurer une alimentation de qualité, tout en respectant l’environnement et la santé. Il est l’engagement du consommateur à soutenir cette philosophie de production. Il est le garant de la confiance du citoyen envers les agriculteurs et les transformateurs qu’il soutient, mais aussi de la qualité de vie de tous ceux qui font que, du champ à l’assiette, l’aliment est !

Dans la nécessité de maintenir les valeurs du bio face au développement important du secteur, il devient de plus en plus limpide que les producteurs bio de Nature & Progrès apportent des solutions. C’est pourquoi chaque jour, nous défendons leurs valeurs qui sont aussi les vôtres ! (Re)découvrez donc les producteurs bio de Nature & Progrèswww.producteursbio-natpro.be – qui vous proposent viandes, fromages, charcuteries, fruits et légumes de saison, farines, biscuits, bières… Toute une variété de produits dont ils maîtrisent la culture et la transformation, en toute transparence.

Les choses ont évolué en vingt ans ! les producteurs bio de Nature & Progrès ont développé leurs magasins et les surfaces agricoles bio ne cessent de croître. Il faut s’en réjouir ! Tout en restant attentifs aux fondamentaux. La croissance des marchés doit se faire en respectant les valeurs du lien entre production et consommation. Nature & Progrès est là pour le rappeler et pour réaffirmer les convictions défendues depuis ses débuts : « Mes aliments ont un visage » ! Nous connaissons tous le nom de l’auteur du dernier livre que nous avons acheté. Nous connaissons le nom de nos animateurs télé et radio favoris. Celui de notre coiffeur, nous le connaissons évidemment parfaitement. Alors comment ne pas connaître celui des hommes et des femmes qui se cachent derrière notre alimentation ?

Soyez attentifs, durant toute cette année, aux messages qu’ils auront à vous faire passer. Ouvrez l’œil, et le bon. Pour voir s’épanouir les visages de vos producteurs bio !

Pour réduire les inégalités, la folle idée d’une « sécurité sociale de l’alimentation »

Le “monde d’après”, beaucoup en rêvent. Un monde plus juste, respectueux des écosystèmes, moins compétitif, relocalisé, démocratique, soutenable… Une utopie, quoi ! Nous sommes habitués à penser qu’il est essentiel de visualiser un autre monde pour qu’il nous attire à lui comme un aimant. Ce mois-ci, à partir du constat des inégalités d’accès à une alimentation saine et durable pour tous, nous abordons une véritable « utopie » alimentaire, une idée un peu folle, et pourtant une idée qui mérite d’être connue, approfondie, débattue. Au sein de Nature & Progrès aussi ?

Par Guillaume Lohest

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Introduction

On trouvera peu de monde, aujourd’hui, pour défendre une alimentation industrielle et importée, à base de produits gras, sucrés et transformés. Il existe un très fort consensus sociétal autour des aspects de santé liés à l’alimentation, tandis qu’en matière d’environnement, l’ensemble des acteurs politiques reprend le refrain du local, durable, de saison. Pourtant, malgré ces évidences relativement partagées, tout le monde n’a pas une nourriture saine dans son assiette. Nous sommes (très) loin d’être égaux en matière d’alimentation.

Trop cher ?

Pourquoi ? Le premier cliché qui vient à l’esprit, le plus tenace, c’est celui du prix. Les produits locaux, artisanaux, biologiques, équitables sont en moyenne plus chers que leurs équivalents industriels, conventionnels et… inéquitables – nous reviendrons sur cet adjectif. L’explication serait donc à chercher de ce côté-là. Faudrait-il donc que les prix de ces « bons » aliments baissent ?

Nous savons qu’il faut répondre non à cette question, parce que la réalité est inverse : c’est l’alimentation industrielle et importée qui coûte trop peu cher, parce qu’elle repose sur un modèle agricole et commercial qui favorise l’exploitation dans les deux sens du terme, celle des sols et des ressources, et/ou celle des êtres humains – travailleurs sous-payés ou clandestins, coûts de production non couverts par le prix d’achat, etc. On sait d’ailleurs que la part consacrée à l’alimentation dans le budget des ménages n’a cessé de diminuer au fil des décennies.

Un système low-cost

Si elle est si bon marché dans les rayons, c’est parce que cette nourriture est produite en quantité, souvent au détriment de la qualité, et qu’elle est en outre massivement subventionnée, entre autres via la Politique Agricole Commune (PAC) de l’Union européenne – voir en page 43. Dans bon nombre de cas, il serait impossible pour les agriculteurs de survivre sans ces aides européennes… ce qui montre bien que la nourriture qu’ils produisent ne leur est pas achetée assez cher ! Ce système industriel et agricole dominant, Olivier De Schutter l’appelle l’alimentation low-cost. « Dans ce système, les aliments ultra-transformés à forte densité énergétique (gras/salés, gras/ sucrés) sont ceux qui coûtent le moins cher. Résultat, les populations les plus pauvres achètent pour un faible coût des aliments de mauvaise qualité nutritionnelle et à forte densité énergétique. Ces aliments favorisent à la fois les carences en vitamines et minéraux, et l’obésité » (1).

Diminuer les prix des aliments locaux, biologiques et de saison pour les rendre encore plus low-cost est donc une voie impossible. Non seulement parce que cela ne pourrait se faire qu’au détriment des producteurs dont la majorité peine déjà à trouver un équilibre financier, mais aussi parce que le prix n’est sans doute pas l’élément décisif en matière de changement d’habitudes alimentaires !

Les dimensions sociales et culturelles de l’alimentation

Dans son Livre Blanc « Pour un accès de tous à une alimentation de qualité » (2), Solidaris a identifié cinq déterminants sur lesquels il est indispensable d’agir pour réduire les inégalités alimentaires. Le prix n’est donc qu’un élément parmi d’autres ! Outre l’accessibilité pratique – localisation, transports, etc. -, les obstacles sont aussi à chercher dans l’accès à l’information, ainsi que dans l’imaginaire culturel et dans les dimensions psycho-sociales de notre rapport à la nourriture.

Autrement dit, on choisit surtout de manger ce qu’on mange – et de nourrir nos proches de telle ou telle façon – parce que cela répond à des normes ou à des représentations qui sont profondément inscrites en nous. À prix équivalent, nous cuisinons rarement ce qui est objectivement meilleur pour notre santé ou plus respectueux des écosystèmes : nous choisirons une nourriture qui correspond à ce que nous estimons qu’elle doit être, selon un équilibre subtil qui vient peut-être un peu de notre volonté et de nos valeurs, mais aussi et surtout de nos goûts, de nos représentations, de nos compétences et de nos habitudes. Par exemple, à certains moments de l’année, les fruits et légumes de saison sont disponibles en quantité et à des prix abordables, et tout le monde connaît l’adage « cinq fruits et légumes par jour ». Pour autant, très rares sont les ménages dont l’alimentation repose sur le socle de base des fruits et légumes de saison. Car le prix et l’information rationnelle ne sont pas tout. Nous ne sommes pas des machines : nous sommes aussi des estomacs, des papilles gustatives, des souvenirs, des hôtes, de bons ou de piètres cuisiniers, etc. Et tout cela joue !

Les inégalités alimentaires tiennent donc aussi, pour une large part, à des déterminants socio-culturels. Une importante étude sociologique de 2009 avait identifié quatre types de comportements alimentaires liés aux catégories sociales – voir figure ci-contre. Ces comportements sont des héritages culturels remontant parfois à des époques anciennes, ils sont fortement ancrés dans les habitudes. C’est donc aussi sur ce plan-là que les milieux sociaux ne sont pas égaux : les milieux aisés ont tendance à adopter rapidement de nouvelles normes et à s’en considérer comme les dépositaires. Autrement dit, à vouloir diffuser la « bonne parole alimentaire » assimilée aujourd’hui à une consommation locale, bio et de saison. Les milieux populaires sont divisés entre des attitudes volontaires d’intégration de ces normes, et des postures de rejet, de revendication d’autres valeurs.

Dès l’enfance

Cela se traduit notamment dans l’éducation alimentaire des enfants. « Dans les catégories aisées, bien nourrir son enfant relève d’une démarche éducative et d’une conception “pédagogique”, structurée par un ensemble de règles et de principes vigoureusement affirmés. Les mères, qui disposent des conditions sociales nécessaires (revenus, temps disponible, niveau de scolarisation élevé), s’investissent fortement dans ce qu’elles conçoivent comme une éducation alimentaire, pour elles une priorité, et s’y donnent précocement un rôle » (3). Les schémas de pensée dans les milieux populaires sont souvent différents – et il n’y a pas à juger cela moralement puisqu’il s’agit d’un héritage social, déterminé largement par une persistance d’inégalités au long cours. « Dans les catégories modestes, la priorité est qu’ils mangent, et qu’ils mangent ce qui leur plaît : l’honneur tient au fait de pouvoir nourrir ses enfants soi-même. Le goût des aliments à prétention diététique comme les légumes, perçus comme austères par les mères, leur viendra peut-être plus tard, avec le temps, mais ne constitue pas un enjeu. Opulence alimentaire et satisfaction des préférences enfantines – qui s’observent par exemple dans le fait que plusieurs mères vont jusqu’à proposer quatre plats différents à table – sont objet de fierté, car ils sont à la fois réaction à la peur du manque et signe d’abondance, persistance de très anciennes représentations s’expliquant par « la peur fondamentale de manquer »  » (4) Stigmatiser les milieux populaires sur base de critères moraux n’a ainsi pas davantage de sens que d’en appeler à la loi du marché ou à des signaux-prix pour inverser les tendances de consommation. On touche ici à des dimensions sociologiques et psychologiques plus profondes.

Que faire, dans l’immédiat ?

Cela ne signifie pas qu’il n’y a rien à faire. Prix, normes, représentations, information, éducation : tous ces éléments jouent. Il y a donc lieu d’agir sur tous les plans, sans considérer aucune voie comme la panacée. Un exemple concret concerne le débat sur l’alimentation bio dans les supermarchés, qui agite le secteur bio depuis… des décennies. Est-ce vendre son âme au diable, ou au contraire influencer les grands acteurs en les forçant à intégrer de nouvelles normes ? Aucune réponse tranchée n’est possible. Comme le résume Olivier De Schutter, la tension doit subsister : « La très grande majorité de la population continue d’aller dans des supermarchés classiques, on doit donc encourager davantage de produits bio et locaux sur les rayons des supermarchés – mais cela doit être à condition d’un suivi rigoureux et d’une remise à plat des rapports avec les producteurs, afin qu’ils bénéficient d’une rémunération équitable » (5). Pas question donc, pour lui, de miser sur la stratégie de l’abaissement des prix pour attirer les consommateurs vers les produits jugés qualitativement meilleurs. « On pense souvent que le low-cost serait une solution parce qu’on a des familles en pauvreté qui ne peuvent faire autrement que de s’approvisionner à travers ces filières. Mais c’est une impasse. La malbouffe affecte notamment les plus précaires, qui ont les indices de surpoids et d’obésité les plus importants. Ce n’est pas inévitable. Cuisiner chez soi des produits frais et de saison, en réduisant la consommation de viande, n’est pas spécialement cher. Mais ça demande une organisation, et c’est parfois difficile pour des ménages qui ont des longues navettes ou n’ont qu’un accès difficile à des produits de qualité. En outre, l’alimentation low-cost ne peut pas être un substitut à une protection sociale digne de ce nom. Il faut, par un relèvement des salaires minima et des allocations sociales, que des régimes alimentaires sains soient abordables pour tous » (6).

Une idée folle… ou la seule pertinente ?

Pour modifier durablement les comportements alimentaires, il faudrait donc agir sur tous les fronts à la fois. Impossible ? Peut-être pas. Durant le premier confinement lié à la pandémie de Covid-19, une tribune parue sur le média Reporterre a ravivé une idée très audacieuse, qui avait déjà fait de timides apparitions dans le débat public par le passé : celle d’une sécurité sociale de l’alimentation. Hein ? Quoi ? Eh bien oui, aussi fou et étrange que cela puisse paraître, cette proposition n’est pas dénuée de sens. Il suffit de réaliser un parallèle avec les soins de santé pour percevoir toute sa pertinence. Aujourd’hui, près de trois quarts des dépenses médicales des Français sont prises en charge par la sécurité sociale. « En 1945, dans une économie pourtant exsangue, des hommes et des femmes engagés pour des « jours heureux » ont pensé un monde où toutes et tous pourraient se soigner sans distinction de classe. Ils ont bâti et défendu la sécurité sociale. À la place des politiques de réduction des inégalités ou des logiques de charité discrétionnaire chères aux libéraux, ils ont créé du droit, à partir d’un système universel. Quelques décennies plus tard, revendiquons le même engagement pour l’alimentation : que le droit soit le socle de toutes les politiques alimentaires et agricoles à venir » (7). L’idée d’une sécurité sociale alimentaire, telle que développée au départ par un groupe thématique de l’association française Ingénieurs sans Frontières, peut être résumée de la manière suivante : allouer cent cinquante euros par mois par personne pour l’alimentation, utilisables uniquement auprès d’acteurs du marché alimentaire « conventionnés » – comme aujourd’hui on parle de médecins conventionnés. Les signataires de la tribune dans Reporterre ajoutent : « Cent cinquante euros par mois vont permettre durablement aux ménages les plus précaires un bien meilleur accès à une alimentation choisie, de qualité. Une sécurité sociale de l’alimentation obligera les professionnels.les de l’agriculture et de l’agroalimentaire, s’ils veulent accéder à ce « marché », à une production alimentaire conforme aux attentes des citoyens.nes » (8).

Oui mais… D’où viendraient les milliards d’euros nécessaires à un tel projet ? La proposition, là encore, suit le parallèle avec la sécurité sociale actuelle : « L’analogie avec la sécurité sociale nous a menés sur l’idée historique d’une cotisation. Cette option est cohérente avec notre volonté d’avoir des caisses de sécurité sociale gérées de manière démocratique, là où un financement par l’impôt risquerait d’induire une gestion centralisatrice par l’État. Une première option à étudier serait une cotisation supplémentaire qui serait prélevée sur le salaire ou revenu brut. Ceci impliquerait une baisse du salaire ou du revenu net, plus ou moins compensée par le versement de 150 euros par mois à dépenser uniquement pour une alimentation conventionnée » (9).

Vers une démocratie alimentaire

Quel intérêt, alors, si c’est pour recevoir d’une main ce qu’on donne de l’autre ? Tout d’abord, cette cotisation serait évidemment proportionnelle aux revenus. Cela signifie que la question des inégalités serait attaquée de front, suivant l’adage : chacun contribue selon ses capacités et reçoit selon ses besoins. Pour faire simple : certains contribueraient au pot commun davantage qu’ils n’en bénéficieraient. Autre intérêt à cette idée : le « conventionnement » des acteurs alimentaires reposerait sur un débat démocratique, une cogestion par des représentants des mangeurs et des producteurs. Cela signifierait une sortie partielle de la pure logique de marché. Les acteurs souhaitant pouvoir vendre à l’intérieur de ce système solidaire devraient se plier aux choix démocratiques de la population. Au passage, on retrouve là, généralisé et renforcé, un fonctionnement participatif qui ressemble au système participatif de garantie (SPG) cher à Nature & Progrès.

Bien sûr, il s’agit encore d’une utopie. De très nombreuses questions pratiques se posent, sur le fonctionnement concret d’un tel système et surtout sur la transition, pour les acteurs du système actuel, vers ce système alimentaire partiellement « socialisé ». Notez que le groupe de travail à l’origine de cette proposition est allé très loin déjà dans les implications pratiques possibles (10). Il y a là, à n’en pas douter, un formidable vivier de réflexions pour les associations d’éducation permanente qui font de l’alimentation une thématique centrale. « Il n’est pas possible de dire que les initiatives qui s’occupent aujourd’hui de construire une démocratie alimentaire, un accès de tous à une alimentation de qualité, sont « nombreuses ». Mais elles existent. (…) Faire vivre ce projet de sécurité sociale de l’alimentation, c’est se donner l’objectif de mettre en avant et de généraliser ce type d’initiatives, bien plus à même de répondre aux enjeux agricoles et alimentaires que les injonctions à la “consomm’action” ou les discours des grandes surfaces promettant « une agriculture bio accessible à tous« . C’est lutter contre l’idée que la responsabilisation individuelle par l’éducation serait suffisante pour répondre aux enjeux agricoles et alimentaires, quand bien même elle est nécessaire (11).

Notes

(1) « Alimentation et inégalités sociales de santé : l’accès à une alimentation de qualité en question.« , par Martin Biernaux, chargé de projets au service Promotion de la santé de Solidaris – Mutualité socialiste, FIAN Belgium, www.fian.be

(2) Livre blanc « Pour un accès de tous à une alimentation de qualité« , Solidaris, 2014. Voir livre-blanc-alimentation-version-telechargeable.pdf (alimentationdequalite.be).

(3-4) Régnier, Faustine, et Ana Masullo. « Obésité, goûts et consommation [*]. Intégration des normes d’alimentation et appartenance sociale« , Revue française de sociologie, vol. 50, n°. 4, 2009, pp. 747-773.

(5-6) Olivier De Schutter, « On doit replacer l’alimentation au centre de nos existences« , propos recueillis par Frédéric Rohart dans L’Écho, 14 décembre 2020.

(7-8) « Créons une sécurité sociale de l’alimentation pour enrayer la faim« , tribune dans Reporterre, 25 mai 2020.

(9) Pour une sécurité sociale de l’alimentation, Ingénieurs sans frontières (isf-france.org)

(10) « Le groupe thématique Agricultures et Souveraineté Alimentaire d’Ingénieur.e.s sans frontières (ISF) regroupe des citoyen.ne.s œuvrant pour la réalisation de la souveraineté alimentaire et des modèles agricoles respectueux des équilibres socio-territoriaux et écologiques. »

(11) Pour une sécurité sociale de l’alimentation, Ingénieurs sans frontières (isf-france.org)

La cohérence dans l’assiette, bien plus qu’un Challenge !

Le Veggie Challenge est un de ces nouveaux défis alimentaires qui s’est déroulé pendant tout le mois de mars. Il visait à « améliorer le monde » en « faisant la différence pour l’environnement et en sauvant des vies animales« , en mangeant « de la nourriture plus saine, plus savoureuse et plus écologique« . Quelques mises au point manifestement s’imposent…

Par Sylvie La Spina 

D’après les chiffres avancés par les organisateurs, chaque personne se passant de viande permet d’économiser mille litres d’eau et six cent trente-trois grammes d’émission de CO2 par jour. Plus de vingt mille personnes auraient participé au Challenge en Belgique…

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Un Veggie Challenge… totalement hors-sol !

Une première observation qui mettra d’emblée de mauvaise humeur les éleveurs, les agronomes et bon nombre de citoyens éclairés : les chiffres sur la consommation d’eau ! Les mouvements végans ne peuvent s’empêcher de compter, dans l’eau d’abreuvement des animaux, les pluies qui tombent sur les prairies et les cultures servant à alimenter le bétail, ce qui a pour avantage d’attirer l’attention, tant le chiffre est exorbitant. Mais personne ne réfléchira à sa cohérence, le citoyen ayant l’habitude – et c’est bien malheureux ! – de prendre pour argent comptant les propos de ces mouvements. Même les pouvoir publics ou politiques subsidiant ou soutenant le Veggie Challenge semblent n’y voir que du feu.

Parcourons le site Internet de l’organisation et découvrons les nombreuses idées de recettes inspirantes qui permettent de se passer de viande, de produits laitiers et d’œufs. Pour donner à tous l’envie de changer son alimentation – et pour ne pas entendre râler les enfants -, il s’agit d’être innovant, en jonglant avec la gamme de produits végétaux disponibles. Mais nous voici en plein mois de mars : le potager est quasiment vide, comme les réserves de nos maraîchers et arboriculteurs… Ce n’est pas un souci pour les organisateurs qui proposent des menus à base de tomates cerises, de courgettes, de concombres, de fruits rouges et d’autres délices typiquement d’été. Eh bien quoi ? Rien d’anormal : ils sont disponibles chez Colruyt, sponsor du Veggie Challenge ! Venant de loin, cultivés dans des serres à ambiance tropicale, tandis que tombent les derniers flocons de l’hiver… Vous avez dit écologique ?

Une bonne moitié des recettes comporte l’utilisation de substituts : faux fromage, faux poulet, faux haché… Un exemple parlant : les Sensational Saucisses Garden Gourmet. Selon le site du fournisseur : « une saucisse à base de plantes qui a le même aspect, le même parfum, la même saveur et qui se cuit de la même manière qu’une saucisse à base de viande« . Et pour cause, les chimistes de Nestlé sont sur le coup ! Les ingrédients ? De l’eau, des protéines de soja, des huiles végétales, des épices, du méthylcellulose mais aussi du boyau végan composé d’alginate de sodium – utilisé comme substitut de sperme dans les films pornos – miam, miam… -, du chloride de calcium, de l’amidon de tapioca… Un cocktail industriel mûrement réfléchi, ce qui explique sans doute son coût – vingt-deux euros le kilo – à côté des saucisses bio pure viande – quinze euros le kilo chez le même fournisseur… Bref, si l’objectif de cette action était sans doute louable, elle manque cruellement de cohérence. Et si nous pensions notre assiette autrement ?

Moins mais mieux

Il est vrai que nous avons eu tendance, ces dernières décennies, à consommer beaucoup – sans doute beaucoup trop – de produits animaux. Et si nous en consommions moins mais mieux ?

  1. Un élevage écologique et respectueux du bien-être animal

Quelle est votre vision de l’élevage idéal ? Pour moi, les animaux doivent être élevés à l’extérieur et non confinés dans des bâtiments. Le coronavirus nous montre, en pratique, l’impact du confinement sur le bien-être, la santé et la psychologie. C’est pareil pour les animaux ! Une vache ou un mouton doivent manger de l’herbe en prairie, un cochon doit avoir l’occasion de fouir, et une poule de gratter la terre. L’alimentation doit être bio, régionale et bien entendu sans OGM. C’est justement ce que proposent les producteurs bio et notamment ceux qui sont labellisés Nature & Progrès.

Cependant, vous pouvez aussi décider d’élever, par vous-mêmes, quelques animaux pour votre propre consommation. C’est une activité enrichissante qui permet de mieux comprendre les réalités rencontrées par les éleveurs professionnels, un peu comme le jardinier qui appréhende mieux la valeur des légumes et le travail d’un maraîcher qu’un citoyen lambda qui va les acheter en grande surface… Quelques poules pour les œufs, deux chèvres pour le lait ou encore quelques poulets, moutons et cochons pour la fourniture occasionnelle en viande. Avec une consommation raisonnable, pour un ménage, une dizaine de poulets par an sont largement suffisants ; un mouton et un cochon tous les deux ans, par exemple, le sont également.

Si l’élevage pour la consommation personnelle présente peu de difficultés en soi, c’est au niveau de l’abattage que tout se complique. Il faut d’abord avoir franchi le cap psychologique de décider d’ôter la vie à son animal afin de s’en nourrir. C’est tellement plus facile de déléguer cette étape aux abattoirs lorsqu’on achète de la viande déjà découpée… Se réapproprier ce geste demande un cheminement mais aussi un savoir-faire qui s’est presque perdu. L’abattage d’animaux pour sa propre consommation est autorisé pourvu que la mise à mort respecte certaines règles relatives au bien-être animal, comme l’obligation d’un étourdissement. Les gestes à appliquer sont précis. Comment remettre en avant ce savoir-faire ? N’y a-t-il pas là matière à études et à actions ?

  1. Substituer, mais avec des produits artisanaux et de saison

Réduire sa consommation de produits animaux est sain. Mais sachons rester cohérents, en évitant les substituts industriels ou les produits issus de l’autre bout de la planète. Car c’est bien là que se situe l’incohérence de la grande majorité des mouvements à idéologie végane ! Enormément de fruits et légumes poussent sous nos climats – même des pêches et des kiwis, en serre non chauffée, près de la Baraque Fraiture ! – et de nouvelles cultures de quinoa, lentilles et autres petites graines viennent aujourd’hui compléter les menus locaux. Comme dit plus haut, la fin de l’hiver est la période la plus difficile pour se procurer des fruits et légumes frais. Cependant, en plus d’innover dans les recettes à base de légumes d’hiver, il n’y a pas de plus grand de plaisir que celui d’ouvrir un bocal de bons légumes d’été. Nos ancêtres le savaient davantage que notre société moderne : c’est en été que l’on prépare l’hiver !

Avec Nature & Progrès, allons plus loin !

Pour Nature & Progrès, une sensibilisation à la réduction de la consommation de produits animaux doit comporter, en premier lieu, une réflexion sur le choix de l’élevage qui nous nourrit, sur l’éleveur et sa philosophie, sur sa manière de conduire son troupeau et d’alimenter ses animaux, sur son degré d’autonomie en production et en transformation.

Redécouvrons aussi le métier de la boucherie : bien plus que la découpe de la viande et sa préparation avec des additifs, nos bouchers artisanaux utilisent un réel savoir-faire qui permet de mieux comprendre ce qui fait une viande de qualité. N’œuvrons pas contre la viande mais œuvrons pour la bonne viande ! Visitons des cultivateurs bio qui se lancent dans des productions innovantes, petites graines, légumineuses et compagnie ! Initions les citoyens à la réappropriation de leur alimentation par le jardinage, l’élevage et la conservation des fruits et légumes pour préparer l’hiver. Ensemble, relevons le défi d’une assiette bio, locale, écologique et cohérente !

D’une manière générale, nous nous permettrons de renvoyer le lecteur à notre étude, publiée en 2019, intitulée : La juste place de l’animal dans notre monde – Réinventer le contrat domestique. Nous y montrons que, si le refus de l’industrialisation de la nourriture semble légitime et cohérent, une trop grande radicalité dans notre bienveillance vis-à-vis du monde animal est de nature à produire des effets indésirables. « Notre tentative de dialogue avec le monde végan, concluions-nous alors, au lieu de rechercher une juste place pour l’animal dans le monde, ne gagnerait-elle pas à trouver plutôt celle de l’homme, ce pâle démiurge toujours trop prompt à se poser, oscillant sans arrêt entre l’ornière de droite et celle de gauche, tantôt en prédateur effroyable et tantôt en sauveur magnanime ?« 

Repartir de plus belle ?

Les beaux jours qui reviennent et la pression populaire croissante vont certainement amener nos autorités à « lâcher du lest », même si le maudit virus qui nous gâche la vie ne se satisfera sans doute pas d’une seule année de crise. L’occasion de faire un premier bilan de ce qu’il nous a déjà coûté. Et de ce qu’il risque bien de nous coûter encore…

Par Dominique Parizel

nouveaux ogm non à la déréglementation
Introduction

L’histoire de la Covid-19 restera avant tout une question de points de vue. Chacun d’entre nous l’aura vécue, tant bien que mal, mais chacun racontera une expérience différente, allant de la longue période de tranquillité et de méditation au désastre absolu, tant sur le plan humain que professionnel. C’est très simple : dans ma rue, ma voisine de gauche a quitté son homme, celle d’en face déménage et celle de droite… est morte, mais d’autre chose que de Sars-Cov-2 ! Raconter la pandémie sera donc extrêmement aléatoire et en tirer des enseignements pour l’avenir le sera plus encore. Ce que produira la somme de toutes ces tranches de vie, en matière de réalités quotidiennes qui la changent – la vie ! -, demeure dès lors très incertain, même si quelques tendances lourdes semblent pourtant se dessiner. Nous allons tenter l’exercice, non pas pour énoncer l’une ou l’autre vérité d’évangile qui se prétendrait universelle mais dans le seul souci d’aider chacun d’entre nous à mieux évaluer ce qu’il advient de sa propre existence, de sa propre relation au vaste univers. Juste la spéculation d’un esprit par trop confiné peut-être, la rumination d’une vache à l’étable qui attend l’arrivée du printemps et le bel horizon des prés reverdis. Merci d’avance pour votre indulgence…

1. Paysage après (avant) la tempête

La grippe espagnole fit ses premiers morts en septembre 1918. Le dernier cas fut signalé en… juillet 1921. On lui attribue entre vingt et cinquante millions de morts. Plus d’un quart de la population mondiale aurait été infectée. Le lien entre mortalité et pauvreté fut alors clairement établi. Aucun vaccin ne fut utilisé car si le vaccin contre la variole, par exemple, existait déjà, la mise au point de la majorité des autres fut largement postérieure. Les premiers vaccinés contre la grippe furent ainsi les soldats américains qui combattirent, en Europe, à partir de 1944…

Plus il circule, et plus il mute !

Mi-mars 2021, après une année complète dans nos vies, « notre » Covid-19 avait fait officiellement deux millions six cent mille morts, à travers le monde, pour une centaine de millions de cas. Dont un cinquième pour les seuls Etats-Unis, et un dixième pour le seul Brésil… Bien sûr, les chiffres donnés par de nombreux pays semblent très partiels. En Russie, par exemple, le nombre de morts « anormales », entre 2019 et 2020, dépasse de très loin le nombre des décès attribués au virus. Nulle machination à cela mais le simple fait que la Covid-19 fut rarement diagnostiquée comme telle dans les coins reculés de cette vaste étendue… Chez nous, passé la deuxième vague, les chiffres se sont stabilisés sur un « plateau » relativement élevé, comme si une course de vitesse était engagée entre les effets de la vaccination massive et l’installation progressive, dans nos régions, des nouveaux variants plus contagieux du virus, venus d’Angleterre, d’Afrique du Sud et d’ailleurs. Si un virus n’est pas, à proprement parler, un être vivant, ce n’en est pas moins une entité biologique très opportuniste qui se modifie rapidement afin de s’installer et de se multiplier dans les milieux qui lui sont les plus favorables. Il est très probable que la vitesse de circulation d’un virus – c’est-à-dire la rapidité avec laquelle les humains se le repassent des uns aux autres – favorise ces mutations. Ainsi, le « variant britannique » – sans doute 60% plus contagieux que la souche originelle du virus – est-il probablement déjà, lois de Darwin obligent, très majoritaire en Belgique.

Redoutant l’arrivée d’autres variants – dont le « variant sud-africain » – de Sars-Cov-2, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) s’inquiète à présent de l’apparition d’un « variant amazonien » qui aurait surgi au fin fond du Brésil, un pays dont les autorités furent particulièrement négligentes en matière de prévention et de gestes barrière. Les scientifiques se pressent donc à Manaus, au cœur de la grande forêt équatoriale, où le séquençage du variant est en cours afin de mieux en connaître la dangerosité exacte. On s’interrogera ensuite pour savoir où il s’est éventuellement répandu… Mais peut-être le cas de cette mutation se révélera-t-il indolore, anecdotique. Il n’en demeure pas moins que la plus grande crainte réside aujourd’hui dans le fait que l’un ou l’autre de ces nouveaux variants puisse échapper au « contrôle » vaccinal, que les anticorps produits par les vaccins qui nous sont administrés s’avèrent soudain défaillants face à la nouvelle forme qu’aurait prise Sars-Cov-2. Auquel cas, nous pourrions être repartis pour un tour de carrousel, avec la mise au point de nouveaux vaccins adaptés à la mutation et l’organisation de nouvelles tournées générales de piqûres, avec tous les dégâts collatéraux qu’occasionneraient d' »enièmes » prolongations de la crise. Mais jusqu’à quand ?

Dans ce contexte, le gros doigt fait par l’Europe pour nous mettre en garde contre l’interdiction des voyages « non-essentiels » apparaît comme très inopportune. Car freiner au maximum la circulation du virus – comprenez : le fait que des humains le transportent avec eux quand ils se déplacent – offre évidemment, en retardant leur contamination, une protection sanitaire accrue des populations, mais donne surtout au virus moins d’opportunités de muter rapidement. Or les gadgets de type Passeport vaccinal qu’elle souhaite mettre en place – outre qu’ils constituent probablement une atteinte à nos libertés, nous y reviendrons – ne garantissent rien qui soit suffisamment hermétique aux variants venus d’ailleurs. La seule attitude appropriée est donc de rester sur place, le temps que ça passe, tout simplement ! Voilà déjà une chose à méditer pour mieux endiguer les pandémies du futur. D’une manière plus générale, il est sans doute urgent de mettre des limites au « bougisme » (1) et, par conséquent, aux effets de la mondialisation. Gens et marchandises ne voyagent jamais seuls…

Des horizons qui se bouchent et se rebouchent

Le mot « récession » n’ayant pas cours dans le merveilleux vocabulaire du dogme « croissanciste », nous avons appris, début mars, que notre pays avait subi une « croissance négative » de 6,3% de son PIB (Produit Intérieur Brut) – c’est-à-dire de l’ensemble des « richesses » produites par le pays en un an -, entre 2019 et 2020. En fait de « richesses », tout fait farine au bon moulin, exportations d’armes et de patates à chips y compris… Ce chiffre n’est finalement pas aussi terrible que nous avions pu l’imaginer, alors que certains nous annonçaient allègrement le double, au plus fort de la première vague… Reste que ce n’est quand même pas rien, juste ce qui nous est arrivé de pire depuis la guerre ! Et, pour la seule branche « arts, spectacles et activités récréatives », la chute approche carrément les 20%, ce qui est sans doute une indication plus fiable quant à l’état réel de notre moral. C’est dire surtout à quel point certains d’entre nous souffrent beaucoup plus que d’autres… Autre indicateur de l’état véritable de notre santé mentale – même si, contrairement à ce qui fut parfois suggéré, le nombre des suicides reste constant (2) -, la crainte d’un baby-crash généralisé semble sérieuse (3). En janvier 2021, en France, le nombre de naissances a chuté de 13 % par rapport à janvier 2020, a révélé l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques), le 25 février. Peut-être n’est-ce là qu’un effet conjoncturel lié à la crise, dirons certains, plus qu’un effet générationnel qui refléterait une volonté profonde de faire moins d’enfants… « La perte d’un emploi ou la peur du chômage peut avoir une grosse influence sur la décision de fonder ou d’agrandir sa famille« , explique ainsi la démographe Eva Beaujouan, même si, pour certains autres couples, le contexte mondial est devenu si sombre que l’idée même d’y faire des petits est d’emblée écartée. Il y a vingt ans déjà, dans son livre intitulé Résister au bougisme, Pierre-André Taguieff notait déjà ce passage, cette transition, d’une « religion du progrès » – cet avenir auquel nous pouvions tranquillement nous abandonner – à une inquiétude qu’il qualifiait de « post-moderne » – cet avenir indiscernable avant tout dépendant de nos choix, individuels et collectifs. Nous y sommes ! Nous sommes tous habités désormais par cette inquiétude, tous au beau milieu du champ de patates, à piétiner dans la gadoue…

Non sans une certaine candeur, la RTBF nous expliquait, en date du 18 novembre 2020, que les jeunes sont déprimés « parce qu’ils ont besoin de vie sociale. Privés de club de sport, de cours en présentiel, privés de ces liens sociaux fondamentaux dans leur vie. S’ajoute à ça le fait que beaucoup ont perdu leur job d’étudiant. Des soucis financiers frappent de plein fouet l’autre catégorie la plus touchée : les travailleurs de l’horeca. Ceux-là redoutent de tout perdre. Ils craignent aussi que le confinement se prolonge et ruine la période de fin d’année… » Tout cela s’étant malheureusement vérifié, nous sommes aujourd’hui beaucoup plus loin encore « dans la forêt », égarés et malheureux tels des petits Poucet, à nous demander si c’est vraiment le virus et ses dégâts collatéraux qui affectent autant notre moral. Ou plutôt l’évidence d’une inquiétude beaucoup profonde qui nous saute soudain aux yeux ! Rouvrir quelques magasins, quelques camps de vacances et quelques bars à pintes, même « spéciales », suffira-t-il à calmer l’angoisse collective ? Mais errons-nous, pour autant, nus comme des vers en dépit des montagnes de vêtements que nous n’avons pas achetés cet hiver, compromettant gravement une « période de soldes » généralement faste pour le business, ce qui a tellement préoccupé nos chers médias ? Une couche de chiffons en plus sur le dos ou dans l’armoire, l’avenir nous eut-il paru, tout d’un coup, plus lumineux et plus aisé à discerner ?

Visions à la dérive

Abandonnés à la solitude de leurs kots, les étudiants ont eu le temps d’y penser, à cet avenir incertain. Et ils ont raison de demander des comptes, même si personne aujourd’hui n’est prêt à leur en donner… Tout le monde réclame des perspectives mais plus personne n’est en mesure d’en concevoir, tant le vieux logiciel providentiel, « croissanciste » et progressiste paraît bel et bien périmé. Une nouvelle donne économique et sociétale se met en place que personne ne parvient à anticiper ni même à décrypter. Mais nos dirigeants d’antan n’ont-ils pas toujours eu la détestable habitude de ne jamais rien prévoir, ne réagissant qu’une fois le problème sur la table. Début mars, on fit donc mine de nous « déconfiner » un peu, mais à l’air alors : oké pour dix têtes de pipe dehors, les gars, mais alors avec masques et distanciation sociale… La belle histoire ! Exactement ce que nous étions déjà autorisés à faire depuis belle lurette dans les files d’attente de n’importe quel magasin… Ou alors, attendez, on rouvre mais avec des protocoles sanitaires si compliqués qu’il est souvent plus simple et moins onéreux de rester carrément fermé. Et attention ! Il y a plus drôle encore. « Traverser une maison pour se rendre dans le jardin est désormais autorisé« , nous apprend Le Soir, du 6 mars ! « Et même d’utiliser les toilettes des gens chez qui nous nous trouvons« , écrit encore le quotidien… A-t-on jamais rêvé plus sophistiqué dans le genre précision qui infantilise ? Combien de procès-verbaux pour utilisation abusive de toilettes la police a-t-elle dressés depuis ?

Soyez tranquilles, pas de parti-pris chez nous envers aucun mandataire, homme ou femme (ou autre), de droite ou de gauche (ou autre). Il y a ceux, bien sûr, qui s’empêtrent dans les Comités de concertation à répétition et d’autres qui se perdent le nez dans le masque quand la vaccination patine. Mais pourquoi ne pas associer davantage les médecins généralistes en qui la population a toute confiance ? Parce que ce sont les vaccins eux-mêmes qui font défaut ? Certes, la responsabilité publique est un métier bien difficile, et de plus en plus mal-aimé. Nous ne déplorerons même pas, dès lors, que la capacité d’action des services publics soit si fréquemment surestimée – nous ne prétendons pas ici être en mesure de l’évaluer, d’ailleurs – par des ministres ainsi amenés à faire soudain et trop souvent machine arrière. Tant pis pour eux ; c’est juste leur crédibilité qu’ils jouent ! Nous n’évoquerons pas, non plus, la navrante saga des masques Avrox, qui sont aujourd’hui au rebut, ni encore les atermoiements du testing, ni même le tracing qui s’est si souvent égaré en cours de route, même avec l’aide des Apps les plus modernes… Nous ne dirons plus notre ébahissement devant ceux qui « dérogent » pour des pesticides prohibés ou qui grommellent encore, juste pour la forme, sur la sortie du nucléaire… Nous regretterons davantage l’impuissance face aux fantasmes d’automatisation des gares et des trains, un univers déjà pas accueillant – non, disons-le, franchement glauque et glacial – où l’on ne trouvera bientôt plus âme qui vive, si ce n’est un vigile pataud ou un steward rigolard. Juste quelques boîtes à tickets, quelques portiques qui claquent et des trains bardés d’écrans et de caméras, et qui démarrent tout seuls – et on fait quoi, s’ils ne démarrent pas ? Blade Runner en mode banalisé, en somme, un monde qui nous faisait déjà frémir, il y a cinquante ans au moins… Quant aux bus, ils nous emmèneront certes vers nos vaccins, dans la joie et l’allégresse, sans que nous ayons le moindre ticket à composter. A l’heure où les chauffeurs se bunkérisent pour ne plus subir l’œil triste des gens ordinaires – à Liège du moins, où j’habite, ce sont de vrais hommes invisibles, ces anti-héros du service public ! – et où même les abonnés regrettent presque d’avoir payé pour rien tant les contrôles sont rares, on se demande pourquoi la gratuité n’a pas été généralisée. Du point de vue de l’empathie et du sanitaire, on ne peut évidemment pas dire que les TEC et la STIB aient brillé par leur créativité. Encore une occasion de perdue de faire un geste pour une population vraiment dans le dur…

En l’espace d’une seule année, les transports en commun ont été institués comme le moyen de transport du pauvre, du pauvre malheureux qui est dans l’obligation de courir le risque d’aller s’y faire contaminer. La solidarité, la vraie, n’eut-elle pas été de leur épargner au moins l’injure du gros doigt moralisateur, du « paie ton bus, misérable » ! Quoi ? Vous feriez ça comment, s’exclame alors le bon bourgeois indigné ? Dame, en taxant l’automobiliste, pardi. Là serait la justice, là serait le courage, là serait la solidarité, la vraie. Ne pas voir cela – et bien d’autres choses -, c’est préparer le lit des extrémistes – qui se fichent pas mal de dire qui financera quoi comment -, ne me dites pas que vous ne l’aviez pas déjà compris ? A propos, Le Pen battra-t-elle Macron, l’an prochain ? A la faveur de la pandémie qui enfle encore et toujours – et vu l’incapacité de la gauche française à faire front commun -, tout est possible, non ?

2. De quoi nous souffrons vraiment

Holà, calme-toi, vieil agité pas encore vacciné. Tout n’est quand même pas allé de travers, depuis un an… Leur priorité, à nos gouvernants, c’est de revenir à la normale, en « présentiel », dans l’enseignement. Ils ont raison, non ? Bien sûr que oui qu’ils ont raison. Mais cela ne pourra s’appuyer que sur un dépistage massif et régulier, et sur la mise à l’écart immédiate de tout individu testé positif. Exactement ce qu’il eut fallu faire, à l’échelle de la population entière, dès le début de la menace. Défaut de prévoyance ? Encore une bonne chose à méditer pour les pandémies du futur…

Qui se soucie de nous ?

Donner la priorité au retour à l’école est évidemment une première réponse à la crise mentale qui secoue l’ensemble de la population. Mais, quelles que soient les compétences et les motivations de nos enseignants, se contenter d’un simple retour au business as usual sera largement insuffisant. Ceux qui étudient sont en souffrance, ils sont en demande. Qu’ils expriment leur détresse avec plus ou moins de force, il faudra leur expliquer pourquoi nous sommes si cupides, si égoïstes, si « court-termistes », si peu soucieux du destin de la planète… Ben oui, nous y voilà. Il est heureux qu’un « banc d’essai » au traitement de la grande crise climatique – là où se concentre aujourd’hui toute cette grande inquiétude « post-moderne » dont nous parlions – ait été fourni par une pandémie que la majeure partie de la population hésite encore à qualifier de crise écologique. Pour l’heure, il faut, dans l’urgence, faire le tri avec les chers gamins : au fond, qu’est-ce qui est un gros souci, et puis qu’est-ce qui n’a pas été si mal que cela ? De quoi souffrons-nous vraiment ? Ici et maintenant.

D’abord, nous avons tous peur de mourir. Autant le dire clair et net. Ce foutu machin, et tous les experts qui nous en causent d’une manière si docte et inspirée, nous ont fichu une pétoche infernale. Et personne n’est là pour dédramatiser tout cela, personne pour relativiser, personne pour en rigoler, même si ce n’est évidemment pas drôle. Bref, rien de tout ce qu’on appelle ordinairement la « culture ». Des médias, bien sûr, qui radotent et qui repassent leurs vieux plats pourris aux heures de grande écoute – puis qui se prennent la tête quand plus personne n’écoute -, des « réseaux sociaux » aussi, en pagaille, où le tout-venant déverse sans limite raisonnable son angoisse et sa bêtise. Et puis, des prophètes délirants, comme s’il en pleuvait, et du simplisme prêt-à-consommer pour qui le monde n’est que haine et opportunisme… Oublions-les. Tout cela peut amuser un temps mais, au bout d’une longue année d’ennui et d’ennuis, nombreux sont ceux font le choix, plus ou moins définitif, de « tourner le bouton », la tête en plein micmac… Il y a les bons livres aussi, heureusement, mais tout le monde n’aime pas cela… Alors trop souvent, nous restons là, face à nous-mêmes, à ruminer comme de vieilles vaches à l’étable. Trop seuls face à la peur qu’on nous a faite… Pourquoi ?

Ici se confondent deux notions pourtant très différentes – ou qu’on nous a sans doute volontairement « permis » de confondre – : le confinement et l’isolement. Le confinement est un enfermement, le plus souvent consenti pour une raison de force majeure, qui vise à protéger l’individu du monde extérieur et de ce qui s’y passe. L’isolement est une mise à l’écart, indispensable d’un point de vue sanitaire, parce que cette même personne représente un danger pour ses congénères du monde extérieur. L’isolement bien sûr n’est pas l’emprisonnement qui est une peine à purger ; quant à la quarantaine, c’est évidemment un isolement, et pas un confinement… Ce que nous imposèrent les circonstances, dans le cas de la réponse sanitaire apportée à Sars-Cov-2, fut souvent ressenti douloureusement d’un point de vue mental, même si nous y avons éventuellement consenti. Pris, à tort ou à raison, comme une injonction disproportionnée, c’est surtout la cause de la détresse qui se propage et s’étend, affectant principalement une grande partie des plus jeunes… La question se pose donc de savoir de quoi il s’agit vraiment, Confinement ou isolement ? Il y a un an exactement, juste avant la première vague, aucun Belge n’était malade mais un « confinement » fut pourtant imposé, en tirant parti avec habileté du fait que tout contaminable est un contaminant en puissance. Cette réponse sanitaire fut-elle consentie ou, au contraire, imposée à la population, et dans quelle mesure exacte ? Le fait est que le mot ne fut plus officiellement utilisé ensuite, remplacé par une abracadabrantesque histoire de bulles sorties d’on ne sait trop quelle vieille pipe à savon. Trop tard ! La population et les médias s’étaient habitués à l’idée de ce confinement / déconfinement, l’utilisant depuis à tort et à travers, dans la confusion la plus grande. La question du consentement ou de la coercition risquant d’être débattue fort longtemps encore, disons simplement que c’est, là aussi, une chose importante à méditer, en prévision des pandémies du futur.

Le révélateur de crises latentes

La limitation drastique de nos contacts, nécessaire afin d’endiguer la circulation du virus et sa capacité à muter rapidement, a entraîné ipso facto la fermeture des lieux où la vie sociale a lieu, sans tenir le moindre compte des impacts sur la santé mentale que causeraient cet isolement de fait, ou ce simple confinement suivant que notre ressenti balance de l’un ou l’autre côté… Le lobbying économique, au service d’intérêts particuliers, semble avoir d’abord penché pour un confinement général, court mais radical. Il se ravisa ensuite afin d’exiger un déconfinement complet dont les conséquences se sont avérées particulièrement chaotiques. Ces mêmes milieux tablent à présent sur la vaccination de masse, méprisant carrément le fait que les gens ne sont pas des numéros et qu’on ne dispose pas tout-à-fait de leurs corps comme de vulgaires baudruches qui garnissent le paysage social…

Et pourtant, Sars-Cov-2 ne désarmant pas, aucune autre issue ne semble aujourd’hui se dessiner. Aux yeux d’une part considérable de la population, la grande manipulation qu’est la vaccination sera cependant inscrite au passif des gros acteurs économiques et de leurs hérauts. Que cela leur semble juste, ou pas ! La Covid-19 n’est évidemment pas seule en cause. En réalité, on l’a souvent souligné, la pandémie est le révélateur, l’amplificateur des crises graves qui agitaient, qui clivaient déjà nos sociétés depuis des lustres. Nous nous bornerons ici à en évoquer trois : l’aggravement des inégalités, la crise de l’organisation du travail et la méfiance croissante de nos concitoyens envers l’état et ses représentants. Le coronavirus est venu nimber tout cela de bien singuliers éclairages…

– Inégalités

Il y a, aux yeux de beaucoup d’entre nous, des riches et des pauvres, depuis que le monde est monde… Il n’aura échappé à personne que les victimes prioritaires de Sars-Cov-2 furent bien les plus faibles d’entre nous, physiquement mais sans doute aussi moralement : ceux qui étaient déjà malades, la clientèle des maisons de repos, les gens en surpoids ou en dépression, etc. S’ajoutent bien sûr à ce sinistre « protocole morbide », tous ceux qui vivent dans des locaux surpeuplés ou quasiment insalubres, dans des quartiers dits défavorisés où la promiscuité est grande et l’adoption des gestes barrière aléatoire. Viennent encore les précaires de l’information que n’atteignent jamais les savants conseils des épidémiologistes et la rhétorique, pourtant diverse et variée, de nos ministres… Avec la crise sanitaire, le capitalisme dont ils sont les gardiens du temple n’a fait qu’aggraver la crise sociale ! Or la technique des confinements locaux et temporaires, par exemple, semble avoir le vent en poupe. Mais qui cela touchera-t-il majoritairement sinon des quartiers populaires, ne faisant qu’accentuer l’impact social de la crise ? De quoi exacerber des tensions qui ne sont pas neuves et créer localement un véritable climat d’émeute… Le tohu-bohu qui régna, le samedi 13 mars à Liège, et les dégâts matériels certes injustifiables qui s’ensuivirent sont malheureusement là pour en attester.

Mais bon dieu, nous sommes quand même des gens ouverts au dialogue, entend-on alors… Nous pouvons entendre cette détresse mais pourquoi embêter les riches quand les pauvres sont en souffrance ? Ne revisite-t-on pas là le Germinal, du cher vieux Zola, et n’entend-on pas déjà siffler le Kärcher à Sarko ? Attention ! De nos jours, les classes moyennes auxquelles nous appartenons, pour la plus grande partie d’entre nous, n’ont plus la garantie de ne jamais basculer, par un jour certes particulièrement funeste, dans la précarité et le besoin. Il suffit parfois de bien peu de choses… Aujourd’hui, les demandes d’aide explosent ! Selon la Croix-Rouge, 40% de la population font face à d’importantes difficultés d’ordre financier… A une époque où la richesse se concentre de plus en plus dans les villes – dans certains quartiers de certaines villes ! -, le choix d’une agriculture qualitative et prospère est également devenu une nécessité pour garantir un avenir à bien des territoires en déshérence – ou même carrément en voie d’abandon – et aux populations qui y résident.

– Travail

N’évoquons même pas ce vaste pan du monde du travail où télétravailler est inimaginable, un monde où la pénibilité est rarement reconnue à sa juste valeur, en temps de crise a fortiori. Saluons, une fois encore, tous ceux qui ont pris des risques pour le bien de tous, et souvent pour un salaire indigne de leur effort. Passons trop rapidement sur tous les autres qui n’ont pas droit de cité dans la marche de l’entreprise qui est pourtant la leur mais doivent se motiver avec le seul but de garantir des dividendes aux actionnaires… Concentrons toute notre attention sur cette fantastique opportunité offerte par la crise sanitaire : le télétravail !

Ah ! Le télétravail, quelle fantastique aubaine pour améliorer l’existence… Ne devait-il pas être l’occasion rêvée de mettre moins de véhicules sur les routes et d’épargner aux travailleurs le temps précieux ainsi gâché ? Pour une meilleure qualité de vie, croyait-on… Un an après, tout le monde râle : patrons en manque de contrôle, employés frustrés de contacts style Caméra café, familles encombrées par l’irruption d’un employé et de ses nombreux outils… Soyons justes : là encore le défaut de prévoyance fut particulièrement criant. Qui aurait imaginé des conditions expérimentales aussi délirantes pour tester avec rigueur l’intérêt exact du télétravail ? Absence d’infrastructures et de matériel adéquats dans la plupart des logis, absence de compensations financières – chauffage, électricité, matériel de bureau… – par la quasi-totalité des employeurs, défauts graves d’organisation du boulot et intrusions fréquentes de la hiérarchie, etc. Il y a surtout le fait évident que le télétravail ne semble jamais envisageable que partiellement, et jamais à 100% comme ce fut décrété de but en blanc. Hé, la faute à qui si personne n’avait pensé à rien avant que le ciel nous tombe sur la tête, si le patronat n’avait jamais voulu y croire, préférant le vieux paternalisme bêtifiant à une saine collaboration basée sur la confiance ?

En réalité, pouvoirs publics et employeurs se sont jetés là-dessus, dès le début de la crise, comme la vérole sur le bas clergé. Comme si c’était du pain bénit ! Il s’agit hélas d’une forme d’organisation compliquée dont ils ne savaient évidemment pas grand-chose, dont ils se méfiaient même pour la plupart. Tous furent pourtant trop heureux d’avoir quelque chose à proposer dans l’urgence. Dans les métiers « pour lesquels le télétravail est possible« , c’était sans doute cela… ou rien du tout ! L’affaire fut donc vite pliée, d’autant plus qu’il eut été difficile de payer tous ces gens à ne rien faire. Avec l’impact terrible qu’une mise à l’arrêt générale aurait eue sur l’économie… L’idée d’un « revenu de base » refit donc vite surface en pareil contexte, un revenu alloué sans condition, de la naissance à la mort, uniquement parce que chacun a le droit de vivre décemment. Un autre débat, direz-vous ? Pas si sûr…

– Représentation

Isolement aidant, le sentiment n’a jamais été aussi fort de ne pas être entendu, ni même simplement écouté. Nombreux éprouvent même maintenant le sentiment nouveau d’être carrément oubliés ! Les crises qui s’empilent n’ont jamais été aussi graves mais semblent totalement ignorées au seul profit des plus riches qui font tourner l’économie. Faire redémarrer rapidement la machine fut longtemps le seul souci ! La protection du business semble, à présent, trouver d’autres voies et c’est le souci de la santé mentale générale qui exige que la vie reprenne son cours. L’Etat, lui, emprunte tant qu’il peut dans un compromis généralisé qui ne pouvait avoir de sens qu’en temps de « vaches grasses », le seul pourtant qui paraît encore possible alors que la fragmentation de la vie politique n’a jamais été aussi forte. Un spectacle d’impuissance totale, en somme, qui indispose toujours plus gravement l’électeur ordinaire, lequel préfère, de plus en plus souvent, le simplisme grandiloquent des extrêmes – qui ne sont pourtant pas beaucoup plus malins ! -, sachant très bien, par ailleurs, que c’est toujours le citoyen ordinaire qui paiera finalement la facture. Dans six mois, dans deux ans, dans vingt ans…

Bref, la confiance du citoyen dans l’Etat s’érode toujours un peu plus à chaque coup. La démocratie s’est engagée dans une impasse, sans aucun plan B bien sûr, alors qu’elle n’avait déjà guère de plan A… En France, le rapport annuel de la Cour des Comptes publié mi-mars, centré sur les effets concrets et la gestion opérationnelle de la crise sanitaire, a pointé une trop faible anticipation des services publics concernés, au premier rang desquels la santé et l’éducation nationale. Il serait difficile de prétendre avoir fait beaucoup en Belgique. Pire encore que ce péché d’omission public : cette crise de confiance gagne aujourd’hui la science elle-même qui s’est, il est vrai, trop souvent compromise avec de gros intérêts transnationaux. Tout cela est parfaitement connu mais aucune réponse ne se dessine pour autant. Plus rien n’est donc aujourd’hui pardonné à l’Etat et à l’ensemble de ses représentants. Des défaillances de logistique ordinaire en temps de crise grave – qui n’ont absolument rien à voir avec l’impossibilité de prévoir l’imprévisible – sont ressenties comme de véritables injures faites aux « gens normaux », à tous ceux qui « trinquent » au quotidien. De l’eau apportée, volontairement ou non, au moulin de ceux qui veulent toujours moins d’Etat et qui revendiquent la « loi du plus fort » économique ? Le « trumpisme » décidément nous guette, il est derrière la porte. Est-il encore temps de réagir ?

Ce qui va bien, ce qui va mal

Allons bon. Tout cela, ce n’est quand même que de la grande théorie. Un simple regard sur nous-mêmes, sur nos conditions réelles d’existence devrait nous permettre d’y voir plus clair, de dresser un bilan plus objectif de nos conditions de vie réelles. Restons pragmatiques, parlons plutôt de la « vraie vie », de quoi notre quotidien est fait : manger, habiter, dormir, bouger…

D’accord. Admettons que ce qui va plutôt bien est la conséquence d’un retour – plus ou moins accepté, plus ou moins temporaire – des consommateurs dans leur environnement de proximité. Ils s’efforcent d’acheter local, prennent le temps de cuisiner et, globalement, mangent mieux. L’agriculture biologique a bien fait son job et a ouvert la voie à suivre. Le citoyen l’a bien compris. Sauf, bien sûr, ceux qui « n’ont plus les moyens » et qui optent, nous dit-on, toujours plus pour le hard-discount ou vont carrément grossir la file des épiceries sociales quand le porte-monnaie est vide… Nature & Progrès, depuis cette année, expérimente le Réseau RADiS et entend ainsi démontrer qu’il n’y a de fatalité pour personne. Pour peu qu’on s’efforce de raviver le capital social, partout où c’est possible…

Côté habitat, son amélioration bénéficie des dépenses qui n’ont pas pu être faites ailleurs ; quand on reste toute la journée chez soi, ben oui, on est aux premières loges pour constater tout ce qui cloche. Encore faut-il que le droit à habiter soit un droit à habiter décemment. Or la crise sanitaire a montré à quel point ce droit était bafoué pour beaucoup d’entre nous… Rayon mobilité, l’évolution ne semble guère satisfaisante tant l’état catastrophique des transports en commun tend à ramener les gens inquiets dans leur bagnole. Mais pour aller où ? L’errance au volant serait-elle une manière de tromper l’angoisse ? La tendance n’est pas bonne car, si une reprise de l’activité mondiale s’amorce – poussée dans le dos par le dogme libéral dominant -, le prix du pétrole risque fort de repartir à la hausse et de nous emmener tout droit vers un bordel économique digne de 2008. A moins que l’alternative soit enfin sur les rails, avec l’électricité ou l’hydrogène ? Mais qui pourra se payer les splendides berlines qu’on nous fait miroiter ? Aucun constructeur ne semble prêt à proposer de petites urbaines qui font gagner de la place et de l’énergie… Est-ce pourtant si difficile à comprendre ?

L’homme de la rue, trop préoccupé par ses propres soucis, s’est évidemment empressé d’oublier tout ce qui est d’ordre écologique et climatique, cela va sans dire. Et personne n’a vraiment le cœur de le lui rappeler… Nous l’avons dit, l’isolement que nous vivons – même s’il ne dit pas son nom – est avant tout d’ordre mental. Nous pouvons être critiques sur notre « vie d’avant » mais manquons totalement de moyens pour comprendre où nous emmène la « vie d’après ». Peut-être est-ce également dû aussi à un manque d’engagement individuel de notre part, en faveur de ce que nous estimons être juste. Comment la crise fera-t-elle évoluer l’opinion ? Il est trop tôt pour la dire. L’écologie et le numérique triomphent, nous dit-on, mais rien n’est moins sûr… Le second a vu s’effondrer quelques grands mythes tenaces : la visioconférence, par exemple, fonctionne si mal que Microsoft est déjà en train de raconter que les réunions connectées du futur se feront à l’aide… d’hologrammes ! Quant à l’enseignement « en distanciel », il a tellement déprimé étudiants et enseignants qu’il ne semble déjà plus que très exceptionnellement envisagé, pour ce qui est du secondaire en tout cas, les étudiants du supérieur, de leur côté, n’aspirant qu’à retrouver leurs chers auditoires… L’écologie enfin fait toujours frémir les milieux économiques qui n’y voient que dépenses impossibles à financer ; ils n’admettent pas que la crise du coronavirus soit une crise écologique qui a pesé 6,5 % du PIB belge en 2020 et ne pensent qu’à renvoyer des avions strier l’azur virginal du confinement. Mais combien pèsera la crise climatique dans les années qui viennent ?

3. Le monde d'après

L’illusion générale, le solipsisme comme pensée unique, du « retour à la normale » est toujours la norme. Vaccination au printemps, liberté de « boire un verre » en été. Et sur notre terrasse préférée, encore… Voilà la promesse du gouvernement belge, si toutefois un vilain canard ne revient pas faire des couacs, couacs dans le petit marigot de la Covid-19, laquelle évidemment ne cessera pas d’exister pour autant, même si une large majorité d’entre nous s’en sera peut-être protégée… Mais pour combien de temps ? N’allez quand même pas imaginer un retour au déconfinement raté de l’été 2020. Les protocoles sanitaires s’inviteront à votre table pour un bon moment encore. Ce qui n’empêche pourtant pas les beaux optimismes de parler d’atterrissage… Et de redécollage, sans doute, de Ryanair et consorts. Ce magnifique fleuron du secteur aérien qui nous fait tant rêver et où, nécessités économiques obligent, les employés ont dû se résoudre à des baisses de salaires… Mazette. Qu’est-ce qui va leur rester ?

Tragédie classique et cinéma américain

Etrange artifice cependant que de qualifier de « normale » ce qui n’était qu’un banal contexte d’origine, et qui n’avait absolument rien de stable, ni de durable, ni même de simplement satisfaisant ou épanouissant. Ce contexte « en évolution » n’était qu’une « coupe », à un instant T, déjà constellé comme un ciel d’été par la multitude des crises que nous avons décrites. Pourquoi souhaiter revenir à cela plutôt qu’à autre chose ? Quelle est cette fable franchement inepte qui nous prend, une fois encore, pour des simplets ?

Nous nagions donc en pleine félicité lorsque, de la manière la plus inopinée qui soit, survint cette coquecigrue, bien sûr très méchante puisqu’elle a tout mis la tête en bas. Ce serait à peu près cela l’idée ? Pareil bouleversement peut être comparé à l' »épitase » qui survient sans crier gare pour chambouler la « protase »… L’épitase est le premier des trois temps de la tragédie antique. Quelque chose change brusquement, pour tout le monde : un seigneur se convertit, une ombre fait des révélations, un peuple se révolte… Le deuxième temps est ensuite celui de la confrontation : les protagonistes entre eux, ou les protagonistes face aux événements, ou encore un protagoniste face à lui-même… C’est, comme qui dirait, la première vague après l’apparition subreptice de la Covid-19 : on s’interroge, on réagit, on râle, on applaudit les héros à huit heures du soir… La transformation du petit train-train quotidien pose pourtant rapidement de sérieuses questions existentielles, induisant d’importants retournements d’attitude ou d’opinion. C’est la métabase, un terme d’ailleurs utilement recyclé en informatique pour désigner l’ensemble des données relatives aux systèmes eux-mêmes… Enfin, le troisième et dernier temps voit l’apogée du drame, le climax, l’acmé, dont rares sont à vrai dire ceux qui s’en sortent indemnes. Peut-être n’y sommes-nous pas encore, dans notre petite tragédie à nous ? Cette phase de tension extrême met en lumière les conséquences inévitables de ce qui s’est passé. C’est la catastase, et nul n’y échappe. Nos grands auteurs classiques étaient suffisamment lucides pour ne pas imaginer de retour à quoi que ce soit, ce qui eut d’ailleurs consisté à nier le sens même de leurs œuvres… Aujourd’hui, il n’y a plus guère que les économistes « de la terre plate » pour imaginer un truc pareil, ceux qui croient encore et toujours qu’il n’existe aucune limite à la biosphère… Ou ceux qui veulent nous expédier sur Mars, en compagnie d’Elon Musk… Ou qui prétendent que maladie + médicament = retour à la normale…

Mais attention ! Le théâtre classique reposa aussi sur les trois unités – un seul laps de temps, un seul et même lieu, une seule et unique action – or nos démêlés avec Sars-Cov-2 sont infiniment complexes, entre comorbidités et commisération, dégâts écologiques et paupérisation croissante, un peu partout à travers le monde et dans le temps qu’il plaira au satané virus. Difficile donc d’en prévoir l’issue précise, à cette catastase Covid, mais on peut bien sûr s’amuser quand même à essayer. Encore un truc important à méditer, en prévision des pandémies du futur… Le cinéma, lui, s’y était risqué, il y a bien longtemps déjà. Vous avez certainement revu Contagion, de Steven Soderbegh (2011), ou Outbreak, de Wolfgang Petersen (1995), ou encore – nettement moins gai ! – Epidemic, de Lars von Trier (1987). Ou encore l’épatant Perfect Sense, de David Mackenzie (2011), ou l’épouvantable Blindness, de Fernando Meirelles (2008). De quoi inspirer un peu des responsables publics qui ont quand même singulièrement manqué d’imagination, ces derniers temps… Mais il est vrai que les cinémas ont baissé leurs volets. Et que les gros dégâts ne sont peut-être pas là où l’on croit : le cinéma français aurait au moins cent cinquante films « sous le coude », prêts à sortir en salles. Ou pas… Et pas de sorties en salles, pas de diffusion à la télé. C’est comme ça… Quant au cinéma américain, il fut contraint de reporter très exceptionnellement la distribution de ses Oscars à la fin du mois d’avril. Vous avez dû en entendre parler, ces jours-ci, non ?

Passeport vaccinal

Ah, ben tiens, justement, celui qui vient d’inventer le Passeport vaccinal fait tout pour me contredire. Un sacré lascar, celui-là, qui pourrait postuler comme scénariste à Hollywood. Jugez plutôt : un document administratif national pourrait attester qu’une personne ne risque pas d’être contaminée ou d’en contaminer d’autres. Contaminables ou contaminés, disions-nous, c’est du pareil au même. Il faut juste ne pas l’être ! D’accord. Mais, euh, cela servirait à quoi au juste, ce truc ? Eh bien, réjouis-toi peuple avide d’éloignement, ce sésame te permettra de retrouver ta liberté de mouvement ! L’Association internationale du transport aérien (IATA) a, par exemple, déjà lancé un Travel Pass qui rassemble tous les documents exigés par le lieu de destination d’un passager. Le premier ministre grec, le libéral conservateur Mitsotakis, estime ainsi que ceux qui sont déjà vaccinés devraient être libres de voyager mais il pense surtout, on s’en doute, aux nombreux touristes israéliens – les champions mondiaux de la vaccination ! – susceptibles de visiter son pays, cet été… Le bidule pourrait évidemment servir à bien d’autres choses, comme donner accès à n’importe quel lieu public, par exemple… Le Passeport vaccinal, en somme, octroierait davantage de droits aux vaccinés. Des droits que n’auraient pas ceux qui ne le sont pas encore, ou qui ne souhaitent jamais l’être. Voilà bien le problème…

L’Europe, elle, ne veut qu’une chose, nous l’avons déjà évoqué : favoriser la libre circulation des biens et des personnes. Ne pouvant toutefois rien imposer en matière de santé, elle se bornerait à offrir ses services pour connecter les différentes « solutions » nationales que les Etats mettraient en place, un tel dispositif ne semblant pas envisageable, en tout cas, tant que la vaccination ne sera pas accessible pour tout le monde. Mais un tel passeport ne serait-il pas une atteinte à la liberté vaccinale, en instaurant des discriminations entre ceux qui en veulent bien et ceux qui n’en veulent pas ? Nul ne trouve pourtant discriminatoire, nous dit-on, d’interdire l’entrée d’une crèche à un enfant non-vacciné puisque c’est la santé des autres enfants qui est en jeu… Reste que comparer, en termes de santé publique, les soins apportés à la petite enfance avec le gros business touristique est un tour de passe-passe juridique qui semble très audacieux. Rien ne prouve, d’autre part, qu’une personne vaccinée n’est pas contagieuse ; le déterminer sera d’autant plus aléatoire que les vaccins administrés et les stratégies nationales de vaccination sont très différents selon les cas…

Le voyage c’est la liberté mais la liberté est-elle à ce prix ? Gageons que ce flicage supplémentaire de nos vies ne tarderait pas à tomber entre les mains de BigData… Vraiment pas de quoi raviver le sentiment de convivialité et de confiance dont le citoyen a tant besoin ! Faut-il encore rappeler que la protection de ses données personnelles est une question essentielle à ses yeux ?

Oui mais dites, alors, et le climat ?

La crise de la Covid-19 cèdera ensuite le terrain à la crise climatique et à la grande crise écologique, d’une manière générale. Si, toutefois, nous entrons dans une phase de décompression trop intense – les années vingt n’ont-elles pas toujours joui d’une réputation d' »années folles » ? -, sans doute la majorité d’entre nous omettra-t-elle de fournir les efforts nécessaires ? Ou prétextera qu' »on » a déjà donné et qu' »on » n’a plus les moyens de le faire… Que l’économie gnagnagna et le PIB blablabla… Il ne nous reste plus pourtant que dix ans pour agir… Peut-être même la crise sanitaire actuelle n’est-elle qu’un prélude, une « ouverture » à des difficultés plus grandes encore qui nous guettent dans l’ombre ? Que toutes les crises qu’on n’a pas voulu voir depuis si longtemps au nom des sacro-saintes nécessités du capitalisme ne sont qu’autant de bombes à retardement qui attendent leur heure en égrenant les tic-tacs. Comme dans les plus mauvais thrillers… La difficulté à s’accorder autour d’une répartition objective de l’effort à consentir, et les petites algarades politiciennes que cette répartition engendre, ne sont guère de nature à rassurer l’opinion et condamnent par avance l’incurie du personnel politique. D’autant plus que l’important « marqueur social » qui accompagne aujourd’hui toutes ces questions en fait, plus que jamais, une affaire de riches et de pauvres.

De pauvres ? Parlons-en. C’est un secteur qui n’est pas en croissance négative. Et inutile de compter sur eux pour acquitter une hypothétique taxe carbone, même si les « gilets jaunes » ont lentement déserté nos ronds-points… Nous entrons dans une phase où ceux qui ont l’argent, et le pouvoir, se racrapotent toujours davantage sur leurs vieilles certitudes – et se confinent, volontairement à n’en pas douter, dans des ghettos dorés -, avec une peur d’autant plus forte de renoncer à leurs gri-gris de vieux magiciens qu’ils n’ont plus rien d’autre à mettre à la place… Or ces vieilles certitudes s’écroulent l’une derrière l’autre. Depuis un an, même à l’école, la révolution numérique en a pris un gros coup sur la cafetière ! Qui aurait imaginé une chose pareille, il y a douze mois à peine ? Nos gosses eux-mêmes savent qu’ils deviennent cinglés à passer huit heures par jour devant leurs écrans et aspirent à sortir taper la balle entre copains… Même leur smartphone ne les fait plus rêver ; ce n’est déjà plus qu’un vulgaire utilitaire, potentiellement aussi addictif qu’une ligne de coke, vecteur de mensonges, de harcèlements et d’arnaques en tous genres… Formidable outil de guérilla urbaine, certains réseaux sociaux seront, à n’en pas douter, prochainement mis sous contrôle…

Le monde de demain dépassera la surconsommation sur laquelle reposent nos économies, ou il s’y engluera comme une mouette dans une marée noire. La culture vivante survivra à sa marchandisation même si nous devons errer pour cela, pourchassés comme les vieilles tribus nomades de « voleurs de poules ». Réfléchissons à deux fois, avant de léguer à nos enfants de pâles artefacts sur écrans froids, sortons de nos têtes les fariboles qu’invente la mondialisation, retournons au réel et au tangible. Renouons le contact avec ce qui vit, remettons les mains dans l’humus bien gras, laissons trépider la chair et dégouliner la sueur. Crions, chantons, dansons, loin des « influenceurs » qui nous promettent des jours meilleurs. N’en abandonnons pas le privilège aux starlettes précuites de la télé et aux petits cons de la dernière séance… Oui mais, alors ? Le climat, dans tout ça ? Déconfinement ou déconfiture ?

Conclure, puisqu'il le faut…

Besoin des autres, frères, sœurs, collègues, garçons, filles, amis, familles… Un an loin d’eux et nous périssons de langueur. Restos, bistrots, lieux sociaux… Grand-messes, fitness, pince-fesses, tout est bon pourvu qu’on se voie, qu’on se cause, qu’on se postillonne à la face et qu’on se démasque enfin pour lever le coude entre potes… Nous voulons de l’humain, du vrai, de la confrontation franche et loyale, du face à face ; nous ne voulons plus des vieilles raideurs ampoulées héritées du paternalisme d’avant Metoo. Aucun compromis là-dessus ne sera plus possible. Jamais. Que ce soit dans la rue, à la maison, au travail ou ailleurs…

Bien sûr, nous ferons ce qu’il faut pour que l’épilogue soit proche, pour que la conclusion de cette farce tragique arrive très vite. Nous ferons ce qu’il faut surtout pour qu’il n’en surgisse pas d’autre. De graves remises en question auront lieu, de terribles mécomptes économiques sont annoncés. Ils augurent d’un autre monde. Pour le meilleur ou pour le pire…

Notes :

(1) On relira utilement à ce sujet : Pierre-André Taguieff, Résister au bougisme, éditions Mille et une nuits, 2001.

(2) Voir l’enquête CoviPrev, de Santé publique France

(3) Lire : Covid-19 : pourquoi l’année 2021 risque d’être celle d’un « baby crash » (francetvinfo.fr).

Vaccin (ou pas vaccin) ?

Le moins qu’on puisse dire est que, pour beaucoup d’entre nous, la réponse à cette question n’est pas claire. Impossible de trancher entre les risques – avérés ou fantasmés – pour l’individu vacciné et les précautions à adopter, en termes de vie sociale, à la lumière de ce que nous apprend l’épidémiologie. Il semble aujourd’hui très difficile d’associer l’un et l’autre point de vue afin de permettre, à chacun d’entre nous, de trancher en son for intérieur : vaccin (ou pas vaccin) ?

Par Dominique Parizel

nouveaux ogm non à la déréglementation
Introduction

Difficile d’entrevoir de quoi demain sera fait. A l’heure où nous écrivons ces lignes (en janvier 2021), l’optimisme de rigueur lié au début de la campagne de vaccination est fortement tempéré par l’inquiétude nouvelle due aux « nouveaux variants ». Et quand vous lirez ces lignes, probablement ne saurez-vous toujours pas pour quelles raisons différentes personnes infectées au sein d’un même cluster ne présentent jamais les mêmes symptômes… Voilà bien une chose qui apparemment n’intéresse personne, si l’on excepte bien sûr ce qui ressort de l’évidence : certaines sont plus vieilles, plus malades, plus obèses, plus désespérées… Sans doute péchons-nous gravement en ignorant les capacités notre système immunitaire ? Nous savons pourtant ce qu’il faut faire – et ne pas faire – pour le renforcer. N’oublions donc pas notre vitamine D qui semble de plus en plus plébiscitée… Mais voilà bien une chose que les médias – qui n’ont d’œil que pour l’actualité – et les politiques – perpétuellement en « communication de crise » – n’ont guère le temps, semble-t-il, d’envisager sérieusement. Tant pis ! Reprenons plutôt le fil de notre histoire…

Pas d'autre espoir, à ce qu'on nous dit, que de vacciner !

L’humanité met tous ses œufs dans un même panier. Sa seule stratégie réside dans la vaccination massive et, vu l’urgence, elle ne s’accompagne guère d’effort pédagogique. Les objections que soulèvent les vaccins ne datent pourtant pas d’hier et les « complotistes » de tous poils ont beau jeu d’en faire leurs choux gras. Nous ne nous attarderons pas là-dessus. Il semble évident que, comme pour la grippe saisonnière, des publics dits « à risques » doivent être prioritairement vaccinés et, si le vaccin fonctionne sur leurs individus – comme cela devrait être le cas si le virus n’a pas le mauvais goût de trop se modifier entre-temps -, les courbes d’hospitalisation et de mortalité devraient, nous explique-t-on, s’effondrer rapidement. Et tout le monde, espérons-le, se calmer un peu… Les vaccins – rougeole, tétanos, poliomyélite, etc. -, nous connaissons cela depuis l’enfance : ce n’est généralement que le virus lui-même, rendu inopérant ou très affaibli, ou une protéine qui le compose, qui nous est injecté pour préparer notre système immunitaire à produire les anticorps qui s’opposeront à l’agent infectieux. S’agissant de Sars-COV2, les Chinois ont eu la prudence de recourir à cette ancienne stratégie vaccinale, déjà largement éprouvée. Sachons leur rendre cette justice, même si la fable qu’ils nous racontent encore, de la chauve-souris et du pangolin qui seraient à l’origine de la pandémie, semble de plus en plus remise en question (1).

Ce qui inquiète pourtant, c’est qu’avec les coronavirus apparaît aussi une nouvelle génération de vaccins qui soulèvent des problèmes éthiques et philosophiques auxquels toutes les réponses n’ont sans doute pas été apportées. La caractéristique de ces vaccins est d’injecter dans les cellules humaines une copie du matériel génétique du virus concerné, en l’occurrence une partie de son ARN, les coronavirus dont fait partie Sars-COV2 étant des virus à ARN. Nos cellules décoderont ainsi les « secrets de fabrication » de la protéine qui enclenche le processus immunogène et la fabriqueront elles-mêmes ! Toutefois, pour amener cette information dans nos cellules, un vecteur est nécessaire et les nouveaux vaccins dits « génétiques » sont donc de deux types :

Pfizer-BioNTech et Moderna utilisent une nanoparticule de graisse où est emprisonné le désormais célèbre « ARN messager », c’est-à-dire une transcription par une polymérase d’une partie de l’ARN du virus ; cet « ARN messager » fusionne avec la cellule humaine pour y apporter ses données, exactement comme le ferait un virus pour l’infecter ;

AstraZeneca et le russe Spoutnik vont nettement plus loin puisqu’ils utilisent carrément un virus – un adénovirus à ADN – « désarmé » du matériel génétique qui fait sa virulence et qui est alors remplacé par une partie de l’ARN du coronavirus.

La tentation de la polémique

Selon Christian Vélot, généticien moléculaire à Paris-Saclay (2), le risque est sérieux, avec les solutions adoptées par AstraZeneca et le Spoutnik, que l’ADN vaccinant s’intègre dans les chromosomes humains or les thérapies géniques, explique-t-il, ont montré que l’endroit où une telle intégration se produit reste mal maîtrisé. On serait donc en présence d’une authentique « mutagénèse insertionnelle », avec un risque de cancer non négligeable, surtout à l’échelle où la vaccination est effectuée… D’autre part, l’adénovirus vecteur pourrait perturber – puisque c’est quand même bien un virus ! – la réponse vaccinale souhaitée ; des cas d’immunotoxicité sont même observés en thérapie génique et en immunothérapie…

Christian Vélot pointe aussi un problème commun à tous ces vaccins : les virus échangeant volontiers du matériel génétique, un risque de recombinaison virale serait toujours possible ; la vaccination ayant déjà introduit du matériel génétique dans nos cellules, une seule infection simultanée pourrait être suffisante, à ses yeux, pour que le risque soit réel, pouvant même être à l’origine d’une nouvelle pandémie ! « N’ajoutons pas à l’incertitude et à l’imprévisibilité d’un virus, l’incertitude et l’imprévisibilité d’une technologie. Ce cumul n’est pas acceptable« , conclut le généticien moléculaire français. Nous lui laisserons, jusqu’à plus ample informé, l’entière responsabilité de cette opinion car il omet malheureusement de rappeler que le corps humain est, en permanence, « inondé » par un flot important de virus en tous genres, parfaitement inoffensifs dans leur très grande majorité. Cela sans que pourtant rien ne semble se recombiner jamais. Le procès des nouveaux vaccins génétiques semble donc, en dépit de ses objections, bien difficile à instruire.

L'épidémiologie, ce monstre sans cœur !

La biosécurité, bien sûr, ne paraît pas compatible avec l’urgence mais il y a bien urgence aux yeux de ceux qui nous gouvernent, n’en déplaise à Christian Vélot. Vingt mille morts déjà, dans la seule petite Belgique, le chiffre est énorme et politiquement insupportable, en tout cas, pour les autorités, tout cela crie leur impuissance à juguler ce qui passa naguère pour une inoffensive « grippette ». Le temps qui passe est la promesse d’une crise socio-économique toujours plus hors de contrôle et surtout l’assurance de problèmes de santé mentale importants, chez les jeunes singulièrement. Il faut donc en finir, et rapidement ! A l’heure où nous écrivons, nous l’avons dit, tous les espoirs reposent sur la vaccination et il est de plus en plus inopportun d’avoir seulement l’air de douter de ses effets, même si la liberté vaccinale reste fort heureusement de mise. Nos médias nous abreuvent de sondages dignes du « café du commerce » – pourtant volets clos depuis début novembre ! – qui ressemblent plus à de la « méthode Coué » qu’à une réelle photographie des convictions d’une population qui – pas plus que nous d’ailleurs – n’a vraiment les moyens d’en avoir… Mais, si l’éventuel effet secondaire du médicament est admis sans trop de peine par le malade, le vaccin lui est administré à des gens bien portants qui ne tolèrent pas le moindre risque. Chacun fait donc rapidement son petit calcul bénéfices / risques, ce qui ne pose évidemment guère de problèmes aux « populations à risques » qui sont en demande de protection. Mais qu’en sera-t-il des autres ? De tous ceux qui n’ont plus la force d’endosser le poids de leurs malheurs, de ceux qui se sentent abandonnés et qui rêvent secrètement de tout voir péter ? Sur tous pèse la pression insoutenable de grands intérêts économiques et de médias moralisateurs qui, faute d’imagination, rêvent juste d’un très hypothétique retour à la normale… Cette pression fera sans doute que la grande majorité de la population belge aura finalement été vaccinée, à la fin de l’année 2021. C’est du moins, à l’heure qu’il est, le pronostic dominant.

L’épidémiologie, dans ce panorama chaotique, joue un rôle particulièrement ingrat, elle qui étudie la fréquence et la répartition des problèmes de santé dans le temps et dans l’espace, elle qui est autant matheuse et sociologue que médicale à proprement parler, elle qui étudie la possibilité que nos malheurs surviennent ou se prolongent, en fonction de courbes qui soudain font des vagues pour vrais surfeurs, plutôt que de simples vaguelettes invitant aux vacances. Nos responsables politiques n’écoutent plus que les épidémiologistes – ce qui leur donne soudain un niveau de responsabilité auquel ils ne sont pas habitués – et quelques médecins bien sûr, mais pas les généralistes, et juste un peu les pédiatres, mais ni les psychologues, les sociologues ou les historiens… Allez comprendre cela ! Très peu les pédagogues et les agronomes… Un peu les coiffeurs, semble-t-il, mais évidemment pas le monde de la culture. Stimuler l’immunité naturelle des gens ? Personne, dans tout ce beau monde, n’en a apparemment jamais entendu parler… Le colchique dans les prés, quant à lui, par le biais d’un médicament nommé Colchicine connu pour bloquer la réplication cellulaire, semble nourrir quelque espoir de désamorcer les « tempêtes immunitaires » associées au cas les plus graves de Covid-19.

De nouvelles questions sans réponses évidentes…

L’argument qui semble convaincre est celui, charitable, de la protection que nous devons à autrui. Sera-t-il déterminant dans le passage à l’acte de nos concitoyens ? C’est difficile à dire. Les « gestes barrières » semblent de plus en plus ancrés dans nos vies mais combien de temps supporterons-nous ces manières un peu bizarres qui nous sont souvent contre nature ? Et même chez ceux qui font de la vaccination le meilleur gage de « retour à la normale » – ou à quelque chose qui y ressemblerait vaguement -, le questionnement perdure, sans réponses vraiment formelles…

Un vacciné peut-il toujours être porteur du virus ? Personne ne semble avoir de certitude à ce sujet… Combien de temps durera notre immunité, une fois que nous serons vaccinés ? Trop tôt pour la dire. Une étude australienne a bien parlé de huit mois chez les personnes infectées (3)… Pourquoi tient-on à vacciner tout le monde puisque la seule protection des groupes à risque devrait logiquement aplatir les courbes qui posent problèmes : hospitalisations, soins intensifs, décès ? Sans doute parce qu’une circulation trop intense du virus – même s’il cessait d’infecter gravement certaines parties de la population – laisserait trop de latitude à la sélection naturelle pour produire de « nouveaux variants » au potentiel sans doute plus redoutable. Patatras, nous y voilà ! Aujourd’hui, ce sont eux qui nous font trembler et plus encore depuis ce dimanche 17 janvier, où cent trente personnes ont été infectées d’un seul coup par le « variant britannique », autour d’une maison de repos de Flandre Occidentale, faisant d’emblée plusieurs morts ! Nous savions pourtant pertinemment que des virus, ça mute, mais tout semble soudain à nouveau imaginable… Nos universités sont prêtes à séquencer en grand l’ADN des nouveaux intrus qui nous arrivent, tant il est primordial de savoir vite à qui nous avons affaire… Le quotidien Le Monde nous indique, ce 22 janvier, que certains variants – même si ce n’est pas le cas du « variant britannique » – semblent échapper aux anticorps formés contre le virus d’origine par les contaminations et les vaccins. Faudra-t-il craindre, dès lors, une perte d’efficacité des vaccins actuels, voire même imaginer la nécessité de remettre régulièrement à jour, aussi longtemps que la Covid-19 sera parmi nous, le « bouclier vaccinal » sans lequel nous ne pourrons plus vivre ? Cette efficacité en berne bouleversera-t-elle l’actuelle stratégie vaccinale ? Des mutations, toujours plus problématiques, nous forceront-elles, dans un avenir plus ou moins proche, à vacciner et revacciner, à échéances régulières, les publics à risque en priorité, en espérant que la grande majorité des autres – qui ne serait donc pas « servie » – pourra continuer à opposer une réponse immunitaire naturelle, adéquate et efficace ? Faudra-t-il craindre un Passeport vaccinal digne de Big Brother, un répertoire de tous nos vaccins qui existe d’ailleurs déjà, en Belgique, sans que personne n’y ait pourtant jamais rien trouvé à redire. L’idée de rendre ce sésame obligatoire – et dûment mis à jour – est déjà évoquée pour être admis dans les transports en commun, par exemple. Indispensable même, pour sauver l’aviation commerciale du naufrage qui la guette… Et puis quoi encore ? Pour aller au restaurant ou au cinéma ? Une intrusion aussi intolérable dans notre vie privée pourra-t-elle nous être imposée au nom de la sécurité sanitaire ? La vigilance citoyenne, à n’en pas douter, s’impose : pas de liberté vaccinale sans stricte confidentialité ! Quelles que soient les nécessités sanitaires. Et économiques…

Se respecter collectivement

Mais alors, le grand objectif d’immunité collective que nous promet la vaccination massive, afin de retrouver la vie d’avant, tient-il toujours ? Est-elle seulement pensable à l’échelle du confetti qu’est la Belgique ou devra-t-elle être mondiale ou, à tout le moins, continentale ? L’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) nous a déjà charitablement avertis qu’il ne fallait plus y rêver avant 2022 au moins (4). Comment comprendre – bien que cela ait été prudemment « déconseillé » par nos autorités – que cent soixante-cinq mille Belges soient encore partis à l’étranger, à Noël, ramenant dans leurs bagages le « variant britannique » ? Ils auront forcément témoigné un peu plus de solidarité, durant le congé de Carnaval, puisque les voyages non-essentiels sont toujours interdits, mais ont-ils pour autant compris ? Comment admettre, vu la gravité de la situation sanitaire qui sévit depuis un an, que le gouvernement belge table encore sur la seule « bonne volonté » du quidam, alors qu’un pourcent et demi d’inconscients – disons un pourcent, en retranchant les déplacements dits « essentiels » – suffit à compromettre les efforts de tout le reste de la population ? Et à accroître, en sein, dépit et frustration qui ne peuvent qu’inciter à quitter les chemins balisés…

Attention ! Ne confondons pas ici ce qui serait manifestement arbitraire et liberticide avec la mesure collective indispensable pour que soit sauvegardé le sens même de ce qu’on dit être l’intérêt commun. Prendre des mesures, chers amis, suppose aussi – au risque de sombrer, dans le ridicule surtout – qu’on se donne vraiment les moyens d’en garantir le respect. Toujours sous l’indispensable contrôle démocratique, cela va sans dire… Se respecter collectivement, eh oui, c’est d’abord vouloir se conformer individuellement à de telles exigences. Quant à nos médias, ces oiseaux bavards de notre solitude, qui dénombrent avec obstination les gens qui errent encore dans nos aéroports, ils prêtent enfin un peu d’attention à l’état mental des ados inactifs et au désespoir des étudiants claquemurés dans leurs kots. Toute l’attention doit aujourd’hui se concentrer sur l’humain plutôt que sur l’économique, sur ceux qui souffrent vraiment plutôt que sur ceux pour qui rebondir n’est qu’une question de temps… Nous resterons, quant à nous, avec ce questionnement existentiel : alors, vaccin (ou pas vaccin) ?

Notes

(1) Si la responsabilité de la chauve-souris semble sûre, 96% du patrimoine génétique de Sars-COV2 ayant été retrouvés dans un virus dont elle est porteuse, l’entremise du pangolin dont la viande est écoulée illégalement sur certains marchés en Chine semble, quant à elle, de moins en moins probable…

(2) Voir : https://criigen.org/covid-19-les-technologies-vaccinales-a-la-loupe-video/

(3) Voir : https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/12/24/covid-19-une-reponse-immunitaire-qui-persiste-au-moins-huit-mois-apres-les-premiers-symptome_6064445_1650684.html

(4) Voir : https://www.bbc.com/afrique/monde-55631238

Taxe carbone : une mesure « à la fois injuste et très peu efficace, voire contre-productive »

Le « monde d’après », beaucoup en rêvent. Un monde plus juste, respectueux des écosystèmes, moins compétitif, relocalisé, démocratique, soutenable… Une utopie, quoi ! Nous sommes habitués à penser qu’il est essentiel de visualiser un autre monde pour qu’il nous attire à lui comme un aimant. Ici, on proposera l’inverse. Autrement dit, partir du monde présent, questionner sa paralysie, s’interroger non pas sur une destination fantasmée mais sur le premier pas à faire, sur la condition de toute avancée collective.

Propos recueillis par Guillaume Lohest

nouveaux ogm non à la déréglementation
Introduction

La « taxe carbone » est une mesure présentée par beaucoup comme incontournable dans la lutte contre le réchauffement climatique. On s’interroge ici sur ses limites avec Merlin Gevers (1), qui a eu l’amabilité de nous détailler la position du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté (RWLP), telle qu’elle est construite à partir du terrain, avec des témoins du vécu.

– Comment définir la taxe carbone ? On en entend beaucoup parler depuis quelques années, notamment en France…

Merlin Gevers (RWLP) – Il faut faire la distinction entre plusieurs choses : la taxe carbone, la taxe carbone aux frontières, le mécanisme ETS, etc. Quand on parle de fiscalité environnementale, il y a plusieurs choses à ne pas confondre. Revenons-en aux bases… Qu’est-ce qu’une taxe ? Un prélèvement – ici sur la consommation – qui est décidé par l’État. C’est une source de financement pour une série de politiques. C’est donc une forme d’impôt. Et ici, elle ne va porter ni sur les revenus des personnes, ni sur des patrimoines ou sur l’activité d’entreprises, mais elle va s’appliquer sur les produits de consommation d’un acteur économique – un individu, une entreprise. Cela peut prendre plusieurs formes. Il y a les fameuses accises : ce sont des taxes fixées en fonction d’une quantité de matière achetée. La TVA, elle, fonctionne avec un pourcentage ajouté par rapport à un prix. Le RWLP n’est pas du tout opposé au principe de la taxation ou de l’imposition évidemment. Il y a une nécessité de prélever de l’argent, là où c’est utile de le faire, pour financer les services publics, pour faire fonctionner la solidarité dans notre société. La question, c’est comment faire, de façon à ce que la taxation ou l’imposition soit juste.

La taxe carbone, concrètement...

– Et cette taxe carbone, précisément en quoi consiste-t-elle ?

La taxe carbone, telle qu’elle est réfléchie en Belgique, est une taxe sur les combustibles fossiles, un prix qu’on donne à la tonne de CO2. Une modélisation va être réalisée : en fonction du type de produit, on évalue la production de CO2 émise dans l’atmosphère. En fonction des modèles, un prix de la tonne de CO2 va être fixé. Concrètement, donc, si on achète du mazout de chauffage, du diesel, du gaz de chauffage, par exemple, on paiera une partie supplémentaire qui constitue la taxe carbone en elle-même. En Belgique, les modèles qui sont sur la table parlent d’un prix de la tonne de carbone qui serait fixé quelque part entre quarante et cent euros.

Il faut faire la distinction entre la taxe carbone et, d’un côté, le système ETS de marché d’émissions, de l’autre, la taxe carbone aux frontières de l’Union Européenne. L’idée de cette dernière est une taxe à l’importation. Quand un bien importé arrive sur le sol européen, on va estimer la quantité d’émissions qu’il génère, et le taxer en fonction, parce qu’on estime que les normes de production européennes sont plus élevées. C’est une forme de protectionnisme écologique. D’autre part, le marché des émissions fonctionne aussi de façon très différente de la taxe carbone dont je parle. Ce marché des émissions, déjà d’application dans l’Union Européenne, consiste en « échanges » entre entreprises de secteurs bien spécifiques qui s’échangent des « droits de polluer ». Ce n’est pas l’Union Européenne qui fixe le prix de ces échanges, ce sont les acteurs économiques eux-mêmes. C’est une différence importante avec la taxe carbone, pour laquelle le prix est fixé par l’État.

– Pour la taxe carbone, il y a donc fixation d’un prix à la tonne de carbone, à partir de modèles. Cela ne fait-il pas polémique ?

L’évaluation de la quantité de CO2 émise n’est pas polémique car c’est assez facile à modéliser. La question qui se pose, par contre, c’est : faut-il mettre un prix sur la tonne de CO2 ?

– Pour beaucoup de personnes, l’idée de taxer des consommations polluantes semble logique. Le principe du « pollueur-payeur » semble frappé du sceau du bon sens. Parmi les militant.e.s écologistes et environnementalistes, au sein de la plupart des partis, cette idée rencontre même un certain succès…

Intuitivement, le principe de taxer des consommations polluantes fait sens. Si des personnes ont des capacités de consommer autrement et que leur consommation a un impact majeur sur la planète, il faut qu’elles le fassent. Une pollution d’aujourd’hui est une violence de demain, a fortiori pour les personnes précarisées, d’ici et d’ailleurs. Il y a quelque chose de logique à se dire que celles et ceux qui sont les plus responsables du réchauffement climatique doivent contribuer davantage. On est devant un problème planétaire qui est gravissime, d’une ampleur bien plus importante que l’actuelle crise du Covid-19 ! Il y a donc bien une urgence à agir ! Alors comment les gens peuvent-ils changer de comportement ? Et qui est responsable de quoi et dans quelle ampleur ? On parle des gens mais il y a aussi les structures, les institutions, les entreprises…

Impact dérisoire et injonctions paradoxales

– Selon le RWLP et d’autres, une taxe carbone ne permettrait donc pas d’atteindre cet objectif de changement radical ?

Pour répondre à cette question, il faut distinguer deux choses : l’efficacité et l’injustice. La taxe carbone a, pourrait-on dire, une forme d’efficacité. Mais de quelle ampleur ? Si le but est d’amener des changements de comportement, il faut non seulement des effets décourageants d’une telle taxe mais il faut surtout que les personnes disposent des capacités réelles à agir autrement…

Il existe une sorte de consensus dans le monde des sciences économiques selon lequel une taxe carbone aurait un impact sur les consommations des personnes. Mais quelle serait l’importance de cet impact ? Serait-il à la hauteur des enjeux climatiques ? Permettrait-il d’orienter les comportements des gens ? Il existe plusieurs études au niveau international et une étude au niveau belge (2) qui s’est focalisée sur l’impact d’une taxe carbone dans le secteur des transports, en modélisant l’impact d’une telle taxe après dix ans d’application, selon trois scénarios correspondant à différents prix fixés pour la tonne de carbone : quarante, septante ou cent euros. Le résultat de cette étude est que, selon les scénarios, une taxe carbone conduirait à une diminution comprise entre -1 et -2,5 % d’émissions de CO2, dans le secteur du transport. Autrement dit, cet impact est dérisoire par rapport aux objectifs de l’Union Européenne, à savoir -55 % d’émissions de CO2 en 2030, ou ceux des accords de Paris, à savoir -80 % d’ici 2050. On n’est pas du tout à un niveau d’efficacité élevé. Ces estimations correspondent, par ailleurs, aux résultats d’une étude de l’université d’Oxford (3) sur l’impact d’une taxe carbone dans trente-neuf pays, entre 1990 et 2016. Cet impact moyen se situe entre -1 et -2,5 %.

– L’effet de désincitation paraît très faible, en effet…

C’est le moins qu’on puisse dire ! Par ailleurs, pour changer de comportement, il ne suffit pas seulement d’être désincité, il faut avoir une capacité réelle à changer. Pour bien saisir l’injustice de cette mesure, il faut encore préciser qu’une taxe carbone n’a pas le même effet en fonction du portefeuille. Si on dispose de peu de ressources, on va ressentir très fortement l’impact de la taxe ; on sera donc très désincité mais on disposera de peu de moyens pour consommer autrement. Si, par contre, on est plutôt riche, la taxe aura forcément un impact moins fort sur le portefeuille. Du coup, les plus riches – dont on sait qu’ils sont aussi les plus gros pollueurs – sont moins désincités que les plus pauvres alors qu’ils ont davantage de capacités de transformation. Les plus pauvres vont donc risquer de se trouver devant un double non-choix : soit s’endetter davantage parce que leurs consommations relèvent de la survie la plus élémentaire – se chauffer, se déplacer -, soit se priver de ces consommations indispensables, ce qui revient à se mettre en danger et à s’exclure socialement. Une taxe carbone est donc, d’une part, très peu efficace parce qu’elle ne cible vraiment pas tout le monde et, d’autre part, parce que les gens n’ont pas de capacités de transformation. Les locataires, par exemple, n’ont pas la capacité de modifier leurs logements. Les gens qui habitent à la campagne n’ont pas d’alternative à la voiture dans bien des situations… C’est ce que, dans le cadre de la crise de la Covid-19, Christine Mahy a appelé les « injonctions paradoxales » : d’un côté, des mesures qui désincitent et qui interdisent mais, de l’autre, aucun moyen donné à la population – qui ne soient pas seulement financiers – afin qu’elle puisse changer.

Une forme de violence faite aux personnes

Il faut modifier radicalement nos fonctionnements en société pour que notre impact sur la planète soit soutenable, c’est certain. Mais comment peut-on abandonner la voiture quand on vit dans la ruralité et sans couverture suffisante de transport en commun ? Comment peut-on isoler son logement quand on en est locataire ? Comment consommer moins de mazout de chauffage quand on vit dans un logement social-passoire énergétique ? On a pu se rendre compte, avec la crise de la Covid-19, que de nombreuses familles – et c’est regrettable – se chauffent encore au poêle à brûler, avec du charbon ou du pétrole acheté à la pompe. Que leur préoccupation immédiate fut de trouver ces sources d’énergie quand tout était fermé, du fait du confinement. Chez nous, la précarité énergétique touche plus d’un locataire sur trois, c’est une réalité très dure pour beaucoup de ménages. Pénaliser financièrement ceux qui vivent déjà dans le trop peu de tout et n’ont pas de solutions pour changer de comportements ne serait pas seulement inefficace, mais aussi injuste et contre-productif.

– Autrement dit, le paradoxe est qu’une telle taxe serait d’autant plus efficace qu’elle serait socialement injuste…

En effet, plus on augmente le prix de la taxe, plus elle a un impact important, mais avec des effets violents sur les populations.

– Il y aurait, par ailleurs, des effets indirects au niveau symbolique. Ne perdrait-on pas l’adhésion de toute une partie de la population par rapport aux objectifs écologiques communs, en appliquant une taxe de ce genre ? Si la transformation écologique devait être subie, sous la forme d’une injonction paradoxale, elle aurait peu de chances d’être souhaitée par la population, ce qui la rendrait encore moins efficace car elle créerait une fracture culturelle…

Absolument. Et en matière d’efficacité, il faut ajouter que la taxe carbone vise les comportements individuels. Or, et c’est ce qu’a montré le bureau d’étude Carbon4, en France (4), la majorité des efforts sont à trouver dans les structures collectives : le monde économique et industriel, l’État.

– Pouvez-vous expliquer en quoi, concrètement, la taxe carbone implique une forme de violence pour les personnes ?

Il y a une conception tout à fait juste : on sait que plus on est riche, plus on pollue car plus on consomme. Partant de là, on pourrait se dire qu’une taxe carbone serait pertinente puisqu’elle permettrait de réduire la consommation des plus riches. Mais ce qu’on sait moins – ce qu’on oublie… -, c’est que la consommation de CO2 diminue marginalement par euro supplémentaire gagné. Autrement dit, les plus riches polluent davantage, en absolu, mais polluent moins, relativement à l’argent qu’ils gagnent. Car les trois secteurs les plus polluants au niveau des consommations individuelles sont les transports, le chauffage et l’alimentation. Or les plus riches ont accès à des sources d’alimentation de meilleure qualité, ils ont des capacités d’investir dans l’isolation, etc. Et par ailleurs, les consommations moins nécessaires sont, en moyenne, moins émettrices de CO2.

La violence de la taxe carbone, c’est donc qu’en termes de pouvoir d’achat, les plus pauvres sont les plus impactés. Des études ont montré, en France, que ce sont essentiellement les plus pauvres qui paient la taxe carbone car ils sont davantage contraints. Prenons un exemple concret : les demandeurs d’emploi sont tenus de se rendre à leurs entretiens d’embauche, de plus en plus loin de leur domicile. En zone rurale, comment faire autrement qu’utiliser la voiture ? C’est un exemple, parmi d’autres, d’injonction paradoxale. Or, pour changer radicalement la société, on aura besoin d’un rapport de force sociétal, d’une large adhésion de la population. Et ce n’est pas avec une taxe carbone injuste qu’on arrivera à une volonté collective de changement. Les choses à changer sont importantes : les structures productives, le fonctionnement de l’État… Appliquer une taxe carbone, c’est nourrir le discours des opposants à l’écologie, celui qui la stigmatise comme étant « punitive »…

Corriger d'abord les inégalités d'accès aux alternatives

– À entendre les réflexions que vous développez au sein du RWLP, il semble évident que le problème sociétal des émissions de CO2 concerne l’entièreté de nos modes de vie, dans la mesure où vous insistez sur la nécessité d’offrir à tous des capacités de changement, puisque changer radicalement est absolument urgent. N’y a-t-il pas, dans certains discours progressistes, une forme de déni, quand ils pointent uniquement vers les ultra-riches, comme si seulement ceux-ci devaient changer pour résoudre le réchauffement climatique ?

En effet. Un récent rapport d’Oxfam montrait deux choses. D’abord, le fait que l’essentiel des diminutions d’émissions des dernières décennies avait été réalisé par les plus pauvres, tandis que les plus riches avaient augmenté leurs émissions. Il montrait ensuite, dans le même temps, qu’il fallait continuer à viser des changements radicaux, chez les plus pauvres comme chez les plus riches. Mais, je le répète, la question qui se pose c’est : par quels moyens peut-on atteindre ces changements, comment lever les barrières ?

– Une autre sorte de fiscalité carbone, une « taxe carbone juste », n’est-elle pas néanmoins possible ?

Il est important de préciser que les milieux de défense de la taxe carbone essaient d’intégrer la question des inégalités sociale dans le calcul de la taxe, de corriger les effets injustes… La proposition qui est actuellement sur la table du gouvernement fédéral a été annoncée dans cet état d’esprit, avec la promesse qu’elle ne serait pas un levier de financement de l’État mais uniquement un levier de découragement des comportements non vertueux. Le produit de la taxe serait donc, pour faire bref, renvoyé vers les citoyens afin de corriger les inégalités d’accès aux alternatives. Plusieurs réponses sont possibles et il faudra étudier concrètement ces propositions. Pour les plus pauvres, en tout cas, il y a une violence à devoir intégrer le coût de la taxe dans le quotidien, peut-être en s’endettant, pour recevoir ensuite un petit montant correctif, au début ou à la fin de l’année – c’est comme cela que ça fonctionne en Suisse. Pour les personnes en situation de pauvreté, la taxe carbone entraînerait des frais supplémentaires récurrents, donc potentiellement des cumuls d’endettements. L’appauvrissement se joue au jour le jour, tandis qu’un correctif arriverait trop tôt, ou trop tard. La vraie façon de lutter contre la pauvreté est d’augmenter les revenus largement au-dessus du seuil de pauvreté… Or cela, en parallèle, le même gouvernement fédéral ne s’y est pas engagé. Par ailleurs, un tel fonctionnement ne résoudrait pas le problème de l’injonction paradoxale et continuerait de renvoyer le message que ce sont uniquement les gens qui sont responsables, individuellement. Au sein du RWLP, nous voulons renverser la question. Il ne s’agit pas de se demander comment « corriger » une taxe carbone pour la rendre juste socialement, mais plutôt de déterminer quelles mesures politiques permettraient réellement des changements de consommation ? Ce n’est pas seulement une question financière !

Conjuguer d'emblée justice sociale et environnementale

– Quelles seraient ces pistes alternatives ?

Nous avons deux champs d’investigations : celui des mesures de financement de la transition, et celui des alternatives en vue de changer les structures et de faciliter des comportements plus verts. En matière de financement de la transition, un travail de longue haleine du Réseau Justice Fiscale montre que des changements basculants de fiscalité sont nécessaires, tant en matière d’imposition des patrimoines que de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, ainsi que le retour à une plus grande progressivité de l’impôt. Sur le versant des alternatives, une piste majeure est l’isolation massive des logements et, en particulier, des logements sociaux car alors on avance, en même temps, sur les questions écologiques et sur l’injustice sociale, en diminuant les consommations énergétiques des ménages. Bien sûr, on peut aussi citer le renforcement de la fréquence, de la ponctualité et de l’accessibilité financière des transports en commun. Ou encore le travail sur des réseaux d’alimentation durable et des ceintures alimentaires mais en intégrant, dès le départ, la question de l’accessibilité pour les personnes précarisées. Toutes ces pistes montrent que des chemins qui conjuguent d’emblée justice sociale et justice environnementale sont possibles… Mais évidemment s’ils sont financés par la justice fiscale.

« A quelles conditions la justice environnementale irait-elle de pair avec la justice sociale et la réduction des inégalités ? » L’un et l’autre en même temps, toujours, et non la seconde pour compenser – un peu – les effets négatifs de la première. C’est dans cette logique que nous nous plaçons, au RWLP.

– Dernière question : une contrainte portant uniquement sur des usages excessifs – avion, SUV, etc. – n’est-elle pas, tout de même, souhaitable ? Est-elle impossible à mettre en œuvre ?

Si les comportements visés sont du luxe, s’ils ne sont pas nécessaires à une vie décente des personnes – on parle donc ici de SUV -, alors il n’y a évidemment pas d’opposition à dire qu’il faut mettre fin à ces comportements parce qu’on parle ici de mise en danger de vies actuelles et futures. Et, parmi celles-ci, on sait aussi que les plus précaires, chez nous et ailleurs, seront les victimes les plus importantes des conséquences climatiques. Il y a une nécessité de stopper les surconsommations, c’est certain. Nous n’avons pas d’opposition de principe à une taxe sur le kérosène, par exemple, mais il faut voir les choses de façon globale. Tout dépend de quel paquet de mesures cela pourrait faire partie…

Notes

(1) Merlin Gevers est chargé de mission au Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté. À ce titre, il est également actif au sein du Réseau Justice Fiscale.

(2) Dominique Gusbin, “Analyse de mesures concrètes de la Coalition Climat”, Bureau fédéral du plan, mars 2019.

(3) Ryan Rafaty, Geoffroy Dolphin and Felix Pretis, “Carbon Pricing and the Elasticity of CO2Emissions”, Working Paper No. 140, Institute for New Economic Thinking, October 21, 2020.

(4) César Dugast et Alexia Soyeux (dir.), Faire sa part : pouvoir et responsabilité des individus, des entreprises et de l’État face à l’urgence climatique, étude Carbone 4, Juin 2019.

Sur le front de la bio, la vraie…

Au cœur d’un mois de janvier pétrifié par l’angoisse de la Covid-19 – nos médias bégayant à l’envi vaccins et variants puis quand c’est fini l’inverse -, deux faits saillants sont venus égayer le landerneau assoupi de la bio : une émission d’Investigation tout d’abord, sur la RTBF le 12 janvier, puis la publication, le 20 janvier, du rapport de la vénérable Cour des comptes relatif au Plan stratégique bio adopté en 2013 et au soutien accordé, par la Région Wallonne, au développement de l’agriculture biologique. Entre ces deux moments, comme d’éloquents échos…

Par Dominique Parizel

Image campagne producteurs 2021
Introduction

Les fins limiers de la RTBF nous ont, tout d’abord, livré la substance de six mois d’Investigation – c’est le nom de l’émission – dont le sujet du 12 janvier allait nous montrer la Face cachée du bio. Mais, passé un teasing scandaleusement affriolant où l’on prétendit quasi nous révéler le sexe des anges, la montagne accoucha évidemment de la souris, sa compagne, jetant en pâture au consommateur hébété ce que n’importe quel familier de la question pouvait lui apprendre en un quart d’heure. En ce compris la triste histoire de la vitamine B2 OGM donnée quasiment « par erreur » à nos poulets, un imbroglio auquel personne – pas même les autorités publiques du pays – n’a encore trouvé de solution. La faute à pas de chance…

"Couvrez ce sein que je ne saurais voir" (Tartuffe, acte III, scène 2)

Du reste, on aurait pu appeler tout cela la Face cachée de la grande distribution mais d’abord, ç’aurait fait nettement moins sexy et, ensuite, Hercule ne se sentait peut-être plus de taille à nettoyer, une fois encore, les écuries d’Augias. S’étant d’abord fait l’Espagne du côté d’Almeria – en avion ! -, au cœur de la « mer de la plastique » – cette incroyable étendue de serres que même Yann-Arthus Bertrand nous a montrée depuis le ciel ! -, Investigation découvrit – devinez quoi ? – la bio à deux vitesses ! D’un côté, d’honnêtes petits producteurs locaux en circuit court et, de l’autre, la grande distribution qui se fournit – devinez où ? Là-bas ! N’ignorant pourtant rien, pensons-nous, des émeutes racistes d’El Ejido – il y a plus de vingt ans de cela ! -, le journaliste nous révéla, une fois encore, à quel point le travailleur agricole est inhumainement surexploité et sous-payé, au vu et au su de tout le monde puisque, je viens de vous le dire, cette ignominie ne date pas d’hier. Bien sûr, le même journaliste se fit une joie d’exhiber tout cela sous le nez empourpré des responsables de la grande distribution qui exécutèrent avec brio leur grand numéro de vierges effarouchées, pourtant prises la main dans le sac du petit consommateur et jurant, mais un peu tard, ignorer où leurs subalternes peuvent bien – fi donc, l’ami ! – avoir l’outrecuidance de s’en aller quérir leurs tomates. Décidément, le service, mon bon monsieur, n’est plus ce qu’il était… Merci, les gars, vous êtes pathétiques et cela commence vraiment à bien faire.

Bon. Tout cela fut pourtant maintes fois expliqué au lecteur de Valériane : d’une part, il y a le petit producteur en circuit court qui vend ce qu’il produit, en cherchant à savoir autant que possible ce qu’aime le mangeur qu’il côtoie et qu’il respecte. De l’autre, il y a la grande distribution qui « cherche des volumes » pour rencontrer une demande de masse, largement hypothétique, et qui écrase les prix puisqu’elle doit payer, en plus, une grande quantité de « services » totalement absents du circuit court : transport, emballage, publicité, etc. Elle entretient, à cet effet, le mythe – accepté, nous dit-on, par le consommateur lambda – que le « bio est cher » ! « Voilà justement ce qui fait, bien-aimé consommateur, nous apprit ensuite Investigation – certes en y mettant toutes les formes -, que votre fille est muette » (Le médecin malgré lui, acte II, scène 4) ! Enfin, voilà pourquoi votre tomate bio de grande surface n’a pas tout-à-fait le goût que vous espériez… Peut-être la RTBF nous épargnera-t-elle, à l’avenir, pareille tartufferie, en évitant de mettre six mois pour aller chercher à l’autre bout de l’Europe l’évidence que nous avons quotidiennement sous les yeux et que tout le monde connaît pertinemment mais refuse pourtant d’admettre ! En appelant un chat, un chat, aussi. Tiens, vous avez remarqué ? On n’a même pas pipé mot, ou presque, du conventionnel. La preuve, par l’absurde, que ce n’est plus là « que ça se passe » ?

 

La vraie bio selon Nature & Progrès : bien plus qu’un label !

Alors, allons-y, appelons un chat, un chat. Producteur local ou supermarché ? Si la bio répond toujours à un cadre technique légal bien défini, chacun se fera, au-delà de ça, sa propre idée quant à l’éthique qui doit être celle de l’agriculture biologique. Pour Nature & Progrès, produire bio est un choix agricole et alimentaire qui doit permettre à la société d’évoluer vers plus de respect de l’homme de l’environnement. Depuis près de soixante ans, notre association s’efforce d’être le garant de l’esprit d’origine de l’agriculture biologique. Même après la reconnaissance officielle de l’agriculture biologique, en 1991, elle a toujours cherché à promouvoir un label qui va plus loin qu’un simple cahier des charges technique. Chaque jour qui passe, la mise en avant de son label privé permet à celui-ci de compter aujourd’hui près de septante producteurs et transformateurs wallons qui sont heureux de partager leur goût du bon et du sain à travers leur métier, en privilégiant la rencontre avec le consommateur… De quoi lui permettre de mettre un visage sur son alimentation ! Bien entendu, ces producteurs et transformateurs travaillent dans le strict respect de la règlementation bio, mais pas seulement… En choisissant d’adhérer au label Nature & Progrès contrôlé par la certification participative, ils s’engagent à respecter des normes sociales et environnementales strictes. La réglementation européenne officielle, quant à elle, leur garantit le non-recours aux pesticides et aux engrais chimiques de synthèse, ainsi que le bien-être animal.

La bio, telle que nous la défendons, est bien loin d’être seulement du « sans pesticide » ! Cette bio est un véritable mouvement social où producteurs et consommateurs font évoluer, ensemble, notre agriculture et notre alimentation. Chez Nature & Progrès, vous n’entendrez jamais parler de « produits bio » ou de « parts de marché » ; nous préférons mettre en valeur des fromagers, des agriculteurs, des boulangers, des brasseurs, etc. Et, bien sûr, les consommateurs qui leur font confiance… Il s’agit donc d’un mode production, qualitatif et positif, qu’il faut mettre en avant ! Chacun d’entre nous peut, à son échelle, influencer positivement la société de demain en soutenant l’action de producteurs locaux qui appartiennent à une communauté dont les valeurs sont fortes et que nous nous efforçons de défendre, au quotidien, dans notre travail. Qui est mieux placé, pour vous en parler, que les membres de cette communauté eux-mêmes ? Vous pouvez les retrouver sur : https://www.producteursbio-natpro.com.

Le recul inspiré par la Cour des comptes

Rendu public, le jeudi 20 janvier, le rapport de la Cour des comptes intitulé Le soutien de la Région Wallonne à l’agriculture biologique indique que le Plan stratégique adopté en 2013 n’a pas tenu toutes ses promesses. N’ayant fait l’objet d’aucune évaluation, il n’est pas possible de connaître son impact sur le développement des filières bio en Wallonie. « Il est donc impossible d’isoler les effets du plan de la tendance structurelle du marché bio« , analyse la Cour des comptes, qui indique également que « la politique publique ne prend pas en compte les évolutions de la demande selon les catégories de produits. Cela se répercute notamment dans la répartition des primes de la PAC, qui ne correspond pas aux productions permettant de répondre à la demande des consommateurs. » Globalement, estime la Cour des comptes, la politique wallonne en matière d’agriculture biologique « souffre d’un manque de vision à moyen et long terme » et « relève davantage de l’accompagnement que d’une orientation forte du développement futur de l’agriculture biologique.« 

Interpellé, le ministre wallon de l’Agriculture, Willy Borsus, évoque les orientations que donnera, à l’agriculture biologique, le nouveau Plan 2021-2030 qui sera prochainement soumis au gouvernement wallon. Il envisagerait notamment 30% de la surface agricole utile, en bio, à l’horizon 2030. Nature & Progrès s’associera évidemment à pareille ambition, pour les raisons suivantes :

  • la demande des consommateurs locaux semble, à présent, s’orienter clairement en direction des produits bio et, plus spécialement, des circuits courts ;
  • l’agriculture biologique, refusant sans équivoque l’emploi des pesticides chimiques de synthèse et des OGM préserve la santé humaine et la qualité de l’environnement, s’efforçant de ne participer à aucune pollution du milieu où nous vivons ;
  • seule la bio prête vraiment attention à l’autonomie des fermes, leur permettant de devenir des entreprises plus résilientes, seule la bio permet aux producteurs de rester maîtres de leur outil de production. Nous rejoignons ainsi le ministre dans sa volonté de développer des filières, à condition toutefois que ces filières restent à taille humaine, le développement d’outils devant, par exemple, tenir compte des spécificités locales plutôt que de tabler sur des structures qui risqueraient d’oublier, à terme, qu’elles sont au service des producteurs et des consommateurs ;
  • la recherche en agriculture biologique demeure un réel problème car, en bio, le savoir est surtout localisé chez les producteurs, son évolution s’étant produite sur base d’échanges de connaissances. La gestion d’une ferme biologique ne pouvant s’envisager que de manière globale, un problème de mammite chez des vaches laitières, par exemple, ne pourra pas s’arrêter à un diagnostic au sujet des trayons mais l’agriculteur devra, entre autres, se poser la question de la diversité de sa praire, en termes de fourrage. Envisager la recherche filière par filière, comme le fait le conventionnel, ne fonctionnera donc pas en bio. Pour cette raison, Nature & Progrès réclame donc un centre de recherche exclusivement bio dont la mission ne serait pas de trouver des solutions mais plutôt de valider scientifiquement les pratiques empiriques mises en œuvre, par les producteurs, sur le terrain. Mais il s’agit sans doute d’un renversement de point de vue qu’il sera très difficile à faire accepter au monde scientifique…
Consolider l'acquis !

Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ! L’ancien plan stratégique 2013-2020 n’a peut-être pas tenu toutes ses promesses mais il a, tout de même, produit quelques résultats très utiles, permettant notamment l’accompagnement des agriculteurs par une structure spécialisée, Biowallonie, qui a permis au secteur de grandir jusqu’à une ferme sur quatre. Il a également permis le maintien, sur le territoire, d’une réglementation contrôlée de façon stricte.

Félicitons-nous surtout du fait que le secteur bio soit piloté par l’ensemble des acteurs qui le font vivre, agriculteurs, transformateurs, consommateurs et organismes de contrôle et d’encadrement compris. Tous œuvrent, ensemble, au développement de l’agriculture bio, en toute autonomie par rapport aux secteurs conventionnels qui préfèrent d’autres modes de travail et pensent leur développement par filières et par produits…