Ils manquèrent lourdement de courage, nos politiques ; nos jeunes foulèrent maintes fois le pavé pour leur exprimer qu’ils ne voulaient pas vivre dans un monde au climat pourri. On les comprend même si leurs revendications – nombreux furent les pisse-froid qui leur adressèrent un gros doigt ! – manquaient souvent de netteté. Maintenant que les élections ont rendu leurs verdicts, il faut agir. Mais pour faire quoi ? Eh oui, nous sommes en crises : crise climatique, environnementale, écologique, énergétique… Et toutes ces crises sont globales, interconnectées. Impossible d’en attaquer une sans tenir compte de toutes les autres. Nature & Progrès vous invite donc à chercher un peu de lumière dans cet épais brouillard…
Par Fabrice de Bellefroid
Introduction
L’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère et le réchauffement climatique que cela entraîne – ce qu’on appelle la crise climatique – est, au sens où il concerne le globe terrestre dans son ensemble, un phénomène global, mondial, transnational. Il dépasse de très loin nos replis nationalistes ou régionalistes et doit donc être abordé dans des réunions mondiales, comme les COP. Il nous oblige à revoir, tous ensemble, la plupart de nos petites habitudes, ce qui exige sans doute de revoir entièrement notre système démocratique et de représentation. Une démocratie mondiale semble une chose très compliquée à mettre sur pied mais ce seront bien nos représentants, porteurs de mandats clairs, qui se réuniront pour discuter du climat en notre nom… Même à des niveaux plus locaux, la démocratie restera sans doute, pour une bonne part, représentative vu que beaucoup de personnes ne trouvent pas, en elles-mêmes, les ressources suffisantes pour participer à la « chose publique », principalement à cause de leurs problèmes personnels : santé, argent, famille…
L’effet de serre, comment ça marche ?
L’effet de serre, qui menace aujourd’hui l’humanité par le réchauffement climatique, est un processus précis, appelé ainsi par analogie avec ce qui se passe dans une serre, où la température monte dès que le soleil donne. Les principes physiques ne sont toutefois pas identiques car, dans la serre, l’air se réchauffe sous le rayonnement du soleil mais pas plus qu’en dehors ; l’air y étant isolé de la masse de l’atmosphère, il ne peut se mélanger et donc se refroidir. Même en absence de vent, c’est la convection – « l’air chaud monte » – qui brasse l’air et force mélange et refroidissement. L’effet de serre climatique, quant à lui, est dû à l’absorption physique de rayonnement par des molécules. Le rayonnement solaire est composé, au niveau du sol, de la gamme complète des longueurs d’ondes, du lointain infrarouge au proche ultraviolet – les longueurs d’ondes de plus basses et plus hautes fréquences sont absorbées ou arrêtées par l’atmosphère. Le rayonnement du soleil est très majoritairement réémis par la terre dans la gamme de longueurs d’ondes infrarouges, particulièrement favorables pour un certain nombre de gaz présents dans l’atmosphère qui absorbent ce rayonnement. Quand une molécule absorbe le rayonnement de la longueur d’onde qui lui correspond – on parle de « résonance » -, elle monte son énergie vibratoire – atteint un état « excité » – qu’elle garde un certain temps. D’autres longueurs d’onde augmentent simplement l’énergie de translation des molécules, donc la température. Le rayonnement est donc piégé et la température augmente. Quand une molécule à l’état excité reçoit encore du rayonnement, rien ne se passe ; elle ne l’absorbe pas et il continue donc son chemin. A l’échelle de l’atmosphère s’ajoute une accumulation : dans la très haute atmosphère, très froide, le rayonnement réémis par une molécule qui redescend de son état excité à son état stable rencontrera très probablement une molécule non encore à l’état excité qui l’absorbera. Dans la basse atmosphère, déjà chaude avec beaucoup de molécules à l’état excité, le rayonnement réémis va retourner vers la terre et atteindre sa surface, la réchauffant à nouveau. Au final, du rayonnement infrarouge sera donc piégé dans l’atmosphère, en quantité d’autant plus grande qu’il y avait de gaz à effet de serre présents. Notons que l’effet de serre est ce qui permet de rendre la planète terre habitable, la température moyenne de sa surface étant de +15°C, au lieu des -18°C, donc glacée, qu’elle connaîtrait sans effet de serre. Les GES sont principalement la vapeur d’eau, le gaz carbonique (CO2), le méthane, et le protoxyde d’azote. L’eau dans l’atmosphère est un important facteur d’effet de serre, aussi bien en tant que molécule de vapeur d’eau qui intercepte le rayonnement infrarouge que sous forme de gouttelettes d’eau – les nuages – qui jouent alors le rôle de miroir, renvoyant directement le rayonnement de la terre vers le sol. C’est ce qui explique qu’il gèle beaucoup moins, au sol, par temps couvert que par une nuit de pleine lune. L’augmentation de la température à la surface de la terre augmentant l’évaporation de l’eau, une plus grand quantité de vapeur d’eau se trouve dans l’atmosphère et augmente aussi bien l’importance des nuages qui renvoient le rayonnement vers le sol que la quantité de molécules capables de piéger le rayonnement infrarouge. Vu la très courte durée de séjour d’une molécule d’eau dans l’atmosphère – de l’ordre de la semaine – et la très grande variabilité de sa teneur en fonction de multiples paramètres, la vapeur d’eau n’a pas de valeur comparative en tant que GES mais est bien, en la matière, la première substance en importance : 70 à 80 % de l’effet de serre est dû à l’eau. L’augmentation de la teneur en vapeur d’eau et les plus grands écarts de températures en fonction des couvertures nuageuses expliquent des pluies de plus en plus torrentielles et l’augmentation de la puissance des cyclones.
Des évolutions très difficiles à prévoir
Les autres GES, quant à eux, sont simplement des pièges à rayonnement mais, en fonction de leur constitution – atomes et liaisons entre eux au sein des molécules -, ils n’ont pas la même capacité de piégeage du rayonnement infrarouge. Le CO2 est donc pris comme référence afin de pouvoir comparer leurs différentes capacités. Vu que leur durée de vie dans l’atmosphère varie d’un constituant à l’autre et que cela a une influence importante, il faut aussi donner une durée de référence. Les chiffres sont donc donnés ici en équivalent CO2 sur cent ans. Ainsi pourra-t-on constater que le méthane est vingt-cinq fois plus puissant que le CO2, le protoxyde d’azote… deux cent nonante-huit fois !
L’atmosphère est un milieu complexe qui régule énormément de choses. L’ozone est aussi un GES et on voit encore là la subtilité du milieu atmosphérique : la couche d’ozone est utile quand elle est bien située et pas trop importante. Sa couche naturelle est stratosphérique – en haute atmosphère – et intercepte le rayonnement de très haute énergie qui peut dégrader l’ADN. C’est pour la protéger que les gaz organo-fluoro-chlorés ont été réglementés car ils la détruisent et provoquent ainsi les « trous dans la couche d’ozone ». Quand elle est d’origine humaine, la couche d’ozone basse – troposphérique – participe fortement à l’effet de serre et est même irritante pour les voies respiratoires.
Les évolutions du climat sont très difficiles à prévoir vu la complexité de l’atmosphère et des différents facteurs qui l’aggravent ou la minimisent. L’augmentation de la vapeur d’eau augmente, par exemple, l’importance des nuages qui sont aussi des miroirs par le haut, donc qui renvoient du rayonnement solaire directement dans l’espace, avant qu’il ne pénètre dans l’atmosphère. Les calottes polaires font la même chose sauf qu’elles, elles diminuent, mais à des latitudes différentes et donc avec des incidences de rayonnement solaire différentes. L’augmentation de la température de l’atmosphère fait remonter la ceinture de pluies, et les nuages qui y sont liées, de l’équateur vers les pôles. Ceci modifie les rayonnements qui pénètrent l’atmosphère. Les nuages s’élèvent et arrêtent donc le rayonnement à des altitudes différentes mais cette élévation de l’altitude augmente aussi le volume où est piégée la chaleur…
Les trois principaux GES – le gaz carbonique, le méthane et le protoxyde d’azote – sont des composants normaux de l’atmosphère, en quantité infimes, mais ils augmentent avec les activités humaines. L’augmentation du premier est principalement due à la combustion des énergies fossiles, les deux autres à l’intensification de l’agriculture. En admettant que des mesures soient prises pour arrêter ces augmentations, que pouvons-nous imaginer afin de faire redescendre les teneurs atmosphériques de ces GES. C’est une chose dont il est nécessaire de parler car personne n’est en mesure de prévoir l’ »effet retard » de ces augmentations, c’est-à-dire comment évoluera sur du long terme – quand la terre aura épuisé toutes ses capacités d’absorption – la température de l’atmosphère avec les teneurs actuelles. Jusqu’à présent, c’est principalement l’augmentation de la température des océans qui modère l’augmentation de température, ce qui occasionne d’autres problèmes, soit dit en passant…
Le mirage technologique
Les énergies fossiles que nous avons utilisées – et utilisons toujours – ont été accumulées pendant cinq cent millions d’années ! Le monde occidental en a brûlé une certaine fraction – qui reste difficile à estimer – en cent cinquante ans. Cette accumulation avait été réalisée par la vie sur terre grâce au processus de photosynthèse, puis enfouie dans le sol par des processus géologiques et compressée, ce qui explique la densité énergétique du pétrole. Seule la photosynthèse, par la captation du carbone, peut nous aider à lutter contre le changement climatique ! Il est donc crucial d’arrêter de relâcher du carbone piégé, c’est-à-dire des énergies fossiles ; il est peut-être encore temps de limiter le réchauffement à 1,5 ou 2°C – nous augmentons de 0,2°C par décennie ! – mais il sera très difficile de faire redescendre fortement les teneurs en GES acquises. Notre monde matérialiste et technologique nous promet, bien sûr, toujours que la science inventera la solution providentielle mais on ne sait que trop bien ce qu’il en est des promesses technologiques censées « sauver » l’humanité : pesticides de la « Révolution Verte » et OGM qui allaient faire disparaître la faim dans le monde – le lecteur de Valériane sait ce qui arrive aux paysans et à l’environnement dans les pays qui ont pris le risque des cultures OGM -, ou idéologie nucléaire pour qui la fission est une solution théoriquement tentante mais sans doute impossible à réaliser techniquement – le porte-parole du programme ITER vient, une fois de plus, de promettre des tests à l’échelle 1 après soixante ans de recherche intensive. Pour le moment, tout ce qu’on arrive à faire ressemble à de vagues prémices dans des microbulles confinées magnétiquement… Nous n’avons donc pas cent ans de recherche devant nous en ce qui concerne le stockage du carbone !
D’autres graves problèmes se posent déjà : on cite, pour stocker le CO2, dans le sol, le chiffre trois à cinq cents Watts par tonne. Il serait évidemment absurde de consommer des énergies fossiles pour capter du CO2 et ce seraient donc forcément des énergies propres qui seraient utilisées. Mais en utiliser pour séquestrer du CO2 signifierait surtout que tous les autres besoins sont tous couverts par de l’énergie propre. Est-ce le cas ? Si la réponse est négative, il vaut mieux arrêter toute production d’énergie polluante avant d’utiliser de l’énergie pour capter du CO2. Cette énergie propre – solaire et biomasse – exige de la place – des champs de panneaux solaires et des surfaces de culture de la biomasse – et des recherches doivent être menées pour en améliorer les performances et les processus de fabrication, et surtout pour penser dès la conception le recyclage de ces moyens de production. Sera-ce compatible avec nos besoins en alimentation ? Et le plus grand danger n’est-il pas de laisser croire que nous pouvons continuer sans rien changer puisqu’une solution technique va, de toute façon, venir régler le problème. Comme par magie…
Qu’est-ce qui nous empêche, avant tout, de nous passer de l’inutile ?
La première manière de ne pas augmenter les émissions de GES est d’arrêter toutes les émissions non indispensables. Et Dieu sait s’il y en a ! Notre société de consommation fabrique énormément de choses peu utiles, voire même carrément inutiles, qui entraînent toutes sortes d’autres consommations, d’énergie notamment. D’énormes gaspillages sont monnaie courante, un peu partout. Même s’il y a eu parfois des adaptations, ces derniers temps, la plupart des choix techniques et industriels sont avant tout des choix économiques : c’est leur rentabilité qui prime, pas leur impact environnemental !
Certes, quand il existe un moyen d’un peu concilier les deux, des avancées ont été possibles, mais beaucoup trop faibles… Un procédé industriel doit d’abord être durable – dans le sens du développement durable, pas dans celui de sa seule durée – avant d’être rentable pour l’industriel qui le met en œuvre. S’il n’est pas rentable économiquement et que le produit fabriqué est pourtant nécessaire, c’est à la société qu’il appartiendra de se positionner – le produit est-il vraiment indispensable ? – et de prendre en charge le surcoût éventuel, dans le cadre du développement d’une économie collective, associative. Le réseau électrique est un bon exemple : pour tout kWh consommé dans une maison, il faut en produire quatre à la centrale. La différence est perdue, dans le transport essentiellement. Or le fait que le consommateur soit, à tout instant, en mesure d’exiger tout le courant qu’il désire – on lui a fait croire qu’il pouvait tout exiger, que le client était roi ! – impose la mise en place d’un réseau stabilisé à grande échelle, donc avec des grosses unités de production réparties sur l’ensemble du territoire, et d’importants moyens de transport, aménagés sur de longues distances, qui amènent un rendement final de 25%.
Rappelons que cette analyse s’intéresse aux changements climatiques et dénonce le problème de la combustion des énergies fossiles, le moyen le plus direct d’envoyer du CO2 dans l’atmosphère. Comment ne pas déplorer qu’à peu près toutes nos productions utilisent toujours une énergie qui est, le plus souvent, d’origine fossile ? De plus, nous utilisons énormément d’autres ressources fossiles : tous les minerais – pour les métaux, entre autres – qui sont extraits du sol à grand renfort d’énergie. Les engrais minéraux, les isolants qu’utilise le bâtiment, nos propres déplacements, tout cela utilise d’énormes quantités d’énergies fossiles. Extraire le pétrole lui-même exige aussi de plus en plus d’énergie… Tout cela plaide en faveur de l’arrêt de l’extraction d’énergies fossiles. Nous ne parlons même pas ici de raisons environnementales, les mines et le traitement des minerais étant le fait d’industries qui ont un impact majeur sur l’environnement ! Tout doit donc être mis en œuvre pour économiser ces extractions ; tout processus de fabrication d’un produit fini doit prendre en compte le recyclage efficace de ses constituants, avec le moins d’étapes possibles. Ce qui est fait par une marque de photocopieurs semble aller dans le bon sens : vu les avancées technologiques permanentes, il lui parut illusoire, voire même dommageable, de chercher à concevoir une photocopieuse à durée de vie très longue. Elle deviendrait, en effet, rapidement un problème, devenant peu performante par rapport à ce que le progrès technique propose. Certains composants majeurs – moteurs électriques, ossature métallique – sont donc conçus, dès le départ, pour être réutilisés. Dans la même logique – même s’il faut plutôt bannir la voiture individuelle et que ceci n’est donc rien d’autre qu’un exemple qui se veut parlant -, il faudrait pouvoir remplacer un moteur ancien par un moteur moderne, plus économe et moins polluant, sans changer l’intégralité du véhicule et de ses nombreux gadgets, par ailleurs inutiles…
Seule, la photosynthèse…
Partons donc du principe que nous ne ferons plus augmenter les teneurs en GES de l’atmosphère – que s’il y a quand même émission, il y a automatiquement captation – et que nous limiterons le plus possible nos émissions – car, même quand il y a captation, il y a toujours un délai plus ou moins long entre les deux, en raison de la photosynthèse.
Tablons ensuite sur le fait que seule la photosynthèse sera à même de nous aider à faire un peu diminuer les teneurs en GES de l’atmosphère… Gardons-en cependant une partie pour produire notre alimentation car elle en a toujours été la base, directement ou indirectement, puisque tout ce que nous mangeons, hormis le sel, est vivant et en est donc issu, de près ou de loin. Une partie devra également être dévolue à la biomasse énergie, pour la cuisson des aliments mais peut-être aussi pour le chauffage, dans les pays à hiver long et à temps couvert. Comme chez nous… Gardons-en peut-être également un peu pour le refroidissement, au moins pour la conservation de nos aliments…
La biomasse est considérée comme ayant un bilan neutre si la part utilisée est toujours remplacée par de la biomasse en croissance. Le reste de celle qui est produite par la photosynthèse devra donc être optimisée pour stocker du carbone. Pour piéger du carbone, un système à une dynamique positive est nécessaire, c’est à dire un système qui ne soit pas en équilibre. Une forêt primaire ou une prairie permanente le sont et ne stockent donc plus ! Par contre, il y a un potentiel de stockage, en agriculture, dans les sols cultivés. Nos sols malmenés, dans leurs teneurs en humus, peuvent nous aider en remontant leurs taux ! L’autre opportunité consiste à piéger le carbone dans un matériau, issu de la biomasse, qui ne soit ni brûlé, ni composté. C’est le cas du bois dans la construction !
Et ensuite ? Eh bien, croyez-le ou non, c’est rigoureusement tout ! On peut, bien sûr, s’habiller avec des fibres végétales ou animales plutôt qu’avec des fibres synthétiques issues de la pétrochimie, on peut remplacer ses couverts en inox ou sa manne à linge en plastique par du bois ou par des objets en vannerie… Cela a le même impact mais avec une durée de vie trop limitée, malheureusement, pour qu’on puisse vraiment parler de stockage ; cela fait donc plutôt partie des mesures à prendre pour limiter les émissions. Comment estimer qu’une durée de stockage soit pertinente ? C’est assez simple : une poutre en bois ou un mur en paille, c’est du carbone stocké au moins durant toute la vie de la maison. Le stockage sera prolongé si la poutre est réutilisée ; il s’arrêtera si la poutre est brûlée ou compostée.
Deux thèmes qui nous sont chers : construction et agriculture…
Construire en écobioconstruction, à l’aide de matériaux locaux, doit être une priorité absolue. Les sympathisants de Nature & Progrès savent pourquoi nous privilégions l’habitat bois-terre-paille : son impact sur le changement climatique s’ajoute à l’absence d’émissions toxiques à l’intérieur de la maison et lors de la construction. De plus, ce système est très accessible économiquement, pour autant qu’on construise soi-même.
Un mètre cube de bois brut stocke une tonne d’équivalent CO2. Un mètre cube de paille mise en œuvre – soit une masse d’environ cent kilos dans un mur réalisé en ballots, comprenant récolte, pressage, transport, etc. – stocke vingt-six kilos équivalent CO2. Un mètre cube de laine de chanvre – soit une masse d’environ vingt kilos – stocke neuf kilos équivalent CO2. Une maison à ossature bois de deux cents mètres carrés, avec murs en paille et enduits de terre, va ainsi stocker des dizaines de tonnes équivalent CO2… A cela s’ajoute bien sûr le gain de substitution, c’est-à-dire le remplacement par le bois et la paille de matériaux exigeant beaucoup d’énergie grise pour leur élaboration – béton, acier, aluminium, isolants issus de la pétrochimie – et qui sont donc émetteurs de CO2.
L’habitat doit être densifié. Les lotissements à la campagne avec leurs villas quatre façades – en plus souvent mal isolées – seront impossibles à maintenir, aussi bien pour leur impact en chauffage et pollution qu’en tenant simplement compte de la mobilité de leurs habitants. Or, dans la perspective d’un habitat bien isolé, en ce compris tout le bâti existant, pas besoin de penser chauffage ! Une belle épine hors du pied, tant le chauffage qui recourt à la biomasse est polluant, la combustion du bois émettant des composés organiques volatiles et des microparticules… Si cependant du chauffage est nécessaire, notamment en attendant que tout soit correctement isolé, seules les grosses unités ont un bon rendement. Elles pourraient être équipées de filtres pour capter leurs émissions de suie. Des habitats regroupés, serrés, avec des volumes rationnels pour avoir un rapport surface extérieure – volume intérieur qui soit le meilleur possible, seront chauffés par des réseaux de chaleur. Le standard « zéro émission » est quasiment déjà d’application, en construction neuve, mais vu l’énergie grise nécessaire à la construction et étant donné l’état du bâti wallon et bruxellois, la priorité doit évidemment être mise sur l’isolation des habitats existants, en visant les mêmes règles de densification de l’habitat. La densification de l’habitat est évidemment une thématique en soi ; elle doit se comprendre à plusieurs niveaux qui vont de la conception de l’habitat en lui-même – seules les pièces de vie sont isolées, la rationalité est très aboutie… – jusqu’à son implantation dans le paysage – abstenons-nous désormais de bétonner d’immenses surfaces agricoles…
Les isolants, bien sûr, seront « bio-sourcés ». Même si la paille est importante pour la fertilité du sol, la moitié de la quantité produite peut être soustraite, aux processus habituels, pour des fins d’isolation, à condition qu’on développe les engrais verts. Le chanvre cultivé sera systématiquement une variété qui produit des graines, afin que la surface participe quand même à l’alimentation. La concurrence entre production d’alimentation et production de biomasse risque de rester longtemps une question épineuse.
La charte de l’écobioconstruction de Nature & Progrès attire aussi l’attention sur la prise en compte de la mobilité dans l’implantation de l’habitat, sur l’intérêt du chauffage par rayonnement par rapport aux autres modes de chauffage – pour autant que du chauffage soit nécessaire -, sur l’importance d’une conception bioclimatique et de l’utilisation de la lumière naturelle, sur l’épuration des eaux usées, etc. Les projets de construction manquent souvent de cohérence et de globalité. Par exemple, pourquoi les ventilations mécaniques contrôlées – difficiles à éviter en habitat « zéro émission » même si elles consomment de l’électricité – ne sont-elles pas systématiquement reliées à un « puits canadien », ce qui permettrait d’éviter bon nombre de conditionnements d’air ? Les décisions doivent désormais être prises en mettant la priorité sur l’impact climatique environnemental, dans la cadre global d’une réflexion sur une tout autre manière de vivre…
La construction sera, principalement, l’action humaine appelée à piéger du carbone. Approfondissons, dès lors, la question de la biomasse forestière. Les forêts en sylviculture dynamique sont celles qui stockent le plus de CO2. Plus ça pousse vite, plus ça stocke ! Pareille sylviculture doit toutefois demeurer respectueuse de l’environnement. Restons également attentifs au simple fait qu’un bois qui a poussé trop vite présente des performances technologiques amoindries. La sylviculture va devoir s’adapter au changement climatique ; des défis colossaux se présentent à elle : des événements climatiques extrêmes – sécheresses et tempêtes – plus nombreux la mettent à mal, maladies et ravageurs indiquent que certaines essences ne sont plus « en station », c’est à dire que les conditions topo-pédoclimatiques et le régime hydrographique ne correspondent plus aux standards de l’espèce. Tout simplement parce que le climat a changé ! Des boucles de rétroactions existent aussi : la chaleur et l’augmentation de la teneur en CO2 de l’air sont a priori favorables à la photosynthèse et donc à la croissance de la forêt. Cependant, quand il fait trop chaud, nos espèces forestières arrêtent leur respiration, en fermant leurs stomates, donc leur photosynthèse. Et une trop forte augmentation du CO2 s’avère toxique.
Mais attention ! Ce qui vaut chez nous ne vaudra pas partout ! Dans les régions où le bois est rare, voire inexistant, étant donné que le transport de marchandises – sans pétrole et sur de longues distances – sera une gageure, ce ne sera pas le piégeage du carbone qui sera privilégié mais l’ingéniosité d’une ossature ou d’une charpente la plus économe possible en ce précieux matériau. Ce ne seront donc que les pièces de bois prêtes à assembler qui seront déplacées. L’observation de l’habitat traditionnel de telles régions montre, le plus souvent, le chemin le plus juste à emprunter.
En agriculture, il existe bien sûr un important potentiel de stockage de carbone dans les sols. Il s’agit d’augmenter la quantité de carbone qui y est fixée par la vie du sol, sous la forme de complexe organo-minéral. Le potentiel est énorme mais nous sommes évidemment très loin du compte : nos sols n’arrêtent pas de voir diminuer leurs teneurs moyennes en carbone ! D’abord parce que les surfaces de sol vivant diminuent gravement, ensuite par manque pur et simple de discernement de la part de ceux qui les exploitent. Une prairie, par exemple, fixe plus de carbone qu’une forêt ; il n’est donc pas toujours opportun de vouloir reboiser une prairie… Beaucoup de pratiques agricoles détruisent la matière organique du sol sans la remplacer, la plupart des pesticides affaiblissent dramatiquement la vie du sol, les engrais minéraux la sur-activent au détriment de ses réserves par les déséquilibres qu’ils provoquent, les plantes dopées aux engrais font moins de racines qui sont pourtant les parties qui restent et qui se décomposent dans le sol même quand la récolte est exportée… Pour rester vivant et en bonne santé, la vie du sol a besoin d’apports réguliers de matière organique fraîche d’origine aussi bien végétale qu’animale. Augmenter la teneur en carbone des sols n’a pourtant que des avantages, que ce soit pour la fertilité, la rétention d’eau et de nutriments, la facilité qu’il offre pour le travailler et qui permet l’économie de mécanisation et, partant, d’énergie…
Le carbone aussi peut être augmenté, en agriculture, en ramenant l’arbre dans le milieu agricole. Reconnaissons que c’est uniquement pour rationaliser le travail mécanique – et ne pas griffer la carrosserie du beau tracteur pour lequel on s’est endetté – que les arbres et les haies sont encore et toujours arrachés sans honte ni scrupule. Cela n’a strictement aucune base agronomique, bien au contraire. Le microclimat, induit par des haies judicieusement espacées, augmente les rendements et limite le lessivage des nutriments des cultures ainsi que le ruissellement de l’eau… Des épisodes climatiques de plus en plus violents vont rendre leur présence vitale pour forcer l’eau à pénétrer dans le sol plutôt que s’écouler, en torrents, vers les rivières et les fleuves. Ou la grand-rue du village… De plus, les arbres et les haies piègent durablement le carbone, rappelons-le, c’est plus qu’un détail. Ces haies seront avantageusement plantées d’arbres de grande taille afin de faire du bois d’œuvre. Enfin, l’entretien des haies produit une abondante biomasse qui pourra être valorisée.
D’autres aspects de l’agriculture sont étroitement en lien avec le réchauffement climatique. Ne traverse-t-elle pas une époque où elle est, en même temps, un nœud de problèmes et autant de promesses de solutions ? Les engrais minéraux – de très gros consommateurs d’énergie fossile – doivent être abandonnés. La solution est de planter des légumineuses qui ont non seulement un enracinement profond, permettant de piéger beaucoup de carbone, mais fixent aussi l’azote de l’air, permettant le remplacement des engrais solubles. Un autre enjeu crucial sera de rendre l’agriculture réellement productrice d’énergie et non consommatrice. Chaque calorie produite a exigé plusieurs calories pétrole. On est actuellement autour de huit ! Pour qu’elle devienne productrice d’énergie, il faut qu’une calorie consommée produise plus d’une calorie. Il ne s’agit donc pas de diviser un impact mais de l’inverser ! La traction animale y aidera sans doute mais sans oublier qu’il faut un hectare de terre pour nourrir un cheval et que la concurrence avec l’alimentation humaine est bien là… Si, de nos jours, on préfère utiliser le kW, pourquoi mesura-t-on longtemps la puissance d’un moteur avec des ch – des « chevaux » – ou des CV – des « chevaux vapeurs » ? Tout simplement parce que l’énergie connue fut d’abord celle de la traction animale. Un « cheval », c’est 735,5 W, ce qui correspond à la force de traction qu’un bon cheval peut tenir dans la durée, une sorte de moyenne donc. Mais, bien sûr, il est capable de produire un bref effort beaucoup plus puissant. Aujourd’hui, le standard de puissance d’un tracteur dépasse vite les 100 CV mais la notion qu’il faut détailler pour comprendre et comparer n’est pas la puissance mais l’énergie, en ajoutant la notion de temps pendant lequel la puissance est développée. Un cheval qui développe sa puissance de 735,5 W pendant une heure aura produit une énergie de 0,735 kWh. Si nous ramenons cela à l’énergie humaine, un sportif de bon niveau en endurance – un coureur cycliste à 30 km/h – va produire 0,200 kWh. Rien du tout en regard d’un seul litre de pétrole qui produit 10 kWh…
Pour continuer sur le bilan énergétique de l’agriculture, d’autres unités d’énergie doivent être utilisées, comme le mégajoule (MJ) ou la kilocalorie (kcal) : 1kcal = 0,005 MJ = 0,0012 kWh – puisque 1 kWh = 3,6 MJ – car c’est ainsi qu’on comptabilise l’énergie alimentaire. Le froment grain représente 14 MJ/kg, la pomme de terre 2,9, des œufs 6. Le bilan est négatif chaque fois qu’on consomme plus d’énergie que ce qui est contenu dans l’aliment. Il faut en consommer moins pour que le bilan soit positif.
Nous avons vu que les deux gaz à effet de serre important à côté du CO2, le méthane et le protoxyde d’azote, sont liés à l’agriculture. Le méthane a deux sources : les ruminants, dont les éructations entériques sont composées de méthane, et toute décomposition anaérobie de matière organique. Diminuer la consommation de viande – c’est dans l’air du temps ! – est donc une évidence en ce qui concerne les élevages concentrationnaires. Toutefois, la place du ruminant – le seul capable de retirer directement de l’énergie de l’herbe – est très importante et le restera, notamment pour la fertilité des sols. Une alimentation stable, équilibrée et à base d’herbe, est importante pour limiter la production de méthane. Une importante marge de progression apparaît donc si on limite le nombre de bêtes nécessaires et leur alimentation, si on sait éviter les décompositions anaérobies dont on laisse s’échapper le méthane… Ce n’est pas le cas chez nous mais une rizière inondée, par exemple, est une grosse source de méthane. La biométhanisation produit du méthane qui est alors utilisé en cogénération : le gaz produit est brûlé dans un moteur adapté qui fait tourner un alternateur lequel produit de l’électricité. La chaleur produite pour le refroidissement du moteur à combustion est utilisée par ailleurs. Une telle solution ne peut toutefois être utilisée qu’à proximité d’un gros besoin en chaleur et en sachant bien que le résidu de la biométhanisation peut être épandu sur les sols mais qu’il ne participe pas à la vie du sol – la matière carbonée ayant déjà été digérée et ne pouvant plus servir pour les micro-organismes. Ce résidu est plus proche d’un engrais minéral et doit donc être utilisé avec modération car les pesticides, on ne le sait que trop bien, sont l’indispensable béquille des engrais solubles…
Le protoxyde d’azote, enfin, vient du cycle de l’azote dans les sols et intervient dans certains cycles de nitrification – dénitrification. Il est fortement influencé par la teneur en azote – la fertilisation azotée – et le type de substance azotée. Sa longue durée de vie dans l’atmosphère et sa puissance en tant que GES en font un acteur important. L’agriculture bio extensive, avec du bétail à l’herbe, a un bilan intéressant en la matière. Les minéralisations rapides par un travail du sol intensif seront évitées ; il faut aussi raisonner la course à la protéine et les excès d’azote que cela suppose…
Concluons, si nous le pouvons…
Délais de publication obligent, ce dossier fut réalisé avant les élections du 26 mai. Cela n’a d’ailleurs pas beaucoup d’importance car des décisions drastiques et urgentes sont, de tout façon, à prendre sans tarder et ce seront des élus tout neufs, ceux que le scrutin aura désignés, qui seront appelés à le faire, quelles que soit leur panachage idéologique et la vigueur de leurs colorations politiques. Nous leur détaillerons ce texte, qui qu’ils – ou elles – soient. Auront-ils – ou elles – plus de courage que leurs prédécesseurs ? Prendront-ils de vraies mesures, c’est-à-dire pas ces petites adaptations qui compensent les excès, sans vraiment remédier au problème de fond, ou faudra-t-il rapidement retourner dans la rue ? Car c’est bien le fonctionnement de la société dans son ensemble qu’il nous faut à présent revoir, vu les relations étroites qui existent entre toutes les composantes d’un monde extrêmement complexifié…
Depuis 2017, Nature & Progrès approfondit les raisons pour lesquelles, malgré les constats inquiétants, nous refusons le changement. Ces raisons sont liées à nos fonctionnements humains, pas très rationnels, comme des peurs, de la paresse, du déni. N’est-il pas dès lors absurde – et dangereux – d’attendre que ce soit l’État qui nous impose ses règles ? Le vrai problème n’est-il pas avant tout individuel ? Nous aurions pu commencer notre raisonnement en posant que « les gens heureux ne consomment pas » car énormément de dérives viennent de la société de consommation. La mettre à mal parce que de plus en plus de gens ne l’aiment plus est peut-être une piste intéressante ? Qu’est ce qui coupe les gens de leur bonheur, sinon l’évidence que nous vivons dans un monde frustrant ? Tout nous incite à consommer mais, bizarrement, nous n’en tirons plus aucune joie…
Le monde d’aujourd’hui nie l’individu, le réduit à un numéro, à une gueule pour caméra à reconnaissance faciale. Le beau progrès sécuritaire ! Mais le nouveau citoyen de 2019 n’a de cesse de revendiquer sa différence, de hurler qu’il existe avec sa créativité entropique. Car c’est forcément entropique et exponentiel : chaque fois qu’une initiative ‘déplaît’ à la majorité, une règle surgit pour la cadrer, exigeant une nouvelle créativité pour continuer à rencontrer la légitime aspiration à faire reconnaître l’unicité de son âme d’humain. C’est donc d’un vivre ensemble XXL dont nous avons besoin, d’une intelligence collective qui reconnaisse à chacun sa personnalité irréductible tout en permettant, évidemment, la vie en société…
La maxime « ma liberté s’arrête là où commence celle de l’autre » peut sans doute nous aider à avancer. Personnellement, je reprendrais plutôt celle de Gandhi « sois le changement que tu souhaites pour le monde« . Car moi qui vous parle, l’auteur de ces lignes, qui revendique des mesures drastiques de réduction des GES, je n’ai même pas prévu d’arrêter d’utiliser ma propre voiture, dès demain matin. Je réfléchis pourtant sérieusement mais seulement à le faire… après-demain ! Tout cela demande donc à chacun un intense travail sur soi-même ! Fini de rechercher son identité à l’extérieur en présentant une belle façade – de sa maison ? -, une jolie voiture hybride ou même électrique, une race de chien qui sort de l’ordinaire… Ce travail sur soi seul-e face au climat permettra vraiment de passer du plaisir – la dopamine, oui, oui, toujours plus – au bonheur – l’ocytocine, ne pas abuser non plus. L’intérêt de l’ocytocine, c’est que c’est aussi l’hormone d’attachement, celle qui renforce le sentiment d’appartenance, celui de faire partie d’un tout – l’humanité mais aussi le tout plus grand qui nous dépasse -, et qui tombe donc à point nommé pour nous aider à contrer l’individualisme à tout crin. Si nous sommes tous ensemble montés dans une bien mauvaise galère, nous pouvons encore tous ensemble faire pression sur le gouvernail afin de changer de cap…