L’homme est-il toujours à la merci de ses virus ? La réponse à cette question est affirmative et l’émergence de la pandémie de Covid met bien en évidence le fait que l’érosion de la biodiversité, à laquelle nous assistons maintenant, porte atteinte au système qui soutient la vie humaine. En effet, plus un écosystème est riche en biodiversité, plus il est difficile pour un agent pathogène de se propager rapidement…

Par Jean-Pierre Gratia

 

Les changements dans l’environnement sont, en effet, un important facteur de 1’émergence des zoonoses et, en perturbant le délicat équilibre de la nature, l’homme a créé des conditions qui permettent à des agents pathogènes, comme les coronavirus, de se propager. Il faut se dire que l’activité humaine et la destruction de la biodiversité augmentent les migrations de la faune sauvage et la fréquence des contacts entre le monde sauvage et humain, ce qui favorise la transmission rapide du virus. L’élevage intensif, qui caractérise le mode actuel de l’agriculture et qui devrait être modifié, se révèle être un excellent incubateur du virus et une passerelle facile jusqu’à l’homme. C’est là, notamment, en quoi la Covid diffère des épidémies des siècles passés, quand la biodiversité était beaucoup moins affectée et pouvait protéger l’homme davantage que maintenant (2).

 

L’effondrement de la biodiversité

Depuis les trente dernières années, nous constatons un effondrement de la biodiversité. Notre culture semble constituer un handicap pour comprendre la biodiversité. On peut se demander comment la biomasse des insectes a pu diminuer de 80% en Europe sur une période aussi courte et pourquoi les colonies d’abeilles sont atteintes à ce point dans la même période. Les travaux scientifiques sont pléthoriques sur ces sujets mais ne dégagent pas de consensus. Les chercheurs et des organismes comme l’IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services) mettent en avant un processus multifactoriel fondé sur cinq points : changement d’usage des terres et des mers, exploitation directe, changement climatique, pollution et espèces invasives. Il est rarement mention des pesticides alors que, pour une partie des praticiens, le lien avec ces produits paraît primordial (3).

Les maladies infectieuses sont causées par des virus ou par des microorganismes pathogènes, tels que des bactéries, des protistes ou des levures. Elles peuvent se transmettre d’un individu à un autre, au sein d’une même espèce ou d’une espèce à une autre. Dans le cas d’une transmission d’un animal à un être humain, ces maladies sont appelées « zoonoses ». On dit des maladies infectieuses qu’elles sont « émergentes » lorsqu’elles émanent d’un nouvel agent infectieux ou que leur diagnostic et leur identification est récente. Si elles se propagent rapidement, au sein d’une population et que l’on constate un grand nombre de cas infectés, on parle d’épidémie, puis de pandémie quand la propagation atteint plusieurs pays et plusieurs continents (4).

Comment un virus peut-il passer d’une espèce à une autre, du monde sauvage à l’espèce humaine ? Il y a trois ans, le monde entier entama une période de confinement afin de ralentir la propagation du virus de la Covid-19. Causée par l’émergence du coronavirus, cette maladie infectieuse a soulevé de nombreuses interrogations, sur le plan médical, sanitaire ou environnemental. Les chercheurs ont rassemblé les connaissances existantes pour mettre en lumière les consensus et dissensus sur les zoonoses, au sein de la communauté scientifique, et identifier les lacunes de connaissances dans ce domaine. Plusieurs rapports ont été publiés par différentes instances, dont l’IPBES et la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB). Depuis cinquante ans, le nombre d’épidémies au niveau mondial a augmenté avec, en moyenne, environ deux à trois nouveaux agents infectieux émergents par an. Selon le rapport de l’IPBES, 70 % des maladies émergentes, telles que l’encéphalite, l’Ebola, les maladies dues au virus Zika ou Nipah, et presque toutes les pandémies connues – grippe, VIH/Sida, Covid-19 – sont des zoonoses. Bien que ces pandémies proviennent de divers pathogènes transportés par des réservoirs animaux, leur émergence est, en très grande partie, due aux activités humaines. L’IPBES se fonde sur les estimations de l’article de Dobson et al. (5) qui recouvrent les coûts associés à la surveillance du commerce d’espèces sauvages, aux programmes de détection précoce et de contrôle des maladies, à la recherche sur les virus des espèces sauvages et leur potentiel de transmissions aux espèces domestiques et aux humains, à la mise en place de mesures visant à diviser par deux la déforestation dans les zones tropicales, et à la fermeture du secteur de la production de viande sauvage en Chine. Dans le cas de la Covid-19, l’origine du virus est encore méconnue. Une proximité forte avec les virus présents chez certaines chauves-souris a été démontrée mais les mécanismes ayant mené à l’émergence, à l’évolution de la souche SARS-Cov2 et à sa transmission aux humains sont encore inconnues (6). Des recherches sont en cours pour acquérir de nouvelles connaissances et venir éclairer les décideurs sur les mesures de prévention à adopter.

 

Quelques exemples de zoonoses transmissibles à l’homme

La compréhension des liens entre la perte de biodiversité et les maladies zoonotiques est importante pour la santé publique et les programmes de conservation de la nature, ce qui a fait l’objet de nombreux débats et d’études scientifiques. Il est suggéré que les bruits dans les habitats peuvent affecter la diversité locale et la composition des hôtes réservoirs. En analysant plus de six mille assemblages écologiques et trois cent quarante-six espèces-hôtes à travers le monde, on a pu montrer que l’usage intensif d’un territoire a des effets systématiques sur les communautés locales zoonotiques. L’étendue des effets varie selon les espèces et est la plus forte chez les rongeurs, les chauves-souris et les passereaux. Les espèces de mammifères porteuses d’agents infectieux sont à même de se produire dans les écosystèmes gérés par l’homme, ce qui suggère que ces tendances peuvent dépendre de caractéristiques écologiques. Les changements globaux dans le mode d’utilisation d’un territoire peuvent créer des interfaces hasardeuses entre les peuples et les réservoirs de maladies zoonotiques (7).

Au travers de la pêche ou d’activités touristiques, les humains entretiennent également des liens étroits avec la biodiversité marine. L’ingestion d’un produit issu du milieu marin ou le contact avec une eau infectée peut engendrer une transmission d’agents responsables d’infections cutanées localisées ou de maladies systémiques – c’est-à-dire qui affectent tout le corps et non pas certains organes – potentiellement mortelles, et donc représenter des risques pour la santé publique. Des chercheurs américains ont révélé que les vertébrés marins, dans l’Atlantique Nord-Ouest, peuvent aisément transmettre des agents pathogènes aux baigneurs, aux pêcheurs et au personnel de santé de la faune. Ces maladies infectieuses peuvent ensuite se propager via le commerce et les mouvements transfrontaliers de produits marins liés à l’intensification de l’aquaculture et de la mondialisation des produits de la mer. Les mouvements de migration des espèces marines participent aussi à ce phénomène. Les agents pathogènes présents chez les vertébrés marins peuvent venir de la contamination des eaux côtières par les eaux usées, le ruissellement et les déchets agricoles et médicaux (8).

Un déclin de longue date et une dépression de la densité chez les petits rongeurs, comme le campagnol, est un phénomène récent très étendu. Les changements observés peuvent avoir des effets en cascade au niveau des écosystèmes. Dans les paysages boréaux changeants, il apparaît des relations entre des altérations de biodiversité dans des communautés de petits mammifères et des effets potentiels sur les risques de transmission du virus Puumala, causant une maladie néphritique d’origine zoonotique chez l’homme (9). Des chercheurs étudiant la maladie de Lyme, due à une bactérie (Borrelia burgdorfi) transmise à l’homme par la tique mais dont l’hôte originel est la souris à pattes blanches, démontrent qu’en morcelant les forêts et en supprimant les prédateurs de la souris, l’homme crée un vide et devient lui-même un hôte potentiel. La place est libre aussi pour ces souris vectrices de la bactérie, qui se mettent à proliférer. Ainsi, quand la biodiversité animale est pauvre, le risque qu’une tique soit infectée en se nourrissant est élevé (10). La perte d’espèces animales et végétales, en Amazonie, est une des nombreuses conséquences de la déforestation. Celle-ci affecte les communautés indigènes ainsi que les populations en dehors du fleuve et dans les villes. On a pu montrer que les mauvaises conditions climatiques qui en résultent favorisent l’émergence de maladies infectieuses et que les activités associées à la déforestation contribuent à la propagation des vecteurs des maladies (11).

 

Émergence de maladies infectieuses et érosion de la biodiversité

Les maladies infectieuses apparaissent globalement à une fréquence sans précédent, alors que la demande en nourriture est prévue d’accroître d’ici 2100. En tentant de faire la synthèse des chemins par lesquels l’expansion et l’intensification agricoles projetées influenceront les maladies infectieuses humaines et comment celles-ci pourraient affecter la production de nourriture et sa distribution, on se rend compte que onze milliards d’humains vont requérir un accroissement substantiel en céréales et en viande, et une fréquence accrue des contacts entre hommes et animaux domestiques et sauvages, avec toutes les conséquences en matière d’émergence et d’expansion des agents pathogènes. En effet, les chauffeurs agricoles risquent d’être atteints de maladies infectieuses d’origine zoonotique dans 50 % des cas (12).

Des changements dans l’usage d’un territoire, dans les populations animales et le climat, dus principalement à la surpopulation humaine, mènent à l’émergence des zoonoses. Le degré d’infection, par un agent pathogène, dans la population humaine, dépend des changements au niveau des zoonoses et du contexte. Dans les écosystèmes domestiques, péri-domestiques et forestiers, l’intervention humaine constitue un effet primordial dans l’émergence des zoonoses, ce qui nécessite la compréhension de l’écologie des maladies et des facteurs de pathogènes qui vraisemblablement interagissent différemment avec les contextes écologiques et culturels (13). Malgré des mesures de contrôle, de nombreuses maladies infectieuses ou parasitaires apparaissent ou causent des épidémies récurrentes, surtout en Asie et dans les régions de l’Océan Pacifique. En investiguant la façon dont la biodiversité affecte la distribution des maladies infectieuses et les épidémies dans ces régions et en tenant compte de la composition végétale et animale, on a pu montrer que le nombre d’épidémies zoonotiques est positivement lié au nombre d’espèces d’oiseaux et de mammifères menacées, mais est négativement lié à la couverture forestière (14).

Les maladies infectieuses, émergentes et non-émergentes, sont devenues un problème environnemental global, avec des conséquences importantes en matière de santé publique, d’économie et de politique. Et les changements anthropogéniques environnementaux qui affectent les communautés sauvages sont impliqués dans l’émergence et la diffusion d’une maladie. Bien que l’on sache que l‘incidence accrue d’une maladie est liée à la perte de biodiversité pour plusieurs zoonoses, les tests expérimentaux dans ces systèmes font défaut. En manipulant la biodiversité des petits mammifères par le déplacement d’espèces non-réservoir, dans des parcelles de terrain au Panama où les hantavirus zoonotiques sont endémiques, on a pu constater à la fois une prévalence d’infection par les hantavirus dans les populations de petits mammifères – comme les rongeurs – et une densité de population-réservoir accrue, là où la diversité des espèces de petits mammifères est réduite. Indépendamment des autres variables qui affectent la prévalence des infections transmises directement dans les communautés naturelles, la biodiversité est importante quand la transmission de pathogènes zoonotiques est réduite parmi les hôtes sauvages (15).

 

Préserver la biodiversité pour se préserver des pandémies

Le nombre de microbes et de virus confondus sur Terre peut atteindre 1030, dont un petit nombre peut infecter l’homme et causer des maladies. La diversité des organismes parasitaires dépend de leurs hôtes, et le nombre de mammifères hôtes pour les infections zoonotiques augmente en corrélation avec le nombre d’espèces, dans les différents ordres de mammifères. Donc, alors que la perte ou la fragmentation des habitats peut réduire la biodiversité, l’empiètement des habitats par l’homme, au niveau des aires riches en espèces, peut accroitre l’exposition à de nouveaux agents infectieux issus de la faune sauvage. En concevant des changements dans l’exposition de l’homme aux agents infectieux, au sein de classes définies de fragmentation d’habitat, on a tenté de prédire que la division accrue d’habitats accroît les risques d’infection. En appliquant les modèles conceptualisés aux forêts africaines, on a pu identifier les zones de haut risque pour l’atténuation et le contrôle de nouvelles maladies émergentes et prévoir que les mesures d’atténuation peuvent réduire ce risque tout en conservant la biodiversité (16).

Les populations de faune sauvage sont en train de décliner à des échelles locales et globales. Les impacts de défaunassions incluent des changements en cascade au niveau des petits animaux, en particulier les rongeurs, et une altération de beaucoup de processus écosystémiques entraînant des changements de prévalence et de transmission des maladies zoonotiques. Dans le cas de zoonoses impliquant des rongeurs, il y a une évidence en faveur de l’hypothèse que la perte importante d’une faune sauvage accroît le risque de maladie zoonotique, suite à un relâchement des contrôles de la fréquence des rongeurs. Cette hypothèse a été vérifiées expérimentalement, en excluant une grande partie de la faune sauvage d’un écosystème de savane, en Afrique de l’Est, et en examinant les changements de prévalence et d’abondance de l’infection par la bactérie Bartonella (17) chez les rongeurs et ses vecteurs. On n’a pas trouvé d’effet de ce retrait de faune sauvage sur la prévalence de l’infection par cette bactérie chez les rongeurs et les puces. Cependant, à cause de l’abondance doublée des puces et des rongeurs qui suit les défaunassions expérimentales, la densité des hôtes infectés était doublée dans les sites où une large partie de la faune était absente. Ces défaunassions représentent donc un risque de transmission de Bartonella à l’homme (18).

La préservation de la biodiversité apparaît donc comme un enjeu fort dans la lutte contre l’apparition de nouvelles zoonoses et pandémies (19). À ce stade, pour imaginer des solutions pertinentes, il est nécessaire de mieux comprendre le risque d’émergence d’une pandémie.

 

Comment limiter les effets de l’altération de la biodiversité ?

L’IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services) propose de classer les pistes de solutions en cinq catégories :

– lutter contre le changement d’usage des terres pour réduire le danger – les espèces sont plus résilientes aux maladies – et l’exposition – moins de contacts entre les humains et les espèces sauvages,

– réduire les risques liés au contact avec les animaux sauvages pour contribuer directement à réduire l’exposition,

– faire évoluer la gouvernance internationale,

– augmenter la sensibilisation et l’engagement de la société,

– renforcer la recherche.

La réduction de la vulnérabilité passe par les systèmes de santé : développement des infrastructures de santé, augmentation de leur capacité d’accueil, solutions sanitaires – traitements, vaccins… Cette approche – qui est celle habituellement mise en œuvre – repose principalement sur une réponse réactive, basée sur le contrôle d’une maladie après son émergence. Toutefois, la réduction des facteurs d’émergence des maladies, afin de prévenir leur apparition même, est plus efficace et devrait être privilégiée.

Selon l’IPBES, la prévention des épidémies, par la lutte contre les facteurs de perte de biodiversité, a un coût économique et social moins important que la réaction aux pandémies. Les mesures de contrôle, après l’apparition d’une maladie, causent un peu plus de mille milliards de dollars de dommages économiques par an, tandis que la prévention des pandémies par la préservation de la biodiversité est estimée aurait un coût compris entre vingt-deux et trente-et-un milliards de dollars par an…

 

Changement d’utilisation des terres et races locales

Les contacts entre les animaux domestiques et les animaux sauvages infectés, ou entre les animaux infectés et les humains, doivent être évités. La réduction des habitats naturels par les activités humaines augmente les contacts et donc l’exposition des humains et des animaux domestiques aux agents infectieux. Les changements d’usage des terres sont motivés par nos modes de consommation qui sont aujourd’hui intensifs et mondialisés. Par exemple, la consommation d’huile de palme, de plantes et de bois exotiques, de viande et d’autres produits animaux internationaux, de produits nécessitant l’extraction de métaux, d’infrastructures de transport… Cela crée un terreau très favorable aux pandémies, les systèmes étant moins résilients et plus connectés.

Une consommation sobre qui, pour l’alimentation favorise les produits issus de l’agroécologie et des circuits courts, est donc un moyen de prévenir l’émergence de zoonoses, via le changement d’usage des terres. Du côté de la production, l’IPBES identifie la possibilité de mettre en place des mécanismes incitatifs – subventions ou taxes – pour que les entreprises évitent les changements d’usage des terres, les produits agricoles ou d’élevage d’animaux sauvages présentant un risque particulier de zoonose. La surveillance et les mesures de biosécurité, autour des exploitations agricoles intensives, peuvent être renforcées afin de s’assurer de l’absence de contacts avec les animaux sauvages.

Les compromis à faire entre maintien des mesures de conservation et de restauration et changement d’utilisation des terres lorsque le risque de propagation de la maladie augmente, permettraient d’étendre et d’améliorer le degré de protection des aires protégées afin de limiter la multiplication des zoonoses, tant terrestres que marines. Ces points, soulignés par l’IPBES, peuvent être complétés par d’autres éléments mis en avant par la FRB (Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité) (20), dans son travail sur les liens entre zoonoses et biodiversité. Des aires sous protection forte devraient voir l’interdiction ou le strict encadrement des changements d’usage des terres, limitant ainsi l’interface entre la vie sauvage, les animaux d’élevage et les humains. Elles permettent également de préserver la richesse et la diversité des espèces hôtes et de diminuer la probabilité du passage d’un pathogène de l’animal à l’humain (21). Des mesures de conservation et d’utilisation de la diversité des races domestiques permettraient de renforcer la résilience des systèmes d’élevage face au risque zoonotique. Les races locales sont souvent plus adaptées aux conditions d’un milieu donné, contrairement aux espèces qui ont été sélectionnées pour leur performance de production, sans lien avec le milieu dans lequel elles vivent.

 

Les conditions de chasse et de commerce des espèces sauvages

Il peut être envisagé d’éliminer les agents infectieux ou les espèces hôtes de ces pathogènes mais cela va à l’encontre d’une logique de préservation de la biodiversité et, surtout, le succès de telles opérations n’est pas assuré. Par exemple, en 2012 au Royaume-Uni, un programme d’abattage des blaireaux a été lancé par le gouvernement afin de lutter contre la tuberculose bovine. Or, selon une étude de 2007 de « Independent Scientific Group on Cattle TB », le blaireau n’est pas la seule espèce vectrice de cette maladie et l’abattage de cette espèce ne contribue pas de manière positive, ou rentable, au contrôle de la tuberculose bovine en Grande-Bretagne (22).

Les espèces identifiées comme étant hôtes ou vectrices d’agents pathogènes ont des fonctions écologiques importantes et leur éradication est évidemment impossible. Par exemple, les chauves-souris Rhinolophes sont des réservoirs importants de virus potentiellement pathogènes pour l’homme mais sont aussi des animaux essentiels au bon fonctionnement des écosystèmes terrestres. Les populations humaines en retirent des services multiples et importants, notamment en matière de régulation des populations d’insectes, vecteurs ou ravageurs des cultures, de pollinisation et de régénération végétale (23). L’acquisition de matériel génétique en provenance de virus a fortement contribué à l’histoire évolutive des espèces, dont la nôtre. En effet, les transferts horizontaux d’ADN sont reconnus comme un phénomène important dans l’évolution des organismes pluricellulaires. Le maintien de la diversité génétique est donc important dans une perspective évolutive.

Les pistes principales d’action sont donc celles qui concernent les conditions de chasse et de commerce des espèces sauvages. Elles recouvrent des mesures prophylactiques – qui préviennent une maladie – pour sensibiliser, communiquer et éduquer les populations – chasseurs, vendeurs et consommateurs – à l’hygiène lors de la manipulation, du commerce et de la consommation de viande sauvage. Il faudrait tester l’efficacité de certaines mesures visant à prévenir les risques liés à une mauvaise utilisation des micro-organismes ou des toxines, comme l’instauration de journées de nettoyage des marchés de vente de viande sauvage, l’amélioration de la chaîne du froid et des protocoles de biosécurité et de biosûreté. Il est également important de surveiller les maladies des animaux sauvages, domestiques, ainsi que celles affectant les chasseurs, agriculteurs et négociants en contact avec des espèces sauvages, pour éviter qu’elles ne se transforment en épidémies, voire en pandémies. Cela implique également de renforcer, au niveau international, l’application de la réglementation en matière de commerce d’animaux sauvages et à un élargissement significatif de son champ d’action en matière d’espèces concernées. La convention, dite de Washington, sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) pourrait s’étendre au commerce d’espèces sauvages présentant un risque élevé d’émergence de maladies. Des contrôles renforcés sont nécessaires et nécessitent une collaboration entre les Etats (24).

 

La santé globale des humains, des animaux et de l’environnement

Il serait utile de développer l’approche Eco Health dans la gouvernance et les politiques. Eco Health – une organisation non-gouvernementale dont la mission déclarée est de protéger les personnes, les animaux et l’environnement contre les maladies infectieuses émergentes – est une approche qui reconnaît les interdépendances entre la santé des espèces humaines, domestiques et sauvages. Selon cette logique, les uns ne peuvent être en bonne santé si les autres ne le sont pas ! Au niveau des politiques, une approche Eco Health implique d’introduire les enjeux de santé publique comme enjeux des politiques de conservation, mais aussi d’introduire les enjeux de la conservation comme enjeu des politiques de santé publique humaines, animales et végétales.

Les systèmes agro-alimentaires et les modes de consommation ont donc un rôle important à jouer et doivent être pris en compte dans l’approche Eco Health, l’alimentation étant une composante importante de la santé humaine, tandis que l’agriculture et l’élevage se soucient directement de la santé des espèces domestiques. L’agriculture intensive étant, par ailleurs, le premier facteur de perte de biodiversité, elle joue un rôle important dans la santé des espèces sauvages et serait responsable de plus de d’un quart de toutes les maladies infectieuses et de plus de la moitié des zoonoses (25). L’IPBES note qu’à ce stade, il n’existe pas d’instance de gouvernance internationale – organe intergouvernemental ou convention internationale – dédiée à la prévention des pandémies ou à l’atteinte d’une santé globale pour les humains, les animaux et l’environnement. Etablir de telles instances peut permettre de faire avancer la prise en compte de l’approche Eco Health mais, comme la FRB le soulignait fin 2019, il y a déjà une multiplication des organes de gouvernance traitant de la biodiversité (26). Un partenariat intergouvernemental – via les organes en place tels que l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), la CITES, la Convention sur la diversité biologique (CDB), l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) – pourrait notamment permettre de réduire les risques de zoonoses via le commerce international d’espèces sauvages.

Le calendrier politique est dense, au niveau national et international, mais peut permettre l’intégration de ces enjeux de santé dans les politiques de biodiversité. Des mesures concourant à sa préservation peuvent également jouer le rôle d’assurance contre de futures épidémies. Au niveau des financements, l’IPBES identifie comme option la génération de nouvelles obligations vertes d’entreprises ou souveraines pour mobiliser des ressources pour la conservation de la biodiversité et la réduction du risque de pandémie. Il faut sensibiliser la société et engager les citoyens et les acteurs économiques dans les mesures de réduction des risques pandémiques. Chaque citoyen a un rôle à jouer dans la réduction des risques épidémiques, en tant que consommateur, en tant que voyageur… Afin de faire évoluer les comportements, des mesures d’éducation et de communication sont nécessaires, notamment chez les jeunes générations. Une réflexion sociétale peut être menée afin de classer les modes de consommation selon le niveau de risque qu’ils comportent de faire émerger une pandémie, afin de trouver collectivement des solutions alternatives. La transition vers des régimes alimentaires plus sains – avec une consommation responsable de viande – est un élément clé pour lutter contre le changement d’usage des terres – par exemple, la viande importée ou nourrie avec des produits d’importation comme le soja entraînant la déforestation – ou contre les risques sanitaires associés à la consommation de viande sauvage. Cette démarche doit s’inscrire dans une réflexion plus large sur la sécurité alimentaire, qui permettrait d’allier une réduction de la consommation d’animaux sauvages et une agriculture plus durable.

 

Continuer à chercher !

Il existe encore beaucoup d’inconnues pour mieux comprendre l’émergence des zoonoses. Voici, en guise de conclusion, les points identifiés, par la FRB et l’IPBES, comme prioritaires pour la recherche sur le sujet « biodiversité et santé » et qui ont déjà fait l’objet d’études poussées, ainsi qu’exposé précédemment :

– développer des méthodes et des modèles de prédiction des zoonoses, en étudiant la relation entre la dégradation et la restauration des écosystèmes et la structure du paysage, et le risque d’émergence des maladies ;

– conduire des analyses économiques du retour sur investissement pour les programmes qui réduisent les changements environnementaux qui conduisent aux pandémies ;

– mieux comprendre les principaux comportements à risque qui conduisent à des pandémies et le rôle joué par différents acteurs : communautés rurales, secteur privé, gouvernements nationaux ;

– recueillir des données sur l’importance relative du commerce illégal, non réglementé et légal et réglementé de la faune sauvage dans le risque d’épidémies ;

– mieux connaître la diversité microbienne en lien avec le potentiel d’émergence ou le développement de thérapies ou de vaccins ;

– mettre en place des observatoires dédiés au suivi des agents pathogènes et mieux comprendre les fondements évolutifs des changements d’hôtes impliqués dans la propagation des maladies zoonotiques et l’adaptation des agents pathogènes émergents à de nouvelles espèces.

 

Notes :

(1) Gratia J-P (2011), L’homme toujours à la merci de ses virus ?, L’Harmattan, Paris

(2) Aguirre A (2017), Changing Patterns of Emerging Zoonotic Diseases in Wildlife, Domestic, Animals, and Humans Linked to Biodiversity Loss and Globalization. ILAR J 58(3), 315–318.

(3) IPBES (2020), Workshop Report on Biodiversity and Pandemics of the Intergovernmental Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. Daszak et al. (Eds.), IPBES secretariat, Bonn, Germany – https://doi.org/10.5281/zenodo.4147317

(4) Jones KE et al. (2008), Global trends in emerging infectious diseases, Nature, 451, pages 990–993.

(5) Dobson AP et al. (2020), Ecology and economics for pandemic prevention, Science 369 (6502), 379-381.

(6) Wacharapluesadee S et al. (2021), Evidence for SARS-CoV-2 related coronaviruses circulating in bats and pangolins in Southeast Asia., Nature Comm12 (1),‎ 972.

(7) Gibb R et al. (2020), Zoonotic host diversity increases in human-dominated ecosystems. Nature, 584, 398-402.

(8) Pouget B (2019), La marine de guerre française et les grandes épidémies en Méditerranée. Quarantaines, réseau hospitalier et proto-impérialisme sanitaire (années 1820-années 1830), Histoire, économie et société, 2019/3, 69 – 82.

Bogomolni et al. (2008) , Victims or vectors: a survey of marine vertebrate zoonoses from coastal waters of the Northwest Atlantic, Dis Aquat Organ 81(1), 13-38.

(9) Ecke F et al. (2017), Dampening of population cycles in voles effects small mammal community structure, decreases diversity and increases prevalence of a zoonotic disease. Ecol Evo 7(14), 5331-5342

(10) Keesing F S et al. (2022), Effects of tick-control interventions on tick abundance, human encounters with ticks, and incidence of tick-borne diseases in residential neighborhood, Emerg Infect Dis 28(5), 957-966.

(11) Ellwanger JH et al. (2020), Beyond diversity loss and climate change: Impacts of Amazon deforestation on infectious diseases and public health, An Acad Bras Cienc 92(1), e20191375.

(12) Rohr JR et al. (2019), Emerging human infectious diseases and the links to global food production. Nat Sustain 2, 445–456.

(13) McMahon J et al. (2018), Ecosystem change and zoonoses in the Anthropocene, Zoonoses Public Health 65(7), 755-765.

(14) Morand S et al. (2014), Infectious Diseases and Their Outbreaks in Asia-Pacific: Biodiversity and Its Regulation Loss Matter, PLoS ONE 9(2), e90032

(15) Suzán G (2009), Experimental Evidence for Reduced Rodent Diversity Causing Increased Hantavirus Prevalence, PLoS ONE 4(5), e5461

(16) Wilkinson DA (2018), Habitat fragmentation, biodiversity loss and the risk of novel infectious disease emergence, J R Soc Interface 15, 20180403.

(17) Bactérie assez courante, répandue dans le monde entier, qui vit dans la paroi des vaisseaux sanguins et peut être présente chez l’être humain comme chez les animaux. Elle est généralement transmise par les tiques, les puces, les phlébotomes, les moustiques et les chats.

(18) Young HS et al. (2014), Declines in large wildlife increase landscape-level prevalence of rodent-borne disease in Africa, PNAS 111(19), 7036-7041.

(19) Keesing FS et al. (2010) Impacts of biodiversity on the emergence and transmission of infectious diseases, Nature 468, 647-652.

(20) Voir : www.fondationbiodiversite.fr/biodiversite-et-epidemies/

(21) Wilkinson DA et al (2018), Habitat fragmentation, biodiversity loss and the risk of novel infectious disease emergence, J R Soc Interface 15, 20180403. 20180403.

(22) Bourne, J. (2007), Bovine TB : The Scientific Evidence. A Science Base for a Sustainable Policy to Control TB in Cattle. An Epidemiological Investigation into Bovine Tuberculosis, Final Report of the Independent Scientific Group on Cattle TB. Presented to the Secretary of State for Environment, Food and Rural Affairs. The Rt Hon David Miliband MP, p 23.

(23) Moratelli R, Calisher CH (2015), Bats and zoonotic viruses : can we confidently link bats with emerging deadly viruses ?, Mem Inst Oswaldo Cruz 110(1), 1-22.

(24) Reeve R (2002), Policing International Trade in Endangered Species, The CITES treaty and compliance, Earthscan Publications, Londres

(25) Mayer N (2020), Urbanisation et agriculture intensive augmentent le risque de pandémies, World Economic Forum

(26) Voir : www.fondationbiodiversite.fr/plaidoyer-pour-une-cop-15-biodiversite-ambitieuse-et-pour-un-rapprochement-des-conventions-issues-de-rio/