Emoi chez les producteurs et les consommateurs bio. Des courgettes biologiques ont été rappelées par l’AFSCA en raison de teneurs trop élevées en heptachlore, un insecticide dont l’usage est depuis longtemps interdit. Des faits qui sèment le doute sur la fiabilité du label. La vérité ? Ce pesticide est un polluant persistant, contaminant historique de nos sols. Plus que jamais, mangeons bio. Car l’agriculture biologique démontre que se passer des pesticides chimiques de synthèse est possible. Un argument indispensable pour faire interdire au plus vite ces substances nocives et persistantes dont hériteront les générations futures.

 

Par Sylvie La Spina, rédactrice en chef

 

 

22 août 2024. L’Agence Fédérale pour la Santé de la Chaîne Alimentaire (AFSCA) procède à un rappel de courgettes bio vendues par Delhaize « en raison d’une teneur trop élevée en résidus d’un produit phytopharmaceutique (heptachlore) ». Même rappel le 7 septembre chez Aldi et le 9 septembre chez Carrefour.

 

Des doutes sur l’agriculture biologique

L’information, diffusée par l’AFSCA sur les réseaux sociaux et relayée par la grande presse, provoque l’émoi. Dans les commentaires, on peut lire l’indignation d’un consommateur qui se sent trompé et peine encore à croire dans la fiabilité de l’agriculture biologique. « Et ça se prétend bio ? » « C’est bien la preuve qu’ils nous entubent avec leur pseudo bio. » « Mis à part gonfler les prix, c’est aussi bio que je ne suis blonde ! » « Soi-disant bio… Non seulement ces produits sont plus chers, mais en plus, on ne peut pas s’y fier ! » « Je crois que beaucoup produits bio ne sont pas si bio que cela. »

 

Certains suspectent une agriculture bio moins fiable qu’une autre : celle qui est industrielle, celle qui est vendue par les grandes surfaces ou celle qui provient de l’étranger. « Clairement, le bio industriel, ça n’est pas bio ! » « Comme Delhaize, toutes les grandes surfaces vendent du bio traité avec des produits phytosanitaires. » « Les gens ne comprennent pas que le bio en grand magasin, c’est de la poudre aux yeux. Allez chez les petits marchands locaux, dans les coopératives qui exigent des normes strictes si vous voulez du vrai bio. » « Allez chez le petit maraîcher du coin, lui quand il dit bio, c’est bio ! » « Les seuls légumes réellement bio se trouvent dans mon jardin ».

 

Et pourtant, l’agriculture biologique est contrôlée rigoureusement par les organismes de certification, surveillés eux-mêmes par la Région wallonne. Qu’elle soit produite chez de petits producteurs ou chez des industriels, en Belgique ou à l’étranger, vendue en grandes surfaces ou dans des épiceries locales, les contrôles et les normes sont identiques. Comment expliquer cette contamination ? L’agriculture biologique est-elle fiable pour nous, consommateurs bio engagés et attentifs à la qualité de ce que nous mangeons ? Peut-on encore faire confiance dans le label que notre association prône depuis ses débuts ?

 

L’heptachlore, contaminant persistant

Quatre jours après le premier rappel, le 26 août, l’asbl Biowallonie publie un communiqué sur l’origine de la contamination1. Le pesticide détecté dans les courgettes bio, l’heptachlore, est un insecticide organochloré qui a été utilisé principalement contre les insectes du sol et les termites. Classé comme cancérigène possible (groupe 2B du Centre international de recherche sur le cancer – CIRC2), il fait partie des « douze vilains » (The dirty dozen, dont la liste officielle des – en réalité, 17 – contaminants est fournie par le Pesticide Action Network3), une catégorie de polluants organiques persistants parmi les plus nocifs et répandus dans l’environnement. Si une trace d’heptachlore est retrouvée sur un produit alimentaire, celui-ci est impropre à la consommation, qu’il soit bio ou conventionnel.

 

L’Europe interdit l’heptachlore en raison de sa toxicité dès 1978 (Directive 79/117/CEE). La firme américaine qui produisait le pesticide arrête ses activités en 1987. L’heptachlore fait partie des polluants organiques persistants (POP), polluants majeurs à l’échelle mondiale selon la Convention de Stockholm, un accord international visant à interdire certains produits polluants, entré en vigueur en 2004 et comptant 152 pays signataires (dont la Belgique). Il persiste dans l’environnement et s’accumule le long de la chaine alimentaire.

 

Pourquoi en retrouve-t-on dans les courgettes bio ? Une pollution historique est incriminée. « Les cucurbitacées captent les traces d’heptachlore résiduelles et les concentrent durant leur croissance en raison de la composition particulière des substances relâchées par leurs racines », explique Ariane Beaudelot, auteure du communiqué de Biowallonie.

 

Un goût de déjà vu

En mars 2016, Tests-Achats publiait un article4 dénonçant la présence de pesticides chimiques de synthèse dans des pommes et des poires, y compris en bio. L’association fait planer le doute sur la fiabilité de l’agriculture biologique. Un communiqué de presse des Services Opérationnels du Collège des Producteurs nous éclaire alors. « Le chlorméquat, comme le souligne Test Achats, est aujourd’hui banni de la fruiticulture mais reste tristement célèbre par sa persistance dans le bois des arbres. Il continue à être détecté sous forme de microtraces dans les fruits d’anciens vergers de poires aujourd’hui convertis en bio. Une autre source de contamination peut être une dérive de pulvérisation en provenance de champs de céréales non bio où son usage est toujours autorisé. »

 

Une raison de plus pour consommer bio

Ces contaminations font mal au secteur bio, en raison du discrédit qui se propage au sein des consommateurs. Tandis que les convaincus se doutent qu’une explication sera fournie pour expliquer les contaminations – et celle-ci ne tarde pas à les rassurer sur la fiabilité du label -, les consommateurs plus perplexes se détournent du bio, se sentant victimes d’une tromperie. Les réseaux sociaux relaient comme une trainée de poudre les explications erronées. Pourtant, ces faits confirment l’importance, plus que jamais, de consommer bio. Au plus il y a de traces de pesticides dans les produits bio, au plus nous avons intérêt à en consommer.

 

Pourquoi ? Parce les polluants éternels, issus d’anciennes pratiques, se trouvent partout, y compris dans les champs bio et dans les jardins. Parce que les pesticides encore utilisés aujourd’hui en agriculture conventionnelle se répandent dans le sol, dans l’eau et dans l’air que nous respirons. En juillet 2024, PAN Europe et Nature & Progrès ont d’ailleurs démontré, analyses à l’appui, que l’on trouve des PFAS aussi bien dans l’eau du robinet que dans l’eau en bouteilles5 Bien entendu, il y a toujours moins de pesticides dans les produits bio ou « maison » que dans ceux issus de l’agriculture qui les utilise directement. Mais outre cette moindre contamination, il est important de manger bio car la seule manière de se protéger durablement de ces poisons, c’est d’œuvrer à leur interdiction. Choisir le label bio, pour un producteur ou pour un consommateur, c’est participer à retirer du crédit à l’agriculture conventionnelle qui prétend que les pesticides sont indispensables pour nourrir le monde.

 

Consommons bio pour soutenir celles et ceux qui ont opté pour ce mode d’agriculture. Car ce sont les paysans et les paysannes bio qui démontrent au quotidien que l’on peut se passer de pesticides chimiques de synthèse pour produire des aliments sains. Que ces substances toxiques, si elles sont considérées comme indispensables par l’agriculture conventionnelle – qui en persuade nos politiques -, ne le sont pas du tout. Et qu’il est grand temps de les interdire, en vue de préserver notre environnement pour les générations futures. Le nombre de molécules toxiques s’accumulant dans les écosystèmes ne cesse de croître. Pendant que certaines sont enfin interdites, d’autres sont mises sur le marché, avant que la preuve de leur nocivité ne soit apportée et qu’elles soient à leur tour interdites, plusieurs années plus tard. Mais le mal est fait, et ces molécules contaminent nos sols, nos eaux et l’air que nous respirons pendant de longues années encore. Oui, la solution est plus que jamais dans l’agriculture biologique. Il est nécessaire de rétablir la vérité sur les produits bio contaminés afin de rassurer les citoyens sur la fiabilité du bio. Parlons-en, et militons, encore et toujours pour faire interdire les pesticides chimiques de synthèses et autres contaminants chimiques dangereux, pour notre santé et celle de la Terre.

 

 

Notes :

[1] Le communiqué de Biowallonie est accessible sur https://www.biowallonie.com/de-lheptachlore-retrouve-dans-des-courgettes-bio/

2 Liste publiée sur le site : https://monographs.iarc.who.int/fr/agents-classes-par-les-monographies-du-circ-2/

3Lire : https://www.pan-uk.org/dirty-dozen/

4 Gwendolyn Maertens et Daisy Van Lissum (2016) Cocktail chimique aux effets incertains. Test Achats n°606, pages 15-19.

5 Lire l’étude complète : TFA, le polluant éternel dans l’eau que nous buvons. 37p. disponible sur https://www.natpro.be/wp-content/uploads/2024/07/tfa-juillet-2024-v4.pdf