Moissons, mouture et panification furent au rendez-vous de cette année 2021 pour la filière des « céréales alimentaires » du Réseau RADiS (Réseau Alimentaire Dinant Solidaire), mené par Nature & Progrès et la Fondation Cyrys FUP, a pour objectif de développer des filières alimentaires bio et solidaires dans la région dinantaise. Chacune de ces étapes aura permis d’en apprendre davantage sur la mise en place de cette filière sur le territoire régional et sur ses défis propres…
Par Caroline Dehon
Sur le territoire agricole dinantais, plus d’un hectare sur trois est consacré à la culture de céréales. Cette production, si elle était consacrée à l’alimentation humaine dans les mêmes proportions que ce qui se fait en moyenne en Wallonie – soit à peu près 11% -, permettrait de couvrir, en théorie, 96% des besoins des habitants de ce territoire (1). Ce constat théorique n’est malheureusement pas le reflet de la réalité car la majorité des céréales consommées provient d’importations – concurrence du marché international -, et les céréales alimentaires produites localement sont malheureusement souvent déclassées en alimentation animale car elles ne répondent pas aux « critères standards » de panification ou parce que, par manque d’outils, elles sont exportées vers d’autres territoires pour être transformées en farine.
Dès février 2021, rassemblés au sein du Groupe Thématique « céréales alimentaires » du Réseau RADiS, plusieurs agriculteurs bio et citoyens dinantais ont eu l’opportunité de réfléchir ensemble à ce potentiel. Ces acteurs ont exprimé l’envie de développer prioritairement des farines 100% bio et locales, puis du pain et des pâtes en second lieu. Priorités assez sensées me direz-vous : on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ou, en l’occurrence, du pain sans farine…
2021 : une année d’expérimentation pour la filière des céréales alimentaires
Voyant que plusieurs producteurs du territoire avaient l’envie de sortir du schéma classique de valorisation de leurs céréales – vente à des négociants en commerce de gros -, l’idée d’expérimenter une première mouture a germé. Les semis étant déjà réalisés – les emblavements ayant été faits à l’automne 2020 -, l’expérience avait surtout pour but d’éprouver les étapes de transformation des grains succédant aux moissons. Cinq producteurs bio du réseau – Alessandro, Frédéric, Olivier, Laurent et Hervé – ont alors marqué leur intérêt, dès le mois de juin, pour tenter l’aventure.
– des parcelles plutôt prometteuses
Avec les cultures de nos cinq producteurs, une belle diversité de céréales était déjà représentée : grand épeautre, froment – ou blé tendre -, petit-épeautre – ou engrain – et seigle. Nous avons eu l’occasion de visiter quelques-unes de ces parcelles, avant les moissons, en compagnie de producteurs, de citoyens mais également de techniciens agricoles.
Chez Frédéric, agriculteur à Thynes, nous avons découvert deux cultures : une de froment, l’autre d’épeautre. Le froment était cultivé en association avec du pois servant à alimenter une filière de petits pots pour nourrissons. Dès la moisson terminée, ces cultures doivent être dissociées et bien triées pour éviter que la verdure potentiellement restante induise une augmentation de l’humidité, ce qui peut alors entraîner un risque de développement de moisissures au sein du lot de céréales. Au moment de notre visite, alors que le vent et les intempéries n’avaient pas épargné la Wallonie, les céréales de Frédéric n’étaient que peu impactées par le phénomène de la verse. Ce dernier entraîne généralement une perte de rendement et de qualité du grain récolté.
Chez Olivier, à Houyet, nous en apprenions davantage sur les intérêts, notamment nutritionnels, du petit épeautre : pauvre en gluten et de nature plus facilement assimilable, il est, de ce fait, plus digeste pour l’homme. Même si les rendements à l’hectare sont nettement moindres que pour le froment – en moyenne, en bio, deux tonnes à l’hectare contre cinq -, l’avenir du petit épeautre semble prometteur avec une population qui devient malheureusement de plus en plus intolérante au gluten.
Alessandro quant à lui nous a présenté sa parcelle d’épeautre sur les hauteurs de Falmagne, tout à côté de Dinant. Son nom ne vous est peut-être pas inconnu puisqu’il est également l’un des producteurs impliqués dans la filière maraîchage du Réseau RADiS. Au cours de cette visite, nous en avons profité pour aborder les rotations réalisées sur ses parcelles. Pouvant aller jusque six années, il alterne prairies temporaires – fourrage -, céréales à plus forte demande en éléments nutritifs, succession de céréales moins exigeantes et légumineuses, sources d’azote.
– Des moissons compliquées impactant la qualité des céréales
Si les cultures semblaient encore prometteuses, au tout début de l’été, l’issue des moissons n’a pas été glorieuse. En cause, comme vous vous en doutez : le climat extrêmement humide et venteux des mois de juillet et août 2021.
Constats amers :
a- plusieurs parcelles de céréales ont été touchées par le phénomène de la verse, rendant techniquement plus compliqué le moment des moissons mais affectant également directement le rendement des parcelles céréalières ;
b- les moissons n’ont pas pu se réaliser de manière continue : interrompues régulièrement par de nouvelles intempéries, il n’était pas toujours possible, pour nos agriculteurs, de récolter l’ensemble de leurs céréales arrivées à maturité, ce retard ayant entraîné, pour certaines cultures, une germination sur pied des céréales ;
c- enfin, les averses quasi continues ont engendré un taux d’humidité également plus important des céréales, entraînant un risque de moisissures si elles n’étaient pas directement séchées et stockées dans des conditions optimales.
En conséquence, Alessandro et Hervé durent acheminer leurs lots de céréales – froment et épeautre – auprès de grosses unités de séchage, ces lots furent mélangés avec d’autres et n’ont plus pu plus être récupérés pour notre test de mouture. Néanmoins, cette action leur a permis de ne pas perdre l’ensemble de leurs récoltes puisque ces céréales purent au moins être valorisées dans l’alimentation animale.
Le seigle que Laurent espérait récolter a, quant à lui, germé sur pied de manière importante. La germination induit une activité enzymatique considérable au niveau des grains malheureusement préjudiciable à son utilisation en boulangerie.
Frédéric et Olivier purent, quant à eux, récolter et stocker leurs céréales à la ferme. Nous nous sommes donc rendus chez eux afin de prélever quelques échantillons.
– L’analyse de l’aptitude à la panification des céréales : une étape particulièrement importante cette année
Depuis l’ère de l’industrialisation – au cours de laquelle le secteur de la boulangerie n’a pas été épargné -, on évalue l’aptitude à la panification via le taux de protéines présent dans le grain. Il faut, avant tout, obtenir en quantité des céréales qui permettent de produire du pain en nombre et de supporter une activité de pétrissage importante, avec une fermentation courte. Les critères et les techniques de mesure appliqués aujourd’hui ont évolué, en bien, fort heureusement ! En effet, même si les déclassements de céréales panifiables en non-panifiables en industrie restent encore majoritairement axés sur quelques critères technologiques – comme le taux de protéines -, le redéveloppement de filières locales et artisanales poussent à reconsidérer ce qui était autrefois automatiquement déclassé.
Concernant notre Réseau RADiS, étant donné qu’il s’agissait d’une première expérience, nous avons tout d’abord souhaité soumettre les échantillons de grains prélevés à l’expertise du Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W), à Gembloux. A partir des résultats chiffrés des analyses effectuées – ne se limitant donc pas à la mesure du taux de protéines -, le centre de recherche permet d’éclairer l’interprétation des résultats au regard du type de filière visée. En l’occurrence, nous concernant : une filière de type court – locale – et bio, ayant à cœur de travailler avec des meuniers et boulangers artisanaux pouvant valoriser des variétés céréalières diverses.
Les conditions météo désastreuses de cette année nous ont, par ailleurs, poussés à ne prendre aucun risque sanitaire et les échantillons ont été soumis à l’analyse de mycotoxines – des substances potentiellement présentes et toxiques produites par certaines moisissures. Ces analyses ont été réalisées au CER de Marloie. A l’issue des résultats, notre souhait était d’identifier un premier lot que nous pouvions alors faire passer entre les pierres du moulin. Du petit épeautre, de l’épeautre et du froment : c’est ce dernier qui semblait présenter les caractéristiques les plus favorables pour réaliser une première mouture.
– Un premier essai de mouture
C’est à Anhée, à la Ferme de Grange, qu’est donc arrivé le lot de froment d’Olivier. Sur place, le lot a d’abord subi un ultime triage afin de passer entre les mains de Guirec, le meunier des lieux. L’outil, fraîchement certifié bio, est un moulin sur pierres de type Astrié, un type de moulin qui a la particularité de dérouler le grain à travers ses pierres et de séparer ainsi entièrement le son de l’amande, du germe et de l’assise protéique entourant l’amande du grain. Cette technique permet d’enrichir naturellement la farine de tous les nutriments présents dans les enveloppes du grain. On obtient, en sortie, une farine brute intégrale riche en fibres, minéraux et vitamines. Pour notre test, nous avons choisi d’obtenir une farine de type « semi-complète ». Pour ce faire, Guirec a ajusté le tamis de la bluterie et les premiers kilos de farine du Réseau RADiS ont ainsi été collectés.
En mettant notre nez à hauteur du premier sac de farine, il est apparu qu’elle présentait une odeur assez forte d’humidité. Cette odeur n’était en rien la conséquence du procédé de mouture, lui-même, mais plutôt celle des conditions humides apparues aux moments de la moisson et du stockage des grains chez notre producteur. Ce résultat a généré une certaine frustration, étant donné les précautions qui avaient été prises dans la sélection du lot à moudre. L’essai a néanmoins eu le mérite de nous faire prendre encore davantage conscience de l’importance d’un suivi strict, notamment des conditions de stockage, des lots de grains en amont de la mouture, et particulièrement dans une année extrêmement humide comme 2021. Après un constat relevé à l’échelle de la production wallonne, nous étions malheureusement loin d’être les seuls à déplorer une année aux conditions déplorables pour la qualité des récoltes.
– Une journée autour de la panification
Malgré un résultat mitigé, nous avons souhaité poursuivre la démarche initiée en la clôturant par une activité de panification. Organisée dans le courant du mois de novembre, quelques jours après la mouture, cette journée fut réalisée au sein de l’atelier de boulangerie du Comptoir Paysan, à Beauraing. Nous avons eu la chance de bénéficier de l’animation de deux boulangers artisanaux passionnés, Caroline Baltus, de la boulangerie Painprenelle, à Erezée, et Axel Colin, membre fondateur de l’asbl Li Mestère, qui milite pour la préservation et le redéploiement des semences paysannes.
Nous nous sommes ainsi retrouvés à une dizaine de personnes, des citoyens du territoire en majeure partie, autour d’une grande tablée, pour réaliser le pétrissage et le façonnage de la pâte. Le travail de panification fut réalisé au levain et, après cuisson des pâtons, nous avons pu passer enfin à la dégustation. L’odeur désagréable mise en évidence dans la farine s’est malheureusement retrouvée également en bouche avec le pain…
Qu’à cela ne tienne ! Cette expérience nous a permis d’aborder de nombreux sujets avec les participants, au cours de l’atelier : importance des conditions de stockage, enjeux liés à la mouture, intérêts des variétés anciennes de céréales, problématique actuelle du gluten, intérêts d’une panification au levain, etc. Autant de sujets qui mettent en évidence l’importance du soin à apporter à chacune des étapes qui compose la mise en place d’une filière, pour en obtenir et garantir une cohérence globale.
Et pour la suite ?
Avec un potentiel de production de céréales – et donc de farine – important, l’action prioritaire mise en place pour 2022 est de réaliser une étude de marché et de développer les débouchés commerciaux, tels que les – futurs – boulangers du territoire. Cette démarche est primordiale pour avancer sereinement dans la création de la filière locale et envisager progressivement les installations communes nécessaires à son bon fonctionnement. Nous poursuivrons également, en parallèle, les démarches de sensibilisation du consommateur : au recours à de la farine bio et locale, aux techniques de panification artisanales et ses intérêts nutritionnels notamment. Pour ce faire, nous souhaiterions notamment pouvoir remobiliser un four à pain mobile qui constituerait un merveilleux outil en la matière.
Note :
(1) Sylvie La Spina, Contribution théorique de l’agriculture locale à l’alimentation locale. Disponible via : https://www.reseau-radis.be/wp-content/uploads/2021/09/Autonomie-alimentaire-region-dinantaise-L.pdf