Nos bières belges, ne sont pas si belges que ça, tant elles ont souvent recours à des ingrédients venus d’ailleurs. Mais quels rôles les différents maillons de la filière de production céréalière ont-ils à jouer pour redorer le blason de l’orge brassicole en Wallonie ? Car, même si d’autres céréales peuvent être maltées, pour apporter des goûts et des arômes différents, l’orge brassicole est au cœur de la filière. Sans orge brassicole, pas de malt, et – oh tristesse infinie ! – : pas de bière !

Par Mathilde Roda

Introduction

Nature & Progrès propose quelques pistes pour redynamiser la filière afin d’accroître la qualité de nos produits brassicoles et d’amener plus de valeur ajoutée au travail des brasseurs. Plutôt que de destiner nos céréales à l’alimentation du bétail et à la fabrication de « biocarbutants », il nous paraîtrait, en effet, plus intéressants de les diversifier et de les développer en les adaptant aux débouchés des produits transformés qui font notre renommée. Et, au premier plan d’entre eux, nos bières. En fait, cela tombe sous le sens, non ?

Bruno Godin, du Centre wallon de Recherche Agronomique (CRAw) de Gembloux, nous apporte son éclairage technique sur le sujet, en recontextualisant la problématique brassicole wallonne.

La recherche : l’orge est sélectionnée pour répondre à certains critères

N’est pas brassicole n’importe quelle orge ! Pour que l’ogre soit apte à être maltée, elle doit répondre à un certain nombre de critères.

– Bruno Godin, pourquoi tant de critères pour l’orge brassicole ?

Pour répondre aux exigences de maltage, il faut une faible dormance afin de pouvoir malter l’orge le plus rapidement possible après la récolte. Un haut potentiel de germination est nécessaire au processus ainsi que de gros grains chargés d’amidon car c’est l’amidon qui va permettre la production d’alcool. Les variétés doivent, de plus, être résistantes à la fusariose – une maladie causée par des champignons produisant des mycotoxines – et à la verse. Autant dire que ça fait beaucoup de critères !

– Et justement, d’où viennent-ils ?

Dans chaque pays, les critères sont définis par la fédération des négoces. Ce sont classiquement des grosses filières d’exportation qui subissent les pressions du marché. En Belgique, c’est Synagra qui fixe les normes.

– Ces critères-là, ils se jouent déjà au moment de la sélection variétale ?

Oui tout à fait. On est passé de processus de maltage qui prenaient un mois, il y a cent ans, à une semaine aujourd’hui. La sélection a été faite pour optimiser ces critères avec, pour mots d’ordre, rapidité et homogénéité des processus. Donc, comme en panifiable, des lignées sont croisées et testées sur base de ces critères. Certains peuvent être rapidement évalués : calibre, pouvoir de germination, taux de protéine : on évalue facilement et rapidement la protéine et cela permet d’estimer l’amidon… On peut aussi réaliser des micro-maltages et des micro-brassins, en laboratoire et à partir de quelques dizaines de grammes d’orge, pour vérifier son comportement. Mais les normes correspondent aux exigences pour les bières de type « pils », produites à basse fermentation, alors que, pour une filière de bières spéciales, on doit s’intéresser aux besoins de la haute fermentation. Or même les experts brassicoles le disent : on ne connaît pas bien les normes pour la haute fermentation. Ce qui est dommage aussi, c’est qu’on oublie le goût dans tout ça. Le goût n’a jamais été un marqueur de sélection et c’est vrai pour toutes les céréales alimentaires…

La production : cultiver l’orge brassicole, c’est toute une technique !

– Outre la sélection variétale, qu’est-ce qui peut influencer la qualité de l’orge ?

Depuis vingt ans, nous nous sommes spécialisés vers le tout fourrager et nous avons oublié les risques à gérer en céréales alimentaires. Or la manière de cultiver a évidemment un impact non négligeable ! Toute une série d’autres bonnes pratiques doivent être respectées, comme de séparer la « bonne » récolte des zones versées. Une chose de primordiale en brassicole, c’est la propreté ! Il ne faut surtout pas retrouver d’autres céréales, ni plusieurs variétés d’orge. Il faut du monovariétal pour un maltage homogène, sinon le brasseur aura des problèmes de filtration et de gestion de sa recette…

– Alors pourquoi, malgré ces difficultés, certains pays voisins ne semblent-ils pas avoir de problèmes à produire de l’orge brassicole en grande quantité ?

En Belgique, la période des moissons est souvent pluvieuse, or l’humidité étant la bête noire du stockeur ! Lorsqu’on a cherché à se spécialiser en transformation alimentaire, ce sont les industries à plus haute valeur ajoutée que les céréales, et plus facile à gérer avec la chimie, qui ont pris le dessus : les pommes de terre et la betterave. En France, par exemple, où le climat est plus favorable, on retrouve de grandes plaines céréalières car c’est le meilleur moyen de rentabiliser ces terres. Dans d’autres contextes, comme au Danemark, l’orge brassicole est le seul moyen d’apporter de la valeur ajoutée à des terres peu productives. En Wallonie, on se situe entre ces deux situations et on a préféré se diriger vers des productions céréalières à haut rendement, pour l’alimentation du bétail ou l’amidonnerie. On a choisi la quantité plutôt que la qualité.

– Comment faire alors pour remotiver aujourd’hui nos producteurs à se lancer dans cette culture ?

Disons clairement que produire de l’orge brassicole n’est pas une commodité. Mais cette culture présente aussi des avantages : diversification, allongement des rotations, valeur ajoutée… Et puis, tout est une question d’habitude, c’est simplement un métier à réapprendre. De plus, l’orge brassicole étant rustique, bien résistante aux maladies, cela trouve évidemment tout son sens en bio ! Surtout qu’il y a un déficit de production en céréales alimentaires bio…

Le maltage : une première transformation peu rentable

– On parle souvent du manque de micro-malteries en Belgique. Cela peut-il être un levier pour redynamiser la production d’ogre brassicole ?

Il existe deux malteries familiales en Belgique – la malterie du Château et la malterie Dingemans – qui tournent déjà avec de bons volumes et un carnet de commande plein. Il n’est donc pas facile pour les brasseurs qui veulent de petits volumes – qui plus est d’une orge locale pas forcément formatée aux normes industrielles – de trouver une cellule de maltage disponible. Pour pouvoir transformer à petite et à moyenne échelle, il faut donc une malterie adaptée et qui travaille à façon, il faut donc clairement une demande du consommateur, qui influencera le brasseur et qui stimulera la demande en orge locale et donc sa production. La micro-malterie est l’élément central qui fait le lien entre tous ces maillons.

– Qu’est-ce qui freine leur développement à l’heure actuelle ?

Vu le prix de la bière en Belgique, il y a peu de valeur ajoutée à se partager et le maltage est très peu rentable à petite échelle. Une micro-malterie demande beaucoup d’investissement en matériel et il faut vraiment avoir des acteurs de la filière prêts à suivre pour être sûr d’amortir le projet et de le rendre viable à long terme. Il est donc nécessaire de fédérer des agriculteurs, des négoces et des brasseurs autour du projet, avant même de le lancer, une sorte de solidarité nord-nord au sein de la filière, un commerce équitable à la belge…

Le brassage : un haut potentiel de valorisation du terroir belge !

Mais je vois un autre intérêt au développement d’une micro-malterie wallonne. Les brasseries industrielles, non seulement dictent leurs normes en achetant de gros volumes à prix bas. Les micro-brasseurs, non seulement payent un prix plus fort, mais sont soumis aux critères de qualité du malt industriel. Avec une filière locale à petite échelle, certes il y aurait un surcoût pour le consommateur, de l’ordre d’un à deux centimes d’euro pour une trente-trois centilitres, mais il serait possible de produire des bières complètement ancrées dans leur terroir ! Et le bio est d’autant plus intéressant de ce point de vue… Et c’est bien pour cela que les micro-malteries qui veulent se mettre en place veulent souvent viser le 100% bio. Mais il faudrait, pour cela, que les volumes suivent…

– Il y aurait donc un haut potentiel de qualité différenciée en Wallonie, même dans le secteur brassicole ?

Bien sûr ! Finalement, en céréales alimentaires, si on veut mettre en avant le terroir et le goût, il ne faut pas trop produire. On peut faire le parallèle avec le vin et se dire qu’il faut peut-être une même approche : aller vers une offre en plus petits volumes mais avec plus de valeur ajoutée. Evidemment, cela implique d’avoir des consommateurs qui soient en phase avec cela…

Conclusion

Les marchés font-ils le goût ? Non ! Les marchés embrayent sur la demande de consommateurs qui ne connaissent rien aux produits et réagissent simplement à leur réputation et au « récit » qu’en fait la publicité. Laisser faire les marchés, c’est tout standardiser, à terme.

Comment, au contraire, retrouver une typicité, une qualité pour nos produits brassicoles ? Nature & Progrès pense que c’est en permettant le développement de filières courtes et en confiant à de véritables artisans spécialisés la transformation de produits agricoles de terroir, en stimulant le dialogue entre cet artisan et l’agriculteur qui le fournit. A l’évidence, les outils de transformation, comme les micro-malteries, doivent également se trouver au cœur de ces filières. Fabriquer massivement « à façon », et souvent à l’étranger, est une option quantitative qui n’a de sens qu’en visant la conquête de marchés lointains. Cette vision compromet, hélas, la nécessaire évolution du goût et du savoir-faire qui sont un placement dans le long terme…