Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°172

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Par Sylvie La Spina,

rédactrice en chef chez Nature & Progrès

Après nous, les mouches ? Les politiques actuelles ont un impact sur l’habitabilité de notre planète à long terme. Comment défendre les droits des générations à venir ? Qui peut le faire, et sur base de quels arguments ? Plusieurs affaires en justice couronnées de succès démontrent l’importance que nous, citoyens, nous impliquions dans ces actions, pour notre santé et celle de la Terre, aujourd’hui et surtout pour demain.

Au Salon bio Valériane 2024, Matthieu Liénard, juriste, a permis aux visiteurs de mieux comprendre le droit des générations futures
Photo © Yves Lobet

 

« La terre n’est pas un don de nos parents, ce sont nos enfants qui nous la prêtent ».

C’est avec ce proverbe indien que Matthieu Liénard inaugure sa conférence intitulée « Quels droits pour les jeunes de demain en matière de justice environnementale ? » au Salon bio Valériane, le 8 septembre 2024. Nous, humains, modifions aujourd’hui durablement les conditions de vie de notre Terre pour les générations à venir. Certains ont décidé de nommer notre époque « anthropocène » pour marquer le fait que l’Humain est devenu un déterminant de l’évolution de la planète, surpassant les forces de nature. Pensons au climat, aux polluants éternels… Comment faire en sorte que les politiques prennent en compte les effets sur le long terme de leurs décisions actuelles ? Matthieu Liénard nous apporte un éclairage sur cette question.

 

Générations futures et développement durable

L’idée de prendre en compte les générations futures n’est pas récente. En 1892 déjà, la convention de sauvegarde des baleines y fait référence, selon le principe que si l’on tue toutes les baleines aujourd’hui, les générations futures ne pourront plus en tuer pour s’en nourrir. On est alors loin des préoccupations environnementales. La Déclaration universelle des droits de l’homme, en 1948, se concentre sur la dignité de l’entièreté de l’humanité, venue et à venir, ce qui prend implicitement en compte les générations futures. C’est en 1987, dans le rapport Brundlandt, que la notion de développement durable est définie avec la volonté de ne pas compromettre les générations futures. Ces outils juridiques ont peu à peu introduit les notions qui ont permis ensuite l’émergence de textes législatifs sur lesquels on peut aujourd’hui se baser.

 

Incompatibilités juridiques

Défendre les générations futures à travers la loi présente deux grandes difficultés. La première est la notion de temps long, peu compatible avec les politiques court-termistes et avec le droit qui est, par essence, momentané. Cependant, le principe de non-régression empêche de revenir en arrière sur certaines législations, constituant un garde-fou précieux. La seconde difficulté est de défendre le lien de cause à effet entre une pratique ou une politique et ses conséquences retardées sur les générations suivantes. Le dommage n’est pas encore subi, et, de plus, il n’y a pas de victime car les générations futures n’ont pas de personnalité juridique, pas de représentant en justice pour défendre leurs intérêts.

 

Qui pourrait défendre les générations futures ?

Parmi les acteurs publics, on pourrait se tourner vers l’ONU mais elle ne représente que 193 des 197 pays de l’humanité. Par ailleurs, il y a de grandes différences entre les pays, qui ne sont pas représentés de manière égale. Les Etats eux-mêmes seraient de mauvais représentants en raison de leurs politiques court-termistes et de leurs intérêts divergents avec ceux de l’humanité. Du côté des acteurs privés, les particuliers démontrent un intérêt personnel et direct à agir, ce qui est peu compatible avec la représentation de générations futures. C’est au niveau des associations que l’intérêt collectif et celui des générations futures peut être défendu.

 

Des arguments et des succès

Plusieurs arguments peuvent potentiellement être évoqués en justice pour défendre les intérêts des générations futures : (1) le principe de précaution, (2) le droit à la vie et à un environnement sain, (3) le droit à la vie privée et familiale, (4) l’interdiction de discrimination, (5) la responsabilité civile et (6) l’intérêt supérieur de l’enfant. On n’a pas encore beaucoup de recul sur la prise en compte de ces différents arguments par la justice, mais différents procès nous éclairent sur les plus prometteurs.

« L’affaire Urgenda » est l’un des plus brillants dossiers en matière climatique. En novembre 2012, la fondation Urgenda demande à l’Etat réduire de 40 % les émissions de CO2 entre 1990 et 2020. Elle saisit le tribunal de première instance de La Haye en 2015 en invoquant plusieurs principes de droit international, dont le droit international du climat. Le juge néerlandais prononce une décision historique. Dans cette affaire clôturée définitivement en 2019, les Pays-Bas furent contraints à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 25 % à l’horizon 2020.

Le droit à la vie privée et familiale a été utilisé avec succès dans « l’affaire des vieilles dames » en Suisse. Une association représentant plus de 2.500 femmes âgées a revendiqué le statut de victime, attaquant leur pays pour violation des droits humains en raison de l’inaction contre le réchauffement climatique. « Nous, les personnes âgées, nous sommes le groupe de population le plus fortement touché par l’augmentation des canicules, car les atteintes à notre santé et notre mortalité sont particulièrement élevées. Nous devons également agir aujourd’hui pour protéger les générations futures contre des effets encore pires. Nous menons une action en justice, parce que tout ce qui nous est cher est en jeu », peut-on lire sur le site internet de l’association. Les commissions juridiques du Conseil national et du Conseil des Etats ont introduit un appel au Conseil fédéral.

« L’affaire climat » en Belgique a été couronnée de succès. L’asbl regroupe plus de 70.000 citoyens. Estimant que la Belgique ne tient pas ses promesses internationales en matière de climat, l’association entend changer la donne en intentant une action en justice contre les quatre gouvernements belges compétents. Avec succès. Le 30 novembre 2023, la cour d’appel impose à l’État fédéral belge et aux régions bruxelloise et flamande de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % à l’horizon 2030.

Le « Farmer Case », plainte introduite en mars 2024 par un agriculteur, Hugues Falys, avec le soutien de plusieurs associations (dont Greenpeace, Fian Belgium et la Ligue des Droits humains) contre la firme TotalEnergies repose sur la responsabilité civile. Invoquant l’impact des changements climatiques sur l’agriculture, Hugues Falys demande à la justice que TotalEnergies répare les dommages dont il a été victime et participe financièrement à la transition. Il demande également à la justice de contraindre la multinationale à sortir des énergies fossiles afin d’éviter des dégâts futurs. L’affaire est en cours.

 

Rien sans les citoyens

Si l’importance de protéger les générations futures des impacts de nos politiques actuelles est évidente, le cadre législatif et juridique doit encore être affiné. Le rôle de nos associations citoyennes dans ces enjeux est primordial : il s’agit des seuls organismes capables de parler au nom des générations futures ! Des associations et des fondations ont agi pour contraindre leurs pays ou des firmes privées à adopter des mesures contre le changement climatique. Elles ont démontré que c’est possible. Voici une raison de plus pour que le citoyen prenne à bras le corps les enjeux environnementaux et climatiques et s’investisse dans ces causes pour notre santé et celle de la Terre, aujourd’hui et surtout pour demain.

Nature & Progrès a régulièrement recours à des actions en justice pour protéger les droits des citoyens, notamment le droit à un environnement sain. Jusqu’ici, l’association n’a jamais eu besoin de faire appel au concept de protection des générations futures car ses recours sont d’ores et déjà recevables, étant donné son mandat et son objet social spécifique. Pour toute action en justice, il faut démontrer d’un intérêt à l’action. L’intérêt à agir de Nature & Progrès en matière de pesticides et OGM découle de ses statuts et de son objet social : défendre l’environnement et l’agriculture biologique. Cependant, la multiplication des arguments évoqués lors d’actions en justice offre autant de cordes à dresser à son arc pour atteindre nos objectifs : protéger les générations futures et leur assurer un environnement sain, une planète habitable.

 

REFERENCES

La conférence de Matthieu Liénard, filmée par la télévision locale MaTélé, est disponible sur https://www.matele.be/ex-cathedra-justice-environnementale-quels-droits-pour-les-generations-futures

 

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