S’il est désormais notoire que les PFAS – ces substances per- et polyfluoroalkyles – sont utilisés dans les produits de consommation les plus variés – poêles à frire, textiles, emballages alimentaires, etc. -, il est moins connu que des pesticides à base de PFAS sont autorisés et activement pulvérisés sur les cultures vivrières, terminant ainsi dans nos assiettes. Nous avons étudié l’ampleur de la contamination des fruits et légumes dans l’Union Européenne et en Belgique : l’exposition des consommateurs belges et européens est croissante ! Cette conclusion est corroborée par l’augmentation des ventes de ces pesticides PFAS, en Belgique, au cours de la dernière décennie.

 

Par Virginie Pissoort, chargée de plaidoyer

 

 

Novembre 2023. L’émission #Investigation de la RTBF révèle la présence, dans l’eau du robinet, d’un contaminant, appelé PFAS. Deux ans plus tôt, en Flandre, le déversement massif de PFAS dans l’eau et dans l’air par l’usine 3M avait déjà mis sous le feu des projecteurs l’extrême persistance dans l’environnement et les risques pour la santé de cette catégorie de produits chimiques, des polluants éternels.

 

Des PFAS dans les pesticides

Cette persistance exceptionnelle, développée par le secteur de la chimie grâce à l’ajout d’atomes de fluor à différents types de molécules, a également fait son apparition en agriculture, après les années 2000, dans la production de fongicides, d’herbicides ou d’insecticides. L’introduction délibérée d’un groupe trifluorométhyle (-CF3) permet, en effet, d’améliorer les propriétés hydrophobes (hydrofuges) et lipophobes (répulsives aux graisses) des pesticides de synthèse, renforçant ainsi leur efficacité et leur stabilité. Il existe aujourd’hui trente-sept substances actives composées du trifluorométhyle, approuvées dans l’Union Européenne.

 

Ces pesticides sont bien des PFAS, au sens où l’entend l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques), même si on les qualifie de « PFAS à chaine courte », contrairement aux « PFAS à chaine longue » qui ont, jusqu’ici, davantage fait l’objet de l’attention des scientifiques. Nonobstant leur persistance dans l’environnement ou leur bioaccumulation dans les organismes vivants, ils ne sont pourtant pas pris en compte de façon spécifique dans la règlementation sur les pesticides, ni ailleurs ! Rien n’est mis en place, au niveau politique, pour les faire disparaître des territoires belges et européens. Pourtant, leurs effets de perturbation endocrinienne sont mis au jour et de plus en plus de voix d’experts s’élèvent, indiquant que ces « PFAS à chaîne courtes » peuvent avoir des impacts semblables à ceux des « PFAS à chaîne longue ».

 

Mais qui autorise les pesticides ? Les P.P.P. (Produits Phytopharmaceutiques) sont des pesticides chimiques de synthèse utilisés pour protéger les cultures et empêcher leur destruction, par une maladie ou une infestation. Ils sont composés d’au moins une substance active – le principe actif – et d’autres ingrédients – les coformulants – donnant à la préparation une forme appropriée pour son utilisation. Les substances actives sont homologuées par le régulateur européen, tandis que ce sont les États membres qui autorisent les formulations.

 

Présence de PFAS dans les fruits et légumes

Nature & Progrès et PAN Europe ont réalisé une étude pour évaluer l’ampleur de la présence des pesticides PFAS dans les champs et dans nos assiettes. Le premier chapitre porte sur l’exposition des consommateurs belges et européens aux résidus de PFAS par leur consommation de fruits et légumes issus de l’agriculture conventionnelle, en se basant sur les analyses de résidus de pesticides dosés entre 2011 et 2021.

 

Au niveau européen :

– des résidus de trente-et-une substances actives PFAS ont été détectés sur l’ensemble des fruits et légumes de l’Union Européenne, entre 2011 et 2021 ;

– le nombre de fruits et de légumes contenant des résidus d’au moins un pesticide PFAS dans l’UE a triplé en onze ans ;

– en 2021, les fruits cultivés en Europe, tels que les fraises (37%), les pêches (35%) et les abricots (31 %), étaient particulièrement contaminés ;

– en 2021, les fruits les plus contaminés relèvent souvent un cocktail de PFAS : quatre PFAS différents pour un échantillon de fraises ou de raisin de table, trois pesticides PFAS différents dans un échantillon de pêches, d’abricots, de pommes et de poires ;

– les Pays-Bas, la Belgique, l’Autriche, l’Espagne, le Portugal et la Grèce sont les principaux producteurs d’aliments contaminés par les PFAS au sein de l’Union Européenne, tandis que des pays comme le Costa-Rica, l’Inde et l’Afrique du Sud sont, pour l’Union Européenne, les principaux exportateurs d’aliments fortement chargés en PFAS ;

– les PFAS les plus détectés en 2021, dans les fruits et légumes, étaient le fongicide fluopyram qui se retrouve dans la moitié des échantillons européens contaminés, puis l’insecticide flonicamide, et en troisième position le fongicide trifloxystrobine.

 

 

 

 

Au niveau belge :

En Belgique, l’approche méthodologique de l’agence en charge du contrôle des résidus, l’AFSCA (Agence fédérale pour la sécurité de la chaine alimentaire), ne permet pas de réaliser des lignes de tendance. On peut toutefois affirmer que :

– de 2011 à 2021, la contamination des fruits a doublé et celle des légumes a triplé : elle est passée de 14,3% à 25,5% pour les fruits, et de 13,6% à 35,6% pour les légumes ;

– en 2021, 15% des poires produites en Belgique étaient contaminées aux PFAS, 56% des poivrons et 39% des aubergines produits localement ;

– en 2021, les fruits contaminés importés – bananes, pamplemousses, melons -, de même que les légumes contaminés importés – brocolis -, provenaient principalement d’Espagne et d’Italie ;

– au niveau des substances actives détectées dans les échantillons de fruits et légumes, pour la Belgique en 2021, le fluopyram arrivait en seconde position, après le flonicamide qui a été décelé dans vingt-deux échantillons.

 

Des produits largement utilisés en agriculture

La seconde partie de l’étude menée par Nature & Progrès et PAN Europe porte sur l’utilisation des pesticides PFAS en agriculture, en s’appuyant sur les données de commercialisation de ces pesticides en Belgique, au cours de cette même période 2011-2021. Les résultats de l’analyse n’ont rien de rassurant :

– entre 2011 et 2021, les ventes de pesticides PFAS ont augmenté de 20%, avec plus de deux cent vingt tonnes commercialisées en 2021, en ce compris les pesticides qui sont candidats à la substitution et auraient dû être éliminés progressivement, depuis 2015. Rappelons ici que les substances actives les plus toxiques – cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques – ou réunissant deux des trois critères – persistance, bioaccumulation, toxicité – appartiennent à la catégorie des candidats à la substitution. Elles sont approuvées au niveau européen pour une durée de sept ans. Les autorités nationales sont tenues, lors de l’évaluation des risques dans le cadre de l’autorisation du produit final, d’opérer une analyse comparative en les substituant par des alternatives plus sûres, dès que c’est possible ;

– or les PFAS les plus vendus sont précisément ces pesticides candidats à la substitution ! Ils représentaient la moitié des ventes de pesticides PFAS en Belgique, en 2021, entrant dans la composition de cent vingt-deux pesticides chimiques de synthèse différents autorisés en Belgique ;

– le premier pesticide PFAS le plus vendu en Belgique est le flufénacet – un herbicide candidat à la substitution – et le fluopicolide – un fongicide également candidat à la substitution, ces deux substances étant commercialisées par le géant Bayer Crop Sciences AG ;

– toute proportion gardée, sur base de la S.A.U. (surface agricole utile), la Belgique consomme deux fois plus de pesticides PFAS que son voisin, la France, mais moins que son autre voisin des Pays Bas !

 

Comment les PFAS passent-ils à travers les mailles législatives ?

L’exposition délibérée – et en augmentation ! – des consommateurs à des cocktails de pesticides PFAS, dans les fruits et légumes, est inquiétante. On ne peut que s’étonner du fait qu’aucune mesure et qu’aucun engagement politique n’ait été pris à ce jour par les autorités pour les interdire. Comment se fait-il que les pesticides PFAS passent à travers les mailles du filet ? Certes, les agriculteurs ne savent généralement pas qu’ils pulvérisent des polluants éternels sur leur culture : ce n’est pas mentionné sur l’étiquette et l’industrie se garde bien d’en faire la publicité. Mais comment les autorités peuvent-elles rester de marbre devant ces contaminations ? La mise sur le marché des pesticides est l’aboutissement d’un parcours d’évaluation réglementaire s’apparentant à une lasagne, avec une couche européenne, une couche fédérale et une couche régionale. Les risques du produit sont analysés à chaque étape mais, malgré ce parcours, l’étude nous a montré que les pesticides PFAS sont bel et bien présents dans nos assiettes, et chaque année plus nombreux.

 

Plusieurs raisons ont été identifiées :

– l’absence de prise en compte de la persistance dans l’environnement comme critère d’exclusion. Caractéristique commune de tous les PFAS et justification majeure d’une proposition de restriction universelle de ces substances au niveau européen – à l’exception des pesticides – : ni la persistance, ni la forte persistance ne sont per se une raison d’interdire une substance active dans la réglementation européenne. Seules les substances persistantes, bioaccumulables et toxiques ou très persistantes et très bioaccumulables, seront exclues de l’approbation ;

– l’absence d’évaluation rigoureuse des différentes toxicités des pesticides, entre autres la perturbation endocrinienne. On observe que de nombreux pesticides PFAS sont approuvés, ou même réapprouvés, sans faire l’objet d’évaluation de leur toxicité – pourtant obligatoire depuis 2018 – ou qu’une évaluation de la perturbation endocrinienne est en cours mais n’est pas finalisée. Et cela peut durer des années… Or les PFAS sont de plus en plus suspectés d’interférer avec le système endocrinien – thyroïde – et immunitaire ;

– l’absence d’élimination progressive des pesticides candidats à la substitution. Ici aussi, la seule forte persistance ne suffit pas à qualifier une substance active de candidate à la substitution. Tous les PFAS pesticides n’en sont donc pas des mais, par ailleurs, la pratique a démontré que ces pesticides candidats à la substitution, censés être progressivement éliminés grâce au mécanisme de l’évaluation comparative, continuent à circuler sans que cette évaluation ait lieu, à quelques rares exceptions près. On se reportera ici au chapitre 2 du rapport de Nature & Progrès, intitulé « Belgique, royaume des pesticides » – voir notre analyse N°18 de l’année 2023. Ce rapport est disponible en ligne sur le site Internet de Nature & Progrès : www.natpro.be/informations/brochures/ ;

– l’absence de prise en compte de la toxicité intrinsèque des métabolites car les produits de dégradation des pesticides sont autant – voire plus – toxiques que la substance active dont ils proviennent. En l’occurrence l’acide trifluoroacétique (TFA) est un métabolite extrêmement persistant qui se retrouve dans de nombreux produits de dégradation des PFAS. Mais la réglementation sur les pesticides n’a prévu d’apprécier les risques de persistance, bioaccumulation et toxicité – PVB, et vPvB – que quand la substance dont ils proviennent présente elle-même ces caractéristiques. C’est une aberration !

– l’absence de prise en compte de l’effet cocktail car l’exposition combinée, alimentaire et non alimentaire, à plusieurs substances chimiques – y compris les pesticides – n’est pas prise en compte par les évaluateurs, en l’absence de ligne directrice pour mener à bien cet examen pourtant obligatoire.

Ces quelques éléments témoignent du contexte tout à fait obsolète de la réglementation des pesticides. Elle s’applique toujours, cependant, au mépris de l’environnement et de la santé, et du besoin criant de décisions politiques courageuses pour nous en protéger.

 

Nos demandes et revendications

En 2020, dans le cadre du Pacte Vert européen, l’Union Européenne s’est engagée à interdire tous les PFAS inutiles en Europe. Mais les PFAS pesticides ont été exclus de la proposition de restriction universelle, sous prétexte qu’ils étaient déjà suffisamment régulés dans les normes européennes sur les pesticides.

 

Nature & Progrès, en collaboration avec PAN Europe, demande de toute urgence :

  1. L’interdiction de tous les pesticides PFAS, soit :

– au niveau européen, d’une part, mettre fin à l’approbation de la substance active du fait de sa forte persistance, ou de la persistance de ses métabolites, dans le cadre de la réglementation pesticide et, d’autre part, supprimer l’exception des pesticides dans le cadre de la proposition de restriction universelle des PFAS ;

– au niveau fédéral, mettre en place un plan de réduction des pesticides PFAS pour une élimination totale au 1er janvier 2026 ;

– au niveau régional, suspendre immédiatement des PFAS pesticides.

  1. L’application cohérente et rigoureuse de la réglementation européenne sur les pesticides, reposant sur l’expertise scientifique indépendante et sur le principe de précaution, entre autres en ce qui concerne l’évaluation comparative en matière de candidats à la substitution.
  2. Une politique « Zéro résidus de pesticides PFAS » dans les produits alimentaires.
  3. Un engagement massif de nos autorités pour une agriculture sans pesticides chimiques de synthèse.

 

Le rapport complet est consultable sur notre site internet

www.natpro.be/wp-content/uploads/2024/02/recolte-toxique-pfas-etude.pdf.