Cet article est paru dans la revue Valériane n°170

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Par Sylvie La Spina,

rédactrice en chef

Cette année, nous avons décidé de mener une grande enquête sur les possibilités de transition de l’alimentation collective vers des produits bio et locaux. Les écoles, maisons de repos, hôpitaux et autres collectivités sont des acteurs de première ligne de l’alimentation solidaire et durable, pour notre santé et celle de la Terre. Dans ce dossier, nous étudions les leviers qui permettraient de faciliter cette transition.

 

Ne serait-il pas temps de mettre en place une politique alimentaire ambitieuse et transversale, en imposant et en finançant une alimentation bio locale dans les collectivités ? Une telle mesure, si elle peut paraître onéreuse, cumulerait une multitude de retombées positives en matière de santé publique et environnementale, en créant de l’emploi local, tout en favorisant la solidarité.

Partie 1 : Cerner les freins

 

(c) Adobe Stock

 

L’alimentation durable a le vent en poupe, mais est-elle forcément bio ? Force est de constater que la certification ne fait pas toujours partie des critères de choix des collectivités et de leurs prestataires. Explorons les différentes entraves à la transition des cantines vers une alimentation bio et locale.

Un manque d’intérêt des grands acteurs

Les sociétés de catering sont des entreprises proposant un service de préparation des repas, soit au sein de leur cuisine centrale, soit dans les infrastructures du client via la mise à disposition de personnel. D’après Biowallonie, la Belgique compte sept sociétés de catering certifiées bio, ce qui signifie qu’une partie des ingrédients qu’elles utilisent sont bio. On y retrouve trois grandes entreprises européennes, Compass Group, Sodexo et Api Restauration, ainsi que des entreprises plus locales comme DuoCatering, Les Cuisines Bruxelloises et TCO Services. Parmi ces acteurs, seuls les deux derniers semblent réellement tournés vers les produits bio et locaux. Les autres sociétés n’indiquent pas le bio dans leurs objectifs de développement. D’après leurs certificats, ils ne préparent que quelques ingrédients bio, le plus souvent des produits secs non locaux (riz, pâtes, boulgour, quinoa, pois chiche…) ou des fruits exotiques (banane, kiwi, pamplemousse…).

La Directive (UE)2022/2464 oblige les grandes entreprises européennes à publier des informations en matière de durabilité. Le rapport de responsabilité sociale et environnementale doit préciser, en ce qui concerne les critères environnementaux (art.29ter) : l’atténuation (réduction de l’émission de gaz à effet de serre) et l’adaptation aux changements climatiques, les ressources aquatiques et marines sollicitées, l’utilisation des ressources et l’économie circulaire, la pollution engendrée et les atteintes à la biodiversité et aux écosystèmes. A peu de choses près, ces chapitres sont repris dans les rapports, avec peu de références à l’agriculture biologique, incarnant pourtant une réponse à plusieurs de ces enjeux. Valentine Boone, responsable durabilité au sein de Sodexo (leader belge de la restauration collective), explique que si le bio n’est pas la valeur première mise en avant par l’entreprise, c’est parce que les produits bio sont peu demandés par leurs clients. Davantage d’efforts sont mis dans la provenance des ingrédients : 60 % sont d’origine belge.

Le prix

Lors d’une table-ronde organisée par Nature & Progrès au Salon Valériane, une participante s’exprime : « Je pense que s’il n’y a pas de demande de produits bio de la part des parents dans les écoles, c’est parce que les parents ont peur du coût. » Le consommateur est en effet habitué au surcoût du bio exagéré par les grandes surfaces, ce qui est rebutant. Or, une telle différence ne s’applique pas sur le repas pris en cantine, car le passage en bio ne concerne que les quelques pourcents du prix du repas relatifs aux ingrédients transformés. Ne vaudrait-il pas mieux communiquer sur les prix potentiels de repas bio locaux pris en cantine, afin que le consommateur en prenne acte et puisse mieux évaluer si le surcoût est trop important pour lui ?

Le prix semble le principal frein d’après les acteurs interrogés. « Un repas scolaire est vendu quatre euros. Ça reste compliqué » témoigne Céline Ernst, représentante de TCO Services. Lorsqu’ils remettent une offre, les prestataires n’osent pas prendre le risque de proposer des ingrédients trop chers, de peur d’être recalés en raison du prix.

La disponibilité des produits

Céline Grégoire, diététicienne à la maison de repos Notre-Dame de Huy, témoigne des difficultés rencontrées pour trouver un fournisseur de pain dans un rayon de quelques kilomètres. Le boulanger doit avoir la capacité de fournir du pain pour environ 200 personnes par jour, en assurant une livraison assez tôt pour le petit déjeuner. Il y eut beaucoup de refus à leurs sollicitations.

Pour les plus gros acteurs, comme Sodexo, toutes les commandes pour la Belgique sont réalisées via une plateforme d’achats. Les volumes demandés sont donc conséquents, et ce sont des grossistes comme BidFood qui répondent à la demande. Valentine Boone témoigne cependant d’évolutions au sein de leur clientèle. « On recommande aux cuisines de passer par le catalogue (issu de la plateforme d’achats) pour la majorité des achats, mais pour l’hyperlocal, on conseille de passer par des plateformes de distribution, des petites coopératives et des associations de producteurs. De plus en plus de sites rentrent dans ce système. »

Les marchés publics

Les collectivités publiques sont soumises à l’obligation de passer par des marchés pour désigner leurs fournisseurs de matières premières ou de plats préparés. Tous les acteurs de la restauration collective s’accordent à pointer les modalités des marchés publics, réglementées au niveau européen, – notamment l’interdiction d’utiliser des critères géographiques – comme un frein majeur à une collaboration entre acteurs bio locaux et cantines.

Ces marchés représentent un obstacle, tant pour les pouvoirs publics que pour les producteurs et transformateurs souhaitant y répondre : lourdeur administrative, difficultés de compréhension du langage juridique, difficultés à remplir tous les critères, etc. José Orrico, représentant des Cuisines bruxelloises, témoigne : « Lorsqu’on lance une procédure de marché, elle est extrêmement complexe. Souvent, on n’a pas de réponse de coopératives ni de producteurs. On aimerait avoir une liberté un peu plus grande sur une part du marché où cette loi serait allégée. Quand on s’adresse à des structures qui ont un visage plus humain, on doit tenir compte d’autres critères que le financier, qui sont aujourd’hui difficiles à intégrer ». « Les marchés publics incluent souvent des fruits et légumes exotiques, ce qui nous empêche d’y répondre car nous travaillons uniquement avec des produits locaux » interpelle Camille Delvaux, représentante de Made in BW, une plateforme logistique de distribution de produits locaux comptant 130 producteurs.

Enfin, Valentine Boone dénonce aussi de nombreuses contradictions dans les cahiers des charges d’acteurs publics. « Ils veulent des produits bio, de saison, les plus locaux possible, mais ils demandent des courgettes et des potirons toute l’année ! ». Ces acteurs sont-ils suffisamment informés sur les réalités de la production et de la transformation alimentaire ?

Les réalités des cuisines

Un frein essentiel est lié au personnel de cuisine. De moins en moins de personnes souhaitent travailler dans la restauration, la main d’œuvre est difficile à trouver, notamment depuis la crise du covid. Chez Sodexo, de nombreux chefs sont issus de l’HoReCa. Ils ont rejoint l’alimentation collective pour disposer d’horaires compatibles avec leur vie de famille.

La formation des cuisiniers est un point crucial. Selon Marie Legrain, coordinatrice de la Cellule Manger Demain qui accompagne les cantines en transition, le secteur évolue mais il y a encore du travail. « C’est comme pour nous, consommateurs, ce sont des changements d’habitudes. Il ne faut pas essayer de faire la révolution du jour au lendemain. Il faut que les cuisiniers comprennent le pourquoi du projet, il faut les intégrer dans une démarche de réflexion en amont, sinon ils vont freiner des quatre fers, et ça se comprend. » La coordinatrice sensibilise aux réalités de la transition en cuisine : « Ce sont des projets complexes et coûteux en termes de ressources humaines. Si on veut une alimentation durable, on va travailler du frais, de saison, du local. On se complique la vie parce qu’on y croit. Il faut toute une équipe motivée autour du projet. »

Les collectivités manquent souvent de ressources humaines pour la préparation des repas, ce qui est un obstacle au changement des pratiques. Par ailleurs, les installations sont souvent vétustes, les cuisines, sous-équipées. Ces freins financiers sont autant d’obstacles à la transition des collectivités vers une alimentation bio et locale.

Travailler avec des produits frais nécessite un surcroît de travail en cuisine © AdobeStock

 

 

 

 

 

 

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