Et si le compost de nos feuilles mortes, tailles de haies, épluchures et restes de repas était utilisé en agriculture ? C’est une idée qui gagne du terrain et qui semble écologiquement vertueuse. Mais ces composts « tout-venant » ne représentent-ils pas un risque de contamination par des pesticides en culture biologique ? Privilégions l’autonomie de nos fermes et de nos jardins dans le cycle de la matière organique.

 

Par Maylis Arnould, rédactrice pour Nature & Progrès, et Sylvie La Spina, rédactrice en chef

 

Les biodéchets – qui ne sont pas des déchets bio, lire notre analyse n° 6 – sont une catégorie de déchets biodégradables « de jardin ou de parc, les déchets alimentaires ou de cuisine issus des ménages, restaurants, traiteurs ou magasins de vente au détail, ainsi que les déchets comparables provenant des usines de transformation de denrées alimentaires » (Directive 2008/98/CE). La valorisation écologique des biodéchets prend une grande importance dans l’espace public. Nous pouvons observer l’appropriation politique de ce sujet avec l’obligation légale de prise en charge des biodéchets mise en place au niveau européen depuis le 1er janvier 2024 (Directive 2008/98/CE et Directive (UE) 2018/851). Les particuliers et entreprises de l’Union européenne doivent, depuis un an, trier séparément leurs biodéchets pour une récolte sélective.

 

Un retour à la terre

L’histoire nous montre que le milieu agricole a une place particulière dans le cycle de valorisation de nos épluchures et de nos feuilles mortes. Avant d’être entassées dans les poubelles, ces matières étaient des ressources précieuses pour les paysans (Joncoux S. 2013). Au milieu du XXe siècle, la mise en décharge des déchets s’est généralisée, mais elle est aujourd’hui remise en question pour ses impacts environnementaux. Selon l’Agence européenne pour l’environnement, à l’heure actuelle, les déchets biodégradables contribueraient à hauteur de 3 % dans les émissions de gaz à effet de serre. En effet, la fermentation en décharge dans des conditions non contrôlées produit dioxyde de carbone et méthane. De même, l’incinération libère des gaz à effet de serre liés à la combustion.

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Cette citation du chimiste, philosophe et économiste français Antoine Lavoisier (1743-1794) est souvent citée en matière de gestion des déchets. C’est en 1979 qu’Ad Lansik, politicien néerlandais, proposa une hiérarchie des solutions préconisées pour un traitement des déchets plus respectueux de l’environnement. L’échelle de Lansik est aujourd’hui un pilier de la réglementation européenne de la gestion des déchets. Elle préconise en premier lieu la prévention, soit de réduire la production de déchets, la réutilisation, le recyclage, le compostage, viennent ensuite l’incinération et, en dernier lieu, la mise en décharge. « Lorsqu’ils appliquent la hiérarchie des déchets, les États membres prennent des mesures pour encourager les solutions produisant le meilleur résultat global sur le plan de l’environnement. » (Directive 2008/98/CE).

Parmi les différentes filières de valorisation des biodéchets, le compostage, bien plus vertueux pour l’environnement que l’incinération ou la mise en décharge, rencontre un regain d’intérêt. Cet amendement organique nourrit les microorganismes du sol, entretenant sa bonne fertilité. Tant de jardiniers et d’agriculteurs bio vous le diront ! Alors, qu’attendons-nous pour récolter et composter ces biodéchets pour une utilisation en agriculture ?

 

Un levier de transition ?

Nous le savons, nous atteignons une période cruciale sur le plan écologique, qui va demander une rupture avec certains modes de production, notamment en agriculture. L’utilisation des engrais chimiques et pétrochimiques, courants en agriculture conventionnelle, doit être remise en question. Cependant la vie du sol a besoin d’être nourrie. La question n’est donc pas de supprimer les intrants mais plutôt de mieux les choisir.

En Belgique, la part de biodéchets représente environ 40 % (Ronquetti 2023). Ces matières peuvent être valorisées en ressources locales pour la fertilisation des terres. Replacer l’agriculture au cœur du vivant paraît être en cohérence avec l’idée de réintroduire les biodéchets dans ce même cycle naturel : ce qui est produit sur place retourne sur place. La boucle est bouclée. De plus en plus d’agriculteurs se saisissent de l’opportunité d’utiliser le compost ou les déchets verts issus de la récupération des usagers.

La disponibilité des composts et digestats issus des biodéchets peut-elle provoquer un changement dans les habitudes des agriculteurs conventionnels ? Ce n’est pas si simple, étant donné les modes d’action bien différents des engrais organiques et des produits minéraux. Ces derniers nourrissent directement la plante en se passant de la vie du sol. Apporter de la nourriture à des vers de terre, bactéries et champignons peu présents et peu actifs apportera-t-il une réponse satisfaisante de la croissance des plantes pour des cultivateurs habitués aux « coups de fouet » des engrais chimiques ?

 

Et les pesticides ?

La qualité de toute substance qu’ils épandent sur leurs terres est la première préoccupation des agriculteurs biologiques. Dès lors, comment s’assurer de la qualité d’un compost réalisé avec des déchets verts et des restes alimentaires récoltés chez des particuliers ou auprès d’industries ?

De nombreux jardiniers utilisent encore des pesticides. Par ailleurs, étant donné que tout le monde ne mange pas bio, des résidus de pesticides se retrouvent dans les déchets organiques ménagers. Et que dire des biodéchets des industries agro-alimentaires non certifiées bio ? Certains prétendent que les substances toxiques sont dégradées lors du compostage. Vraiment ?

L’affaire des PFAS, que Nature & Progrès a largement contribué à faire connaître et à décrypter (lire nos analyses 13 et 21 de 2024), nous le démontre tant et bien : de nombreux polluants ont une durée de vie très longue. Si leur matière active disparait parfois des radars, c’est parce qu’elle se transforme en métabolites, produits de dégradation chimique parfois plus nocifs encore. Peut-on prendre le risque d’apporter sur les sols bio des matières polluées ? Le consommateur peut-il accepter ce risque de contamination dans les produits certifiés bio qu’il choisit de consommer ? Pour Nature & Progrès, c’est deux fois non !

Malgré l’opposition de Nature & Progrès au sein des organes de concertation wallons, les composts et digestats de biodéchets sont maintenant acceptés par l’Europe dans les matières fertilisantes utilisables en agriculture bio. Seules les teneurs en métaux lourds (cadmium, cuivre, nickel, plomb, zinc, mercure et chrome) font l’objet de limitations. Une décision qui arrange bien quantité d’industriels qui tirent profit de la valorisation de leurs déchets pour obtenir une nouvelle rentrée économique. Quand l’argent se mêle du recyclage des déchets, c’est rarement bon signe… Partant d’un recyclage de leurs déchets, en raison de l’intérêt financier de la biométhanisation, des acteurs poussent aujourd’hui la culture du maïs sur des centaines d’hectares, dans le but unique de les transformer en biogaz. Autant de terres nourricières perdues, autant de pesticides épandus dans ces cultures et contaminant nos sols et notre eau.

 

Boucler la boucle

L’agriculture biologique, dénommée « organic agriculture » en anglais, repose sur l’utilisation de matières organiques pour nourrir les organismes du sol, indispensables à sa fertilité. Dans nos fermes comme dans nos jardins, les cultivateurs bio utilisent composts, fumiers, engrais verts et paillages animaux (laine) et végétaux. Bouclons la boucle au plus près en nous assurant de la qualité de ce que nous offrons au sol.

Pour Nature & Progrès, le recyclage des matières organiques doit être pensé au niveau de la ferme ou de la maison, en un cycle vertueux. Le modèle de polyculture-élevage est, dans ce sens, le plus exemplaire, car il permet aux animaux de nourrir le sol, et inversement, en limitant ou en se passant d’intrants venant de l’extérieur (alimentation animale, fertilisants). Il est un garde-fou par rapport au développement de modèles rompant cet équilibre, ce lien au sol : des cultures sans élevages, des élevages sans cultures. Certains producteurs l’ont bien compris : ils élèvent des animaux à côté de leur maraichage ou de leur production de plantes aromatiques et médicinales, uniquement pour en retirer les engrais organiques nourrissant leurs cultures. L’avenir est dans l’équilibre et dans l’autonomie de nos fermes.

 

REFERENCES