La crise agricole touche-t-elle les agriculteurs bio ? Des travaux récents révèlent que oui. La consommation bio diminue, entraînant dans sa chute le revenu des agriculteurs. La baisse du pouvoir d’achat est pointée du doigt. Est-elle seule responsable de ce retour en arrière ? Où est-ce l’effet de la concurrence de concepts « verts », mis en avant par nos politiques au détriment d’une communication claire sur l’agriculture biologique ? Plus que jamais, exigeons la reconnaissance de l’agriculture biologique comme unique voie de transition et d’avenir pour notre agriculture.
Par Sylvie La Spina, rédactrice en chef
« 30 % des sondés envisagent d’arrêter l’agriculture biologique« . Ce titre du journal agricole Le Sillon Belge interpelle. L’article relaie les résultats du premier baromètre sur le moral des agriculteurs bio réalisé par l’UNAB (Union nationale des agrobiologistes belges). Quelques 282 producteurs bio – soit 14 % des deux mille producteurs wallons – y ont participé. S’il est toujours délicat de s’appuyer sur le résultat de sondages, les faits semblent confirmés par le baromètre des filières de Biowallonie. Même constat en France : selon le site internet de l’Agence bio, en 2022, la valeur des achats des produits alimentaires issus de l’agriculture biologique a baissé de 4,6 % en 2022, par rapport à 2021. C’est historique : le secteur bio vit son premier recul.
Consommation et revenus en baisse
La raison de la crise des agriculteurs bio rejoint celle des autres agriculteurs : le manque de revenus. La moitié des répondants au sondage de l’UNAB a vu son chiffre d’affaires baisser entre 2019 et 2022, parfois de manière critique : perte de 30 à 50 % pour 10 % des répondants. Le revenu net du travail de 60% d’entre eux est inférieur au seuil de risque de pauvreté et d’exclusion sociale en Belgique, fixé à 17.500 euros par an. Christian Mulders nous éclaire, par ailleurs, à ce sujet – voir notre analyse n°15 : la situation financière est précaire pour l’ensemble du secteur primaire agricole.
A l’origine de la crise, la baisse de la consommation des produits bio. Le baromètre des filières bio réalisé par Biowallonie démontre que les marchés sont saturés : l’offre dépasse la demande. Il en résulte une baisse des prix, notamment dans les filières longues. Une enquête réalisée auprès des magasins bio, en juillet 2022, révèle que 82 % d’entre eux voient leur chiffre d’affaires diminuer.
A travers son sondage, l’UNAB a tenté d’identifier les causes potentielles de la crise du marché bio. Les répondants pensent en premier lieu (70 %) à la baisse du pouvoir d’achat des consommateurs, ensuite (45 %) aux marges trop importantes sur le bio en grande et moyenne distribution et enfin (40 % chacun), à un déficit de communication sur l’agriculture biologique, à une concurrence de concepts verts – agroécologie, agriculture de conservation ou régénérative… – et à un manque de volonté politique.
Un pouvoir d’achats en berne
La presse le relaie sans cesse : le pouvoir d’achat est en baisse. En cause, une inflation galopante – voir graphique ci-dessous -, notamment liée à la hausse des coûts de l’énergie, en 2022, qui impacte tous les secteurs, y compris l’alimentation, et à une indexation des salaires ne compensant pas ces phénomènes. Dans un épisode du podcast Déclic – Le Tournant de la RTBF, Arnaud Ruyssen a mis en évidence, à travers différents entretiens, que les inégalités sociales augmentent dans notre pays. On observe des difficultés croissantes chez les jeunes, qui peinent à boucler leurs fins de mois et demandent davantage l’aide des CPAS. C’est, encore et toujours, le budget alimentaire qui constitue la variable d’ajustement, le plus souvent parce que les gens n’ont pas d’autre choix pour pouvoir honorer leurs factures.
Concurrence des concepts verts
Claude Aubert, agronome français pionnier du bio, nous interpellait, lors du Salon Valériane 2023, sur le label H.V.E. (Haute valeur environnementale), mis en place par le gouvernement français, totalement vide au niveau écologique – voir notre analyse n°27, de l’année 2023. Toujours lors du même Salon Valériane, Benoit Biteau, agriculteur et député européen français, expliquait que 96 % des agriculteurs de son pays valident aujourd’hui leur éco-régime – une mesure contraignante de la PAC pour l’environnement – via ce label H.V.E., sans rien changer à leurs pratiques – voir notre analyse n°29, de l’année 2023.
En Wallonie, le constat est le même : la multiplication des concepts verts noie le consommateur. L’agriculture sans résidus de pesticides – vous n’en serez plus contaminés, mais la nature, oui -, l’agroécologie – théoriquement proche de nos valeurs, mais manquant de définitions et non contrôlée -, l’agriculture régénérative ou de conservation de sols – qui ne laboure pas les vers de terre mais qui pulvérise du glyphosate par-dessus… Tous ces concepts détournent du label bio et éparpillent le citoyen préoccupé par l’environnement et la santé. Les produits bio étant souvent un peu plus chers – impression gonflée par le jeu des grandes surfaces qui augmentent volontairement leur marge sur ces produits -, les consommateurs s’en détournent, pensant faire un geste pour l’environnement et pour leur santé à travers ces concepts verts, meilleurs marchés mais très partiels, voire vides de sens.
Un manque de volonté politique
Et force est de constater que nos politiques, eux aussi, s’éparpillent dans l’alimentation durable, agroécologique, locale… Mais pourquoi diable ne misent-ils pas, tout simplement, sur l’agriculture biologique ? Clairement défini dans une réglementation européenne, contrôlé et certifié par des organismes indépendants, le label bio est une véritable garantie. La plus-value qui y est associée, pour la santé, pour l’environnement et pour la société est indéniable. Et comme le met aussi en évidence le baromètre de l’UNAB, le bio est l’avenir du secteur agricole.
Les agriculteurs bio se disent fiers – 80 % des répondants -, et même, la bio contribue à leur bonheur – 73 % des répondants ! La bio recrute de nouveaux talents, à l’heure où les agriculteurs vieillissants ne trouvent plus de repreneurs. Trois quarts des NIMA – agriculteurs non issus du milieu agricole – se lancent en bio, de même que deux tiers des étudiants qui démarrent un projet agricole. Ce constat rejoint le témoignage de Bernard Brouckaert, producteur bio, suivi dans notre documentaire intensif, diffusé cette année par Nature & Progrès, qui contamine de sa passion du bio les stagiaires qui passent par sa ferme. Alors, qu’attendent nos politiques pour enfin se positionner clairement afin que l’agriculture biologique remplace, progressivement mais définitivement, les autres formes d’agriculture ?
Communiquer sur la bio
L’ensemble du secteur bio s’accorde sur un constat commun : la communication sur l’agriculture biologique est lacunaire, molle, et doit être renforcée. Mais mettre en avant le bio revient vite à critiquer le conventionnel, un dilemme qui a toujours miné l’efficacité de communication du secteur agricole. Or il est grand temps de le dire : la bio est meilleure pour l’environnement et pour notre santé, elle est pourvoyeuse d’emplois, elle est la véritable voie d’avenir de notre agriculture. Alors que de nombreux consommateurs, influencés par les messages mensongers mais répétés des détracteurs du bio, n’y croient plus, il est grand temps de sortir du silence.
En acteur plus indépendant, Nature & Progrès se fait le porte-voix du secteur bio afin de mettre en avant, sans langue de bois, tous les arguments en faveur de l’agriculture biologique. Nous n’avons pas peur de le dire : les engrais et pesticides chimiques de synthèse, ce n’est pas le poli « non, merci, sans façon » mais plutôt le « plus jamais ça » ! Nous, citoyens, pouvons convaincre nos pairs de l’importance et de l’urgence de consommer bio et local. L’association Biowallonie a publié récemment une brochure destinée à soutenir les professionnels du bio dans leur communication vers les citoyens. Un outil à diffuser le plus largement possible !
Exigeons la bio comme unique voie d’avenir !
La première solution demandée par les répondants du sondage de l’UNAB rejoint le combat de Nature & Progrès, depuis près de cinquante ans : une meilleure reconnaissance publique de l’agriculture biologique par les politiques, par les structures de recherche et d’encadrement et par les citoyens. Exigeons plus d’ambition politique pour accélérer la transition de l’agriculture vers la bio – et rien d’autre ! -, via les outils financiers et réglementaires qui sont entre leurs mains. Et nous aussi, en tant que citoyens, agissons ! Communiquons sur les valeurs de la bio, contaminons notre entourage, soyons les éclaireurs des temps qui restent ! Pour notre santé et celle de la Terre…
Des outils pour parler de la bio
– la brochure Démystifions la bio, de Biowallonie : www.biowallonie.com/documentation/argumentaire-bio
– 12 questions fréquemment posées (FAQ) au sujet de l’agriculture biologique, par Dominique Parizel et Sylvie La Spina. Paru dans Valériane 165, page 8-23.
– L’agriculture biologique malmenée : 10 mythes sur la bio à déconstruire, par Claude Aubert, Christine Mayer Mustin, Michel Mustin, Denis Lairon.
www.generations-futures.fr/wp-content/uploads/2023/08/labio-malmenee-vf-bad-31-juillet-2023.pdf
REFERENCES
– Baromètre du moral des agriculteurs bio l’UNAB (Union nationale des agrobiologistes belges) : www.unab-bio.be/blog
– Baromètre des filières bio wallonnes de Biowallonie : www.biowallonie.com/documentation/etudes-statistiques/barometre-bio/
– Les inégalités sociales augmentent-elles en Belgique ?
https://auvio.rtbf.be/media/declic-le-tournant-declic-le-tournant-3150720
– La place de l’agriculture biologique sur le champ de bataille agricole, par Julie Vandamme et Dominique Parizel, notre étude éducation permanente pour l’année 2023.
www.natpro.be/informations/analyses-etudes/analyses-etudes-2023/