La (bio)méthanisation est souvent présentée comme une source d’énergie durable, contribuant à la transition énergétique. Qu’en est-il vraiment ? Voici donc quelques pistes de réflexion qui doivent vous permettre de mieux connaître les enjeux liés à cette technique…
Par Sam Ligot
À l’heure d’un dérèglement climatique plus prononcé que jamais, la transition énergétique est un enjeu central. Cela implique de décarboner nos sociétés – ne plus utiliser d’énergie fossile – afin de réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES) et ainsi préserver le fragile équilibre climatique. Qui dit transition énergétique dit énergies renouvelables dont les plus connues sont sans doute le photovoltaïque et l’éolien. Mais il en existe d’autres, dont celle qui nous intéresse ici : la biomasse.
La biomasse – c’est-à-dire, littéralement, la « masse vivante » – est toute matière organique pouvant servir de source d’énergie. Elle est utilisée depuis l’aube de l’humanité pour se chauffer – grâce au feu de bois – mais les défis actuels poussent à trouver de nouvelles méthodes de production énergétique dans ce domaine. C’est précisément ce qu’est la méthanisation ou biométhanisation : une « nouvelle » méthode de production d’énergie.
Biométhanisation : principes généraux
La (bio)méthanisation consiste à produire du biogaz, composé majoritairement de méthane (CH4) et de dioxyde de carbone (CO2), à partir de biomasse. Cette transformation du carbone organique, contenu dans la biomasse, en méthane est rendue possible grâce à des micro-organismes qui réalisent une digestion anaérobie. L’intérêt de ce biogaz réside précisément dans le méthane qui peut être brûlé afin de produire de la chaleur ou de l’électricité. Certains d’entre vous en utilisent peut-être même sans le savoir car le gaz naturel, lui aussi, est principalement composé de méthane. Mais la différence entre le méthane du gaz naturel et le méthane du biogaz réside dans leur origine : le biogaz est produit à partir de biomasse alors que le gaz naturel est issu de gisements fossiles. Le biogaz peut également être transformé en biométhane en éliminant le CO2 afin d’obtenir un gaz quasi uniquement composé de méthane. Ce qui peut s’avérer plus pratique pour, par exemple, réinjecter ce gaz sur le réseau…
Bien que de nombreuses matières premières puissent être utilisées pour la (bio)méthanisation, le potentiel de rendement de chacune est différent. Ainsi les matières premières contenant beaucoup de carbone accessible aux micro-organisme – c’est-à-dire le carbone labile – seront à même de produire beaucoup plus de biogaz que les matières premières en contenant peu. De fortes différences de rendement sont donc possibles. Les conditions de traitement appliquées aux matières premières dans le méthaniseur – tels que le temps de séjour ou la température – auront également une influence sur les rendements.
Le digestat, quant à lui, est un co-produit de la (bio)méthanisation ; il se compose de la matière première qui n’a pas été transformé en biogaz. Le digestat conserve ainsi l’ensemble des nutriments de la matière première – azote, phosphore, potassium, etc. -, ce qui en fait un fertilisant potentiellement intéressant pour l’agriculture. Son utilisation fait cependant débat, notamment au niveau de la vie du sol qui, en l’absence de carbone labile nécessaire à de nombreux organismes du sol, verrait son fonctionnement perturbé…
Quelques nuances…
La (bio)méthanisation est popularisée depuis une dizaine d’année, notamment au niveau européen. La méthode est mise en avant, en Belgique également, par les pouvoirs publics soucieux d’assurer une partie de la transition énergétique. La première station d’injection de biométhane dans le réseau de distribution wallon, inaugurée fin 2020 à Fleurus, démontre cet intérêt. La (bio)méthanisation est présentée comme une source d’énergie durable contribuant à la transition énergétique, dont voici quelques points fondamentaux. À première vue, la (bio)méthanisation ne présenterait que des avantages : valorisation des déchets en énergie, source d’énergie renouvelable, digestat utilisable comme fertilisant minéral… Bref, elle serait une recette miracle. Il est cependant important de nuancer quelques points essentiels.
Tout d’abord, en fonction des matières premières utilisées, l’impact environnemental peut être totalement différent d’un cas à l’autre. Une pratique, souvent pointée du doigt, est l’utilisation de cultures exclusivement dédiées à la production d’énergie. Ainsi, une concurrence pourrait-elle apparaître entre alimentation et énergie… De plus, la notion même de « déchet », utilisée par les défenseurs de la (bio)méthanisation, est subjective. Un fumier, par exemple, sera souvent considéré comme un déchet agricole, dans un cadre de (bio)méthanisation, alors que celui-ci joue un rôle fondamental dans le maintien de la fertilité des sols. D’un point de vue agronomique, il semble donc beaucoup plus judicieux d’utiliser du fumier composté plutôt que de l’envoyer au « biométhaniseur ».
Ensuite, au niveau du digestat, certaines matières premières sont impropres à être utilisées en agriculture étant donné la présence de contaminants : par exemple, le digestat de boues d’épuration. La valeur agronomique du digestat est également discutée puisque son impact sur les sols est encore mal connu, d’autant plus que chaque sol peut réagir différemment au digestat et que les digestats, eux-mêmes, peuvent varier dans leur composition.
Enfin, la forme de l’énergie produite, à partir du biogaz ou du biométhane, influencera également la performance d’un tel système. La transformation de biogaz en chaleur est bien plus efficiente que sa transformation en électricité. La production de chaleur à partir de biogaz a, en effet, un rendement environ deux fois plus important par rapport à sa transformation en électricité. Cependant, la chaleur ne peut être utilisée que localement et instantanément, à l’inverse de l’électricité qui peut être exportée sur le réseau, voire stockée dans des batteries. Dans la pratique, beaucoup d’exploitations agricoles utilisant la biométhanisation ont recours à un système intermédiaire de cogénération qui produit, à la fois, chaleur et électricité.
Pour se faire un avis précis sur la production d’énergie via la biométhanisation, il est donc important d’adopter une approche globale de la situation car rien n’est jamais simple et, en fonction des choix qui sont faits – matière première, gestion du digestat, forme d’énergie produite -, l’appréciation qui est faite peut radicalement changer.
Dimitri Burniaux, producteur labellisé Nature & Progrès, défend une biométhanisation raisonnée…
Pour mieux appréhender le sujet, dans le cadre du travail préliminaire, j’ai conversé avec Dimitri Burniaux qui gère une unité de biométhanisation à la Ferme Champignol, à Surice, près de Philippeville.
– Dimitri, qu’est ce qui t’as amené à la biométhanisation ?
Le projet a débuté en 2003, suite à un appel à projets du gouvernement wallon portant sur les énergies renouvelables. L’association du village, la « Surizée », a répondu à l’appel, proposant un projet de biométhanisation, et a été retenu. Le projet, initialement prévu sur un autre site, a failli ne pas voir le jour à cause de problèmes de voisinage. Nous avons donc décidé de l’accueillir sur notre exploitation après l’avoir remanié pour convenir à cette nouvelle organisation. L’unité de biométhanisation a finalement été construite, en 2006, et a été rénovée, pour doubler sa capacité de production, en 2015. Il s’agit d’un biométhaniseur infiniment mélangé – où les intrants sont solubilisés – qui est le type de méthaniseur le plus répandu en Wallonie.
– Quelles matières premières utilises-tu ?
J’en utilise plusieurs dont les principales sont les sous-produits de betteraves, les tontes de pelouses, les déchets de céréales, l’amidon de pommes de terre – qui est un déchet de l’industrie -, du fumier et du lisier. L’ensemble de ces intrants représente cinq mille tonnes par an. La plupart d’entre eux sont externes à la ferme. J’arrive à travailler avec de « bons déchets » qui permettent de se passer de cultures énergétiques. Je constate cependant qu’avec le temps et le développement de la filière biométhanisation, ces sous-produits sont de plus en plus chers et de moins en moins disponibles.
– Que penses-tu des cultures énergétiques ?
Je ne suis pas spécialement pour. Mais force est de constater qu’elles peuvent avoir leur intérêt. D’une part, la production d’énergie peut permettre de mieux valoriser une culture dont le prix de vente est faible. L’énergie – qui reste un besoin central de nos sociétés – peut donc être considérée comme un nouveau débouché pour les agriculteurs, sans pour autant remplacer l’alimentaire. C’est un équilibre à trouver : ce n’est pas parce qu’on utilise des cultures énergétiques qu’on va abandonner la production alimentaire. On pourrait même imaginer intégrer une culture énergétique dans une rotation, par exemple. D’autre part, il faut bien se rendre compte que les cultures énergétiques existent déjà depuis plus de dix ans, en Belgique. Par exemple, BioWanze, producteur de bioéthanol utilisé comme carburant, est un gros consommateur de céréales – Ndlr : 750.000 tonnes par an ! – et de betteraves – Ndlr : 450.000 tonnes par an ! Il est curieux de constater que le sujet des cultures énergétiques fait débat pour la biométhanisation, pourtant peu répandue, alors que ce n’est pas le cas pour d’autres secteurs de valorisation énergétique. Selon moi, il faudrait baliser la pratique mais ne pas l’interdire, d’autant plus que la Belgique est en situation de dépendance énergétique.
– Quelle utilisation fais-tu du biogaz produit ?
Je le valorise en cogénération. Environ 90% de l’électricité produite – soit un million et demi de kW par an – est exportée sur le réseau et le reste est utilisé pour faire tourner le biométhaniseur et couvrir les besoins de la ferme. La chaleur – soit un million de kW par an – est valorisée à la ferme et dans seize maisons aux alentours. Ce qui est intéressant avec ce système, c’est que l’énergie produite sur place ouvre la porte à de nouvelles opportunités sur la ferme. Ainsi le chauffage de serres pour les plants de légumes, en début de printemps, et le séchage du foin ont-ils été rendu possibles grâce à la chaleur produite par le biométhaniseur.
– Comment gères-tu ton digestat ?
Je l’utilise comme source d’azote minéral rapide ; il est particulièrement utile pour le tallage des céréales, au mois de mars, et d’autant plus en bio où il peut être difficile de trouver des sources d’azote rapidement assimilé par les plantes. J’utilise 80% du digestat, à ce moment-là, et il me permet de fertiliser deux cent cinquante hectares de céréales et un peu de prairies. Le digestat n’a d’ailleurs aucune odeur, ce qui n’est pas pour déplaire au voisinage, en comparaison avec le lisier. L’important, c’est de bien équilibrer son utilisation. Un excès de digestat pourrait devenir problématique mais c’est loin d’être le cas dans ma ferme. J’en manquerai presque…
– Digestat et bio font bon ménage, alors ?
Etant donné que les matières premières que j’utilise ne sont pas bio, le digestat fait l’objet d’une dérogation pour son utilisation en agriculture biologique. C’est possible car toutes les matières premières utilisées sont des matières premières qui sont utilisables en bio. Une dérogation ne serait pas possible si les matières premières étaient des boues d’épuration ou des fientes de poules industrielles, par exemple. Tout ce qui rentre dans mon méthaniseur pourrait aussi bien passer par le rumen d’une vache. De plus, le digestat est légalement considéré comme un déchet, ce qui rend obligatoire de réaliser régulièrement des analyses complètes, afin de s’assurer du respect des normes en termes de pathogènes, de métaux lourds et autres pollutions…
– Que penses-tu des critiques qui sont parfois faites au digestat : déclin de la vie du sol, risques de pollution… ?
Il est vrai, en ce qui concerne la vie du sol, que le digestat est un produit « inutilisable » pour la faune du sol, de par sa faible teneur en carbone labile. Néanmoins, encore une fois, tout est une question d’équilibre et de réflexion : ce n’est pas parce qu’on utilise du digestat que la vie du sol va dépérir. Il suffit d’assurer par d’autres moyens l’apport de matière organique afin de préserver cet équilibre ; ce n’est pas parce qu’on utilise du digestat qu’on arrête d’épandre du fumier pailleux. En bref : ce n’est pas le rôle du digestat de nourrir le sol ! Bien sûr qu’il nourrit la plante mais, s’il est bien utilisé et intégré dans une approche globale, je n’y vois pas de problème. Depuis quinze ans que j’utilise ce produit, j’ai conservé des teneurs stables en humus dans mes sols. Et, au niveau des pollutions, ce n’est pas vraiment un souci puisque les analyses réalisées garantissent un digestat qui en est exempt.
– En tant que membre de Nature & Progrès, que penses-tu de la biométhanisation, d’une manière générale ?
Trois choses doivent absolument être prises en compte : les matières premières, l’énergie et la gestion du digestat. Comme je l’ai dit, je ne suis un partisan à outrance des cultures énergétiques mais je pense qu’il ne faut pas les interdire, dans un souci d’autonomie. Il faut toutefois bien en encadrer la pratique. Il ne faut pas oublier non plus que la biométhanisation permet la production d’une énergie verte à partir de déchets, ce qui est plutôt intéressant. La pratique a donc tout son intérêt dans une démarche d’économie circulaire.
Enfin, les cycles de la matière sont fermés, de par le retour au sol du digestat, tout en permettant une fertilisation intéressante pour les cultures. Nous sommes très loin d’être en surproduction de digestat, que ce soit ici ou à plus large échelle. Le principal est de bien équilibrer les apports au sol, en lui amenant aussi de la matière organique.
Conclusion
La biométhanisation, sujet d’actualité, est un procédé plus complexe qu’il n’y paraît et qui demande de prendre en compte de nombreux aspects pour être évalué correctement. Loin d’en être arrivé à l’étape de la conclusion, Nature & Progrès Belgique ouvre le débat et commence – notamment grâce à ce travail d’investigation – à réfléchir à la question.
La biométhanisation est-elle compatible avec le fonctionnement d’une ferme biologique ? Favorise-t-elle l’autonomie des fermes en polyculture-élevage ? Peut-elle être pratiquée dans le cadre des valeurs de la charte de Nature & Progrès ? Comme c’est l’habitude de notre association, consommateurs et producteurs, ensemble, devront en discuter lors de commissions dédiées. Et c’est seulement après ce processus que nous pourrons entrevoir une position sur le sujet. Affaire à suivre donc…