Le climat se dérègle parce qu’il y a trop de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, surtout du dioxyde de carbone. Or, les arbres sont des formidables machines à séquestrer le carbone. Donc, planter des arbres est le meilleur moyen de lutter contre le dérèglement climatique. CQFD ? Prenons l’avion pour réfléchir à cette démonstration a priori infaillible.

 

Par Guillaume Lohest, rédacteur pour Nature & Progrès

 

Vous faites une réservation en ligne. Léger sentiment de culpabilité. Vous savez que votre empreinte carbone va exploser. Si les huit milliards de terriens prenaient l’avion aussi souvent que les classes moyennes occidentales, si leur mode de vie s’alignait sur le vôtre, on aurait besoin de quatre ou cinq planètes. On ne les a pas, vous le savez, et se produit alors un petit soulagement dans votre conscience quand la compagnie aérienne vous propose une compensation carbone. En payant deux euros de plus, vous contribuez à régénérer une forêt en Algarve, au sud du Portugal (1).

 

Planter des arbres pour la biodiversité et le climat

Plus tard, dans l’avion, vous repensez à cette histoire de compensation. Vous faites quelques recherches sur votre smartphone et, soudain, votre cerveau reçoit une grosse dose d’endorphine. Un immense soulagement vous envahit. Vous venez de lire ce truc génial (2) : « Il y a suffisamment de place dans les parcs, les forêts et les terres abandonnées du monde pour planter 1.200 milliards d’arbres supplémentaires, qui auraient la capacité de stockage de dioxyde de carbone nécessaire pour annuler une décennie d’émissions. »

Une étude publiée dans la revue Science (3) a en effet démontré que nous disposons, sur notre planète, de 0,9 milliards d’hectares disponibles pour planter des arbres. Pour calculer ces surfaces, les chercheurs ont exclu les forêts existantes – puisque déjà plantées -, les surfaces cultivées – car il faut aussi veiller à notre autonomie alimentaire – et les villes. Ces arbres pourraient alors capturer 205 gigatonnes de CO2 dans les prochaines décennies, cinq fois la quantité émise en 2018 dans le monde et les deux tiers de tout ce que l’Homme a généré depuis la révolution industrielle. « Si nous plantions ces arbres aujourd’hui, le niveau de CO2 dans l’atmosphère pourrait être diminué de 25 % », indique Jean-François Bastin, l’auteur principal de l’étude.

« Ce qui m’impressionne le plus est l’ampleur. Je pensais que la restauration serait dans le top 10, mais elle a un potentiel bien plus important que toutes les autres solutions proposées pour le changement climatique. » a indiqué le professeur Crowther au journal britannique « The Guardian » (4). Cette solution ne dépend pas du bon vouloir des politiques. « Elle est disponible maintenant, elle est la moins chère possible et chacun d’entre nous peut être impliqué. Cela pourrait permettre de relever les deux plus grands défis de notre époque : le changement climatique et la perte de la biodiversité ». Les forêts abritent en effet plus de 80 % des espèces d’animaux terrestres, de plantes et d’insectes que compte la planète.

Il existerait donc une solution simple à cet immense problème mondial du climat : planter des arbres par trillions ! Et en effet, vous constatez que de nombreux États ont déjà annoncé des programmes massifs : au Canada (deux milliards), en France (un milliard), en Australie aussi (et un milliard de plus !)… On est loin du compte, mais c’est un début. Il suffira d’augmenter la cadence et de planter davantage. Votre cerveau traverse une turbulence mais reste globalement en joie, car les choses sont claires et peuvent être calculées.

 

Treewashing, un alibi pour ne pas changer ses pratiques

Plus pour longtemps. De clic en clic, dans l’atmosphère entre deux continents, vous êtes emmené vers des pages moins accommodantes. Vous faites connaissance avec le concept de treewashing, le greenwashing par les arbres, pratiqué allègrement par les multinationales. Un véritable marché : des opérateurs se proposent comme intermédiaires entre les entreprises et les projets de plantation.

« Ces articles, voire ces études, servent la soupe aux entreprises qui ne veulent pas réduire leurs émissions et font du greenwashing. Ce sont des secteurs économiques entiers qui s’engouffrent dans la reforestation comme solution de lutte contre les changements climatiques. Finalement planter des arbres, ne serait-il pas une façon pour les entreprises de cacher l’enjeu de réduire la production et consommation d’énergies fossiles ? Bienvenu dans l’envers du décor. » interpelle Jonathan Guyot, ingénieur forestier co-fondateur de la communauté All4trees (5). En effet, l’on constate que trois leaders de l’activité pétrolière, ENI, Shell et Total, s’intéressent désormais aux arbres.

L’Organisation des Nations Unies interpelle sur les bienfaits mais aussi les dangers des compensations carbone : « ONU Environnement soutient les compensations de carbone en tant que mesure temporaire jusqu’à 2030 et en tant qu’outil pour accélérer l’action climatique », a déclaré Niklas Hagelberg, spécialiste du climat à ONU Environnement. « Cependant, ce n’est pas une solution miracle, et le danger est que cela peut conduire à la complaisance. Le rapport d’octobre 2018 du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a clairement montré que, si nous voulons avoir un quelconque espoir de freiner le réchauffement planétaire, nous devons absolument réduire les émissions de carbone : passer à l’électricité, adopter les énergies renouvelables, manger moins de viande et gaspiller moins de nourriture. » (6)

Quant à la capture de carbone par les arbres, les nuances pleuvent de toutes parts. Vous apprenez qu’il n’y a pas d’équivalence exacte entre le carbone fossile émis et le carbone capturé. Que les arbres ne capturent pas du tout avec la même efficacité selon leur âge, selon leur latitude, selon leur « essence » (sic)… Et surtout, qu’un arbre « ne pousse pas instantanément. Il lui faut plusieurs dizaines d’années pour absorber une quantité de CO2 équivalente à celle émise par la combustion d’énergies fossiles. Sauf que nous n’avons pas le temps de regarder pousser les arbres si nous voulons stabiliser le climat (7). »

 

Reforester, mais pas n’importe comment !

L’atterrissage approche et voici le coup de grâce. En octobre 2023, une étude publiée par des chercheurs de l’université d’Oxford (8) parvient à la conclusion que « la tendance actuelle de la plantation d’arbres axée sur le carbone nous entraîne sur la voie de l’homogénéisation biotique et fonctionnelle à grande échelle pour un faible gain de carbone. » Entre les lignes, on comprend que planter des arbres pour ralentir le dérèglement climatique est, au mieux une illusion, au pire une aggravation du problème. Car ce sont les plantations industrielles à grande échelle qui représentent la majorité des arbres plantés : or, elles servent à d’autres fins qu’à séquestrer le carbone et créent bien d’autres problèmes auxquels vous n’avez pas envie de songer à présent, car votre moral est tombé au plus bas.

C’est la fin. Vous teniez une solution magique, il n’a fallu que quelques heures pour qu’apparaisse tout ce qu’elle avait de naïf et de simplificateur. Vous voici arrivé à la conclusion inverse : planter des arbres pour préserver le climat, c’est n’importe quoi. Vous jurez qu’on ne vous y reprendra plus. Mais avant cela, reste une dernière chose à vérifier. Votre moteur de recherche, Ecosia, cela vous revient, promettait lui aussi de planter des arbres pour compenser l’empreinte de votre utilisation d’Internet. Du bluff, là encore ?

Peut-être pas tant que cela. Dans un entretien (9), le fondateur d’Ecosia semble conscient des pièges. « Quand on plante des arbres, il est important de le faire de la bonne manière », précise-t-il. « Nous ne plantons pas nous-mêmes des arbres mais nous travaillons avec des associations, des ONG et des entreprises dont c’est la spécialité. » Une sélection s’opère : « Nous avons aussi rejeté de nombreux dossiers car ils n’apportaient pas les garanties suffisantes. Ce qui est important, c’est de planter des arbres aux endroits où ils devraient être plantés, pour ne pas déstabiliser l’écosystème, dont les sols. »

 

Alors, faut-il replanter des arbres pour le climat ?

C’est le moment d’atterrir. Croire que planter 1.200 milliards d’arbres est une solution miraculeuse pour stopper le dérèglement climatique est une déformation occidentale de l’esprit humain. Galilée comparait la nature à un grand livre de mathématiques, Descartes voyait l’Homme devenir maître et possesseur de celle-ci. Eh bien, en comptant le nombre d’arbres et de gigatonnes de CO2 qu’ils peuvent séquestrer, nous reproduisons le vieux schéma rationaliste de la modernité. L’histoire du marteau qui voit tous les problèmes sous forme de clous. De la mentalité d’ingénieur, dirait Aurélien Barrau. Nous réduisons le vivant à un livret de comptabilité.

Mais si, déçus d’avoir cru au miracle mathématique, nous nous mettions à critiquer avec aigreur et cynisme tout projet de plantation d’arbres, nous agirions comme des enfants gâtés de la modernité dont on a cassé le dernier jouet. Le treewashing existe, les multinationales sont sans scrupules, certes, mais les arbres font partie des écosystèmes à régénérer et donc des pistes à suivre. Sans naïveté et en accordant notre confiance à des organismes qui travaillent au plus proche du terrain, en lien avec des expertises plurielles, à la fois scientifiques et associatives, locales et régulièrement évaluées (10).

Ne perdons pas nos objectifs de vue, et poursuivons nos efforts pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Nature & Progrès encourage chacun et chacune à la sobriété, à une réflexion poussée sur nos habitudes alimentaires et énergétiques. Veiller au climat, c’est choisir des produits locaux de saison, qui n’ont pas nécessité ni de transports ni de chauffage permettant de décaler les saisons. C’est choisir des aliments bio, qui ne dépendent pas de fertilisants de synthèse dont la filière de production est extrêmement énergivore. C’est isoler de manière naturelle son habitat pour réduire ses dépenses énergétiques. C’est privilégier le covoiturage, le vélo, les déplacements à pied, la mutualisation et la solidarité. Nous continuerons à planter des arbres, car ils contribuent à la beauté de nos paysages, à une agriculture résiliente, à nous nourrir de baies et de fruits, à héberger la biodiversité… Mais pas pour compenser des comportements délétères pour le climat ni pour nous donner bonne conscience !

 

REFERENCES

  1. Voir « Ryanair lance un nouveau calculateur de carbone », https://corporate.ryanair.com/.
  2. “Planting 1.2 Trillion Trees Could Cancel Out a Decade of CO2 Emissions, Scientists Find” sur Yale Environment 360, https://e360.yale.edu.
  3. Bastin J.-F., Finegold Y., Garcia C., Mollicone D., Rezende M., Routh D., Zohner C.M. et Crowther T.W. 2019. The global tree restoration potential. Science 365 (6448) : 76-79
  4. Carrington D. 2019. Tree planting “has mind-blowing potential” to tackle climate crisis. The Guardian. https://www.theguardian.com/environment/2019/jul/04/planting-billions-trees-best-tackle-climate-crisis-scientists-canopy-emissions
  5. Guyot J. 2021. Planter 1.200 milliards d’arbres peut-il vraiment sauver le climat ? https://news.all4trees.org/planter-1200-milliards-arbres-sauver-changements-climatiques/#:~:text=L’arbre%20qui%20cache%20une,lutte%20contre%20les%20changements%20climatiques.
  6. Communication de l’ONU Environnement de 2019 : https://www.unep.org/fr/actualites-et-recits/recit/les-compensations-carbone-ne-nous-sauveront-pas
  7. « Planter des arbres pour mieux polluer ? », Tribune dans Libération par Sylvain Angerand, président de l’association Canopée et Jonathan Guyot, président d’all4trees, 3 avril 2019.
  8. Aguirre-Gutiérrez, Jesús et al., “Valuing the functionality of tropical ecosystems beyond carbon” dans Trends in Ecology & Evolution, Volume 38, Issue 12, 1109 – 1111.
  9. Christian Kroll (Ecosia) : “Nous ne nous contentons pas de planter des arbres, nous les faisons grandir”, sur We Demain, propos recueillis par Florence Santrot le 21 mai 2022.
  10. Voir, par exemple, All4trees (https://all4trees.org) ou Cœur de forêt (https://www.coeurdeforet.com).