La lutte contre les pesticides est souvent associée à un combat environnementaliste, une cause « écolo ». Pourtant, l’utilisation de ces substances représente également un risque important et démontré en matière de santé publique. Ce cheval de bataille est l’opportunité de nouvelles alliances pour faire, enfin, bannir ces poisons de nos campagnes et de nos assiettes.

 

Par Virginie Pissoort, chargée de plaidoyer

 

 

Dans certains cénacles politiques, au sein d’une frange d’agriculteurs ou même dans des échanges sociaux du quotidien, les positionnements contre l’utilisation des pesticides – comme la mobilisation en faveur de la bio – sont réduits à une « marotte d’environnementalistes ». Protéger la biodiversité, préserver les qualités des réserves en eau, conserver des sols vivants sont, il est vrai, autant de préoccupations environnementales liées aux pesticides, mais ce n’est pas tout. Il y va aussi de la santé, de notre santé, de celle des agriculteurs.rices et de leur famille. Détourner le regard de cet enjeu de santé publique alimente un discours polarisant, délétère, servant la rhétorique de l’industrie : agriculture (agriculteurs) versus environnement (environnementalistes et écolos), ou plus vulgairement encore : nourrir les gens et assurer la sécurité alimentaire versus insécurité et hausse des prix alimentaires pour protéger les papillons !

 

Quand la biologiste Rachel Carson, a sorti en 1962 aux Etats Unis, son livre intitulé « The Silent Spring », un ouvrage décisif dans la prise de conscience et la mobilisation contre l’utilisation des pesticides, elle sonnait pourtant l’alerte tant sur les dégâts de l’utilisation des pesticides sur la flore et la faune, en particulier la santé des oiseaux, mais aussi sur les risques pour la santé des humains. Si d’aucuns considèrent que Rachel Carson a contribué au lancement du mouvement écologiste dans le monde occidental, c’est de santé publique en matière de pesticides que son livre était également le précurseur.

 

Nature & Progrès, communauté d’acteurs de changement, est souvent logée dans la case des associations de défense de l’environnement. Notre prisme est bien plus large que celui de la nature : il est sociétal et comprend la santé, comme nous le disons et l’écrivons souvent « Nature & Progrès, pour notre santé et celle de la terre ».

 

L’argument « santé » peine à s’imposer

Sur le plan réglementaire, les risques que représentent les pesticides pour la santé ne sont ni absents, ni récents. Ainsi, l’objectif du règlement européen (UE)1107/2009 sur les autorisations de pesticides est bien de protéger la santé humaine et animale et l’environnement étant entendu que « lors de la délivrance d’autorisations pour des produits phytopharmaceutiques, l’objectif de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement, en particulier, devrait primer l’objectif d’amélioration de la production végétale ».

 

Le lobby de l’industrie étant ce qu’il est (fabrique du doute, spectre de l’insécurité alimentaire…), des produits comportant des risques pour la santé (reprotoxicité, cancérogénicité, mutagénicité, perturbation endocrinienne, maladies neuro-dégénératives) sont autorisés et commercialisés tous les jours. Ces polluants passent à travers les mailles du filet pour finalement, un jour, trop tard, quand les preuves auront été suffisamment accumulées, finir par être interdits.

 

Notre publication « Belgique, royaume des pesticides » explique pourquoi et comment ces produits toxiques passent toutes les étapes du screening réglementaire et circulent en toute impunité, sont pulvérisés sur les produits que nous mangerons, près des cours d’eau dans lesquels est puisée l’eau potable, etc. Il est donc grand temps d’en finir avec ces polluants. Mais comment ?

 

Pesticides, amiante, même combat

En France, la reconnaissance de certaines maladies en tant que maladies professionnelles liées à l’exposition aux pesticides chimiques (maladie de Parkinson, lymphome non hodgkinien, et depuis 2021, le cancer de la prostate) a permis de donner plus de poids à l’argument santé publique dans le discours. Des mutualités de santé françaises ont décidé, l’année dernière, de s’unir pour entamer la bataille contre les pesticides chimiques, inspirées par l’expérience de l’amiante, autorisée pendant des décennies avant d’être définitivement interdite.

 

Les points de ressemblance entre amiante et pesticides sont éclairants. L’association « Secrets toxiques », une coalition d’organisations mobilisés sur ces questions, en a listé cinq : (1) même à petite doses, amiante et pesticides tuent ; (2) l’expertise scientifique et médicale est (fortement) influencée par les industriels ; (3) la dangerosité est scientifiquement établie, mais la dispersion continue ; (4) une science indépendante d’intérêts financiers privés est indispensable pour gagner une bataille juridique et (5) des maladies professionnelles sont reconnues par la Sécurité sociale (en France).

 

Nous pouvons encore ajouter à ce parallèle la difficulté à établir un lien de cause à effet systématique, univoque et direct entre l’agent toxique et les dégâts sur la santé humaine, ainsi que les effets différés dans le temps entre l’exposition et ses conséquences. Également, l’enjeu économique : production à faible coût versus coût que représenterait la décision de se passer de ces produits dans le secteur concerné (construction ou agriculture) et de s’engager dans une transition massive. Avec, en filigrane, pour la Belgique, le coût que l’abandon des pesticides pourrait représenter pour un des fleurons de notre industrie dont se targue notre royaume : son secteur chimique et pharmaceutique.

 

De nouvelles alliances

Dans le sillage des mutuelles françaises, Solidaris et les Mutualités chrétiennes entendent se mobiliser pour faire bouger les lignes. Leur présence à nos côtés sera majeure pour accélérer la lutte contre les pesticides chimiques. Devenue très active également, la cellule « Santé environnementale » de la Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG) n’hésite pas à décrier des décisions en matière de pesticides qu’elle juge dangereuses pour les citoyens. Avec ce bouquet d’acteurs variés de la société civile et les citoyens mobilisés pour leur santé, nous pouvons espérer avancer des pions. Selon un sondage Ipsos réalisé par notre partenaire européen PAN Europe dans six pays européens, dont nos voisins, plus des trois-quarts des gens sont préoccupés par l’impact des pesticides sur leur santé et celle de leur famille.

 

La double casquette, au niveau régional, du nouveau ministre de l’Environnement et de la Santé devrait permettre des avancées en la matière. On retiendra des prises de paroles de ce médecin, tant à la foire agricole de Libramont qu’à l’inauguration du Salon Valériane, qu’il est déterminé à mettre des choses en place.

 

Quant à l’argumentaire à développer, au-delà des études scientifiques qui pointent les risques, le principe de précaution, principe juridique fondateur du droit européen (reconnu dans l’article 191 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne), doit servir de boussole aux décideurs, conformément au règlement européen sur les pesticides qui dispose que « les États membres ne sont pas empêchés d’appliquer le principe de précaution lorsqu’il existe une incertitude scientifique quant aux risques concernant la santé humaine ou animale ou l’environnement que représentent les produits phytopharmaceutiques devant être autorisés sur leur territoire en l’absence de consensus scientifique des impacts sur la santé ou l’environnement. »

 

Nature & Progrès poursuit la lutte afin de faire interdire les pesticides chimiques de synthèse, de les bannir définitivement de notre assiette et de notre environnement. En utilisant à la fois les arguments de l’environnement et ceux de la santé, en nouant les alliances avec les différents acteurs de ce secteur, et en les alimentant de l’expertise qu’elle a accumulée depuis des années, notre association compte bien faire bouger les lignes lors des présentes législatures.