L’instinct de l’animal sauvage le pousse à chasser et à se nourrir dès que la faim le tiraille. Il mange à satiété, sans excès, et reste parfois plusieurs jours, voire des semaines pour certains, avant de se nourrir à nouveau…
Pourquoi ne fonctionnons-nous pas de la même façon ?
Quels sont les mécanismes qui nous amènent à constater que nous avons faim ?
Comment peuvent-ils éventuellement dévier de leur
fonction première ?
Par Philippe Heynen
Introduction
Mais, tout d’abord, qu’entend-on par « instinct » ? Les définitions – source : le Petit Larousse – sont multiples et couvrent de nombreux pans de la vie… Le mot « instinct » vient du latin instinctus – impulsion – et de instinguere – pousser. En voici les différentes acceptions :
– part héréditaire et innée des tendances comportementales de l’homme et des animaux (instinct de survie),
– impulsion souvent irraisonnée qui détermine l’homme dans ses actes, son comportement (instinct de méfiance),
– don, disposition naturelle, aptitude à sentir ou à faire quelque chose (instinct du beau),
– tendance qui pousse les êtres humains à vivre en groupe, ou à adopter un même comportement (esprit grégaire),
– force qui pousse un être vivant à lutter pour son existence quand elle est menacée (instinct de conservation),
…et encore :
– l’ensemble des interventions et méthodes de lutte contre l’érosion hydrique et éolienne, dont les effets sont souvent catastrophiques en milieu tropical,
– loi exprimant que la valeur d’une grandeur physique associée à un système isolé reste inchangée tout au long de l’évolution temporelle du système, aussi longtemps qu’il n’interagit pas avec un autre système. (Les lois de conservation [de l’énergie, de la quantité de mouvement, etc.] jouent un rôle fondamental dans les théories physiques. Elles sont liées aux propriétés de symétrie de l’espace-temps, supposé homogène et isotrope).
L’alimentation… sous l’angle de l’instinct
On constate, par ces multiples définitions, que l’instinct fait partie intégrante de notre vie de tous les jours, qu’il s’agisse de survie, d’impulsion, de conservation. Nous souhaitons donc aborder ici cette terminologie sous l’angle du choix et de la subsistance, et plus particulièrement de celle qui est liée à l’alimentation et à la nutrition, un ensemble de gestes que nous sommes amenés à poser, à plusieurs reprises, chaque jour de notre vie.
De l’instinct de survie du nouveau-né qui, tout naturellement, dès la « délivrance », cherche et trouve le sein de sa mère, de l’instinct de croissance qui pousse chaque enfant et adolescent à se nourrir, dès que la faim se fait ressentir, on en arrive à l’instinct, souvent oublié, caché, celui de l’adulte qui se nourrit pour vivre ou, très souvent, vit pour manger !
Nous sommes envahis d’informations, de conseils de diététique, de régimes plus farfelus les uns que les autres, de propositions de plats « tout prêts à être consommés/réchauffés », de publicités diverses et de photos suggestives… Tout cela dans le seul but d’une soi-disant meilleure santé mais avec, pour finalité principale, la vente d’un produit plutôt qu’un autre, la perte de poids et un corps « parfait » ou, tout du moins, répondant aux normes, aux canons en vigueur. Donner mauvaise conscience aux gens et leur prodiguer des conseils dirigés est aussi une technique souvent utilisée par les grandes sociétés commerciales…
Manger cinq fruits et légumes par jour, repas à heures fixes, débuter sa journée par un petit-déjeuner copieux, la poursuivre par un dîner raisonnable et la finir avec un repas du soir « de pauvre », ne pas manger entre les repas, faire du sport plusieurs fois par semaine, comptabiliser les calories ingurgitées, éviter le sucre, privilégier un régime sans sel, sans graisses… Tout cela sont les informations les plus souvent distillées dans le public, via tous les canaux habituels -télévision, radio, livres, réseaux sociaux, diététiciens…, avec souvent même quelques « produits miracles » à la clé, que ce soit une marque de produits, des programmes de fitness, des régimes alimentaires à basses calories, etc.
Tient-on compte de l’individualité de chaque personne, de son hérédité, de son capital génétique, de son passé, de son vécu, de sa morphologie, de sa situation – travailleur manuel, intellectuel, sportif, personne âgée – et de ses éventuels problèmes de santé ? Prend-on en compte son aptitude à choisir elle-même ce qui est bon pour elle, en fonction de ses goûts, de ses attentes, du moment ou de la saison ? Bref, prend-on en compte son instinct naturel à choisir ? Très rarement… Et il ne s’agit évidemment pas de redevenir le cueilleur-chasseur que nous étions à nos origines, de chasser nos proies et de grimper aux arbres pour nous nourrir…
A l’écoute de son corps… développer l’instinct de survie !
C’est de cet instinct naturel dont nous voulons vous entretenir dans la suite de cet article, cette intuition qui devrait nous guider vers le meilleur aliment pour soi, au meilleur moment, ou pas d’aliment du tout si l’on n’en ressent pas le besoin instinctif… Il s’agit, en bref, de l’alimentation intuitive, aussi appelée réflexive ou raisonnée, induisant un nouveau rapport à la nourriture, plus respectueux de notre corps. Être à l’écoute de sa faim, construire une relation saine avec la nourriture, manger en se servant de sa raison sont les principes non exhaustifs de cette façon de s’alimenter. C’est aussi arriver ne plus penser à la nourriture avec sa tête, avec son mental, mais plutôt parvenir à ressentir ses besoins réels avec son propre corps.
S’autoriser à manger tout ce que le corps nous réclame va évidemment aussi à l’encontre de ce que prônent la plupart des diététiciens. Il s’agit là cependant du principe général de l’alimentation intuitive : être libre de choisir ses aliments – ceux qu’on aime et ceux qu’on n’aime pas – et être à l’écoute de sa faim. Bref, retrouver la « vraie » sensation de faim et de satiété, en quelques mots distinguer la vraie faim de l’envie d’aliments… Savourer ses repas est un autre grand principe cher à l’alimentation intuitive. Attendre la vraie faim et manger alors ses aliments préférés, agrémentés d’une petite gourmandise et/ou d’un verre de vin, si cela peut nous faire plaisir…
Retrouver le sentiment de satiété est très important également : « sortir de table en ayant faim » est un adage qu’on entend très souvent. Il ne s’agit évidemment pas de se laisser « mourir » de faim, de se priver de nourriture mais bien de reconnaître – ou d’arriver à retrouver – la sensation et le moment où le corps nous dit : « j’en ai assez »… Et alors, d’attendre un moment pour voir si le corps est encore en demande, ou non. Manger lentement, bien mâcher les aliments, se nourrir en étant dans le calme et dans un bon état d’esprit sont aussi des aides primordiales pour retrouver plus facilement ce sentiment de satiété.
Pratiquement…
Il est bien sûr nécessaire d’oublier, dans la pratique, tous les principes liés à des régimes ou à des plans préétablis, à des conseils diététiques visant exclusivement à « perdre du poids », à obtenir une ligne filiforme ou à ressembler à une star du grand écran… Il faut aussi éviter de se culpabiliser : si cela nous procure du plaisir, pourquoi ne mangerait-on pas à l’occasion quelques biscuits au chocolat pour le petit-déjeuner, accompagnés d’une bonne tasse de café ? Ou simplement un jus de fruit « maison » accompagné d’un morceau de fromage pour le repas de midi… Et alors ? Si on en ressent vraiment le besoin, après peut-être un grand effort physique l’après-midi, pourquoi ne se préparerait-on pas un repas complet et plus copieux, le soir, avec un potage, un morceau de viande, des pommes de terre et une belle salade de saison ? Et le jour suivant, pourquoi pas inverses le repas du midi et du soir ? Pourquoi ne passerait-on pas un repas, en fonction de ses envies, de ses sensations, de ses besoins… De son instinct. Au-delà du plaisir retrouvé, booster son immunité naturelle est très souvent le résultat qui découle d’une telle alimentation. Et en ces temps si particuliers et fort troublés, ce n’est que profit pour les défenses de notre corps.
En résumé, il s’agit de trouver un équilibre harmonieux entre le besoin et l’envie, tout en privilégiant toujours le premier par rapport à la seconde. Mais si l’instinct nous trompe ? Eh bien, les sensations du corps nous le rappelleront très vite et une éventuelle erreur ne sera pas répétée. L’adoption de l’alimentation intuitive demande parfois, au départ, l’accompagnement d’un professionnel puisqu’elle se base, en effet, sur l’écoute de nos propres sensations, de situations personnelles compliquées, de difficultés familiales ou professionnelles, d’échecs, d’anxiété ou de tristesse à répétition, d’émotions négatives, toutes dépendances pouvant perturber les mécanismes naturels dont nous sommes toutes et tous dotés. Soyons donc patients, prenons le temps de bien préparer ce « passage » et, si nécessaire, demandons conseil à une personne compétente dans ce domaine.
Que l’on adopte ou que l’on poursuive une alimentation intuitive et même si l’on n’y adhère que partiellement ou pas du tout, gardons aussi toujours à l’esprit les grands principes suivants, chers à la naturopathie :
- consommons des produits/aliments cultivés dans notre jardin ou issus de l’agriculture biologique contrôlée ;
- mangeons prioritairement des produits locaux et de saison ;
- adoptons une alimentation variée et équilibrée ; n’éliminons pas – pour une longue période, du moins – certains aliments essentiels souvent considérés comme non indispensables ou nocifs par une certaine « élite » car faisant grossir ou provoquant une hausse du cholestérol : sucres, sel, graisses, protéines…
- préparons nos repas nous-mêmes, le plus souvent possible…
Et attention ! N’adoptons jamais une alimentation intuitive, sans conseil médical, si l’on a un quelconque problème de santé, mental ou un trouble du comportement alimentaire.
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Ne pas à confondre avec l’instinctothérapie
L’instinctothérapie est une pratique alimentaire crudivore controversée proposée, en 1964, par Guy-Claude Burger et apparue en France, en 1983. Croyant à une adaptation incomplète aux modifications de l’alimentation humaine depuis la Préhistoire, cette approche prescrit une méthode où l’on évite d’altérer l’odeur, le goût ou la consistance des aliments naturels, « de manière à laisser l’instinct alimentaire réguler spontanément l’équilibre nutritionnel et à garantir le fonctionnement correct du métabolisme. » Source : Wikipédia.
Les repas sont constitués d’aliments « originels », c’est-à-dire crus, non assaisonnés, et non mélangés, choisis et dosés suivant les variations des perceptions de l’odorat, du goût et de la réplétion. La règle principale est celle du plaisir, l’aliment le meilleur à l’état naturel étant censé apporter les éléments les mieux adaptés aux besoins de l’organisme. Sont exclus : le lait animal et certaines céréales, considérés comme trop récents dans l’histoire de l’alimentation pour avoir donné lieu à une adaptation génétique. L’absence de réactions chimiques culinaires devrait, par ailleurs, éviter la pénétration et l’accumulation de molécules dénaturées susceptibles de favoriser diverses pathologies…
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Les questionnements de Nature & Progrès s’orientent, on le sait, vers la production, la transformation et la consommation d’une alimentation de qualité. La disposition de l’être humain à accueillir ou non tel ou tel aliment est, bien sûr, directement connectée à ces préoccupations. Pareille approche est cependant d’un tout autre ordre, et la présente analyse permet aisément de s’en rendre compte. Les champs d’investigation en relation avec l’acte pourtant simple et banal de s’alimenter nous apparaissent toujours plus dans leur grande diversité, alors même que nous avons toujours eu la volonté d’envisager ce fait du quotidien d’une manière globale, holistique. Comment résoudre cette importante contradiction ? Pour l’heure, cette question demeure ouverte, en permanence, dans un coin de nos têtes…