Après le report sine die de la réforme de la réglementation sur les produits chimiques – REACH -, après une loi sur la restauration de la nature amoindrie à force d’être négociée, après la décision en solo de la Commission de réapprouver le glyphosate pour une décennie et après le rejet du règlement SUR – qui visait à réduire de moitié l’utilisation et les risques liés aux pesticides d’ici 2030 – par le Parlement européen, nous avons de légitimes raisons de paniquer quant à l’issue du projet européen de dérégulation des nouveaux OGM. Un fois de plus, l’Europe se fiche totalement de l’environnement, elle se fiche totalement de l’avis des citoyens ! Quelle mouche a piqué l’Europe ?
Par Virginie Pissoort, chargée de plaidoyer
Le Green Deal – le Pacte vert – qui aurait dû être le pilier de la construction européenne au cours de cette législature – ainsi que nous l’avait promis, en 2019, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen – apparaît aujourd’hui en trompe l’œil. Et les termes de « transition » et de « durabilité » ne revêtent décidément plus la même réalité pour les uns et pour les autres. Le projet de dérégulation des nouveaux OGM est affiché, par ses défenseurs, comme une réponse aux défis de la société, une nécessité pour résoudre les problèmes de sécurité alimentaire mais également pour faire face aux changements climatiques ou pour « diminuer » l’utilisation des pesticides. Sur base de ces revendications, l’Europe entend donc précipiter l’adoption d’une nouvelle règlementation.
La durabilité n’est pas dans la manipulation génétique
Force est cependant de constater que les nouveaux OGM – comme cela avait été le cas pour les OGM de la première génération – répondent avant tout à des besoins de consommation ou d’efficacité industrielle. Une étude de l’Agence fédérale allemande de protection de l’environnement montre que, sur 81 demandes d’applications de NGT dans les plantes, plus de trente visent les consommateurs – comme les tomates prétendument hypotenseurs -, plus de vingt visent l’efficacité industrielle et une dizaine visent la résistance aux herbicides. Seule une faible part de ceux qui sont aujourd’hui à l’étude ciblent une hypothétique recherche de durabilité. Comme le rappelle un courrier signé par septante illustres scientifiques et académiques européens indépendants, ces applications ignorent que la durabilité d’un système agricole et alimentaire dépend surtout des interactions entre les plantes, les humains et l’environnement. Et, dans une bien moindre mesure, de la génétique d’une culture particulière… La résistance à la sécheresse, aux maladies et aux parasites peut être obtenue de manière beaucoup plus efficace en modifiant le système agricole, selon les principes de l’agroécologie. Un trait – ou un caractère – isolé ne peut, en aucun cas, conférer, dans le contexte d’une agriculture intensive, une quelconque forme de durabilité. Et les scientifiques de conclure que « les objectifs de durabilité sont utilisés de manière opportuniste pour gagner la confiance des citoyens et des politiciens (2).
De la pause environnementale au retour en arrière
La lutte contre le changement climatique et la transition écologique ont décidément bon dos ! Tous deux sont ici brandis pour mettre à l’écart la directive de 2001 sur les OGM, une règlementation durement acquise et qui mettait le principe de précaution au cœur de sa réflexion. On la piétine, à présent, sous prétexte de guerre en Ukraine, d’inflation, de crise alimentaire… Et toujours au nom de la sacro-sainte compétitivité quand il s’agit de réduction et de durabilité des pesticides, de ré-autorisation de glyphosate, etc. Bref, tout « fait farine au bon moulin », dès qu’il faut justifier la « pause environnementale », voire d’enclencher la marche arrière, ainsi que le conclut Stéphane Foucart, journaliste au quotidien Le Monde, dans un article du 26 novembre (3). Mais quand il s’agit de justifier des demandes de l’industrie, comme celle de déréguler les OGM, il flotte alors haut l’étendard du greenwashing. Et, sous prétexte d’une telle urgence, on accepte de détricoter la réglementation actuelle…
Une catastrophe pour les agriculteurs et les consommateurs !
Les scientifiques ne s’arrêtent pas à l’objection environnementale ! Ils épinglent surtout les lacunes substantielles de la proposition, à ce point fondamentales que la seule solution appropriée est son rejet complet ! Si le Conseil et le Parlement européen adoptent cette proposition, la quasi-totalité des « nouveaux OGM » actuellement en préparation seraient autorisés pour être cultivés et vendus sans aucune évaluation des risques pour la santé et pour l’environnement.
Selon l’étude de l’Agence fédérale allemande de protection de l’environnement, conformément aux critères de la proposition actuelle, 94 % des NGTs en projet tomberaient dans la catégorie des NGT1 regroupant tout végétal « qui remplit les critères d’équivalence avec les végétaux conventionnels ». Ainsi « une plante NGT est considérée comme équivalente aux plantes conventionnelles lorsqu’elle ne diffère de la plante réceptrice/parentale que par un maximum de vingt modifications génétiques. » La Commission admet que ce chiffre de vingt est un choix politique qui ne repose sur rien de scientifique !
Il n’y aurait alors ni obligation d’étiquetage ou de traçabilité, ni évaluation de l’impact des brevets ou de possibilité, pour les États membres, de refuser qu’ils soient imposés à leur population et à leur territoire ! Ce serait une catastrophe pour le monde agricole – biologique et conventionnel – et pour les consommateurs qui se trouveraient, à leur insu, des OGM dans leurs assiettes.
Des OGM dans le bio « pour avoir les mêmes chances »
L’Europe ne l’entend pas de cette oreille ! La balle est dans le camp du Parlement et du Conseil qui doivent approuver le texte à la majorité qualifiée : un processus classique, mené au pas de course, puisque « le climat et la compétitivité n’attendent pas« , il est temps d’y penser ! Il va donc falloir se battre pour que le lobby de l’industrie ne l’emporte pas. La rapporteuse finlandaise Polfjärd, en commission ENVI du Parlement Européen va même encore plus loin dans la dérégulation (4), proposant entre autres de faire tomber l’obligation d’étiquetage des semences NGT1 et autorisant les nouveaux OGM dans le bio, sous prétexte que les agriculteurs biologiques doivent avoir « les mêmes chances » que les conventionnels ! Une hérésie totale ! Du côté du secteur bio, c’est la levée de boucliers (5) : jamais de nouveaux OGM dans le bio ! De tels amendements ont de quoi effrayer et nous mobiliser. Le vote en Commission de l’environnement du Parlement européen est prévu pour le 11 janvier prochain…
N’est-ce pas l’environnement qui sauvera l’agriculture ?
Le détricotage, pour des raisons économiques court-termistes, des réglementations en faveur de la préservation de la biodiversité – sauvage et cultivée – et de la réduction des pratiques favorisant la pollution et le changement climatique ne tient pas compte des défis auxquels notre société doit faire face. Nous nourrir n’est-il pas une priorité ? Les dirigeants européens ont-ils oublié que le premier objectif de l’Europe, lors de la constitution de sa politique agricole commune, était avant toutes choses de nourrir ses citoyens ? Comment notre agriculture peut-elle survivre aux fluctuations de climat et à l’épuisement des ressources, si elle perd en autonomie ? L’artificialisation et l’homogénéisation de la génétique des plantes cultivées permettra-t-elle encore à la nature et à l’agriculture de s’adapter ? N’est-il pas prétentieux de croire qu’à l’heure actuelle, les scientifiques feront mieux que la Nature dans un monde que nous aurons totalement bouleversé ?
Pour Nature & Progrès, la réponse est limpide. C’est en réconciliant agriculture et environnement, en maintenant des normes strictes et en encourageant les producteurs à produire en prenant soin du milieu naturel, que nous offrirons une voie d’avenir à nos villes et campagnes, pour notre Santé et celle de la Terre.
REFERENCES
(2) Traduction de l’anglais. Voir : www.natpro.be/wp-content/uploads/2023/11/20231119_OpenLetter_ConcernsNGT.pdf
(4) Voir : www.europarl.europa.eu/doceo/document/ENVI-PR-754658_EN.pdf
(5) Voir : https://friendsoftheearth.eu/wp-content/uploads/2021/03/New-GMOs-letter-300320.pdf