Pour des filières bio et solidaires à l’échelle des territoires
Nature & Progrès s’associe avec la Fondation Cyrys pour créer le Réseau RADiS (Réseau Alimentaire Dinant Solidaire – La bio se partage) dans la région dinantaise. Ce nouveau projet, qui se veut être un projet-pilote inspirant pour la Wallonie, nous permettra de travailler sur trois missions qui nous tiennent à cœur : la relocalisation de l’alimentation, le développement de l’agriculture biologique et l’accessibilité de l’alimentation bio et locale pour tous. A travers ce dossier, nous vous invitons à découvrir cette nouvelle initiative, et si le cœur vous en dit, à rejoindre le mouvement !
Par Sylvie La Spina
1. Développer des systèmes alimentaires bio, solidaires et pensés à l’échelle des territoires
Les crises sont riches d’enseignements et sont une opportunité de repenser notre société. Dans le domaine alimentaire particulièrement, la pandémie de Covid-19 a mis en lumière la nécessité de relocaliser l’alimentation, de renforcer notre attention sur le domaine de la santé en bannissant, une bonne fois pour toutes, les pesticides et de renforcer la solidarité envers les personnes en situation difficile, pour une alimentation bio et locale accessible pour tous.
Relocaliser notre alimentation : il est temps d’agir !
Dans nos régions, ces dernières décennies ont été celles de la révolution alimentaire. Il suffit de remonter quelques générations à peine en arrière pour se rendre compte que nos aïeux ont eu faim. Ils craignaient les mauvaises récoltes, les ravageurs qui pouvaient anéantir les aliments précieusement stockés en hiver. La sécurité alimentaire était en jeu et nombreuses étaient les familles qui produisaient des fruits, des légumes, des pommes de terre, de la viande, des fromages : une sorte d’économie de subsistance qui n’est pas si loin puisqu’elle est encore aujourd’hui majoritaire dans les pays « en voie de développement ». Il est loin, dans nos contrées, ce temps insécurisant ou l’on priait les saints de nous protéger de la faim mais aussi des épidémies de peste, grippe espagnole ou autre virus. Tiens, tiens… En témoignent encore des croix et des chapelles, éparpillées dans les petits villages de nos campagnes… Pourtant, notre société, maintenant habituée aux supermarchés ravitaillés par les industries alimentaires, d’ici ou de beaucoup plus loin, a récemment reçu un électrochoc quand un certain virus a bouleversé le système et révélé sa fragilité. Les avions sont restés au sol, les frontières se sont fermées, et tout le monde a retenu son souffle. Et voici des hordes de consommateurs qui se dirigent vers le système avec lequel ils sentent plus en confiance : les producteurs locaux. Pour éviter la folie des supermarchés et leur stratégie « de masse », pour retrouver de l’authenticité et de la confiance, et davantage de proximité. Bien vite, on s’est rendu compte que les producteurs en circuits courts ne suivaient pas, ce qui a posé la question de notre sécurité alimentaire.
Notre agriculture locale est-elle encore destinée à nous nourrir, et en est-elle seulement encore capable ? Constatons que notre région dépend énormément des céréales produites hors de ses frontières pour alimenter ses boulangeries, que l’autoproduction de fruits et légumes est estimée, en Wallonie, à seulement 17% et que l’industrie alimentaire est dominante, en ce qui concerne les filières viande, œufs et lait. Il y a beaucoup à faire pour améliorer l’autonomie alimentaire locale, pour que les productions locales soient destinées à nourrir les consommateurs locaux !
Local, bio et solidaire, les trois bases du Réseau RADiS
La pandémie de Covid-19 nous a ramenés aux valeurs fondamentales : manger mais aussi être en bonne santé. Et quoi de plus élémentaire qu’une bonne alimentation pour être en bonne santé ! Les impacts des pesticides sur diverses affections, comme les cancers et diverses maladies neurologiques, ne sont plus à prouver. Il est grand temps d’agir, en bannissant définitivement ces produits néfastes pour l’environnement et dont nos systèmes agricoles n’ont pas besoin, comme le démontrent quotidiennement les pratiques de nos agriculteurs bio. A travers sa campagne « Vers une Wallonie sans pesticides, nous y croyons« , Nature & Progrès lutte quotidiennement pour bannir les pesticides de notre environnement et de nos assiettes.
La crise d a également démontré la fragilité de notre système social. Pendant la pandémie, le taux de pauvreté a fait un bond, en Belgique, et les demandes d’aides et de colis alimentaires ont explosé. Les stratégies alimentaires territoriales doivent prendre en compte les personnes en situation de précarité financière et/ou sociale, qui représentent une frange de plus en plus importante de la population. Arrêtons de fermer les yeux sur ce problème et attelons-nous tous, dans les domaines où nous sommes actifs, à prendre des mesures pour une société plus juste et inclusive !
Voici donc les trois piliers qui sont à la base du Réseau RADiS et qui motivent nos actions. Nous avons longtemps rêvé d’un système alimentaire plus sain, plus juste, plus local, reliant les producteurs et les consommateurs, de campagnes plus harmonieuses… Il est temps maintenant de passer du rêve à la réalité, en nous concentrant sur un premier territoire, celui de Dinant, où tout est à construire en rassemblant évidemment tous les acteurs, y compris et surtout les citoyens.
2. Le Réseau RADiS, un partenariat entre Nature & Progrès et la Fondation Cyrys
Début 2020, la Fondation Cyrys contacte Nature & Progrès pour discuter d’actions à mener pour développer un système alimentaire bio, local et solidaire dans la région de Dinant. Ce premier brainstorming en appela un autre, deux semaines plus tard, en plein confinement cette fois. L’actualité n’a fait que renforcer les idées défendues par les deux partenaires, qui ont décidé de s’unir pour lancer un projet pilote dans la région de Dinant : le Réseau RADiS. Comme vous le verrez, le projet est une suite logique des actions de nos deux structures. Une initiative dans laquelle nous investissons beaucoup d’énergie et d’espoir.
Une véritable disponibilité humaine
Isabelle Caignet, membre et bénévole chez Nature & Progrès, travaille depuis plusieurs années à la Fondation Cyrys. Elle nous explique l’histoire et les missions de la fondation crée par l’Abbaye de Leffe à Dinant.
« La Fondation Cyrys, nous explique-t-elle, est une fondation d’utilité publique qui, contrairement aux fondations privées, est reconnue par un arrêté ministériel. Elle a été mise en place, en septembre 2017, par les chanoines de l’Abbaye de Leffe qui perçoivent, en effet, des royalties dues à l’utilisation du nom « Leffe » par le groupe brassicole AB-Inbev. Il ne s’agit donc pas d’actionnariat mais seulement de droits liés à l’utilisation d’un nom. Fidèles à une tradition de philanthropie, les chanoines ont créé une fondation pour soutenir des projets locaux allant dans le sens de leurs valeurs.
La publication, en 2015, de l’encyclique Laudato si’, du Pape François, sur la sauvegarde de la maison commune a fortement marqué les chanoines. Ils ont été interpellés par le concept d’écologie intégrale et par la phrase qui dit qu’il n’y a pas deux crises séparées, l’une sociale et l’autre environnementale, mais une seule crise socio-environnementale complexe. Leur volonté fut donc de ne plus séparer l’humain d’un côté, à travers des actions sociales et philanthropiques, et l’environnemental de l’autre, celui-ci étant d’ailleurs souvent le parent pauvre de leur action. Ces deux axes devaient donc être vus conjointement ; la nature ne pouvait plus être pensée en opposition à l’humain mais de manière liée. Leur intérêt, leur curiosité, par rapport à la transition joua aussi un rôle important, dans toutes les dimensions locales, conviviales, participatives, à taille humaine, et d’ouverture à tous.
Tout cela a donc permis à la Fondation Cyrys de voir le jour ; l’équipe s’est étoffée au fil du temps et est aujourd’hui composée de quatre personnes. Les fondateurs souhaitèrent une véritable disponibilité humaine et du temps vraiment consacré à l’action, plutôt que de fonctionner par appels à projets correspondant à une somme à allouer. La Fondation Cyrys privilégie l’analyse, à l’aune des missions qu’elle s’assigne, de projets qui cheminent jusqu’à elle. Les chanoines ont défini une zone d’action privilégiée qui s’étend sur six communes – Yvoir, Dinant, Houyet, Hastière, Onhaye et Anhée – et souhaitent pouvoir constater un impact, à moyen et long terme, sur ce territoire, ce qui n’empêche pourtant pas que les actions puissent également se faire ailleurs, ou bénéficier aussi à d’autres. Leur volonté d’être proches de ceux avec qui ils cohabitent fut une donnée importante dans la mise en place de la Fondation Cyrys. »
Isabelle explique comment la Fondation en est venue à créer, avec Nature & Progrès, le Réseau RADiS. « Un projet, poursuit-elle, travaillant avec les cantines scolaires avait déjà mis en évidence le peu de producteurs bio, en fruits et légumes, dans la région. Contrairement à d’autres régions, il n’existe pas non plus d’initiatives de type Ceinture alimentaire. Une coopérative de producteurs-consommateurs s’était lancée mais n’a pas dépassé le stade des trois ans. Nous avions bien conscience qu’une action d’échange devait être entreprise vis-à-vis des agriculteurs mais nous ne savions pas comment faire. Approcher le milieu agricole demande aussi une certaine légitimité. En tant que membre de Nature & Progrès, il m’a semblé évident, par ma propre expérience du SPG du label Nature & Progrès et du projet Echangeons sur notre agriculture, de faire appel à l’association pour proposer un partenariat. J’ai obtenu le feu vert pour une prise de contact, au début de cette année… »
Nature & Progrès : concrétiser le projet Echangeons sur notre agriculture !
Pendant six années, Nature & Progrès a sillonné la Wallonie pour rassembler producteurs et consommateurs autour de notre alimentation. Ces rencontres ont été l’occasion de mieux se connaître et se reconnaître, de découvrir le monde agricole pour certains, d’échanger des idées pour tenter de répondre à des problématiques comme l’accès à la terre, la crise du secteur laitier ou l’abattage de proximité, par exemple. Un nombre considérable de solutions ont été rassemblées dans le cadre du projet, et compilées au sein de nos brochures largement diffusées vers le monde agricole, politique ou vers le grand public – elles sont toujours disponibles sur le site www.agriculture-natpro.be.
Le projet a mis un coup de projecteur sur différentes thématiques, ce qui a donné naissance à des initiatives. Un éleveur a rassemblé des camarades, dans sa région, pour remettre la main sur la valorisation de leurs productions laitières. Plusieurs producteurs de céréales se sont dirigés vers des cultures panifiables pour alimenter un moulin et des boulangeries. Un projet se développe pour abattre les animaux à la ferme. Toutes ces concrétisations mettent en avant la qualité des idées qui ont émergé des rencontres entre producteurs et consommateurs, et sont autant de pas vers les idéaux défendus par Nature & Progrès.
Si ces projets individuels sont enthousiasmants, certaines initiatives gagneraient à être pensées de manière plus collective, plus territoriale. En effet, le projet Echangeons sur notre agriculture a démontré deux choses : le développement de filières alimentaires bio et locales manque d’outils et de liens. La rencontre et la coopération des acteurs permettrait de mutualiser idées et outils, aboutissant à des initiatives fortes et liées à un territoire. À la suite du développement de l’agro-industrie, nos petits outils de transformation primaire ont connu un déclin mais aujourd’hui nos producteurs, transformateurs et consommateurs, en quête d’autonomie, en ont à nouveau grand besoin. Des moulins, des malteries travaillant à petite échelle, des abattoirs, des fromageries manquent au développement de nouvelles filières alimentaires bio et autonomes. Il est temps de développer un maillage d’outils de transformation collectifs sur les territoires.
Nombreux sont les producteurs qui veulent se diriger vers de nouvelles filières locales. Des transformateurs sont, eux aussi, en réflexion et souhaitent s’approvisionner plus localement. Des consommateurs, enfin, désirent s’investir dans les questions alimentaires, recréer des circuits locaux, soutenir les initiatives de territoire. Favorisons leur rencontre, leur dialogue, pour échanger sur les besoins et les attentes, et construire ensemble des partenariats ! La suite logique du projet Echangeons sur notre agriculture est donc bien là : rassembler les acteurs, échanger mais, cette fois, pour mettre en place la concrétisation des idées, des filières, des outils à l’échelle d’un territoire. Place à l’action !
Le Réseau RADiS associe deux acteurs en réflexion sur notre société, avec des idéaux qui se complètent. La Fondation Cyrys renforce le coté solidaire, inclusif, du projet, tandis que Nature & Progrès apporte une expertise dans le domaine alimentaire et dans les filières. Nul doute qu’avec ces compétences et motivations réunies, notre ambitieux Réseau RADiS sera un modèle qui pourra essaimer partout en Wallonie !
3. Le Réseau RADiS : créer du lien, favoriser le partage
Dans différents domaines, on appelle réseau un ensemble de pôles reliés entre eux par des liens afin d’échanger des informations, de partager des ressources, de transporter de la matière ou de l’énergie. Nous avons choisi d’utiliser ce vocable pour souligner le rôle important de la démarche participative et créatrice de liens sur laquelle repose le projet. Philippe Defeyt, économiste et membre volontaire et enthousiaste du comité de pilotage du Réseau RADiS, témoigne de l’importance du capital social dans le projet.
« Le Réseau RADiS, dit Philippe Defeyt, rejoint un objectif que nous sommes aujourd’hui nombreux à poursuivre, au sein de notre société : des productions durables dans tous les domaines, en cela compris, bien sûr, l’alimentation humaine. J’insisterais personnellement beaucoup plus, au fur et à mesure que se précise le constat de terrain qui est à la fois intéressant et interpellant, sur ce que certains sociologues et certains économistes appellent le « capital social ». Il s’agit simplement des liens entre les gens. Il est très interpellant, en effet, qu’après autant d’années de conscientisation et de mobilisation, de recherches, d’actions et de plans divers, il faille encore constater que des acteurs qui ont potentiellement plein de choses à faire en commun ne se connaissent pas. Là résidera, à n’en pas douter, une partie extrêmement importante du travail effectué sur le terrain. »
Rassembler autour d’un objectif commun et sortir de l’entre-soi
« Il ne suffit pas que les gens se connaissent, précise-t-il. Bien sûr, c’est important car cela signifie que, quand les occasions se présentent, chacun sait déjà à qui il a affaire, qui est sensible à quoi, comment « prendre les gens »… Bien sûr, chacun a également ses propres contraintes et ses propres visions du monde, cela fait depuis toujours partie des réalités. Néanmoins, il faut pouvoir, à un moment donné, être proactif ; il ne suffit pas de dire simplement qu’on rencontre des gens… Car ces rencontres doivent avoir un objet ou, en tout cas, il faut au moins en proposer un dont se saisit qui le souhaite. Ceci entre dans le cadre d’une réflexion plus globale sur notre société : le capital social est extrêmement important dans toutes ses dimensions et il est d’autant plus important dans un cadre de développement durable où il faut être économe de moyens. Chacun ne peut plus faire son petit investissement dans son coin et même les agriculteurs classiques redécouvrent les charmes d’une démarche coopérative qui consiste, par exemple, à partager des équipements lourds. Cela vaut a fortiori pour toutes les démarches de transition… »
« A la mise en place de filières, poursuit Philippe Defeyt, je préfère l’idée de faire se rencontrer les producteurs et les consommateurs, mais aussi les producteurs entre eux, et les consommateurs entre eux. C’est l’avenir, me semble-t-il, à tous points de vue, et pas seulement dans la production alimentaire. Cela vaut aussi dans toute une série d’autres secteurs : il s’agit de liens où chacun apprend de l’autre. Les uns apprennent aux autres ! Une fois qu’on se connaît, ce genre de lien peut très vite devenir informel : j’ai une question, je sais à qui m’adresser, je passe un petit coup de fil… J’ai un doute, je le partage, j’essaie d’apporter une réponse… Au départ, bien sûr, un lien structurel, structuré, est peut-être nécessaire qui serait l’occasion de faire « prendre la mayonnaise »…
Ce qui me semble important, dans cette idée de capital social et humain, c’est précisément de sortir des filières. Même dans le monde économique traditionnel, des rencontres ont lieu au sein de filières données et des gens se parlent et discutent entre eux… Les éleveurs se parlent, les betteraviers se parlent… Mais l’intérêt majeur, dans une perspective de développement durable, est au contraire de sortir de l’entre-soi ! D’abord parce qu’on apprend les uns des autres – une technique de protection contre des nuisibles sera peut-être transposable à des cultures différentes – et qu’il est nécessaire d’avoir une connaissance juste de ce que l’autre fait. Un exemple dans le domaine de la transition : quand se réunissent des gens qui promeuvent des démarches alternatives, on sait d’avance ce qu’ils vont se raconter. Quand on réunit ces gens avec des « commerçants » et/ou des fermiers plus traditionnels, il est déjà plus compliqué de savoir ce qui va en sortir… Quelle sera l’expérience qui va être profitable pour l’autre ? C’est là tout l’intérêt de sortir de l’entre-soi… »
Prendre le temps et faire le pas
« Il y a bien sûr de nombreux obstacles au développement du capital social, poursuit Philippe Defeyt. C’est d’abord une question de temps or il y a des urgences, surtout dans une période de crise comme aujourd’hui. Il y a ensuite des formes de méfiance et d’incompréhension, des formes de représentation, c’est-à-dire qu’on se fait une image toute faite d’autrui, certains porteurs de projets de transition se méfiant, par exemple, d’entreprises commerciales traditionnelles au sujet desquelles ils imaginent plein de choses… Réduire ces obstacles demande évidemment du temps et du travail mais il faut surmonter ces difficultés qui empêchent la maximisation du développement du capital social et humain à l’échelle d’une région ou d’une sous-région. »
« La transition réside essentiellement, à mes yeux, dans le partage, conclut Philippe Defeyt. Partages d’équipements, de données, de connaissances… Faire en sorte que mon expérience serve à d’autres, qu’il soit possible de réfléchir en sortant de l’entre-soi. Tout cela reste, pour moi, une ligne directrice extrêmement importante. L’agriculture est un lieu magnifique pour faire cela. Il y a une histoire dans le monde agricole, peut-être moins chez nous que dans d’autres pays mais il existe encore des coopératives qu’il faut bien sûr faire évoluer et moderniser. La démarche coopérative est une chose géniale car elle distingue les choses qu’on fera mieux ensemble que tout seul ! Et, au-delà du fait qu’une telle démarche crée des liens, elle l’emporte par son argument économique. Gérer ensemble une coopérative est très bon pour le capital social car, forcément, on se parle. Mais c’est bon également sur le plan économique… Acheter des équipements qui servent très peu est, par exemple, un non-sens économique alors que le faire à plusieurs peut avoir pleinement son sens… »
Comme le projet Echangeons sur notre agriculture, le Réseau RADiS se veut un projet de rencontres brassant un large éventail d’acteurs, tous réunis avec un objectif commun : développer des filières bio, locales et solidaires dans la région dinantaise. Et ça commence… Maintenant !
Développer les filières par la mise en réseau
Le Réseau RADiS travaille sur un territoire comprenant six communes : Anhée, Yvoir, Onhaye, Dinant, Hastière et Houyet. Sur ces communes, une quarantaine de producteurs bio, quatre transformateurs bio, des commerçants, des restaurants et une horde de consommateurs, certains sensibles à nos valeurs, d’autres pas, certains avec des moyens financiers, d’autres, moins… On met le tout dans le chaudron, on chauffe, et… ?
Fabrice de Bellefroid, administrateur de Nature & Progrès, est également engagé comme expert dans le comité de pilotage du Réseau RADiS. Son expérience dans le milieu agricole, au contact des producteurs, et sa participation à différents projets – dont la mise sur pied de la coopérative ADM-bio qui transforme en soupes la production légumière impossible à présenter en magasins – sont une réelle richesse pour la construction de notre initiative. Il témoigne : « Le réseau n’a pas pour objet la création de coopératives d’infrastructures, comme des moulins, mais il s’agit davantage d’aider, d’encadrer et de mettre des personnes en contact. Tout part des ambitions et des volontés de ceux qui sont sur le terrain, à qui on peut, le cas échéant, faire l’une ou l’autre suggestion. Nous avons entrepris une première démarche en direction des producteurs. Nous avons constaté combien, sur une aussi petite région, les agriculteurs ne se connaissaient pas et étaient heureux de se rencontrer pour échanger leurs points de vue. On peut donc penser que, d’une manière très générale, une meilleure connaissance mutuelle des différents acteurs, des questions alimentaires et leur mise en réseau est très riche de potentiel. »
Partir de la production locale ou partir des consommateurs ?
La première étape du projet a donc été de contacter les producteurs bio, de découvrir ce qu’ils produisent et comment ils valorisent leurs productions, et de récolter leurs ambitions individuelles. Nous avons rapidement constaté un intérêt pour la production de céréales panifiables, de nombreux agriculteurs étant déjà producteurs de céréales de qualité standard pour les filières fourragères et énergétiques. Si c’est possible de contribuer à nourrir leurs voisins, ils sont partants ! Mais… Comment créer la filière ? Avec quels outils de transformation, et surtout, pour faire quoi ? Des farines ? Du pain ? Des pâtes ?…
On note aussi un intérêt des producteurs bio pour la diversification des cultures afin d’allonger la rotation, ce qui est bénéfique pour la gestion des adventices et des maladies et pour la fertilité du sol. Fabrice explique : « Ces cultures – quinoa, chanvre… – sont certes nouvelles pour les agriculteurs mais elles offrent de belles plus-values tout en étant réalisables avec le matériel classique. Elles sont pleines d’intérêt au niveau agronomique, au niveau alimentaire et diététique, au niveau des circuits courts, etc. Mais demander à un cultivateur de produire des lentilles ne dit évidemment rien sur la garantie qu’il aura de les vendre… » Et ici se trouve le premier constat de notre étude : les producteurs sont frileux à l’idée de se lancer dans la valorisation de leurs productions, n’étant pas sûrs que les consommateurs achèteront effectivement leurs produits…
Fabrice poursuit : « Nous sommes donc davantage repartis des consommateurs, pour évaluer le débouché. La possibilité d’approvisionner les collectivités semble une piste prioritaire, en collaboration avec l’association Influences végétales – http://influences-vegetales.eu/ – qui accompagne les écoles et les collectivités dans l’approvisionnement des cantines en bio en circuit court, en « vrai local » ! » Voici donc une belle opportunité pour développer des filières, vu les volumes que peuvent potentiellement représenter les demandes des cantines scolaires. Mais tout n’est pas si simple : « Nul n’a jamais la garantie de convaincre les parents de demander du bio et local pour leurs enfants, dit Fabrice de Bellefroid, ni que les enfants mangeront finalement les soupes qu’on met dans leur assiette… C’est la réalité du terrain dont on ne parle pas forcément : ce n’est pas parce qu’on place des soupes dans telle ou telle école que les enfants vont ipso facto en boire. Il est cependant beaucoup plus facile de travailler avec les écoles et avec les collectivités qu’avec le consommateur direct. Une autre façon de commercialiser serait de s’appuyer sur les épiceries sociales et solidaires, et les groupements d’achats… »
Une filière faible : les fruits et légumes
Avec Influences végétales, nous avons donc identifié les besoins des cantines scolaires souhaitant se diriger vers des produits bio et locaux. Mais finalement, quel est le niveau des productions alimentaires locales par rapport à la consommation locale sur notre territoire d’action ? Y a-t-il des filières à développer plus que d’autres ? En réunissant des chiffres sur les surfaces de production – bio et non bio ensemble – et les cheptels animaux – bio et non bio ensemble – dans les six communes, et en comparant leurs productions théoriques avec la consommation des habitants du territoire, on arrive à un constat marquant : les surfaces et cheptels semblent amplement suffisants, et parfois même largement, pour rencontrer, en théorie, les besoins alimentaires des habitants… sauf pour les fruits et légumes ! Les surfaces consacrées aux fruits et légumes ne pourraient couvrir, selon nos calculs, que 4 % à peine des besoins alimentaires des citoyens ! La moyenne wallonne d’auto-approvisionnement alimentaire dans ces filières étant de 17 %, il y a donc beaucoup de travail pour développer cette filière ! Cette étude comparative des surfaces et les cheptels avec les besoins des consommateurs est disponible sur le site internet www.reseau-radis.be.
Selon Fabrice, « ce serait donc une belle occasion de faciliter l’installation de maraîchers, en leur suggérant de se concentrer sur certains types de production qu’ils maîtrisent bien… et en collaborant ! La perspective de pouvoir alimenter des cantines leur permettrait de produire de manière plus conséquente, sans se tracasser pour les rebuts. Un atelier pourrait alors les transformer en soupes à destination des écoles… »
Deux axes de travail prioritaires
Mettre en lien les activités et souhaits des producteurs avec les besoins des transformateurs, des commerçants et des consommateurs, y compris les cantines, est donc une première étape permettant d’augmenter la part des productions bio et locales dans l’assiette du consommateur dinantais. Nous avons particulièrement épinglé deux filières sur lesquelles nous souhaitons travailler : les fruits et légumes bio et les céréales panifiables. Pour la première, il s’agira de comprendre quels sont les freins à l’installation de nouveaux producteurs bio, pourquoi certains ont fait le choix de ne pas se faire certifier bio, de voir comment renforcer l’accès à la terre et comment collaborer pour mutualiser au maximum et atteindre la rentabilité. Pour la seconde, il s’agit de définir les produits finis auxquels nous souhaitons arriver, et mettre en place les outils manquants, en créant, certainement, une activité économique et des emplois. Des groupes de travail vont se mettre en place dès ce mois de janvier, rassemblant tous les acteurs intéressés, pour se pencher sur ces questions.
4. L’accessibilité de l’alimentation bio et locale pour tous
Selon une étude de l’IWEPS, un wallon sur cinq est en situation de précarité financière. D’après la Fédération des Services Sociaux, l’aide alimentaire concerne quatre cent cinquante mille personnes en Belgique, soit 4 % de la population ! Les personnes bénéficiant du revenu d’intégration sociale, identifiées et gérées par les CPAS, sont près de cent cinquante mille en Belgique, soit 1,3 % de la population, dont 687 sur les six communes de notre territoire d’action.
La situation des personnes en difficulté économique est diverse : personnes sans revenus – chômeurs, exclus du chômage, incapacité de travail -, personnes actives mais à faibles revenus, petites pensions, familles monoparentales – parent actif ou non -, personnes sans domicile fixe… La diversité des situations implique que les personnes ont des besoins différents. Certains sont isolés et ont besoin de contacts sociaux, d’autres ont peu de temps disponible, certains disposent de peu d’infrastructures pour cuisiner, voire pas du tout, etc.
Un certain nombre de freins à l’accessibilité des personnes aux aliments de qualité ont été identifiés : le prix, le manque de temps, le manque de compétences – cuisine, méthodes de conservation… -, le manque de motivation pour cuisiner, le manque de moyens matériels – cuisine, terres, lieu de stockage… -, l’accessibilité physique – la mobilité -, l’accessibilité culturelle, etc.
Les types d’aides alimentaires existantes
L’aide alimentaire repose aujourd’hui sur plusieurs actions. La plus courante est la distribution de colis alimentaires, alimentés par différentes ressources : les produits achetés par le biais des fonds européens, le plus souvent peu périssables, et les produits issus des dons – invendus de grandes surfaces, de particuliers, etc. – recueillis par les courageux bénévoles des associations caritatives. Des infrastructures dédiées aux personnes en situation économique précaire sont aussi offertes, comme les restaurants sociaux et les épiceries sociales. Parfois, les CPAS peuvent aussi distribuer des chèques alimentation permettant aux allocataires de se fournir dans les magasins.
Toutefois, si elle part toujours de bonnes intentions, cette aide caritative présente des limites tant elle met ses bénéficiaires dans une position d’assistanat souvent humiliante, surtout quand les distributions de colis sont publiques, et notamment quand l’accès est conditionné et demande des justifications lourdes qui portent atteinte à la vie privée. Elle peut même être dégradante, les produits alimentaires distribués n’étant pas toujours de bonne qualité, et issus souvent des rebuts, les « poubelles des riches » ! Bref, cette aide augmente gravement le clivage social, en mettant les publics précarisés bien à distance des personnes plus nanties. Elles n’offrent pas aux bénéficiaires les produits répondant à leurs attentes : manque de produits frais, manque de diversité, divergences culturelles, absence de choix… Les programmes d’aide alimentaire visent aussi souvent à pousser les gens à changer leurs habitudes, à les diriger vers une alimentation plus saine et équilibrée, ce qui est perçu comme très moralisateur.
« Le sentiment d’humiliation, d’atteinte à leur dignité, semble être composé de deux éléments : l’humiliation de recevoir des produits invendus, c’est-à-dire les « déchets » des autres consommateurs et de l’agro-industrie, et la violence de ne pas avoir le droit de choisir les produits qu’ils veulent, de ne pas pouvoir les refuser ni les contester ». Source : ATD Quart Monde 2019. L’expérience de l’aide alimentaire. Quelles alternatives ? Rapport d’une recherche en croisement des savoirs.
« Il faut absolument éviter d’enfermer tous les statuts précaires dans un seul et même grand sac, renchérit Philippe Defeyt, membre du comité de pilotage du Réseau RADiS, et plus encore de les enfermer dans « leur » monde. Je ne suis donc personnellement pas favorable au développement des banques alimentaires et des restaurants sociaux qui présentent l’immense défaut de mettre les gens à part. Va-t-on faire des circuits pour les pauvres, des formations pour les pauvres, des bus pour les pauvres, des hôpitaux et des écoles pour les pauvres ? Où va s’arrêter cette logique ? Un pauvre, comme n’importe lequel d’entre nous, a le droit de choisir ce qu’il consomme, d’aller dans les circuits de distribution qu’il souhaite… Que l’on fasse avec lui ce qu’on fait avec tout le monde, c’est-à-dire encourager les gens à mieux réfléchir à leurs choix, oui, d’accord ! Mais comme tout le monde : ni plus, ni moins. Les banques alimentaires et les restaurants sociaux sont des filières qui gardent les pauvres entre eux, en-dehors de la société. »
Vers de nouveaux modèles alimentaires
Il semble donc nécessaire de partir sur de nouveaux modèles d’aide alimentaire basés sur la solidarité et évitant les écueils des stratégies caritatives actuelles. Les solutions devront éviter l’assistanat en impliquant les personnes, éviter le clivage social en créant des liens sociaux et en favorisant une mixité sociale intégrative, reposer sur la solidarité et la convivialité, donner le choix, aller vers la qualité et être adaptées à la situation des différents types de publics. Développer ces nouvelles stratégies d’aides nécessite, par conséquent, de sortir des sentiers battus. Le Réseau RADiS a l’ambition de creuser des solutions d’aides à l’accessibilité des produits bio et locaux plus justes, plus valorisantes pour les personnes qui en ont besoin. Encore un beau défi !
Renforcer l’accessibilité des produits sans porter atteinte aux revenus agricoles
Les agriculteurs sont souvent, eux-mêmes, dans une situation de précarité sociale – isolement – et économique – faible valorisation de leurs productions. Parler, avec les producteurs, d’aider les consommateurs pauvres peut donc faire apparaître quelques crispations sur les visages… Va-t-on encore nous ajouter une pression sur les prix alors qu’il est déjà difficile de vivre de la culture et de l’élevage ?
Selon Fabrice de Bellefroid, membre du comité de pilotage du Réseau RADiS, « il y aura toujours un fossé entre ce que la frange démunie de la population peut dépenser pour se nourrir et les conditions de vie décentes de celui qui produit. Dès lors, de deux choses l’une, soit la prise en charge sociale est accentuée, par le biais d’épiceries sociales par exemple, soit le consommateur est invité à investir une part de son temps, sur le champ, avec le producteur. La réduction de ce fossé fait évidemment partie du projet du Réseau RADiS. »
Toujours selon Fabrice, « l’autocueillette est une solution prometteuse. Le Champ des possibles, à Jupille, montre par exemple qu’un beau panier de légumes hebdomadaire peut ne pas dépasser trois cents euros par an si le travail de récolte, de nettoyage et de préparation des légumes est réalisé par ceux qui les consomment, alors qu’il incombe généralement aux producteurs. C’est donc bien une manière d’avoir accès à de bons légumes frais à des prix extrêmement modiques… On peut également imaginer cela pour les fruits dont la grosse charge en main-d’œuvre grève fortement le prix final. »
Par ailleurs, des magasins coopératifs, permettant aux coopérateurs à faibles revenus d’obtenir un prix réduit en l’échange de quelques heures de travail – réassortiment des rayons, tenue de la caisse… – est également une solution. Echanger un peu de travail contre un prix plus faible, que ce soit en autocueillette ou via des magasins solidaires, implique cependant que les personnes disposent de temps, ce qui pour certains publics est souvent compliqué : personnes ayant deux emplois, familles monoparentales…
Une aide publique sous forme de chèques-alimentations
La Fédération des Services Sociaux, que nous avons contactée pour recueillir leur avis sur la question, soutient le caractère indispensable des aides publiques, et promeut un soutien sous forme de chèques alimentation. Isabelle Caignet, de la Fondation Cyrys, les rejoint. « Il faudrait fonctionner, dit-elle, en lien avec les CPAS, avec des épiceries qui accepteraient des bons d’achat, sans qu’on puisse faire de différenciation, à la caisse du magasin, entre celui ou celle qui s’en sert et le reste de la clientèle… Une sorte de carte de fidélité qui octroierait de substantielles réductions. Les expériences montrent qu’un volet parallèle de sensibilisation reste indispensable : rapport à l’alimentation, ateliers de cuisine, etc. »
D’autres pistes peuvent encore être envisagées : épiceries solidaires mixtes, groupements d’achats collectifs permettant d’acheter, en plus gros volumes et à plus faible prix, des denrées alimentaires, mise en place de potagers collectifs, de cuisines collectives ou de conserveries mobiles, d’ateliers permettant de sensibiliser et de former à la cuisine et à la conservation des aliments… Les idées se multiplient, au fur et à mesure que l’on creuse la question. Reste à les évaluer et à les éprouver afin de faire les meilleurs choix dans les conditions que nous rencontrerons, surtout en fonction des souhaits et besoins réels des personnes que l’on cherche à aider…
L’emploi contre la pauvreté
Le Réseau RADiS a l’ambition de développer des activités de valorisation des productions agricoles bio pour les rendre accessibles aux citoyens de la région. Ces activités seront, sans aucun doute, créatrices d’emplois et/ou pourraient faire l’objet de programmes de réinsertion socio-professionnelle des publics en situation précaire. C’est aussi une piste explorée dans le cadre de notre projet, notamment via une première rencontre avec l’association Cynorhodon, une entreprise de formation par le travail dans le domaine du maraîchage bio et de l’entretien des espaces verts.
Philippe Defeyt nous interpelle sur la nécessité de développer un volet économique solide pour pouvoir intégrer ensuite un volet social d’aide aux personnes démunies. « La question du travail avec les publics précarisés, estime-t-il, doit être au centre des préoccupations ; je serai le dernier à être insensible à cette dimension-là. Je défends assez bien l’idée qu’au vu de la pression du monde économique traditionnel, il faut d’abord et avant tout être des professionnels. Pour faire du maraîchage, il faut un maraîcher ! Il faut qu’il gagne sa vie correctement mais aussi qu’il soit à même de s’organiser pour durer. Quand les démarches économiques sont bien solides, il est alors possible de penser aussi à la dimension sociale : accueillir des stagiaires, travailler avec une Entreprise de Formation par le Travail, collaborer avec un atelier de travail adapté, avec des banques alimentaires, etc. »
Voici donc un beau défi pour notre Réseau RADiS de travailler, en parallèle, au développement des filières bio et locales, sur les aspects de l’intégration sociale et de l’accessibilité de l’alimentation pour tous. Un sujet aussi stimulant que complexe qui nous plongera dans un domaine que nous maîtrisons encore peu, actuellement chez Nature & Progrès, mais qui est d’une importance majeure pour une société plus équitable.