Petit retour en arrière : fin de l’année 2020, en pleine crise de la Covid, les bénévoles actifs des locales ne peuvent plus se réunir chez l’un ou chez l’autre pour discuter ensemble et réfléchir sur les thématiques chères à Nature & Progrès. L’éducation permanente, au cœur de notre association, est en péril. Pour certains membres, c’est un cycle régulier de près de vingt ans qui est alors rompu !
Par Lionel Pistone
Mais c’est sans compter sur une évidente créativité… Chacun tente alors de s’organiser pour tout de même échanger avec d’autres membres, devenus, au fil du temps, des amis. C’est dans ce contexte pour le moins particulier que la locale de Marche-en-Famenne décide de se réunir… dans un bois nassognard. Dans le petit village de Grune, plus exactement !
Une idée qui germe en temps de crise
Une bonne demi-douzaine de bénévoles actifs prend alors le départ, sous un paysage enneigé, d’un petit circuit concocté par Claudine. En marchant, ils échangent entre eux, ainsi qu’avec l’animateur, sur les différentes thématiques portées par l’association. Pendant la balade, Christian, le président de la locale, aborde un sujet un peu nouveau que l’on commence timidement à retrouver en éducation permanente : la participation citoyenne. De fil en aiguille, l’animateur et d’autres bénévoles apportent leur concours à la discussion, grâce notamment à des articles ou à des livres qu’ils ont lu sur le sujet, comme le célèbre Contre les élections, de David Van Reybrouck. C’est ainsi que commença à germer l’idée d’instaurer un mécanisme de participation citoyenne au sein de Nature & Progrès.
Tout se passe, en effet, comme si nous étions chacun les neurones d’un même cerveau. Mais la capacité d’un cerveau repose moins sur le nombre de ses neurones – et sur ce qu’ils « savent » en leur for intérieur – que sur le nombre des connexions qui les relient et sur la capacité de ces connexions à échanger rapidement toutes sortes de données utilisables. Une grosse masse de neurones peut donc être en état de mort cérébrale si on l’arrose quotidiennement, par exemple, de publicités ineptes qui la poussent à se comporter machinalement contre son propre intérêt. Un peu de matière grise dûment stimulée peut, au contraire, être très active si elle se décide à réfléchir. Une telle activation est ce qu’on nomme parfois le « capital social ». C’est bien sur ce lien social que nous étions décidés à thésauriser !
Et après ?
Après plus d’un an et de multiples réunions sur le sujet – avec l’aide précieuse d’une « académique » de l’Université Catholique de Louvain spécialiste de la question -, deux journées de réflexion et de travail sont organisées à Namur, les 12 et 19 mars 2022. Une trentaine de citoyens membres et non-membres de notre association seront alors choisis et accompagnés par deux facilitateurs pour débattre autour du thème sélectionné par la locale de Marche : « As-tu besoin de ton voisin ? ». À la suite de ces deux journées de travail – voir notre analyse n°16, de l’année 2022 -, une synthèse est envoyée aux participants et un moment de conclusion est organisé lors du salon Valériane 2023. Le processus se termine alors, après avoir animé presque trois ans de la vie de la locale…
Lorsqu’on met en place un projet qui a demandé autant de réflexion, de travail, de temps et de moyens, on espère toujours qu’il en reste quelque chose une fois ledit projet terminé. L’une des graines semées lors de ces ateliers va-t-elle germer dans la tête de l’un des participants ? Fort heureusement, nous pouvons affirmer, aujourd’hui, que oui ! La présente analyse dissèque donc deux réussites bien distinctes qui ont pu voir le jour suite au panel citoyen de Nature & Progrès.
Des projets pour Marbais
L’une des participantes au panel citoyen a mis en pratique les bons conseils échangés lors des journées du 12 et 19 mars. Début 2024, elle nous écrivait ceci :
« A la suite des deux journées de colloque « As-tu besoin de ton voisin ? », les projets ont fait leur petit bonhomme de chemin. Les idées et conseils des autres participants au colloque m’ont aidée à mettre en place ces projets qu’il me tenait à cœur de réaliser. Ces rencontres entre voisins, ces moments de convivialité et de partage permettent de renouer les liens de voisinage, d’accueillir les nouveaux habitants mais aussi de se demander « As-tu besoin de ton voisin ? ». Pour 2024, nous avons obtenu l’approbation de la Commune de Villers-la-Ville pour la construction d’une aire de jeux dans le parc pour les enfants de 1 à 12 ans, et ceci grâce à une requête signée par 55 habitants de la cité. D’autres projets sont en couveuse et j’espère voir leur réalisation. »
C’est un magnifique témoignage qui nous conforte dans l’idée que ces processus participatifs, outre le fait qu’ils aient un intérêt d’éducation permanente pour une association telle que Nature & Progrès, ont un intérêt pour les participants qui les pratiquent.
Le groupe « autonomie » de la locale de Marche
Souvenez-vous, ce sont les bénévoles de cette locale qui ont eu l’idée du panel citoyen et qui ont réfléchi à sa concrétisation. Ils ont également pensé à sa suite, ancrée dans le concret et surtout dans les alentours… En effet, pour un projet qui s’intituait « As-tu besoin de ton voisin ?« , le résultat ne pouvait être que local ! C’est ainsi que, depuis janvier 2023, certains membres bénévoles de la région se réunissent autour d’un nouveau projet qu’ils ont créé de toute pièce : un « cycle d’activités autour de l’autonomie au quotidien ».
La méthodologie d’organisation est systématiquement la même : plutôt que d’imposer un sujet et d’attendre que les voisins viennent, ce sont eux qui choisissent sur quel thème ils veulent se réunir et échanger des savoirs et savoir-faire. Les premières rencontres « autonomie » ont été créées au départ de ce constat : de nombreuses personnes du village ne savent pas comment faire leur pain et ont déjà demandé de l’aide à Christian et Claude Thiry, les responsables de la locale. Ceux-ci ont donc décidé d’organiser un atelier directement chez eux, en invitant quelques connaissances. Un atelier, c’est bien mais ce n’est pas suffisant. Christian était administrateur chez Nature & Progrès et il a longtemps été notre représentant au Conseil supérieur de l’éducation permanente. Il sait que la sensibilisation est un enjeu crucial et que « faire pour faire », ce n’est pas suffisant. Il est important de comprendre pourquoi on le fait, sinon on finit par décrocher et se laisser tenter par un retour au « confort d’une vie moderne », faite de supermarchés ouverts sept jours sur sept…
En conclusion
Lors de chacune des rencontres sur l’autonomie, une causerie est donc organisée et les participants sont invités à discuter des différents enjeux liés à la thématique du jour. Ainsi, par exemple, lors de la première rencontre sur le pain, douze personnes étaient présentes, dont une agricultrice bio voisine qui a pu expliquer les réalités de son travail et les tenants et aboutissants de la production de ses farines. Depuis lors, une voisine, Cécile – qui était également présente lors des deux journées du panel – a repris la main avec Claude et une dizaine d’activités ont été organisées sur l’autonomie dans la cuisine, au jardin, financière, en écoconstruction, sur le low tech, etc. Un second groupe permanent, issu en partie du premier et rejoint par d’autres personnes (membres ou non), est également en création autour du jardinage, des semences et de la biodiversité.
Ces causeries permettent de (re)dynamiser des individus, qui deviennent ensuite des groupes, qui continuent à échanger, mais aussi tout le réseau local institutionnel. On peut ainsi citer quelques acteurs partenaires tels que la Maison de la Culture, diverses associations, le festival de la ruralité, la commune via le PCDR, les différents partis politiques locaux, le domaine provincial du Fourneau Saint-Michel, etc. qui (re)découvrent Nature & Progrès grâce à ses différents projets. En une année, ce sont plus d’une centaine de personnes qui ont déjà été sensibilisés à l’autonomie au quotidien ! Une belle réussite dont le point de départ fut, je vous le rappelle, une balade dans un bois nassognard, en temps de Covid…