Il existe une alternative écologique à la crémation des corps et au pourrissement des cadavres en cimetières. Cette alternative s’appelle « humusation » car elle s’inspire de ce que fait la nature, dans les couches superficielles du sol, où circulent en permanence l’air et l’eau. En fait, c’est ce que nous appelons le compostage qui, en l’occurrence, doit être adapté, normalisé pour convenir à la gravité, à la solennité des funérailles. Ce travail est actuellement réalisé par la Fondation « Métamorphose pour mourir… puis donner la vie ! » – www.humusation.org
Par Dominique Parizel
Introduction
En Wallonie, la légalisation de ce nouveau type de rite funéraire traîne, alors qu’à Bruxelles l’humusation figure déjà, dans la législation, depuis deux ans. Mais qui l’humusation peut-elle encore faire effaroucher, dès lors qu’elle s’effectue dans le strict respect des croyances de chacun ? Peut-être aux lobbies qui prospèrent aujourd’hui sur le business de la mort ? Mais ne sommes-nous pas déjà allés beaucoup trop loin, dans ce domaine-là aussi ? Nous faisons le point avec Francis Busigny, président la fondation susnommée.
Vous dites "retour à la terre" ?
Commençons par un bref rappel théorique à l’usage de ceux qui auraient encore des doutes : la matière organique est la matière issue de tout ce qui fut un jour vivant – du végétal et de l’animal – et qui est ensuite reminéralisée dans le sol, c’est-à-dire fragmentée par les différentes strates d’organismes qui y sont présents, jusqu’à une forme inorganique ainsi disponible pour une nouvelle génération de végétaux qui nourriront, à leur tour, les individus du règne animal et, parmi eux, les humains… C’est le cycle de la vie dans sa plus noble expression… La vie et son cycle, c’est comme la planète bleue, nous n’avons pas l’embarras du choix, que nous le voulions ou non ! Nous avons maintes fois décrit ce fonctionnement complexe de la vie du sol et l’importance de recourir à la technique du compostage pour optimaliser ce processus vital qui permet de fertiliser la terre. Il est pourtant un type de matière organique qu’on omet toujours de considérer dans le cadre du cycle de la vie : nos propres corps, nos propres dépouilles mortelles d’êtres humains… Pourtant, contrairement à ce qui est encore généralement admis, nos pseudo-rites funéraires bafouent aujourd’hui ignoblement le corps, une fois mort : l’enfermement dans des gaines – qu’on dit pourtant biodégradables mais qu’il faut bien rouvrir tôt ou tard – fait de nos cimetières des lieux souvent très malsains, et les apparences d’hygiénisme de la crémation volatilisent corps et cercueils dans de grandes débauches énergétiques… Seule l’humusation semble désormais pouvoir garantir un paisible retour à la terre. Et la technique bien maîtrisée de l’art du compostage le permet rapidement : quelques mois suffisent ! Le terreau ainsi obtenu, mélangé à du lignite notamment – un produit intermédiaire entre la tourbe et la houille, abondant et bon marché -, possède un pouvoir fertilisant comparable à celui de la terra preta. Une précieuse source de vie donc, profitable à un bel arbre, par exemple. Nous sont ainsi symboliquement épargnées la cendre et la pourriture. De quoi renouer sans doute avec de bien belles espérances…
Des principes connus des jardiniers et des agriculteurs bio…
« Nous avons mis au point, explique Francis Busigny, un protocole, un ensemble de notions techniques précises, destiné aux futurs « humusateurs » agréés. Il s’agit d’une marche à suivre permettant d’anticiper toutes les difficultés éventuelles et qui concerne aussi bien les dépouilles humaines que celles des animaux de compagnie auxquels beaucoup de gens sont également extrêmement attachés et qui représentent eux aussi une biomasse non négligeable. Nous préconisons l’installation de buttes de broyat de déchets verts – trois mètres cubes environ – provenant notamment des « parcs à conteneurs ». Les pompes funèbres, ou les « humusateurs » agréés, coucheront, sur un lit d’environ vingt centimètres de broyat, les dépouilles uniquement vêtues d’un linceul en papier crépon qui se dégradera rapidement quand l’intérieur de la butte qui les recouvre montera, de manière tout-à-fait naturelle, à 60 ou 70 °C. Il faut alors que le microbiote de la personne – qui ne meurt pas avec elle – conjugue rapidement ses effets avec les micro-organismes qui dégradent déjà le broyat. Notons que la thanatopraxie actuelle, qui a pour but de « stabiliser le corps », stoppe toute dégradation naturelle, en remplaçant les fluides corporels par des produits « à têtes de mort » qui évitent toute odeur désagréable durant les cérémonies. Ceci est évidemment totalement incompatible avec notre démarche… Nous ajoutons au contraire quelques spécificités par rapport à un compost habituel : notamment, un accélérateur comparable à un « préparat » biodynamique qui permet de ne pas devoir retourner la butte… Après quatre mois environ, la dépouille n’existe plus. Le corps ayant été déposé dans un filet à mailles fines, il est alors aisé de récupérer les éléments qui ne sont pas biodégradables – prothèses en titane, pacemakers, dentiers, amalgames dentaires… – et qui, étant pratiquement intacts, peuvent être facilement recyclés. Le filet permet également d’ôter certains os qui sont émiettés pour être réincorporés à l’humus ainsi créé et qui est épandu sur n’importe quelle surface à fertiliser… Reste à créer maintenant un lieu d’expérimentation – deux cents mètres carrés, par exemple, dans notre centre pilote – qui permettrait la comparaison des différentes pratiques funéraires actuelles. Ce lieu serait clôturé et sécurisé afin d’éloigner les malotrus ; les charognards, eux, ne sont pas attirés puisque, contrairement à de nombreux cimetières, aucune odeur de décomposition n’émanerait de la butte de compost. Il faudrait encore, par la suite, penser à des lieux spécifiques – avec pergolas et coupes-vents, par exemple – où le dernier hommage serait rendu aux défunts. Il n’y aurait, bien sûr, plus de tombes « à demeure » puisque le processus d’humusation, nous l’avons dit, est relativement rapide… »
Les principaux bienfaits de l'humusation
« Une précision importante s’impose, insiste Francis Busigny : enterrer un cercueil à deux mètres de profondeur n’est pas non plus une solution qui permet la dégradation rapide d’un corps. Une telle pratique conduit inéluctablement à de la putréfaction. Il est indispensable, comme dans un compost bien mené, que la circulation de l’air et de l’eau soit toujours optimale à l’intérieur de la butte où la dépouille est en contact direct avec l’humus… Le gros avantage de l’humusation réside dans le fait que la fragmentation des chaînes moléculaires de la matière organique – SARS-CoV-2 y compris ! – jusqu’à leur stade ultime – qui ne coûte pratiquement rien et ne consomme aucune énergie – permet l’élimination des nombreuses molécules qui traînent à l’intérieur des corps. Même les charognards s’empoisonnent, de nos jours, en s’attaquant à nos cadavres, tant nous ingurgitons de médicaments divers ! Ceci explique, au passage, à quel point le processus de compostage est absolument indispensable pour régénérer les sols malmenés par les grandes cultures conventionnelles, tant ils sont gorgés de résidus chimiques divers et tant ils manquent aujourd’hui dramatiquement d’humus…
L’humusation promet également une importante avancée sociale car elle permettra une économie de deux à trois mille euros sur les frais de funérailles : pas de thanatopraxie, pas de cercueil, pas de location de concession, pas de pierre tombale… Au lieu du cercueil, nous préconisons des civières réfrigérantes en inox, munies de couvercles qui ne toucheraient même pas la dépouille, et qui seraient évidemment réutilisables après lavage, comme il en existe déjà dans la plupart des morgues. On se demande d’ailleurs pourquoi ce système n’existe pas déjà en crémation où il n’est guère de bon sens d’incinérer à chaque fois un cercueil ?
Enfin, outre le fait que le terreau obtenu fertilisera la terre et fera pousser des arbres, nous allons également permettre aux gens qui le souhaiteraient d’investir les montants économisés dans une action en faveur du climat. D’après Graine de Vie – https://grainedevie.org/fr/ -, on peut faire pousser quatre arbres avec un seul euro ! Planter dix mille arbres environ permettrait donc de compenser la totalité de l’empreinte écologique du cher disparu / de la chère disparue. Quel plus bel hommage lui rendre aujourd’hui que l’immunité carbone ? »
Comment avancer ?
« Nous attendons toujours l’autorisation de la Région Wallonne, insiste Francis Busigny, de pouvoir mener des expérimentations sur des dépouilles humaines. Des tests, confiés par le ministre Di Antonio à une équipe universitaire, se sont soldés par un lamentable fiasco expérimental, faute d’avoir tenu compte des préconisations qui étaient les nôtres. Nous avons, en effet, été tenus à l’écart du comité de pilotage… La pollution et la pénibilité du travail devaient également être comparée pour les différents types de funérailles. Nous sommes malheureusement sans nouvelles de ces essais… Le compostage est malheureusement une matière trop peu technologique pour intéresser vraiment le monde scientifique. Ses effets sont pourtant bien réels, qu’on le veuille ou non. Nous pensons que l’humusation est une bien meilleure solution que toutes les autres pratiques actuelles, tant d’un point de vue environnemental que social. La situation dans les cimetières n’a jamais été bonne : avant qu’on n’enferme les morts dans des contenants étanches, on se souciait bien peu que les « jus de putréfaction » se soient déjà écoulés dans les nappes phréatiques ; ils n’incommodaient pas non plus les fossoyeurs puisqu’il n’y en avait plus. L’utilisation de gaines étanches n’a fait qu’objectiver la gravité du problème. Pour les pouvoirs publics, l’alternative est donc maintenant de tout brûler car les crématoriums sont là et qu’il faut bien les rentabiliser… Nous ne parlons même pas ici du coût exorbitant que cela représente en énergies fossiles, ni de la pollution, ni même de l’éventualité d’une pénurie ou, tout simplement, de la nécessité de décarboner notre économie ; nous voulons simplement mettre en évidence la perte énorme, pour la biosphère, de la matière organique qui part ainsi en fumée… »
La SCES Humusation permet aujourd’hui de soutenir la difficile avancée de cette pratique nouvelle. Que beaucoup de gens la souhaitent, c’est non seulement soutenir le financement de sa mise en œuvre et faire œuvre de salubrité publique. C’est aussi montrer aux pouvoirs publics hésitants que très nombreux sont aujourd’hui les citoyens qui souhaitent sa légalisation. Il est donc grand temps de mettre en place les infrastructures d’essai nécessaires et de les confier à des acteurs expérimentés et qui souhaitent vraiment aboutir… C’est comme en jardinage et en agriculture : pourquoi s’échiner à faire ce que la nature fait beaucoup mieux que nous ? Et à nettement moindre frais… Au fond, l’humusation, cela va de soi.
C’est beau un arbre dans un cimetière, disait déjà l’humoriste français Pierre Doris. C’est comme un cercueil qui pousse ! Il ne croyait peut-être pas si bien dire…
Vous voulez agir ?
Devenez coopérateurs de la SCES Humusation qui met en place le premier « Centre Pilote pour l’Humusation ». Plus d’infos : www.humusation.org