Sans aucun doute, notre groupe local de Marche compta-t-il toujours parmi les plus dynamiques et les plus imaginatifs… La pandémie semble pourtant avoir fait surgir un gros point de côté chez ce vaillant coureur de fond. Arrêté net en plein effort, le voilà qui récupère lentement son souffle et rassemble sereinement ses idées. Écoutons le bilan que nous fait pour nous Christian Thiry, son coordinateur…
Par Dominique Parizel
« La dame chez qui nous nous rassemblions à l’origine, se souvient Christian Thiry, est aujourd’hui décédée. C’était il y a une vingtaine d’années et c’est chez elle que j’ai notamment fait la connaissance de Jacques Gérard qui était, à l’époque, notre coordinateur. Il organisait surtout des conférences. J’étais arrivé là après l’interpellation d’une de mes collègues qui savait que je pratiquais le jardinage. Claude, mon épouse, et moi-même avons participé, pendant plusieurs années, aux réunions de la locale, sans connaître grand-chose, il est vrai, au fonctionnement global de Nature & Progrès… »
Une concurrence croissante sur les activités traditionnelles
« A cette époque, dit Christian, il s’agissait notamment de conférences sur le jardinage… Avant la pandémie de Covid-19, nous avions aussi accueilli Pablo Servigne, le fameux « collapsologue », puis le climatologue Jean-Pascal Van Yperseele… Mais, à présent, plusieurs autres groupes organisent des conférences, à Marche, et nous devons faire face à une forte concurrence. Pendant une dizaine d’années, nous avons relancé la saison, au mois de février, en organisant des petits déjeuners qui rassemblaient entre cent et cent vingt personnes, des membres de la locale, pour l’essentiel, mais qui pouvaient aussi convier des amis. Nous avons également accueilli les autorités locales à cette occasion ; c’était un peu notre réunion annuelle de relations publiques. Elle a été soudainement arrêtée, il y a deux ans… Nous en prévoyons une nouvelle pour l’automne mais je crains qu’elle ne suscite plus autant d’enthousiasme qu’avant. Nous ne le saurons évidemment qu’en le faisant…
Nous avons également organisé des « bourses aux plantes » et, de manière assez importante, pendant toute une époque, des journées « Portes ouvertes » chez nos membres. Mais, là aussi, une forte concurrence s’est développée depuis, tant au niveau des fermes que des jardins de particuliers… Plusieurs autres organisations sont apparues, même au niveau communal, qui font que nous rencontrons nettement moins de succès. On peut, certes, déceler là un signe que notre travail a été fructueux mais cela n’arrange pas nos affaires aujourd’hui… Même si nous avons toujours su évoluer et nous adapter en fonction des demandes et des époques… »
Un groupe de réflexion très prometteur
« La locale a également organisé des cours de jardinage, pendant cinq ou six ans, précise Christian Thiry. Et ce fut un succès important pour nous : ces cours rassemblaient environ vingt-cinq participants. Les dernières années, nous proposions même un cours, une fois par mois, pendant toute l’année, dans l’idée de tenir un discours de permanence au sujet du jardin. Une tout autre manière de concevoir les choses que « on fait quelques salades en été, puis on remise la bêche et la brouette dès qu’il fait un peu plus froid »… Cela allait à contre-courant de ce qui est encore à la mode pour le moment. Nous incitions aussi ce groupe à prolonger ses réunions, mais de manière autonome : il se réunissait une fois par mois, le dimanche matin, afin d’échanger au sujet de ses pratiques. Philippe Delwiche y fut même invité pour parler de la vie du sol et nous sommes allés visiter son jardin, avec ce groupe-là… Ce groupe aurait très bien pu constituer un groupe permanent de réflexion plus générale, sur le pain par exemple, même s’il n’a jamais évolué en tant que tel, ce qui est peut-être dommage. Chaque année, les « anciens » accueillaient ceux qui venaient d’achever une année de formation, créant ainsi une forme de pérennisation de son effort de réflexion sur le jardinage et l’alimentation. Nos champs d’intérêt s’élargissant même au-delà, nous avons, par exemple, construit des murs de pierres sèches dans le jardin d’un des membres, touchant ainsi davantage à la sauvegarde de la biodiversité et alliant une démarche pratique aux quatre grandes thématiques de réflexion chères à Nature & Progrès. Je regrette qu’en termes d’éducation permanente, cette dynamique n’ait probablement pas été suffisamment exploitée. Notons aussi que ce sont des membres de notre locale qui rédigèrent l’édition de Nature & Progrès relative à la serre en bio… Notre philosophie était alors axée autour de l’autoproduction et du jardinage, mais nous fûmes aussi à l’origine d’un GAC qui a une vingtaine d’années et qui existe toujours. Il fut initié par Jacques Gérard, mon épouse Claude, ainsi que Chantal Van Pevenage. Ce groupement d’achats, qui s’appelle La Capucine, contribua d’ailleurs à la création d’autres structures, comme le premier groupe local de Terre en Vue, et d’un marché fermier à Rochefort. Nous avons aussi participé au festival A travers champs, au groupe semences de Rochefort en Transition, etc. Ce n’est, au fond, qu’un cheminement associatif normal, dira-t-on ; on ne peut certainement pas déplorer que de bonnes idées se développent… »
Tant de questions encore trop rarement abordées…
« Sans doute, chez Nature & Progrès, n’arrivons-nous pas assez à saisir suffisamment l’essence même de ce que nous faisons, risque alors Christian. Avec notre groupe de réflexion, à Marche, nous dépassions de très loin la simple transmission de savoirs et nous efforcions davantage de faire (re)naître et de développer tout ce qui pouvait être mis au service de volontés nouvelles d’autonomie émergeant dans la société dans le domaine de la production et de la transformation des aliments. Ce n’est vraiment pas rien…
Les questions de dynamiques sociales ne sont-elles pas, avant tout, une question d’échelle ? Nous souhaiterions, Claude et moi, relancer au départ de la jolie salle de notre village de cent vingt habitants – Grimbiémont, près de Marche – une réflexion très générale sur l’alimentation. Ce serait bien sûr une démarche touchant au concret, sans quoi les gens ne se déplaceraient pas, de la manière dont Nature & Progrès l’a déjà fait maintes fois au sujet du pain. Seraient évidemment convié un cercle de personnes proches mais surtout les gens du village qui sont sensibles à ces questions-là. Il est important de faire le lien avec ses voisins immédiats, plutôt que de rester dans un « entre-soi » de gens déjà convaincus. Ceci rejoint l’interpellation qui émana de notre groupe au sujet de la participation de nouveaux publics et qui donna lieu à la constitution d’un panel citoyen, puis aux journées de réflexion des 12 et 19 mars. Lorsque plus de groupes locaux, pensons-nous, adhéreront à cette démarche, les questions qu’aujourd’hui tout le monde se pose trouveront alors immanquablement un écho différent. Par exemple, pourquoi ne pas favoriser le petit artisan boulanger ? Faire le pain, est-ce, au fond, un travail individuel ou un travail pour la collectivité ? Les « machines à pain » sont-elles finalement intéressantes ? Faut-il plutôt relancer des fours communautaires dans les villages ? Il y a là de vraies questions de société qui concernent tout un chacun et qui sont bien loin d’être tranchées. Et qui sont même encore trop rarement abordées… »
L’importance de l’échelon communal
« Au niveau de l’alimentation – avec le coût croissant des matières premières -, nous vivons un contexte très difficile, conclut Christian, mais sans doute extrêmement favorable pour Nature & Progrès car l’ensemble des démarches que nous prônons, depuis bien longtemps, ne peuvent plus être ignorées par qui que ce soit. Par rapport à ce qui fut déjà exprimé par deux autres groupes locaux, dans Valériane n°155, nous partageons bien sûr les difficultés liées à l’étendue même des locales, ainsi qu’à la volonté qui est aussi la nôtre de toucher des publics plus divers et moins acquis au niveau des convictions. Avec, bien sûr, l’envie de rajeunir le « noyau porteur » de la locale. Nous sommes un groupe vieillissant, en effet, et les jeunes – avec lesquels nous entretenons d’excellentes relations dans l’environnement direct de Marche – s’engagent avec des démarches très différentes. Il est cependant frappant que les communes trouvent une place très importante dans ces actions. Au risque de me répéter, je crois que l’échelon communal reste une référence importante qui doit être centrale dans notre réflexion sur la géographie du travail des locales. Toutes les communes veulent aujourd’hui un éco-conseiller, et toutes ces personnes lancent des programmes sur lesquels Nature & Progrès a développé, depuis bien longtemps, une expertise et un savoir-faire. Nous devons donc nous efforcer de répondre positivement à toute forme de sollicitation, à condition toutefois que prime l’expression citoyenne sur le « compte-à-rendre » à l’élu local et ses propres intérêts politiques. C’est là une vraie question.
Nous pensons aussi à relancer l’idée de « formations », dans le sens de journées de réflexion sur un sujet précis. Mais, pour l’heure, je ne vois pas qui, au sein du groupe local marchois, va se « mettre au fourneau ». Espérons qu’il s’agit là seulement d’un problème conjoncturel « post-covid » et pas d’une panne définitive d’envie et d’énergie. Cela, seul l’avenir nous le dira… »
Nature & Progrès
Locale de Marche
Christian Thiry
marchenatpro@gmail.com