Cet article est paru dans la revue Valériane n°170

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Par Sylvie La Spina,

rédactrice en chef

Offrir une fin de vie plus agréable à des poules issues d’élevages intensifs, voilà une idée qui remporte de plus en plus de succès. Mais au-delà des vies sauvées, ce geste pose de nombreuses questions ? Ne soutient-il pas certaines filières d’élevage peu désirables ? Ne contribue-t-il pas à l’appauvrissement génétique de nos petits animaux d’élevage ?

 

Les annonces se succèdent et se ressemblent. La presse locale en fait un large écho. « Sauvez des poules de l’abattoir ! ». Des associations et des start-ups se sont créées autour d’opérations de sauvetage, pour faciliter les contacts entre éleveurs et adoptants.

 

Poule rustique de race ardennaise

 

Une meilleure fin de vie

Après une naissance en couvoir, un début de vie bien au chaud dans une ferme spécialisée dans l’élevage des poulettes, c’est à l’âge de 18 semaines que les poules pondeuses rejoignent la ferme qui se concentrera sur la récolte des œufs. La période productive dure jusqu’à 18 mois, soit un peu plus d’une année de ponte intensive. Arrive ensuite le moment de la mue. Le renouvellement du plumage demandant de l’énergie, la ponte se réduit. Les poules sont alors « réformées ». Elles rejoignent l’abattoir pour laisser la place au lot suivant, alors qu’il pourrait leur rester quatre à sept années de vie pendant lesquelles la ponte baissera progressivement.

La motivation des adoptants est de prolonger et d’adoucir la vie de ces poules, notamment pour celles issues d’élevages en cages – heureusement devenus rares – ou au sol. Même dans les filières plein air et bio, il arrive que les poules sortent de leur élevage dans un piteux état, partiellement déplumées à cause du « picage ». Les poules élevées en grand nombre ont tendance à arracher les plumes de leurs congénères. Comment ne pas être pris de pitié pour ces pauvres êtres ? Les adoptant.e.s au grand cœur sont de véritables mamans ou papas poule : leurs protégées se remplument rapidement et passent une heureuse fin de vie dans un jardin. Tout le monde est donc heureux. Vraiment ?

 

Une opération lucrative pour les éleveurs

Les poules de réforme ne sont pas données. Un adoptant déboursera entre trois et cinq euros par poule, voire jusque sept euros dans le cadre d’initiatives organisées. Du beurre dans les épinards pour l’éleveur, comparé aux quelques dizaines de centimes d’euros que lui en donne l’abattoir. Quand la presse et les associations attirent des foules d’adoptants, ce sont plusieurs centaines ou milliers de poules qui sont ainsi sauvées, ce qui représente un petit pécule pour l’élevage en question.

Si les consommateurs responsables et les associations de protection des animaux appellent au boycott de la consommation d’œufs issus d’élevages en cage ou au sol, pourquoi ne pas appliquer le même principe de consomm’acteur dans le cas de l’adoption de poules ? Acheter les poules de réforme d’élevages conventionnels, particulièrement en cage ou au sol, ne revient-il pas à soutenir des modes d’élevages indésirables à tous points de vue (bien-être animal, santé humaine et environnementale, etc.) ?

« 500 poules sauvées d’un élevage au sol, à un prix de trois euros la poule, c’est un don de plus de 1.000 euros pour soutenir ce mode d’élevage ! »

 

La généralisation de races industrielles

Les races – en fait, on les appelle des hybrides – élevées chez les professionnels sont toujours les mêmes, des Formules 1 de la ponte, comme la Holstein est la Formule 1 du lait, et le Blanc Bleu Belge, la Formule 1 de la viande. Cette hypersélection d’une poule, à l’origine équilibrée entre ponte et viande, vers des hypertypes de poulets de chair massifs et de maigres poules pondeuses a pour objectif de produire davantage en réduisant les coûts alimentaires. Cet objectif rejoint des préoccupations économiques mais aussi environnementales : moins de céréales, c’est moins de terres consacrées à l’alimentation animale. Mais cette évolution se fait au détriment de la diversité génétique et de la rusticité des animaux.

Les élevages de particuliers – vos jardins ! – sont les derniers refuges permettant de sauvegarder des races locales, moins productives mais plus équilibrées et diversifiées. Ce patrimoine génétique est riche, et les individus bien adaptés à un élevage familial. N’est-il pas intéressant, plutôt que de sauver des poules industrielles de l’abattoir, de soutenir de petits élevages de races rustiques et locales et contribuer à la conservation de la diversité de la petite basse-cour ? Si l’idée est fortement développée dans le domaine végétal avec les innombrables variétés de semences de terroir, pourquoi ne pas appliquer le même principe aux petits animaux de ferme ?

 

Adopter des poules, un geste citoyen

Adopter des poules est un geste intéressant, que ce soit pour renforcer son autonomie alimentaire, pour recycler ses déchets organiques, pour leur faire participer aux travaux du jardin – petit travail du sol, gestion de ravageurs… – ou simplement pour se connecter avec le vivant. Le choix des individus qui rejoindront votre jardin n’est pas anodin : comme tout acte d’achat, il nécessite une réflexion afin d’être cohérent avec les valeurs défendues par chacun.

Sauver des poules de l’abattoir permet de prolonger la vie des animaux en assurant leur bien-être. Mais il s’agit aussi d’un acte de soutien pour la filière d’élevage qui propose ses volatiles. Pour notre santé et celle de la Terre, choisissons-le bio et vertueux dans les domaines écologiques et sociaux. Et pourquoi pas les éleveurs sous mention Nature & Progrès ?

Adopter des poulettes chez un petit éleveur spécialisé dans les races locales est une autre option. Elle permet de soutenir de plus petits élevages, mieux adaptés au bien-être des animaux, et de contribuer à la préservation de la diversité génétique des animaux de basse-cour. Les nombreuses associations de petit élevage actives en Wallonie et à Bruxelles pourront vous renseigner sur les races les mieux adaptées à votre projet et sur les adresses d’éleveurs passionnés.

 

 

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