En cette année 2024, nous serons invités, par deux fois, à nous présenter aux urnes afin d’élire nos dirigeants : en juin, aux niveaux fédéral, régional et européen, et en octobre, aux niveaux communal et provincial. Tirons le bilan de la législature qui se termine. Nos politiques ont-ils tenu leurs promesses ? Quelles ont été les avancées, et – malheureusement – les reculs, en matière de suppression de pesticides chimiques de synthèse ?
Par Virginie Pissoort, chargée de plaidoyer
Depuis sa naissance en 1986, notre association milite contre l’utilisation des pesticides chimiques de synthèse. Un travail de longue haleine, qui porte peu à peu ses fruits. Mais l’on peut encore s’étonner qu’avec les connaissances actuelles sur la toxicité de ces molécules pour l’environnement et la santé, les choses n’avancent pas de manière plus rapide et plus efficace. Inlassablement, et avec une conviction toujours renouvelée, les membres et l’équipe de Nature & Progrès interpellent les politiques des différents niveaux de pouvoir et font pression, pour notre santé et celle de la Terre.
2024 est une année-clé. En juin, nous voterons pour nos dirigeants aux niveaux européen, fédéral et régional. En octobre, ce sera au tour des élections communales et provinciales. Pour qui donner sa voix ? A coté de l’analyse des programmes, une manière de juger de l’ambition des partis est aussi de regarder en arrière, en faisant le bilan de la législature. Que nous avaient promis les partis au pouvoir ? Qu’ont-ils finalement réalisé pendant le temps de leur mandat ? Faisons le bilan de la législature touchant à sa fin.
La « pause environnementale » se confirme
Vendredi 15 mars, 14h. Je m’assieds face à mon ordinateur pour entamer la rédaction de cet article. Objectif : épingler les avancées que la Belgique et la Wallonie ont réalisées ou manquées en matière de réduction des pesticides chimiques de synthèse… Voilà qu’à l’instant, la Commission Européenne (CE) sort un communiqué, en réaction à l’ébullition du monde agricole. On y apprend, malgré un enchevêtrement complexe de causes à la colère des producteurs, que la CE propose de faire sauter trois mesures agro-environnementales essentielles à la préservation des sols et de la biodiversité : l’obligation de couvert végétal en période sensible, l’obligation de rotation des cultures et la mise en jachère de 4 % de terres. Une décision facile, sans vision, et un vrai rétropédalage ! L’Europe alimente la dualité, creuse encore l’écart « agriculture – protection de l’environnement », alors que l’une et l’autre devraient marcher main dans la main.
Dans la foulée de la décision de remettre sine die le projet de règlementation sur l’utilisation durable des pesticides (Règlement « SUR ») le mois dernier, de prolonger l’approbation du glyphosate pour 10 ans malgré l’absence de majorité qualifiée au Conseil, la CE confirme son penchant pour la « pause environnementale ». L’utilisation des pesticides chimiques de synthèse n’est pas qu’une question d’environnement, c’est aussi un enjeu de santé publique !
Déclarations politiques fédérales et régionales
Dépitée, je m’inscris à un débat organisé par la Première, le 20 mars, entre les ministres Tellier (environnement, région wallonne, écolo), et Clarinval (agriculture, fédéral, MR) sur le thème : « Quelle agriculture durable pour demain en Wallonie ? ». Les questions que nous, membres et acteurs de Nature & Progrès, voudrions leur poser ne manquent pas. Qu’ont-ils fait, l’un comme l’autre, pour que nos agriculteurs.rices s’affranchissent des produits chimiques ? Pour que leur santé, celle des citoyens et celle de l’environnement soient prioritaires ? Quel bilan dressent-ils de leur engagement de réduire l’utilisation des pesticides ? Croient-ils à une Wallonie sans pesticides ?
Sur papier, le gouvernement fédéral s’était engagé à « réaliser un ambitieux plan de réduction des pesticides », et le gouvernement régional de son côté « en cohérence avec les décisions européennes visant à sortir progressivement des pesticides, … à soutenir l’agriculture durable …et à orienter les moyens vers le développement d’alternatives durables, développer le conseil indépendant notamment concernant l’utilisation de pesticides et engrais chimiques ». Mais, derrière ces mots, qu’en est-il ?
Belgique, Royaume des pesticides
Au niveau des pays européens, la Belgique tient la troisième place du podium en termes d’utilisation des pesticides, derrière les Pays Bas et Chypre. En 2020, environ 6.500 tonnes de pesticides chimiques de synthèse sont pulvérisées annuellement dans les champs cultivés, soit 8,5 kg à l’hectare. C’est quatre fois plus que la moyenne européenne !
Il y a juste un an, Nature & Progrès, en partenariat avec PAN Europe, sortait un rapport intitulé « Belgique, Royaume des pesticides ». Cette étude soulignait le rôle de l’administration belge dans l’utilisation massive de pesticides chimiques de synthèse. Elle donne son feu vert aux pesticides les plus toxiques, les candidats à la substitution (CfS, ceux qui auraient dû progressivement disparaitre du territoire), comme si c’était une simple formalité. Elle délivre aussi à la volée des dérogations temporaires d’urgence pour l’utilisation de pesticides non approuvés au niveau européen, s’appuyant sur des exceptions sans fondement. Enfin, elle se passe d’une évaluation des risques de la composition finale du produit, alors que de plus en plus d’études démontrent que la toxicité des co-formulants et de la formulation finale peut s’avérer bien plus dangereuse que la molécule active elle-même.
Depuis, on ne peut que se réjouir du « halte-là », qu’ont mis le Conseil d’Etat (instance administrative la plus haute de Belgique) et la Cour de Justice des Communautés européennes aux pratiques de dérogation abusive de l’administration belge. Deux arrêtés ont été pris pour interdire les dérogations nationales, dès lors qu’une substance active n’est pas approuvée, pour des raisons de toxicité, au niveau européen. Il aura fallu passer par la voie judiciaire pour faire respecter la réglementation européenne, à défaut pour l’administration de prendre ses responsabilités. C’est la fameuse affaire sur les néonicotinoïdes que Nature & Progrès et PAN Europe se réjouissent d’avoir menée à son terme (voir Valériane n°165).
Une décision récente encourageante, en provenance de l’administration elle-même cette fois-ci – ce qui est assez rare pour le souligner -, consiste dans la suspension immédiate et indéfinie dans le temps des herbicides à base de prosulfocarbe. Le Comité d’agrégation (organe fédéral, au sein du SPF Santé publique, en charge de l’autorisation des pesticides) en a décidé ainsi début février 2024. Alors qu’avec l’Union des agrobiologistes belges (UNAB), nous questionnions les autorités sur les problèmes de dérive de cette substance, au cours de la procédure d’évaluation du Comité d’Agrégation, des données toxicologiques fournies par l’industrie ont fait apparaitre un problème de toxicité par « absorption dermique pour les opérateurs ». Affaire à suivre puisqu’un appel de cette décision serait en cours, mais d’ores et déjà une décision pionnière, puisque guidée par un impératif de santé publique, sur la base d’études délivrées par l’industrie elle-même.
Les « plans de réduction » : des coquilles vides !
Cependant, sur les stratégies globales de réduction des pesticides, c’est la déception. Si l’intitulé, comme les déclarations de politique, projettent notre imaginaire dans des stratégies concrètes et des actions ambitieuses pour s’affranchir des pesticides, le Plan National pour la réduction des Pesticides (NAPAN) 2018-2022 nous montre qu’on en est au stade de diagnostic, d’évaluation, d’études, d’observatoires, de suivi d’informations. Où sont les réelles mesures permettant des réductions ? Et le Programme 2023-2027, dans la continuité du précédent, est tout aussi vide d’actions. La Déclaration politique parlait d’un plan ambitieux de réduction des pesticides… A croire que seul le nombre de mesures (176 !) compte ! Quant à la sincérité de la Vivaldi à vouloir s’affranchir des pesticides chimiques de synthèse, le doute est permis.
Les riverains attendent toujours
Dans la lasagne institutionnelle belge, c’est le fédéral qui a la compétence pour l’autorisation des pesticides (PPP) et les régions qui ont en main les conditions d’utilisation de ces pesticides, pour protéger les populations et l’environnement.
Au lendemain des élections régionales 2019, Nature & Progrès, aux côtés d’autres organisations comme Canopea, s’est mobilisé pour que l’Arrêté du gouvernement wallon du 11 juillet 2013 relatif à « une application des pesticides compatible avec le développement durable » soit enfin mis en œuvre et protège les riverains et notre environnement. Même si rien, à cet égard, ne figurait dans la déclaration gouvernementale. Dès lors que l’arrêté existait depuis 2013 et n’avait toujours pas été implémenté, il était, pour nous, prioritaire de prendre les mesures qui permettraient son implémentation (définition des zones de protection, conditions de pulvérisation, carnet de traitement, etc.). Cela s’imposait d’autant plus que deux études menées en Wallonie en 2019 (PROPULPP, sur les dérives des pesticides dans l’air et les sols à proximité des zones de pulvérisation, et EXPOPESTEN, sur les résidus des pesticides dans les urines des riverains) mettaient clairement et scientifiquement en avant l’exposition des populations aux pesticides. Elles auraient dû servir de base à des décisions politiques courageuses pour protéger les personnes vulnérables, pas uniquement en fonction du lieu où elles se situent (crèches, hôpitaux, plaines de jeux…), mais partout. Malheureusement, on arrive en fin de législature, et malgré un dernier sursaut en fin de mandat de la ministre de l’Environnement pour faire aboutir ce dossier, aucune avancée n’est à retenir.
Nos revendications pour la prochaine législature
A l’heure des programmes électoraux, rien d’étonnant à ce que tous les partis démocratiques se réclament d’une transition en matière d’agriculture. Qu’ils l’appellent : agriculture durable, biologique, agroécologique, sans produits chimiques, ils affichent tous ce tournant, avec plus ou moins d’ambition et de conviction. Pour notre part, c’est au moment de la négociation des accords de gouvernement qu’il s’agira d’exercer une influence maximale sur les partis pour que de réelles trajectoires ambitieuses en termes de réduction des pesticides soient fixées, que des stratégies soient mises en place pour en permettre la mise en œuvre et que l’Arrêté de 2013 soit finalement mis en œuvre avec ambition.
Au rang des revendications prioritaires, nous plaiderons pour :
- Un vrai partage de compétence entre les ministères de l’agriculture, de la santé et de l’environnement sur toutes les décisions concernant les pesticides ;
- Une interdiction des pesticides les plus toxiques (CfS)
- Une interdiction des pesticides PFAS (voir page 22)
- Un respect de la règlementation européenne sur les pesticides (application du principe de précaution, transparence, évaluation des risques, …)
- Plus de soutien à notre projet « Vers une Wallonie sans pesticides »
REFERENCES
- Defourny, Dossier « Questions (im)pertinentes sur les pesticides dans l’eau Wallonne », Canopea, Décembre 2022.
- Nature & Progrès, PAN Europe. Rapport « La Belgique : le royaume des pesticides ». Mars 2023. https://www.natpro.be/la-belgique-le-royaume-des-pesticides-rapport-et-colloque-a-la-chambre-des-representants/
- Nature & Progrès. Prosulfocarbe, l’administration belge pour une décision qui protège la santé des opérateurs. https://www.natpro.be/prosulfocarbe-ladministration-belge-pour-une-decision-qui-protege-la-sante-des-operateurs/