Au mieux pris à tort pour des abeilles ou parfois de dangereuses guêpes, les syrphes sont bien souvent inconnus aux bataillons. Dommage car ces petits insectes sont importants dans les écosystèmes mais ils peuvent également contribuer à faire le bonheur des jardiniers ! La pollinisation est essentielle dans la production de nos aliments mais ses acteurs sont souvent de parfaits anonymes. N’est-il pas temps de rendre à César… ?

Par Morgane Peyrot

Introduction

Depuis longtemps l’abeille domestique (Apis mellifera) jouit de sa renommée en tant que « super-pollinisateur » et, plus encore, avec la forte médiatisation de l’extinction massive des colonies durant ces vingt dernières années, notamment lors de la crise des néonicotinoïdes. Certainement pas à tort puisque l’usage des pesticides et autres produits phytosanitaires -encore loin d’être tombé en désuétude, affaiblit le système immunitaire des pauvres ouvrières et engendre, chaque année, un taux de mortalité hivernal exponentiel, encore de l’ordre de 30% durant la saison 2017-2018 (1). Un véritable génocide qu’il ne faut certes pas laisser passer mais qui a malheureusement contribué à évincer tout un pan de la riche biodiversité des insectes pollinisateurs…

Et cela ne doit pas continuer à faire résonner, dans nos esprits, l’idée que les habitantes de nos ruches sont les seuls insectes efficaces et indispensables pour assurer la pollinisation (2). Dans la nature, tout est question d’équilibre, et l’intégrité des écosystèmes dépend de l’interaction de multiples êtres vivants qui, chacun, ont leur importance. Les abeilles sauvages, par exemple, dont on dénombre trois cent septante espèces, rien qu’en Wallonie – et plus d’un millier en France ! -, sont souvent très spécialisées et nécessaires à de nombreuses plantes. Sans oublier les papillons, certains coléoptères, ou encore les méconnus et très étonnants syrphes. Ces drôles de mouches farceuses jouent pourtant un rôle essentiel dans la nature par leur activité de pollinisateurs. Et ils vous réservent également d’autres surprises !

A la rencontre des syrphes

Que sont les syrphes et comment les reconnaître ? Si leur livrée caractéristique n’est pas sans rappeler celle des effrayantes guêpes – ce qui est d’ailleurs le but -, soyez rassurés car il n’en est rien. Ce petit jeu de dupe est, en réalité, un ingénieux stratagème, couramment mis à profit dans le monde animal : le mimétisme. Pour simplifier, la ruse consiste à « se faire passer pour ce que l’on n’est pas »… En l’occurrence, un dangereux insecte au dard aiguisé dont le souvenir de la piqûre douloureuse saura dissuader de nombreux prédateurs potentiels, tels que les oiseaux. Astucieuses, ces mouches ! Car, en effet, les syrphes ne sont autres que d’inoffensives mouches… Ils appartiennent, comme leurs cousines, à l’ordre des Diptères, caractérisés par une première paire d’ailes fonctionnelles et une seconde paire d’ailes atrophiées, réduites à l’état de balanciers, qui leur assurent une grande stabilité et leur permettent d’effectuer un vol stationnaire. Tandis que les abeilles, guêpes et bourdons constituent l’ordre des Hyménoptères, dont les deux paires d’ailes sont de taille similaire et bien visibles. Cela constitue un premier indice, très utile, pour les différencier. Un autre détail apparaît frappant : la grosseur des yeux. Ceux des hyménoptères, petits et saillants, n’ont a priori rien en commun avec les gros yeux protubérants des mouches qui semblent faire les trois quarts de leur tête !

Une famille nombreuse

Distinguer un syrphe d’une guêpe ou d’une abeille apparaît donc plutôt simple, alors que reconnaître un syrphe parmi les syrphes est une autre histoire, tant leur petit monde se trouve finalement vaste. Rien qu’en France, la famille des Syrphidés compte environ cinq cent cinquante espèces différentes, ce qui en fait l’un des groupes les plus riches ! La plupart sont de petits spécimens discrets au corps fin, jaune annelé de noir – l’allure parfaitement mimétique explicitée précédemment. Mais il en existe de toutes formes et de couleurs variées. Citons la rhingie champêtre (Rhingia campestris), au corps orangé, ou le surprenant syrphe bleu à larges bandes (Leucozona glaucia) dont le nom laisse deviner la parure azurée. D’autres spécimens, trapus et munis d’une épaisse pilosité, évoquent plutôt les bourdons – voir l’encadré suivant. Une telle diversité a de quoi surprendre et attiser la curiosité envers ces insectes que l’on prendrait fort bien pour de simples mouches. L’occurrence de nouvelles découvertes naturalistes est une première bonne raison pour s’intéresser à leur sort. Mais elle n’est sûrement pas la seule…

Quelques espèces à découvrir

Parmi les spécimens les plus communs, voici ceux que vous aurez probablement l’occasion d’observer lors de vos balades :

– le syrphe ceinturé (Episyrphus balteatus)

Ses gros yeux rouges surmontent un thorax gris ponctué de quatre bandes noires longitudinales. L’abdomen jaune-orangé porte trois rayures caractéristiques. Contrairement aux femelles, les mâles ont les yeux accolés au-dessus de la tête. Malgré sa petite taille, ce syrphe aux facultés de vol exceptionnelles est capable de migrer sur de longues distances et se rencontre ainsi quasiment partout dans le monde !

– le syrphe porte-plume (Sphaerophoria scripta)

Ce petit syrphe jaune à rayures noires est reconnaissable à son corps mince et allongé qui lui donne une allure élégante. Son thorax porte une tache jaune en demi-cercle. Les mâles sont moins robustes que les femelles et ont également les yeux accolés. Ce dernier est aussi un grand migrateur, commun dans la majeure partie de l’Europe. Il se rencontre fréquemment dans les herbes hautes ou lorsqu’il butine les fleurs.

– la volucelle bourdon (Volucella bombylans)

Ce syrphe dodu et velu a l’apparence d’un bourdon, ce qui est bien pratique pour s’introduire discrètement dans le nid de ces derniers, où il pond ses œufs. Sa progéniture s’y nourrit des déchets, insectes et larves mortes qu’elle trouve. Cette espèce revêt deux formes possibles : l’une noire à l’extrémité de l’abdomen roux imite le bourdon des pierres. L’autre, au thorax noir cerclé de jaune orangé et à l’abdomen tricolore – roux, noir et blanc -, imite le bourdon terrestre. Les antennes sont plumeuses.

Un rôle essentiel dans les écosystèmes…

Souvent, les mouches – et tout ce qui s’y apparente – sont perçues comme des charognards bons à parasiter la viande ou les fruits, après avoir allègrement festoyé dans les excréments, bien entendu. Il est triste que cette image entache tant la réputation de ces insectes qui, dans la nature, remplissent de nombreuses fonctions indispensables. Pour commencer, beaucoup de mouches participent à la pollinisation : certaines plantes, comme le Trolle d’Europe, dépendent même intégralement de ces dernières ! Ceci est le cas des syrphes qui, au stade adulte, se nourrissent généralement de nectar ou de pollen et s’observent d’ailleurs couramment sur les fleurs, notamment les ombelles des Apiacées : carotte, fenouil, berce, etc. Leurs larves, quant à elles, présentent un régime alimentaire variable. Certaines se développent dans le bois vermoulu des troncs d’arbres morts ou dans les excréments. Ceci en fait des décomposeurs, participant à la dégradation de la matière organique et au grand recyclage naturel. D’autres, comme la larve « à queue de rat » de l’éristale gluante (Eristalis tenax), vivent dans les points d’eau souillés où elles filtrent les particules en suspension et contribuent également à « nettoyer » tous ces déchets. De plus, la diversité de leur alimentation et leur cycle de vie font de ces larves d’excellents indicateurs de la biodiversité et de l’état de santé des milieux naturels. Ainsi, une base de données nommée « Syrph-the-Ney » leur a même été dédiée pour être utilisée en ce sens par les gestionnaires de l’environnement !

…Comme au jardin !

Heureux soient les jardiniers qui auront la chance de constater la présence des syrphes dans leur potager. Non seulement ces derniers viendront visiter vos fleurs mais ils pourront également y pondre leurs œufs. Or de nombreuses larves de syrphe – dont nous avons évoqué précédemment la diversité de l’alimentation – se révèlent être d’impitoyables carnivores dévoreurs de pucerons. C’est le cas de la progéniture du syrphe ceinturé – voir encadré – ou encore du syrphe du poirier (Scaeva pyrastri) qui est l’un des plus importants régulateurs connus de pucerons : une seule de ces larves serait capable de décimer jusqu’à trois cents individus en une nuit ! Le cas apparaît cependant isolé et il est estimé qu’une larve de syrphe consomme, en moyenne, quatre à sept cents pucerons au cours de sa vie, ce qui n’est tout de même pas négligeable ! Voilà un sérieux atout pour lutter naturellement et efficacement contre ces petits envahisseurs parfois encombrants.

Pourquoi un tel mépris ?

La pollinisation, tout le monde en parle et a souvent beaucoup de choses à raconter, au sujet des abeilles notamment, mais en ignorant totalement que d’autres insectes y jouent un rôle tout aussi déterminant. C’est même pire que cela : l’idée qu’on se fait généralement de ces inutiles que seraient les insectes est tout simplement désastreuse, l’indifférence et le mépris avec lesquels on en parle et les on traite sont absolument navrants.

Alors, d’accord, manger des fruits et des légumes, c’est important, même si les enfants préfèrent de loin du MacDo… La pollinisation, d’accord, c’est un sujet « de société », c’est économique, mais nous apprendre à distinguer les mouches entre elles, franchement, ne poussons tout de même pas trop loin le bouchon, on a des choses plus sérieuses à faire que cela… Sortir d’une vision béatement anthropocentrée du monde où nous vivons, en songeant parfois que le destin d’un insecte comme le syrphe n’est peut-être pas uniquement de venir mourir écrabouillé sur le capot de la bagnole ? Témoigner un peu de respect et d’empathie pour une petite bête qui a le droit de vivre, comme tout le monde, en faisant simplement et honorablement sa petite part du boulot ? Vraiment, vous croyez que c’est utile ? Vous croyez que c’est important ? Vous croyez que ça a… un sens ?

Notes :

(1) D’après l’enquête statistique du ministère français de l’agriculture et de l’ANSES sur la mortalité hivernale des abeilles, pour la saison 2017-2018, publiée le 25 octobre 2018

(2) Pour exemple, une étude internationale menée, en 2016, par trente-cinq chercheurs prouve que la seule diversité des pollinisateurs sauvages en culture explique une différence de 20 à 30% du rendement dans les petites exploitations !

(3) «Are empidine dance flies major flower visitors in alpine environments? A case study in the Alps, France», V. Lefebvre, C. Fontaine, C. Villemant, C. Daugeron, le 1er novembre 2014