2 mai 2024 : le bien-être animal est inscrit dans la Constitution belge. Si cette matière gagne du terrain, force est de constater que les animaux d’élevage semblent relativement épargnés par les législations, par rapport aux animaux de compagnie. Les lobbys de l’agro-industrie brandissent des arguments de rentabilité, de concurrence, et prétendent sauver nos éleveurs wallons.

 

L’élevage paysan respectueux des animaux : impossible ? Nature & Progrès démontre que non, à travers le modèle qu’elle défend, la bio de ses producteurs, et les multiples innovations sur lesquelles ils travaillent : pratiques vétérinaires alternatives, abattage à la ferme et élevage des veaux laitiers sous leur mère.

 

En tant que citoyens, consommateurs – pour la plupart d’entre nous – de produits animaux, nous sommes tous concernés par les conditions d’élevage en ferme. Explorons ensemble ce sujet afin de nous positionner et d’agir en tant que citoyens responsables

 

Par Delphes Dubray, membre de Nature & Progrès, Mathilde Roda, animatrice, et Sylvie La Spina, rédactrice en chef

 

 

La plupart des humains sur Terre n’a de contact direct avec l’animal que dans son assiette. Comme chacun le sait, les animaux élevés pour constituer notre nourriture, principalement les vaches, les cochons, les moutons et les poulets, se chiffrent par centaines de milliers dans nos fermes. Heureusement, dans notre société occidentale, les préoccupations en matière de bien-être animal occupent une place de plus en plus importante chez nos jeunes, surtout en milieu urbain !

 

Ne nous limitons pas aux animaux de compagnie !

De plus en plus de personnes vivent en ville : plus d’une personne sur deux, actuellement, et ce chiffre ne fait qu’augmenter. Loin des campagnes garnies de fermes, les citadins ont généralement un contact avec le monde animal restreint aux seuls animaux de compagnie.

Parlons-en ! Chiens, chats et autres hamsters vivent avec nous. Par l’intermédiaire de sélections, ils ont été morphologiquement modifiés par l’humain pour notre plaisir. Nous leur fournissons le gite et le couvert et, en échange, nous leur demandons d’être présents pour nous. Parfois notre anxiolytique, parfois notre faire-valoir, ils y consentent, dans la plupart des cas. Les soins vétérinaires tirent profit de notre dévotion : on assiste à une évolution de la technicité, allant parfois jusqu’à l’acharnement thérapeutique.

Mais ne limitons pas notre intérêt aux animaux de compagnie. Le bien-être animal doit concerner tous les animaux, y compris ceux de ferme, y compris ceux qui vivent dans la nature. Or, tous ne sont pas égaux face à la maltraitance.

 

Législation : deux poids, deux mesures

Certains animaux domestiques n’échappent pas à la négligence ou à la cruauté. C’est pour cette raison qu’ont été créées, au XIXe siècle, les sociétés protectrices des animaux. De cette même époque date la loi française de Grammont qui sanctionne les mauvais traitements abusifs commis en public sur les animaux domestiques. Bien que souvent citée comme à l’origine des législations pour les droits des animaux, il est bon de rappeler que le but premier de cette loi fut d’abord de permettre aux citoyens de ne plus voir des animaux se faire abattre dans les mares de sang des tueries, en bord de Seine.

 

Les législations actuelles ciblent principalement les animaux de compagnie. Non pas parce que le mal-être ou la maltraitance de ces derniers est plus marquante, mais parce que ces derniers sont moins soumis à la puissance des lobbys. Explorons cette différence marquée de traitement des animaux de compagnie et de ferme à travers un exemple parlant : celui des « hypertypes ».

 

Les animaux de compagnie et de production sont sélectionnés par les humains depuis leur domestication. Au départ, les critères portaient sur la docilité des animaux, sur leur capacité à s’adapter au mode de vie des humains, mais aussi sur leur capacité à fournir un travail (animaux de trait, chevaux de guerre, chiens de protection de troupeaux) ou de nous nourrir (lait, viande, œufs). Plus tard, des critères morphologiques à visée esthétique ou fonctionnelle se sont ajoutés à ces sélections, surtout pour les animaux de compagnie.

 

Cette hypersélection, menant à ce que l’on nomme des « hypertypes », aboutit parfois à des morphologies incompatibles avec le bien-être animal. Pensez au nez écrasé du bouledogue, à l’origine de problèmes respiratoires, ou à l’arrière-train « trainant » des bergers allemands, entrainant des dysplasies et une mort souvent prématurée. Les animaux de ferme sont aussi concernés ! Pensez aux Blanc Bleu Belge incapables de donner naissance à leur veau sans césarienne, à certaines Holstein hyper-sélectionnées, malades de produire trop de lait, etc.

 

En Wallonie, une législation a été mise en place concernant les hypertypes pour les animaux de compagnie. Elle vise à interdire la reproduction et la vente d’animaux présentant une morphologie incompatible avec leur bien-être. Par contre, aucune mesure ne concerne les animaux de production. Il est, en effet, plus facile de légiférer sur les hypertypes de chiens ou de chats que sur les bovins, porcs et autres animaux de ferme, chasse gardée des lobbys de l’élevage industriel et de la viande qui protègent d’abord le profit humain.

Impossible n’est pas Nature & Progrès !

Certes, les arguments de ces lobbys semblent difficiles à contrer. Voulons-nous de la viande provenant de nos élevages industriels aux normes belges ou manger de la viande produite ailleurs où les normes sont plus laxistes quant au bien-être des animaux ? Tiens, tiens… Il semble que c’est un argument déjà entendu en matière de protection environnementale, justifiant le maintien des pesticides… Bien sûr, il est crucial de préserver l’emploi des éleveurs locaux dans un contexte où les effectifs de producteurs sont en importante diminution.

 

Les lobbys ne persuadent-ils pas la population de mangeurs qu’aucune alternative n’existe par rapport au modèle dominant et industriel destiné à produire notre nourriture, que l’augmentation de la production de viande est incontournable afin de répondre à l’augmentation démographique ? En bref, que le changement de modèle serait impossible ?

Chez Nature & Progrès, nous avons toujours refusé ces discours, recherché et mis en place des alternatives dans le respect de notre santé et de celle de la Terre – et de tous ses habitants, humains et non humains, à plumes et à poils. Notre association se penche donc sur la recherche de modèles alternatifs pour un élevage innovant et humain.

 

Bio et bien-être animal

La bio, née dans les années ’60 et ’70, a tourné le dos à l’industrialisation de la culture (engrais chimiques de synthèse, engrais, sélection focalisée sur le rendement…), mais aussi de l’élevage (spécialisation, sélection intensive, concentration et enfermement des animaux…). La charte de Nature & Progrès, établie par ses membres producteurs et consommateurs, rassemble différentes balises pour un élevage respectueux des animaux, des humains et de la Terre. Une partie de ces règles a été reprise lors de la rédaction des premiers cahiers des charges bio européens en 1991.

 

Aujourd’hui, un éleveur certifié bio est dans l’obligation de permettre à ses animaux de sortir en extérieur quand les conditions le permettent. La densité des animaux, tant dans les abris que dans les parcours, est limitée en vue d’éviter toute concentration néfaste à leur bien-être et à leur santé. L’attache est strictement réglementée, ce qui assure la possibilité pour les animaux de se mouvoir librement. Les porcs ont accès à des zones de fouissage, soit en pleine terre, soit constituées de litière. Les aliments sont certifiés bio et sans OGM, et une partie doit provenir de la ferme ou d’autres producteurs régionaux. La santé est axée principalement sur la prévention en renforçant le système immunitaire des animaux, avec des méthodes et conditions d’élevage respectueuses des besoins physiologiques et éthologiques des animaux et stimulant leurs défenses naturelles. Toute souffrance doit être évitée pendant toute la durée de vie de l’animal, y compris lors de l’abattage. Les éleveurs bio choisissent des races rustiques, conjuguant productivité – il en faut ! – et une bonne fonctionnalité. Les organismes certificateurs et autorités de contrôle sont chargés de vérifier le bon respect de ces dispositions lors des contrôles, au minimum annuels.

 

Au-delà de ces règles de base, les recherches menées par les éleveurs vont bon train, pour aller toujours plus loin dans les bonnes pratiques.

 

Innover, sans cesse !

La prévention des maladies est la base de l’élevage bio. Notre association a été pionnière dans la diffusion de techniques telles que la phytothérapie et l’homéothérapie animale, ou encore, la méthode Obsalim permettant un diagnostic précoce des déséquilibres alimentaires du troupeau. Les formations organisées par Nature & Progrès, aujourd’hui assurées par d’autres acteurs, ont permis aux éleveurs bio de développer une stratégie de soins alternatifs pour assurer le bien-être et la santé de leurs animaux.

 

C’est à l’occasion de rencontres du projet Echangeons sur notre agriculture, en 2016, que l’idée d’abattre des animaux à la ferme a été proposée par des citoyens et des éleveurs. Elle est née de réflexions en réaction aux fermetures d’abattoirs : les distances entre la ferme et le lieu de mise à mort s’allonge, le stress lié au transport et à la manipulation des animaux compromet leur bien-être et la qualité de la viande. Abattre à la ferme de manière cadrée est une idée réaliste, creusée et soutenue par Nature & Progrès. Nos travaux, ainsi que ceux d’autres organisations en Europe, ont mené à une ouverture législative permettant aujourd’hui, « sous certains conditions », cette pratique en ferme. Mais ces « conditions » font encore l’objet de débats, de recherches, de négociations. Depuis, avec le soutien de la Région wallonne, l’Université de Liège a repris les rênes du dossier, et un projet-pilote est en préparation en Wallonie.

 

Les producteurs sous mention Nature & Progrès sont souvent les pionniers de nouvelles pratiques. A la ferme d’Esclaye à Beauraing, la famille Henin a lancé une expérimentation : laisser des veaux laitiers sous leur mère. En 2021, cinq veaux ont été nourris au pis et à l’herbe, jusqu’à l’âge de huit mois. Ils ont ensuite été valorisés dans la filière viande. Ce premier test ayant mené à des résultats positifs, la famille Hénin a souhaité poursuivre l’expérience afin de collecter plus de données. Le projet en cours, mené par les éleveurs en partenariat avec l’Université Catholique de Louvain et avec le soutien de la Fondation Baillet-Latour, porte sur le suivi de seize vaches et de leurs huit veaux mâles et huit veaux femelles. Pour compléter ce suivi technique, basé sur les données de production de la ferme, il apparaissait nécessaire d’étudier la faisabilité économique du développement de la filière veaux laitiers, et ce, afin d’encourager la multiplication des élevages s’engageant sur cette voie, et c’est de cette dernière partie que Nature & Progrès à la charge. Les résultats de cette recherche vous seront présentés très prochainement !

 

Ne sommes-nous pas allés trop loin dans l’animal-machine ? Doit-on continuer de piétiner les animaux sous des prétextes économiques ? Pour Nature & Progrès, il est temps de développer une vision globale de nos systèmes d’élevage, à l’échelle de la société, et non à celle de l’étable.

 

 

 

REFERENCES :

Les Hypertypes Anonymes, capsule vidéo réalisée en 2024 par Le bien-être animal en Wallonie. https://www.youtube.com/watch?v=s0BY-i3xonU

Nature & Progrès. 2017. Potentialités de l’abattoir mobile et du tir en prairie pour les élevages wallons. 128 pages.

Nature & Progrès. 2022. Elevage des veaux sous la mère. Une expérience innovante à la Ferme d’Esclaye-Henin. 32 pages.

Ces brochures sont téléchargeables sur https://www.natpro.be/informations/brochures/